On fera la noce tout de suite, demain si ça se peut, on aura les dispenses, d’ailleurs ici les formalités ne sont pas lourdes, le doyen fait ce qu’il veut, on est marié avant qu’on ait eu le temps de crier gare, ce n’est pas comme en France, où il faut des bans, des publications, des délais, tout le bataclan...
Aussitôt qu’il put se trouver un moment seul avec Tess, il la rassura : « Qu’ils ne vous tourmentent pas à propos des bans. Une licence nous laissera plus tranquilles, et je me suis décidé pour une licence sans vous consulter. Ainsi, quand vous irez à l’église dimanche matin, vous n’entendrez pas votre nom, si vous le désirez. »
« Je ne désirais pas l’entendre, cher ami », dit-elle avec fierté.
1L’étude des unions nuptiales fournit des données intéressantes non seulement pour la démographie historique, comme le taux de nuptialité ou l’âge au mariage, mais aussi pour l’histoire sociale, comme les pratiques endogamiques, la mobilité sociale intergénérationnelle et la mobilité géographique d’une société (Van Leeuwen et Maas, 2005?; Oris, 2008). Ces problématiques font habituellement l’objet d’études historiques fondées sur l’exploitation systématique des registres paroissiaux. Mais à cause du caractère local de ces registres, c’est souvent sur l’exploration d’un espace géographique restreint que la plupart des recherches, parfois très approfondies, ont dû être basées, et ce malgré la richesse et le potentiel de cette source (Gautier et Henry, 1958?; Snell, 2006?; Bull, 2005?; Manfredini, 2003?; Van Bavel et Kok, 2009).
2Cette note de recherche a pour objectif de présenter une autre source documentaire liée aux unions nuptiales catholiques, qui, là où elle a pu être conservée, permet d’adopter une plus grande échelle d’analyse : au niveau diocésain, c’est-à-dire régional. Cela offre des avantages évidents aussi bien pour la représentativité des échantillons que pour les coûts de dépouillement et de traitement de l’information. L’analyse porte sur l’ensemble des registres de dispense de proclamations ou de bans, dont la concession revenait aux évêques de chaque diocèse.
3Il s’agit d’une typologie documentaire qui était souvent sollicitée pour accélérer les démarches de célébration du mariage. Son caractère sériel permet en fait de conjuguer une étude diachronique de longue durée avec une étude couvrant une vaste zone géographique. Cette démarche intermédiaire se situe entre les approches micro, centrées sur une localité ou une paroisse, et celles macro, basées sur des sources qui auparavant diluaient les individus dans de grands agrégats statistiques. La présentation de notre source, dont l’existence potentielle concerne toutes les régions où la religion catholique est présente, est basée sur la documentation provenant du diocèse de Gérone situé au nord-est de la Catalogne en Espagne (figure 1). Par l’examen des séries documentaires de ce diocèse, nous pourrons observer le contenu et la continuité de la source, évaluer ses facteurs de décision ainsi que sa représentativité.
Le diocèse de Gérone

Le diocèse de Gérone
Note : Le diocèse de Gérone s’étend sur 4?705 km2 et comprend 383 paroisses. Il couvre une grande partie de la province de Gérone (à l’exception des comarques ou districts pyrénéens du Ripollès et de la Cerdagne) et une partie de la comarca du Maresme (province de Barcelone).I – Les proclamations et leur dispense
4Les proclamations ou bans sont des notifications publiques d’un futur mariage canonique. Elles sont réalisées durant l’office religieux par les curés de toutes les paroisses dans lesquelles les futurs mariés ont résidé depuis leur puberté. Grâce à elles, les paroissiens le souhaitant peuvent révéler et dénoncer l’existence d’un motif qui justifierait l’empêchement du mariage entre les futurs conjoints. Selon certains auteurs espagnols de traités de droit canonique, cette pratique remonterait à la France du xiie siècle et se serait étendue à partir du Concile du Latran de 1213 (Carbonero, 1864). Depuis lors, avant sa célébration, le mariage devait être proclamé publiquement trois fois, durant trois jours fériés consécutifs, lors de la messe dans l’église paroissiale. Les proclamations faisaient partie de l’ensemble des procédures que les curés de paroisse utilisaient pour tenter de vérifier tant l’état civil des futurs mariés que l’existence de liens et de situations pouvant être inclus dans l’éventail d’empêchements établis par la législation canonique. Avec la dispense de proclamations (également dénommée licence pour se marier –?remissis monitionibus), cette démarche était supprimée et cela avait un double effet : d’un côté, réduire le temps d’attente pour se marier et, de l’autre, éviter que certains individus puissent faire obstacle à l’union.
