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1La pellagre, une maladie nutritionnelle liée à un déficit en vitamine B3 (la niacine), a touché jusque parfois récemment des populations pauvres dont le régime alimentaire est basé sur une consommation quasi exclusive et prolongée de maïs. Apparue au XVIIIe?siècle, elle sévit jusqu’au début du XXe?siècle en Italie, en Espagne, au Portugal, en Europe de l’Est ainsi que dans le sud des États-Unis. Au XXe?siècle, elle est présente en Égypte et dans certains pays d’Afrique orientale et méridionale, dont l’Afrique du Sud. Dans cet article centré sur l’Italie du XIXe?siècle et en particulier la Vénétie, une région alors très touchée, Monica Ginnaioprésente l’historique et l’épidémiologie de la maladie, avant d’en analyser les différences de prévalence et de mortalité entre régions, statuts socioprofessionnels, groupes d’âges et sexes. Elle montre en particulier la prédominance de la maladie parmi les groupes sociaux les plus défavorisés et les femmes d’âge reproductif, sans qu’un impact massif sur la fécondité puisse être mis en évidence.

2L’?objectif principal de cette recherche est de dégager les raisons fondamentales qui rendent l’endémie pellagreuse italienne profondément sélective selon le lieu de résidence, la catégorie socioprofessionnelle, l’âge et le sexe des malades. Cette grave avitaminose, causée par une monoalimentation maïdique, a touché plus particulièrement les agriculteurs de deux régions, la Vénétie et la Lombardie, entre la fin du XVIIIe?siècle et l’entre-deux-guerres. Afin de comprendre les «?préférences?» sociales montrées par la pellagre, notre observation intègrera différents niveaux d’analyse (épidémiologie historique, histoire de la médecine, études de genre, histoire sociale) afin de mettre en lumière le lien entre les facteurs culturels, sociaux et épidémiologiques conduisant à cette sélection, qui n’est pas sans conséquences démographiques.

3Outre les sources médicales et littéraires, la mesure des principaux effets démographiques provoqués par cette carence alimentaire s’appuie sur deux types de données. Tout d’abord, les résultats des enquêtes sanitaires et agricoles du ministère de l’Intérieur et du ministère de l’Agriculture organisées entre 1879 et 1900. Ces enquêtes couvrent les régions italiennes concernées par la maladie, elles avaient pour but d’estimer l’incidence de la pellagre, en termes de morbidité et de mortalité, ainsi que des conditions de vie de la population agricole. La première, lancée le 1er?septembre 1878 par la direction de l’Agriculture qui était à l’époque un département du ministère de l’Intérieur, est destinée à «?enquêter sur les pellagreux et sur la condition des classes agricoles?» (Annali d’agricoltura, 1880?; archives du ministère de l’Intérieur). La seconde, proposée par le député Stefano Jacini, observe?la situation de la paysannerie de toutes les régions italiennes et insiste sur la présence des pellagreux dans les territoires concernés (Enquête Jacini, 1882). En 1890, un sondage sur les conditions sanitaires des travailleurs de la terre –?qui comprend également une enquête sur la pellagre?– est organisé par Agostino Bertani et, dix ans après, une autre enquête nationale englobe également les mesures prises afin de lutter contre le mal (Inchiesta sulla pellagra nel Regno, 1900). Toutes ces enquêtes, malgré leur évidente utilité, présentent des difficultés d’exploitation liées à d’importantes sous-estimations. En effet, la pellagre, à ses débuts, peut facilement être dissimulée et un nombre difficilement estimable de pellagreux «?honteux?» [1] ne se déclarent pas lors des décomptes des malades organisés par les pouvoirs sanitaires. Ce silence est surtout destiné à éviter le licenciement, la perte du logement ou encore du terrain loué.

4Par ailleurs, les séries provenant des données de l’Institut de statistique de Rome (Istat), disponibles à partir de l’Unification italienne (1861), sont également analysées [2]. Elles concernent les recensements (tous les 10?ans de 1861 à nos jours, exception faite des deux recensements de 1891 et de 1941 qui ont été annulés) et le mouvement de la population. La méthode de collecte se fonde sur les éléments fournis par les communes et transmis à Rome pour y être agrégés. Les informations sont généralement disponibles par chef-lieu de province (parfois par commune) et par région. Les statistiques sur la mortalité sont obérées par la mise en place tardive de l’obligation de déclarer toutes les causes de décès. Alors que les communes chefs-lieux de leur province sont soumises à cette contrainte à partir de 1881, ce n’est qu’en 1888 que la déclaration est étendue à toutes les communes italiennes, urbaines et rurales. Comme la pellagre frappe plus particulièrement le monde rural et les petits centres urbains, les résultats fournis par les statistiques avant 1888 demeurent incertains et sont à manipuler avec prudence. Par ailleurs, lorsque les causes de décès sont mentionnées, la mortalité par pellagre est généralement sous-estimée?: il arrive fréquemment que ces décès soient enregistrés sous une autre cause, notamment dans les cas de suicide.

5Dans cet article, certains aspects de la maladie, comme les modalités de prévention ou de prise en charge des pellagreux, ont été délibérément laissés de côté. La recherche est centrée sur l’impact social et démographique de cette grave avitaminose qui a plus particulièrement sévi, durant les dernières décennies du XIXe?siècle, dans les trois régions italiennes de Vénétie, Lombardie et Émilie.

6Au préalable, nous rappellerons les hypothèses étiologiques émises par les premiers «?pellagrologues?», les actions politiques et médicales ainsi que l’épidémiologie et les symptômes de l’affection. Puis nous examinerons les causes biologiques, sociales et économiques déterminant l’impact de la pellagre en Italie et ailleurs, nous en mesurerons les effets démographiques et discuterons ces résultats avec ceux d’études antérieures. Ce travail est centré sur l’histoire de la maladie, et plus particulièrement sur la recherche des conditions sociales, économiques et politiques qui ont conduit au développement de la pellagre, ainsi que sur les diverses approches étiologiques proposées à l’époque et étroitement liées au regard politique porté sur la situation sociale et alimentaire des populations rurales. De récentes études sur l’épidémiologie de la pellagre permettent de mieux comprendre la gravité et la diversité des symptômes pellagreux, et justifient?une analyse de la sélectivité de la pellagre en fonction des catégories d’âges, des professions et du genre.

I – Le «?mal de la misère?»

7Tous les ans, «?vers l’époque où le soleil rentre dans le signe du Bélier?» (Marchant, 1847), le fermier remarque une tache ronde et prurigineuse, d’un rouge foncé, qui apparaît sur le dos de sa main, pâlit graduellement et disparaît en laissant la peau brillante. L’?année d’après, à la belle saison, la tache est plus ample et sa pigmentation plus prononcée. Ensuite, ces marques se répandent sur les jambes et les pieds, la peau des mains s’écaille et les fissures deviennent des crevasses. Le mal s’étend à la bouche?: les gencives saignent, les dents noircissent, cassent et tombent. L’?agriculteur est proie de la faiblesse, de la nausée, de la perte de l’appétit. Le pouls est lent, les vertiges et les délires surviennent, la mort suit. C’est le «?mal de la misère?».

8La «?triste maladie qui fut si bien nommée plaie et honte d’Italie?» (Messedaglia, 1927), ne s’impose à l’attention des médecins et de gouvernants italiens qu’à partir de la fin du XVIIIe siècle, pour devenir, en quelques décennies, l’une des problématiques sanitaires et démographiques majeures de l’Italie postunitaire. L’?affection, au début nommée, en Italie, «?brûlure du soleil?» (pellarina, scottatura di sole), «?chaleur du foie?» (calore del fegato) car les premiers observateurs pensaient à un problème d’ordre hépathique, «?mal du patron?» (mal del padrone) causé par le patron, ou encore «?mal rouge?» (mal rosso), devient définitivement pellagra à partir des premières décennies du XIXe?siècle. Le mot pellagra, du dialecte bergamasque pel (peau) et agra (aigre, rêche et à l’odeur acide)?ne sera jamais remplacé par aucune dénomination savante.

