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1L’apparition de l’épidémie de sida, au début des années 1980, a eu un impact considérable en Europe. Elle a également ranimé l’inquiétude face aux maladies infectieuses que l’on imaginait avoir réussi à maîtriser [1] (Omran, 1971?; Vallin et Meslé, 2010). Avant l’émergence du VIH/sida, les progrès sanitaires avaient conduit à une convergence des dynamiques de mortalité entre les pays du Nord et du Sud de l’Europe (Monnier et Rychtarikova, 1991?; Meslé et Vallin, 2002). Certains auteurs ont invoqué l’évolution du régime alimentaire, du mode de vie et du niveau de vie, ainsi que leur influence sur l’évolution des profils de mortalité (Canudas-Romo et al., 2008) pour expliquer la hausse de l’espérance de vie depuis 1950 dans le Sud de l’Europe. En Espagne, l’augmentation de l’espérance de vie à la naissance a été particulièrement forte dans les années 1970 et au début des années 1980, notamment du fait d’une réduction rapide de la mortalité infantile. Cette augmentation s’est ensuite ralentie, car la forte baisse de la mortalité cardio-vasculaire chez les personnes âgées a été contrecarrée par une hausse de la mortalité des jeunes par accidents de la circulation, par morts violentes et par sida (Gomez-Redondo et Boe, 2005?; Chenet et al., 1997). La survenue de l’épidémie de sida a ainsi transformé non seulement la mortalité à certains âges relativement jeunes, mais aussi les besoins en matière de santé (Hamers et Downs, 2004?; Nizard, 2000).

2Cette note de recherche analyse la mortalité par sida en Espagne, pays d’Europe occidentale dans lequel l’incidence de la maladie a été la plus élevée (Onusida, 2010), en adoptant un regard de démographe (Bergouignan, 2004). L’objectif est de décrire les caractéristiques de la mortalité par sida en Espagne et d’en prendre la pleine mesure, en estimant le poids de cette cause de décès dans la mortalité. L’Espagne a connu, en raison du sida, une déformation de son profil de mortalité : il s’agit ici de mesurer l’impact de la mortalité due à cette maladie sur l’espérance de vie à la naissance, avec un éclairage particulier sur les effets de génération et les effets de période.

Figure 1

Estimation de la mortalité par sida pour les hommes et les femmes dans les pays d’Europe occidentale

Figure 1

Estimation de la mortalité par sida pour les hommes et les femmes dans les pays d’Europe occidentale

Note : Ces taux de mortalité par sida sont des taux standardisés indirects, calculés à partir des données transmises par EuroHIV (réseau de surveillance de l’infection par le VIH dans la région Europe de l’OMS) dans lesquelles ne figure pas la variable de l’âge au décès. On a estimé la mortalité par sida dans ces différents pays en appliquant le calendrier des décès enregistré en Espagne, pays pour lequel nous disposons de la répartition par âge des décès par sida.
Sources : Centre national d’épidémiologie espagnol (CNE) et EuroHIV.

I – Contexte

Le contexte européen

3En 1994, au plus fort de l’épidémie, l’incidence moyenne du sida en Europe occidentale, mesurée en termes de décès par personne au cours de la vie, était d’environ 800 pour 100?000 [2]. À l’époque, beaucoup craignaient une explosion de la mortalité, compte tenu de la rapidité de la progression du VIH/sida et du pronostic mortel de la maladie. Dans tous les pays d’Europe occidentale, on constate en effet une très forte hausse de la probabilité de décéder par sida jusqu’au milieu des années 1990, mais rapidement suivie d’un recul spectaculaire, grâce à l’arrivée des multithérapies dès 1996 (Palella et al., 1998). L’augmentation rapide de la mortalité par sida reflétait, avec un décalage dans le temps, la diffusion du VIH et l’entrée dans le sida. À cette époque, l’absence de traitements permettant d’éviter ou de retarder l’entrée dans la maladie des personnes infectées par le VIH, conduit à interpréter les différences nationales d’incidence du sida comme le reflet des différences nationales d’infection par le VIH quelques années auparavant. À partir de 1996, le délai entre entrée dans le sida et décès s’est considérablement allongé. Désormais, l’incidence du sida reflète davantage un accès tardif au dépistage et l’absence de traitement de la séropositivité. Dans presque tous les pays d’Europe de l’Ouest, on a ainsi pu observer une réduction de l’incidence du sida et une chute de la mortalité (figure 1). Rapide jusqu’en 1998, cette baisse s’est ensuite ralentie [3]. On peut cependant distinguer les pays méridionaux d’Europe occidentale (Espagne, Suisse, France et Portugal) des pays septentrionaux (Pays-Bas, Belgique, Allemagne et Royaume-Uni). Les premiers connaissent une mortalité par sida supérieure à celle des seconds. Cette distinction était particulièrement nette en 1994, lorsque la mortalité par sida a atteint son niveau maximum dans chacun de ces pays (EuroHIV, 2002). L’Espagne se démarque de la plupart des pays européens par des niveaux de mortalité élevés (CNE, 2002?; Onusida, 2010).