5Le principal objectif des dossiers de dispense de bans consistait à vérifier l’état de célibat ou de veuvage des solliciteurs, ainsi que l’inexistence d’autres motifs pouvant empêcher la célébration du mariage. C’est pourquoi, dans la demande adressée aux autorités diocésaines, le curé de paroisse devait déclarer que la situation des futurs époux avait été examinée et qu’aucun empêchement n’avait été découvert ou bien, dans le cas contraire, qu’une dispense avait été obtenue?; il fallait aussi certifier que l’on s’était basé sur le témoignage de deux personnes ou plus, pour vérifier l’état civil des futurs conjoints. En effet, théoriquement, lorsque l’un des solliciteurs résidait ou avait résidé auparavant dans un autre endroit, la déclaration de deux témoins de chacune des précédentes paroisses de résidence était requise?; et dans le cas des hommes ayant effectué le service militaire, on exigeait que l’armée certifie leur célibat durant la période du service par le témoignage de deux compagnons d’armes ayant partagé le même destin. Par ailleurs, à partir de 1776, suite à un Décret royal interdisant aux fils de moins de 25 ans et aux filles de moins de 23 ans de se marier sans le consentement paternel, cette condition était également prise en compte lors de l’examen des solliciteurs.
II – Les séries du diocèse de Gérone
6La série de demandes de dispense de proclamations devrait exister dans toutes les archives des diocèses catholiques, mais sa conservation peut s’avérer moins bonne que prévue [1]. Selon un sondage réalisé parmi les archives diocésaines catalanes, peu d’entre elles contiennent une série continue et accessible [2]. Alors que les dossiers de dispense d’empêchement, dont la résolution dépendait de la curie du Vatican, étaient habituellement conservés dans les archives diocésaines, ceux relatifs aux dispenses de bans, dont la concession revenait aux évêques ou à leurs vicaires, l’étaient moins fréquemment. Dans le cas des archives diocésaines de Gérone, des séries assez complètes de dispenses de bans ont tout de même été conservées de 1639 jusqu’à 1936 [3], bien que l’on observe des lacunes importantes durant la première moitié du xixe siècle (figure 2).
Chronogramme des séries documentaires

Chronogramme des séries documentaires
7Le fonds du diocèse de Gérone se compose d’environ 250?000 demandes intégrées dans deux séries bien différenciées : a) les livres de registre pour les demandes et b) les dossiers de demande de dispense de bans. La première série commence par un registre d’étrangers, plus spécialement de nationalité française?; c’est dans le contexte de la vague migratoire à la fin du xvie siècle et au début du xviie que ceux-ci sollicitaient le mariage dans le diocèse de Gérone (Nadal et Giralt, 1960?; Vilalta, 1991, p. 290-318) [4]. De fait, nombreux sont les livres antérieurs à 1640 qui s’intitulaient Livre d’information pour marier des Français?; et c’est à partir de 1639 que l’on commence à détecter l’enregistrement de demandes de dispense de bans liées cette fois à deux époux originaires du diocèse. Ensuite, c’est à partir de la moitié du xviie siècle que le contenu des livres de registre se limite essentiellement aux demandes de dispense de bans –?considérées comme des licences matrimoniales (remissis monitionibus)?– et que l’on peut alors disposer d’une série quasiment continue jusqu’en 1799 [5].