9Tout au long du XIXe?siècle, et bien au-delà, l’étiologie de la pellagre demeure mystérieuse. Les prémices de la «?pellagrologie?» italienne établissent un lien entre la pellagre, le scorbut et la lèpre. Les signes dermatologiques pellagreux sont proches des manifestations scorbutiques et les premiers pellagrologues corrèlent ainsi deux des trois plus graves avitaminoses [3], alors que la connexion entre la pellagre et la lèpre, plus complexe, implique l’exclusion sociale propre aux maladies se manifestant par une atteinte visible de la peau. D’autres théories étiologiques rapprochent la pellagre d’une zoopathie transmissible à l’homme (Marchant, 1847), un mal provoqué par la poussière qui «?s’incruste dans la peau?» (Le Fers, 1907), les rayons du soleil et l’insalubrité de l’eau. Certains auteurs théorisent la contagion interhumaine et d’autres (Bassi, 1846) l’action d’un vecteur parasitaire. La «?peste du maïs?» (Brenton, 2000) est aussi associée aux mauvaises conditions de vie, à la consommation de boissons alcoolisées, à la carence en sel.

10Comme pour toute nouvelle maladie, après la prise de conscience, les expériences et les écrits savants fleurissent dès la fin du XVIIIe siècle (Allioni, 1795). Cela conduit les pellagrologues italiens, à partir de la moitié du XIXe?siècle, à observer la relation entre la maladie et la consommation unique de polenta de farine de maïs. Dès lors, deux grands courants de la pellagrologie se définissent. D’une part, les pellagrologues «?carentiélistes?», qui accusent la monoalimentation maïdique d’être responsable de la pellagre, à travers une défaillance nutritionnelle imprécise. En effet, malgré cette lucidité d’interprétation, les médecins carentiélistes, peu nombreux, ne peuvent comprendre la réelle étiologie pellagreuse, car l’existence des vitamines ne sera découverte qu’en 1922 par Casimir Funk.

11Parallèlement aux idées carentiélistes, il existe une autre doctrine déclarant que la source de l’intoxication est plutôt à rechercher dans la consommation d’un maïs avarié par des champignons ou des moisissures?: c’est la théorie «?toxicozéiste?», dont le plus fervent défenseur est le médecin et anthropologue socialiste Cesare Lombroso [4].

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«?La pellagre n’est pas un produit de la misère mais elle provient d’un virus contenu dans le maïs avarié?; cependant, ce virus est plus efficace dans un organisme débilité par la misère. Ainsi, les deux termes de pellagre et de misère sont effectivement liés, mais pas par une relation de cause et effet. Si on supprime la misère, on diminue le champ d’action de la pellagre, mais on ne peut pas supprimer pour autant le virus du maïs avarié qui provoque la maladie. Si, au contraire, on détruit tout le maïs avarié, la misère ne va pas disparaître, mais la maladie pellagreuse, oui. Ainsi, conseiller au paysan de mieux manger et boire pour se protéger de la pellagre est un propos qui a du sens, mais c’est une vérité inutile, une cruelle ironie qui peut même faire du tort aux fermiers. Le pauvre homme auquel nous, les pellagrologues, depuis notre confortable siège, donnons ce conseil, ne peut jamais le suivre et s’il le pouvait, il n’attendrait pas nos paroles pour mettre en pratique cette recommandation. Par conséquent, de cette idée ne peut que naître un grand préjudice, car ces malheureux abandonnent ainsi la seule voie possible pour se prévenir du mal, et une fois malades, ils délaissent toute idée d’une possible guérison, car ils pensent que la seule issue, celle de la nourriture, est hors de leur portée?».
(Lombroso, 1882)

13En Italie, l’hypothèse toxicozéiste est stratégiquement acceptée par les pouvoirs administratifs?: par cette voie, la maladie, qui malgré tout pèse sur les consciences bourgeoises, capitalistes et catholiques, devient une banale intoxication dont les fermiers, et non l’État, demeurent totalement responsables. Une bataille contre le maïs avarié est alors déclarée. En 1902, la «?Loi contre la pellagre?» est votée par le Parlement italien, et on y préconise une diversification agricole, des sanctions pour les producteurs et les consommateurs de maïs avarié, la mise en place de fours communaux pour la cuisson du pain, la distribution de sel aux plus démunis, l’élevage de lapins, la fréquentation des cantines scolaires par les enfants des pellagreux. D’autres initiatives, surtout locales, contribuent à éradiquer le mal dans les campagnes d’Italie septentrionale, comme l’assistance alimentaire aux malades, notamment aux premiers stades, pendant quelques mois d’hiver. L’hospitalisation de longue durée est également envisagée?: en 1883, la pellagroserie Gris de Mogliano Veneto (dans la province de Trévise) voit le jour et débute une activité de prise en charge médicale et alimentaire des pellagreux de Vénétie, qui se poursuivra jusqu’aux années 1940 (Vanzetto, 1985).

II – Épidémiologie de la pellagre

14La pellagre est une avitaminose qui, dans la plupart des cas et notamment en Italie [5], est engendrée par la consommation exclusive et prolongée de farine de maïs bouillie, la polenta. Par les effets et les affections qu’elle provoque, cette avitaminose peut également être considérée comme une grave maladie du métabolisme. La vitamine dont la carence conduit à la pellagre est la niacine (ou vitamine B3, ou encore PP, Pellagra preventis), isolée en 1937 par Joseph Goldberger. Son importance est fondamentale car elle est le composant dominant de deux nucléotides coenzymatiques qui assistent et accélèrent plus de 200 fonctions métaboliques. La plupart des enzymes coenzymatiques ne sont pas synthétisées par l’organisme mais rendues disponibles à partir d’aliments et de facteurs de croissance comme les vitamines. La niacine pourrait être considérée comme non totalement essentielle dans un régime alimentaire car elle peut être partiellement fabriquée à partir de l’acide aminé tryptophane, bien que ce chemin métabolique ne puisse être accompli qu’en présence des vitamines B2 et B6 [6], de fer (Oduho et al., 1994) et de zinc (Hankes et al., 1971)?: lors d’une défaillance de ces derniers nutriments, le taux de conversion est compromis (Krieger et Statter, 1987). Le tryptophane règle l’appétit, la sexualité, l’humeur, le sommeil. Il est le précurseur de la sérotonine, neurotransmetteur dont la déficience donne lieu à de nombreux troubles comme la dépression et l’anxiété. De ce fait, les manifestations neuropsychiatriques pellagreuses sont aussi dues à la baisse du taux de sérotonine [7].

15Les besoins en niacine augmentant avec l’activité physique, les premiers symptômes pellagreux chez les paysans apparaissent au début de l’été, à la reprise des travaux agricoles. La monoalimentation maïdique est totalement défaillante en niacine, bien que le maïs contienne au départ de la vitamine PP qui est perdue lors du stockage des épis et des grains, autant que par sa mouture en farine, par sa cuisson à l’eau bouillante et par la conservation de la polenta. La nourriture totalement maïdique des paysans vénètes et lombards de la fin du XIXe siècle est alors, par ses carences nutritionnelles, première responsable de la pellagre, bien que le tableau clinique pellagreux soit produit par un état carentiel généralisé. Dans un régime à faible (ou nul) contenu en tryptophane et en vitamine B3, lors des premiers mois de privation, l’organisme réduit les pertes et cherche à rétablir les taux vitaminiques, en puisant dans les lieux de stockage. Au terme de cette phase, qui peut néanmoins durer plusieurs mois, les altérations de l’activité enzymatique débutent et les manifestations de carence deviennent visibles. La gravité des lésions pellagreuses est proportionnelle au stade de la pellagre, nommée «?la maladie des 3D?», en accord avec ses trois manifestations les plus remarquables?: les dermatoses, la diarrhée et la démence [8]. Conventionnellement, la maladie se déroule en quatre paliers distincts.