Le contexte espagnol

4En Espagne, la diffusion de l’infection par le VIH fut rapide et massive dès le début des années 1980, essentiellement parmi les usagers de drogues par voie intraveineuse (UDVI) dans un premier temps, puis parmi les homosexuels mais dans une moindre mesure (CNE, 2002?; Ministerio de Sanidad y Consumo, 2001?; Valdes, 2009). Le « boom de l’héroïne » survenu en Espagne dans les années 1980 favorisa une très forte transmission du sida par voie intraveineuse notamment par le partage d’aiguilles d’héroïne contaminées (Gamella, 1997). La contamination due à cet usage a constitué un vecteur crucial de la diffusion du VIH/sida par voie hétérosexuelle puisque les UDVI étaient en grande partie des jeunes hommes sexuellement actifs. En réaction à cette situation, et afin de réduire les pratiques à risque, de nouveaux programmes de prévention ont été promus, comme le Plan de mobilisation multisectoriel face au VIH/sida 1997-2000 [4] qui préconisait des mesures à l’efficacité manifeste (Drucker et al., 1998), telles que la diffusion du traitement par la méthadone et les programmes d’échange de seringues. Alertée par les pouvoirs publics et les campagnes de prévention, la population espagnole a pris conscience des problèmes induits par la consommation de drogues par voie intraveineuse (Plan nacional sobre drogas, 2001, p. 16). Les jeunes se sont alors tournés vers d’autres types de drogues telles que l’ecstasy, les amphétamines, les drogues par voie nasale ou les drogues fumables (Gomez-Redondo et Boe, 2005?; Barrio et al., 1998). Les efforts dans la prévention, associés à la diffusion des multithérapies, ont ainsi permis de réduire considérablement l’incidence du sida et la mortalité par sida (CNE, 2002?; Ministerio de Sanidad y Consumo, 2001).

II – Données et méthodes

5Les données relatives au VIH/sida sont des données dites « sensibles » car elles concernent l’intimité des individus. Malgré l’anonymisation des données dans la plupart des pays, leur accès est limité par souci du respect de la vie privée des malades. Les données détaillées concernant les cas de sida et les décès par sida en Espagne ne peuvent être obtenues que suite à une demande d’extraction spécifique auprès du Centre national d’épidémiologie espagnol (CNE), qui sollicite l’autorisation de diffusion auprès de chaque communauté autonome. Ces données détaillées portent sur les cas de sida annuels par sexe, âge au diagnostic et mode de contamination, ainsi que les décès annuels par sida enregistrés en Espagne selon le sexe et l’âge au décès.

