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1L’objectif de cet ouvrage collectif est d’appréhender les changements urbains ayant affecté les grandes métropoles latino-américaines au début du xxie siècle. Comme l’indique le nom du projet dont il est issu (projet METAL – Métropoles d’Amérique latine dans la mondialisation : reconfigurations territoriales, mobilité spatiale, action publique), l’accent général est placé sur les reconfigurations territoriales des métropoles, les pratiques de mobilité spatiale des habitants, l’effet de l’action publique et l’inscription de ces métropoles dans la mondialisation.

2Parmi les sept villes latino-américaines comptant plus de 5 millions d’habitants en 2000, trois ont été choisies : São Paulo, Santiago du Chili et Bogotá. Aux quatre directeurs de publication s’ajoutent une vingtaine de chercheurs latino-américains et français de disciplines variées (géographie, urbanisme, démographie, sociologie, économie, statistique).

3Le chapitre 1 analyse les spécificités et les ressemblances de ces trois métropoles. Elles diffèrent par leur taille (plus de 19,7 millions d’habitants à São Paulo, 7,7 millions à Bogotá et 5,6 millions à Santiago), mais aussi par leur position dans les systèmes urbains nationaux (primauté de Santiago au Chili et polycéphalie ailleurs), dans la hiérarchie administrative (Bogotá et Santiago sont des capitales) et dans les systèmes migratoires internationaux (Santiago et São Paulo sont aujourd’hui des villes d’immigration tandis que Bogotá est une ville d’émigration internationale). Alors que Santiago apparaît comme la plus riche et développée, Bogotá connaît un taux de chômage élevé et de faibles revenus. Ces villes présentent également des ressemblances : elles se situent par exemple à des moments identiques de leur transition urbaine et démographique, l’accroissement de la population y étant désormais plutôt dû à l’accroissement naturel qu’aux flux migratoires.

4Le chapitre 2 décrit l’information produite dans le cadre du projet et la méthodologie employée. Les données quantitatives proviennent de deux types de sources, les recensements nationaux et des enquêtes spécifiques au projet METAL. Les recensements sont surtout utilisés pour décrire et analyser les espaces métropolitains à partir de quatre niveaux d’unités spatiales : le municipio (environ 30 pour chaque métropole), le secteur/district (une centaine par métropole), la section (des milliers par métropole) et l’îlot (des dizaines de milliers par métropole). Après un travail d’homogénéisation des données censitaires entre, d’un côté, les différentes métropoles et, de l’autre, les vagues successives de recensements [1], un système d’information contenant des indicateurs simples comparables dans le temps et entre les métropoles a été constitué. Par ailleurs, trois enquêtes quantitatives sur les mobilités spatiales ont été réalisées en 2009. La sélection des échantillons de ménages s’est faite à deux niveaux, en choisissant des îlots représentatifs de la diversité dans chaque ville (10 zones d’enquête), et en tirant de façon aléatoire un millier de ménages par métropole dans ces zones. La construction du questionnaire sur les mobilités s’appuie sur les expériences accumulées des enquêtes biographiques menées en France et dans les pays du Sud : biographie migratoire de tous les membres du ménage, collecte du système résidentiel au cours des 12 derniers mois [2], espace de vie quotidien et localisation de la famille au moment de l’enquête. Enfin, une centaine d’entretiens qualitatifs ont été menés avec des personnes résidant dans les différentes métropoles et avec des habitants de ces métropoles ayant migré dans des villes européennes.

5Les résultats sont présentés en huit chapitres. Deux d’entre eux sont consacrés aux évolutions macro des villes : « les modèles de peuplement à Bogotá et Santiago au début du xxie siècle » (chapitre 3) et l’« évolution de l’intensité et des échelles de la ségrégation résidentielle » dans les trois villes (chapitre 4). Le chapitre 3 permet de nuancer le modèle de peuplement urbain selon lequel les métropoles connaîtraient trois phases successives : densification, dépeuplement des centres et expansion des périphéries. En effet, les tendances à l’expansion et à la densification sont très variables d’une métropole à l’autre et ne sont pas non plus homogènes au sein des ces métropoles; mais on retiendra la tendance générale suivante : Bogotá se densifie tandis que Santiago s’étend. Dans le chapitre 4, le lecteur apprend que la distribution spatiale des classes sociales varie selon la métropole, et que les centres de gravité des différentes classes sociales ont tendance à s’éloigner les uns des autres. À Bogotá, un nord plutôt riche s’oppose à un nord-ouest principalement peuplé par les classes moyennes et un sud pauvre, tandis qu’à Santiago le riche cono de alta renta, situé au nord-est de la ville, contraste avec le reste de la métropole; à São Paulo, la distribution des classes sociales suit un modèle concentrique avec une aggravation des conditions sociales à mesure qu’on s’éloigne du centre. Un apport considérable de ce chapitre est son questionnement sur les échelles spatiales de la ségrégation, dont on apprend qu’elles sont variables de Santiago à Bogotá. À Santiago, la ségrégation s’observe au niveau de la commune, tandis qu’à Bogotá, il faut parfois « zoomer » à l’échelle de l’îlot pour que le phénomène apparaisse.