16Les manifestations dermatologiques?: il s’agit du premier stade de la maladie. La peau des pellagreux est anormalement sensible aux rayons solaires qui entraînent des érythèmes, des œdèmes et des rougeurs (Gillmann, 1951) localisés sur les parties exposées au soleil, accompagnés par des sensations de chaleur, de cuisson et de démangeaisons. L’?apparition de vésicules et de croûtes précède la desquamation de l’épiderme. Une fois les lésions guéries, la peau demeure lisse et brillante?; après plusieurs rechutes, elle est amincie, atrophiée, pigmentée et couverte de squames (Licha, 1986). Ces ulcérations, fréquemment insensibles à la douleur, ressemblent aux lésions lépreuses?: même à l’heure actuelle, sans examen de laboratoire, les lésions dermatologiques pellagreuses peuvent aisément être confondues avec celles de la lèpre et de la syphilis secondaire. Le premier stade est aussi accompagné de troubles aux muqueuses, notamment buccales. Les glossites, les stomatites, les aphtes, un palais douloureux, des gencives gonflées et œdémateuses, des caries dentaires et une hypersialorrhée définissent davantage le cadre nosologique du premier stade pellagreux. Cette période pathologique est caractérisée par une durée variable et par des récidives annuelles. Certains pellagreux, en accord avec leur régime alimentaire, souffrent uniquement d’expulsions dermatologiques sans jamais atteindre l’échelon supérieur, car les lésions guérissent lors du rétablissement de la diversité nutritionnelle estivale, pour ne se représenter que vers la fin de l’hiver suivant.

17Troubles digestifs?: le deuxième échelon pellagreux, dont les symptômes peuvent aussi se présenter au début de la maladie et accompagner les lésions dermatologiques. Anorexie, vomissements, épigastralgie, achlorydrie et amaigrissement. La diarrhée est aqueuse, glaireuse et parfois sanguinolente?; une alternance entre des phases de diarrhée et une constipation obstinée est possible. D’ordinaire, selon les sources anciennes (Bonfigli, 1881?; Marie, 1908?; Gris, 1908), l’affection digestive atteint presque toujours les pellagreux récidivistes ou les malades totalement monoalimentés depuis plus de huit mois, selon leur résistance individuelle. Les fiches nosologiques de la pellagroserie Gris (qui n’admet dans sa section «?Pellagroserie?» [9] que des malades aux deux premiers stades) rapportent presque constamment des cas de diarrhée parmi les malades, même lorsque la guérison suit au bout de quelques mois de régime alimentaire varié.

18Troubles neurologiques?: l’atteinte neurologique caractériserait le troisième palier pellagreux, bien que la durée de ces stades soit totalement variable. Selon les fiches nosologiques d’admission dans l’hôpital psychiatrique dirigé par Clodomiro Bonfigli à Ferrare (Bonfigli, 1881), les patients atteints par des troubles neurologiques et psychiatriques graves sont pellagreux depuis au minimum deux ans, mais certains malades vivent avec la pellagre depuis huit ou même douze ans, ou encore depuis l’enfance. Ces patients sont toujours récidivistes et leur alimentation est, depuis au moins quelques années, complètement maïdique, même l’été. À ce niveau, des troubles moteurs s’accompagnent d’une extrême prostration. Le sujet se plaint de crampes, de douleurs, d’une fatigabilité des membres inférieurs et de troubles de la démarche. Fourmillements, tremblements, perte de sensibilité au niveau des extrémités, céphalée, vertiges. Des crises convulsives épileptiques sont possibles, ainsi que des difficultés de phonation.

19Troubles psychiatriques?: la dernière période symptomatique de l’avitaminose B3 débute généralement par une irritabilité, une apathie, une hypochondrie, une agitation nocturne?; ces symptômes évoluent vers une perte de la mémoire, un défaut d’orientation, un état confusionnel, de l’insomnie. Le malade souffre d’hallucinations, d’idées de persécution, d’autoaccusation et d’une sorte de mélancolie (errabunda) qui le pousse à quitter son domicile. La folie pellagreuse est constituée par l’alternance de phases dépressives (mutisme absolu, crises de larmes, dépression, obnubilation, torpeur intellectuelle) avec des moments d’anxiété et d’angoisse (délires hystériques, crises obsessionnelles et maniaques, propension au suicide et à l’homicide)?; le passage d’une phase à l’autre peut s’accompagner du changement d’un état diarrhéique à une constipation. Des troubles du comportement alimentaire sont souvent énumérés?: outre la sitiophobie et la boulimie, les pellagreux souffrent de pica et plus particulièrement de géophagie, qui les pousse à se nourrir de terre, de sable ou de chaux. Cette phase de la maladie peut évoluer très vite vers le décès?: d’après les fiches d’admission de l’hôpital de Ferrare, le malade peut succomber au marasme pellagreux en quelques jours. Atteindre ce stade signifie ne jamais avoir profité d’une quelconque prise en charge alimentaire durant les longues années de récidive pellagreuse.

20En Italie, les sujets à risque, compte tenu des défaillances alimentaires dont ils sont victimes, sont donc les paysans, et particulièrement les journaliers, subissant une totale précarité d’emploi et ainsi contraints, pour des raisons notamment économiques, à une monoalimentation maïdique prolongée.

21Plus spécifiquement, il existe un lien entre une catégorie d’âges précise (généralement 25-45 ans), le genre féminin et la pellagre. Les raisons des disparités sexuelles face à cette avitaminose sont tant culturelles que biologiques et sont liées à la condition féminine misérable dans les campagnes d’Italie du Nord à la fin du XIXe siècle, où le paysan choisit sa femme sur des critères d’aptitude à la reproduction et au travail. Les femmes, comparativement à leurs maris, sont soumises à un manque d’instruction, à un défaut de formation professionnelle, à un travail bien plus important et des revenus bien plus faibles. En Vénétie, à la fin du XIXe siècle, les hommes salariés travaillent en moyenne 242?jours par an, alors que les femmes travaillent 289?jours, tout en ayant un revenu journalier égal à 45?% de celui des hommes de la famille (Enquête Jacini, 1882). La «?participation silencieuse?» des femmes ne les conduit que rarement à un rôle dirigeant?: même les premiers mouvements féministes, qui accompagnent les idées socialistes, ne sont vécus que par des ouvrières urbanisées. Chez ces «?productrices invisibles?», l’accès à la nourriture est fortement hiérarchisé?: le chef du foyer, le premier servi, est donc le mieux nourri, ensuite vient le tour des hommes adultes et jeunes travaillant aux champs, et enfin des femmes et des enfants. Généralement, ces derniers consomment, à plusieurs, la même quantité alimentaire que le père. Les hommes s’asseyent à la table familiale, alors que les femmes «?mangent debout, à la cuisine, dans un coin, sur une caisse de bois coupé, l’assiette à la main, souvent assises par terre, sans couvert, en ne mangeant que les restes, et seulement une fois que les hommes sont repartis aux champs?» (Sorcinelli, 1995). Les femmes travaillent pendant leurs grossesses et allaitements et durant ces périodes [10], leurs besoins nutritionnels (notamment en niacine) sont bien plus élevés que ceux des hommes. La reprise du travail le lendemain de l’accouchement, la malnutrition perpétuelle et les grossesses rapprochées entraînent un vieillissement précoce et la fragilisation de leur santé. Le travail féminin à l’extérieur dégrade le suivi, les soins et la protection apportés aux bébés. Les pellagrologues anciens avaient ainsi déjà pressenti le rôle joué par les grossesses et les allaitements dans le développement de la pellagre chez les femmes d’âge fertile. Encore récemment, Roberto Finzi (Finzi, 1990) soutient que les seules raisons de cette prévalence féminine sont?: la hausse des besoins causée par le travail, les grossesses et les allaitements, ainsi que la carence alimentaire en quantité et qualité. Cependant, bien que tous ces facteurs culturels et physiologiques augmentent la prédisposition féminine à la pellagre, ils n’en sont pas les seules causes. Durant l’âge reproductif, l’organisme féminin produit des hormones destinées à la procréation, dont les deux plus importantes sont les œstrogènes et la progestérone. L’?action des œstrogènes limite sensiblement l’activité d’au moins quatre enzymes impliquées dans le métabolisme du tryptophane au cours de sa conversion en niacine (Rose, 1966?; Rose et Adams, 1972?; Bender et Totoe, 1984). Cette inhibition réduit davantage la niacine disponible chez la femme entre la puberté et la ménopause. En définitive, lorsque l’apport alimentaire en niacine et en tryptophane est inadéquat, carentiel ou totalement nul chez des femmes d’âge fertile, leur production d’œstrogènes, élevée, induit un risque accru de pellagre qui les rend plus vulnérables à la maladie, comparativement aux hommes du même âge.

