1Les relations entre activité professionnelle des femmes et maternité sont complexes et peuvent paraître paradoxales. Alors qu’à l’échelle des pays européens, c’est désormais dans les pays où l’activité professionnelle des femmes est la plus élevée que la fécondité est la plus forte, à l’échelle individuelle, les mères de famille nombreuses sont moins souvent en emploi. Comment expliquer et concilier ces résultats ? Pour apporter des éléments concrets à l’analyse des relations causales entre fécondité et activité professionnelle, Jonas Wood, Karel Neels, David De Wachter et Tine Kil comparent le statut et l’intensité de l’activité professionnelle des femmes avant et après la naissance de leur premier ou de leur deuxième enfant, selon le niveau de diplôme. En étudiant trois pays aux politiques sociales et familiales très différentes – la France, les Pays-Bas et la Hongrie –, ils mettent en avant l’importance du parcours professionnel qui précède la première maternité, lui-même déjà très lié au niveau de diplôme, sur l’emploi après la première et la deuxième maternité.
2En Europe, le taux d’activité des femmes a augmenté entre les années 1970 et 2000, et particulièrement celui des mères (Hynes et Clarkberg, 2005). Les mères de jeunes enfants réintègrent le marché du travail de plus en plus vite après une naissance, et le modèle de l’homme seul pourvoyeur de revenu du ménage perd peu à peu du terrain (Dex et al., 1998 ; Gaudet et al., 2011). Malgré cette hausse du taux d’activité des mères, la présence des femmes sur le marché du travail est bien plus liée à la constitution de la famille que celle des hommes. Par conséquent, les responsables politiques et les chercheurs en politique sociale soulignent l’importance de l’emploi féminin dans la prévention de la pauvreté (Cantillon et al., 2001 ; Juby et al., 2005 ; Morel, 2007), car le non-emploi dû à la formation de la famille peut se traduire par un amoindrissement du capital humain et une plus grande précarité des revenus (Beblo et Wolf, 2002 ; Gutiérrez-Domènech, 2005 ; Kenjoh, 2005), ainsi qu’un risque accru de chômage et une moindre mobilité professionnelle à long terme (Felmlee, 1995 ; Shapiro et Mott, 1994).
3La relation entre formation de la famille et activité professionnelle des femmes constitue une thématique centrale de la recherche en démographie depuis des décennies (Becker, 1960). On observe une activité économique féminine réduite lorsqu’il y a des (jeunes) enfants dans le ménage (Brewster et Rindfuss, 2000 ; Nakamura et Nakamura, 1994), mais on constate également qu’au fur et à mesure que l’enfant grandit, la mère tend de plus en plus à réintégrer le marché du travail (Dex et al., 1998 ; Giannelli 1996 ; Joshi et al., 1996). Cependant, se basant sur des données transversales, beaucoup de travaux omettent de tenir compte de l’activité antérieure à la première maternité, dont il a été démontré qu’elle influe sur l’emploi des femmes une fois mères (Gaudet et al., 2011 ; Kil et al., 2015 ; Matysiak et Vignoli, 2010 ; Nakamura et Nakamura, 1994).
4Concernant les taux d’activité, on observe que les mères les plus instruites ont plus de chances d’occuper un emploi (Dex et al., 1998), alors que les moins instruites restent plus souvent au foyer (Bernhardt, 1986). Si de nombreux travaux confirment les différences de taux d’activité des mères en fonction de leur niveau d’instruction, peu d’entre eux distinguent, d’une part, les différences de taux d’activité des femmes selon leur niveau d’instruction avant qu’elles ne fondent une famille et, d’autre part, le rôle différencié du niveau d’instruction sur l’impact de la fécondité sur l’emploi.
5La principale originalité de cette étude se caractérise par la décomposition des différences de taux d’activité des mères liées à leur niveau d’instruction en deux composantes que sont : les différences antérieures à la première maternité et les modifications induites par la naissance des premiers et deuxièmes enfants. Cette approche permet d’évaluer dans quelle mesure les écarts d’activité économique des mères liés à leur niveau d’instruction s’expliquent principalement par les différences d’activité des femmes avant la première maternité ou davantage par la diversité de leurs trajectoires professionnelles une fois qu’elles ont des enfants. Ainsi, cette analyse indique comment une politique sociale touchant l’emploi féminin avant la première maternité ou visant à infléchir l’effet de la fécondité sur l’activité économique des mères peut promouvoir une plus grande égalité d’accès à l’emploi pour les mères de niveaux d’instruction différents.
6Ce travail porte sur la France, les Pays-Bas et la Hongrie, car ces pays reflètent quelques-unes des grandes différences de politiques sociales à l’égard de l’emploi des mères de famille en Europe (Salles et al., 2010). On regroupe généralement la France avec la Belgique et même les pays scandinaves, en tant que sociétés qui permettent aux mères de continuer à travailler à plein temps avec une interruption minimale de leur carrière, grâce à l’existence de services de garde d’enfants ; tandis qu’on associe souvent les Pays-Bas avec l’Allemagne, l’Italie et d’autres pays de l’OCDE, sociétés où les politiques familiales obligent les mères à se retirer (partiellement) du marché du travail jusqu’à ce que leur(s) enfant(s) entre(nt) à l’école (Anttonen et Sipilä, 1996 ; Gornick et al., 1997). La Hongrie se distingue par son héritage communiste, qui a fortement influencé les politiques sociales hongroises actuelles (Avdeyeva, 2009).
I – Niveau d’instruction et emploi des femmes dans trois pays
7L’analyse des comportements des femmes à l’égard de l’emploi selon la théorie du développement individuel (Blair-Loy, 2003 ; Garcia-Manglano, 2014 ; Gerson, 1986) combine les arguments des théories de la socialisation et des théories structurelles. Les théories de la socialisation mettent l’accent sur l’idée que les décisions des femmes à l’égard de l’emploi sont induites par leurs préférences et leurs attitudes, elles-mêmes en partie déterminées par leur type de socialisation. Par contre, les théories structurelles abordent le travail des femmes comme le produit de leur situation sociale et de leurs opportunités (possibilités d’emploi, existence de services de garde d’enfants). La théorie du développement individuel appliquée au choix des femmes en matière d’emploi prédit que la décision de quitter le marché du travail, de travailler à temps partiel ou de travailler à plein temps résulte à la fois de leur comportement personnel et des options disponibles.