La surveillance du sida en Espagne

6En Espagne, depuis le début de l’épidémie de sida, les médecins qui assurent le suivi des malades du sida ont l’obligation de déclarer chaque cas en remplissant un formulaire unique, transmis aux ministères de la santé des communautés autonomes pour constituer les registres autonomes de sida. La qualité des données recueillies dépend donc en partie de la bonne volonté des médecins. Les communautés autonomes remettent chaque trimestre au CNE, pour ajout dans le registre national de sida, un fichier contenant à la fois les nouveaux cas de sida déclarés et les éventuelles modifications à apporter aux cas déjà enregistrés. En effet, certains cas ne sont identifiés comme tels qu’au bout d’un, voire deux ans (si le médecin ne reconnaît pas sur le moment une infection opportuniste liée à la progression de l’infection par le VIH, il peut le faire rétroactivement), d’où le caractère provisoire des données d’une année pendant deux ans. L’ensemble des pays européens utilisent la définition d’un cas de sida préconisée par l’Union européenne depuis 1993 (Ancelle-Park et al., 1993), et établissent la statistique des décès dus au sida dans la classification internationale des maladies. L’Espagne se distingue toutefois des autres pays par une appréciation plus souple du principe de respect de la vie privée des malades. Contrairement aux autres pays européens qui utilisent un code garantissant l’anonymat, en Espagne, les données des registres autonomes et du registre national des cas de sida sont nominatives [5].

L’indicateur synthétique d’entrée dans le sida

7La combinaison de taux d’entrée dans le sida permet d’aboutir à une mesure de l’incidence du sida tout en éliminant les effets de structure par âge. On rapporte les entrées dans le sida enregistrées au cours d’une année, pour un âge donné, à la population de cet âge dans le territoire concerné. On utilise des taux de 2e catégorie qui prennent en compte l’ensemble de la population dans le dénominateur mais pas le fait que certains aient connu une entrée dans le sida auparavant (taux d’incidence par âge). On additionne ces taux d’incidence par âge pour définir un indicateur conjoncturel d’entrée dans le sida au cours de la vie. Ceci donne une légère sous-estimation du taux, mais négligeable, car le risque d’entrée dans le sida est relativement faible par rapport à l’effectif de la population étudiée (Bergouignan, 2004 ; Valdes, 2009).

Probabilités annuelle et générationnelle de décéder du sida

8Pour mesurer la mortalité par sida, on combine les quotients de mortalité par âge, de façon longitudinale ou transversale. La probabilité par sexe et âge de décéder du sida est calculée en rapportant le nombre de décès annuels par sexe et âge aux effectifs de population par sexe et âge estimés par l’Institut national de statistique espagnol (INE). On mesure donc le risque des individus d’une génération G à l’âge x, de décéder du sida avant l’âge x + 1, en rapportant les décès par sida enregistrés entre l’âge x et l’âge x + 1, à la population d’âge x observée en début d’année. En combinant ces quotients dans une table de mortalité, on obtient un indicateur synthétique de décès par sida en l’absence des autres causes de décès.

Les gains d’espérance de vie attendus

9Les « années potentielles de vie perdues » sont un indicateur permettant de mesurer le nombre d’années d’espérance de vie perdues du fait d’un décès prématuré. Par convention, on se réfère souvent aux décès survenus avant 75 ans (Gardner et Sanborn, 1990). Cet outil permet de mesurer le poids d’une cause de décès particulière dans la mortalité générale (Bisig et Paccaud, 1994). En s’inspirant de la méthode des « années potentielles de vie perdues », nous avons calculé « les gains d’espérance de vie attendus de l’élimination de la mortalité par sida » en Espagne en 1994 (année où la mortalité par sida est la plus élevée). Ces gains sont estimés en faisant la différence entre l’espérance de vie que l’on constaterait en Espagne en 1994 s’il n’y avait pas de mortalité par sida, obtenue en combinant les quotients de mortalité par âge sans sida, et l’espérance de vie réellement observée en Espagne en 1994. Enfin, la comparaison avec les gains d’espérance de vie attendus par l’élimination de la mortalité par accidents de la circulation – seconde cause de mortalité chez les jeunes de 24 à 44 ans en Espagne en 1994 juste après le VIH/sida (Martínez de Aragón et Llácer, 1997)?– permet de montrer le poids de la mortalité par sida sur l’espérance de vie à la naissance.

