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1Comment estimer la mortalité quand les données d’état civil sont imprécises et incomplètes ? Les données sur la survie des frères et sœurs sont largement utilisées pour mesurer le niveau de mortalité des adultes. Bruno Masquelier fait le point sur la qualité de ces données en comparant les tailles de fratrie attendues (au vu de la fécondité de la génération précédente) et celles déclarées dans 109 Enquêtes démographiques et de santé menées dans cinquante pays depuis les années 1990. Il montre que la qualité de ces données sur les frères et sœurs est très variable. La très grande majorité des enquêtes sousestiment la taille des fratries d’environ 15 % en moyenne, avec plus ou moins d’ampleur. Ces omissions concernent surtout les frères ou sœurs décédés pendant l’enfance et affectent donc peu la mortalité adulte. Néanmoins, mieux connaître ces omissions permet de quantifier les biais dont souffrent ces estimations indirectes de la mortalité.

2Les données d’enquête sur la survie des frères et sœurs sont indispensables pour générer des estimations de mortalité dans de nombreux pays où les systèmes d’état civil restent inopérants ou incomplets. Ces données sont aujourd’hui largement utilisées pour reconstituer les tendances de la mortalité des adultes (Wang et al., 2012) ainsi que de la mortalité maternelle (Wilmoth et al., 2012). Elles sont par ailleurs régulièrement exploitées pour estimer l’ampleur de la mortalité associée aux conflits (Hagopian et al., 2013) ou pour évaluer l’effet des programmes de santé (Bendavid et al., 2012).

3La collecte de ces données prend généralement la forme d’un questionnaire standardisé et assez répétitif qui débute par une liste des frères et sœurs nés de la même mère, qui incluent donc d’éventuels demi-frères et demi-sœurs. L’information est ensuite collectée sur leur sexe et leur survie, par rang de naissance. L’âge actuel est enregistré pour les frères et sœurs survivants, tandis que l’âge au décès et les années écoulées depuis le décès sont demandés pour ceux décédés. Des questions supplémentaires permettent d’identifier les sœurs décédées durant la grossesse, l’accouchement ou les deux mois suivants. Ces données se présentent donc sous la forme d’une histoire génésique complète de la mère des enquêté(e)s, ce qui permet de rapporter les décès par âge et par période aux durées d’exposition correspondantes, par le biais de méthodes biographiques. Plusieurs programmes de collecte ont intégré ces questions : c’est le cas de plus d’une centaine d’Enquêtes démographiques et de santé (EDS) depuis 1989 (auprès de femmes âgées de 15 à 49 ans), ainsi que des Enquêtes sur la santé de la reproduction du CDC (Centers for Disease Control and Prevention) ou encore de l’Enquête sur la santé dans le monde conduite par l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

4Bien que les histoires de fratries soient de plus en plus utilisées pour produire des estimations de mortalité, relativement peu de recherches ont été menées pour en évaluer la qualité. Les travaux d’ordre méthodologique ont surtout porté sur la modélisation des tendances de mortalité (Obermeyer et al., 2010 ; Timaeus et Jasseh, 2004) ainsi que sur les biais de sélection introduits par la nature rétrospective des données (Gakidou et King, 2006 ; Masquelier, 2013). Comparativement, moins d’attention a été consacrée aux erreurs de déclaration, telles que les omissions de décès, les imprécisions sur les âges et les dates, ou les problèmes d’identification des décès maternels (Helleringer et al., 2013). Les travaux existants sur ce thème ont suivi quatre orientations différentes, et il est utile d’en résumer ici les principales conclusions pour situer cette recherche dans son contexte.

5Premièrement, Helleringer et al. (2014) ont récemment évalué la qualité des histoires de fratries en les confrontant avec des données collectées de façon longitudinale dans un site de suivi démographique dans le sud du Sénégal. Ils ont pour cela organisé une enquête de type EDS au sein de la zone de suivi, et ont apparié, au niveau individuel, les informations collectées sur les fratries avec les données du suivi. En se concentrant sur la mortalité féminine, ils ont constaté que de nombreuses sœurs étaient omises par les enquêtées. Ce fut le cas de 4 % des sœurs adultes survivantes, de 9 % des sœurs décédées à l’âge adulte, et de 17 % des sœurs qui avaient migré hors de la zone du suivi. Ils ont également observé une tendance à la sous-estimation des âges au décès, particulièrement aux âges élevés (? 45 ans). Ces deux types d’erreurs tendent à se compenser mutuellement, car les omissions biaisent les niveaux de mortalité à la baisse tandis que la sous-estimation des âges les biaisent à la hausse. Toutefois, la compensation peut n’être que partielle et les erreurs de mesures peuvent donc aller dans un sens ou dans l’autre. Par ailleurs, ces résultats sont issus d’un site rural bien spécifique, et il conviendrait d’évaluer s’ils sont généralisables à d’autres pays, par exemple là où le niveau de la mortalité adulte est plus élevé et où la structure des fratries est différente.

6Afin de détecter des erreurs de déclaration de façon plus systématique, un deuxième type de diagnostic a consisté à évaluer les taux de mortalité adulte provenant des EDS en les comparant avec les estimations des World Population Prospects (WPP) établies par les Nations unies (Gakidou et al., 2004 ; Reniers et al., 2011). Ces comparaisons suggèrent toutes que les données sur la fratrie conduisent à sous-estimer la mortalité adulte. Il est toutefois difficile de tirer des conclusions définitives de telles comparaisons car les taux de mortalité servant de référence peuvent être eux-mêmes entachés d’erreurs. C’est tout particulièrement le cas dans les pays affectés par le VIH/sida pour lesquels une modélisation complexe de l’épidémie est en outre nécessaire. À ce titre, il est d’ailleurs intriguant de noter que les données sur les fratries procurent des niveaux de mortalité particulièrement faibles dans les pays du Sahel, par comparaison à ceux estimés par les Nations unies, tandis que les deux séries s’accordent davantage dans les pays d’Afrique australe, où la mortalité est dominée par le sida (Reniers et al., 2011). À ce jour, on ne sait pas si ces variations régionales renvoient à des différences dans la qualité des déclarations ou à des erreurs de modélisation de la mortalité.

