1La connaissance des niveaux, structures et tendances de la mortalité à une échelle géographique plus fine que l’échelle nationale est nécessaire, à la fois d’un point de vue scientifique pour mieux comprendre les ressorts des évolutions et des inégalités observées et, d’un point de vue de santé publique, pour décider où concentrer les efforts et quels types d’interventions privilégier sur quelles parties du territoire. Le travail présenté ici s’inscrit dans une tradition démographique ancienne (Blayo, 1970?; Caselli, 1986a et 1986b?; Daguet, 2005 et 2006?; Meslé et Vallin, 1998?; Nizard et Prioux, 1975?; Noin, 1973?; Salem et al., 2000?; Caselli et Vallin, 2002?; Leclerc et al., 2010). Il a pour objet de décrire les variations départementales de la mortalité en France, leur évolution depuis trente ans et leurs caractéristiques structurelles [1]. Plus concrètement, l’exposé de ces résultats s’organise autour des trois questions suivantes :
- Quelle est la géographie actuelle de la mortalité générale en France métropolitaine et comment a-t-elle évolué au cours des trente dernières années??
- Les différences départementales d’espérance de vie à la naissance correspondent-elles à des profils de mortalité par âge spécifiques??
- Quelles sont les causes de décès qui expliquent les variations géographiques de la mortalité??
2Afin de limiter l’effet des fluctuations annuelles aléatoires liées aux faibles effectifs de certains départements, nous avons travaillé sur des tables de mortalité triennales en calculant la moyenne arithmétique de l’indicateur concerné sur trois années successives. Par souci de simplicité, nous nous référons dans le texte à l’année centrale de chaque période triennale. Par exemple, l’espérance de vie à la naissance en 2007 se réfère à la moyenne arithmétique des espérances de vie à la naissance de 2006 à 2008.
I – La géographie de l’espérance de vie s’est peu modifiée en trente ans
3En 2007, l’espérance de vie à la naissance s’élevait en France métropolitaine à 77,2 ans pour les hommes et 84,3 ans pour les femmes, soit 8,1 ans et 7,0 ans de plus qu’en 1977. Ces moyennes dissimulent d’importantes variations géographiques. En 2007, la différence entre la vie moyenne des deux départements situés aux extrémités du classement (Pas-de-Calais et Hauts-de-Seine) était de 6 ans pour les hommes et de 3,4 ans pour les femmes contre 5,9 ans et 4,2 ans en 1977 (tableau annexe A.2). Globalement, les inégalités géographiques de mortalité semblent s’être maintenues pour les hommes, pour lesquels elles sont plus marquées, alors qu’elles sont moins importantes pour les femmes. En réalité elles se sont régulièrement atténuées, jusqu’au début des années 1990 chez les premiers et jusqu’au début des années 2000 chez les secondes avant de s’accroître sensiblement pour les hommes et très légèrement pour les femmes (figure 1). À son point le plus bas, l’écart d’espérance de vie à la naissance entre les départements extrêmes atteignait 5,1 ans pour les hommes (en 1991) et 3,1 ans pour les femmes (en 2002 et 2003).
Écart entre les valeurs extrêmes de l’espérance de vie à la naissance dans les départements français, pour les hommes et les femmes

Écart entre les valeurs extrêmes de l’espérance de vie à la naissance dans les départements français, pour les hommes et les femmes
Note : Les courbes représentent les droites des régressions linéaires locales pondérées (lowess, ou locally weighted scatterplot smoother). Cette méthode consiste à calculer une droite de régression en considérant une fenêtre centrée successivement sur chaque année d’observation et prenant en compte une proportion constante de points, soit 1/2 sur la figure ci-dessus.4Les figures 2 et 3 représentent l’espérance de vie à la naissance par sexe en France métropolitaine en 1977 (1976-1978) et en 2007 (2006-2008). Les départements sont répartis en cinq classes déterminées en fonction de leur distribution. La classe centrale est construite autour de la moyenne (plus ou moins un demi écart type) et les classes adjacentes s’étendent respectivement sur un et deux écarts types, de part et d’autre de la classe centrale. Lors de l’examen de ces cartes, il convient de garder à l’esprit que l’amplitude des classes est bien moindre en valeur absolue pour les femmes que pour les hommes, avec un écart entre les bornes intérieures des classes extrêmes de 2,75 ans en 1977 et 2,25 ans en 2007 pour les premières, contre 4,45 et 3,50 ans pour ces derniers. Toutes les valeurs sont représentées sur ces cartes, mais compte tenu de la faiblesse des effectifs de décès dans certains départements peu peuplés, il n’est pas exclu que la sur- ou la sous-mortalité relative observée dans ces départements soit due au hasard et ne reflète pas l’état de santé réel des populations concernées.
Espérance de vie à la naissance par département pour chaque sexe, 1976-1978

Espérance de vie à la naissance par département pour chaque sexe, 1976-1978
Espérance de vie à la naissance par département pour chaque sexe, 2006-2008

Espérance de vie à la naissance par département pour chaque sexe, 2006-2008
5Les cartes montrent la pérennité des variations géographiques sur l’indicateur général de la mortalité que constitue l’espérance de vie à la naissance. En 1977, deux zones géographiques concentraient les départements les plus défavorisés. La première formait un croissant qui s’étendait de l’Alsace au Nord-Pas-de-Calais pour les deux sexes et jusqu’à certains départements de Normandie pour les hommes (Seine-Maritime et Calvados), incluant la Lorraine (sans les Vosges pour les femmes), le nord de la Champagne-Ardenne et la Picardie (sans l’Oise pour les hommes). La deuxième zone, surtout marquée pour les hommes, recouvrait les départements bretons ainsi que le département de la Loire-Atlantique. Pour les femmes, cette zone se limitait aux trois départements bretons les plus à l’est. En 2007, on retrouve ces deux zones de forte mortalité relative, moins marquées toutefois concernant la Bretagne ainsi que l’Alsace et la Lorraine pour les hommes et la Champagne-Ardenne pour les femmes, mais ce qui frappe surtout, c’est l’expansion de la zone longeant la frontière nord du pays, particulièrement concernant les hommes. Elle se caractérise par une pénétration vers le centre, le long d’un corridor descendant de la région Champagne-Ardenne jusqu’au nord du Limousin.
6La géographie des départements à forte espérance de vie à la naissance a elle aussi évolué. En 1977, ces départements se situaient très majoritairement dans une région qui s’étendait de l’Île-de-France aux régions du sud-ouest et du sud-est. Plus précisément, pour les hommes, la première zone concernée couvrait l’Île-de-France hors Seine-Saint-Denis, les départements situés de part et d’autre de la frontière entre les Pays de la Loire et le Centre, le Poitou-Charentes, une partie du Limousin, le Midi-Pyrénées et le Languedoc-Roussillon. Pour les femmes, cette zone était interrompue au nord par la Sarthe et le Loir-et-Cher, qui en étaient exclus, mais elle recouvrait aussi l’Aquitaine. La seconde zone de faible mortalité s’étendait sur les quatre départements situés à l’extrême sud-est du pays et incluait la Haute-Corse ainsi que, pour les femmes, une partie de la région Rhône-Alpes. En 2007, cette seconde zone s’est déplacée vers le nord, s’ancrant plutôt sur cette dernière région que sur celle de Provence-Alpes-Côte d’Azur, tandis que la première zone de forte espérance de vie à la naissance éclatait en trois parties distinctes centrées sur l’Île-de-France, les Pays de la Loire (surtout marquée pour les femmes) et, pour les hommes, sur un agrégat réunissant des départements de la côte Atlantique jusqu’à l’Hérault mais excluant ceux situés le long de la frontière avec l’Espagne et, pour les femmes, une zone recouvrant la région Aquitaine (sauf la Dordogne) ainsi qu’une partie des départements de la région Midi-Pyrénées.
7En règle générale, les progrès réalisés entre 1976-1978 et 2006-2008 ont été plus importants là où l’espérance de vie à la naissance était initialement faible (mais pas la plus faible). La relation est statistiquement significative pour les deux sexes mais plus marquée pour les hommes que pour les femmes. Le fait que l’écart type ait à peine changé entre les deux périodes, se réduisant de 1,4 à 1,1 an pour les hommes et de 0,9 à 0,8 an pour les femmes, tient aux départements, peu nombreux, qui se situent aux extrêmes de la distribution.
II – L’écart d’espérance de vie entre hommes et femmes s’amenuise dans tous les départements
8Il existe une relation forte entre l’espérance de vie à la naissance des hommes et celle des femmes. Les départements dans lesquels l’espérance de vie des hommes est faible sont aussi, en règle générale, ceux dans lesquels celle des femmes l’est également. Ainsi, le Pas-de-Calais, le Nord et l’Aisne figurent en bas du classement tant pour les hommes que pour les femmes tandis que Paris et les Hauts-de-Seine figurent en tête pour chaque sexe.
9La figure 4 illustre la relation entre la différence et la moyenne des espérances de vie masculine et féminine. Elle montre que plus la mortalité est élevée, plus l’écart entre les deux sexes est important, un résultat qui n’est pas nouveau (Vallin, 1990?; Meslé et Vallin, 1998), et que reflète l’orientation des droites de régression locale pour les nuages de points correspondant à chacune des quatre périodes considérées. Cependant, la relation n’est pas linéaire comme l’indique le changement de pente de chacune des droites. La réduction de l’écart d’espérance de vie entre hommes et femmes associée à chaque année d’espérance de vie supplémentaire est plus importante parmi les départements où l’espérance de vie à la naissance est la plus élevée : dans ce groupe de départements, l’espérance de vie varie surtout pour les hommes, tandis que parmi les départements où l’espérance de vie est la plus basse, les différences entre départements sont du même ordre pour les hommes et pour les femmes. Cet effet, qui était très marqué pour les tables de mortalité des années 1976-1978 et 1986-1988, s’atténue toutefois au cours du temps : le changement de pente est beaucoup moins marqué pour le nuage de points correspondant aux années 1996-1998 et il disparaît presque complètement pour la période la plus récente. L’analyse des tendances de l’espérance de vie pour chaque sexe montre que ce phénomène traduit des progrès plus rapides de la mortalité des femmes comparée à celle des hommes dans les départements à faible espérance de vie à la naissance que dans les autres, un résultat cohérent avec le fait que les inégalités géographiques de mortalité se sont réduites pour les femmes mais pas pour les hommes depuis les années 1970.
Relation entre la différence et la moyenne d’espérance de vie à la naissance des femmes et des hommes en 1976-1978, 1986-1988, 1996-1998 et 2006-2008