III – La place du maïs en Italie et en Vénétie

22Dans la péninsule italienne, on trouve mention du maïs depuis 1495 et la première région à en cultiver est la Vénétie. Grâce à cette manne venue d’ailleurs, les paysans d’Italie septentrionale semblent pouvoir pallier les disettes et les famines. Le maïs est estimé comme «?une gloire vénète » (Messedaglia, 1927), car les paysans lombards et piémontais ne le cultivent intensivement qu’après la peste de 1630. En Vénétie, terre reliée au reste du monde par ses activités commerciales, la culture du maïs trouve un contexte favorisé par la nouvelle gestion de l’agriculture vénète. En effet, entre 1646 et 1727, les biens fonciers vénitiens et les propriétés ecclésiastiques situés sur la «?terre ferme?» sont vendus aux bourgeois et au patriciat de Venise afin de remplir les caisses de la Sérénissime, vidées, entre autres, par les frais militaires. À la fin du XVIIIe?siècle, ces remaniements conduisent à la création de grandes propriétés foncières bourgeoises et nobles dirigées à travers une politique de stimulation de la production qui exerce des pressions sur le travail paysan salarié afin de produire à moindre coût et de vendre davantage (Beltrami, 1955?; Berengo, 1959 et 1963?; Valenti, 1919). Ces nouveaux propriétaires fonciers, vénètes et lombards, appliquent au monde agricole les mêmes critères économiques et productifs que ceux régissant leurs échanges commerciaux?: les loyers augmentent, les charges sont de plus en plus lourdes, l’agriculteur n’a aucun pouvoir de décision, la menace de licenciement est constante et le travail toujours précaire. À travers la capitalisation de l’agriculture, les processus de dégradation professionnelle des paysans, leurs prolétarisation et paupérisation débutent. Dans ce contexte de dynamique des crises agraires et d’instabilité des prix, les divers facteurs socioéconomiques accompagnent la diffusion de la pellagre en Italie du Nord. En Vénétie particulièrement, mais aussi en Lombardie, la gestion des terres qui en résulte est progressivement modifiée et l’équilibre bois-élevage-culture est détruit. D’abord, la perte des pâturages provoque le déclin de l’élevage au bénéfice exclusif d’une culture pluricéréalière associée à la vigne. Par étape, vers la fin du XVIIIe et tout au long du XIXe?siècle, la céréaliculture s’étend en affaiblissant la viniculture, l’oléiculture et l’élevage des vers à soie et de la volaille. Cela conduit à des régimes très pauvres en viandes et en produits laitiers. En 1846, 53,6?% des terrains de Vénétie sont cultivés de maïs et ce pourcentage va croître dans les années suivantes. Son extrême rentabilité et sa facilité de manipulation stimulent sa production, entraînant un recul de la céréaliculture diversifiée pour favoriser une gestion du sol quasiment monocéréalière?: la conséquence principale en est la transformation définitive de l’alimentation paysanne [11]. Avant l’arrivée et la culture massive du maïs, le travailleur agricole d’Italie septentrionale consommait les fèves avec du blé, de l’épeautre, du millet, du seigle, de l’orge et du blé noir. Ensuite, chaque crise frumentaire, à travers la hausse des prix du blé, contraint le fermier à s’approcher davantage de la nouvelle céréale jusqu’à une totale monophagie maïdique avec son corollaire de pellagre. Ces processus, qui portent à la prépondérance de la culture maïdique et à la monophagie, se déroulent de manière semblable pour la Lombardie et l’Émilie, les autres régions où la pellagre est répandue, bien que tous les éléments soient réunis pour que la pellagre se développe plus particulièrement en Vénétie, par rapport aux autres régions d’Italie du Nord. En effet, la maladie s’estompe nettement en descendant vers le sud du pays, là où les cultures de blé, l’oléiculture et les vignobles sont prioritaires?: l’alimentation paysanne y est davantage diversifiée et totalement différente de celle des paysans septentrionaux.

23La figure?1, dressée à partir des données de l’Istat sur la mortalité italienne, illustre les décès par pellagre dans diverses régions italiennes. On y voit tant le déclin généralisé de la mortalité par avitaminose B3 entre 1881 et 1901 que sa nette prépondérance dans les trois régions qui forment le «?triangle pellagreux?», la Vénétie, la Lombardie et l’Émilie. Par comparaison, les chiffres de trois autres régions sont extrêmement faibles?: la Toscane ne dépasse jamais 6,8?cas sur 1?000?décès, la Sicile et les Pouilles avoisinent 0,2?‰.

Figure 1

Part de la pellagre dans la mortalité selon la région entre 1881 et 1901 (pour 1?000 décès)

Figure 1

Part de la pellagre dans la mortalité selon la région entre 1881 et 1901 (pour 1?000 décès)

Sources?: Istat, 1881-1911?; Istat, 1955.
Figure 2

Répartition socioprofessionnelle des pellagreux hospitalisés à la pellagroserie Gris entre 1883 et 1907 (% des admis)

Figure 2

Répartition socioprofessionnelle des pellagreux hospitalisés à la pellagroserie Gris entre 1883 et 1907 (% des admis)

Note?: Les «?locataires?» louent la terre sur laquelle ils travaillent, les «?opere?» sont des travailleurs journaliers, les «?bouviers?» s’occupent principalement de l’élevage.
Source?: Gris, 1908.

24Durant les décennies de son action, la maladie a profondément marqué les trois régions du «?triangle pellagreux?», et principalement les agriculteurs. En Vénétie, par exemple, vers 1870, 8?% des personnes travaillant sur les terres sont métayers, 13?% sont locataires, 26?% sont propriétaires et 53?% sont salariés (Enquête Jacini, 1882?; Vanzetto, 1982). D’ordinaire, en Italie du Nord, trois grands types de contrat lient le salarié au propriétaire foncier?: le contrat annuel (période indéterminée), l’engagement saisonnier qui se termine à la fin de l’été, et le recrutement journalier. Les brassiers (bras loués à la journée) concernés par ce dernier type d’embauche, nommés opere en vénitien, sont employés et payés à la journée et ne possèdent jamais de terres, ni en propriété, ni en location. Bien qu’ils ne soient pas socialement marginalisés, les opere, véritables prolétaires de l’agriculture vénète, sont de loin les paysans les plus démunis. En Vénétie et dans les autres régions, il s’agit de la classe sociale qui a payé le plus lourd tribut à la pellagre (figure?2).

25Durant l’hiver, l’alimentation de ces parias de l’agriculture se restreint considérablement, tant en quantité qu’en qualité, notamment à cause du chômage. En été, l’amélioration des revenus autant que l’accès au travail de tous les membres de la famille, y compris les femmes et les enfants, permettent une nourriture plus diversifiée. En 1893, deux médecins de Bologne réalisent une expérience d’avant-garde sur la nutrition en milieu rural en Italie septentrionale (Albertoni et Novi, 1894). Leur travail est d’autant plus précieux qu’il est effectué en l’absence totale d’études consacrées aux apports minimaux recommandés. Les auteurs détaillent l’alimentation d’une famille de paysans de Ferrare, province d’Émilie-Romagne à forte connotation pellagreuse?: il s’agit de travailleurs journaliers, locataires de leur logement et en bonne santé. Le père a 41?ans, la mère a 38?ans, un poids de 50,6?kg et a accouché six?fois?; ils sont mariés depuis 16?ans et ont un garçon de 14?ans, unique survivant de la fratrie. Pendant deux jours d’hiver et deux jours d’été, les médecins analysent les modifications alimentaires saisonnières et en déduisent l’impact nutritionnel, compte tenu des variations d’intensité du travail selon la saison. Les deux auteurs affirment que la mère, outre le travail aux champs, se charge de tous les travaux ménagers?: bien que ses rations alimentaires ne soient pas minimes, elles sont néanmoins réduites par rapport à celles de son mari. Tant pour elle que pour son enfant en pleine croissance, les rations apparaissent insuffisantes pour couvrir les besoins nutritifs. En revanche, l’alimentation estivale est généralement plus riche pour la famille, comme pour bon nombre de paysans d’Italie du Nord. Le résultat de cette étude montre que les bienfaits nutritionnels (selon les standards connus à l’époque, donc sans le bilan vitaminique) du régime estival dépassent ceux de l’hiver (tableau?1).