7Stanton et al. (2000) ont adopté une troisième approche pour évaluer la qualité des données d’enquête, en menant des tests de cohérence interne à partir de 14 EDS menées entre 1989 et 1995. Ils examinent par exemple comment le nombre moyen de frères et sœurs mentionnés varie avec l’âge des enquêtées. Ils observent que les enquêtées plus âgées tendent à déclarer autant ou moins de frères et sœurs que les enquêtées plus jeunes. Comme les fratries des enquêtées plus âgées se sont constituées dans un passé plus lointain, à un moment où la fécondité était globalement plus élevée, ils en concluent que ces répondantes plus âgées omettent davantage de frères et de sœurs, sans doute en raison de problèmes de mémoire. Ils montrent par contre que les données manquantes sur la survie des frères et sœurs restent rares et que les âges à l’enquête ou au décès sont souvent enregistrés à plus de 95 %. La complétude des informations ne semble varier ni par sexe, ni selon le nombre d’années écoulées avant l’enquête, mais ceci ne concerne que les décès déclarés. Il reste donc possible qu’un certain nombre de décès survenus dans un passé lointain ne soient tout simplement pas déclarés. Stanton et al. (2000) relèvent en effet une concentration anormalement élevée de décès dans les années précédant de peu l’enquête, ainsi qu’une attraction sur certaines années écoulées depuis le décès (5, 10 ou 15 ans avant l’enquête).

8Enfin, cette question de la sous-déclaration des décès plus anciens a fait l’objet d’une autre série de travaux, qui ont consisté à comparer les niveaux de mortalité tirés de plusieurs enquêtes organisées à quelques années d’intervalle pour un même pays et une même période (Obermeyer et al., 2010 ; Timaeus et Jasseh, 2004). Ces comparaisons confirment que la sous-déclaration des décès augmente rapidement avec le temps écoulé entre le décès et l’enquête. En Afrique subsaharienne, les taux de mortalité relatifs aux périodes éloignées de plus de six ans de l’enquête représentent moins de 75 % de ceux estimés pour les années précédant directement l’enquête (Masquelier et al., 2014). Les taux de mortalité peuvent être ajustés en conséquence, mais uniquement pour corriger la sousdéclaration relative des décès – c’est-à-dire par comparaison aux périodes récentes. Les estimations restent biaisées si les omissions concernent également les décès survenus dans les années précédant directement l’enquête, comme cela a été observé au Sénégal (Helleringer et al., 2014). Par ailleurs, cette approche comparative nécessite de combiner plusieurs enquêtes et ne permet donc pas de juger de la qualité de chaque enquête prise individuellement.

9Il n’existe malheureusement pas de point de référence pour évaluer l’ampleur des omissions des frères et sœurs décédés dans chaque enquête EDS. Par contre, le nombre total de frères et sœurs mentionnés (c’est-à-dire la taille des fratries) peut faire l’objet d’un examen plus attentif, même s’il est plus difficile d’en tirer des conclusions sur les estimations de mortalité. Nous avons vu que Stanton et al. (2000) proposent d’évaluer comment ce nombre varie avec l’âge des enquêtés, ce qui leur permet de conclure que les enquêtées plus âgées omettent davantage de frères et sœurs que les enquêtées plus jeunes. Mais le nombre de frères et sœurs déclarés par les plus jeunes est-il lui-même plausible ? Plutôt que de comparer simplement les tailles de fratrie par âge, cette recherche les confronte à des données sur la fécondité du passé. Preston (1976) a en effet montré qu’il existait une relation algébrique entre le nombre moyen d’enfants et la taille moyenne des fratries. La taille moyenne des fratries dépend directement du nombre moyen d’enfants nés vivants de la génération précédente et de la variance de ce nombre. L’équivalence de Preston (1976) est ici utilisée pour calculer des tailles de fratries « attendues ». Cette approche, qui vient s’ajouter aux diagnostics de qualité existants, permet d’évaluer l’ampleur des omissions de frères et sœurs pour chaque enquête prise individuellement, et pour tous les groupes d’âges des enquêté(e)s.

I – Données et méthode

10Cette analyse mobilise toutes les enquêtes EDS standard, disponibles dans le domaine public en décembre 2013, et ayant inclus le module sur la survie des frères et sœurs, soit 109 enquêtes au total menées auprès de femmes dans 50 pays différents. Pour chaque groupe d’âges quinquennal (de 15 à 49 ans), les tailles moyennes des fratries de même mère sont extraites de ces enquêtes, en incluant les enquêtées. Seules les données collectées auprès des femmes sont utilisées ici, car les hommes n’ont été interrogés sur leur fratrie que dans une douzaine d’enquêtes. Il n’y a par ailleurs dans ces enquêtes aucun signe de différences systématiques entre le nombre de frères et sœurs déclaré par les hommes et celui déclaré par les femmes ; le coefficient de corrélation entre ces deux séries est de 0,94. Merdad et al. (2013) ont également montré que les niveaux de mortalité adulte déduits des données obtenues auprès des hommes ne différaient pas significativement de ceux déduits des données collectées auprès des femmes.