6Les chapitres 5 et 6 analysent les migrations à l’échelle individuelle. Le premier est consacré à l’insertion urbaine des migrants internes et internationaux. Les données des enquêtes METAL permettent d’observer finement les trajectoires migratoires des habitants : nombre d’étapes migratoires internes au pays, nombre d’étapes migratoires internationales, durée de résidence dans chacune des étapes. On relève ici que les trajectoires vers São Paulo sont plus directes que celles vers les deux autres métropoles, notamment Bogotá qui accueille des migrants avec des trajectoires migratoires internationales souvent complexes. L’analyse des quartiers de résidence des différents groupes de migrants montre une tendance à l’agrégation de migrants de même origine dans certains quartiers, concentration liée à des phénomènes de ségrégation résidentielle mais aussi au rôle des réseaux d’information et d’entraide dans l’accès au logement. Le chapitre 6, consacré à « l’expérience migratoire en Europe et ses effets urbains », analyse des entretiens qualitatifs menés avec des ressortissants des trois métropoles; à Lisbonne pour les Paulistes, à Paris pour les Santiagais et à Barcelone pour les Bogotanais. Les représentations de la ville latino-américaine et de la ville de manière plus générale tendent à changer au cours du parcours migratoire. Dans les propos des migrants, les villes européennes, « à taille humaine », « moins ségrégées », avec des ressources urbaines plus accessibles, s’opposent aux grandes métropoles latino-américaines. Ce changement de regard sur la ville et certaines pratiques urbaines (promenades, transports publics) semblent se traduire par des effets sociaux dans les métropoles d’origine. En effet, au retour ou lors de simples séjours temporaires, les migrants tendent à valoriser et à fréquenter des quartiers antérieurement peu fréquentés (monuments historiques, quartiers rassemblant une forte mixité sociale).

7Au cœur de l’ouvrage (et du projet METAL), on retrouve le chapitre 7 intitulé « Habiter la métropole : mobilités et choix résidentiels ». Cette place centrale se justifie par le fait que les mobilités résidentielles intra-urbaines sont désormais essentielles dans un contexte où la croissance endogène s’est substituée à l’accroissement migratoire. Les résultats, très nombreux, permettent notamment de nuancer l’hypothèse d’une intensification des mobilités résidentielles tout en mettant à jour des inégalités entre « hypermobiles » et « immobiles, » y compris au sein d’une même famille. Le périmètre de déploiement de ces mobilités semble devenu plus restreint, et les stratégies résidentielles s’articulent autour de dynamiques familiales (recherche de la proximité familiale) et professionnelles (des déplacements domicile-travail les plus courts possible). Après avoir analysé les mobilités résidentielles et les parcours migratoires des habitants des métropoles dans les chapitres 5, 6 et 7, il est question dans le chapitre 8 des mobilités quotidiennes. Celles-ci sont ici abordées sous l’angle des inégalités socio-territoriales, dans un contexte de réinvestissement de l’État dans les transports publics (développement des Bus Rapid Transit dans les années 2000). Enfin, les deux derniers chapitres traitent de territoires aux problématiques spécifiques : la question de la gentrification dans les espaces centraux et celle de l’accès au logement dans les périphéries.

8Chacun des chapitres qui composent l’ouvrage est autonome : une revue de littérature sur le thème et des encadrés méthodologiques permettent au lecteur de comprendre et d’interpréter les résultats. L’ensemble de l’ouvrage a le grand mérite de donner au lecteur un aperçu des liens complexes entre mobilité et changement urbain aux différentes échelles, des individus aux lieux, de la mobilité quotidienne à la migration internationale.

Notes

  • [1]
    1993 et 2005 à Bogota ; 1992 et 2002 à Santiago ; 1991 et 2000 à São Paulo.
  • [2]
    Durée et fréquence de la présence dans les différents logements.
Mis en ligne sur Cairn.info le 26/08/2015
https://doi.org/10.3917/popu.1502.0377
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