1Les données historiques sur le veuvage et le remariage en Italie sont fragmentaires et la démographie historique a davantage investi l’étude de la mortalité et de la fécondité que celle des unions. Le veuvage et le remariage sont pourtant des éléments importants de la dynamique démographique qui dépendent des structures sociales et de la position respective des hommes et des femmes dans la société. En Sardaigne, la place qu’occupaient les femmes dans la vie sociale et économique explique en partie la fréquence des remariages. Partant de ce constat, Stanislao Mazzoni, Marco Breschi, Massimo Esposito et Lucia Pozzi analysent le modèle matrimonial sarde et en particulier la dynamique du remariage des veuves et des veufs. À partir d’une exploitation fine des registres paroissiaux et d’état civil de la ville d’Alghero, les auteurs reconstituent l’évolution des remariages de la 2nde moitié du xixe siècle au premier quart du xxe siècle, période de sécularisation de l’État qui affecte l’enregistrement des mariages religieux. Au moyen d’une approche longitudinale micro-individuelle, les auteurs mettent en évidence les principaux ressorts du remariage en Sardaigne.
2Le remariage en Sardaigne représente un sujet particulièrement intéressant pour l’étude des comportements de nuptialité. Les femmes jouaient en effet un rôle important dans la société sarde par comparaison aux autres régions italiennes. Dès l’époque médiévale, les femmes prenaient une part active aux décisions familiales, y compris dans la gestion des ressources économiques, elles étaient également chargées des rapports entre la famille et la société. La femme était le pivot de la famille et, du fait de la reconnaissance de son rôle, elle était souvent inclue dans la transmission de l’héritage (Da Re, 1990?; Murru Corriga, 1990?; Oppo, 1990, 1993).
3La société sarde se caractérisait par un modèle de nuptialité original, différent de celui qui prévalait dans la plupart des autres régions italiennes. Dès le haut Moyen Âge, on concluait les mariages dans le cadre d’un régime de propriété propre à cette communauté (Di Tucci, 1928). En langue sarde, le mariage était qualifié de Sa sardisca, c’est-à-dire le mariage selon la coutume sarde, par opposition à Sa pisanisca, la coutume caractéristique de la Toscane et du reste de l’Italie. Les biens communs du couple comprenaient non seulement les objets matériels apportés par chaque conjoint lors du mariage, appelés fundamentales, mais aussi tous les biens acquis depuis leur mariage, nommés comporus.
4Ces deux types de biens étaient habituellement considérés comme appartenant au couple et, en cas de succession, répartis équitablement entre les enfants (y compris les filles) et le conjoint survivant (Miscali, 2008). L’unification de l’Italie et l’introduction du Code civil (1865) n’apportèrent guère de changement à la situation globale de la Sardaigne ni aux coutumes matrimoniales. La majorité des couples sardes se conformaient à la tradition séculaire et appliquaient la formule?:
« Les époux déclarent vouloir bénéficier des dispositions du chapitre III, titre VIII, livre III du Code civil en vigueur, et stipulent conjointement que, du jour de leur mariage, il existera entre eux une véritable association et communauté à parts égales quant à tous les biens et épargnes qui, au terme de leur vie commune, seront reconnus avoir été acquis par l’un d’eux ou ensemble. »
6Étant donné les caractéristiques particulières qui distinguent la Sardaigne du reste de l’Italie, cette région constitue un terrain historique intéressant pour l’étude de la nuptialité, et en particulier du remariage. Ce sujet est quasiment inexploré pour l’île comme pour l’ensemble de l’Italie du Sud.
7Cette analyse porte sur la commune d’Alghero, une ville côtière du nord-ouest de la Sardaigne, entre les années qui suivent l’unification italienne et les premières décennies du xxe siècle. Nous avons choisi une approche longitudinale, à partir d’un ensemble complexe de données individuelles qui résulte de la combinaison de différentes sources civiles et religieuses. L’objectif principal est l’identification des caractéristiques sociodémographiques des veufs et des veuves ainsi que l’examen minutieux des facteurs individuels et contextuels qui ont pu les amener à fonder une nouvelle famille.
8La première partie examine brièvement les principaux apports de la littérature scientifique sur le remariage en Italie, et détaille certaines particularités de l’ancien modèle de nuptialité sarde. La seconde partie présente la commune d’Alghero et les sources de données utilisées dans cette étude. Enfin, la dernière partie expose les résultats de l’analyse de ces données par modélisation statistique.
I – Le remariage en Italie
9Avant la chute de la mortalité qui a marqué l’époque moderne, les mariages étaient souvent rompus par le décès précoce de l’un des conjoints, si bien que le remariage d’un veuf ou d’une veuve était assez courant. En Italie comme dans le reste de l’Europe, aux xviiie et xixe siècles, un cinquième à un quart de l’ensemble des mariages concernait au moins un veuf ou une veuve (Dupâquier et al., 1981), cette proportion atteignait un tiers pendant les années qui suivaient une épidémie (Livi-Bacci, 1978).
10Non seulement le remariage affectait l’existence du conjoint survivant et de ses enfants (Willführ et Gagnon, 2011), mais il avait aussi des effets sur la dynamique sociodémographique de la communauté. Avant tout, les propriétés, grandes ou petites, devaient être divisées entre les héritiers, et les solutions adoptées variaient selon que le conjoint survivant décidait ou non de se remarier.
11Le remariage instituait une nouvelle famille et, de plus, créait des liens avec la famille du nouveau conjoint. Si l’épouse était encore jeune, elle pouvait avoir de nouveaux enfants qui, la plupart du temps, devaient cohabiter avec ceux du premier mariage, ce qui établissait au sein de la famille une hiérarchie nouvelle et complexe. Si le premier mariage était un événement important dans la vie de l’individu et de la famille, le remariage était beaucoup plus compliqué pour les protagonistes compte tenu des intérêts économiques en jeu. Par ailleurs, ces seconds mariages faisaient souvent l’objet d’une désapprobation publique exprimée sous la forme de « charivari », rassemblement bruyant marquant le désaccord de la communauté (Corsini, 1980).
12Malgré son importance (pas uniquement numérique), le remariage a suscité moins d’intérêt en démographie historique que d’autres phénomènes. Il est le plus souvent considéré comme une sorte d’« anomalie » dans les travaux sur la nuptialité et la formation de la famille. C’est pourquoi la plupart des recherches portent sur le premier mariage. Dans le cadre d’analyse de Hajnal (1953), le remariage est considéré comme une variable manquante et peu de travaux ont essayé de l’inclure dans un cadre conceptuel comparatif, plus large, de la formation de la famille (Saito, 2005?; Kurosu, 2007).
13En Italie, cette lacune dans les recherches est aggravée par la difficulté d’obtenir des données pertinentes pour l’ensemble du pays et par les principales divisions territoriales avant l’unification italienne (1861). De ce fait, les recherches basées sur des données agrégées et des séries chronologiques sont rares et limitées à des périodes discontinues étalées sur plusieurs siècles (Livi-Bacci, 1981?; Bellettini, 1981?; Corsini, 1981?; Breschi, 1990). Les travaux fondés sur des données individuelles sont encore plus rares (Corsini, 1980, 1981). Trois études sur des données nominatives (Breschi et al., 2007?; Breschi, Fornasin et al., 2009?; Manfredini et Breschi, 2006) se sont récemment ajoutées aux travaux pionniers de Kertzer et de ses collaborateurs. Ces derniers ont étudié la commune de Casalecchio, dans la région d’Émilie, vers le milieu de la transition démographique italienne [1] (Kertzer et Hogan, 1989?; Kertzer et Karweit, 1995). L’analyse menée au niveau agrégé a mis en évidence le rôle joué par la mortalité dans la structure de la nuptialité des veufs et des veuves. Avec la baisse de la mortalité, le remariage des veufs a décliné rapidement?: dans la première décennie suivant l’unification, 15,2?% des futurs mariés étaient veufs et 8,4 % des futures mariées étaient veuves?; entre 1901 et 1910, ces proportions tombent respectivement à 9,4 % et 5,2 %, et elles dépassent à peine 5 % et 2 % dans la deuxième moitié du siècle (Livi-Bacci, 1981).