Relation entre la différence et la moyenne d’espérance de vie à la naissance des femmes et des hommes en 1976-1978, 1986-1988, 1996-1998 et 2006-2008
Note : Les courbes représentent les droites des régressions linéaires locales pondérées (lowess, ou locally weighted scatterplot smoother). Cette méthode consiste à calculer une droite de régression en considérant une fenêtre centrée successivement sur chaque année d’observation et prenant en compte une proportion constante de points, soit 1/2 sur la figure.10Dans les départements du Nord (Pas-de-Calais, Nord, Aisne, Somme, Meuse, Moselle et Oise) en 2006-2008, la relation entre l’écart d’espérance de vie entre les sexes et la mortalité générale est aussi forte qu’ailleurs, mais l’écart entre les durées de vie moyennes des deux sexes est moindre que dans les autres départements à niveau d’espérance de vie comparable : par exemple, la durée de vie masculine est proche dans les départements du Nord et de la Bretagne, mais la durée de vie féminine est plus faible dans les premiers que dans les derniers. Ce résultat suggère que les facteurs responsables des inégalités géographiques de mortalité dans le Nord du pays pèsent tout autant sur les deux sexes et que, comparées aux femmes qui vivent dans d’autres zones de surmortalité en France, celles qui résident dans le Nord sont particulièrement défavorisées du point de vue de l’espérance de vie à la naissance.
III – Le poids de la mortalité adulte dans les variations géographiques d’espérance de vie
11Pour comprendre l’origine des variations géographiques de la mortalité, on peut préciser les différents profils de mortalité par âge dans les départements français au moyen d’une analyse en composantes principales (ACP) [4]. Cette analyse a été menée sur les taux comparatifs [5] de mortalité par grand groupe d’âges (0, 1-14, 15-29, 30-59, 60-79, 80 +) en 2006-2008 dans chacun des 96 départements de France métropolitaine [6].
12La représentation graphique des résultats de l’ACP met en évidence les relations entre les taux de mortalité à différents âges (figure 5). La proximité des points sur le plan factoriel traduit une forte corrélation entre les taux de mortalité correspondants. L’espérance de vie à la naissance est représentée comme variable illustrative et elle ne contribue pas à la construction des axes factoriels. Son introduction sur les graphiques est utile car, comme nous l’expliquons plus loin, elle permet d’apprécier le rôle des différents groupes d’âges sur la variabilité de l’espérance de vie à la naissance entre départements.
Les dimensions de la mortalité selon le sexe et l’âge dans les différents départements. Représentation des variables actives et supplémentaires sur les axes 1 et 2 et sur les axes 2 et 3 de l’analyse en composantes principales

Les dimensions de la mortalité selon le sexe et l’âge dans les différents départements. Représentation des variables actives et supplémentaires sur les axes 1 et 2 et sur les axes 2 et 3 de l’analyse en composantes principales
Note : Les chiffres entre parenthèses représentent la part d’inertie de chaque axe. Les espérances de vie sont des variables supplémentaires de l’analyse et elles ne contribuent pas à la construction des axes.13Les trois premiers axes de l’ACP expriment 68 % de l’inertie totale. Notons d’abord que la proximité des taux féminins et masculins par âge sur les plans de représentation des deux premiers axes de l’ACP indique des effets d’âge similaires pour les deux sexes sur les variations géographiques de la mortalité.
14Le premier axe explique à lui seul plus de 40 % de la variabilité territoriale totale. Tous les taux de mortalité au-dessus de 30 ans contribuent à sa construction. Ils se positionnent sur le plan d’analyse à l’opposé de l’espérance de vie à la naissance, montrant la forte corrélation entre les deux types d’indicateurs : plus la mortalité au-delà de 30 ans est forte dans un département, plus l’espérance de vie à la naissance est faible, et inversement. De fait, la mortalité avant 30 ans est devenue si faible en France qu’elle ne pèse presque plus sur la durée de vie. Elle ne pèse pas non plus sur les variations géographiques de la mortalité totale. Le premier axe représente donc l’intensité de la mortalité. Il oppose plus particulièrement des départements de la région parisienne (en particulier Paris, les Hauts-de-Seine et les Yvelines) où l’espérance de vie à la naissance est élevée (au moins 79,5 ans pour les hommes, 85 ans pour les femmes), aux départements du nord de la France (surtout le Pas-de-Calais, le Nord et l’Aisne) où elle est faible (inférieure à 75 ans chez les hommes, à 81,2 ans chez les femmes) (figure 6).
Les dimensions de la mortalité selon le sexe et l’âge dans les différents départements. Représentation des départements sur les trois premiers axes de l’ACP