1 – Travail féminin et niveau d’instruction
Le travail des femmes avant la première maternité
8Selon les études existantes, l’emploi féminin est à la fois déterminé par les grands cycles économiques (Crompton, 2006 ; Gutiérrez-Domènech, 2005 ; Verick, 2009) et l’employabilité individuelle [1] qui délimitent les opportunités d’emploi. Les femmes les plus instruites ont plus de chances que les autres de trouver du travail grâce à leur capital humain plus important (Gaudet et al., 2011) et au cumul d’avantages qui y sont liés (Dolado et al., 2000 ; McQuaid et Lindsay, 2005 ; Olah et Fratczak, 2004).
9En accord avec la théorie du développement individuel, on observe le fait que les opportunités d’emploi des femmes aboutissent ou non à une embauche dépend de leur rapport et de leur attitude au travail (Garcia-Manglano, 2014 ; Hakim, 2002). Les femmes dont le niveau d’instruction est très élevé mettent plus fortement que les autres l’accent sur leur activité économique comme moyen d’épanouissement personnel et ont des attitudes plus positives envers le travail féminin (Alwin et al., 1992 ; Buchholz et al., 2009 ; Friedman et al., 1994 ; Neels et Theunynck, 2012a). L’investissement dans une carrière procure plus d’avantages à long terme (salaire, statut d’emploi) aux femmes les plus instruites (Liefbroer et Corijn, 1999). Selon la littérature, celles-ci sécurisent leur carrière avant de s’engager dans la maternité (Liefbroer et Corijn, 1999 ; Matysiak et Vignoli, 2010), tandis que celles pour qui l’accès à une carrière stable est compromise (les moins instruites) peuvent envisager la maternité comme une alternative à la réussite professionnelle (Friedman et al., 1994). Dans le même ordre d’idées, occuper un emploi à temps partiel au début de la vie adulte peut compromettre les chances d’accéder à une longue carrière pour les femmes de niveau d’instruction élevé, parce qu’elles seront pénalisées en termes de formation continue, d’avancement et de promotion, de salaire et de sécurité d’emploi, mais aussi parce que travailler à temps partiel peut être interprété comme le signe d’un moindre intérêt pour une carrière à long terme (Liefbroer et Corijn, 1999 ; OCDE, 2010). Mais l’OCDE a montré que le travail à temps partiel est peu pénalisant dans les pays où il est largement répandu comme les Pays-Bas (OCDE, 2010).
Combiner travail et famille
10Alors que l’activité économique des hommes est relativement stable au cours de la vie, la maternité est l’un des principaux facteurs de réduction de la présence des femmes sur le marché du travail (Brewster et Rindfuss, 2000 ; Garcia-Manglano, 2014). Les mères qui choisissent d’être économiquement actives doivent combiner l’activité professionnelle et la famille. La conciliation travail-famille dépend de différents facteurs liés au contexte (Hynes et Clarkberg, 2005), aux caractéristiques de l’individu et du ménage, ainsi qu’aux valeurs individuelles que les femmes attachent au travail et à la famille.
11Premièrement, la politique familiale peut favoriser la combinaison de la vie familiale avec la vie professionnelle. Selon la littérature, il existe un lien positif entre les systèmes de fiscalité séparée des conjoints – qui, contrairement à la fiscalité commune, encouragent la bi-activité – et l’activité professionnelle des mères de famille (Gutiérrez-Domènech, 2005). Le congé parental est conçu pour permettre aux parents de se consacrer aux jeunes enfants avant de réintégrer leur emploi éventuellement (Dex et al., 1998 ; Gaudet et al., 2011), et on a constaté que, grâce au congé parental, les femmes conservent un lien avec le monde du travail (Gerber et Perelli-Harris, 2009 ; Pronzato, 2009). Mais, d’un autre côté, le congé parental, peut retarder le retour des femmes sur le marché du travail (Matysiak et Szalma, 2014) ; le congé de longue durée peut, en particulier, compromettre le retour à l’emploi (Fagnani, 1999 ; Fitzenberger et al., 2010 ; Lalive et Zweimüller, 2009). Certaines recherches indiquent que les mères de niveau d’instruction élevé sont plus enclines que les autres à recourir à ces congés parentaux (Desmet et al., 2007 ; Wood et Neels, 2014), mais aussi qu’elles ont tendance à prendre des congés plus courts pour retourner au travail plus vite (Fitzenberger et al., 2010 ; Matysiak et Szalma, 2014). L’existence de services institutionnels de garde d’enfants, leur coût et leur qualité influent aussi sur la possibilité de combiner famille et travail (De Wachter et al., 2014 ; Fagnani, 2002 ; Stone, 2007). Les résultats de certains travaux mettent en évidence un recours aux services (organisés ou informels) de garde d’enfants croissant avec le niveau d’instruction de la mère (Ghysels et Van Lancker, 2009 ; Neels et Theunynck, 2012a ; Paull et al., 2002).
12Deuxièmement, le travail à temps partiel peut permettre aux femmes de combiner leur double rôle de mères et pourvoyeuse de revenu (Booth et van Ours, 2013 ; Laurijssen, 2012). Mais selon le pays, il est plus ou moins associé à une pénalisation en termes d’avancement de carrière, de sécurité d’emploi et de formation continue. Naturellement, le travail à temps partiel implique un salaire réduit, ce qui peut compromettre l’équilibre financier du ménage, notamment pour les personnes les moins instruites.
13Troisièmement, les caractéristiques du ménage ont aussi un impact sur la possibilité de combiner travail et famille. La nécessité d’avoir un emploi est plus pressante pour les mères célibataires, puisqu’elles n’ont pas de partenaire qui leur assurerait un soutien financier (Dex et al., 1998 ; Drobnic et al., 1999 ; Gutiérrez-Domènech, 2005 ; Jeon, 2008 ; Smock et al., 1999). Le fait d’avoir un conjoint à faible revenu peut également inciter les mères vivant en couple à retourner sur le marché du travail (Gaudet et al., 2011). De plus, un partage égalitaire des tâches au sein du ménage (le partage des tâches ménagères et parentales) peut aussi être favorable à l’activité professionnelle des femmes (Crompton, 2006 ; Smith, 1985). La littérature montre que l’égalité des sexes au sein du ménage est plus importante quand la femme a un niveau d’instruction élevé (Crompton et Lyonette, 2005 ; Kil, 2014 ; Marks et al., 2009).
14Quatrièmement, suivant l’approche du développement individuel, on observe que les opportunités d’emploi pour les mères ont plus ou moins de chances de se concrétiser selon leurs préférences personnelles. Les femmes les plus instruites se déclarent ainsi les plus favorables au travail des mères (Neels et Theunynck, 2012a, 2012b ; Scott, 1999).