14Ces tendances de moyen et long terme, communes à toute l’Europe, présentent de grandes différences régionales. À part quelques exceptions locales, le remariage était plus courant qu’ailleurs en Italie du Sud et dans les îles avant la chute de la mortalité. En outre, dans cette vaste partie du pays, les mariages entre veufs et veuves étaient relativement fréquents?: ils représentaient près de 5 % de l’ensemble des mariages, contre moins de 2 % dans le centre et le nord de l’Italie.
15Les différences régionales de la nuptialité des veufs et des veuves s’expliquent peut-être en partie par des facteurs purement démographiques?: l’âge au mariage des célibataires, l’écart d’âge entre époux, les variations de la mortalité, etc. Selon Livi-Bacci, auteur d’une étude empirique au niveau agrégé portant sur la deuxième moitié du xixe siècle?:
« Il est tentant de corréler les très faibles proportions de femmes qui se remarient dans certaines régions du centre de l’Italie (Ombrie, Marches) avec l’organisation familiale fortement structurée qui caractérise le système agricole du métayage. La famille élargie procurait à la veuve l’aide dont elle avait besoin, réduisant ainsi la nécessité d’un second mariage »
17De rares travaux menés à l’échelle individuelle ont permis de mettre en évidence certains traits communs avec d’autres communautés européennes, confirmant ainsi l’hypothèse originale de Livi-Bacci sur la moindre propension au remariage en Italie centrale [2].
18Certains des éléments les plus importants concernant le remariage en Italie, y compris avant la chute durable de la mortalité, ont été établis de façon empirique, en particulier ceux portant sur les caractéristiques démographiques des personnes veuves. On peut les résumer de la façon suivante?: les veufs étaient plus enclins au remariage que les veuves, ils se remariaient en général peu de temps après la mort de leur femme et avaient tendance à épouser des femmes jeunes et célibataires?; les veuves âgées de plus de 40?ans se remariaient rarement, surtout si elles avaient des enfants?; plus la personne veuve était jeune, homme ou femme, plus elle avait de chances de former un nouveau couple (Blom, 1991?; Matthijs, 2003).
19En Italie, le remariage était plus fréquent chez les hommes que chez les femmes, et cela entraînait une forte dissymétrie entre les sexes. Selon Corsini (1981), en Toscane, le remariage était considéré comme « une affaire d’hommes ». Cette dissymétrie s’explique essentiellement par des facteurs économiques associés au rôle central et prédominant du mari, par des différences d’accès à la propriété et par un système inégalitaire de droit à l’héritage au sein de la famille [3]. Dans la plus grande partie du pays, le rôle de la femme était considéré comme négligeable, elle pouvait même être totalement exclue de la vie sociale. La veuve perdait tous les biens accumulés au cours de sa vie d’épouse, et si elle décidait de se remarier, elle perdait ses droits sur sa maison et sur ses enfants mineurs (Pincherli, 1901).
20L’influence des facteurs économiques et juridiques a été récemment mise en évidence dans une recherche comparative sur quelques communautés du centre et du nord de l’Italie. Par exemple, dans le village alpin Treppo Carnico qui faisait partie de l’empire d’Autriche avant l’unification italienne, des conditions socio-économiques plus favorables et plus égalitaires ainsi qu’une meilleure protection des veuves garantie par la législation autrichienne ont pu freiner le remariage (Breschi, Fornasin et al., 2009).
21En effet, selon l’hypothèse de Livi-Bacci (1981), de Tittarelli (1991) et de Kertzer et Karweit (1995), dans les régions où régnait le système du métayage, les personnes veuves vivant avec leurs enfants dans des ménages complexes pouvaient se sentir moins poussées à chercher un nouveau conjoint que celles vivant dans d’autres contextes familiaux. De fait, les ménages complexes pouvaient procurer aide et soutien mutuel à leurs membres en cas de besoin, ce qui rendait le remariage moins nécessaire [4]. Toutefois, ceci n’est vrai que pour les personnes apparentées par le sang. Les femmes vivant chez leurs beaux-parents (en vertu du système de résidence patrilocale auquel étaient le plus souvent soumis les jeunes couples) se trouvaient dans une situation subalterne au sein de la famille de leur mari, et leur statut pouvait se détériorer après la mort de celui-ci. Les beaux-parents et/ou les beaux-frères et belles-sœurs pouvaient dissuader la femme de se remarier car, dans ce cas, ils devaient lui rendre sa dot. La situation des veuves dans les familles de métayers était plus complexe et moins contrainte (Breschi, Fornasin et al., 2009).
22Aucune recherche démographique exhaustive sur le remariage n’a été réalisée en Sardaigne, bien que certaines études locales (Murru Corriga, 1990, 1993) soulignent le caractère spécifique du modèle matrimonial sarde. Viazzo (2003), comme nous le verrons dans la section suivante, a décrit la particularité du modèle sarde par rapport au système matrimonial méditerranéen et le rôle explicite que jouait la famille dans les décisions et les stratégies matrimoniales.
23Enfin, d’un point de vue purement descriptif, la proportion relativement élevée de remariages de veuves observée en Sardaigne est tout à fait remarquable, et particulièrement la combinaison matrimoniale veuve-veuf, également plus fréquente dans le sud du pays.
II – La ville d’Alghero
24Alghero est une ville côtière du nord-ouest de la Sardaigne (figure 1). Avec le Piémont et la Ligurie, l’île constituait, avant l’unification italienne, le royaume de Sardaigne. D’après le premier recensement italien (1861), Alghero, avec ses 8?891 habitants, était la quatrième commune de l’île. Le territoire municipal comprenait, outre le centre urbain, une vaste zone de plaine essentiellement marécageuse et déserte jusqu’aux années 1920-1930. Cette grande zone inhabitée, appelée Nurra, conférait à la ville un certain isolement géographique accru par la faiblesse des moyens de communication. En outre, Alghero était entourée de murailles qui l’isolaient complètement, au moins jusqu’en 1886, date du début de leur démolition. À l’est, la ville était encerclée par ses murs, tandis qu’à l’ouest, elle était protégée à la fois par des remparts et par la mer. Les centres urbains les plus proches étaient Sassari, la capitale de la province, distante d’environ 35 km, et Villanova Monteleone, située dans les collines avoisinantes, à 25 km. Il y avait d’autres villages dans les environs, mais leur population dépassait rarement quelques centaines d’âmes, comme Olmedo et Putifigari.
Situation géographique d’Alghero

Situation géographique d’Alghero
25Située sur la côte, la ville abritait une importante population de pêcheurs, de marins et de pêcheurs de corail, ainsi que des artisans et des commerçants. Ces deux catégories, à peu près d’égale importance, représentaient 45 % de la population active, mais la plus grande partie des actifs étaient des agriculteurs et des éleveurs, ce qui conférait à Alghero un caractère agro-pastoral, situation inhabituelle pour une ville côtière. On y trouvait aussi un groupe, peu nombreux (2 %) mais influent, d’aristocrates et de notables.