Les dimensions de la mortalité selon le sexe et l’âge dans les différents départements. Représentation des départements sur les trois premiers axes de l’ACP
Note : Les départements contribuant le plus fortement à la construction de chacun des axes sont représentés par leur nom et par un symbole distinctif (un carré rouge, une étoile rouge et un triangle rouge pour ceux contribuant aux premier, second et troisième axes, respectivement). Les quatre départements contribuant de manière significative à la formation de deux des trois premiers axes de l’analyse sont Paris (axes 1 et 2), le Pas-de-Calais et la Meuse (axes 1 et 3), et les Alpes-de-Haute-Provence (axes 2 et 3).15Alors que les taux de mortalité au-dessous de trente ans ne contribuent pas, ou peu, à la formation du premier axe de l’ACP, ils contribuent presque exclusivement à ses deuxième et troisième composantes qui ne sont que très faiblement corrélées à l’espérance de vie à la naissance, contrairement à la première. Parmi l’ensemble des départements, quel que soit le niveau de mortalité générale, on observe en effet des différences marquées dans la structure de la mortalité des jeunes qui résulte du faible degré de corrélation entre les taux de mortalité à 0 an, 1-14 ans et 15-29 ans, un phénomène qui contraste avec les très fortes corrélations observées pour les taux de mortalité au-delà de trente ans. Le deuxième axe de l’ACP oppose les départements où la mortalité des enfants est élevée à ceux pour lesquels c’est la mortalité des adolescents et jeunes adultes qui est particulièrement forte relativement à leur niveau d’espérance de vie à la naissance (et donc sans que ces niveaux de mortalité soient nécessairement plus élevés que ceux observés pour la France entière). Le premier type de départements comprend notamment les Hautes-Alpes, le Gers, le Lot, la Haute-Loire, les Alpes-de-Haute-Provence, l’Yonne, La Haute-Corse et l’Orne, tandis que le deuxième type est particulièrement bien représenté par la Seine-Saint-Denis, le Bas-Rhin et Paris.
16Le troisième axe du plan factoriel vient nuancer l’opposition entre mortalité des enfants d’un côté et mortalité des adolescents et jeunes adultes de l’autre, en opposant plus simplement les départements à forte mortalité des moins de 30 ans aux départements à faible mortalité des moins de 30 ans (particulièrement les femmes), relativement au niveau de mortalité des adultes. Cet axe oppose également, mais de manière moins marquée, les départements à forte et à faible mortalité masculine à 60-79 ans, une forte mortalité à ces âges étant plutôt associée à une faible mortalité des jeunes des deux sexes et inversement. Les départements qui contribuent le plus à la formation du troisième axe sont l’Ariège, l’Aveyron, le Lot-et-Garonne, la Meuse, les Alpes-de-Haute-Provence et le Tarn, où la mortalité des jeunes femmes est particulièrement élevée par rapport à la mortalité des hommes adultes, ainsi que le Pas-de-Calais dont le niveau de mortalité au-dessous de 30 ans est au contraire particulièrement faible compte tenu du niveau élevé de mortalité générale dans ce département.
17Le tableau 1 résume les résultats de l’ACP en distinguant cinq profils-types de mortalité par âge définis en fonction, d’abord, du niveau de mortalité générale (espérance de vie à la naissance et mortalité à 30 ans et plus) et, ensuite, du niveau et de la structure de la mortalité au-dessous de 30 ans.
Classification des départements remarquables selon cinq profils de mortalité par âge, France métropolitaine, 2006-2008

Classification des départements remarquables selon cinq profils de mortalité par âge, France métropolitaine, 2006-2008
Note : Les départements les plus représentatifs ont été identifiés pour chaque profil en fonction de leurs coordonnées sur chacun des trois premiers axes de l’analyse.IV – Variations territoriales de la mortalité par cause de décès
18Afin de prendre en compte les causes médicales de décès au sein de chacun des grands groupes d’âges distingués ci-dessus, nous avons combiné les tables de mortalité de l’Insee et les décès par cause, sexe et âge fournis par l’Inserm [7] et calculé des taux de mortalité par sexe, grand groupe d’âges, cause de décès et département en 2006-2008 (tableau annexe A.4). Les nombreuses rubriques de la Classification internationale des maladies (utilisée par l’Inserm) ont été regroupées en 26 catégories, elles-mêmes agrégées en cinq grands groupes (tableau annexe A.5). Ces regroupements sont ceux déjà utilisés dans la chronique annuelle de conjoncture sur la France. Enfin, pour faciliter les comparaisons, les décès de cause mal définie ou indéterminée ont été proportionnellement redistribués pour chaque sexe dans chaque groupe d’âges et département.
19Il est important de garder à l’esprit que lorsqu’on travaille sur la mortalité départementale par sexe, groupe d’âges et cause de décès, les effectifs sont presque systématiquement trop faibles pour que les différences observées soient statistiquement significatives. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne le groupe d’âges 1-14 ans, la mort étant devenue un évènement particulièrement rare chez les enfants au-delà des premiers mois de la vie. Nous avons donc rassemblé les groupes d’âges 1-14 ans et 15-29 ans. Il convient néanmoins de rester prudent quant à l’interprétation des résultats présentés ici et de les considérer comme indicatifs plutôt que définitifs.
20Le tableau 2 présente la contribution de chaque catégorie de causes de décès aux variations départementales de mortalité dans chaque groupe d’âges pour les deux sexes réunis ainsi que les taux comparatifs de mortalité pour les mêmes groupes d’âges et de causes (France entière).
Variabilité interdépartementale des taux de mortalité par groupe de causes et d’âges et taux comparatifs, sexes réunis, France métropolitaine, 2006-2008