Tableau 1

Alimentation hivernale d’une famille d’agriculteurs et valeurs nutritives hivernales et estivales (grammes)

Tableau 1
Alimentation hivernale Substances protéiques Lipides Glucides 1er jour 2e jour Polenta Lard Polenta Harengs Hiver Été Hiver Été Hiver Été Père 1 515 37 2 024 32 83 152 64 65 579 677 Mère 840 19 1 200 29 60 88 38 49 389 408 Fils 463 20 1 020 21 51 83 38 40 335 329 Note?: Nourriture d’une famille en 1893 durant 2 jours d’hiver (région de Ferrare). Source : Albertoni et Novi, 1894.

Alimentation hivernale d’une famille d’agriculteurs et valeurs nutritives hivernales et estivales (grammes)

26À travers les éléments fournis par cette enquête, les auteurs concluent que la plupart des maladies des paysans d’Italie septentrionale, pellagre incluse, sont causées par leur alimentation hivernale trop pauvre en éléments nutritifs?: les premiers signes pellagreux se manifestent, au moins dans les phases prodromiques de la maladie, à la sortie de l’hiver.

27Afin d’étudier l’alimentation rurale, l’enquête agraire Jacini soumet cent communes agricoles vénètes à un questionnaire sur l’alimentation ordinaire et moyenne de leurs paysans (Enquête Jacini, 1882). En Vénétie, même pendant l’été ou lors des années de bonne récolte, les denrées consommées par les habitants des communes rurales sont peu diversifiées, notamment pour les opere. Dans chaque commune, sans exception, la polenta est l’aliment de base?; 62?% des municipalités enquêtées citent le pain de maïs?; le blé et les pâtes sont très peu consommés, même parmi les fermiers les plus aisés?; seules 23?% des communes interrogées déclarent une alimentation carnée. Parfois, il est fait usage de haricots, fèves et herbes sauvages comme la chicorée. La consommation de vin et d’eau de vie semble cependant être assez répandue?: l’enquête signale la diffusion de ces «?vices qui portent préjudice?». Le lien entre la pellagre et l’alcoolisme devient un élément du tableau rural de l’époque, sur un arrière-plan de misère, de monoalimentation maïdique et de dégradation physique et psychique?: «?Malnutris, opprimés par les fatigues, éreintés par le mal qui les détruit, les pellagreux cherchent, dans le bénéfice éphémère offert par l’alcool, un soulagement à leurs peines?» (Gonzales, 1900).

IV – Impact de la pellagre en termes d’âge

28La pellagre atteint prioritairement une classe d’âges spécifique, même lorsqu’on considère la répartition de la population des régions pellagreuses à la fin du XIXe?siècle [12]. Quelles que soient les sources et en Italie comme ailleurs, les manifestations pellagreuses ainsi que les décès par pellagre semblent affecter davantage le groupe d’âges 25-45?ans, tant pour les femmes que pour les hommes. Cela correspond aux âges auxquels les besoins énergétiques sont importants. C’est aussi le moment où les hommes deviennent à leur tour chef de famille, avec des enfants à charge et des parents vieillissants qui ne peuvent que très peu les seconder. Les tâches agricoles sont extrêmement intenses, de nombreux fermiers effectuent plusieurs métiers (locataire et journalier à la fois, ou encore métayer et artisan), l’indigence et le surendettement semblent irréversibles et l’alimentation se modifie durablement. Mais la raison principale de cette prévalence est liée aux besoins en niacine, qui sont bien plus élevés dans cette catégorie d’âge pour les deux sexes, compte tenu de leurs besoins énergétiques.

29Dans la pellagroserie de Legnano, prés de Milan, entre 1784 et 1787, 124?pellagreux aux quatre stades de la maladie sont hospitalisés. Carlo Allioni (1795) publie?des statistiques concernant 114?patients admis, qu’il présente par groupe d’âges. Faute de sources plus détaillées quant à l’admission effective d’enfants dans la pellagroserie milanaise, l’hypothèse d’un faible impact de la pellagre entre 1 et 15?ans est retenue. Cependant, une réticence des parents face à l’hospitalisation de leurs enfants est aussi vraisemblable. Quant aux malades de 60?ans et plus, leur faible pourcentage peut découler tant d’une admission volontairement limitée de personnes âgées que d’une sélection effectuée en amont par la pellagre elle-même?; il est impossible de trancher en l’absence d’informations plus précises. Le deuxième cas analysé est celui des 85?hospitalisations dans l’asile psychiatrique de Ferrare en 1879 (Bonfigli, 1881, p.?24). Il s’agit de pellagreux au dernier stade, ce qui exclut la présence d’enfants ou de jeunes, compte tenu de l’évolution généralement lente de la maladie?; la même explication peut être évoquée au regard de la proportion plus importante de patients de plus de 60?ans admis en 1879 à l’asile de Ferrare. Le dernier cas analysé concerne un recensement de pellagreux organisé dans le cadre de l’enquête agraire Jacini, dans la province de Trévise (tous stades confondus), entre le 31?décembre 1878 et le 1er?janvier 1880, selon les informations collectées par les municipalités suite aux instructions provinciales (N.?2281?III, 5 décembre 1879). Ici, la dernière catégorie d’âges regroupe les pellagreux de plus de 51?ans. Les moins de 15?ans semblent recensés de façon plus précise en dépit de la défiance des malades, comme en témoigne le pourcentage de jeunes malades plus élevé que dans les deux autres sources. Le tableau?2 synthétise ces différents cas.

Tableau 2

Répartition (%) par groupe d’âges des pellagreux à Legnano (1784), Ferrare (1879) et Trévise (1880). Pourcentages sur la totalité des malades de chaque établissement et effectifs

Tableau 2
Établissements (nombre total de patients admis) 1-9 ans 10-14 ans 15-19 ans 20-30 ans 31-40 ans 41-50 ans 51-59 ans 60-69 ans 70-79 ans Total Legnano 9,7 (11) 72,0 (82) 15,7 (18) 2,6 (3) 100,0 (114) Ferrare 3,5 (3) 10,6 (9) 22,4 (19) 25 (22) 15,3 (15) 13,1 (13) 3,5 (4) 94,2* (85) Trévise 11,8 (1 154) 56,4 (5 534) 31, 8 (3 129) 100,0 (9 817) * Ces données sont celles relatées par Clodomiro Bonfigli (1881). Sources : Allioni, 1795 ; Enquête Jacini, 1882 ; Bonfigli, 1881.

Répartition (%) par groupe d’âges des pellagreux à Legnano (1784), Ferrare (1879) et Trévise (1880). Pourcentages sur la totalité des malades de chaque établissement et effectifs

30Les pellagrologues témoins de l’avitaminose B3 mentionnaient un nombre d’enfants pellagreux toujours assez faible. Ce facteur était expliqué par la volonté des familles de protéger les nouvelles générations, censées continuer et améliorer le travail, assurer l’avenir de la famille et veiller sur les vieux jours des aînés. Il est également certain que les femmes de la famille privilégiaient la nutrition des enfants au détriment de la leur, sans compter que les enfants non sevrés pouvaient être protégés par l’allaitement. Néanmoins, des questions se posent quant à la possibilité d’une sous-estimation de la pellagre chez les enfants?: les parents déclaraient-ils ouvertement la pellagre de leurs enfants, alors qu’ils risquaient d’être considérés comme de mauvais parents?? Dans le cas d’une carence confirmée, les enfants étaient-ils hospitalisés??