26La structure socio-économique d’Alghero, qu’on peut repérer par la profession de l’époux indiquée dans les registres civils des mariages, est représentative de celle de l’ensemble de la région avec, du fait de la situation maritime de la ville, des activités spécifiquement liées à la mer (concernant 15 % à 20 % des époux). Au moment de l’unification italienne, l’économie sarde reposait sur l’agriculture, l’élevage du mouton, l’exploitation minière et l’exploitation des ressources maritimes. L’agriculture, traditionnellement limitée à la culture des olives, de la vigne, des fruits, des céréales et des légumineuses, n’était pas intensive. Les techniques de culture et de production, très rudimentaires, donnaient de maigres récoltes et de faibles rendements. L’exploitation du sol était organisée suivant un très ancien système semi-féodal de fermage, toujours en vigueur dans les dernières décennies du xixe siècle. Les cultivateurs avaient un niveau de vie extrêmement faible et étaient souvent obligés de compléter leurs maigres revenus avec des activités comme l’élevage des moutons ou l’artisanat (Coda, 1977). Selon différentes listes de familles indigentes conservées dans les archives historiques de la mairie, 35 % à 40 % des familles d’Alghero étaient considérées comme pauvres.
27Plus des trois quarts de la population d’Alghero étaient presque illettrés, comme partout ailleurs en Sardaigne. Les conditions d’hygiène de la ville étaient déplorables, comme l’attestent plusieurs enquêtes nationales et une foule de documents divers (pétitions, réclamations, protestations) conservés dans les archives historiques municipales, et le système d’évacuation des eaux usées de très mauvaise qualité. La population était dense, particulièrement dans les quartiers insalubres du port où l’eau était rare et malsaine. Les problèmes d’hygiène de la ville furent partiellement résolus à la fin du xixe siècle et la situation sanitaire s’améliora dans les premières décennies du xxe siècle.
Un modèle démographique singulier
28Même si la Sardaigne se situe au milieu de la Méditerranée, elle est paradoxalement la moins « méditerranéenne » des régions italiennes (Viazzo, 2003). Son modèle de formation de la famille et de fécondité ne correspond à aucune des théories proposées dans la littérature (Wall et al., 1983). Le modèle méditerranéen par excellence –?un système de résidence patrilocale combiné à un mariage féminin précoce et une fécondité élevée?– est très éloigné de celui qui régnait en Sardaigne (Rettaroli, 1992?; Cocchi et al., 1996). La Sardaigne fut la dernière région italienne à s’engager dans le processus de transition de la fécondité (Santini, 2008), mais même pendant la période prétransitionnelle, la Sardaigne constituait, d’une certaine façon, une anomalie dans le paysage démographique italien. La fécondité générale comme la fécondité légitime y étaient considérablement plus faibles que dans les autres régions de l’Italie continentale au milieu du xixe siècle. Cette basse fécondité s’accompagnait d’un mariage tardif et non universel, associé à une faible mortalité infantile (Breschi, Manfredini et al., 2009). Durant les décennies qui ont suivi l’unification italienne, la différence d’âge au premier mariage entre hommes et femmes était très élevée à Alghero?: les hommes se mariaient pour la première fois en moyenne à un peu plus de 27?ans et les femmes à 22?ans. Les données du recensement de 1921 indiquent que le niveau du célibat était faible chez les hommes (6 %) et un peu plus élevé chez les femmes (8 %). Les jeunes couples optaient presque toujours pour le système de résidence néolocale?: parmi les ménages recensés en 1921, moins de 14 % d’entre eux étaient de structure complexe [5]. Une autre caractéristique importante du modèle de nuptialité de cette ville était son taux d’exogamie modéré : seuls 8 % des mariages impliquaient au moins un conjoint non résident de la ville [6], ce qui est assez étonnant pour un port de pêche ayant une longue tradition de commerce avec l’Italie continentale et la France.
III – Des sources d’informations civiles et religieuses
29Les données démographiques de cette étude proviennent des registres civils des naissances, des décès et des mariages, qui furent institués dans l’île en 1866, conformément aux lois du royaume d’Italie récemment unifié. Notre analyse couvre la période 1866-1925 [7].
30Toutes les données nominatives des registres de l’état civil ont été numérisées. Nous avons ensuite appliqué les procédures classiques d’appariement afin de reconstituer les biographies individuelles et les histoires familiales. Nous avons vérifié la cohérence des informations consignées dans les registres de l’état civil et des données issues d’autres sources d’origines diverses comme les registres de conscription, certains éléments fragmentaires provenant du registre de la population et les documents originaux du questionnaire-famille du recensement d’Alghero de 1921. Finalement, nous avons combiné les données démographiques de l’état civil avec celles des registres paroissiaux de baptêmes, de sépultures et de mariages [8].
31Il était nécessaire de procéder à la comparaison et la vérification de ces deux types de sources pour contrôler les effets d’un conflit long et pénible entre l’État et l’Église en matière de célébration du mariage. Le 1er janvier 1866, l’entrée en vigueur du premier Code civil national du royaume d’Italie établit l’autorité juridique exclusive de l’État pour l’enregistrement des faits d’état civil. À partir de cette date, le mariage religieux ne fut plus reconnu par l’État.
32Cette réforme législative modifia en profondeur les coutumes et traditions séculaires associées au mariage. L’Église perdait ses prérogatives sur la formation et la vie des familles. Elle réagit alors en déclarant nuls et non avenus tous les mariages civils, et en invitant énergiquement les paroissiens à placer le mariage religieux au-dessus du mariage civil (Rocchi, 1893). Cet avertissement de l’Église eut évidemment un grand impact sur une population catholique habituée à célébrer les mariages à l’église et à se conformer à la doctrine catholique. Ainsi la nouvelle organisation du mariage fut-elle mal accueillie dans les régions italiennes les plus catholiques, et de ce fait, en pratique, le nombre des mariages civils fut inférieur de 10 % à celui des mariages religieux pendant les années qui suivirent l’entrée en vigueur de la loi (Bodio, 1880?; Somogy, 1965). Ce n’est qu’à la fin du xixe siècle, et uniquement dans certaines régions, que l’écart entre l’enregistrement civil et l’enregistrement religieux des mariages s’atténua. Cependant, le mariage exclusivement religieux persista jusqu’en 1929, date à laquelle le gouvernement fasciste le reconnut officiellement.
33Avant 1929, les couples qui ne s’étaient mariés qu’à l’église ne jouissaient pas de certains droits civils. Plus exactement, l’État ne reconnaissait pas le conjoint et les enfants comme héritiers légitimes, et ceux-ci étaient inscrits comme enfants naturels dans les registres de l’état civil. Cette pratique a eu pour effet de biaiser les statistiques officielles de la fécondité illégitime (Benini, 1911?; De Vergottini, 1965). La proportion de naissances illégitimes augmenta ainsi d’environ 4 % en 1862-1864 à 6,2 % pendant les trois années qui suivirent l’entrée en vigueur de la loi, pour dépasser finalement 7,5 % au milieu des années 1880.
34Les effets des divergences entre l’Église et l’État sur les statistiques des naissances sont particulièrement problématiques à Alghero (Breschi, Manfredini et al., 2009). La proportion de naissances illégitimes a fortement augmenté à partir de 1866, atteignant un niveau moyen de 15 % sur une période de près de trente ans [9]?; c’est une proportion considérablement élevée, surtout si on la compare à celle observée avant l’introduction de la loi sur le mariage civil (2 % à 3 %). L’effet sur l’enregistrement des mariages est également très net (figure 2).