Variabilité interdépartementale des taux de mortalité par groupe de causes et d’âges et taux comparatifs, sexes réunis, France métropolitaine, 2006-2008
Note : Pour chaque groupe d’âges, la part de la variabilité de la mortalité due à un groupe de causes de décès i, est estimée par le rapport C(xi) / Var(x), avec :Var(x) = variance de la mortalité toutes causes?; C(xi) = Var(xi) + ?j ? i Covar(xi,xj)?;
Covar(xi, xj) = Covariance entre le taux de mortalité xi par la cause i et le taux xj par la cause j.
Les décès de cause mal définie ou indéterminée sont répartis proportionnellement par département, sexe et groupe d’âges.
21Le poids des différents groupes de causes dans la variabilité interdépartementale de la mortalité ne correspond pas nécessairement à leur poids dans la mortalité totale (dernière colonne du tableau 2) : tandis que les tumeurs représentent la première cause de mortalité en France, ces pathologies ne constituent que la troisième cause de variabilité territoriale. Les maladies cardio-vasculaires viennent en tête et sont responsables d’un tiers de la variabilité territoriale tous âges confondus. Cela tient surtout à leur poids à 80 ans et plus, où leur part dans la variance totale atteint 47 %. Elles jouent également pour 28 % de la variance totale à 60-79 ans mais seulement pour 16 % à 30-59 ans. Dans ces deux groupes d’âges, ce sont les tumeurs qui dominent, capturant un tiers de la variance totale, pour un quart tous âges confondus et seulement 8 % à 80 ans et plus. Les « autres maladies » jouent également un rôle important, expliquant 23 % à 30 % de la variabilité territoriale dans tous les groupes d’âges, sauf pour la première année de vie, où leur poids est massif (94 % de la variance totale) et essentiellement dû aux affections d’origine périnatales et aux anomalies congénitales, et à 1-29 ans, où il est minimal et où dominent les morts violentes (82 % de la variance totale). Ces dernières expliquent aussi 17 % de la variance totale à 30-59 ans mais leur rôle est négligeable au-dessus de 60 ans où elles n’en expliquent plus que 4 %. En ce qui concerne les autres groupes de causes, les maladies infectieuses n’interviennent de manière significative qu’à partir de 60 ans (11 % chez les 60-79 ans et 14 % chez les 80 ans et plus). Nous examinons ci-dessous plus en détail et pour chaque groupe d’âges le rôle des différentes causes dans les inégalités géographiques de mortalité entre départements, pour les deux sexes réunis avant 30 ans, pour chaque sexe au-delà (voir aussi tableau annexe A.4).
Vulnérabilités particulières pendant la période périnatale
22La mortalité infantile est devenue partout très faible en France, si bien que les taux calculés dans chaque département présentent de très fortes fluctuations aléatoires annuelles. La différence entre ces taux et celui de la France métropolitaine dans son ensemble pour les deux sexes réunis n’est statistiquement significative que dans 6 départements si l’on retient un seuil de significativité de 5 %. La mortalité est inférieure à la moyenne nationale dans 4 de ces 6 départements et supérieure dans 2 d’entre eux, le Bas-Rhin et la Seine-Saint-Denis. Au seuil de 1 %, le taux n’est différent de la moyenne nationale que dans 3 départements : il est inférieur dans les Bouches-du-Rhône et la Haute-Corse, et supérieur en Seine-Saint-Denis. Même dans le Bas-Rhin et en Seine-Saint-Denis, le taux de mortalité infantile n’est respectivement que de 5,1 ‰ et 4,8 ‰, (contre 3,7 ‰ pour la moyenne nationale), soit un niveau inférieur à celui atteint à la même période (ainsi qu’en 2011-2012) par de nombreux pays occidentaux à hauts revenus (comme l’Autriche, le Luxembourg ou les États-Unis) (Mazuy et al., 2013). Ce résultat contraste avec celui des études antérieures qui montraient encore d’importantes inégalités géographiques de mortalité infantile au milieu des années 1970, lorsque le taux variait de 10 ‰ à 17 ‰ (Caselli, 1986b). La résorption des inégalités atteste de la réussite des services de protection maternelle et infantile à travers toute la France au cours des trente dernières années, notamment dans les départements du nord où la mortalité infantile était particulièrement élevée jusqu’à la fin des années 1960 (Nizard et Prioux, 1975).
23Les pathologies auxquelles la mortalité infantile est attribuable sont très spécifiques et, comme nous l’avons vu précédemment, les causes principalement responsables de la mortalité totale sont impropres à caractériser les premiers mois de vie : 94 % de la variabilité territoriale à cet âge est attribuable aux « autres maladies », ce qui n’est pas très informatif. Sont donc distinguées les pathologies suivantes pour la mortalité infantile : les maladies infectieuses (y compris les maladies aiguës de l’appareil respiratoire, la pneumonie et la grippe), les affections d’origine périnatale, les anomalies congénitales, les morts violentes (essentiellement les accidents à cet âge), la mort subite du nourrisson, et l’ensemble des autres causes [8]. Ces catégories ont été choisies car elles ont été la principale ou l’une des principales causes de décès infantiles à une période ou une autre au cours des cinquante dernières années (Barbieri, 1998).
24À l’échelle nationale, 75 % de la mortalité infantile est attribuable à seulement deux des cinq catégories de causes définies ci-dessus, à savoir les affections d’origine périnatale et les anomalies congénitales. Si l’on exclut la catégorie résiduelle, viennent ensuite la mort subite du nourrisson, les accidents et enfin les maladies infectieuses. Même si la mortalité est plus forte pour les garçons (avec un taux de 4,1 décès pour 1?000 naissances contre 3,2 pour les filles), la structure est identique pour les deux sexes, aussi ne les distinguerons-nous pas dans l’analyse qui suit, destinée à identifier des profils types de mortalité par cause. Pour limiter l’impact des variations aléatoires, nous ne tenons compte ici que des départements dans lesquels le taux de mortalité infantile est significativement différent de la moyenne nationale [9] et ceux dans lesquels au moins 30 décès par an ont été enregistrés en moyenne au cours de la période 2006-2008. Ces départements sont au nombre de 28.
25La mortalité due aux affections d’origine périnatale et aux anomalies congénitales représente plus de la moitié du taux de mortalité infantile dans l’ensemble des départements sélectionnés. Cette part varie toutefois de 55 % à 85 %. Les départements dans lesquels elle est inférieure à 70 % sont la Haute-Corse, le Maine-et-Loire, la Charente-Maritime et la Gironde. Ceux dans lesquels elle est supérieure à 80 % sont la Haute-Garonne, Paris, le Val-de-Marne et le Bas-Rhin. Le premier groupe de départements se singularise par une proportion importante de décès attribuables soit aux accidents (c’est le cas tout particulièrement de la Haute-Corse où le taux de mortalité infantile par accidents atteint presque le double du taux pour la France entière), soit à la mort subite du nourrisson (par exemple dans le Maine-et-Loire où le taux pour cette cause est de 40 % plus élevé que la moyenne nationale).
26Dans le Bas-Rhin et la Seine-Saint-Denis, où le taux de mortalité infantile toutes causes est particulièrement élevé, ce ne sont pourtant pas les accidents ni la mort subite du nourrisson qui contribuent à la surmortalité, mais les affections d’origine périnatale (avec des taux qui atteignent plus du double de celui observé pour l’ensemble du pays). Dans le Bas-Rhin, les anomalies congénitales présentent un taux particulièrement élevé (22 pour 100?000 contre 12 pour 100?000 en Seine-Saint-Denis et seulement 8 pour la France entière) qui pourrait nécessiter une étude particulière afin de déterminer dans quelle mesure ce taux résulte d’une forte prévalence effective de malformations, et dans quelle mesure il découle de spécificités de diagnostic si ce résultat se confirme pour d’autres années. En ce qui concerne la Seine-Saint-Denis, la forte mortalité infantile pourrait provenir d’une part importante de population immigrée dans ce département, des travaux ayant montré que le statut migratoire de la mère est aujourd’hui l’un des principaux facteurs explicatifs des différences sociales de mortalité infantile en France (Niel, 2011). Dans la mesure où les décès infantiles se concentrent dans les premiers jours suivant la naissance, on peut se demander si la forte mortalité observée ne résulte pas de problèmes de suivi pendant la grossesse ou d’un accès plus difficile aux services obstétriques par les femmes concernées.
Le poids déterminant des morts violentes chez les jeunes adultes
27La courbe des quotients de mortalité atteint son minimum autour de l’âge de 10 ans et les décès sont devenus tellement rares chez les enfants au-delà des premiers mois de la vie qu’il est impossible d’établir une typologie des départements en fonction de leur structure de mortalité par cause entre 1 et 14 ans. Nous avons donc analysé ensemble les décès à 1-14 ans et 15-29 ans. Même en procédant de la sorte, le taux de mortalité à 1-29 ans pour les deux sexes réunis (très fortement influencé par la mortalité à 15 ans et plus) n’est significativement différent de la moyenne nationale que dans 12 départements (dont 5 où il est plus élevé). Le classement de ces départements est très proche pour les deux sexes mais avec des niveaux de mortalité très inférieurs pour les femmes. Les départements d’Île-de-France (notamment Paris, les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne), où les taux sont inférieurs à 30 pour 100?000 pour les hommes et 16 pour les femmes, s’opposent à l’Aisne, l’Orne, le Vaucluse et l’Yonne, où ils sont supérieurs respectivement à 60 et 24 pour 100?000, la Somme se situant à des niveaux de mortalité légèrement inférieurs (tableau 3).
28Ce sont les morts violentes qui expliquent essentiellement les différences départementales de mortalité à ces âges. Plus de 80 % de la variabilité territoriale leur est attribuable (tableau 2) bien que leur part dans la mortalité totale des 1-29 ans soit à peine supérieure à 50 %. La corrélation est très forte entre les taux de mortalité toutes causes et par mort violente à 1-29 ans (avec un coefficient de 0,93). Au sein de ce grand groupe de causes, ce sont les accidents de la circulation et (pour les 15-29 ans) les suicides qui dominent. Si l’on concentre l’analyse des causes de décès sur les 12 départements dont le taux toutes causes pour les deux sexes est significativement différent (avec un seuil de 5 %) de la moyenne nationale, d’autres maladies, pour les hommes uniquement, opposent très clairement les zones de faible mortalité à celles de forte mortalité (au-dessus et au-dessous de la ligne pointillée dans le tableau 3). Ce sont essentiellement l’alcoolisme et les cirrhoses auxquels s’ajoutent les maladies mentales et du système nerveux. Les taux correspondant à ces maladies sont très faibles, même dans les départements les plus concernés (Aisne, Yonne et Orne) et leur part dans la mortalité totale comme dans la variabilité territoriale est négligeable à ces âges. Ils sont toutefois révélateurs des problèmes à l’origine de la surmortalité dans ces départements. L’ensemble de ces causes associées aux morts violentes reflète la forte prévalence de conduites à risque dans ces populations, traduisant des difficultés d’intégration sociale et économique particulières pour les jeunes hommes de ces départements.
Taux comparatif de mortalité à 1-29 ans en France métropolitaine (pour 100?000) et rapport des taux par cause dans les départements sélectionnés à la moyenne nationale (%), 2006-2008