2 – Les contextes français, néerlandais et hongrois
15Ces trois pays représentent la diversité des politiques sociales et familiales en Europe : la France pour la facilité d’emploi et les nombreuses structures d’accueil des jeune enfants, les Pays-Bas où les mères d’enfants de moins de 3 ans ont peu de possibilités de retour à l’emploi (si ce n’est à temps partiel), la Hongrie pour son héritage des politiques sociales communistes et les longs congés parentaux qui y sont liés.
La France : un taux d’emploi des mères élevé
16On associe souvent le taux relativement élevé d’emploi des mères françaises au grand nombre de crèches et de modes de garde subventionnés mis à leur disposition (Baranowska-Rataj et Matysiak, 2014 ; Haas, 2003 ; Thévenon, 2008). Dans le système français de congé parental (deux à trois ans de congé, selon la période), l’indemnisation est faible. Jusqu’en 1994, le congé parental n’était assorti d’aucune indemnité pour le deuxième enfant, et jusqu’en 2004 d’aucune indemnité pour le premier (Fagnani et al., 2013 ; Wood et Neels, 2014) ; par la suite, ces indemnités sont restées très inférieures au niveau de revenu antérieur et ne le compensent pas (Haas, 2003). Le système français de fiscalité favorise les ménages dont un seul membre bénéficie d’un revenu [2] quand le couple est marié ou pacsé (OCDE, 2010). Il pratique la séparation des revenus (quotient familial), qui réduit le taux d’imposition pour les couples mariés dont les conjoints ont des revenus de niveau différent (UNECE, 2012).
17La part du travail à temps partiel dans l’ensemble de l’emploi féminin en France est plus faible qu’aux Pays-Bas, mais beaucoup plus élevée qu’en Hongrie (Banque mondiale, 2014). La pénalisation liée au travail à temps partiel, en termes de salaire horaire moyen, de sécurité d’emploi et de perspectives de carrière, est importante (OCDE, 2010). Comparativement aux Pays-Bas, la France présente un taux plus élevé de pauvreté chez les actifs travaillant à temps partiel, une plus forte proportion de temps partiel subi et un taux de rétention dans ce type d’emploi plus élevé. Par conséquent, en France, les emplois à temps partiel s’avèrent relativement peu attractifs, et il semble difficile de les quitter (OCDE, 2010).
Les Pays-Bas : un niveau élevé de travail à temps partiel
18Aux Pays-Bas, on attribue l’augmentation du taux d’activité féminine et de l’emploi des mères de famille au développement du travail à temps partiel plutôt qu’à l’effet des politiques familiales. Parmi les enfants de moins de trois ans, la part de ceux qui fréquentent une crèche agréée est faible (CEC, 2001 ; Haas, 2003 ; Lewis et al., 2008 ; Plantenga et Hansen, 2001 ; Pronzato, 2009 ; Thévenon, 2008), et le congé parental (depuis 1991) n’a qu’une portée limitée (Bruning et Plantenga, 1999). Entre 1991 et 1997, seul un congé parental à temps partiel était permis. Depuis 1997, les salariés ont droit à un congé parental représentant 26 fois leur nombre d’heures de travail hebdomadaire. Le congé parental n’est assorti d’aucune indemnité, mais les parents qui y ont recours bénéficient d’un abattement fiscal. De plus, jusqu’à la réforme de la fiscalité de 2001, les Pays-Bas disposaient d’un système traditionnel d’imposition commune des conjoints, basé sur le modèle d’un pourvoyeur principal de revenu au sein du ménage (Knijn, 2003).
19Aux Pays-Bas, la compatibilité entre vie familiale et vie professionnelle repose essentiellement sur le droit de travailler à temps partiel (Ray, 2008). La loi relative au travail à temps partiel, votée en 2000, accorde aux salariés le droit de demander une réduction de leur temps de travail (Haas, 2003). Par conséquent, dans les ménages néerlandais, la mère de famille n’est généralement pourvoyeuse que d’un revenu complémentaire (Banque mondiale, 2014 ; Blossfeld et Hakim, 1997 ; OCDE, 2010). Les pénalités du travail à temps partiel (en termes de salaire horaire et de moindre accès à la formation, par exemple) et le risque de pauvreté sont faibles (OCDE, 2010). En outre, les femmes travaillant à temps partiel se déclarent très satisfaites de leur situation professionnelle et ne souhaitent guère modifier leur temps de travail (Booth et van Ours, 2013).
Les congés parentaux sont particulièrement développés en Hongrie
20Pendant le régime socialiste, l’activité économique des femmes, y compris les mères de famille, était très importante du fait de la pression gouvernementale pour considérer le travail comme un devoir civique, grâce à une large offre de services de garde d’enfants (crèches pour les enfants de moins de 3 ans, écoles maternelles pour les enfants de 3 à 6 ans) (Baranowska-Rataj et Matysiak, 2014 ; Kocourkova, 2002 ; Unicef, 1999) et en raison de la faiblesse des salaires (Avdeyeva, 2009 ; Neels et Theunynck, 2012b). Comparativement aux États ex-communistes voisins, la Hongrie présente, à cet égard, davantage de continuité entre les périodes antérieure et postérieure à 1990. Si le gouvernement a relâché sa pression sur les citoyens pour qu’ils considèrent le travail comme une obligation civique, l’offre de crèches publiques et le taux de fréquentation des écoles maternelles sont restés élevés (Avdeyeva, 2009). La faiblesse des salaires participe aussi à la persistance du modèle de couple bi-actifs (Neels et Theunynck, 2012b). Le système fiscal hongrois est moins favorable aux ménages à revenu unique que les systèmes néerlandais et français (OCDE, 2010).
21La Hongrie se distingue également par un système généreux de congé parental, qui conduit les femmes à se consacrer, pour un temps, entièrement à leurs enfants (Avdeyeva, 2009). En 1969, un premier type de congé parental (GYES) a été instauré jusqu’au troisième anniversaire de l’enfant et assorti d’une indemnité forfaitaire. En 1985 a été introduit un nouveau type de congé (GYED) accompagné d’une indemnité représentant de 65 % à 75 % du revenu antérieur ; et depuis 1987, ce congé peut être pris jusqu’au deuxième anniversaire de l’enfant (Avdeyeva, 2009). Le système de congé parental en vigueur depuis la transition est proche de ceux qui prévalaient sous le régime communiste (Avdeyeva, 2009). Dans l’ensemble des pays européens, la Hongrie reste l’un de ceux qui présentent les systèmes de congés parentaux les plus généreux, ce qui explique le faible taux d’activité des femmes qui ont un enfant âgé de moins de 3 ans (OCDE, 2015).
22Le travail à temps partiel est très peu répandu en Hongrie (Banque mondiale, 2014 ; OCDE, 2010), et, relativement aux situations française et néerlandaise, il y est associé à un fort taux de pauvreté au travail.