Nombre de mariages civils et de mariages religieux à Alghero, 1860-1885

Nombre de mariages civils et de mariages religieux à Alghero, 1860-1885
35Les deux types de registres, civils et religieux, racontent des histoires convergentes mais pas identiques. Si on considère l’évolution annuelle du nombre des mariages entre 1860 et 1885, on remarque, comme dans le reste de l’Italie (Benini, 1911), le pic de 1865 : de nombreux couples ont anticipé la nouvelle législation et avancé la date de leur mariage afin d’échapper à la loi qui avaient été annoncée à l’avance.
36Au cours des années suivantes, il y eut toujours moins de mariages civils que de mariages religieux (à la seule exception de l’année 1882), bien que le nombre des mariages civils ait aussi inclus les unions célébrées dans une autre commune mais impliquant des habitants d’Alghero. La comparaison des deux séries offre une vision simplifiée d’un phénomène complexe. L’ensemble des mariages d’une année donnée comprend des unions célébrées à la fois à l’église et à la mairie, des mariages exclusivement religieux ou exclusivement civils [10], et la régularisation de mariages conclus les années précédentes.
37Sans entrer dans les détails d’un travail rigoureux de comparaison entre les sources civiles et religieuses [11], les effets du conflit entre l’Église et l’État quant au mode d’enregistrement officiel des mariages ont été en grande partie identifiés. La longue et méticuleuse reconstitution des séquences de mariages, y compris les remariages éventuels, a nécessité l’appariement de plus de 9?000 actes de mariage sur une période de 60?ans (1866-1925). Plus de la moitié de ces actes de mariage (55 %) proviennent des registres de l’état civil et concernent principalement des mariages conclus à Alghero entre des habitants de la ville, mais aussi, plus rarement, des mariages célébrés ailleurs. Les 45 % restant sont les mariages religieux célébrés à Alghero.
38Ce travail de reconstitution nous a permis d’identifier et de classer les couples mariés en fonction de la première date d’enregistrement de leur union et du type de mariage, et d’établir la succession correcte des événements.
39Dans les analyes suivantes, nous considérons comme date du mariage du couple la date du premier acte de mariage, qu’il s’agisse d’un double enregistrement (à la mairie et à l’église), d’un mariage uniquement civil ou uniquement religieux.
IV – Les remariages à Alghero
40Cette section présente d’abord un tableau général des remariages célébrés à Alghero selon une approche classique, c’est-à-dire en analysant le type de mariage et la situation matrimoniale des futurs conjoints. Comme on le verra dans la section suivante, l’analyse du remariage à Alghero est de type longitudinal. Elle s’applique aux couples mariés entre 1866 et 1885 dont la présence ininterrompue à Alghero est attestée jusqu’en 1925 [12]. Seule une approche longitudinale permet de suivre les couples sur le long terme et de vérifier si la rupture d’union par décès d’un des conjoints est suivie du remariage du conjoint survivant.
41Pendant les deux décennies qui succèdent à l’instauration du mariage civil (1866), 1?524 mariages ont été enregistrés à Alghero, et plus précisément 1?157 mariages ont été célébrés à la fois à l’église et à la mairie, les deux cérémonies étant séparées seulement par un court intervalle de temps, tandis que 239 mariages n’ont été consignés que dans les registres paroissiaux, et 128 uniquement dans les registres de l’état civil (tableau 1).
Nombre de mariages et proportions de veufs et de veuves par type de célébration, Alghero, 1866-1885

Nombre de mariages et proportions de veufs et de veuves par type de célébration, Alghero, 1866-1885
42La fréquence des mariages impliquant un veuf ou une veuve est très différente selon le type de célébration. Pour les hommes comme pour les femmes, autour de 30 % des célébrations religieuses sont des remariages, mais cette proportion est bien plus faible pour les autres types d’union, en particulier lorsqu’ils sont célébrés à la fois à l’église et à la mairie. Dans ce dernier cas, 13,7 % sont des remariages de veufs et 8,6 % des remariages de veuves (tableau 1). Il est possible que les veufs comme les veuves aient préféré se remarier uniquement à l’église afin d’échapper à une forme trop « officielle » de la nouvelle union. Ce faisant, ils évitaient, dans le cadre du nouveau royaume italien, les obligations et responsabilités légales vis-à-vis des enfants du premier et du second mariage, ainsi que les questions complexes liées au partage de l’héritage. Mais on ne peut exclure le rôle de l’âge avancé des veuves et des veufs dans cette décision. À la différence des célibataires plus jeunes dont c’était le premier mariage, les veufs et les veuves étaient plus enclins à choisir l’union religieuse par tradition.
43Les résultats que nous avons obtenus après avoir combiné les sources civiles et religieuses d’Alghero semblent confirmer les défauts de la production statistique officielle du jeune royaume d’Italie (Livi-Bacci, 1977). Celle-ci ne s’appuyant que sur les registres civils des mariages, elle a tendance à sous-estimer la proportion des remariages et, ce qui est plus grave, elle ignore un nombre non négligeable d’événements [13].
44À la lumière de notre reconstitution, on peut affirmer que près de 79 % des mariages unissaient un homme et une femme célibataires, tandis que les 21 % restants impliquaient au moins un veuf ou une veuve. Dans 9 % des cas, un veuf épousait une célibataire et dans 5 % des cas, une veuve épousait un célibataire?; dans les 8 % restants, les deux conjoints étaient veufs (tableau 2).
Répartition des mariages selon l’état civil antérieur des conjoints, Alghero, 1866-1885

Répartition des mariages selon l’état civil antérieur des conjoints, Alghero, 1866-1885
45Par comparaison avec d’autres régions italiennes (Corsini, 1980?; Breschi, Fornasin et al., 2009), la différence entre les proportions de mariages impliquant respectivement un veuf et une veuve à Alghero est un peu plus faible qu’ailleurs, et même, à certaines époques comme entre 1871 et 1876, ces deux proportions –?mariage avec un veuf, mariage avec une veuve?– sont presque égales (figure 3) [14].
Proportions de remariages de veuves et de veufs dans l’ensemble des mariages, Alghero, 1866-1885 (moyennes mobiles sur 3 ans)

Proportions de remariages de veuves et de veufs dans l’ensemble des mariages, Alghero, 1866-1885 (moyennes mobiles sur 3 ans)
46On étudie généralement le remariage en analysant la répartition des mariages selon la situation matrimoniale des futurs conjoints?: cet exercice, relativement simple, peut être réalisé sur la période qui s’étend du xvie au xviiie siècle si les registres paroissiaux ou les registres de l’état civil sont disponibles et bien conservés [15]. Néanmoins, la proportion des remariages dans l’ensemble des mariages n’est pas une bonne mesure de l’intensité du phénomène, elle dépend aussi de l’intensité de la primo-nuptialité et du niveau de la mortalité. Le recours à des indicateurs simples est habituellement justifié par la difficulté de mesurer avec précision la population soumise au risque, c’est-à-dire l’effectif des veufs et des veuves (Matthijs, 2003). Avec la reconstitution des histoires de vie, il est possible d’obtenir des estimations plus précises de l’intensité et du calendrier des remariages et, comme c’est le cas à Alghero, la disponibilité de données individuelles nous permet d’identifier les facteurs qui conduisent un veuf ou une veuve à fonder une nouvelle famille.
V – Approche micro-analytique du remariage
47La décision ou l’opportunité de se remarier dépend de l’interaction de nombreux facteurs démographiques, de l’histoire matrimoniale et génésique des individus et de leur situation socio-économique. Par ailleurs, du fait de la complexité des facteurs agissant sur le choix du conjoint, les statistiques agrégées peinent à éclairer la nature multifactorielle de ce phénomène. C’est pour ces raisons que nous avons fait le choix d’utiliser des données individuelles pour analyser les facteurs associés au remariage.
