CAIRN.INFO : Matières à réflexion
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1Comme nombre d’événements des trajectoires de vie, le divorce constitue un objet d’analyse et de réflexion susceptible de mobiliser de nombreuses disciplines des sciences humaines et sociales. L’économie n’est en général pas au premier rang de celles-ci, dans la mesure où l’accompagnement des trajectoires conjugales appelle dans un premier temps davantage le regard des juristes et des psychologues. Les démographes sont également fortement sollicités pour suivre pas à pas l’évolution et les variations du phénomène, donnant la base nécessaire à la formulation de pistes d’interprétation des causes de ces variations dans le temps, l’espace et bien sûr l’espace social. Sociologues et économistes font partie de ce deuxième cercle d’experts intéressés par les causes et surtout les conséquences du divorce.

2L’article que nous proposent Cécile Bourreau-Dubois et Myriam Doriat- Duban est incontestablement une utile contribution dans cette perspective. Il constitue en quelque sorte la base d’une réflexion d’actuaire qui aurait pour objectif d’arbitrer sur la nature de ce « risque » et d’envisager les fondements et les modalités de sa couverture. Il propose un modèle qui pourrait probablement être converti en formule dans un deuxième temps.

3L’idée de penser le divorce comme un « risque » n’est pas nouvelle : nous avions pour notre part proposé de parler de « risque solitude » (Martin, 1993). Selon les angles choisis, on peut y voir un risque au sens assurable du terme, comme c’est le cas ici, ou au sens de menace. Cette deuxième approche pose la question de la logique de construction sociale des risques incluant les controverses sur la question de savoir quel sens attribuer à des covariations, ou les affrontements sur ce que sont en la matière les variables explicatives et la variable expliquée.

4L’un des exemples les plus significatifs de cette bataille concerne les effets du divorce sur les enfants. Une masse considérable de la littérature scientifique en sciences sociales, en particulier aux États-Unis, a été consacrée à cette question. Toutefois, un examen attentif permet d’identifier non seulement des désaccords importants sur l’idée prétendant faire du divorce un événement dont les effets se font mécaniquement au détriment du bien-être des enfants, mais aussi des affrontements sur les dispositifs permettant de mettre à l’épreuve une telle causalité. Par exemple, de nombreux auteurs ont questionné les démarches qui tendaient simplement à comparer (même en les appariant) des enfants élevés et socialisés dans des ménages de couples mariés et des enfants ayant connu le divorce de leurs parents. La variable indépendante, susceptible d’être fortement négligée, renvoie au conflit. Sans aller plus loin sur cet exemple, on comprend sans doute la nature de la discussion et l’importance de diversifier les situations et les cas à comparer, comme ceux d’enfants socialisés dans des couples qui restent mariés malgré des conflits permanents et violents. De ce fait, nous avons proposé d’évaluer les « risques du non-divorce » pour les enfants en cas de conflit (Martin, 2007).

5En somme, si l’on peut envisager d’informer les dimensions économiques du divorce sous l’angle de ses coûts directs et indirects, les difficultés s’amplifient lorsque l’on aborde les conséquences à moyen et long terme, ou la question des conséquences sur les enfants. À s’en tenir à une vision du type « toute choses égales par ailleurs », on risque, comme le fait une partie de la littérature nord-américaine, de généraliser la « dépréciation de la qualité du capital humain des futurs citoyens » provoquée par le divorce à une vaste population d’individus, enfants, adolescents et jeunes adultes, qui sont pourtant susceptibles de convertir l’épreuve du divorce en rebonds pour leurs propres existence et capital humain. On peut dès lors se demander comment une réflexion telle que celle proposée ici pourrait intégrer dans son faisceau de variables ce phénomène de résilience ou de conversion de l’épreuve en une stratégie alternative à la tranquille mécanique de ce que l’on considère comme les trajectoires normales ou pensées comme une réussite, à un moment historiquement situé et à un niveau donné de l’espace social. Pour citer encore un exemple de la complexité des variables en cause : il est courant de prendre pour un potentiel « échec scolaire », ou pour une pénalité liée au divorce, le fait que des jeunes ayant vécu le processus de divorce de leurs parents et accompagné la vie quotidienne de leur mère en situation monoparentale, aient une scolarité en moyenne plus courte que ceux qui sont socialisés dans des couples stables. Mais c’est négliger que cet effet peut aussi correspondre à une stratégie, une volonté ou un besoin : celui de s’autonomiser plus rapidement et d’accéder plus tôt à un emploi, quitte en effet à raccourcir une trajectoire scolaire qui aurait en d’autres circonstances pu être plus longue.

6Nombre d’autres points pourraient être discutés ici, comme le fait de considérer comme les auteures que le divorce est un risque particulier puisqu’il est le résultat d’un choix d’au moins l’un des protagonistes. Cette problématique du choix est encore une fois très discutable et résonne bien entendu avec l’idée que le divorce serait, dans un nombre important de cas, provoqué par un manque d’investissement, d’effort, de bonne volonté des protagonistes. N’entend-on pas régulièrement dire d’ailleurs que la cause de l’augmentation du nombre des divorces est le fait d’adultes qui, à la première difficulté, « jettent l’éponge ». Dans une telle optique, on pourrait même se demander s’il est bien nécessaire de réfléchir à protéger socialement les individus de ces conséquences, autrement qu’en les invitant à contracter une assurance, comme on le fait en matière de risque automobile ? Penser en termes de choix ici revient manifestement à tenir pour négligeables tous les facteurs qui contribuent au divorce bien au-delà d’une question de choix. Ainsi en est-il des liens (co-occurrences) entre chômage et divorce ou entre déclassement et divorce, ou encore entre conditions quotidiennes de vie, enjeux de partage des rôles entre les sexes ou enjeux de conciliation entre vie familiale, vie professionnelle et divorce, etc.

7En somme, si la démarche consistant à mettre en discussion les conditions dans lesquelles le divorce pourrait être considéré comme un risque social est précieuse, et même nécessaire, il est manifeste que le chemin à parcourir reste important pour éviter de créer des dispositifs dans l’incapacité de compenser les inégalités générées par ces accidents ordinaires des trajectoires d’existence contemporaine. Parmi les pistes à poursuivre dans cette discussion, mentionnons pour finir une prise en compte d’indicateurs de bien-être (ou de mal-être) qui, au-delà du strict enjeu économique, pourraient affiner les dispositifs d’accompagnement.

Références

  • En ligneMartin C., 1993, « Le “risque solitude” : divorces et vulnérabilité relationnelle », Revue internationale d’action communautaire, n° 29(69), p. 69-83.
  • En ligneMartin C., 2007, « Des effets du divorce et du non-divorce sur les enfants », Recherches et prévisions, n° 89(1), p. 9-19.
Claude Martin [*]
  • [*]
    CNRS, (CRAPE-Arènes, UMR 6051).
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/12/2016
https://doi.org/10.3917/popu.1603.0540
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