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1Cet ouvrage propose une analyse qualitative de la parentalité telle qu’elle est perçue par des pères québécois ayant pris un congé parental ou de paternité seuls avec un jeune enfant. À l’instar de certains pays du nord de l’Europe (Suède, Norvège) ou de l’Allemagne avec la mise en place des « mois des pères » (Vätermonate), le Québec a instauré en 2006 des mesures de politique familiale visant à favoriser l’engagement des pères auprès de leurs jeunes enfants et connues sous le nom de « Régime québécois d’assurance parentale » (RQAP). Ce RQAP apporte notamment des changements sur les congés de paternité et parental. Dans ses grandes lignes, il accorde aux pères québécois un congé de paternité non transférable à la mère, de trois ou cinq semaines à la naissance d’un enfant. Par ailleurs, il permet aux parents de partager le congé parental et leur laisse le choix entre un régime de base d’une durée plus longue, mais à l’allocation moins élevée, et un régime particulier, plus court, avec une allocation plus importante. De plus, le plafond du revenu d’assurance a été revu à la hausse. Somme toute, ces mesures ont pour but de garantir le bien-être de l’enfant et de favoriser l’égalité femmes-hommes en facilitant la conciliation travail-famille et en engageant les pères dans les activités familiales.

2Les auteures insistent dans la première partie sur le cadre sociodémographique dans lequel s’inscrivent ces mesures : le taux d’emploi féminin progresse, notamment chez les jeunes mères, ce qui « rend l’engagement des pères non seulement souhaitable, mais nécessaire » (p. 2), et entraîne par ailleurs un report des naissances. Pourtant, les femmes restent les principales pourvoyeuses de soins aux enfants (en nombre d’heures) et assurent l’essentiel des tâches domestiques.

3À l’heure où les recherches questionnent le mythe des « nouveaux pères » [1], les auteures proposent une analyse qualitative de la recomposition des rôles de genre au sein de la famille, de la conciliation travail-famille et des normes sociales qui entourent la paternité. Pour ce faire, elles ont interrogé une trentaine de pères qui ont pris un congé de paternité ou parental seuls avec leur enfant. Les questions portent sur divers sujets : les raisons qui les ont poussés à prendre ce congé, la perception de leur choix par l’entourage familial, amical et professionnel, le partage des tâches au sein du couple, l’impact sur la carrière professionnelle des conjoints, leurs relations avec leurs enfants, leurs idées sur le couple et l’individu et enfin leur perception des rôles parentaux et des politiques familiales.

4L’ouvrage apporte un éclairage très intéressant sur les questions de genre. Il montre notamment que les hommes interrogés avaient intégré une norme égalitaire des rôles au sein du couple, tant sur le plan familial que sur le plan professionnel et sont, par exemple, investis dans les tâches domestiques avant l’arrivée de l’enfant. Avec la naissance, leur engagement dans les tâches de soins auprès des enfants et sur les aspects éducatifs reste très important. Par ailleurs, il s’agit d’hommes pour qui la hiérarchie entre la carrière professionnelle de la mère et celle du père peut changer : le choix de prendre un congé parental ou de paternité est soupesé à l’aune des opportunités ou des conséquences professionnelles pour chacun des membres du couple, rompant ainsi avec le modèle traditionnel de male breadwinner où la carrière masculine prime systématiquement.