1 – Les critères de sélection de la population étudiée
48Étant donné les caractéristiques de la base de données, nous avons utilisé une démarche micro-analytique pour étudier le remariage à partir d’une approche longitudinale. Nous avons sélectionné les personnes mariées pour la première fois entre 1866 et 1885, et restées à Alghero jusqu’en 1925, dernière année pour laquelle nous pouvons suivre la biographie des couples [16].
49Nous connaissons les caractéristiques de toutes ces personnes au moment de leur mariage (âge, lieu de naissance, lieu de résidence, profession, etc.) quel qu’en soit le mode de célébration, leur histoire de fécondité, la date d’un éventuel veuvage, et nous savons si elles se sont remariées une fois veuves. Nous nous sommes intéressés aux personnes devenues veuves avant l’âge de 60?ans et remariées moins de dix ans après leur veuvage. Ces deux critères de sélection sont en partie conditionnés par la structure des données et reflètent les caractéristiques majeures du remariage?: la plupart des remariages se produisent avant 60?ans et ont lieu rapidement après le veuvage [17]. En effet, la fréquence du remariage a tendance à diminuer au fur et à mesure que l’âge de la personne veuve augmente et que la durée du veuvage s’allonge. La majorité des seconds mariages sont conclus après un délai court pour les hommes (plus de 50 % des remariages ont été célébrés dans l’année suivant le veuvage) et plus long pour les femmes (50 % des remariages sont célébrés dans les deux ans après le veuvage) [18]. Cette différence s’explique par l’interdiction faite aux veuves de se remarier moins de 10?mois après leur veuvage afin d’écarter tout doute quant à la paternité d’un enfant né peu de temps après la mort du mari.
Critères de sélection des mariages enregistrés à Alghero entre 1866 et 1885 pour l’analyse du remariage

Critères de sélection des mariages enregistrés à Alghero entre 1866 et 1885 pour l’analyse du remariage
50Les résultats de l’application de ces critères de sélection aux mariages célébrés entre 1866 et 1885 sont présentés dans le tableau 3. Sur les 1?524 mariages identifiés pendant cette période, nous avons écarté ceux célébrés dans d’autres localités, même s’ils étaient consignés dans les registres d’Alghero. Cette première sélection ramène le nombre de mariages à 1?479.
51Du fait de la forte endogamie, 1?441 mariages sur 1?524 (soit 95 %) ont uni deux habitants d’Alghero. Et pour 1?138 de ces 1?441 mariages, il s’agissait du premier mariage de deux célibataires. Certains de ces couples ont quitté Alghero, parfois pour quelques années seulement et, par conséquent, nous n’avons pas été en mesure de reconstituer leur biographie avec certitude. Pour 895?couples parmi les 1?138 mariages de célibataires (79 %), nous connaissons l’histoire des époux au moins jusqu’à ce que leur vie commune soit interrompue par le décès de l’un d’eux. Une grande partie de ces unions (60 %) ont pris fin avec le décès du mari, l’homme ayant en moyenne 5 ou 6?ans de plus que sa femme. Finalement, compte tenu de la mortalité différentielle, restent 540 veuves et 355?veufs. Certains d’entre eux étant devenus veufs après 60?ans, âge limite dans cette étude, l’analyse porte sur 711?personnes devenues veuves avant 60?ans, à savoir 254?veufs et 457?veuves.
52Mais nous ne connaissons pas le destin de chacune de ces personnes?: selon toute probabilité, certaines d’entre elles, une fois devenues veuves, ont quitté Alghero, et nous ignorons donc si elles se sont remariées. En définitive, le destin des individus après leur veuvage ne nous est connu que dans 532?cas (318 veuves et 214 veufs).
53Une différence importante apparaît entre les veufs et les veuves?: la proportion de destins inconnus est presque deux fois plus élevée chez les femmes que chez les hommes. Cette différence tient principalement à la surmortalité masculine et à l’écart d’âge entre époux, mais il faut tenir compte également de la plus forte mobilité géographique des veuves (Derosas et Oris, 2002), facteur particulièrement important dans le cas d’Alghero en raison du caractère nucléaire de la plupart des familles. Une femme veuve trouvait difficilement l’aide dont elle et ses enfants avaient besoin pour vivre et, par conséquent, l’émigration pouvait s’avérer nécessaire.
54À la dernière étape de la procédure de sélection, nous avons écarté 9 personnes (7 femmes et 2 hommes) décédées peu de temps après leur conjoint (moins de 365 jours) et qui, de ce fait, n’ont pas eu le temps de se remarier.
55Finalement, notre recherche porte sur un total de 523 personnes, 315 veuves et 208 veufs, présents à Alghero jusqu’à la fin de la période étudiée, c’est-à-dire 1925. Cette procédure de sélection implique que notre étude du remariage se limite à la part la plus stable de la population.
56La structure socio-économique de notre échantillon s’avérant tout à fait semblable à celle de l’ensemble des couples mariés d’Alghero, les migrants ou les individus ayant échappé à nos vérifications ne sont pas sensiblement différents de ceux qui constituent notre population soumise au risque de remariage, en tous cas pour les veufs. Mais concernant les veuves, celles des catégories sociales supérieures avaient plus de chances de rester à Alghero que celles habitant des zones rurales ou du bord de mer.
2 – Les modèles d’analyse des microdonnées
57Nous avons utilisé une régression logistique en temps discret et deux modèles séparés pour les 208 veufs et les 315 veuves, en raison de la forte différence du remariage selon le sexe. Le risque de contracter un second mariage a été estimé sur une période maximum de dix ans après le veuvage. Dans les deux modèles, nous avons tenu compte de l’âge au veuvage et de la durée du veuvage : comme cela a été constaté dans de nombreux contextes, la probabilité de remariage est fortement influencée par ces deux facteurs. Dans la littérature sur le remariage, il existe un large consensus quant au rôle décisif de l’âge, particulièrement pour les veuves, mais aussi de la présence d’enfants.
58Les enfants nés d’unions antérieures peuvent affecter les chances de remariage [19]. On a souvent considéré les enfants comme un obstacle au remariage, surtout pour les veuves. Étant donné que les enfants contribuaient peu aux travaux agricoles, une famille paysanne pouvait se trouver économiquement désavantagée si l’un de ses membres épousait une veuve avec enfants. En revanche, un veuf avec enfants avait intérêt à chercher une nouvelle épouse pour s’occuper de ceux-ci (Bideau et Perrenoud, 1981). Dans les deux tiers des localités italiennes étudiées par Breschi, on a effectivement observé cette situation en cas de présence de jeunes enfants (moins de 12 ans)?; au contraire, la présence d’enfants de plus de 12 ans réduisait les chances de remariage des veufs. Breschi, Fornasin et al. (2009) mentionnent que dans les communes de Madregolo et Casaguildi (Émilie romagne et Toscane) un enfant représentait un obstacle au second mariage, pour les hommes comme pour les femmes, mais ce n’était le cas que pour les femmes à Treppo Carnico (Frioul) comme à Alghero.
Le rôle de la situation socio-économique
59Si le rôle des trois variables démographiques individuelles (le sexe, l’âge, la durée du veuvage) et de la présence d’enfants est, à de rares exceptions près, clairement identifié dans la littérature (Blom, 1991?; Matthijs, 2003), l’influence de la situation socio-économique de la personne veuve sur la décision de se remarier reste l’objet de controverse. Certains auteurs ont observé une fréquence de remariage supérieure à la moyenne dans les couches les plus pauvres de la société (Sogner et Dupâquier, 1981), tandis que l’inverse a été constaté, avec quelques nuances, dans diverses communautés rurales de l’Europe préindustrielle, où le remariage était plus fréquent chez les propriétaires terriens que chez les paysans non propriétaires (Moring, 2002?; Brown, 2002?; Fauve-Chamoux, 2002). On a trouvé des résultats similaires à ce deuxième cas au xviie siècle dans le Massachusetts (Keyssar, 1974). Par contre, d’autres chercheurs n’ont observé aucune variation importante de la probabilité de remariage selon la catégorie socio-professionnelle (Knodel et Lynch, 1985?; Knodel, 1988?; Van Poppel, 1995?; McQuillan, 2003).