8La seconde série est constituée par les dossiers de demande de dispenses, étroitement liés aux livres de registre que nous venons de mentionner, bien que pourvus d’un contenu plus volumineux. Dans le cas du diocèse de Gérone, cette série commence à être conservée peu après la publication en 1728 des instructions (instruccions) de l’évêque Pere Copons i de Copons. Ce texte établit la procédure d’interrogatoire des témoins dans les pétitions de licence matrimoniale remissis monitionibus, ainsi que les conditions formelles que les demandes devaient respecter (notamment être adressées au vicaire général du diocèse) [6]. Les dossiers débutent en 1732 et la série se poursuit de façon continue jusqu’en 1777. Durant cette première période, on dispose simultanément des dossiers et des livres de registre. À partir du xixe siècle, par contre, seule la série des dossiers a été conservée, soit de façon fragmentaire entre 1805 et 1821, soit de façon continue entre 1857 et 1936.
9La quantité et la qualité de l’information contenue dans cette source subissent d’importantes variations au fil du temps. Par exemple, dans le cas de l’interrogatoire des témoins issus de paroisses différentes de celle de résidence lors de la présentation de la demande, le document s’y rapportant n’apparaît de façon systématique qu’à partir de la moitié du xixe siècle. Quant aux livres de registre de dispenses, la série la plus ancienne, bien que contenant à ses débuts une déclaration plus ou moins longue de la part des témoins, évolua vers une forme plus brève et synthétique, avec des registres se limitant habituellement aux mêmes informations que celles des registres matrimoniaux paroissiaux : nom, résidence et état civil des solliciteurs et, spécialement lorsqu’il s’agissait des premières noces, de leurs parents. Dans ce cas, les avantages par rapport aux registres matrimoniaux paroissiaux sont principalement la centralisation dans un seul dépôt et la couverture géographique. Les dossiers de demande, en revanche plus volumineux, fournissent des informations habituellement plus précises et peuvent détailler les motifs de la demande.
III – Les motivations liées aux demandes de dispense de bans
10Théoriquement, la dispense de bans était seulement octroyée lorsqu’il existait une cause justifiée et raisonnable. Parmi ces causes, les auteurs de traités sur le mariage canonique mentionnaient l’existence d’une opposition « malicieuse » au mariage provoquant des retards injustifiés, la grossesse de la future épouse, les situations de concubinage ou de mort prochaine, ou encore la circonstance d’un voyage urgent et soudain. Même si les motifs n’étaient pas toujours spécifiés, une telle pratique était bel et bien généralisée à certaines époques. Un échantillon extrait des dossiers de l’année 1805 indique que 93 % des demandes exposaient une justification de motifs (tableau 1). La grande majorité déclarait uniquement un motif de dispense (68 %) ou parfois deux (22 %), et seule une petite fraction allait jusqu’à présenter trois ou, exceptionnellement, quatre arguments.