II – Questions de recherche et hypothèses
23La littérature a mis en évidence un lien positif entre le taux d’activité des mères et leur niveau d’instruction (Dex et al., 1998 ; Gutiérrez-Domènech, 2005). L’étude vise à décomposer cette relation pour déterminer dans quelle mesure elle reflète des différences préexistantes à la formation de la famille.
1 – Comment le taux d’activité varie-t-il selon le niveau d’instruction avant la première naissance et après ?
24Nous posons l’hypothèse que le taux d’activité des femmes croît avec leur niveau d’instruction avant qu’elles aient des enfants, parce que les femmes les plus instruites ont plus d’opportunités que les autres sur le marché du travail, mais aussi parce qu’elles retardent leur première maternité jusqu’au moment où elles ont atteint une situation professionnelle stable (hypothèse 1).
25Toutefois, un effet négatif de la maternité sur l’emploi des femmes est attendu, probablement de moindre ampleur pour les plus instruites. Ces dernières recourent en effet davantage aux services (officiels ou informels) de garde d’enfants, prennent des congés de maternité plus courts, sont plus enclines à concilier vie familiale et vie professionnelle, et bénéficient d’un partage des rôles au sein de leur ménage plus égalitaire. Ces différents éléments peuvent atténuer pour ces femmes l’impact négatif de la maternité sur l’emploi. Cependant, si leur recours plus important aux avantages des politiques familiales et leur attitude très favorable à l’activité professionnelle des mères viennent aussi du fait qu’elles occupent plus souvent un emploi avant leur première maternité. On n’observera pas nécessairement chez elles un moindre effet négatif de la maternité sur l’emploi. Dans la mesure où ces mères très instruites peuvent plus facilement se permettre de quitter temporairement le marché du travail ou obtenir un congé parental, l’effet de la maternité sur l’emploi peut s’en trouver renforcé.
2 – Comment le taux d’activité à temps partiel varie-t-il selon le niveau d’instruction avant la première naissance et après ?
26Nous posons l’hypothèse que le travail à temps partiel avant la première maternité est moins fréquent chez les femmes les plus instruites, parce qu’il est important pour elles, tant qu’elles sont encore jeunes, d’investir dans leur carrière professionnelle ; sauf dans le cas néerlandais où le travail à temps partiel y est beaucoup moins associé à des pénalisations en termes de carrière et peut représenter une situation professionnelle satisfaisante (hypothèse 2).
27Dans la mesure où, une fois mères, les femmes les plus instruites peuvent relâcher leurs investiments en termes de carrière, on peut s’attendre à ce qu’elles s’orientent davantage vers le travail à temps partiel seulement lorsqu’elles ont des enfants. Il est peut-être plus facile pour elles de travailler à temps partiel, alors que les femmes moins instruites sont davantage confrontées à la nécessité financière de travailler à plein temps (hypothèse 3).
III – Données et méthodes
1 – Les données des enquêtes de panel GGS
28Nous avons utilisé les données individuelles longitudinales des deux premières vagues de la Generations and Gender Survey (GGS). La première vague fournit des données rétrospectives sur la formation de la famille (cohabitation, mariage, divorce, enfants…) ; dans la seconde vague, ces informations sont mises à jour et un historique de la vie professionnelle y est ajouté [3]. La combinaison des données des deux vagues permet de déterminer, de manière rétrospective, la relation entre la formation de la famille et l’activité professionnelle. On a sélectionné sur la période qui va de 1970 à l’année précédant la collecte des données (soit 2008 en France, 2009-2010 en Hongrie et 2006-2007 aux Pays-Bas), les femmes de 15 à 49 ans dont on a exclu les retraitées, les étudiantes, les femmes n’ayant eu ni un premier ni un deuxième enfant pendant la période d’observation et celles dont les données sur le niveau d’instruction étaient manquantes. De l’échantillon de base, composé de 3 755 Françaises, 3 617 Néerlandaises et 5 728 Hongroises, on extrait un échantillon de 2 306 Françaises, 1 816 Néerlandaises et 2 124 Hongroises ayant eu un premier enfant, et un second échantillon de 1 872 Françaises, 1 598 Néerlandaises et 1 791 Hongroises ayant eu au moins deux enfants. Avec ces données, transformées en personnes-mois pour la France et la Hongrie et en personnes-années pour les Pays-Bas [4], nous analysons les différences d’activité professionnelle des femmes en fonction de leur niveau d’instruction dans la période entourant leurs deux premières maternités.
2 – La méthode utlilisée
29En utilisant ces données en personnes-périodes, nous avons analysé l’activité professionnelle avec un modèle logistique à effets combinés, comprenant un effet aléatoire au niveau individuel pour tenir compte de l’hétérogénéité non observée. Toutefois, l’une des limites de ce modèle est de supposer que cette hétérogénéité non observée est invariable dans le temps, alors que la littérature montre que les préférences des femmes peuvent évoluer tout au long de leur vie (Drago et al., 2006 ; Evertsson et Breen, 2008 ; Garcia-Manglano, 2014). La première variable dépendante est l’emploi (modèle a), qui distingue les femmes occupant un emploi de celles qui sont au chômage, inactives ou en congé de maternité [5]. Ensuite, parmi les femmes qui travaillent, nous examinons leurs probabilités relatives (odds ratios) de travailler à temps partiel (modèle b) [6].
30Nous avons calculé deux séries de modèles, de façon à étudier respectivement l’impact de la première naissance et celui de la deuxième naissance sur l’emploi des mères. Dans la première série de modèles (modèles 1 et 3), on exclut les femmes qui n’ont pas eu d’enfant. On compare l’emploi des femmes depuis 2 ou 3 ans [7] avant leur première maternité jusqu’à 10 ans après. Les périodes après la naissance du deuxième enfant ne sont pas incluses dans cette série de modèles. La deuxième série (modèles 2 et 4) porte sur les femmes qui ont eu un deuxième enfant. Nous comparons l’emploi des femmes de 2 à 3 ans avant la première maternité [8] jusqu’à 10 ans après la naissance du deuxième enfant. Les périodes après la naissance d’un troisième enfant sont exclues. Cette méthode est mieux adaptée qu’une approche transversale qui comparerait les mères aux femmes sans enfant, sans savoir si celles-ci seront mères un jour, parce que notre méthode permet de mesurer l’effet d’une ou deux naissances sur l’activité professionnelle au sein d’un même groupe de femmes homogène. Toutefois, une limite forte est que cette approche ne prend pas en compte les femmes sans enfant. Alors que les modèles 1 et 2 donnent une mesure de l’évolution de l’emploi féminin après la naissance du premier enfant et après celle du deuxième, les modèles 3 et 4 examinent si l’effet de la maternité sur l’emploi varie en fonction du niveau d’instruction. Les analyses sont menées séparément pour les trois pays afin de tenir compte des particularités nationales dans les estimations des différentes variables, mais aussi pour éviter que l’hétérogénéité des structures par niveau d’instruction des trois pays n’influe sur les estimations des paramètres relatifs au niveau d’instruction (Uunk et al., 2005).