31Les mêmes questions se posent pour les pellagreux d’un grand âge?: les sources examinées signalent un faible apport de malades de plus de 70?ans. Outre le facteur lié à la faible espérance de vie en Vénétie à la fin du XIXe siècle, on peut raisonnablement se demander si les pellagreux âgés étaient déclarés malades par leurs familles, ou si leur âge avancé les écartait de toute possibilité de soins, selon les conceptions de l’époque. De plus, certains hôpitaux n’acceptaient pas de malades âgés et les soins étaient un luxe, notamment lorsque la guérison du pellagreux ne pouvait apporter aucun soutien concret au niveau de vie familial. En revanche, les pellagreux âgés de 50 à 70?ans étaient davantage affectés et pris en charge, car ils travaillaient autant que les fermiers plus jeunes, tout en étant bien moins alimentés et donc tout autant exposés à la maladie.

V – La pellagre et les femmes

32Les femmes, partout et à toutes époques, ont été les plus affectées par la pellagre. Cette fragilité féminine face à l’avitaminose B3 a des causes?tant physiologiques (besoins accrus, pics hormonaux) que culturelles (difficultés d’accès à la nourriture). Nos données confirment la prédisposition des femmes à la pellagre, tant pour l’Italie que pour les pays étrangers affectés par la maladie. En Roumanie, 79?% des victimes de pellagre entre le début du XXe siècle et l’entre-deux-guerres sont des femmes. Lors du dernier foyer épidémique africain, constaté en 1991 au Malawi parmi les réfugiés mozambicains [13], le taux de prévalence de la maladie a été 7,8?% plus élevé pour les femmes que pour les hommes. Bien que notre étude soit centrée sur l’Italie, il est néanmoins utile d’observer les tendances de la pellagre aux États-Unis, qui confirment le caractère social de la maladie et la prévalence féminine. La pellagre touche les États de la ceinture cotonnière du sud du pays [14], et tout particulièrement les femmes afro-américaines (figure?3) dont l’alimentation est fondée sur le maïs. Les premiers cas américains sont signalés en 1906, à l’hôpital Mount Vernon en Alabama. Dans cet asile pour aliénés afro-américains, 88?cas de pellagre sont découverts, dont 80?femmes ayant un âge moyen de 34?ans. Les décès par pellagre de l’année 1928 concernent prioritairement les femmes, même parmi la population blanche (figure?3), et surtout pendant la période reproductive?; après 60?ans, les courbes tendent à se rejoindre (figure?4). L’?évidente diminution de la mortalité par pellagre entre 1928 et 1940 est associée à la découverte de la niacine en 1937 et à son adjonction à la farine de maïs, réglementée par le gouvernement américain.

Figure 3

Proportions de décès par pellagre aux États-Unis selon le sexe et l’ethnie entre 1928 et 1940

Figure 3

Proportions de décès par pellagre aux États-Unis selon le sexe et l’ethnie entre 1928 et 1940

Source?: Park et al., 2000.
Figure 4

Proportions de décès par pellagre aux États-Unis selon le sexe et l’âge en 1928

Figure 4

Proportions de décès par pellagre aux États-Unis selon le sexe et l’âge en 1928

Source?: Marks, 1947.

33En Italie, la proportion importante de femmes dans les cas de pellagre est fréquemment mentionnée par les sources anciennes, «?Cela se répète constamment?: les femmes souffrent de pellagre davantage que les hommes?» (Bonfigli, 1881). Pour expliquer cette prédisposition, les pellagrologues mettent en cause le délicat métabolisme des femmes et leurs fonctions reproductives, qui les fragilisent. De même, ils accusent les malheurs domestiques, l’importante mortalité des enfants, les mauvaises relations conjugales, les problèmes économiques et le travail intense. Différentes sources illustrent cette prédominance féminine?: les registres d’admission en milieu hospitalier, les enquêtes sanitaires, les statistiques d’État. La pellagroserie Gris n’accepte pas les pellagreux âgés et les malades ayant dépassé le deuxième stade pellagreux, mais l’accueil des hommes demeure prioritaire, afin de faciliter leur reprise du travail. En dépit de cette sélection des malades, l’analyse des registres d’admission entre 1890 et 1896 montre une prédominance des hospitalisations féminines (figure?5).

34Durant les dernières décennies du XIXe?siècle, la proportion de pellagreuses admises dans les hôpitaux psychiatriques italiens est largement prépondérante. La figure?6 prend en compte les pourcentages des pellagreuses hospitalisées dans l’asile vénitien féminin de San Clemente [15] entre 1874 et 1880, sur la totalité des pellagreux admis dans les deux structures vénitiennes d’accueil psychiatrique. La proportion de pellagreux parmi les aliénés admis annuellement n’est pas rapportée par la source, cependant l’enquête Jacini montre une hausse du nombre d’admissions de pellagreuses, ce qui confirme l’augmentation généralisée de la pellagre entre 1870 et 1880. D’autre part, la figure?6 rapporte les données collectées par l’aliéniste trévisan Gregorio Gregorj, qui étudie les aliénés pellagreux accueillis dans les asiles italiens en 1874, 1877 et 1880, en considérant toutes les régions de la péninsule, y compris celles du sud du pays, où la pellagre est inexistante. Pour les années concernées, Gregorj évalue que 17,3?% des aliénés décomptés annuellement dans les asiles des régions septentrionales sont pellagreux et que la plupart sont des femmes. Cependant, faute de savoir comment l’auteur a calculé ses chiffres, nous lirons les résultats de Gregorj avec précaution.

Figure 5

Nombre de pellagreux admis à l’Institut Gris de 1890 à 1896 par sexe

Figure 5

Nombre de pellagreux admis à l’Institut Gris de 1890 à 1896 par sexe

Figure 6

Proportion de femmes parmi les pellagreux des hôpitaux psychiatriques de Venise et d’Italie de 1873 à 1880 (% du total des pellagreux admis)

Figure 6

Proportion de femmes parmi les pellagreux des hôpitaux psychiatriques de Venise et d’Italie de 1873 à 1880 (% du total des pellagreux admis)

35La figure?6 compare les admissions hospitalières des pellagreuses de Venise et d’Italie. Les deux courbes illustrent la situation de la Vénétie par rapport à l’ensemble de l’Italie. Les données de Gregorj pour l’Italie indiquent déjà un rapport élevé de femmes (plus de 60?% sur la totalité d’aliénés pellagreux), mais ces proportions demeurent inférieures à celles des asiles vénitiens. La place défavorable des pellagreuses vénètes est à nouveau confirmée (voir également la figure?7, issue d’un sondage du ministère de l’Agriculture organisé en 1880).

36L’?asile de Ferrare confirme cette observation?: parmi les aliénés pellagreux, les pellagreuses sont toujours plus nombreuses. Leur proportion est plus marquée dans les groupes d’âges fertiles et diminue aux âges de la ménopause (figure?8).

Figure 7

Taux de prévalence(a) de la pellagre par sexe en 1880 parmi les agriculteurs des régions du triangle pellagreux

Figure 7

Taux de prévalence(a) de la pellagre par sexe en 1880 parmi les agriculteurs des régions du triangle pellagreux

(a) Rapport entre les malades de la pellagre et la partie de la population soumise au risque de la maladie, les agriculteurs. Le décompte des agriculteurs regroupent les propriétaires, les locataires, les métayers et les salariés à l’année.
Source?: Annali d’agricoltura, 1885.
Figure 8

Répartition des pellagreux aliénés admis à Ferrare en 1879, selon le sexe et l’âge

Figure 8

Répartition des pellagreux aliénés admis à Ferrare en 1879, selon le sexe et l’âge

Source?: Bonfigli, 1881.

37Cette plus grande affection des femmes d’âge reproductif induit la question de l’éventuelle influence de la pellagre sur leur fertilité, et sur les taux de natalité et de fécondité des régions les plus atteintes. Les premiers pellagrologues avaient déjà remarqué de nombreux cas de dérèglements menstruels (Bonfigli, 1881?; Gillmann, 1951)?: dysménorrhées, ménorragies, métrorragies, mais surtout des aménorrhées persistantes, dont on peut penser qu’elles devaient entraîner une certaine infertilité. Le tableau?3 illustre les principales pathologies annexes et conséquentes à la pellagre, subies par les pellagreuses admises à la pellagroserie Gris en 1908 [16].