11On peut débuter l’analyse avec deux exemples extrêmes : les tailles moyennes de fratries déclarées dans les enquêtes menées à Madagascar en 1992 et au Sénégal en 1992-1993 (figure 1). On constate que dans ces deux cas, la taille des fratries diminue rapidement avec l’âge des enquêtées. Les femmes de 45-49 ans déclarent environ 20 % de frères et sœurs de moins que les femmes de 20-24 ans. Cette diminution avec l’âge n’est toutefois pas observée dans toutes les enquêtes. En 2009 à Madagascar, c’est même le schéma inverse qui est observé. Peut-on en conclure que les données de 2009 sont de meilleure qualité ? Avant d’invoquer des omissions, il faut considérer deux hypothèses alternatives. Premièrement, si la mortalité adulte est plus forte dans les fratries plus larges, ces fratries de grande taille vont être progressivement sous- représentées à mesure que les enquêtés avancent en âge. Une analyse récente des données EDS a cependant montré que la survie des adultes ne variait que légèrement avec le nombre de sœurs adultes (Masquelier, 2013). Ces faibles différentiels de survie, associés à une mortalité elle-même relativement faible à ces âges, ne sont donc pas susceptibles d’expliquer de telles variations du nombre de frères et sœurs déclarés. Il reste dès lors à considérer une seconde hypothèse selon laquelle l’évolution de la taille des fratries avec l’âge des enquêtés reflèterait les tendances passées de la fécondité. En effet, la fécondité a augmenté dans plusieurs pays en développement dans les années 1960-1980 avant d’amorcer une baisse.

Figure 1

Tailles des fratries déclarées selon l’âge des enquêtées, EDS Sénégal et Madagascar

Figure 1

Tailles des fratries déclarées selon l’âge des enquêtées, EDS Sénégal et Madagascar

12Pour mettre en regard les tendances de la fécondité et la taille des fratries déclarées, l’équivalence établie par Preston (1976) est utile. Il a montré que la taille moyenne des fratries (notée F, et comprenant l’individu de référence) pouvait être obtenue sans approximation comme une fonction du nombre moyen d’enfants nés vivants de la génération précédente (G) et de la variance de ce nombre (?2), tel que

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equation im2

14Si toutes les femmes avaient le même nombre d’enfants, la variance serait nulle et la taille des fratries serait égale au nombre d’enfants nés vivants de la génération précédente. Dès qu’une variation est introduite dans les parités, la taille moyenne des fratries est plus élevée que le nombre moyen d’enfants nés vivants. En effet, les fratries plus larges sont plus souvent mentionnées, car elles disposent d’un plus grand nombre de « représentants » dans la population que les fratries de petites tailles. Imaginons un cas dans lequel 100 femmes ayant terminé leur vie reproductive seraient distribuées par parité tel qu’indiqué dans le tableau 1. Si la mortalité ne variait pas avec la taille des familles (ou descendance finale de la mère), la probabilité de tirer au hasard une mère ayant donné naissance à 3 enfants serait de 0,24 tandis que celle de tirer au hasard un enfant ayant vécu dans une famille de 3 enfants serait de 3 × 0,24. Dans cette configuration, le nombre moyen d’enfants nés vivants vaudrait 3,35, la variance de cette distribution 2,81, tandis que le nombre moyen de frères et sœurs serait de 4,19, ce qui correspond bien à

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equation im3

Tableau 1

Exemple du calcul du nombre moyen de frères et sœurs à partir du nombre d’enfants nés vivants

Tableau 1
Nombre d’enfants nés vivants Total 0 1 2 3 4 5 6 7 8 Nombres de femmes 5 6 21 24 21 11 9 2 1 100 Nombre moyen d’enfants nés vivants (G) : 0,05 × 0 + 0,06 × 1 + 0,21 × 2 + … = 3,35 Variance du nombre moyen d’enfants nés vivants (?2) : (0,05 × 0² + 0,06 × 1² + 0,21 × 2² + …) – G² = 2,81 Nombre moyen de frères et sœurs (F) : G+?2/G=3,35 + 2,81/3,35=4,19

Exemple du calcul du nombre moyen de frères et sœurs à partir du nombre d’enfants nés vivants

16Il est donc possible, en identifiant la cohorte des mères qui ont donné naissance aux femmes enquêtées dans les EDS, de recalculer les tailles de fratries « attendues » de ces dernières sur la base de la descendance finale de leurs mères et de sa variance.

17Pour identifier la cohorte des mères, des informations sont nécessaires sur l’écart d’âge entre parents et enfants, c’est-à-dire sur l’âge moyen à la naissance des enfants (mean age at childbearing, MACB). Cet âge varie peu entre les pays ou dans le temps (entre 25 et 30 ans) et tend à diminuer durant la transition de fécondité (Bongaarts, 1999). Son évolution dépend principalement de deux facteurs : le retard des naissances chez les plus jeunes mères (par exemple consécutif à une hausse de l’âge au mariage) et la limitation des naissances chez les mères les plus âgées. Il peut être obtenu en pondérant l’âge des mères par le nombre de naissances survenues à chaque âge dans les 12 derniers mois [1]. Pour les pays analysés ici, 530 estimations ont été rassemblées à partir des enquêtes EDS et des Enquêtes à grappes à indicateurs multiples (MICS), de l’Annuaire statistique des Nations unies (Nations unies, 1997 ; Nations unies, 2009), de quelques autres enquêtes démographiques nationales, ainsi que des microdonnées de recensements distribuées dans la base de données IPUMS [2]. Ces estimations sont présentées sous forme de points dans la figure 2A. Si certains pays, comme le Pérou (pris comme exemple), disposent de nombreuses estimations, d’autres comme l’Erythrée ou l’Angola sont nettement moins bien documentés. Pour pouvoir obtenir une valeur pour chaque pays (j) et chaque année (t), un modèle linéaire mixte est utilisé (Pinheiro et al., 2013). Dans ce modèle (équation [1]), la constante et le rythme de baisse de l’âge moyen peuvent varier pour chaque pays :

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equation im5

Figure 2

Tendances de l’âge moyen à la naissance des enfants (A) et de la variance des descendances atteintes par les femmes de 45 à 49 ans (B) pour 50 pays en développement

Figure 2

Tendances de l’âge moyen à la naissance des enfants (A) et de la variance des descendances atteintes par les femmes de 45 à 49 ans (B) pour 50 pays en développement

19Les valeurs prédites qui en résultent seront proches de la tendance moyenne dans les pays où il y a peu d’estimations ou lorsqu’elles fluctuent fortement. Elles « colleront » davantage aux estimations du pays lorsque ces dernières sont plus nombreuses et plus régulières (Gelman et Hill, 2007).