31Les principales variables d’intérêt [9] sont la durée séparant le moment de l’observation de la naissance d’un enfant (variant avec le temps) et le niveau d’instruction au moment de l’enquête (variable constante avec le temps). La première comprend quatre catégories : de 2 à 3 ans avant la première naissance (catégorie de référence pour l’ensemble de l’analyse) et de 0 à 2 ans, 3 à 5 ans, et 6 à 10 ans après la dernière naissance. Le niveau d’instruction est classé conformément au système international CITE (classification internationale type de l’éducation, ISCED en anglais) : faible (niveaux 0 à 2), moyen (niveaux 3 et 4), élevé (niveaux 5 et 6). Notre analyse tient également compte de la situation matrimoniale, de l’âge et de la période d’observation, ces trois informations variant avec le temps. Pour la situation matrimoniale, nous distinguons trois catégories : célibataire, en union libre et en union mariée. La situation matrimoniale est également croisée avec le niveau d’instruction, pour éviter que la mesure des changements des variations selon le niveau d’instruction au cours du temps ne soit perturbée par les effets de la situation de couple sur l’emploi, eux-mêmes variables selon le niveau d’instruction. Les groupes quinquennaux d’âges (15-19, 20-24, 25-29, 30-34, 35-39, 40-44 et 45-49 ans) permettent de contrôler les différences d’activité professionnelle selon l’âge. Les périodes d’observation quinquennales (1970-1974, 1975-1979, 1980-1984, 1985-1989, 1990-1994, 1995-1999, 2000-2008) permettent de tenir compte du contexte politique et de la situation sur le marché du travail.
IV – Résultats et discussion
1 – Résultats de l’analyse descriptive
32Dans les trois pays, on constate une forte chute de l’activité professionnelle des femmes un an avant la naissance du premier enfant (figures 1A, 2A, 3A). Les causes possibles de ce phénomène sont les congés prénataux, mais aussi un effet positif du non-emploi sur la première maternité. C’est pendant la période qui entoure une naissance que le taux d’activité des femmes est le plus faible. Au fur et à mesure que le premier enfant grandit, l’activité professionnelle des femmes reprend jusqu’à un certain point. On observe le même phénomène autour de la deuxième naissance (figures 1B, 2B, 3B). De plus, les figures 1 à 3 montrent que ces échantillons rétrécissent au fil du temps, par un effet de troncature dû à l’arrivée d’un nouvel enfant.
Personnes-mois par statut d’activité et effet de troncature pour les femmes entre 15 et 50 ans, France (1970-2007)

Personnes-mois par statut d’activité et effet de troncature pour les femmes entre 15 et 50 ans, France (1970-2007)
Note : A et B : [-6 ; 0[années qui précèdent la première naissance (sauf le mois de naissance) ; A : [0 ; 10] années après la 1re naissance (incluant le mois de la 1re naissance) ; B : [0 ; 10] années après la 2e naissance (incluant le mois de la 2e naissance).Personnes-mois par statut d’activité et effet de troncature pour les femmes entre 15 et 50 ans, Pays-Bas (1970-2005)

Personnes-mois par statut d’activité et effet de troncature pour les femmes entre 15 et 50 ans, Pays-Bas (1970-2005)
Note : A et B : [-6 ; 0[années qui précèdent la première naissance (sauf le mois de naissance) ; A : [0 ; 10] années après la 1re naissance (incluant le mois de la 1re naissance) ; B : [0 ; 10] années après la 2e naissance (incluant le mois de la 2e naissance).Personnes-mois par statut d’activité et effet de troncature pour les femmes entre 15 et 50 ans, Hongrie (1970-2008)

Personnes-mois par statut d’activité et effet de troncature pour les femmes entre 15 et 50 ans, Hongrie (1970-2008)
Note : A et B :[-6 ; 0[années qui précèdent la première naissance (sauf le mois de naissance) ; A : [0 ; 10] années après la 1re naissance (incluant le mois de la 1re naissance) ; B : [0 ; 10] années après la 2e naissance (incluant le mois de la 2e naissance).33En comparant les trois pays de cette étude, on observe les différences évoquées dans la section I.2. La France se distingue par une chute de courte durée de l’activité professionnelle après la première maternité, potentiellement associée à un ensemble de mesures de politique familiale favorables et aux attitudes positives à l’égard de l’emploi des mères. Mais la même baisse liée à la deuxième naissance est plus marquée, principalement à cause des congés parentaux. Aux Pays-Bas, le travail à temps partiel, avant et après une naissance, est très répandu, en raison notamment de la politique sociale néerlandaise qui favorise l’emploi à temps partiel. Enfin, en Hongrie, la forte diminution de l’activité professionnelle chez les mères d’un enfant de moins de 3 ans est rapidement résorbée par la suite. Comme le montre la figure 3, cette brève chute d’activité est due au généreux système hongrois de congé parental.,
34On observe une hausse du taux d’activité avec le niveau d’instruction aussi bien avant la première maternité qu’après la première ou la seconde naissance (figures 4 et 5). Concernant le travail à temps partiel, il existe des différences d’un pays à l’autre et d’une époque à l’autre. En France, on constate une baisse de l’emploi à temps partiel avec le niveau d’instruction avant la première maternité. Cette relation inverse s’observe aussi chez les femmes qui ont un seul enfant, et chez les mères de deux enfants, il dépend de l’âge du second. Aux Pays-Bas, la relation entre le niveau d’instruction et le travail à temps partiel est nettement positive. Elle gagne en importance après la première naissance et plus encore après la deuxième. En Hongrie, le travail à temps partiel est très rare, quel que soit le niveau d’instruction.