11Presque la moitié des demandes alléguaient le besoin d’éviter les fausses ou malicieuses dénonciations d’empêchement favorisées par la publication des bans (tableau 2). Il s’agit non seulement du motif le plus fréquent, mais aussi du plus stéréotypé [7]. C’est précisément la répétition de la formule qui pousse à croire qu’il s’agissait d’un recours rhétorique, bien que parfois certaines petites variations ou des ajouts puissent indiquer le reflet d’une situation réelle. Dans plusieurs demandes, des précisions sont ajoutées à la formule ne malitiose impediatur (éviter l’empêchement malicieux), spécifiant l’intensité de la crainte ou le fondement de ses soupçons (par exemple, parce que la fiancée avait des enfants d’un mariage antérieur). Le second type de motifs, par ordre de fréquence, renvoie à la volonté d’accélérer les démarches préalables à la célébration. Nous ne savons pas avec exactitude de combien de temps il était habituel de les prolonger à partir du moment où les futurs mariés (ou leurs familles) prenaient la décision de s’unir en mariage. À en juger par la citation de Victor Hugo reproduite en introduction, dans certains lieux –?Hugo se réfère de manière générique à la France, en opposition aux îles du canal de la Manche?–, de telles procédures devaient être pénibles et relativement lentes, ce qui pouvait favoriser des tactiques permettant de limiter sensiblement les délais. Entre un quart et un cinquième des dispenses justifiaient la demande pour des raisons d’urgence temporelle. Dans certains cas, il est dit que le fiancé devait entreprendre un long voyage ou débuter la saison d’itinérance liée à la moisson?; dans d’autres cas, on met en évidence les risques moraux que le retard pouvait impliquer pour les solliciteurs?; finalement, il s’agit parfois simplement du désir de faire coïncider la célébration du mariage avec une fête déterminée. Bien que l’on mentionne dans certains traités que la proximité du Carême ou de l’Avent ne constitue pas une raison suffisante de dispense, ce motif est allégué par plusieurs solliciteurs.
Justification des demandes de dispense de bans, 1805

Justification des demandes de dispense de bans, 1805
12Un chapitre spécifique renvoie à des motifs associés à l’« entretien ménager ». Ils révèlent l’existence de déséquilibres dans l’unité familiale d’un des futurs conjoints, situation qui requérait l’arrivée rapide du nouveau conjoint, généralement pour s’occuper des enfants ou des personnes âgées, ou comme main-d’œuvre : 16 % des dispenses font allusion aux problèmes de ce type. Les autres motifs allégués pour solliciter une dispense, bien que pouvant être significatifs à une certaine échelle, avaient globalement une incidence mineure. Les risques spécifiques de violation des normes morales apparaissent approximativement dans 10 % des dispenses, si nous considérons les médisances de voisinage conjointement avec les déclarations plus explicites. Généralement, on alléguait l’existence d’un risque d’incontinence, d’excessive proximité ou de scandale public, alors que le nombre de grossesses prématurées déclarées était beaucoup moins élevé [8]. Finalement, parmi les motifs de demande de dispense apparaissent les situations de précarité et de pauvreté, l’absence de dot de la part de la fiancée, les mauvais traitements subis dans le foyer parental ou le désir d’éviter, dans le cas de mariages avec des veufs ou des veuves, les moqueries et charivaris [9] dont ceux-ci étaient souvent l’objet.
Typologie de motifs dans les pétitions de dispense de bans, 1805

Typologie de motifs dans les pétitions de dispense de bans, 1805
IV – Chronologie et représentativité de la source
13La figure 3 reflète la chronologie des demandes de dispense de proclamations déposées dans les archives du diocèse de Girone (Arxiu Diocesà de Girona) et délimite les principales lacunes documentaires. Leur trajectoire suit, grosso modo, l’évolution générale de la population. Durant la deuxième moitié du xviie siècle, sont examinées en moyenne 550 demandes par année?; le chiffre est du même ordre de grandeur (515) durant la première moitié du xviiie siècle, malgré une brusque chute de niveau après la guerre de Succession d’Espagne (1702-1714), pour ensuite enregistrer une croissance importante après 1760 parallèlement, au cours de cette période, à l’accroissement démographique. Durant la seconde moitié du xviiie siècle, le nombre moyen de demandes annuelles s’élève à 985?; mais double pendant la deuxième moitié du xixe siècle pour finalement atteindre une moyenne annuelle de 1?875 dossiers. Certaines chutes clairement observables sur le graphique peuvent être attribuées soit aux guerres [10] (en particulier la baisse de 1808 et 1809), soit à des pertes documentaires touchant ponctuellement certaines années de la série.