III – Les caractéristiques de la mortalité par sida en Espagne

Une concentration générationnelle massive

10La très forte concentration générationnelle de la mortalité par sida enregistrée en Espagne reflète essentiellement l’effet de conjoncture thérapeutique observé pour les entrées dans le sida (figure 2), mais de façon encore plus marquée. On distingue une forte hausse de la probabilité de décéder par sida, avec un décalage entre la hausse des taux d’entrée dans le sida et celle de la probabilité de décéder du sida, puis, dès le milieu des années 1990, une forte diminution de cette probabilité.

Figure 2

Indicateurs synthétiques d’entrée dans le sida (pour 100?000) et de probabilité de décéder par sida en Espagne (pour 100?000) par année et par génération, selon le sexe

Figure 2

Indicateurs synthétiques d’entrée dans le sida (pour 100?000) et de probabilité de décéder par sida en Espagne (pour 100?000) par année et par génération, selon le sexe

Source : CNE.

11L’effet de la généralisation des multithérapies nettement plus important sur la mortalité par sida que sur les entrées dans le sida se traduit par une chute encore plus brutale pour la première que pour les secondes (Castilla et De La Fuente, 2000?; Ministerio de Saludad y Consumo, 2001).

12Le risque de décès par sida est toujours supérieur chez les hommes mais l’écart relatif entre les sexes varie au fil des générations, en suivant l’évolution du risque. La mortalité par sida augmente au fil des générations pour atteindre son niveau maximum pour les générations nées au début des années 1960, puis diminue brutalement pour les générations suivantes. Cette soudaineté s’explique par la diffusion des multithérapies qui a réduit aussi bien les entrées dans le sida que la mortalité suite au sida. Les multithérapies ont donc eu un effet double sur la mortalité par sida.

Un effet d’âge très prononcé

13De façon générale, les taux de mortalité par sida sont particulièrement élevés autour de 30 ans. En 1994, en Espagne, le VIH/sida était la principale cause de décès chez les jeunes hommes (21,8 % des décès de 25-44 ans) et la deuxième cause de décès chez les femmes (14,9 %), dépassée seulement par le cancer (Castilla et al.,1997?; Martínez de Aragón et Llácer, 1997). Toutefois, on observe des évolutions dans le profil par âge de la mortalité par sida : les âges les plus touchés deviennent un peu plus tardifs au fil du temps, que ce soit chez les hommes ou chez les femmes (CNE, 2002).

IV – L’impact de la mortalité par sida

Des déformations dans les quotients de mortalité générale aux jeunes âges

14En comparant, pour chaque âge, le risque de décès toutes causes (y compris par sida), et le risque que l’on aurait observé en l’absence de sida, on met en évidence pour chaque groupe d’âges les déformations dues au sida dans les quotients de mortalité générale. Outre l’effet des progrès thérapeutiques – l’impact du sida disparaissant presque totalement à la fin des années 1990 –, on peut voir que la maladie a surtout pesé sur les hommes de 27 à 36 ans (figure 3). La mortalité totale à ces jeunes âges adultes étant habituellement faible, l’irruption du sida a provoqué une déformation marquée de l’évolution de la mortalité à ces âges. On observe même que la mortalité par sida des hommes de 30 à 33 ans dépasse nettement la mortalité toutes causes des femmes aux mêmes âges, pendant la première moitié des années 1990.

Figure 3

Quotients de mortalité (pour 100 000) en Espagne, selon le sexe, la cause de décès et l’âge

Figure 3

Quotients de mortalité (pour 100 000) en Espagne, selon le sexe, la cause de décès et l’âge

Source : CNE.

15L’évolution de la mortalité due à l’ensemble des autres causes (hors sida) se rapproche de celle observée pour la mortalité toutes causes chez les hommes de 27 à 36 ans : en augmentation à partir du milieu des années 1980, elle diminue rapidement à partir de 1996. Cela pourrait signifier que la mortalité par sida est sous-estimée, certains décès dus à la maladie étant attribués à une autre cause. On peut émettre plusieurs hypothèses :