5Le dispositif proposé par le RQAP est présenté comme stimulant l’investissement des pères et la construction de leur rôle paternel : étant de droit, les pères se sentent légitimes à demander leur congé, et, par la suite, des aménagements afin de concilier travail et famille. Ainsi, ils s’affirment davantage dans leur statut de père (en adoptant, notamment, un rôle plus prégnant dans les décisions éducatives, dans les relations affectives avec l’enfant et dans la routine familiale) et consolident leurs relations avec l’enfant. Les auteures montrent cependant que des résistances s’exercent : l’expérience du congé parental ou de paternité est ressentie comme une expérience « hors normes » pour ces pères, de sorte que leur statut de « père à la maison » n’est pas toujours reconnu par l’entourage. De même, la femme reste en première ligne, notamment dans les premiers mois de vie de l’enfant où l’allaitement place souvent les pères en retrait. Les auteures notent également des mésententes au sein du couple et des tâches désinvesties par les pères ; l’exemple mis en avant est celui de l’habillement comme occasion de divergence entre les conjoints, et où les pères montreraient moins de compétences. Sur le plan professionnel, elles décrivent les plus ou moins grandes difficultés des pères à obtenir un congé, pourtant considéré comme « naturel » quand il s’agit des mères. Elles notent enfin qu’une partie des pères interrogés gardent un lien avec le monde du travail au cours de leur congé : cela est le signe, d’une part, de la réticence des employeurs à octroyer un congé long aux pères et, d’autre part, d’une difficulté des pères à ne se définir que par leur rôle familial.

6L’ouvrage propose également une division fine des temps sociaux, ne se limitant pas à l’opposition usuelle entre travail et famille. Les auteures distinguent en effet, au sein du temps familial, le temps parental, le temps conjugal et le temps personnel. Le congé, notent-elles, quand il est pris conjointement par les deux parents aux premiers mois de vie de l’enfant, sert aussi pour les pères à « prendre soin » des mères ; de même, elles remarquent que les pères ne renoncent pas à leurs loisirs ou à leur temps personnel au cours de leur congé.

7Dans un dernier temps de l’analyse, les auteurs réexaminent les résultats à la lumière d’une typologie proposée par Wall [2]. Des quatre profils de cette typologie – pères contraints, pères en rupture radicale, pères innovateurs indépendants et pères innovateurs et subversifs –, seuls les deux derniers sont retenus comme pertinents pour caractériser les pères interrogés. Elles y adjoignent un type supplémentaire : celui des pères « innovateurs et militants ». Ces pères revendiquent davantage de reconnaissance de la figure du père au foyer dans la sphère publique. De manière plus générale, les pères interrogés sont globalement satisfaits du RQAP. Ils ne souhaitent pas un congé obligatoire, mais défendent un libre choix des individus. Ce résultat va dans le sens d’un soutien à l’orientation donnée aux politiques familiales québécoises.

8On pourra cependant noter que les auteures ne tiennent pas compte de la catégorie sociale des enquêtés. Leurs trajectoires individuelles ou leur origine sociale des enquêtés auraient pu apporter des éléments éclairants sur les raisons de l’intégration d’une norme égalitaire au sein du couple et d’un investissement important de ces individus. Par ailleurs, on peut supposer que la norme de parentalité expérimentée par ces pères investis s’impose et se vit différemment selon le milieu social d’appartenance. Enfin, la prise en compte d’une variable comme la catégorie socioprofessionnelle informe également des contraintes matérielles auxquelles font face ces pères : si les horaires atypiques sont brièvement évoqués par les auteures, on peut penser que les contraintes ou opportunités pratiques (présence impérative au poste de travail ou, au contraire, possibilité de faire du télétravail) liées à l’exercice de tel métier plutôt qu’un autre ne disposent pas les pères de la même façon face à la question du congé parental ou de paternité.

9Malgré ces remarques, cet ouvrage est une contribution intéressante pour qui souhaite comprendre la forme que prend l’évolution de la figure du père au Québec, tant dans ses transformations politico-légales récentes que dans la façon dont les acteurs s’emparent des dispositifs et les perçoivent.

Notes

  • [1]
    Régnier-Loilier A., 2010, « Où en est le mythe du « nouveau père », in Problèmes politiques et sociaux (La Documentation française), n° 968, janvier 2010, p. 64.
  • [2]
    Wall K., 2012, « Recent changes in father’s leave : A qualitative study of lived experiences », communication lors du Séminaire international sur les congés parentaux, Ljubjana, 13-14 septembre.
Morgan Kitzmann
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/07/2016
https://doi.org/10.3917/popu.1601.0172
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