Taux comparatif de mortalité à 1-29 ans en France métropolitaine (pour 100?000) et rapport des taux par cause dans les départements sélectionnés à la moyenne nationale (%), 2006-2008
Notes : Pour chaque sexe séparément, les départements sont classés sur le taux de mortalité toutes causes à 1-29 ans et la ligne en pointillé sépare les départements à faible mortalité (au-dessus) des départements à forte mortalité (au-dessous). Pour les taux comparatifs, la population de référence est celle de la France métropolitaine en 2007, les deux sexes réunis.Champ : 12 départements dont le taux de mortalité à 1-29 ans est significativement différent de la France métropolitaine.
Les cancers responsables de la mortalité prématurée entre 30 et 60 ans
29À partir de 30 ans, la mortalité augmente et les populations à risque demeurent nombreuses, de ce fait les fluctuations aléatoires diminuent et des zones géographiques cohérentes de sur- et de sous-mortalité apparaissent. Comme pour les groupes d’âges précédents, nous concentrons l’analyse sur les départements dont le taux toutes causes est significativement différent de la moyenne nationale (au seuil de 5 %), mais cette fois en distinguant la mortalité selon le sexe. Les départements qui s’écartent de manière significative de la moyenne sont beaucoup plus nombreux : 47 pour les hommes et 29 pour les femmes (sur 96 départements).
30Le taux de mortalité toutes causes à 30-59 ans varie du simple au double entre les départements extrêmes de la distribution, de la Haute-Savoie (taux de 278 pour 100?000 pour les hommes et 119 pour les femmes) au Pas-de-Calais (où ces taux atteignent respectivement 571 et 236 pour 100?000). La géographie de la mortalité à ces âges se rapproche de celle de l’espérance de vie à la naissance (figure 7). Pour les hommes comme pour les femmes, la mortalité est forte dans les départements situés le long de la frontière belge ainsi que dans une partie de la Normandie (en particulier dans l’Eure pour les femmes). Pour les hommes surtout, elle est également élevée en Bretagne ainsi que dans une zone centrée sur le Cher et la Nièvre et qui remonte jusqu’à la Lorraine. Au contraire, la mortalité est relativement faible dans les départements de la région Rhône-Alpes et le long d’un axe qui s’étend du Midi-Pyrénées (Gers et Haute-Garonne) et remonte pratiquement jusqu’à la région Rhône-Alpes tout en excluant la Lozère, plutôt défavorisée. La mortalité est également faible à ces âges en Île-de-France mais moins pour les femmes que pour les hommes ainsi que, pour ces derniers, en Alsace. Une dernière région de faible mortalité, particulièrement étendue pour les femmes, recouvre les Pays de la Loire et une partie du Poitou-Charentes.
Taux de mortalité à 30-59 ans par département pour chaque sexe (pour 100?000), 2006-2008

Taux de mortalité à 30-59 ans par département pour chaque sexe (pour 100?000), 2006-2008
31La plus grande part des décès à 30-59 ans est attribuable aux cancers, surtout chez les femmes pour qui cette cause représente 50 % du taux toutes causes (contre 38 % chez les hommes). Un peu plus d’un tiers de la variabilité territoriale de la mortalité à 30-59 ans est également dû aux cancers, à part égale pour les femmes avec les autres maladies (contre un quart pour les hommes). Les maladies cardio-vasculaires expliquent 15 % de la variance du taux chez les hommes et 17 % chez les femmes, et les morts violentes respectivement 19 % et 10 %.
32Une analyse de la variabilité à un niveau de détail plus fin pour les causes de décès se révèle très instructive. Lorsque l’on distingue les différents types de cancers, la principale source d’inégalité géographique de mortalité à ces âges est le cancer du poumon chez les hommes (10 % de la variance du taux toutes causes). Chez les femmes, le cancer du poumon est devancé par le cancer du sein (ces deux cancers expliquant 5 % et 8 % de la variance). Les maladies de l’alcool (alcoolisme et cirrhose du foie) expliquent la plus grande part du rôle joué par les « autres maladies » dans les variations géographiques de la mortalité à 30-59 ans (17 % pour les hommes comme pour les femmes). Enfin, parmi l’ensemble des causes externes, ce sont les suicides qui présentent la plus grande part de variabilité (13 % de la variance totale pour les hommes sur 19 % pour l’ensemble de la mortalité par morts violentes, et 6 % pour les femmes sur 10 % pour ce groupe de causes). En revanche, le rôle des accidents de la route est négligeable à ces âges (1 % de la variation territoriale pour chacun des deux sexes).
33À titre illustratif, le tableau 4 présente les taux comparatifs de mortalité par cause à 30-59 ans dans les dix départements situés aux deux extrêmes de la distribution pour chaque sexe (parmi tous ceux dont le taux est significativement différent de la moyenne nationale) [10] et leur rapport aux taux pour la France métropolitaine dans son ensemble. Ces résultats confirment les grandes tendances décrites dans le paragraphe précédent et apparaissent très cohérents : les taux par cause sont quasiment tous inférieurs à la moyenne dans les départements à faible mortalité générale et supérieurs dans ceux à forte mortalité, surtout chez les hommes pour lesquels la seule exception est la mortalité par accidents de transport. Certaines causes semblent toutefois jouer un rôle particulièrement important pour expliquer la surmortalité observée dans les départements du Nord. Pour les hommes ce sont les cancers, et notamment le cancer du poumon, les maladies cardio-vasculaires, les suicides et, surtout, les maladies de l’alcool et la catégorie résiduelle des « autres maladies ». Pour les femmes, le cancer du poumon et les morts violentes sont moins systématiquement associés à la mortalité générale, tandis que les maladies cardio-vasculaires, les maladies mentales et du système nerveux, les « autres maladies » et surtout, comme pour les hommes, l’alcoolisme et les cirrhoses du foie opposent tout particulièrement les départements à faible et à forte mortalités. On retrouve donc en partie le rôle des comportements individuels sur la mortalité (notamment tabagisme et consommation d’alcool) et ses variations territoriales que l’on pressentait dans le groupe d’âges précédent. Une étude publiée par Alfred Nizard et France Prioux (1975) montrait déjà le poids des comportements individuels, et notamment de l’alcoolisme, dans les inégalités géographiques de mortalité en général et en particulier dans ce groupe d’âges pour les hommes au cours des années 1960.
Taux comparatif de mortalité à 30-59 ans en France métropolitaine (pour 100?000) et rapport des taux par cause à la moyenne nationale (%) dans les départements sélectionnés, 2006-2008