20Le même modèle est utilisé pour reconstituer les tendances de la variance des descendances finales. Cette variance est calculée à partir des femmes de 45-49 ans, car il s’agit du groupe d’âges pour lequel il existe le plus grand nombre de données (notamment parce que les EDS n’interrogent pas les femmes au-delà de 50 ans). On suppose donc que la fécondité après 45 ans est marginale. À nouveau, les données proviennent des EDS, de la base IPUMS ainsi que de rapports de recensements ou d’autres enquêtes nationales. Tout comme l’âge moyen à la naissance des enfants, la variance de la taille des familles tend à diminuer à mesure que diminue la fécondité ; on l’observe sur la figure 2B dans laquelle le Pérou est à nouveau mis en évidence.

21Les données sur le nombre d’enfants nés vivants proviennent des mêmes sources mais elles sont plus abondantes, car certains rapports d’enquêtes ou de recensements publient les parités moyennes sans donner la distribution complète. Au total, 376 opérations de collecte sont utilisées, soit 175 EDS, 137 recensements et 64 autres enquêtes (MICS, World Fertility Surveys, etc.). Seules sont retenues les descendances finales des femmes de quatre groupes d’âges (45-49 ans, 50-54 ans, 55-59 ans, 60-64 ans).

22Pourquoi utiliser la descendance finale comme indicateur de référence alors qu’il est parfois présenté comme étant de mauvaise qualité ? On considère en effet généralement que les femmes âgées tendent à sous-déclarer leurs enfants (Nations unies, 1983) [3]. Cette idée s’est forgée dans les années 1950-1960, lorsqu’il est apparu que la descendance finale augmentait moins vite avec l’âge qu’attendu. Il est toutefois admis aujourd’hui que des hausses temporaires de la fécondité ont eu lieu dans plusieurs pays en développement (Dyson et Murphy, 1985), et ces hausses peuvent expliquer en partie pourquoi la taille des familles n’augmente pas nécessairement rapidement avec l’âge des femmes (Brass, 1996). Feeney (1991) a par ailleurs montré que dans plusieurs pays, la taille moyenne des familles s’avérait remarquablement cohérente d’une opération de collecte à l’autre. Sa technique consiste à présenter la descendance finale sur un graphique, en retenant comme valeur de l’axe des abscisses l’année au cours de laquelle les femmes ont atteint l’âge moyen à la naissance des enfants. Reprenons l’exemple du Pérou, où un recensement a été organisé en octobre 2007. Comme on l’observe sur la figure 3A, les femmes de 45-49 ans recensées à cette occasion étaient nées en avril 1960 (on suppose qu’elles sont réparties uniformément entre 45 et 50 ans). En août 1987, elles atteignent 27,3 ans, l’âge moyen à la naissance des enfants estimé à ce moment pour le pays. C’est cette date qui est retenue comme période de référence pour présenter leur descendance atteinte [4].

Figure 3

Exemple de calcul de la période de référence (A), descendances finales et tailles des fratries attendues au Pérou (B)

Figure 3

Exemple de calcul de la période de référence (A), descendances finales et tailles des fratries attendues au Pérou (B)

Sources : Enquêtes démographiques et de santé, Annuaires statistiques des Nations unies, base de données IPUMS.

23En procédant de la sorte pour les trois autres groupes d’âges jusqu’à 60-64 ans, puis pour les autres opérations de collecte menées au Pérou, on obtient la tendance présentée sur la figure 3B. Remarquons la bonne cohérence des parités déclarées sur toute la période. Il est bien sûr possible que toutes les descendances soient sous-déclarées dans la même proportion, mais cette cohérence d’ensemble montre que les omissions ne varient pas significativement avec l’âge. Combinées avec la variance de la descendance présentée précédemment, ces estimations permettent de calculer les tailles des fratries « attendues » (points rouges). Celles-ci avoisinent 8 personnes en moyenne pour les cohortes nées jusqu’en 1965 au Pérou, puis elles diminuent pour atteindre 6 personnes pour les cohortes nées autour de 1990.

II – Résultats

24Si elles étaient correctement déclarées dans les EDS, les fratries des femmes adultes devraient être au moins aussi larges que les fratries calculées à partir des descendances finales. La figure 4 indique toutefois que c’est très rarement le cas. Elle reprend, pour quatre pays, les descendances finales (points blancs cerclés) et les tailles de fratries attendues (points rouges). Les fratries déclarées (incluant l’enquêtée) dans les EDS sont présentées sous forme de traits continus selon les différentes dates d’enquêtes.

Figure 4

Descendances finales, tailles de fratries attendues et déclarées dans les EDS, Pérou, République dominicaine, Malawi, Nigéria

Figure 4

Descendances finales, tailles de fratries attendues et déclarées dans les EDS, Pérou, République dominicaine, Malawi, Nigéria

Sources : Enquêtes démographiques et de santé, Annuaires statistiques des Nations unies, base de données IPUMS.

25Plusieurs cas de figure sont observés. En République dominicaine, les fratries déclarées sont très proches des fratries attendues, et les deux enquêtes sont relativement cohérentes entre elles. Cette configuration, qui reflète une bonne qualité des données, est observée dans moins d’une dizaine de pays, localisés pour la plupart en Asie ou en Amérique latine (tels que le Brésil, les Philippines, le Népal ou la Jordanie). Au Pérou, les fratries déclarées restent en deçà du nombre de frères et sœurs attendus mais il y a plus de frères et sœurs déclarés que d’enfants nés vivants. L’écart moyen se chiffre à 1,25 frère/ sœur dans l’enquête de 1992, contre moins de 0,6 dans les deux enquêtes suivantes. Cette situation concerne de nombreux pays, tels que le Cambodge, le Cameroun, le Maroc ou l’Ouganda. Le cas de figure observé au Malawi est le plus fréquent en Afrique subsaharienne : la taille des fratries déclarées est inférieure aux tailles attendues et plus proche du nombre d’enfants nés vivants que du nombre de frères et sœurs attendus. Enfin, dans certaines enquêtes, les fratries sont nettement trop petites car elles se situent même en dessous des descendances finales, comme c’est le cas des enquêtes menées au Nigéria en 1999 ou en Sierra Leone en 2008.

