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1Cet ouvrage réunit un ensemble de travaux menés par l’auteur sur le lien à l’échelle locale entre l’évolution de la population et le logement. Après s’être consacré à l’étude des populations locales depuis 1985, A. Dittgen propose ici d’étudier l’évolution des populations de Paris et Marne-la-Vallée.

2L’ouvrage examine la nature et les conséquences du facteur « logement » dans l’analyse des dynamiques démographiques locales et les exercices de projections de population. C’est tout l’intérêt et la complexité de l’approche localisée en démographie.

3Dans une première partie, sans doute la plus importante, l’auteur s’attache à décrire le lien entre les populations locales et le parc de logements, en se penchant dans un premier temps sur l’évolution de la population parisienne dans la seconde moitié du xxe siècle. Les mouvements migratoires, directement conditionnés par la structure du parc de logements, modifient la structure de la population parisienne dans laquelle les entrées sont plus de deux fois plus nombreuses que les naissances, et les sorties plus de quatre fois et demi supérieures aux décès.

4Dans de nombreux pays occidentaux, les générations sont de moins en moins enclines à cohabiter, et les logements ont une influence sur la taille et les caractéristiques des populations locales. Concernant les effectifs, une augmentation du nombre de logements se traduit théoriquement par un accroissement de la population, mais on peut aussi observer une certaine stabilité, essentiellement pour deux raisons : premièrement, la proportion de logements destinés à être occupés par des résidents permanents (résidences principales) peut diminuer au profit de résidences secondaires ou occasionnelles, et deuxièmement, la taille des ménages peut elle aussi diminuer. Dans la pratique, certains territoires connaissent une baisse du nombre d’habitants malgré une progression du nombre de logements.

5La typologie des ménages et de leurs résidents est directement liée aux caractéristiques des logements proposés, tant par leur taille que par leur statut d’occupation. En effet, la taille du logement a un impact sur la taille des ménages mais également sur la structure par âge et par sexe des résidents : de grands logements accueilleront le plus souvent des familles avec enfants tandis que de plus petits logements seront davantage occupés par des personnes seules ou des couples sans enfant.

6Le statut d’occupation du logement peut se traduire par une présence plus ou moins importante de telle ou telle catégorie socioprofessionnelle. En effet, les résultats d’Alfred Dittgen montrent que les différents types de logement (logements en accession à la propriété, en location dans le secteur privé ou dans le secteur social) attirent des ménages dont le profil socioprofessionnel est souvent différent. À Paris, ce sont les propriétaires qui présentent la structure sociale la plus « élevée » (majorité de cadres), suivis par les locataires du privé, après lesquels arrivent les locataires du secteur social (majorité d’employés).

7Le choix d’étudier la capitale française n’est pas anodin. Paris est une capitale singulière qui se distingue d’autres capitales européennes par l’impossibilité d’étendre son territoire. Elle se trouve limitée pour agrandir significativement son parc immobilier, d’autant plus que les options de densification y sont limitées. Faisant face à cette pression et à une diminution de la taille moyenne des ménages dans ces logements (principalement expliquée par le vieillissement de la population, la « crise du couple » et une très forte attractivité pour les petits ménages), Paris perd chaque année plus d’habitants qu’elle n’en gagne. Alfred Dittgen montre ainsi comment, malgré un nombre de logements en hausse et une attractivité toujours élevée, la population parisienne n’a cessé de diminuer depuis le début des années 1950.

8L’attractivité dont bénéficie Paris est liée à la très forte part de logements de petite taille proposés en location, proportion bien plus importante qu’à l’échelle de l’agglomération parisienne. Ces ménages, composés de personnes seules ou de jeunes adultes sans enfant, sont en effet les plus mobiles et susceptibles d’occuper des petits logements du secteur privé, particulièrement représentés à Paris. À cela s’ajoute une part croissante de résidences secondaires et occasionnelles, qui tend à réduire le nombre de logements pouvant être occupés par les Parisiens. L’association de tous ces phénomènes, auxquels s’adjoignent un parc immobilier particulièrement cher et un manque criant de logements sociaux, conduit de nombreux ménages en voie d’agrandissement (par exemple des couples avec un nouvel enfant) à quitter Paris.