Taux comparatif de mortalité à 30-59 ans en France métropolitaine (pour 100?000) et rapport des taux par cause à la moyenne nationale (%) dans les départements sélectionnés, 2006-2008
Notes : Les départements sont classés sur le taux de mortalité toutes causes à 30-59 ans et la ligne en pointillé sépare les départements à faible mortalité (au-dessus) des départements à forte mortalité (au-dessous). Pour les taux comparatifs, la population de référence est celle de la France métropolitaine en 2007, les deux sexes réunis.Champ : Pour chaque sexe séparément, 10 départements extrêmes parmi tous ceux dont le taux de mortalité toutes causes à 30-59 ans est significativement différent de la France métropolitaine.
Cancer chez les hommes et maladies cardio-vasculaires chez les femmes expliquent les variations interdépartementales entre 60 et 80 ans
34Plus encore qu’à 30-59 ans, les variations géographiques de la mortalité à 60-79 ans coïncident fortement avec celles de l’espérance de vie à la naissance et la corrélation entre les deux indicateurs atteint son maximum pour ce groupe d’âges. La corrélation est particulièrement élevée pour les hommes. La forte mortalité observée entre 60 et 80 ans dans les 5 départements les plus défavorisés contribue pour 40 % à 50 % de la différence totale d’espérance de vie à la naissance avec la moyenne nationale chez les hommes et de 22 % à 43 % chez les femmes. Les cartes présentent par ailleurs une très grande cohérence, avec de nets regroupements géographiques (figure 8). Le taux toutes causes varie de 1?769 pour 100?000 dans le Tarn à 3?172 dans le Pas-de-Calais chez les hommes, et de 832 dans les Hautes-Alpes à 1?380 dans le Nord chez les femmes.
Taux de mortalité à 60-79 ans par département pour chaque sexe (pour 100 000), 2006-2008

Taux de mortalité à 60-79 ans par département pour chaque sexe (pour 100 000), 2006-2008
35Trois zones de surmortalité apparaissent sur les cartes, proches de celles identifiées pour la mortalité à 30-59 ans mais mieux circonscrites. La principale zone de surmortalité, qui touche les deux sexes, longe la frontière nord et pénètre vers l’intérieur du pays. Cette zone forme une large bande qui s’étend tout le long de la frontière nord du pays et inclut tous les départements de Haute-Normandie, de Picardie, du Nord-Pas-de-Calais, de Champagne-Ardenne, de la Lorraine et de l’Alsace (sauf le Haut-Rhin pour les hommes). Cette zone recouvre également une partie de l’Île-de-France (départements de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne) et se prolonge par une seconde zone qui descend jusqu’au centre (interrompue par l’Aube, plus proche de la moyenne, pour les hommes). Cette deuxième zone est centrée sur les départements situés à la frontière des régions Centre, Bourgogne et Auvergne et elle est un peu plus étendue pour les hommes (atteignant le Cantal) que pour les femmes. Pour les hommes, la carte montre également une surmortalité relative dans les trois départements bretons situés les plus à l’ouest.
36La sous-mortalité concerne quatre zones bien délimitées situées au sud-est, au sud-ouest, au centre-ouest et en Île-de-France. Une première zone de plus faible mortalité recouvre presque tous les départements de la région Rhône-Alpes, ainsi que le Jura pour les femmes. Elle inclut aussi pour celles-ci tous ceux de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (à l’exception du Vaucluse et des Bouches-du-Rhône), auxquels s’ajoute la Haute-Corse. Chez les hommes, cette zone est un peu moins étendue, excluant l’Ardèche, l’Ain et le Jura, mais elle comprend en outre la Corse-du-Sud. La deuxième zone de plus faible mortalité des hommes comprend le Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées (sauf les Hautes-Pyrénées et les Pyrénées-Orientales) auxquels viennent s’agréger les Pyrénées-Atlantiques à l’ouest ainsi que le Lot-et-Garonne, un peu plus au nord. Chez les femmes, cette deuxième zone est plus morcelée et plutôt centrée sur l’Aquitaine (sans la Dordogne), excluant l’Aude et le Tarn-et-Garonne. Une troisième zone de sous-mortalité est ancrée sur les départements des Pays de la Loire. Elle inclut pour les deux sexes la Mayenne, le Maine-et-Loire, l’Indre-et-Loire, la Vienne et les Deux-Sèvres. S’y ajoutent, pour les hommes, la Sarthe et, pour les femmes, les trois départements à l’ouest de cette zone (Ille-et-Vilaine, Loire-Atlantique et Vendée). Enfin, les départements du quart sud-ouest de l’Île-de-France, à savoir les Hauts-de-Seine, les Yvelines et l’Essonne, ainsi que, pour les hommes, Paris et le Val-de-Marne, constituent la quatrième zone de sous-mortalité à 60-79 ans.
37La structure des causes à l’origine des variations géographiques de mortalité à 60-79 ans n’est pas exactement la même pour les deux sexes. Les tumeurs continuent à jouer un rôle important dans l’explication des différences territoriales, surtout chez les hommes où elles sont encore la première cause de variabilité, capturant près de 40 % de la variance du taux toutes causes, dont un quart (10 %) attribuable au seul cancer du poumon. La mortalité masculine due à ce type de cancer est 20 % à 30 % supérieure dans les départements où le taux toutes causes est élevé et, inversement, de 10 % à 25 % inférieure dans ceux à faible mortalité totale, par comparaison à la moyenne nationale (tableau 5). Chez les femmes, les cancers ne viennent plus qu’en troisième position (avec 27 % de la variabilité totale à ces âges, dont seulement 1 % attribuable au cancer du poumon).
Taux comparatif de mortalité à 60-79 ans en France métropolitaine (pour 100?000) et rapport des taux par cause à la moyenne nationale (%) dans les départements sélectionnés, 2006-2008

Taux comparatif de mortalité à 60-79 ans en France métropolitaine (pour 100?000) et rapport des taux par cause à la moyenne nationale (%) dans les départements sélectionnés, 2006-2008
Notes : Les départements sont classés sur le taux de mortalité toutes causes à 60-79 ans et la ligne en pointillé sépare les départements à faible mortalité (au-dessus) des départements à forte mortalité (au-dessous). Pour les taux comparatifs, la population de référence est celle de la France métropolitaine en 2007, les deux sexes réunis.Champ : Pour chaque sexe séparément, 10 départements extrêmes parmi tous ceux dont le taux de mortalité toutes causes à 60-79 ans est significativement différent de la France métropolitaine.
38Pour celles-ci, les maladies cardio-vasculaires expliquent l’essentiel des variations géographiques de mortalité (32 % de la variabilité totale, contre 26 % chez les hommes), notamment les maladies du cœur (8 % de la variabilité est attribuable aux maladies ischémiques, comme pour les hommes?; 15 % aux autres maladies du cœur, 10 % chez les hommes). Le contraste est très clair pour les deux sexes entre les taux correspondant à ces causes dans les départements à forte mortalité comparés à la France entière et ceux des départements à faible mortalité. Ce phénomène est surtout apparent chez les femmes, pour lesquelles ces taux sont supérieurs de 30 % à 50 % à la moyenne nationale dans les trois départements les plus défavorisés, à savoir l’Aisne, le Pas-de-Calais et le Nord (tableau 5).
39Parmi l’ensemble des autres maladies, notons le poids de celles liées à une forte consommation d’alcool dans les deux départements les plus défavorisés : dans le Nord et le Pas-de-Calais, le taux de mortalité par alcoolisme et cirrhose du foie atteint plus de deux fois le taux pour la France entière chez les femmes, et il lui est supérieur de plus de 70 % chez les hommes. Si l’on considère l’ensemble des départements et non plus seulement ceux du tableau 5, l’alcoolisme contribue également pour une part non négligeable à la variabilité totale (6 % chez les hommes et 5 % chez les femmes). Les maladies du système respiratoire jouent aussi un rôle important dans la surmortalité observée dans les départements situés dans le nord, ce qui est peu surprenant compte tenu du fait que l’alcoolisme et la pollution environnementale et industrielle sont des facteurs de risque importants, ainsi que l’exposition professionnelle à certains pathogènes. Elles expliquent une plus grande part des inégalités géographiques de mortalité que les maladies ischémiques, soit 9 % chez les hommes et 7 % chez les femmes.
40Enfin, c’est pour ce groupe d’âges que les morts violentes jouent le plus faible rôle dans la variabilité territoriale de la mortalité (moins de 5 % pour chacun des deux sexes) du fait de leur faible part dans la mortalité générale. Les taux de mortalité pour les causes externes sont toutefois assez bien corrélés avec ceux de la mortalité toutes causes, et ils sont presque toujours plus élevés pour les hommes dans les départements à forte mortalité que pour la France dans son ensemble (jusqu’à 40 % de plus dans la Somme).
À 80 ans et plus, toutes les causes contribuent aux variations géographiques de mortalité
41La géographie de la mortalité à 80 ans et plus est proche de celle du groupe d’âges précédent mais les écarts entre départements sont beaucoup moins prononcés (figure 9). De fait, les tests de significativité statistique des différences entre départements et France entière indiquent que pour la majorité d’entre eux, les écarts ne sont pas suffisamment importants pour être distingués des fluctuations aléatoires, surtout pour les hommes pour lesquels le niveau général de mortalité ne diffère de la moyenne que dans 22 départements, contre 48 pour les femmes.
Taux de mortalité à 80 ans et plus par département pour chaque sexe (pour 100 000), 2006-2008