26Afin de pouvoir quantifier ces écarts, il est utile d’interpoler entre les différentes valeurs attendues. Une fonction spline cubique est utilisée ici (Faraway, 2006). Il devient alors possible de calculer la différence relative (F1 – F2) / F1, où F1 est la taille des fratries attendue et F2 est la taille déclarée par les adultes dans les enquêtes. Cette différence peut s’interpréter comme la proportion de frères et sœurs qui n’ont pas été déclarés, si l’on fait l’hypothèse que les descendances finales sont correctement rapportées. Elle s’établit à 16 % en moyenne sur toutes les enquêtes, et elle varie selon l’âge : elle est de 14 % chez les enquêtées de 25 à 34 ans, et atteint 20 % chez les femmes de 45-49 ans. Elle est aussi légèrement plus élevée chez les plus jeunes enquêtées (17 % à 15-19 ans), ce qui résulte sans doute du fait que les fratries de ces dernières ne sont pas encore tout à fait complètes (même si leurs mères, âgées de 45 ans environ, ne vont plus donner naissance à beaucoup d’enfants). Les variations régionales sont plus marquées. Pour les enquêtées âgées de 20 ans et plus, les différences relatives sont de 10 % en moyenne dans les enquêtes menées en Amérique latine et aux Caraïbes, contre 14 % en Afrique australe et 21 % en Afrique de l’Ouest. Le tableau 2 liste les enquêtes selon l’ampleur de la différence relative entre les tailles de fratries attendues et déclarées.

Tableau 2

Liste des enquêtes EDS ayant inclus un module sur les frères et sœurs selon l’ampleur de la différence relative entre tailles des fratries attendues et déclarées (enquêtées de 20 ans et plus)

Tableau 2
Années 1990-1999 Années 2000-2009 Années 2010-2012 – 2 % à + 4,9 % Brésil 1996 Congo 2005 Jordanie 1997 Maroc 2003-2004 Népal 1996 République dominicaine 2002, 2007 Philippines 1993, 1998 São Tomé-et-Principe 2008-2009 5 % à 9,9 % Pérou 1996 Gabon 2000 Burundi 2010 Soudan 1998-1999 Haïti 2000, 2005-2006 Népal 2006 Népal 2006 10 % à 14,9 % Maroc 1992 Bangladesh 2001 Cambodge 2010 Namibie 1992 Namibie 1992 Cameroun 2011 Togo 1998 Ethiopie 2000, 2005 Congo 2011-2012 Zambie 1996 Zambie 1996 Côte d’Ivoire 2011-2012 Zimbabwe 1994, 1999 Indonésie 2007 Ethiopie 2011 Kenya 2003 Gabon 2012 Lesotho 2004 Indonésie 2012 Namibie 2000, 2006-2007 Malawi 2010 Ouganda 2000-2001, 2006 Ouganda 2000-2001, 2006 Rwanda 2005, 2010 Rwanda 2010 Sénégal 2005 Sénégal 2011 Tanzanie 2004-2005 15 % à 19,9 % Afrique du Sud 1998 Benin 2006 Burkina Faso 2010 Benin 1996 Bolivie 2003, 2008 Tanzanie 2010 Indonésie 1994, 1997 Cambodge 2000 Zimbabwe 2010-2011 Madagascar 1992, 1997 Congo (RDC) 2007 Malawi 1992 Côte d’Ivoire 2005 Ouganda 1995 Ghana 2007 Pérou 1991-1992 Guinée 2005 Sénégal 1992-1993 Indonésie 2002-2003 Tanzanie 1996 Kenya 2008-2009 Lesotho 2009 Madagascar 2008-2009 Malawi 2000 Mali 2006 Mozambique 2003 Rwanda 2000 Swaziland 2006-2007 Tchad 2004 Zambie 2001-2002, 2007 Zimbabwe 2005-2006 20 % à 24,9 % Bolivie 1994 Burkina Faso 2003 Timor oriental 2009-2010 Burkina Faso 1998-1999 Malawi 2004 Cameroun 1998 Mali 2001 Centrafrique 1994-1995 Niger 2006 Côte d’Ivoire 1994 Nigéria 2008 Guinée 1999 Mali 1995-1996 Mozambique 1997 Tchad 1996-1997 25 % + Niger 1992 Libéria 2007 Nigéria 1999 Madagascar 2003-2004 Sierra Leone 2008 Afghanistan 2010 Mozambique 2011

Liste des enquêtes EDS ayant inclus un module sur les frères et sœurs selon l’ampleur de la différence relative entre tailles des fratries attendues et déclarées (enquêtées de 20 ans et plus)

27Pour mesurer si ces omissions concernent de façon disproportionnée l’un des deux sexes, les différences relatives entre la taille des fratries attendues et déclarées sont comparées au rapport de masculinité à la naissance des frères et sœurs dans la figure 5A. Ce rapport de masculinité est obtenu en excluant les enquêtées du calcul pour tenir compte du fait que les enquêtes utilisées sont seulement menées auprès des femmes. Si les omissions concernaient majoritairement des sœurs, les rapports de masculinité devraient augmenter avec l’ampleur des différences relatives. C’est sans doute ce qui est observé en Afghanistan en 2010 et au Nigeria en 1999. Mais mis à part ces cas extrêmes, il n’y a pas d’association nette entre le rapport de masculinité des fratries et l’ampleur des omissions.