  • certains décès liés au sida n’ont peut-être pas été classés en tant que tels?;
  • il est possible que certains patients atteints de sida soient perdus de vue pendant le suivi, de sorte que les médecins ne sont pas toujours informés de leur décès?;
  • certains décès de sidéens ont pu être classés différemment lorsque la mortalité a un lien indirect (en cas de suicide par exemple) ou en cas de mortalité associée (intoxication par exemple).
Cette possible sous-estimation pourrait expliquer pourquoi, alors que l’Espagne se distingue très nettement des autres pays par une incidence du sida jusqu’à deux fois supérieure (Valdes, 2009), les différences de mortalité par sida sont bien moins accusées (figure 1). De fait, en Espagne, le ratio entre incidence et mortalité par sida est inférieur à ceux des autres pays. Cela traduit peut-être une plus forte sous-déclaration des décès par sida en Espagne. On ne voit en effet pas bien pourquoi la survie des sidéens serait meilleure en Espagne, notamment avant 1996 et l’introduction des multithérapies.

16Aucune étude n’a mis en évidence cette sous-estimation de la mortalité par sida. Cette non-exhaustivité de l’enregistrement des décès par sida que l’on soupçonne en Espagne signifie sans doute que le poids de la mortalité par sida analysé ici est une estimation a minima.

17En outre, l’enquête EuroHIV 2006 ne fournit pas de données pour évaluer la non-exhaustivité des systèmes de surveillance des décès par sida. Les instituts nationaux de surveillance indiquent à EuroHIV la sous-déclaration des cas de sida – de 0 % à 25 % selon le pays –, mais ne fournissent aucune estimation sur la sous-déclaration des décès (EuroHIV, 2002). Par ailleurs, cette possible sous-déclaration des décès par sida n’est pas visible dans l’analyse détaillée de la mortalité par sida en France (Bergouignan, 2005) ou en Suisse (Valdes, 2009).

L’importance de l’effet de calendrier de la mortalité par sida

18Afin de mieux apprécier l’impact du sida sur l’espérance de vie à la naissance, on peut faire un parallèle avec les accidents de la circulation, cause de décès qui touche les mêmes jeunes âges adultes, et qui était en 1994 la seconde cause de mortalité chez les jeunes de 24 à 44 ans juste après le VIH/sida (Martínez de Aragón et Llácer, 1997).

19Les gains d’espérance de vie attendus par l’élimination de la mortalité par sida et ceux attendus de l’élimination de la mortalité par accidents de la circulation sont très proches, de l’ordre de 6 mois pour les hommes et 2 mois pour les femmes (tableau 1). On peut cependant noter que, malgré une mortalité tous âges par accidents sensiblement supérieure à celle du sida, la perte en termes d’espérance de vie résultant des premiers est d’un niveau comparable à celle due au sida. Ceci s’explique par la plus forte concentration des décès par sida aux âges jeunes, par rapport aux accidents.

Tabeau 1

Espérance de vie et gains attendus par l’élimination d’une cause de décès en Espagne en 1994, pour chaque sexe

Tabeau 1
Hommes Femmes e0 observée 73,83 80,95 e0 sans sida 74,32 81,09 Gains attendus par l’élimination de la mortalité par sida : • gains en années 0,49 0,14 • gains en mois 5,83 1,68 Mortalité par sida (pour 100 000) 1?258,62 278,26 e0 sans accidents 74,37 81,13 Gains attendus par l’élimination de la mortalité par accidents : • gains en années 0,54 0,18 • gains en mois 6,48 2,21 Mortalité par accidents (pour 100 000) 4?987,04 1?569,28

Espérance de vie et gains attendus par l’élimination d’une cause de décès en Espagne en 1994, pour chaque sexe

Sources : CNE et INE.

Conclusion

20La brutalité de la diffusion du sida au cours des années 1980, associée à l’introduction rapide des multithérapies, a eu pour conséquence une concentration générationnelle massive de l’épidémie de sida et de la mortalité par sida en Espagne. Le poids du sida sur la mortalité aux jeunes âges adultes est visible.