60Cependant, l’absence d’effet de la profession sur la fréquence du remariage n’implique pas que les stratégies de remariage se manifestent de façon identique au sein des différents groupes sociaux. L’influence des facteurs socio-économiques est difficile à déterminer, particulièrement chez les femmes (Elman et London, 2002). En effet, disposer de ressources économiques pouvait aussi bien inciter au remariage que dissuader de se remarier. Cela pouvait être un atout dans la recherche d’un nouveau partenaire ou, au contraire, rendre la nécessité de se remarier moins pressante, les personnes veuves aisées pouvant payer du personnel pour s’occuper de leur ménage et de l’exploitation agricole.
61Les rares recherches disponibles semblent montrer une relation inverse entre la richesse et la fréquence du remariage en Italie (Breschi et al., 2007). De façon plus précise, l’hypothèse suivante a été avancée?: si le statut de propriétaire terrien était largement répandu, si la situation économique était bonne et si les veuves bénéficiaient d’une protection légale, alors ces éléments pouvaient agir comme un frein au remariage. En revanche, parmi les populations de métayers, les veuves vivant dans une famille nucléaire étaient en situation de vulnérabilité, et c’est avant tout la nécessité économique qui les poussait au remariage (Breschi, Fornasin et al., 2009).
62Afin de déterminer l’influence de la situation socio-économique, nous avons introduit dans le modèle une variable représentant le statut socio-professionnel. Nous n’avons pris en compte que la profession des veufs, l’information sur les catégories professionnelles des femmes étant trop vague et souvent limitée à la formule « femme au foyer ». Pour les veuves, c’est donc la profession de leur mari décédé qui a été retenue.
63La population d’Alghero a été répartie en trois catégories socio- économiques?:
- les agriculteurs?: catégorie la plus nombreuse (référence) qui rassemble plus de la moitié de la population étudiée. Elle comprend toutes les professions associées à la culture de la terre (nous n’avons aucune donnée sur la propriété du sol et la stabilité des contrats de métayage), à l’élevage des bovins et des ovins?;
- les marins et pêcheurs?: cette catégorie (environ 15 %) regroupe tous les métiers liés à la mer, pêcheurs de poisson, pêcheurs de corail, ainsi que les marins et équipages des navires?;
- les artisans et commerçants?: cette catégorie (environ 30 %) comprend les activités artisanales, les commerçants et les négociants exerçant sur le marché local et régional. Y sont également inclus les rares représentants de la noblesse et les notables.
3 – Les déterminants du remariage des veuves et des veufs
Le modèle simple de régression
64Le tableau 4 présente la modélisation des risques de remariage en fonction des caractéristiques démographiques et socioprofessionnelles des veuves et des veufs et la présence d’enfants. Malgré sa relative simplicité, cette approche permet de mettre en évidence des différences notables entre hommes et femmes.
Les déterminants du remariage des veufs et des veuves à Alghero, 1866-1925. Modèle de régression logistique en temps discret (odds ratio) et statistiques descriptives (moyenne et distribution en %)

Les déterminants du remariage des veufs et des veuves à Alghero, 1866-1925. Modèle de régression logistique en temps discret (odds ratio) et statistiques descriptives (moyenne et distribution en %)
Seuils de significativité?: *** p?< 0,001 ; ** p?< 0,01 ; * p?< 0,05 ; ns?: non significatif65Le résultat le plus frappant est la distinction nette entre les deux sexes quant aux facteurs qui accélèrent ou freinent le remariage. Comme on l’a vu précédemment, dans le cas des veuves, le remariage est particulièrement sensible à l’âge?: l’odd ratio diminue au fur et à mesure que l’âge augmente, d’environ 7 % par année d’âge. Cet effet de l’âge, chez les veuves, est assez puissant pour écraser l’effet de la durée du veuvage, alors que, chez les hommes, cette dernière garde son influence dominante, chaque année de veuvage supplémentaire entraînant une diminution d’environ 10 % de l’odd ratio du remariage.
66La présence d’enfants semble affecter beaucoup plus négativement les probabilités de remariage des femmes que celles des hommes. Avoir un seul enfant de moins de 12 ans entraîne une réduction de plus de 60 % de la probabilité relative de remariage d’une veuve, et cette probabilité diminue encore si tous les enfants de la femme ont plus de 12 ans.
67Enfin, la situation socioprofessionnelle des veufs ne paraît pas avoir d’effet sur la probabilité de remariage. L’élément décisif pour les veufs d’Alghero est la durée du veuvage. Ceux qui se sont remariés l’ont fait peu de temps après le décès de leur épouse (après 3,3 ans en moyenne) : fonder une nouvelle famille était pour eux une nécessité, indépendamment de leur âge, de la présence d’enfants ou de leur situation socio-économique, en partie à cause de l’importance des familles nucléaires en Sardaigne (les trois quarts des familles). Dans la plupart des cas, le veuf ne pouvait pas compter sur une autre femme de la maison et devait rapidement trouver une nouvelle épouse, voire une mère pour les enfants de son premier mariage [20].
68Chez les femmes, en revanche, être la veuve d’un pêcheur ou d’un marin impliquait une réduction significative de la probabilité relative de remariage (inférieure de 70 % à celle de la veuve d’un agriculteur). La population des marins et des pêcheurs constituait un groupe particulier dans la société d’Alghero. Cette communauté s’était formée et développée tout au long du xviiie siècle et dans la première moitié du xixe, avec l’installation progressive de pêcheurs saisonniers venus de Campanie et de Ligurie (Mondardini Morelli, 1988). Par ailleurs, les veuves appartenant aux divers sous-groupes de la catégorie des artisans, commerçants et notables se remariaient moins souvent que les autres.
69Finalement, les veuves du milieu rural étaient les plus enclines au remariage. Leur « marché matrimonial » était certainement plus vaste que celui des autres veuves, en particulier celles de la communauté maritime. Comme on l’a souligné dans l’introduction, non seulement la femme sarde était une figure centrale de la famille, mais elle avait aussi une part de plein droit dans le système de propriété familiale. Selon toute vraisemblance, cette situation était assez fréquente dans les milieux de l’agriculture et de l’élevage du mouton, où les époux exploitaient de petits lopins de terre, des propriétés modestes, et faisaient fructifier tout ce qu’ils avaient accumulé au cours de leur vie commune, le comporus. Ainsi, une veuve issue du milieu de l’agriculture ou de l’élevage pouvait prétendre à de meilleures chances de remariage, précisément grâce aux biens qu’elle avait accumulés pendant sa vie en couple et qu’il ne lui était pas facile de gérer seule.
70Enfin, le lieu de naissance paraît avoir eu une influence cruciale sur les chances de contracter un second mariage à Alghero?: les veufs et les veuves nés hors de la commune avaient une probabilité relative de remariage presque deux fois plus importante que les natifs d’Alghero. Ce constat concorde avec ce qui a déjà été observé?: les personnes nées hors de la ville et qui, en cas de veuvage, ne pouvaient s’appuyer sur un réseau familial, étaient quasiment obligées de se remarier et de former une nouvelle famille afin d’obtenir un soutien et des ressources.