Taux de mortalité à 80 ans et plus par département pour chaque sexe (pour 100 000), 2006-2008
42Les départements à forte mortalité se situent autour des trois foyers déjà identifiés pour les autres groupes d’âges : les trois départements les plus à l’ouest de la Bretagne, les régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie avec un glissement vers les départements situés plus à l’est (Ardennes, Marne –?uniquement pour les hommes?–, Haute-Marne, tous les départements de la Lorraine et jusqu’à la Haute-Saône et le Territoire de Belfort), auxquels viennent s’agréger pour les femmes les deux départements alsaciens. Quelques autres départements éparpillés dans le centre du pays se caractérisent également par des taux de mortalité à 80 ans et plus supérieurs à la moyenne, à savoir, pour les deux sexes, l’Yonne, l’Indre, la Creuse, la Haute-Loire et, pour les hommes la Nièvre, le Puy-de-Dôme et le Cantal, pour les femmes la Lozère.
43Enfin, une zone se détache particulièrement des autres par sa faible mortalité : elle réunit Paris, les Hauts-de-Seine, le Val-de-Marne, les Yvelines et l’Essonne ainsi que, dans une moindre mesure, et surtout pour les femmes, un groupe de départements centré sur les Pays de la Loire et la partie ouest de la région Centre. On peut s’interroger sur le rôle des mesures de prévention mises en place après la vague de chaleur de 2003. Parce que la crise fut particulièrement meurtrière en région parisienne, il est possible que les interventions y aient été d’autant plus effectives et aient contribué à une baisse de la mortalité aux âges élevés plus rapide que dans le reste du pays (Toulemon et Barbieri, 2008?; Rey et al., 2007).
44Le taux de mortalité à ces âges dans les départements où il est significativement différent de la moyenne varie de 9?639 pour 100?000 à Paris à 14?168 dans le Pas-de-Calais pour les hommes et de 6?443 à 9?646 dans les mêmes départements extrêmes pour les femmes. Le taux le plus élevé chez les femmes est donc à peu près du même ordre que le taux le plus faible chez les hommes.
45Au-delà de 80 ans, les maladies cardio-vasculaires (essentiellement les maladies du cœur) jouent le premier rôle tant chez les hommes que chez les femmes et presque la moitié de la variabilité territoriale leur est attribuée. Une autre part importante de cette variabilité est attribuable pour les femmes aux maladies mentales et du système nerveux (14 % contre 8 % pour les hommes) et pour les hommes aux maladies de l’appareil respiratoire (19 % contre 9 % pour les femmes). Signalons pour les premières la place des démences séniles et de la maladie d’Alzheimer dans la mortalité générale. La maladie d’Alzheimer constitue la deuxième cause de mortalité féminine après les arrêts du cœur (sixième chez les hommes après certaines maladies de l’appareil circulatoire, dont les infarctus du myocarde, le cancer de la prostate et le cancer du poumon). Si les taux de mortalité par cancer demeurent élevés à ces âges, leur rôle dans les disparités territoriales devient négligeable, y compris en ce qui concerne le cancer du poumon (qui ne contribue plus que pour 2 % à la variabilité territoriale totale chez les hommes et 1 % chez les femmes). Quant aux morts violentes, leur influence est à peine plus élevée qu’à 60-79 ans et elles expliquent moins de 5 % des différences géographiques de mortalité à 80 ans et plus.
46Toutes les causes de mortalité présentées dans le tableau 6 interviennent toutefois pour expliquer la situation des départements les plus désavantagés, y compris les cancers du poumon chez les hommes et les morts violentes pour les deux sexes. En ce qui concerne le suicide, le contraste est particulièrement frappant entre les départements de la région parisienne et les départements du Nord, avec des taux qui varient chez les hommes de 9 pour 100?000 à Paris (mais 78 pour 100?000 dans les Yvelines) à 171 pour 100?000 dans l’Aisne (133 dans le Nord). Les variations sont donc considérables pour cette cause, y compris au sein des départements les plus favorisés. Pour les femmes, on ne retrouve pas de relation systématique entre niveau de mortalité générale et mortalité par suicide. Pour les départements du tableau 6 comme pour les autres, la relation est très forte pour les deux sexes entre la mortalité générale et celle attribuable aux maladies du système cardio-vasculaire, à la consommation d’alcool, aux maladies infectieuses (surtout aux maladies du système respiratoire) et aux maladies mentales et du système nerveux.
Taux comparatif de mortalité à 80 ans et plus en France métropolitaine (pour 100 000) et rapport des taux par cause à la moyenne nationale (%) dans les départements sélectionnés, 2006-2008

