1Ce court ouvrage sur les déterminants du report de l’âge à la maternité et ses possibles conséquences sur le niveau de fécondité en Europe constitue une excellente synthèse des recherches sur ce sujet. Il permet d’en faire le point, tout en illustrant le propos de graphiques, de retours sur l’histoire de la fécondité et des théories économiques qui tentent de l’expliquer. Il apporte également de nouveaux éclairages quantitatifs à partir des données du panel des ménages Européen SILC et de la base de données harmonisée sur la fécondité (Human Fertility Database). L’ouvrage est bien argumenté, agréable à lire avec des raisonnements à la fois sur les estimateurs démographiques utilisés pour mesurer la fécondité (parfois trompeurs car sensibles aux effets de calendrier), des comparaisons à l’échelle européenne et des études de cas sur la France et l’Allemagne, deux pays ayant pris des chemins différents concernant la fécondité. Une dernière partie s’interroge sur le rôle des politiques familiales et le bien-fondé plus général de politiques visant à atteindre un niveau de fécondité optimale.
2Le retard au premier enfant existe bien et est observé dans tous les pays européens. Les auteurs démontrent que, contrairement à ce que l’on croit parfois, ce retard est sans lien et n’a pas de conséquence sur le nombre final d’enfants. Donc le retard croissant de l’âge au premier enfant observé depuis l’après-guerre ne peut expliquer la baisse de la fécondité. Ils montrent également l’importance constatée dans tous les pays du niveau d’instruction, les femmes moins instruites ayant des enfants bien plus tôt en moyenne que les femmes plus éduquées. Les femmes avec un faible niveau d’instruction ont également des niveaux de fécondité plus hétérogènes. Les auteurs montrent aussi que, dans les pays à plus forte fécondité (également ceux ayant développé un système de modes de garde pour les jeunes enfants), la probabilité d’être mère pour les femmes les plus instruites, en dépit de leur formation de la famille plus tardive, est plus élevée que celle des femmes moins instruites, bien que leur descendance finale reste plus faible. Enfin, les résultats présentés confirment que l’instabilité professionnelle retarde la première naissance, et ce phénomène tend à renforcer la dimension de marqueur social de l’âge au premier enfant aujourd’hui.
3Ce portrait reste toutefois limité sur plusieurs points. Tout d’abord, les auteurs prennent le parti – assumé et brièvement discuté en conclusion – de s’intéresser seulement aux déterminants les plus économiques de la fécondité que sont l’éducation et l’emploi (ou plutôt l’instabilité professionnelle). Or, la littérature démographique a largement expliqué ce retard par bien d’autres facteurs. On peut, par exemple, se référer à l’article de Ní Bhrolcháin et Beaujouan (2012) [1], qui constitue une bonne synthèse et mentionne les difficultés d’accès à un logement indépendant, l’importance de la carrière pour les femmes, l’instabilité des premières unions, le moindre sentiment religieux, etc.
4Deuxièmement, le point de vue du texte reste tout le long « fémino-centré ». Les auteurs ne citent que l’âge de la femme à l’arrivée de l’enfant, le nombre d’enfants par femme, le niveau d’éducation des femmes, l’instabilité de l’emploi des femmes. Cette approche par les femmes peut se justifier par leur plus court calendrier fécond et la plus grande facilité à repérer chronologiquement les naissances des femmes que celles des hommes. C’est d’ailleurs ce que font la plupart des recherches sur le sujet. Les indicateurs démographiques couramment utilisés sont construits du point de vue des femmes. Il semble cependant qu’une perspective originale dans ces recherches serait d’intégrer les caractéristiques de l’homme, tout aussi importantes, et celles du couple. Cela pourrait permettre de relier le calendrier de fécondité au calendrier conjugal. Ce dernier, non commenté dans l’ouvrage, est également retardé et plus accidenté en raison des ruptures et possibles recompositions plus fréquentes.
5Troisièmement, le texte reste centré sur l’âge de la mère au premier enfant et le retard du calendrier, mais dit finalement peu de choses sur les autres délais comme celui qui s’écoule entre la fin des études et l’arrivée du premier enfant (est-il différent selon le niveau d’éducation ?), celui qui s’étend entre la formation du couple et l’arrivée de cet enfant, ou encore l’intervalle observé entre les deux premières naissances et les deux suivantes. Constate-t-on un rattrapage temporel de la deuxième naissance quand la première est retardée ? Des travaux récents [2] montrent que ce délai entre le premier et second enfant est par exemple allongé en cas de rupture conjugale.
6Enfin, le texte choisit, en partie pour disposer de données comparables au fil du temps, de considérer la fécondité finale comme celle atteinte à 40 ans. Ainsi il définit la fécondité tardive par les enfants arrivant entre 35 et 40 ans. Or, la fécondité au-delà de 40 ans ne fait qu’augmenter et commence à représenter une part considérable des naissances, en particulier chez les femmes très éduquées. Un complément sur les maternités après 40 ans en Europe aurait donc été également bienvenu.
7Ces remarques n’enlèvent rien à l’intérêt et l’apport de ce fascicule dont l’extrême clarté, l’effort de pédagogie louable et la concision rendent la lecture très agréable pour les économistes et les non-économistes.
Notes
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[1]
Ní Bhrolcháin et M. Beaujouan E. (2012), « Fertility postponement is largely due to rising educational », Population Studies, 66(3), p. 311–327.
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[2]
Thomson E., Lappegård T., Carlson M., Evans A., Gray E., 2014, « Childbearing across partnerships in Australia, the Unites States, Norway, and Sweden », Demography, 51, p. 485-508.En ligne