38L’?aménorrhée est due à un déséquilibre entre l’apport nutritionnel et la dépense calorique qui entraîne un poids corporel insuffisant pour garantir tant les fonctions métaboliques que la sécrétion de gonadotrophines (Alauddin Chowdhury, 1975?; Laughlin, 1996?; Laughlin, 1999?; Warren et Perloth, 2001). De plus, l’asthénie caractérisant la pellagre peut entraîner une diminution de la libido et donc du nombre de rapports sexuels. La «?pellagre provoque une impuissance précoce chez les hommes?» (Lombroso, 1869) ainsi que «?de nombreux cas de testicules atrophiés et de perte de pilosité génitale?» (Marie, 1908). Il pourrait donc y avoir une possible diminution de la fécondité dans les régions hautement pellagreuses, notamment dans les dernières décennies du XIXe siècle, caractérisées par l’augmentation des taux de prévalence et de mortalité par pellagre en Vénétie et Lombardie. Pour la région vénète, quelques auteurs (Livi-Bacci, 1986?; Rossi et Rosina, 1998) ont étudié le lien entre pellagre et fécondité, sans aboutir à des résultats véritablement concluants et homogènes. En effet, selon leurs hypothèses, la décroissance de la fécondité vénète entre 1871 et 1881 serait due à la hausse de la pellagre, dont le déclin aurait provoqué l’effet inverse. En premier lieu, il est difficile de travailler sur des données précises concernant le développement de la pellagre en Vénétie avant 1870 car la région était soumise à la domination autrichienne jusqu’à son rattachement au nouveau royaume d’Italie en 1866, les archives demeurant ensuite inaccessibles. De plus, la mise en route tardive des déclarations de la cause du décès rend malaisée la vérification des décès par pellagre avant 1881, voire même 1888. Néanmoins, à la lumière des connaissances actuelles, l’hypothèse de la croissance de la pellagre en Vénétie entre 1870 et 1880 est légitime (figure?6)?; nos sources montrent un pic généralisé de la maladie autour des années 1880-1881 puis son recul progressif (figures?1 et 9).

Tableau 3

Proportion de malades sortis en 1908 de la pellagroserie Gris présentant des pathologies annexes ou des complications lors de leur admission (% de la totalité du groupe d’âges considéré)

Tableau 3
15-28 ans 28-42 ans 42-63 ans Aménorrhée 11,7 – – Ménorragie 5,8 – 3,4 Métrorragie – 4,3 3,4 Leucorrhée vaginale – 10,8 13,7 Source : Registres de l’institut Gris, 1908.

Proportion de malades sortis en 1908 de la pellagroserie Gris présentant des pathologies annexes ou des complications lors de leur admission (% de la totalité du groupe d’âges considéré)

39L’homogénéité de comportement face à la pellagre (prévalence et mortalité) des deux principales régions du triangle pellagreux permet de poser une hypothèse?: si l’avitaminose B3 influe sur le comportement démographique de la région touchée, la Vénétie et la Lombardie devraient afficher les mêmes tendances générales (natalité et fécondité), même si les taux de pellagre en Lombardie sont légèrement inférieurs à ceux de la Vénétie (figure?9).

40L’?analyse de la natalité et de la fécondité en Lombardie et en Vénétie repose sur des sources qui amalgament des données urbaines et rurales, ce qui pourrait masquer la tendance puisque la pellagre n’affecte que les populations rurales. Cependant, le paysage régional italien de la fin du XIXe?siècle et du début du XXe?siècle, et notamment des deux régions de Vénétie et de Lombardie, est composé d’une écrasante majorité de communes rurales selon les données des recensements. En 1881, 99,1?% des communes lombardes et 98,4?% des communes vénètes sont rurales [17]?: pour l’Italie prise dans son intégralité, ce chiffre est de 95?%. Nous pouvons donc admettre que les données des recensements traduisent principalement le comportement démographique des populations rurales.

Figure 9

Taux de prévalence de la pellagre pour 1 000 agriculteurs en Vénétie et Lombardie en 1881, 1901 et 1911

Figure 9

Taux de prévalence de la pellagre pour 1 000 agriculteurs en Vénétie et Lombardie en 1881, 1901 et 1911

41L’observation des tendances de la fécondité et de la natalité entre 1871 et 1911 concerne la Vénétie et la Lombardie, comparées à la Calabre où la pellagre est inconnue, et à l’Italie (tableau?4). Entre 1871 et 1881, la fécondité des femmes vénètes est en diminution, mais ce déclin touche également les femmes calabraises, qui ne subissent pas de pellagre. Malheureusement, nous n’avons pas de données pour 1891 à cause de l’annulation du recensement, mais une décroissance semble généralisée et ne se corrige, pour tous les secteurs géographiques considérés, qu’à partir de 1901. Le comportement de la Lombardie entre 1871 et 1901 est très différent de celui de la Vénétie, tout en demeurant davantage proche de l’Italie. Une influence nette de la pellagre sur la fécondité ne semble donc pas, ici, être confirmée. Quant à la natalité, le tableau?4 montre clairement que la tendance des deux régions du «?triangle pellagreux?» ne diffère pas considérablement des orientations nationales et calabraises, qui marquent une baisse constante du taux de natalité entre 1871 et 1911. Cependant, l’évolution observée en Vénétie pourrait effectivement suivre les mouvements de l’endémie pellagreuse, avec une chute marquée de la natalité entre 1871 et 1881 (visible aussi dans la province de Padoue).

42Si la diminution de la pellagre est supposée engendrer une hausse de la natalité, celle-ci ne se vérifie alors qu’en Vénétie entre 1881 et 1901. Partout ailleurs, la tendance est à la baisse de la natalité.

43En définitive, la pellagre ayant touché de manière intense les deux régions de Lombardie et de Vénétie, également caractérisées par une importante ruralité, l’influence de la maladie sur la natalité et la fécondité de ces territoires aurait dû être similaire. Force est de constater que ce n’est pas le cas. Il est probable que les tendances démographiques vénètes ne sont pas (ou seulement de manière marginale) influencées par la pellagre, mais par un ensemble de facteurs qui ne sont pas tous identifiés à l’heure actuelle. La baisse de la fécondité et de la natalité en Vénétie, entre 1871 et 1881, peut avoir été conditionnée par une importante émigration. Selon les données de l’enquête agraire Jacini, une moyenne annuelle de 33?200?Vénètes quittent définitivement leurs villages entre 1876 et 1880, dont 90?% sont des hommes adultes. Cela est également visible au niveau de la nuptialité?: le nombre des mariages célébrés en Vénétie chute fortement entre 1871 et 1901. Il est néanmoins très probable que la pellagre influe fortement sur la mortinatalité et sur la mortalité des jeunes enfants nés de pellagreuses, l’une et l’autre déjà très élevées même en l’absence de pellagre (voir l’exemple de la famille non pellagreuse de Ferrare, tableau?1). Pour cette raison, le déclin de la pellagre à partir de 1901 peut être lié à la diminution de la mortalité infantile et néonatale, à l’amélioration progressive des conditions de vie et d’alimentation, ainsi qu’à la diminution systématique tant de la mortalité générale que des décès et de la prévalence de la pellagre.

Tableau 4

Évolution des taux de natalité et de fécondité 15-49 ans entre 1871 et 1911, en Vénétie, Lombardie, Calabre et Italie (‰)

Tableau 4
1871 1881 1891 1901 1911 Natalité Fécondité Natalité Fécondité Natalité Fécondité Natalité Fécondité Italie 36,5 160,5 36,6 160,9 – 33,1 138,3 32,5 147,7 Vénétie 37,4 170,2 34,9 158,7 – 36,5 157,6 36,8 173,4 Padoue 40,3 34,6 Lombardie 37,4 160,6 36,7 161,2 – 34,5 142,8 32,8 173,4 Bergame 38,8 38,6 Calabre 38,5 164,2 37,0 154,9 – 34,9 140,3 35,9 160,7 Reggio 35,1 36,6 Champ : Naissances légitimes et illégitimes d’enfants vivants. Taux de fécondité claculé pour 1 000 femmes âgées de 15 à 49 ans décomptées dans les années de recensement. Source : Istat, Sviluppo della populazione italiana, 1861-1961.