Demandes annuelles de dispenses de bans (1651-1906)

Demandes annuelles de dispenses de bans (1651-1906)
14L’utilisation des dispenses de bans comme alternative aux registres paroissiaux de mariage reste une possibilité conditionnée par leur représentativité par rapport au total de mariages célébrés dans le diocèse de Gérone. Il faut attendre le milieu du xixe siècle pour disposer des premières statistiques officielles de mariages qui permettent d’établir un bilan approximatif. Le résultat de ce bilan, calculé comme quotient entre dispenses de bans et mariages, révèle une moyenne de 76 %, une valeur optimale pour nos intentions [11]. Bien que les limites entre diocèse et province ne coïncident pas, on peut faire l’hypothèse que ce type de dispense fut sollicité pour environ 76 % des mariages célébrés entre 1863 et 1910. On obtient un résultat similaire si l’on projette sur le xviiie siècle le taux de nuptialité (8 ‰) obtenu à partir des statistiques du milieu du xixe siècle (Martínez Quintanilla, 1865). De cette façon, en effet, on peut évaluer le nombre de mariages qui ont dû avoir lieu à d’autres époques. Prenant comme référence le recensement de Floridablanca (1787), le nombre de dispenses de bans (1?100 par an entre 1783 et 1793) et le nombre de mariages estimés (1?535), nous obtenons une valeur de 72 %.
Représentativité de la source selon la situation géographique des paroisses
15Même si les résultats obtenus au moyen d’essais distincts indiquent tous, du moins pour la période allant de la fin du xviiie siècle jusqu’à la dernière décennie du xixe, que la série de dispenses de bans du diocèse de Gérone concernait grosso modo les trois quarts des unions canoniques célébrées dans ce diocèse, une analyse plus détaillée révèle en fait l’existence de certains biais géographiques. Ces biais ne sont cependant pas systématiques, mais présentent un caractère circonstanciel et changeant. Pour l’année 1805, un essai réalisé avec les registres de neuf paroisses (Serramontmany, 2010) sur un total de 170 mariages conduit aux résultats suivants : 68 % des unions furent célébrées avec dispense de bans, la fréquence enregistrée dans les paroisses du littoral étant plus élevée (83 %) que celle des paroisses de l’intérieur du pays (54 %). Par contre, pour l’année 1896 (Portell, 2009), un autre échantillon (60 mariages) composé à partir de deux paroisses indique que les dispenses étaient plus fréquentes dans la paroisse de l’intérieur (79 %) que dans celle du littoral (55 %).
Représentativité selon le groupe social des solliciteurs
16Il faut s’interroger sur l’existence de biais sociaux dans la pratique qui consiste à solliciter une dispense de proclamations. Comme on peut l’observer dans le tableau 3, basé sur un échantillon de paroisses du diocèse, aucun groupe social ne restait à l’écart, et ce malgré une distribution non linéaire des comportements. Laissant de côté le chiffre du groupe rentier à cause de sa faible représentativité, il faut relever la fréquence élevée enregistrée pour les mariages des pagesos [12], soit propriétaires soit colons. À l’opposé, le groupe social le plus nombreux, celui des travailleurs [13], était celui qui sollicitait la dispense avec la plus faible fréquence, même s’il le faisait dans une proportion importante (son poids dans la répartition des dispenses de la même période étant de 43 %).
Part de mariages avec dispense de bans selon le groupe social du fiancé (échantillon de 9 paroisses, 1805)

Part de mariages avec dispense de bans selon le groupe social du fiancé (échantillon de 9 paroisses, 1805)
17Malheureusement, l’information sur le groupe social des solliciteurs ne se maintient pas de manière constante tout au long de la série. Jusqu’au début du xixe siècle, la source indique la qualification socioprofessionnelle de presque tous les hommes qui se marient, des pères des fiancées et également, dans une moindre mesure, des pères des fiancés. Mais au cours du xixe siècle, l’identification des individus avec mention du métier tend à disparaître, comme le reflète le tableau 4 [14]. Ce fait rend difficile l’évaluation de la représentativité sociale de la source pour ce siècle, il en limite en même temps les possibilités analytiques, étant donné la disparition d’un indicateur essentiel pour l’observation des dynamiques sociales.