21La courbe des risques de décès des trentenaires est marquée par une déformation passagère, mais significative, entre le milieu des années 1980 et la fin des années 1990. En 1995, en Espagne, la mortalité par sida représentait à peu près le tiers de la mortalité totale chez les jeunes de 27 à 36 ans. Touchant des personnes jeunes, l’impact du sida sur l’espérance de vie est important : les gains d’espérance de vie attendus par l’élimination de la mortalité par sida dépassent ce que l’examen de la seule incidence pourrait laisser prévoir. En outre, chez les 24-36 ans, l’observation d’une augmentation de la mortalité pour les autres causes (hors sida), suivie d’une réduction, nous fait soupçonner une sous-estimation des décès par sida à ces âges. En conséquence, le poids de la mortalité par sida en Espagne est estimé ici a minima.

22L’incidence du sida et la mortalité par sida ont fortement diminué en Espagne avec l’introduction des multithérapies et le développement de programmes de prévention et de sensibilisation face à la maladie. Cependant, le niveau de la mortalité par sida demeure élevé par rapport aux autres pays européens, notamment chez les jeunes. Après la généralisation des multithérapies, seul le Portugal connaît un niveau de mortalité par sida supérieur à l’Espagne (EuroHIV, 2007?; ECDC, 2011). Alors que la contamination du virus résultait précédemment essentiellement de l’usage de drogues par voie intraveineuse en Espagne, elle se fait désormais majoritairement par voie sexuelle, et la proportion d’immigrés découvrant leur séropositivité tardivement a considérablement augmenté (CNE, 2002?; Plan nacional sobre el sida, 2012). Or les populations ne sont pas toujours conscientes du risque encouru. Le diagnostic tardif s’explique notamment par l’absence de suspicion de l’infection, les réticences de la population à demander un test de dépistage du VIH, voire celles des médecins (Castilla et al., 2002a). Un diagnostic précoce permet aux personnes infectées de bénéficier des traitements antirétroviraux efficaces (Detels et al., 1998) et constitue un enjeu majeur car les personnes séropositives peuvent alors adopter des moyens de prévention afin de réduire la transmission du virus, tandis qu’un diagnostic tardif du VIH réduit significativement l’efficacité des antirétroviraux (Castilla et al.,2002a?; Castilla et al., 2002b).

23Si, à la fin des années 1990, les politiques de prévention menées en Espagne ont permis de considérablement réduire la transmission du sida via l’usage de drogues par voie intraveineuse, le pays doit désormais axer les efforts de prévention à l’encontre du relâchement des pratiques sexuelles et de l’accès au dépistage et aux soins pour toutes les personnes infectées, en particulier pour les populations venant de pays où l’infection est fréquente (EuroHIV, 2007?; ECDC, 2011). En novembre 2012, le ministère de la Santé espagnol estimait que l’Espagne comptait entre 120 000 et 150 000 personnes infectées par le VIH, dont un tiers ignoraient leur séropositivité, et que 46,5 % des diagnostics au VIH en 2011 ont été réalisés tardivement (Ministerio de Sanidad, 2012). Pourtant, parmi les réformes visant à réduire le déficit public, le gouvernement espagnol a décidé de retirer, à partir du 1er septembre 2012, la carte sanitaire aux « étrangers non autorisés et non enregistrés comme résidents en Espagne, [qui] n’auront accès qu’à une assistance d’urgence, s’ils sont mineurs ou s’il s’agit de femmes enceintes » [6]. Cela implique qu’entre 2 700 et 4 600 immigrants [7] en situation irrégulière n’auront plus accès aux traitements antirétroviraux en Espagne, risquant de décéder et de freiner la diminution de l’épidémie.

