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1Le divorce est un objet d’étude privilégié en démographie mais c’est aussi un sujet largement exploré par d’autres disciplines de sciences humaines et sociales, dont l’économie. Cette discipline aborde le divorce sous différents angles : en économie de la famille, dans la lignée des travaux de Becker (1981), en économie du droit (Farmer et Tiefenthaler, 2001 ; Hiller et Recoules, 2013) ou en en économie des politiques sociales (Aasve et al., 2007 ; Ananat et Michaels, 2008). L’approche que nous développons dans l’article « La couverture des coûts du divorce : le rôle de la famille, de l’État et du marché », a pour originalité d’aborder le divorce sous l’angle de l’économie du risque en montrant que le divorce peut être appréhendé comme un risque économique, défini par une probabilité d’occurrence et un montant de dommage, pouvant donner lieu à différentes formes de couverture. Ce faisant, notre analyse propose une grille de lecture que l’on peut discuter, mais qui présente le mérite de structurer, à partir de concepts issus de l’analyse économique, des réflexions dispersées autour du divorce. Cette démarche contribue également à stimuler des discussions dans les autres disciplines de sciences humaines et sociales, comme en attestent les contributions à ce numéro.

2Ainsi que nous le rappelons dans l’introduction de l’article, le divorce affecte, d’un point de vue matériel, l’ensemble des membres du ménage concerné, et en particulier les femmes. Partant de ces faits stylisés, bien documentés dans la littérature, l’article propose dans un premier temps d’identifier de manière générique, sans a priori de genre, les différents types de coûts consécutifs à une séparation. Dans ce cadre sont notamment mises en évidence les conséquences financières différenciées des séparations selon les choix de spécialisation opérés durant l’union, tout en rappelant le caractère genré de tels choix. De plus, cette analyse conduit à distinguer les coûts de nature purement privée des coûts sociaux.

3En économie, l’identification d’un risque suppose ensuite de s’intéresser aux modalités de couverture et de prévention. Cette démarche appliquée au divorce nous amène, dans un second temps, à déterminer les conséquences de la rupture, mais aussi les causes possibles générant ces conséquences (notamment la spécialisation) et à proposer un panorama raisonné de l’ensemble des dispositifs de couverture existants (de fait plus nombreux pour les couples divorcés que pour les couples ayant vécu en union libres) ou envisageables.

4À la lecture des différentes contributions, il apparaît que notre article a pour vertu d’ouvrir la voie à des réflexions plus spécifiques sur certains instruments de couverture des risques économiques du divorce, sur la façon de prévenir ces risques, mais aussi sur la distinction que nous avons établie entre coûts privés et coûts sociaux du divorce.

5L’analyse de Jeandidier s’approprie par exemple la prestation compensatoire en questionnant les fondements économiques d’une prestation compensatoire réservée, en France en tout cas, aux seuls couples mariés. Il montre que la conclusion de l’analyse économique est sans ambiguïté : il n’y a aucune raison de limiter la prestation compensatoire aux couples mariés dès lors qu’il est démontré que le mariage et l’union libre ont les mêmes effets sur les trajectoires d’emploi du conjoint se spécialisant dans la sphère domestique.

6Une autre façon de limiter les conséquences financières du divorce (et de manière plus générale des séparations) consiste à anticiper ex ante plutôt que couvrir ex post. L’assurance souscrite avant l’occurrence du risque pourrait être une solution comme l’évoquent Fragonard, Gonzalez et Marc, mais elle reste largement exploratoire comme nous l’avons montré par ailleurs (Bourreau- Dubois et Doriat-Duban, 2015). Une façon de prévenir le risque, et qui relève d’une politique publique, consiste à favoriser l’égalité de genre au sein des couples par la mise en place de mécanismes limitant ou désincitant la spécialisation pendant l’union. Ce point abordé dans l’article est repris par Leroyer, qui appelle de ses vœux le développement de mesures incitant les hommes à prendre une part égale du travail domestique et parental, et de manière plus polémique et partisane par Bessière et Gollac, qui rappellent notamment que la spécialisation genrée des tâches pendant l’union prend ses racines en amont, notamment au moment de la socialisation des enfants. Enfin, au-delà de l’étude des différents instruments de couverture ou de prévention, notre analyse pourrait être enrichie, comme le suggère Laplante et comme nous l’avançons en conclusion, par une comparaison internationale visant à identifier, pour différents pays, l’articulation du rôle de chacun des acteurs susceptibles d’intervenir dans la couverture du risque divorce.

7Enfin, notre article souligne la dimension sociale des coûts du divorce, à travers notamment la question des conséquences des séparations sur les enfants. Le débat peut alors s’orienter sur la question de la compensation d’individus qui n’ont pas de prise sur les évènements qu’ils subissent, ainsi que le suggère Trannoy. Les pertes de bien-être subies par les enfants, de parents séparés pourraient être couvertes en vertu d’un principe de compensation, avec prise en charge par la collectivité (par opposition au principe de responsabilité qui conduirait à exclure les parents d’une couverture sociale des coûts du divorce). Martin souligne, quant à lui, l’importance de se détacher d’une vision trop pessimiste des conséquences du divorce pour les enfants, sans pour autant la négliger, en évoquant la possibilité que cet événement génère aussi des effets positifs, que nous n’abordons pas compte tenu de notre angle d’analyse, mais qui mériteraient également d’être étudiés.

8Au total, l’article « La couverture des coûts du divorce : le rôle de la famille, de l’État et du marché » remplit une double mission : d’une part, proposer une approche originale du divorce envisagé comme un risque économique auquel peuvent être associés à la fois des instruments de prévention et de couverture, et d’autre part, susciter des économistes mais aussi des autres disciplines en sciences humaines et sociales des analyses complémentaires ou plus critiques. La variété des discussions autour du divorce et de la façon de l’aborder dans une société en constante évolution, confirme la richesse d’un champ de recherche qui reste largement à explorer.

Références supplémentaires

  • En ligneFarmer A., Tiefenthaler J., 2001, « Conflict in divorce disputes : The determinants of pretrial settlement », International Review of Law and Economics, 21(2), p. 157-180.
  • En ligneHiller V., Recoules M., 2013. « Changes in divorce patterns : Culture and the law », International Review of Law and Economics, 34(C), p. 77-87.
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/12/2016
https://doi.org/10.3917/popu.1603.0543
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