Figure 5

(A) Relation entre le rapport de masculinité de la fratrie et la différence relative entre taille des fratries déclarée et attendue ; (B) Proportions de garçons décédés d’après leurs sœurs (âgées de 15-19 ans) et d’après leurs mères (âgées de 17,5 ans + MACB), selon qu’ils aient ou non survécu à l’âge de 15 ans

Figure 5

(A) Relation entre le rapport de masculinité de la fratrie et la différence relative entre taille des fratries déclarée et attendue ; (B) Proportions de garçons décédés d’après leurs sœurs (âgées de 15-19 ans) et d’après leurs mères (âgées de 17,5 ans + MACB), selon qu’ils aient ou non survécu à l’âge de 15 ans

Source : Enquêtes démographiques et de santé.

28La corrélation entre ces deux indices est faible (< 0,04) et non significative. La valeur moyenne du rapport de masculinité (104) est proche de la valeur théorique (105), bien qu’il y ait une variation considérable d’une enquête à l’autre, avec une moitié des enquêtes où ce rapport est inférieur à 1,01 ou supérieur à 1,06. Ces variations reflètent probablement une véritable hétérogénéité des rapports de masculinité à la naissance, mise en évidence par Garenne (2002) pour l’Afrique subsaharienne. La corrélation entre les rapports de masculinité à la naissance calculés à partir des histoires génésiques et des données sur les frères et sœurs est relativement élevée (0,66).

29Bien que les écarts entre les fratries attendues et observées soient importants, il faut préciser que les omissions de frères et sœurs ne conduisent pas nécessairement à sous-estimer la mortalité, sauf si les décédés sont omis de façon non proportionnelle. À nouveau, comparer les déclarations des sœurs avec celles des mères s’avère instructif. Au sein d’une même enquête, les répondantes de 15 à 19 ans fournissent des informations sur les cohortes d’enfants nés de mères d’environ 45 ans, puisque l’âge moyen à la naissance des enfants avoisine 27 ans. La proportion de frères décédés peut donc être comparée, au niveau agrégé, avec la proportion de fils décédés [5]. On ne retiendra ici que les informations sur les frères et les fils car les enquêtées de 15-19 ans, qui sont des femmes, sont aussi toutes survivantes.

30La figure 5B présente, en abscisse, la proportion de garçons décédés telle que déclarée par leurs sœurs âgées de 15 à 19 ans, et en ordonnée la proportion de garçons décédés selon les mères, en distinguant les proportions de décès depuis l’enfance ou depuis le 15e anniversaire. De façon quasiment systématique, les proportions de fils décédés depuis la naissance sont plus élevées que les proportions de frères décédés. Il s’agit pourtant de données provenant des mêmes enquêtes et faisant référence aux mêmes cohortes. En d’autres termes, la mortalité semble davantage sous-estimée dans les données relatives à la fratrie que dans les histoires génésiques, probablement parce que les sœurs omettent de mentionner des frères aînés décédés avant leur propre naissance. Toutefois, la plupart de ces décès sont survenus dans l’enfance, et lorsqu’il s’agit d’estimer la mortalité des adultes de façon biographique, ces omissions ne vont pas biaiser les estimations. Lorsque seuls les frères survivants à 15 ans sont retenus pour calculer la proportion de décédés, la mortalité des adultes semble cette fois mieux déclarée par les sœurs que par les mères. Ce résultat inattendu devrait faire l’objet d’analyses ultérieures. Ces écarts pourraient refléter des variations dans la précision des déclarations mais également des effets de composition. Les fratries qui comptent une sœur survivante âgée de 15 à 19 ans et au moins un frère ayant survécu de plus de 15 ans pourraient avoir fait l’expérience d’une mortalité différente de l’ensemble des enfants nés de mères toujours survivantes (et âgées d’environ 45 ans). Apparier au niveau individuel les déclarations fournies par les jeunes filles de 15-19 ans avec l’histoire génésique de leur mère permettrait d’isoler les erreurs de déclaration (ceci est possible uniquement lorsque mère et fille ont toutes deux été enquêtées dans le même ménage).

Conclusion

31La comparaison entre taille des fratries et nombre d’enfants nés vivants repose sur plusieurs hypothèses. Notamment, il faut supposer (1) que la cohorte de femmes identifiée à partir de l’âge moyen à la naissance des enfants représente bien l’expérience de l’ensemble des mères des enquêtées, (2) qu’il n’y a pas d’association entre la taille des fratries et la mortalité, et (3) que la descendance finale des femmes est correctement déclarée. La première hypothèse pourrait être affinée en utilisant des informations sur le rang de naissance des enquêtées afin de mieux identifier la cohorte de naissance de leur mère, mais ce rang de naissance est lui-même biaisé par les omissions de frères et sœurs. Ces omissions concernent-elles des aînés ou des cadets ? Les données publiées sur l’âge moyen à la naissance des enfants sont par ailleurs rarement distribuées par parité. Les deux autres hypothèses sont plus problématiques, mais elles tendent à se compenser l’une l’autre. D’une part, bien que la survie des adultes soit peu associée au nombre de frères et sœurs adultes, la mortalité des enfants, elle, augmente généralement avec la parité des mères en raison de la concurrence entre enfants pour les ressources et l’attention des parents, de la surpopulation des ménages, de l’épuisement physique de la mère, et de la transmission des infections (Zaba et David, 1996). En conséquence, il y a moins de survivants à l’âge adulte dans les fratries de grande taille, ce qui a pour effet d’accentuer les écarts entre les tailles des fratries attendues et celles effectivement observées. À l’inverse, le fait que les descendances finales tendent à être elles-mêmes sous-déclarées (Nations unies, 1983) a pour effet de diminuer les écarts entre fratries attendues et fratries déclarées, ce qui signifie que les omissions pourraient être plus fréquentes que ce qui a été présenté ici. Il est difficile à ce stade d’évaluer l’effet de la violation de ces deux hypothèses sur les comparaisons menées entre tailles des fratries et nombre d’enfants nés vivants. Ceci devrait faire l’objet d’analyses ultérieures par le biais de simulations.