9La seconde illustration choisie par l’auteur pour comprendre l’articulation entre les caractéristiques des logements et leur potentiel d’attractivité pour telle ou telle population est celle des villes nouvelles. En région parisienne, les villes nouvelles se sont développées entre 1975 et 1982, et ont été rapidement occupées par une forte proportion de jeunes couples résidant auparavant à Paris ou en petite couronne. Là aussi, l’auteur étudie le lien existant entre le type de logements construits et l’arrivée de leurs premiers occupants. Mais, en prenant le cas de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée, il s’intéresse ici aux effets à long terme que peut avoir une programmation de logements sur l’évolution des besoins en équipements scolaires. Il s’agit d’un exercice de projection qui s’appuie en grande partie sur des hypothèses en termes de durée de résidence des ménages, selon le type de logement : si certains logements n’accueillent des ménages que sur une courte durée, d’autres au contraire vont voir leurs occupants s’y établir durablement et y vieillir. Dans un cas, les équipements scolaires construits sur le territoire auront une utilité sur le long terme, dans l’autre, ils deviendront rapidement obsolètes. Les résultats d’Alfred Dittgen montrent comment une forte mobilité des ménages contribue à rendre les besoins stables et à rentabiliser les équipements, tout en insistant sur le fait que pour qu’il y ait mobilité, il faut une certaine diversité de l’offre de logements. L’auteur finit par mettre en garde contre les effets pervers de l’uniformité de l’habitat dont sont notamment victimes certaines banlieues françaises, constituées d’une forte proportion de logements collectifs en location et bon marché. Le manque de mixité conduit ces territoires à abriter une population très homogène et ségréguée.

10Dans la seconde partie de l’ouvrage, l’auteur poursuit son propos en présentant une démarche de prospective locale. En prenant les cas des villes de Paris et de Marne-la-Vallée, il examine la manière dont il faut tenir compte du logement dans les projections de populations locales : évolution du parc de logements, des catégories de logements, de la taille des ménages mais aussi de la population qui ne vit pas en ménage. Réaliser la projection d’une population locale est une chose complexe, d’autant plus qu’elle ne poursuit pas nécessairement les mêmes objectifs qu’une projection nationale. Les projections locales relèvent davantage d’un travail de simulation, d’anticipation et d’aide à la décision pour les pouvoirs publics.

11Une projection de population consiste à faire évoluer les effectifs de population par âge et sexe en établissant des hypothèses sur les flux d’entrée et de sortie (naissances, décès et migrations). À l’échelle locale, les résultats obtenus seront d’autant plus fiables que les mouvements migratoires seront de faible importance, dans la mesure où la mobilité reste le principal facteur de croissance à ce niveau d’analyse. Mais le démographe qui réalise des projections locales dispose d’un outil déterminant pour anticiper les échanges migratoires futurs (contrairement à d’autres méthodes de projections qui se contentent de prolonger les tendances passées) : le logement. Alfred Dittgen insiste finalement sur la nécessité de considérer la diversité des situations locales, tant au niveau de la structure de la population que l’on cherche à projeter que des données concernant le marché immobilier local et les évolutions du parc de logements.

12En guise de troisième et dernière partie, l’auteur propose une sélection de textes, toujours relatifs à la démographie locale, parus dans la revue de l’association Pénombre. L’objectif commun de ces textes est de questionner la construction des nombres utilisés, en interrogeant tant les définitions, les concepts employés que les méthodes de collecte.

13Les divers travaux qui composent cet ouvrage permettent au lecteur de découvrir des résultats de recherche à l’échelle de localités françaises caractéristiques. L’un de ses points forts, et des travaux sur lequel il s’appuie, est de montrer tous les effets d’imbrication et d’articulation auxquels sont soumises les populations locales, notamment par le biais de la variable « logement » et des migrations résidentielles. Toutefois, si le logement joue assurément un rôle capital, on regrette que l’auteur ne questionne pas ici l’importance d’autres facteurs qui façonnent eux aussi les territoires par les migrations résidentielles qu’ils occasionnent à l’échelle locale. Il s’agit des infrastructures scolaires et de transports, de l’offre en équipements et en services et bien évidemment, de l’offre d’emplois.

Noémie De Andrade
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 26/08/2015
https://doi.org/10.3917/popu.1502.0384
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