1Analyser le divorce à travers un prisme économique, pour tenter de saisir l’importance du « risque » consécutif à la séparation et vérifier quels sont les moyens les plus efficaces pour le couvrir au mieux, est évidemment une analyse à laquelle le juriste ne peut que souscrire. En effet, le droit a mis en place de nombreux moyens permettant plus ou moins directement de compenser les conséquences patrimoniales d’un divorce, que ce soit la prestation compensatoire, les dispositifs d’aide à la fixation et au recouvrement des pensions alimentaires pour les enfants, les avantages tirés de la liquidation d’un régime matrimonial de type communautaire, les outils d’aide à la parentalité et les mesures d’aides sociales pour les familles monoparentales, ou encore les différentes mesures d’incitation du retour à l’emploi pour celui des conjoints ayant cessé son activité pendant le temps consacré à l’éducation des enfants.
2Si l’étude ici présentée passe en revue et commente l’efficacité de ces divers moyens, elle retiendra surtout l’attention en ce qu’elle met en lumière l’asymétrie de genre persistante que la séparation implique, au détriment des femmes, en raison notamment de leur plus grand investissement dans le travail domestique et parental pendant le mariage, et au fait qu’après le divorce la résidence des enfants est, dans la majeure partie des cas, fixée chez la mère.
3Cette asymétrie dépasse en réalité la seule question du divorce, même si elle est rendue particulièrement visible à cette occasion. Une question plus générale est en effet de savoir comment restaurer l’égalité entre les hommes et les femmes, à l’heure où ces dernières accomplissent encore la majeure partie du travail domestique et parental.
4À cet égard, le droit français a plutôt opté pour un système de justice redistributive, destiné à compenser les inégalités économiques issues de la division sexuée du travail au sein de la famille. Cette justice redistributive inspire les règles du partage du régime matrimonial de communauté légale, puisqu’il est fait pot commun des gains et salaires et des biens achetés pendant le mariage. Cette même idéologie a incité à la prise en compte, parmi les éléments permettant de fixer la prestation compensatoire, des conséquences des choix professionnels faits par l’un des époux pendant la vie commune ou des choix faits pour favoriser la carrière de son conjoint au détriment de la sienne (art. 271 du Code civil). On pourrait de prime abord se féliciter des mesures permettant de compenser les inégalités qui résultent de l’investissement des femmes dans la vie familiale. Cela étant, l’ambivalence de ces dispositions est très largement soulignée. En effet, ces mesures peuvent paraître à la fois favorables aux femmes, car leur donnent la possibilité de divorcer puisqu’elles se voient alors dotées d’une certaine autonomie financière, et défavorables, puisqu’elles s’inscrivent dans une perspective simplement compensatrice, confortant sinon occultant le surinvestissement des femmes dans la famille par rapport aux hommes (Pichard, 2014 ; Revillard, 2011). Le problème est que ce genre de critique conduit nécessairement à une impasse, car on voit bien que la prise en compte du travail domestique et parental est à la fois un facteur d’équité et de maintien des inégalités. Cela résulte de l’idéologie adoptée pour couvrir le risque économique du divorce, qui est simplement compensatrice.
5Si la logique redistributive conduit à une telle impasse, il conviendrait donc de chercher d’autres solutions. À cet égard, il serait intéressant d’utiliser les travaux de la philosophe américaine Nancy Fraser qui tente d’apprécier l’efficacité des dispositifs permettant de parvenir à l’égalité. Précisément, les auteures mettent en balance l’efficacité de diverses politiques publiques en faveur de l’égalité. L’une de ces politiques consiste effectivement à adopter des mesures compensatrices, afin de supprimer le coût de la différence entre les hommes et les femmes. Il s’agit de valoriser le travail du « pourvoyeur de care », en compensant de manière équitable son investissement dans la famille. La limite de cette politique est qu’elle ne permet pas d’imposer un égal partage des tâches entre les hommes et les femmes. Une véritable politique égalitaire serait donc plutôt celle qui inciterait à un partage égal du travail de care. Il faudrait ainsi, outre les mesures compensatrices, inciter les hommes à prendre une part égale du travail domestique et parental. « La clé pour réaliser l’équité entre les hommes et les femmes dans un État providence est donc de faire des modèles de vie actuels des femmes la norme pour tout le monde » (Fraser, 2012, p. 186). Cela suppose un ensemble de mesures propres à modifier la conception du rôle des hommes et des femmes, à la fois dans le monde du travail et dans la famille. On peut citer en ce sens les mesures telles que le congé parental, ou les allocations versées à parité entre les deux parents et à la condition que le temps passé auprès des enfants soit également réparti.
6Il y a donc une autre façon de réfléchir sur le coût du divorce, en considérant que le dispositif actuel de redistribution des ressources, qu’il soit privé ou public, est largement insuffisant car il maintient les inégalités dans leur principe en tentant simplement de les compenser dans leurs effets.
7Réduire vraiment le risque économique d’un divorce supposerait de réduire préalablement la fracture économique entre les hommes et les femmes à la fois dans le monde du travail et dans la famille. Si les deux époux ont une égale autonomie économique grâce à leur travail, et que les deux parents ont une égale implication dans la vie familiale, il est bien évident que le risque économique du divorce sera d’autant moins élevé. C’est en ce sens qu’il est urgent d’œuvrer.