Notes

  • [1]
    Dès le début des années 1970, Abdel Omran tente de théoriser les changements du profil épidémiologique de la population résultant du recul de certaines pathologies et utilise le concept de « transition épidémiologique ». Le concept de « fin des maladies infectieuses » apparaît à la fin des années 1970, alors que l’on croyait avoir maîtrisé les maladies infectieuses grâce au développement des vaccins, des antibiotiques et de traitements efficaces. Pourtant, au début des années 1980, on découvre de nouvelles « infections émergentes » telles que l’infection par le VIH ou d’autres qui se caractérisent par des microbes résistant aux traitements.
  • [2]
    Cela signifie que 0,8 % des membres d’une génération connaissant toute leur vie les conditions de l’année 1994, seraient entrés dans le sida au cours de leur vie (Valdes, 2009).
  • [3]
    Les tendances portugaises semblent échapper à ce modèle, aucune baisse n’étant observée avant 2004. Cette évolution n’est pas sans poser question car une hausse des entrées dans le sida persistant malgré l’existence des multithérapies peut provenir d’un défaut de recours au dépistage.
  • [4]
    Ce plan a été suivi par le Plan multisectoriel 2001-2005, puis le Plan multisectoriel face à l’infection VIH et au sida. Espagne 2008-2012. La description de chaque plan est consultable à l’adresse suivante : http://www.msssi.gob.es/ciudadanos/enfLesiones/enfTransmisibles/sida/planesEstrat/home.htm.
  • [5]
    Seuls les fichiers destinés au Centre européen de l’Organisation mondiale de la santé de Paris et celui remis à l’Institut national de statistiques espagnol sont constitués de données anonymes.
  • [6]
    Real Decreto-ley 16/2012, de 20 de abril, de medidas urgentes para garantizar la sostenibilidad del Sistema Nacional de Salud y mejorar la calidad y seguridad de sus prestaciones.
  • [7]
    Estimations du Groupe d’étude du sida (Gesida) de la Société espagnole de maladies infectieuses et microbiologiques cliniques (SEIMC) : http://sociedad.elpais.com/sociedad/2012/07/23/actualidad/1343040296_775929.html.
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Français

L’apparition de l’épidémie de sida, au début des années 1980, a eu un impact considérable en Europe car elle est venue ranimer l’inquiétude face aux maladies infectieuses que l’on imaginait avoir réussi à maîtriser à cette époque. Ce faisant, elle a transformé non seulement la mortalité à certains âges relativement jeunes, mais aussi la perception que l’on peut avoir des besoins en matière de santé. L’Espagne présente encore aujourd’hui un niveau de mortalité par sida particulièrement important en Europe. La mortalité par sida a atteint son niveau le plus élevé dans ce pays en 1994, avant que la diffusion des multithérapies n’entraîne une réduction de la probabilité de décéder du sida. L’analyse des données de cette année permet de mettre en évidence une surmortalité par sida aux jeunes âges adultes. Ce phénomène a eu pour conséquence une déformation passagère, mais significative, des risques de décéder des trentenaires pour lesquels la mortalité par sida a représenté, au milieu des années 1990, à peu près le tiers de la mortalité totale en Espagne.

Mots-clés

  • mortalité
  • VIH
  • sida
  • Espagne
  • effet de génération
  • effet d’âge
  • multithérapies
Español

Análisis demográfico de la mortalidad por sida en España

Análisis demográfico de la mortalidad por sida en España

La aparición de la epidemia de sida a principios de los años 1980, ha tenido un gran impacto en Europa pues ha reanimado las inquietudes frente a las enfermedades infecciosas, que se consideraban controladas en esa época. De este modo, la epidemia no solo ha agravado la mortalidad a edades relativamente jóvenes sino que ha transformado la percepción que se tenía de las necesidades en el dominio de la salud. España presenta aun actualmente una mortalidad por sida particularmente importante en Europa. La mortalidad alcanzo su punto culminante en 1994, antes de que las multiterapias redujeran el riesgo de morir por sida. El análisis de los datos de ese año permite observar una sobre-mortalidad por sida en los jóvenes adultos. Este fenómeno ha tenido como consecuencia un aumento pasajero pero significativo del riesgo de morir en los treintañales, para los cuales el riesgo de morir por sida ha constituido, a mediados de los años 1990, un tercio de la mortalidad total.

Références

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Béatrice Valdes
École des hautes études en santé publique (EHESP) et IEDUB, Université Bordeaux IV.
Correspondance : Béatrice Valdes, 70 rue de Bagnolet, 75020 Paris, France courriel :
valdesbeatrice@hotmail.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 17/01/2014
https://doi.org/10.3917/popu.1303.0539
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