32Malgré ces limites, confronter les données sur la fratrie avec les parités moyennes représente une avancée par rapport au simple examen du nombre de frères et sœurs pris isolément. Dans les rapports des EDS, la taille des fratries est régulièrement utilisée comme un indicateur de qualité des données. L’absence d’augmentation monotone de ces tailles avec l’âge des enquêtées est perçue comme un signe d’omissions. L’analyse présentée ici indique que cet indicateur est trop sommaire. Puisque les fratries ont été constituées plusieurs décennies avant l’enquête, leur taille ne doit pas nécessairement augmenter avec l’âge. Il faut non seulement comparer les enquêtes entre elles mais aussi faire intervenir des données complémentaires sur la parité des mères. Ceci permet de mettre en évidence une importante sous-déclaration des frères et sœurs, d’au moins 15 % en moyenne. Stanton et al. (2000) avaient supposé que les enquêtées plus âgées omettaient davantage de frères et sœurs ; ceci est confirmé mais les différences ne sont pas substantielles. Cette analyse montre plutôt que les omissions concernent tous les groupes d’âges. Ces omissions sont plus fréquentes en Afrique subsaharienne que dans les autres régions en développement. En particulier, l’Afrique de l’Ouest concentre plusieurs enquêtes caractérisées par des proportions d’omissions très élevées. Ceci pourrait résulter du fait que les familles y sont à la fois plus nombreuses et plus complexes, en raison d’une plus forte fécondité et d’une pratique plus répandue de la polygamie. La polygamie est généralement associée à une fréquence élevée des ruptures d’unions. Les écarts d’âge importants entre conjoints, combinés à la surmortalité masculine, contribuent également à réduire la durée des unions et à favoriser le remariage. En conséquence, la majorité des femmes vont connaître plus d’une union, ce qui peut faciliter l’omission de frères et sœurs nés de même mère mais de pères différents. Les questions posées dans les EDS portent pourtant sur tous les frères et sœurs nés de la même mère biologique, y compris ceux nés de pères différents. Dans leur étude de validation menée au sud du Sénégal, Helleringer et al. (2014) ont constaté que les données relatives aux sœurs nées de pères différents étaient effectivement de moins bonne qualité : 18 % de ces demi-sœurs avaient été omises lors d’une enquête comparable aux EDS, contre 7 % des sœurs nées de même père et de même mère. Le fait que dans les sociétés patrilinéaires, les enfants vont plutôt rester avec leur père ou avec sa famille à la suite d’une rupture d’union pourrait expliquer en partie ces différences. Mais notons que dans les sociétés polygames, les demi-frères et demi-sœurs de même mère sont nettement moins fréquents que les demifrères et demi-sœurs de même père. À titre indicatif, dans son étude sur les Peul Bandé au Sénégal oriental, Pison (1986) estime qu’au début des années 1980, le nombre moyen de frères ou sœurs nés de même mère et de même père était de 6,5 auxquels s’ajoutaient 4,9 frères ou sœurs nés de même père mais de mère différente, et 0,9 frère ou sœur né de même mère mais de père différent. L’inclusion par les enquêtées de frères et sœurs nés de même père mais de mère différente pourrait également biaiser les estimations de mortalité, si les décès de ces derniers sont moins bien déclarés. Toutefois, aucune analyse n’a été menée à ce jour pour évaluer si la qualité des déclarations varie selon que les frères et sœurs sont nés de même mère ou non.

33La fréquence élevée de la circulation des enfants en Afrique subsaharienne, qui prend parfois la forme du « confiage », pourrait également être à l’origine de certaines erreurs de déclaration. Par exemple, parmi les jeunes âgés de 10 à 14 ans dont la mère vit toujours, plus d’un enfant sur quatre ne réside pas avec sa mère, selon les dernières EDS menées en Afrique subsaharienne (www.statcompiler.com). Cette proportion varie en moyenne de 21 % en Afrique de l’Est à 35 % en Afrique australe. À titre de comparaison, elle ne s’élève qu’à 16 % en moyenne dans les enquêtes menées en Amérique latine et dans les Caraïbes, et elle avoisine 5 % en Asie. On peut supposer que les enfants qui n’ont pas résidé avec leur mère durant toute leur enfance vont procurer des informations moins fiables sur leur fratrie, et être eux-mêmes davantage omis par leurs frères et sœurs. Pour éviter ces erreurs, des révisions pourraient être apportées aux questionnaires, en ajoutant notamment quelques questions de contrôle : par exemple, « y a-t-il d’autres frères et sœurs qui sont nés bien avant vous ou après vous et avec qui vous n’avez pas vécu longtemps ? ».

34Quelles sont les implications de ces résultats pour l’estimation de la mortalité des adultes ? Il existe actuellement trois approches pour estimer la mortalité à partir de données sur la fratrie. Hill et Trussell (1977) ont d’abord développé une méthode indirecte, comparable à la méthode de Brass pour la survie des enfants (Brass, 1996). Cette méthode consiste à convertir les proportions de frères et sœurs décédés en probabilités de décès depuis la naissance. Dans la mesure où elle porte sur toute la fratrie, elle est la plus sensible aux omissions mises à jour ici. Cette méthode devrait donc être réservée aux cas où aucune donnée n’est collectée sur les âges des frères et sœurs. Il convient de lui préférer la méthode indirecte développée par Timaeus et al. (2001). Cette dernière s’applique aux enquêtes ou aux recensements dans lesquels quelques questions supplémentaires sont posées sur le nombre de frères et sœurs survivants à 15 ans. Comme les omissions semblent concerner surtout des frères et sœurs décédés dans l’enfance, cette méthode procurera des niveaux de mortalité moins biaisés. Elle va toutefois mêler les décès récents et anciens, ce qui la rend sensible à d’autres erreurs, telle que la sous-déclaration des décès adultes survenus dans le passé lointain, un problème qui semble particulièrement préoccupant (Masquelier et al., 2014). Idéalement, une troisième approche devrait donc être privilégiée, qui consiste à exploiter les données sur les fratries de façon directe (Rutenberg et Sullivan, 1991). Ceci permet de concentrer l’analyse sur les périodes les plus récentes, même si, là encore, il subsiste certainement des omissions. Cette méthode biographique requiert toutefois que soient posées des questions sur l’âge des frères et sœurs et leur âge au décès. C’est le cas des EDS mais pas des enquêtes MICS. En l’absence d’une couverture satisfaisante de l’enregistrement des décès à l’état civil, ce mode de collecte devrait être généralisé à toutes les enquêtes nationales traitant de santé et de mortalité. En effet, en dépit d’erreurs et d’omissions manifestes, les données collectées sur la survie des frères et sœurs contribuent grandement à la compréhension des niveaux et des tendances de la mortalité adulte dans les pays en développement.