Le modèle à risques compétitifs
71Le cas d’Alghero montre, une fois encore, la complexité du phénomène du remariage, et, comme cela a été constaté dans d’autres contextes en Italie, l’influence des diverses caractéristiques sociales sur les chances de remariage des veufs et des veuves. Pour accéder à une meilleure compréhension des facteurs sociodémographiques agissant sur le remariage, il est utile d’examiner les résultats de l’application d’un modèle à risques compétitifs [21] (tableau 5) afin d’évaluer la probabilité de contracter un nouveau mariage soit avec un-e célibataire soit avec un-e veuf-ve.
L’influence de différents facteurs sur le remariage, Alghero, 1925. Modèles à risques compétitifs

L’influence de différents facteurs sur le remariage, Alghero, 1925. Modèles à risques compétitifs
Seuil de significativité : * p?< 0,05 ; ns?: non significatif72Nous constatons peu de différences par rapport au modèle précédent pour les deux premiers facteurs. L’âge est un facteur relativement important pour un veuf épousant une femme célibataire, alors que c’est la durée du veuvage qui est déterminante pour un veuf épousant une veuve.
73Les résultats relatifs à la présence d’enfants nés du mariage précédent sont particulièrement intéressants. Comme dans le premier modèle, cet élément n’a pas d’influence sur le remariage des veufs. Par contre, alors que la présence d’enfants freinait le remariage des veuves dans le modèle simple, dans ce modèle à risques compétitifs, l’effet diffère selon le statut matrimonial du nouveau conjoint. La présence d’enfants n’a pas d’incidence sur la probabilité de remariage avec un célibataire mais freine le remariage avec un veuf à peu près dans les mêmes proportions que dans le premier modèle. Pour une veuve, se remarier avec un veuf était source de difficultés, notamment lorsqu’elle avait des enfants d’un précédent mariage et quel que soit leur âge. Si le futur mari avait lui aussi des enfants de son union antérieure, d’autres conflits s’ajoutaient à propos des positions hiérarchiques au sein de la famille, dans l’immédiat et à long terme, et surtout au moment du décès de l’un des deux nouveaux conjoints. De plus, le mariage avec un veuf pouvait susciter des tensions avec la famille de l’époux décédé. La femme n’avait aucun intérêt à entretenir ces tensions, éventuellement alimentées par les enfants, eux-mêmes soutenus par d’autres membres de la famille, afin d’éviter de s’exposer à la contestation de ses droits à la succession de son mari défunt.
74En Sardaigne, au moins dans le milieu traditionnel de l’agriculture et de l’élevage, la situation était encore plus compliquée du fait de la reconnaissance du rôle important de la femme et de sa parentèle. Dans chaque famille nucléaire, il était d’usage pour l’épouse et ses enfants de marquer une préférence pour la famille maternelle, de tisser des liens de solidarité dans ce lignage et d’entretenir des relations privilégiées entre femmes (Orrù, 1980?; Oppo, 1990?; Solinas, 1990). Ce n’était pas une simple question de chance si une veuve ayant des enfants très jeunes était recueillie par sa propre famille maternelle (Murra Corriga, 1993). Quand une veuve épousait un veuf avec enfants, on faisait aussi appel à elle pour régler les conflits avec les parents de la première femme de son nouvel époux. Finalement, il ne faut pas oublier que si le mariage entre un veuf et une veuve n’était pas réprouvé, il ne suscitait guère d’approbation et d’estime de la part de la communauté, en particulier quand il y avait des enfants d’un premier mariage.
75Un autre élément intéressant qui ressort des résultats du modèle de risques compétitifs concerne la profession des veufs. Si, dans la première analyse, la profession de l’homme ne semblait pas avoir d’influence particulière sur le remariage, elle s’avère maintenant être un facteur discriminant vis-à-vis de la situation matrimoniale de la future épouse. Plus précisément, un veuf avait presque deux fois plus de chances de se remarier à une célibataire s’il appartenait à la catégorie composite des artisans, commerçants et notables que s’il était agriculteur. En revanche un veuf avait moins de chances (60 %) de se remarier avec une veuve s’il était artisan, commerçant ou notable que s’il était agriculteur. Autrement dit, le remariage avec une célibataire était pratiquement une prérogative, soit par choix, soit par la simple vertu de leurs avantages, des veufs appartenant aux catégories sociales supérieures.
76Du côté des femmes, on observe une probabilité de remariage très différente en fonction de l’état matrimonial du futur époux. Seul l’âge est un facteur déterminant en cas de remariage avec un célibataire?; ni la présence d’enfants, ni la situation socio-économique de la femme ne sont associées au remariage avec un célibataire. En revanche, si la veuve voulait épouser un veuf, l’âge restait un facteur important, mais la présence de ses enfants et sa situation socio-économique devenaient des éléments décisifs. Plus précisément, les veuves de milieu urbain –?celui des travailleurs de la mer (installés dans les plus anciens quartiers de la ville) et des artisans, commerçants et professions libérales?– étaient moins enclines (d’environ 70 %) à épouser un veuf que celles de milieu rural. Du point de vue de la femme, l’union d’une veuve et d’un veuf était donc plus répandue à la campagne. Fonder une nouvelle famille et (surtout) bénéficier des avantages d’un réseau familial y était primordial, et cet objectif était souvent atteint par l’union d’un veuf et d’une veuve et de leurs familles respectives.
77De nouveau, le lieu de naissance était un facteur crucial, mais uniquement dans le cas d’un veuf épousant une célibataire. Le risque relatif de remariage est alors nettement plus élevé, ce qui confirme la nécessité d’un second mariage pour les veufs nés hors d’Alghero, sans doute dénués de réseau familial personnel dans la ville.
Conclusion
78L’étude du remariage à Alghero a permis, pour la première fois, d’analyser en profondeur le phénomène mal connu des recompositions familiales dans une communauté de Méditerranée. Le rôle de certains facteurs déjà connus grâce à plusieurs travaux réalisés dans d’autres régions italiennes a été confirmé : l’importance de variables démographiques comme l’âge de la personne veuve et la durée de son veuvage, mais aussi les différences de probabilité de remariage des hommes et des femmes.
79Le processus de recomposition de la famille implique les veufs et les veuves d’Alghero suivant des modalités et des calendriers très différents. C’est avant tout la présence d’enfants nés du mariage précédent qui distingue les veufs des veuves, ainsi que la situation socio-économique, principalement pour les veuves. Si la place de la femme dans la société est une caractéristique particulière de la Sardaigne par rapport au reste de l’Italie, ce phénomène est encore plus visible dans l’agriculture et l’élevage : c’est dans ce milieu traditionnel de la société d’Alghero que la place de la femme sarde est la plus importante, même une fois devenue veuve : elle se remarie (10 % des veuves) afin d’administrer et développer les biens qu’elle a pu mettre de côté durant le mariage précédent?; elle dirige, organise et reconstruit sa famille.
80L’article expose les aspects les plus originaux et innovants de cette recherche. L’application du modèle de risques compétitifs souligne l’importance de l’état matrimonial (célibataire ou veuf/veuve) de celui ou celle que la personne veuve envisage d’épouser. Cette variable a permis de déterminer des différences encore non observées jusqu’à présent, ou plutôt non quantifiées. Là encore, c’est la femme, la veuve en l’occurrence, qui se distingue par son comportement. Bien qu’il y ait des différences parmi les veufs –?une plus grande propension au remariage avec une femme célibataire pour ceux appartenant aux catégories socio-économiques les plus aisées?–, les vrais écarts se trouvent du côté des femmes. Une veuve qui se remariait était confrontée à de nombreuses contraintes, surtout si elle épousait un veuf. Mais il semble que ces obstacles étaient moins importants lorsqu’elle épousait un célibataire, puisque le seul facteur observé significatif était dans ce cas l’âge de la femme. La diminution de sa probabilité de remariage en fonction de l’âge –?environ 10 % par année?– s’avère être plus forte dans cette combinaison que dans les trois autres (veuf-femme célibataire ou veuve et veuve-veuf), selon le modèle de risques compétitifs.