Dispenses avec information sur le métier des individus selon leur rôle familial (%)

Dispenses avec information sur le métier des individus selon leur rôle familial (%)
Représentativité selon l’état civil des solliciteurs
18Dans la mesure où les secondes noces reflètent des conditions sociales distinctes par rapport aux premiers mariages, il est important de tenir compte de la proportion de veufs et veuves parmi les solliciteurs. Le tableau 5 montre que cette proportion est très élevée, et ce spécialement durant le xviiie siècle, où les secondes noces concernent alors 30 % des hommes solliciteurs et plus de 20 % des femmes. Mais elle se réduit de moitié pendant le xixe siècle, même si elle continue à représenter une partie assez élevée des solliciteurs. Toutefois, il ne faut pas en déduire que la demande de dispense de bans était plus fréquente parmi ceux qui s’engageaient en secondes noces. Selon les statistiques relatives au mouvement naturel de population, lors de la décennie de 1860-1869, les mariages de veufs et veuves enregistrèrent un pourcentage proche de la tendance décrite dans le tableau 5 (17 % pour les hommes, 9,1 % pour les femmes). Quant à la première décennie du xxe siècle, les chiffres, bien que sensiblement plus faibles que ceux de 1896 (12,1 % pour les hommes, 7,3 % pour les femmes), ne suggèrent pas non plus un biais de grande importance.
Proportion de veufs et veuves parmi les solliciteurs de dispense de proclamations (%)

Proportion de veufs et veuves parmi les solliciteurs de dispense de proclamations (%)
Conclusion
19Dans le roman de Thomas Hardy, Tess se sentit soulagée lorsqu’elle apprit que son futur conjoint, Angel Clare, avait sollicité des dispenses de bans. Mais celui-ci, qui ignorait en fait le passé de la jeune fille, le fit simplement parce que « Une licence nous laissera plus tranquilles ». Or, la plupart des futurs mariés du diocèse de Gérone, durant des siècles, ont agi exactement de la même façon.
20Au vu des pourcentages élevés de dispenses, on se demande inévitablement pourquoi il s’agissait d’une pratique si généralisée. Même s’il est vrai que la législation ecclésiastique prévoyait seulement la possibilité de concéder cette dispense pour une cause légitime ou un motif d’urgence, il semble bien que, dans la pratique, l’habitude de la solliciter était établie et généralisée. La fréquence particulièrement élevée peut s’expliquer par les bénéfices de sa concession et la relative simplicité des démarches. Les bans publics pouvaient donner lieu à l’apparition d’obstacles à l’union nuptiale ou pouvaient simplement retarder sa célébration. De plus, comme ces dispenses étaient accordées par l’évêque du diocèse et non par la curie romaine, leur coût s’avérait plus abordable pour l’ensemble de la population. Mais indépendamment des raisons qui poussèrent les contemporains à solliciter une dispense de bans, il est certain que la fréquence de ces demandes permet de considérer cette source comme un corpus documentaire privilégié.
21On a vu que les séries de dispenses de bans déposées dans les archives diocésaines constituent sans aucun doute une source particulièrement riche, apte à saisir de façon rapide, année après année et durant une longue période, les caractéristiques de la plupart des mariages d’un diocèse. Comme toute série de mariages, celles de dispenses de bans fournissent, en plus de données sur la nuptialité, les taux de continuité professionnelle, d’endogamie et de mobilité géographique au moment du mariage. Le fait de disposer des données relatives à l’ensemble d’un diocèse permet de situer tous ces phénomènes dans le cadre le plus adéquat pour leur analyse, c’est-à-dire le cadre régional [15].