Remerciements :

Je remercie Patrick Gerland qui m’a fourni des estimations sur la parité des femmes de plus de 45 ans pour plusieurs pays d’Afrique subsaharienne, ainsi que John B. Casterline, Gilles Pison et trois relecteurs anonymes pour leurs commentaires constructifs. Cette recherche a été menée dans le cadre d’un mandat de chargé de recherches du Fonds national de la recherche scientifique belge (FNRS).

Notes

  • [*]
    Centre de recherches en démographie et sociétés, Université catholique de Louvain, Belgique.
  • [1]
    Il est souvent confondu avec l’âge à la maternité (mean age of the fertility schedule), qui s’obtient en pondérant l’âge des mères par les taux de fécondité. L’âge moyen à la naissance des enfants est influencé par l’effet de la mortalité sur le nombre de femmes. La différence entre ces deux mesures peut être particulièrement grande dans le cas d’une population qui connaît une forte croissance.
  • [2]
    Minnesota Population Center. Integrated Public Use Microdata Series, International : Version 6.1 [Machine-readable database]. Minneapolis, University of Minnesota, 2013.
  • [3]
    Un autre problème se pose dans certaines opérations de collecte, lorsque les femmes sans enfant sont confondues avec les femmes pour lesquelles la parité atteinte n’est pas connue. C’est le cas par exemple si les enquêteurs indiquent un tiret (-) dans la case correspondante du questionnaire. El-Badry (1961) a développé une méthode permettant de corriger les parités déclarées pour en tenir compte. Cette méthode est appliquée ici dans les cas où la distribution des femmes par âge et par parité était disponible (par exemple avec les données IPUMS), quand la proportion de réponses manquantes dépassait 2 % et quand les conditions nécessaires à cet ajustement étaient réunies. Les valeurs corrigées sont utilisées également pour estimer la variance des parités des femmes de 45-49 ans.
  • [4]
    Il faudrait idéalement calculer l’âge moyen à la naissance des enfants par cohorte plutôt que par période, mais la différence est marginale, compte tenu de la faible variabilité de cet indicateur.
  • [5]
    Il est nécessaire d’interpoler entre les proportions d’enfants décédés des femmes de 40-44 ans et de 45-49 ans pour obtenir la valeur correspondante à 17,5 ans majorée de l’âge moyen à la naissance des enfants.
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Français

Les données d’enquêtes recueillies sur la survie des frères et sœurs constituent une source incontournable pour estimer la mortalité des adultes dans les pays où l’état civil reste incomplet. Cet article évalue la qualité de ces données en comparant la taille des fratries déclarées dans les enquêtes démographiques et de santé avec le nombre moyen d’enfants nés vivants des femmes de la génération précédente. Cette comparaison, menée au niveau agrégé, suggère qu’une proportion élevée de frères et sœurs sont omis ; les tailles de fratries sont inférieures de 15 % environ aux tailles attendues sur la base des enfants nés vivants. Ces omissions sont plus fréquentes en Afrique subsaharienne que dans les autres régions en développement et leur ampleur augmente légèrement avec l’âge des enquêtées. La mortalité aux âges adultes déduite de ces données n’est pas pour autant sous-estimée, car les omissions semblent surtout concerner des frères et sœurs décédés dans l’enfance.

Mots-clés

  • mortalité adulte
  • qualité des données
  • enfants nés vivants
  • omissions
  • estimation de la mortalité
  • enquêtes démographiques et de santé
Español

Tamaño de las fratrías y tamaño de las familias en los datos de encuesta utilizados para estimar la mortalidad

Los datos de encuesta recogidos sobre la supervivencia de los hermanos y hermanas constituyen una fuente necesaria para estimar la mortalidad de los adultos en los países con un estado civil incompleto. Este artículo evalúa la calidad de esos datos comparando el tamaño de las fratrías declaradas en las encuestas demográficas y de salud con el número medio de hijos nacidos vivos de mujeres de la generación precedente. Esta comparación, hecha a nivel agregado, sugiere que una proporción importante de hermanos y hermanas es omitida ; los tamaños de las fratrías son un 15 % inferiores à los que cabría esperar sobre la base de los niños nacidos vivos. Estas omisiones son más frecuentes en África subsahariana que en las otras regiones en desarrollo y su amplitud aumenta ligeramente con la edad de las mujeres encuestadas. Sin embargo, la mortalidad a la edad adulta deducida de estos datos no está subestimada pues las omisiones parecen afectar sobre todo a los hermanos y hermanas muertos durante la infancia.

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  1. I - Données et méthode
  2. II - Résultats
  3. Conclusion

Références

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Bruno Masquelier [*]
Bruno Masquelier, Centre de recherches en démographie et sociétés, Université catholique de Louvain, Place Montesquieu 1, bte L2.08.03, 1348 Louvain-la-Neuve, Belgique, tél : 0032 10 47 26 17
  • [*]
    Centre de recherches en démographie et sociétés, Université catholique de Louvain, Belgique.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 26/09/2014
https://doi.org/10.3917/popu.1402.0249
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