81C’est précisément ce dernier élément, c’est-à-dire la prédominance de l’effet de l’âge pour les veuves épousant un célibataire, qui suggère que des facteurs difficilement quantifiables échappent inévitablement à nos recherches, tels le charme personnel, l’attraction mutuelle entre les futurs conjoints et l’ensemble des sentiments qui peuvent lier un homme à une femme. Ce sont des aspects que l’on peut éventuellement lire entre les lignes des résultats de nos analyses, mais qui, associés à d’autres facteurs essentiels, jouent indubitablement un rôle dans la dynamique du remariage à Alghero. Contrairement aux autres régions italiennes, les veufs et les veuves bénéficiaient de nombreuses opportunités sur le marché matrimonial local. Malgré un contexte sociodémographique plus diversifié que celui d’autres localités de l’île, Alghero reflète bien la spécificité sarde, tant du point de vue de l’importance du phénomène du remariage que de l’implication des individus dans cette dynamique matrimoniale. Le remariage en Sardaigne, en particulier pour les milieux les plus ruraux, a joué un rôle majeur dans la dynamique de la nuptialité comme dans la vie économique locale.
82Remerciements
Nous tenons à remercier le personnel des archives municipales d’Alghero, Baingio Tavera et Gianfranco Piras, pour leur aide et leur gentillesse.
Notes
-
[*]
Département de sciences économiques et des entreprises, Université de Sassari, Italie.
Correspondance?: Stanislao Mazzoni, Dipartimento di Scienze economiche e aziendali, Via Muroni 25, 07100 Sassari, Italie, courriel?: smazzoni@uniss.it. -
[1]
La transition démographique italienne se situe entre les dernières décennies du xixe siècle et les premières du xxe siècle.
-
[2]
Il existe maintenant des travaux au niveau individuel sur le remariage aux xviiie et xixe siècles. Pour une synthèse et une analyse de cette littérature, voir Dribe et al. (2007), Kurosu (2007) et Van Poppel (1995, 1998).
-
[3]
Étant donné le niveau élevé de la mortalité dans les populations rurales préindustrielles, on cherchait bien souvent à se remarier, car le mariage, et donc l’appartenance à un ménage, était synonyme de sécurité économique et sociale. De nombreuses analyses ont cherché à expliquer les fortes différences de sexe et d’âge en matière de propriété immobilière, d’héritage, d’indépendance de la femme et de système familial (voir la revue de littérature de Oris et Ochiai, 2005).
-
[4]
Matthijs (2003) a proposé un cadre théorique semblable à celui de Livi-Bacci pour interpréter la moindre propension au remariage des populations rurales par comparaison aux populations urbaines. Au xixe siècle, en Flandre, les ménages ruraux étaient plus grands et plus complexes que les ménages urbains et, de ce fait, la nécessité de se remarier y était moins pressante.
-
[5]
Soit 12,3 % de familles élargies et un peu plus de 1 % de familles multiples.
-
[6]
Proportion calculée sur l’ensemble des mariages de la période 1866-1925.
-
[7]
Les registres de l’état civil conservés dans les archives historiques d’Alghero couvrent cette même période.
-
[8]
Le territoire de la paroisse d’Alghero coïncide presque parfaitement avec celui de la commune.
-
[9]
Au niveau de la région, la proportion de naissances illégitimes n’était que légèrement inférieure, de l’ordre de 10 % entre 1871 et 1890.
-
[10]
Toutefois, ce caractère « exclusif » dépend de l’échelle de temps adoptée (ici l’année civile). Pour reconstituer correctement la séquence des événements, il faut parcourir les actes nominatifs des deux sources sur de nombreuses années, ici sur vingt ans.
-
[11]
Pour une description plus complète des contrôles et des recherches effectués dans le cadre de cette étude, voir Breschi, Fornasin et al. (2009).
-
[12]
Nous avons contrôlé la présence de chaque individu dans la commune d’Alghero grâce à plusieurs sources?: les registres de l’état civil, des fragments des registres de population et le recensement de 1921, effectué quasiment à la fin de la période étudiée. Nous avons ainsi pu obtenir un sous-ensemble de veufs et de veuves dont la présence est attestée sur le territoire d’Alghero jusqu’en 1925 et pour lesquels il a été possible de suivre précisément les principaux événements démographiques.
-
[13]
Le conflit entre l’Église et l’État fut résolu, en 1929, d’une manière qui rend impossible toute approche directe de la nuptialité et de la fécondité légitime à partir des statistiques officielles (Livi-Bacci, 1977). La proportion des mariages exclusivement religieux était importante dans l’ensemble de l’île et, sans doute, particulièrement élevée dans les régions qui auparavant faisaient partie des États pontificaux (Marches, Ombrie, Latium et une partie de l’Émilie, c’est-à-dire les provinces de Romagne). Par exemple, dans la petite localité de Sonnino (Latium), pendant la décennie 1871-1880, on a célébré 401 mariages religieux et seulement 134 mariages civils.
-
[14]
Le nombre des mariages impliquant un veuf et/ou une veuve (surtout une veuve) à Alghero est beaucoup plus élevé que celui qui figure dans les statistiques officielles de l’ensemble de l’île. Cette divergence est due, au moins en partie, à l’identification correcte des situations de veuvage effectuée dans notre recherche, mais peut aussi être liée à une série de facteurs sociodémographiques particuliers.
-
[15]
Cela dépend de la qualité de l’enregistrement. En Italie, la situation matrimoniale des futurs époux est souvent mentionnée, y compris dans les registres paroissiaux les plus anciens, mais de manière indirecte (prénom et nom du conjoint précédent). Cependant, on doit utiliser ces renseignements avec une grande prudence, car ils sont plus souvent enregistrés pour les femmes que pour les hommes.
-
[16]
Nous rassemblons actuellement les données démographiques nécessaires pour étendre la période étudiée au moins jusqu’en 1940.
-
[17]
Compte tenu des niveaux de mortalité, le veuvage pour un homme à un âge relativement avancé était courant, contrairement au veuvage avant 50 ans, âge où les enfants n’avaient pas encore atteint l’âge adulte. Le remariage au-delà de 65 ans était exceptionnel, surtout pour les veuves. Enfin, l’observation du remariage requiert l’analyse de l’histoire de vie de la personne veuve sur un grand nombre d’années. Adopter ici un délai de 10 ans nous permet de suivre les comportements des personnes devenues veuves à 60 ans jusqu’à leur 70e anniversaire.
-
[18]
Des proportions tout à fait similaires ont été relevées dans plusieurs régions italiennes (Corsini, 1980?; Breschi et al., 2007).
-
[19]
Il s’agit d’enfants encore en vie au moment de l’observation.
-
[20]
Au xixe siècle, à Alghero ainsi qu’en Sardaigne, la structure des ménages était plus simple que dans les autres régions. Comme mentionné dans la section I et par Livi-Bacci (1981), la faible proportion de remariages dans les zones de métayage en Émilie, Toscane, Ombries et Marches, est liée à la rareté des remariages de veufs vivant dans des familles complexes de métayers, qui pouvaient bénéficier de l’aide d’une des femmes du ménage (Breschi, Fornasin et al., 2009).
-
[21]
Voir (Courgeau et Lelièvre, 1994).