Notes
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[1]
Par exemple, Barba et Gutiérrez (2008), ainsi que Gutierrez (2008) ne citent pas son existence parmi les diverses typologies de dossiers de dispense matrimoniale conservées dans les archives diocésaines de Jaén.
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[2]
Molina (2010, p. 108), dans une étude sur les relations sexuelles prénuptiales, utilise une collection de 205 dispenses matrimoniales se référant à la Sierra del Segura d’Albacete, dont seules 2 correspondent à des dispenses de bans.
-
[3]
Arxiu Diocesà de Girona, Cúria i Vicariat General, Matrimonials, Dispenses de Proclames. Il faut reconnaître que ce travail, tout comme l’idée même d’employer les dispenses matrimoniales pour étudier le comportement démographique et la mobilité sociale et géographique, a été rendu possible grâce à la tâche considérable menée à bien par Josep M. Marqués Planagumà durant les années où il a travaillé au Arxiu Diocesà de Girona. On peut accéder à une information sommaire sur lesdits dossiers via l’adresse http://www.arxiuadg.org/.
-
[4]
Par la suite, Busquets (1994, I, p. 307-311) utilisa les premières années de cette série de dispenses pour étudier l’immigration française au diocèse de Gérone durant la première moitié du xviie siècle.
-
[5]
Parmi les dispenses de bans, concernant la série de Gérone, d’autres types de dossiers peuvent également être utilisés mais répondent en fait à d’autres raisons, comme par exemple le consentement paternel au mariage.
-
[6]
Instrucció de modo que se deuhen rebre los testimonis per las llicencias que se despatxan remissis monitionibus, Gérone, 3 novembre 1728.
-
[7]
Villafuerte (1992), dans une étude portant sur 115 dossiers de dispense de bans localisés dans la ville de Mexico entre 1628 et 1634, indique que les motifs les plus fréquents étaient d’abord d’éviter les empêchements malicieux et, ensuite, d’accélérer la célébration du mariage étant donné que l’un des deux époux se trouvait en danger de mort. Selon Pineda (2008), la dispense de bans avait été conçue pour éviter tout empêchement malicieux des mariages, mais était en fait devenue un moyen de déjouer le contrôle paroissial.
-
[8]
En ce qui concerne une petite localité de l’Artois, durant le xviiie siècle, Buon (2008) observe, sauf dans quelques cas particuliers, qu’il n’existe aucune preuve de l’existence d’un lien causal entre grossesses prénuptiales et demandes de dispense de bans.
-
[9]
Organisation d’un tumulte collectif et bruyant, avec des clochettes et d’autres instruments rudimentaires, devant la maison du fiancé ou des fiancés le jour du mariage.
-
[10]
Au contraire, Lusson-Houdemon (1985), pour la Bretagne, suggère une corrélation positive entre le nombre de demandes de dispense de bans et les situations de persécution et de guerre.
-
[11]
Figueras (2001) suggère également, au sujet des colonies américaines durant le xviie siècle, l’existence d’une grande permissivité concernant la concession des dispenses de bans.
-
[12]
Le mot pagès / pagesos se réfère aux chefs de famille qui, en qualité de propriétaires ou de locataires, étaient associés à un mas, c’est-à-dire à une exploitation agraire familiale capable d’assurer la subsistance d’une famille.
-
[13]
Nous avons respecté le terme qui apparaît dans la documentation de l’époque et qui concernait aussi des personnes pouvant posséder une maison et/ou de petits lopins de terre.
-
[14]
On observe aussi cette perte d’information dans les registres paroissiaux de la même période.
-
[15]
Dans le cadre du même projet de recherche, les données des dispenses pourront être comparées et complétées avec les résultats obtenus à partir d’autres sources documentaires de la région de Gérone : en particulier, les contrats de mariage et certaines listes nominatives de caractère fiscal. Au sujet de la richesse de cette première source, voir Congost et Ros (2013).