Proportions de femmes en emploi et proportions des femmes actives travaillant à temps partiel selon le niveau d’instruction, femmes âgées de 15 à 50 ans avec un premier enfant en France (1970-2007), aux Pays-Bas (1970-2005) et en Hongrie (1970-2008)

Proportions de femmes en emploi et proportions des femmes actives travaillant à temps partiel selon le niveau d’instruction, femmes âgées de 15 à 50 ans avec un premier enfant en France (1970-2007), aux Pays-Bas (1970-2005) et en Hongrie (1970-2008)
Note : [-6 ; 0[années qui précèdent la première naissance (sauf l’année de la naissance) ; [0 ; 10] années après la 1re naissance (incluant l’année de la 1re naissance).Proportions de femmes en emploi et proportions des femmes actives travaillant à temps partiel selon le niveau d’instruction, femmes âgées de 15 à 50 ans avec un deuxième enfant en France (1970-2007), aux Pays-Bas (1970-2005) et en Hongrie (1970-2008)

Proportions de femmes en emploi et proportions des femmes actives travaillant à temps partiel selon le niveau d’instruction, femmes âgées de 15 à 50 ans avec un deuxième enfant en France (1970-2007), aux Pays-Bas (1970-2005) et en Hongrie (1970-2008)
Note : [-6 ; 0[années qui précèdent la première naissance (sauf l’année de la 1re naissance) ; [0 ; 10] années après la 2e naissance (incluant l’année de la 2e naissance).2 – Résultats de l’analyse multivariée
35Avant de commenter les paramètres d’intérêt, examinons rapidement les paramètres des variables de contrôle (tableaux 1 et 2). Les femmes de 15 à 19 ans sont celles qui sont le moins souvent en emploi autour du moment de la naissance ; l’activité professionnelle est maximale après 30 ou 40 ans, selon les pays et le nombre d’enfants, tandis que le temps partiel est plus fréquent aux âges jeunes. L’activité professionnelle des mères augmente avec le temps en France et aux Pays-Bas, tandis qu’elle diminue en Hongrie. Le temps partiel est plus fréquent au cours du temps en France et aux Pays-Bas. Compte tenu de l’interaction incluse dans les modèles, les paramètres décrivant l’activité professionnelle selon le niveau d’instruction ne peuvent être interprtétés directement ; nous reviendrons en détail sur ce point. Par rapport aux femmes non en couple, les femmes mariées ou en cohabitation sont moins souvent en emploi, et plus souvent à temps partiel. Les différences selon le niveau d’éducation sont en général faibles, sauf en France où les femmes les plus instruites se distinguent davantage. Enfin, on peut noter que dans tous les modèles, la variance du terme d’hétérogénéité non observée est significative (tableaux 1 à 3). Par conséquent, les facteurs individuels non observés autres que les variables contrôlées par les modèles ont un impact significatif sur l’emploi féminin.
Odds ratios des modèles logits à effets combinés de l’activité professionnelle des femmes de 15 à 50 ans ayant un premier enfant, France (1970-2007), Pays-Bas (1970-2005), Hongrie (1970-2008)

Odds ratios des modèles logits à effets combinés de l’activité professionnelle des femmes de 15 à 50 ans ayant un premier enfant, France (1970-2007), Pays-Bas (1970-2005), Hongrie (1970-2008)
Note : A : active ; NA : non-active ; TP : travail à temps partiel ; PT : travail à plein temps.Seuils de significativité : * p < 0,050 ; ** p < 0,010 ; *** p < 0,001.
Odds ratios des modèles logits à effets combinés de l’activité professionnelle des femmes de 15 à 50 ans ayant un 2e enfant, France (1970-2007), Pays-Bas (1970-2005), Hongrie (1970-2008)

Odds ratios des modèles logits à effets combinés de l’activité professionnelle des femmes de 15 à 50 ans ayant un 2e enfant, France (1970-2007), Pays-Bas (1970-2005), Hongrie (1970-2008)
Note : A : active ; NA : non-active ; TP : travail à temps partiel ; PT : travail à plein temps.Seuils de significativité : * p < 0,050 ; ** p < 0,010 ; *** p < 0,001.
Odds ratios des modèles logits à effets combinés de l’activité professionnelle des femmes de 15 à 50 ans ayant un premier enfant (modèle 3) ou un deuxième (modèle 4), France (1970-2007), Pays-Bas (1970-2005), Hongrie (1970-2008)

Odds ratios des modèles logits à effets combinés de l’activité professionnelle des femmes de 15 à 50 ans ayant un premier enfant (modèle 3) ou un deuxième (modèle 4), France (1970-2007), Pays-Bas (1970-2005), Hongrie (1970-2008)
Note : A : active ; NA : non-active ; TP : travail à temps partiel ; PT : travail à plein temps.Seuils de significativité : * p < 0,050 ; ** p < 0,010 ; *** p < 0,001.
Maternité et évolution de l’emploi féminin
La première maternité
36Dans les trois pays, nous voyons que le fait de devenir mère (tableau 1) entraîne une réduction de la probabilité d’avoir un emploi. Comme le montrait déjà l’analyse descriptive, la France présente la baisse la moins prononcée, alors qu’aux Pays-Bas et plus encore en Hongrie, le recul de l’emploi est très important chez les mères dont le premier enfant a moins de 2 ans. Nous observons, comme les travaux précédents, qu’au fur et à mesure que l’enfant grandit, sa mère a de plus en plus de chances d’occuper un emploi. En France, les mères sont de plus en plus nombreuses à reprendre le travail, et ce phénomène est encore plus prononcé en Hongrie. Mais aux Pays-Bas, la probabilité d’emploi de la mère ne varie pas avec l’âge du premier enfant. Chez les femmes actives françaises, il existe un lien positif entre la naissance d’un premier enfant et le travail à temps partiel, lien plus intense encore aux Pays-Bas.
La naissance d’un deuxième enfant
37En comparant l’activité professionnelle des femmes avant la première maternité et après la seconde (tableau 2), on voit, comme dans l’analyse descriptive, que dans les trois pays le fait d’avoir un second enfant réduit encore davantage la probabilité d’emploi des mères. Quand le deuxième enfant grandit, on constate une reprise d’activité chez les mères, surtout en Hongrie. En France et aux Pays-Bas, la deuxième maternité augmente la probabilité de travail à temps partiel.
Différences selon le niveau d’instruction
Différences d’activité professionnelle des mères selon leur niveau d’instruction
38Comme l’a déjà montré l’analyse descriptive, on observe une hausse du taux d’activité des mères avec leur niveau d’instruction en France, aux Pays-Bas et en Hongrie (figure 6B) [10]. Chez les mères françaises, on observe un effet négatif du niveau d’instruction supérieur sur l’emploi à temps partiel, surtout marqué pour les mères d’un seul enfant. Aux Pays-Bas, l’emploi à temps partiel est corrélé de façon positive à l’instruction, pour les mères d’un seul enfant et davantage pour celles qui en ont deux (figure 6D). Dans les sections suivantes, ces différences d’activité maternelle par niveau d’instruction sont décomposées, de manière à analyser séparément les différences observées avant la première naissance et celles après la maternité.