Taux comparatif de mortalité à 80 ans et plus en France métropolitaine (pour 100 000) et rapport des taux par cause à la moyenne nationale (%) dans les départements sélectionnés, 2006-2008
Notes : Les départements sont classés sur le taux de mortalité toutes causes à 80 ans et plus et la ligne en pointillé sépare les départements à faible mortalité (au-dessus) des départements à forte mortalité (au-dessous). Pour les taux comparatifs, la population de référence est celle de la France métropolitaine en 2007, les deux sexes réunis.Champ : Pour chaque sexe séparément, 10 départements extrêmes parmi tous ceux dont le taux de mortalité toutes causes à 80 ans et plus est significativement différent de la France métropolitaine.
Discussion et conclusion
47Les disparités géographiques de mortalité demeurent marquées en France métropolitaine depuis trente ans. Si elles ont diminué chez les femmes, elles sont restées tout aussi fortes chez les hommes. Comme dans les années 1960, les régions les plus défavorisées sont le Nord, l’Alsace et la Bretagne, malgré des progrès plus rapides que la moyenne dans cette dernière région (Nizard et Prioux, 1975). La mortalité est au contraire plus faible à Paris et dans les départements situés au sud-ouest de l’Île-de-France ainsi que dans les départements de la région Rhône-Alpes, de Midi-Pyrénées (surtout pour les hommes) et, pour les femmes, ceux situés dans le nord du Poitou-Charentes ainsi que dans les Pays de la Loire. Cette dernière région a bénéficié d’une augmentation particulièrement rapide de l’espérance de vie à la naissance au cours des trente dernières années.
48Les variations départementales d’espérance de vie à la naissance sont étroitement associées aux variations de la mortalité à partir de 30 ans et tout particulièrement à 60-79 ans, mais pas systématiquement à celles de la mortalité des enfants. Par exemple, la mortalité infantile est élevée dans les départements d’Alsace et de Lorraine mais plutôt proche de la moyenne dans le Nord-Pas-de-Calais et faible en Bretagne. Entre 30 et 60 ans, les différences de mortalité par tumeurs expliquent la plus grande part de la variabilité territoriale (notamment par cancer du poumon chez les hommes). Les maladies directement associées à l’alcoolisme ainsi que les suicides contribuent de manière très importante aux inégalités géographiques de mortalité dans ce groupe d’âges et dans les suivants malgré leur faible part dans la mortalité générale. Les variations interdépartementales entre les taux de mortalité par suicide et par maladies liées à l’alcoolisme sont globalement corrélées, mais avec de nombreuses exceptions. Les tumeurs continuent de peser sur les inégalités de mortalité entre 60 et 80 ans mais sont devancées chez les femmes par les maladies cardio-vasculaires (principalement du cœur). Les maladies du système respiratoire interviennent également pour les deux sexes. C’est à partir de 80 ans que les maladies cardio-vasculaires (y compris cérébro-vasculaires) jouent un rôle majeur sur la variabilité territoriale, expliquant 50 % des variations chez les femmes et 40 % chez les hommes. Mais dans les départements du Nord à faible espérance de vie à la naissance, la mortalité attribuable à l’alcoolisme et pour les hommes aux suicides contribue encore à cette variabilité.
49La littérature souligne le poids des inégalités économiques et sociales dans les disparités géographiques de mortalité et, plus généralement, de santé en France (Nizard et Prioux, 1975?; Caselli, 1986b?; Salem et al., 2000). Les différences de mortalité entre catégories socioprofessionnelles (selon la profession et le niveau d’instruction) expliquent par exemple le contraste entre les départements parisiens à forte proportion de catégories très favorisées (cadres et professions intellectuelles supérieures) et les départements du Nord à forte proportion d’ouvriers non qualifiés (Daguet, 2006). La désindustrialisation et la croissance du chômage dans les bassins miniers du Nord-Pas-de-Calais et de Picardie favorisent sans aucun doute les comportements nuisibles (consommation d’alcool et de tabac notamment) ainsi que les suicides, les maladies mentales et du système nerveux. La surmortalité des ouvriers, qui a moins diminué au cours des années 1970 et 1980 que celle des autres catégories sociales, ainsi que celle des chômeurs, sont bien documentées, de même que le rôle de ces facteurs de risque dans ces populations particulièrement défavorisées (Desplanques, 1984). Les relations sont toutefois complexes entre la situation économique et la mortalité dans les départements français. Si pauvreté, inégalités de revenus et chômage sont effectivement élevés dans le Nord du pays, ils sont plutôt faibles en Bretagne, où l’espérance de vie à la naissance est presque aussi basse. Inversement, ces indicateurs sont élevés dans les départements du pourtour méditerranéen où la durée de vie est en revanche proche, voire supérieure à la moyenne. La faiblesse des indicateurs socio-économiques dans les départements du Sud pourrait toutefois être compensée par d’autres facteurs, comme par exemple une alimentation plus saine (le fameux « régime méditerranéen ») jouant favorablement sur les deux premières causes de décès en France (cancers et maladies cardio-vasculaires).
50La migration sélective constitue un autre facteur explicatif potentiellement important des inégalités départementales de mortalité en France. Ce phénomène intervient lorsqu’il existe une différence entre migrants et non-migrants en termes d’état de santé ou de comportements susceptibles d’influencer la santé, ce qui est typiquement le cas des migrations pour raison économique (ou, pour les jeunes, afin d’accéder au système d’enseignement supérieur) : ceux qui partent sont globalement en meilleure santé que ceux qui restent, surtout en ce qui concerne les bassins d’emploi déprimés, et ils reviennent rarement vivre dans leur département d’origine (Bentham, 1988?; Norman et al., 2005?; Van Lenthe et al., 2007). Certaines migrations sont à l’inverse liées à la mauvaise santé, notamment pour les personnes âgées qui se rapprochent de leurs enfants quand leur santé décline. Des travaux spécifiques, en particulier sur les départements du Nord et de la Bretagne, permettraient de faire la part de ce qui relève des caractéristiques individuelles, ce qui est attribuable aux conditions locales (services de santé et environnement socio-économique) et ce qui résulte des mouvements de population entre départements dans la surmortalité observée.
51L’étude présentée ici est essentiellement exploratoire, dans la mesure où la mortalité a aujourd’hui atteint en France un niveau faible avant 60 ans, si bien que les fluctuations aléatoires sont considérables au niveau des départements, surtout lorsqu’on décompose la mortalité en fonction de ses différentes causes. Malgré les précautions prises en ne présentant que des résultats relativement stables, ceux-ci demandent à être confirmés par des travaux complémentaires et doivent être interprétés avec précaution. La poursuite des recherches sur ces questions est d’autant plus fondamentale que, loin de se réduire, les inégalités de mortalité se creusent depuis le milieu des années 1990, en particulier pour les hommes, alors qu’elles avaient eu plutôt tendance à se réduire au cours de la période antérieure.
52Remerciements
Je remercie Jacques Vallin pour ses conseils et suggestions concernant une version initiale de cet article, tout en assumant la pleine responsabilité de son contenu final.
Carte des départements et régions de la France

Carte des départements et régions de la France

Caractéristiques de la mortalité générale dans les départements de France métropolitaine en 2006-2008*

Caractéristiques de la mortalité générale dans les départements de France métropolitaine en 2006-2008*

Taux comparatif* de mortalité (p. 100?000) par sexe, département et groupe d’âges en 2006-2008

Taux comparatif* de mortalité (p. 100?000) par sexe, département et groupe d’âges en 2006-2008

Taux comparatif* de mortalité (p. 100?000) par sexe, département et groupe de causes de décès en 2006-2008

Taux comparatif* de mortalité (p. 100?000) par sexe, département et groupe de causes de décès en 2006-2008

Taux comparatif* de mortalité (p. 100?000) par sexe, département et groupe de causes de décès en 2006-2008

Taux comparatif* de mortalité (p. 100?000) par sexe, département et groupe de causes de décès en 2006-2008

Groupes de causes de décès et rubriques correspondantes de la Classification internationale des maladies (10e révision)

Notes
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[1]
Le tableau annexe A.1 permet de situer les départements et leur région d’appartenance.
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[2]
Les tables de mortalité ne sont pas disponibles pour les départements d’outre-mer sur la période considérée.
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[3]
Les tables annuelles de mortalité sont calculées par l’Insee à partir de la statistique des décès et des estimations de population établies sur la base des recensements de population.
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[4]
Les analyses présentées ici ont été réalisées avec le package FactoMineR du logiciel R (Husson et al., 2009), qui utilise le coefficient de Pearson comme indice de similarité.
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[5]
Les taux comparatifs sont calculés pour chaque sexe et au sein de chaque groupe d’âges en utilisant la population de la France métropolitaine des deux sexes au 1er juillet 2007 comme structure de référence.
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[6]
Il est possible, dans ce type d’analyse, de « normaliser » les valeurs utilisées (les variables étant centrées et réduites). Nous n’avons pas suivi cette procédure car nous ne souhaitons pas accorder le même poids aux taux les plus faibles (ceux correspondant à la mortalité des enfants et des jeunes) qu’aux taux les plus élevés (des personnes âgées), qui pèsent beaucoup plus sur l’espérance de vie à la naissance.
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[7]
Plus précisément par le CepiDc de l’Inserm.
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[8]
Ces 6 groupes de causes correspondent aux catégories suivantes de la Classification internationale des maladies (CIM) dans sa 10e révision : les maladies infectieuses : A00-A99, B00-B99, J00-J06, J09-J18 et J20-J22?; les affections d’origine périnatale : P00-P99?; les anomalies congénitales : Q00-Q99?; les accidents : V00-Y99?; la mort subite du nourrisson : R95?; les autres causes : tous les autres codes de la CIM.
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[9]
Avec un seuil de significativité statistique de 5 %.
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[10]
Soulignons toutefois que si la différence entre le taux toutes causes dans chacun des départements sélectionnés et le taux pour la France entière est statistiquement significative (au seuil de 5 %), ce n’est pas le cas des taux par cause dont la différence avec la moyenne nationale n’est qu’exceptionnellement significative. C’est donc de la cohérence globale des structures de mortalité par cause en relation avec la mortalité totale que l’on peut tirer des indications générales plutôt que de l’examen de tel ou tel département en particulier.