Effet du niveau d’instruction sur l’emploi des femmes âgées de 15 à 50 ans, 3 à 2 ans avant la 1re naissance et dans les 10 ans qui suivent la dernière naissance (odds ratios), France (1970-2007), Pays-Bas (1970-2005), Hongrie (1970-2008)

Effet du niveau d’instruction sur l’emploi des femmes âgées de 15 à 50 ans, 3 à 2 ans avant la 1re naissance et dans les 10 ans qui suivent la dernière naissance (odds ratios), France (1970-2007), Pays-Bas (1970-2005), Hongrie (1970-2008)
Avant la première naissance
39Les résultats de l’analyse multivariée corroborent aussi ceux de l’analyse descriptive présentant l’évolution positive de l’emploi féminin selon le niveau d’instruction avant la première naissance. La figure 6A montre que, dans les trois pays, de 3 ans à 2 ans avant leur première maternité, les femmes qui ont un niveau d’instruction moyen ou élevé sont plus enclines que les autres à exercer une activité professionnelle. L’effet du niveau d’instruction est toujours statistiquement significatif, à l’exception du niveau d’instruction moyen aux Pays-Bas. L’emploi féminin avant la première naissance varie donc fortement avec le niveau d’instruction. Comme l’a également montré l’analyse descriptive, l’analyse multivariée met en évidence une baisse de l’emploi à temps partiel avec le niveau d’instruction 2 à 3 ans avant la première naissance en France, mais une variation inverse aux Pays-Bas pour les femmes les plus instruites (figure 6C).
Après la première naissance
40Le tableau 3 indique si l’effet de la première naissance sur l’emploi diffère sensiblement selon que la mère a un niveau d’instruction faible ou plus élevé. Les effets propres des divers niveaux d’instruction sont présentés sur la figure 7.
Effets du niveau d’instruction à la maternité sur l’emploi et l’emploi à temps partiel pour les femmes de 15 à 50 ans (odds ratios), France (1970-2007), Pays-Bas (1970-2005), Hongrie (1970-2008)

Effets du niveau d’instruction à la maternité sur l’emploi et l’emploi à temps partiel pour les femmes de 15 à 50 ans (odds ratios), France (1970-2007), Pays-Bas (1970-2005), Hongrie (1970-2008)
41En France, la baisse de la probabilité d’exercer un emploi après une première maternité est de moindre ampleur chez les femmes peu instruites. Ce résultat est montré par les effets significativement négatifs observés chez les femmes dont le niveau d’instruction est moyen ou élevé. De même, aux Pays-Bas, l’impact négatif de la première naissance sur les chances d’avoir un emploi paraît moins fort pour les femmes peu instruites que pour les autres. Cependant, les différences sont pour la plupart non significatives. Bien que le fait d’avoir un enfant d’au moins 6 ans ait le même impact chez les femmes de niveau d’instruction élevé et chez les moins instruites, le recul de l’emploi féminin en Hongrie est significativement plus marqué pour les mères de niveau d’instruction moyen ou élevé. On constate donc de façon claire une plus forte chute de l’emploi pour les femmes avec une instruction moyenne ou supérieure. Des analyses de sensibilité menées par la suite sur les cas français et hongrois montrent que ce phénomène s’explique en grande partie par un recours plus important au congé parental ou de maternité dans ces catégories de femmes.
42La trajectoire d’emploi à temps partiel après une première maternité selon le niveau d’instruction est relativement semblable en France et aux Pays-Bas. Même si en France, le fait d’avoir un premier enfant âgé de 0 à 5 ans est associé à une moindre augmentation du travail à temps partiel chez les femmes de niveau d’instruction moyen ou élevé, et si le fait d’avoir un premier enfant âgé de 6 à 10 ans a un effet positif plus fort pour les femmes les plus instruites, il ne se dégage pas de résultat général pour les variations de la probabilité de travailler à temps partiel après une première naissance. Dans le cas néerlandais, l’augmentation du travail à temps partiel des mères après une première naissance s’avère la plus forte chez les femmes de niveau d’instruction moyen ou élevé, mais la plupart des effets relatifs à ces catégories de femmes ne sont pas statistiquement significatifs.
Après la deuxième naissance
43En France, aux Pays-Bas et en Hongrie, comme après la première naissance, la baisse de l’emploi des mères après la seconde naissance est moins importante chez les mères les moins instruites. Mais aux Pays-Bas, la plupart des effets pour les femmes de niveau d’instruction moyen ou élevé ne sont pas statistiquement significatifs et, comme c’est déjà le cas avec la première naissance, l’effet de la deuxième naissance chez les Hongroises les plus instruites s’estompe quand l’enfant dépasse l’âge de 2 ans. Des analyses de sensibilité menées par la suite sur les cas français et hongrois montrent que le fait que le recul de l’activité professionnelle des mères après la deuxième maternité soit le plus important chez les femmes de niveau d’instruction moyen ou élevé s’explique en grande partie par un recours plus fréquent au congé parental dans ces catégories de femmes.
44En France et aux Pays-Bas, l’effet positif de la naissance du deuxième enfant sur l’emploi à temps partiel des mères est significativement plus fort chez les femmes de niveau d’instruction moyen ou élevé que chez les autres. Ce recours au travail à temps partiel est beaucoup plus fréquent chez les Françaises les plus instruites, ainsi que chez les Néerlandaises de niveau d’instruction moyen ou élevé.
Conclusion
45En accord avec les résultats de travaux antérieurs, cet article montre que l’activité des mères augmente avec le niveau d’instruction (Dex et al., 1998 ; Gutiérrez-Domènech, 2005). Mais cette étude est l’une des premières à avoir décomposé ces différences d’activité professionnelle des mères selon le niveau d’instruction, en distinguant les effets antérieurs et postérieurs à la maternité. Comme on s’y attendait (hypothèse 1), l’emploi féminin varie selon le niveau d’instruction avant la première maternité. Ce résultat doit être mis en relation avec le fait que les femmes les plus instruites ont davantage d’opportunités que les autres sur le marché du travail puisqu’elles bénéficient d’un capital humain plus important (Dolado et al., 2000 ; Gaudet et al., 2011 ; McQuaid et Lindsay, 2005). En outre, elles ont plus souvent tendance à reporter leur première maternité jusqu’au moment où leur situation professionnelle est stabilisée (Liefbroer et Corijn, 1999), alors que les femmes les moins instruites peuvent stratégiquement compenser par la maternité la précarité de leur situation sur le marché du travail (Friedman et al., 1994).
46Bien qu’un niveau d’instruction plus élevé soit associé à un recours plus important aux services de garde d’enfants et à des attitudes plus favorables à la compatibilité entre vie familiale et vie professionnelle (Ghysels et Van Lancker, 2009 ; Neels et Theunynck, 2012a, 2012b ; Paull et al., 2002 ; Scott, 1999), cette étude met en évidence un effet négatif plus marqué de la maternité sur l’emploi féminin pour les femmes qui ont un niveau d’instruction moyen ou supérieur. Cela peut vouloir dire que leurs comportements et leurs attitudes reflètent leur plus forte implication dans la vie professionnelle avant même leur première maternité. La chute plus nette de l’emploi féminin chez les femmes devenues mères, en France et en Hongrie, s’explique en grande partie par le fait que les femmes de niveau d’instruction moyen ou supérieur recourent plus que d’autres au congé parental. Le lien entre l’activité professionnelle des mères et leur niveau d’instruction dépend fortement de leur situation en matière d’emploi avant leur première maternité, tandis que le recul de l’emploi des femmes une fois qu’elles ont des enfants, particulièrement marqué chez celles dont le niveau d’instruction est moyen ou supérieur, n’est pas d’ampleur suffisante pour compenser le lien positif qui s’est déjà manifesté avant la première naissance.
47Nous avons ensuite analysé, pour les Françaises et les Néerlandaises occupant un emploi, la probabilité qu’elles travaillent à temps partiel. Le lien est positif pour les mères néerlandaises, mais il est négatif pour les mères françaises. Comme pour l’emploi féminin en général, l’emploi à temps partiel se distingue selon leur situation avant et après la première maternité. En fonction du niveau d’instruction des femmes, le gradient de leur activité professionnelle à temps partiel avant la première naissance est négatif en France et positif aux Pays-Bas. Cela tient au fait que le travail à temps partiel est fortement pénalisé en France alors qu’il est plutôt encouragé aux Pays-Bas (hypothèse 2). Dans un contexte de pénalisation du travail à temps partiel, les femmes les plus instruites évitent ce type d’emploi en début de carrière.
48Dans toutes les catégories de niveau d’instruction, le parcours professionnel des femmes après leur première maternité est similaire. Par conséquent, l’emploi à temps partiel des mères d’un seul enfant varie en fonction de leur niveau d’instruction et est, en grande partie, le reflet des différences qui existaient déjà avant la première maternité. Cependant, l’effet positif de la seconde naissance sur l’emploi à temps partiel est plus marqué chez les femmes de niveau d’instruction moyen ou supérieur que chez les autres. Cela incite à penser que les femmes de niveau d’instruction moyen ou supérieur peuvent, une fois qu’elles ont des enfants, moins s’investir dans leur carrière, ou qu’elles ont plus facilement accès à des formules d’emploi à temps partiel, alors que leurs consœurs moins instruites sont davantage confrontées à la nécessité financière de travailler à plein temps (hypothèse 3).
49Cet article met en évidence, en France, aux Pays-Bas et en Hongrie, la relation positive entre l’emploi féminin et le niveau d’instruction avant la première maternité. Cela peut signifier que les femmes les moins instruites ont moins d’options que les autres, mais aussi qu’elles adoptent des stratégies reproductives en réponse à leur situation précaire sur le marché du travail (Friedman et al., 1994). La chute des taux d’activité féminine après la première maternité est la plus nette chez les femmes de niveau d’instruction moyen ou supérieur qui utilisent davantage les possibilités de congé parental. Nous considérons que la variation positive de l’emploi des femmes selon leur niveau d’instruction avant la première maternité est à l’origine des différences observées ensuite.
50Une politique de l’emploi visant à faciliter l’accès des femmes les moins instruites au marché du travail et leur maintien au travail avant leur première maternité est donc à considérer comme un bon moyen d’améliorer l’égalité des chances des mères de famille de niveaux d’instruction différents face à l’emploi. Concernant l’emploi à temps partiel, cette étude montre que la forte propension à la reprise de l’activité professionnelle des femmes de niveau d’instruction moyen ou supérieur après la deuxième naissance s’accompagne d’une variation importante de l’emploi à temps partiel selon le niveau d’instruction. Donc, une fois atteinte la norme de deux enfants, les femmes les plus instruites s’orientent plus souvent que les autres vers l’emploi à temps partiel qui facilite la conciliation de la vie familiale avec la vie professionnelle.
Notes
-
[*]
Université d’Anvers, Belgique.
Correspondance : Jonas Wood, Centre for Longitudinal and Life-course Studies, Universiteit Antwerpen, Sint Jacobstraat 2, B-2000 Anvers, Belgique, courriel : jonas.wood@uantwerpen.ac.be -
[1]
L’employabilité est définie comme « l’aptitude à obtenir un emploi ou un meilleur emploi » (McQuaid et Lindsay, 2005, p. 207).
-
[2]
En pourcentage de l’écart de revenu global entre les ménages à deux revenus et les ménages à un revenu, la différence est légèrement plus faible en France qu’aux Pays-Bas (OCDE, 2010).
-
[3]
Pour en savoir plus, voir www.ggp-i.org
-
[4]
Les données rétrospectives sur l’activité professionnelle dans l’enquête GGS aux Pays-Bas contiennent une information annuelle, sans indication des mois.
-
[5]
Les congés de maternité ne sont pas repérés de la même manière dans les trois enquêtes. Les données GGS françaises distinguent les femmes qui travaillent de celles qui sont « en congé de maternité ou en congé parental » sans faire la différence entre ces deux situations. Les données hongroises précisent les périodes de congé parental, mais les congés de maternité sont inclus dans l’activité. Dans les données GGS néerlandaises, il n’y a pas d’historique des congés parentaux et le classement des périodes de congés de maternité est incertain.
-
[6]
Dans les données hongroises, on ne peut pas distinguer l’emploi à temps plein de l’emploi à temps partiel à cause de la faiblesse des effectifs de femmes salariées à temps partiel.
-
[7]
L’analyse descriptive (développée plus loin) montre que, de 5 ans à 1 an avant la première maternité, l’activité professionnelle des femmes varie selon leur niveau d’instruction de façon relativement régulière. Avec des périodes de référence différentes (par exemple, de 3 à 2 ans avant la naissance), nos résultats restent inchangés.
-
[8]
La période de référence est donc celle qui précède la première naissance, pour les mères de 1 enfant et pour les mères de 2 enfants.
-
[9]
La répartition des personnes-périodes selon les variables utilisées dans les modèles figure dans les annexes électroniques.
-
[10]
Les résultats détaillés sont présentés dans l’annexe électronique.