Évolution des taux de natalité et de fécondité 15-49 ans entre 1871 et 1911, en Vénétie, Lombardie, Calabre et Italie (‰)

VI – Le déclin de l’endémie pellagreuse

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«?Malaria et pellagre?: les deux plaies et hontes de l’Italie. Ainsi nous nous reconnaissons et ainsi les étrangers nous définissent. Mais ces deux maux, depuis que l’Italie se reconstitue et se renforce, s’amenuisent, dans le silence. Mais pourquoi se taire, alors qu’il s’agit là des deux grandes victoires pour notre pays???».
(Coletti, 1922)

45Bien qu’attestée à partir de la fin du XVIIIe?siècle (Frapolli, 1771?; Allioni, 1795), l’avitaminose B3 se diffuse principalement à partir de la seconde moitié du XIXe?siècle (Baruffi, 1847?; Balardini, 1862). Son apogée se situe dans les années 1870-1880 et, à partir de 1881, la pellagre diminue inéluctablement (figures?1 et 9, tableau?5), ce malgré le déclin des niveaux alimentaires engendré par la première guerre mondiale. Le 26 mai 1927, le député Benito Mussolini déclare que l’endémie pellagreuse est un problème totalement résolu [18].

Tableau 5

Nombre de pellagreux en 1905 et 1909, nouveaux cas enregistrés entre 1911 et 1920 et nombre de décès par pellagre entre 1911 et 1920 dans les régions du triangle pellagreux

Tableau 5
1905 1909 1911 1914 1915 1916 1917 1918 1919 1920 Lombardie Nombre de pellagreux 10 484 9 269 278 241 203 158 80 91 95 26 Décès 334 207 256 205 227 238 174 108 Vénétie Nombre de pellagreux 27 764 22 525 818 768 601 363 261 113 249 202 Décès 531 366 365 382 300 242 248 160 Émilie Nombre de pellagreux 3 043 2 431 176 29 35 16 10 19 13 1 Décès 111 57 60 59 61 47 29 17 Sources : Istat, Statistiche cause di morte 1911?; Istat, Sviluppo della populazione italiana ; De Giaxa, 1927.

Nombre de pellagreux en 1905 et 1909, nouveaux cas enregistrés entre 1911 et 1920 et nombre de décès par pellagre entre 1911 et 1920 dans les régions du triangle pellagreux

46Plusieurs hypothèses peuvent être avancées sur les raisons de ce dénouement. Assurément, les mesures gouvernementales et communales (comme les cuisines et les auberges économiques, les pellagroseries, la contrainte de dénoncer et de se charger de tout pellagreux, la propagande en faveur de la diversification des cultures agricoles), malgré leurs limites intrinsèques, ont contribué à ce résultat. De plus, après la première guerre mondiale, le facteur carentiel et le concept de «?vitamine?» se définissent.

47

«?L’une des raisons de la diminution et de la disparition de la pellagre est à chercher dans la chute générale des prix des produits alimentaires à partir du début du XXe?siècle, ce qui a permis l’accès à une nourriture plus diversifiée à bon nombre des paysans?».
(De Bernardi, 1980)

48La chute des prix des denrées alimentaires est l’une des conséquences de la révolution agricole, qui débute autour de 1870-1880, et est caractérisée par l’introduction progressive des machines agricoles et des fertilisants. Cette industrialisation du travail de la terre, accompagnée de répercussions négatives sur l’offre d’emplois, permet en même temps une valorisation des rendements des cultures. Les pâturages sont favorisés, ce qui améliore l’élevage et la consommation de viandes et de produits laitiers. La culture de la betterave et de la pomme de terre facilitent la diversification alimentaire (Sorcinelli, 1995), causée également par le recul des terrains consacrés au maïs, processus qui débute vers la fin du XIXe?siècle.

49L’importante mortalité engendrée par la Grande Guerre et les changements alimentaires intervenus pourraient également être impliqués dans la disparition de la pellagre (Porisini, 1974), mais le processus de recul de la maladie avait déjà été entamé bien avant le début des hostilités. L’influence de la guerre demeure certaine, bien que non prédominante. L’?émigration transocéanique, et donc définitive, des paysans d’Italie du Nord est elle aussi une cause de redistribution foncière et d’amélioration du niveau de vie des agriculteurs qui restent, mécanisme spontané d’autorégulation du marché du travail et de redistribution des terres.

50Le premier et principal syndicat agricole, Federterra [19], créé en 1901, structure son action de protection des salariés autour de revendications centrées sur la hausse des rémunérations journalières. La grève agraire devient alors l’instrument principal de la lutte?: la hausse des salaires des brassiers ainsi obtenue (tableau?6) a permis les améliorations nutritionnelles de la classe agricole qui ont conduit au déclin de la pellagre.

Tableau 6

Indices des salaires agraires entre 1905 et 1913 (indice 100 en Vénétie en 1905)

Tableau 6
Années Italie Vénétie Lombardie Émilie 1905 109 100 110 116 1906 113?–?115 103 113 118 1907 126 113 123 137 1908 126 120 135 151 1909 128 121 135 152 1910 137?–?136,5 130 147 170 1911 141?–?142 122 158 175 1912 145 118 154 174 1913 143 119 156 166 Note : Pour l’Italie, les deux chiffres parfois rapportés indiquent l’évolution des salaires agricoles au cours de la même année (augmentation ou diminution). Source : Arcari, 1936.

Indices des salaires agraires entre 1905 et 1913 (indice 100 en Vénétie en 1905)

51

«?Les résultats obtenus par les syndicats libres italiens, jusqu’aux premières années de notre siècle sont manifestement deux?: les améliorations dans les conditions de vie des travailleurs et la décroissance rapide de la pellagre?».
(Di Vittorio, 1945)

52D’autres arguments peuvent être avancés, comme le processus d’industrialisation urbaine qui recrute de la main-d’œuvre non spécialisée d’origine paysanne. De nombreux salariés quittent alors la campagne pour vivre et travailler en ville, surtout dans le bâtiment ou l’industrie (en particulier textile, mais également métallurgique). Cette «?émigration?», au début temporaire, devient rapidement définitive.

53C’est donc l’ensemble de ces facteurs, y compris les initiatives locales, qui contribuent à éradiquer le mal des campagnes italiennes (Finzi, 1981).

Conclusion

54L’?avitaminose B3 est un parfait exemple de maladie sociale, déclenchée par les normes économiques d’un système agraire de type capitaliste et productiviste favorisé par la jeunesse de l’État italien, qui fera du maïs une monoculture et des journaliers ses premières victimes. De plus, la «?confortable?» incompréhension de son étiologie mène à la négation volontaire de la doctrine carentiéliste, politiquement écartée. L’?extinction de l’affection sera enfin obtenue par un ensemble de facteurs conduisant à la diversification alimentaire. Dans cette recherche, les relations nouées entre, d’une part, ces métamorphoses qui conduisent à la consommation de maïs, et d’autre part, la structure épidémiologique de l’avitaminose B3, responsable de l’atteinte métabolique qui entraîne les symptômes pellagreux, constituent les fondements d’une étude des conséquences de la maladie, tant sociales que démographiques. Et la pellagre est un modèle parfait de «?pathologie sociale?», principalement à cause de la force de son impact préférentiel?: les critères de sélection sont ici mis en évidence et analysés selon les résultats fournis par les sources disponibles. Ce sont donc les classes paysannes les plus défavorisées et contraintes à une monophagie maïdique prolongée qui ont payé le plus lourd tribut à la pellagre, dans les quelques régions où a été menée une politique de rendement agraire. En outre, ainsi que le démontrent les exemples rapportés, la femme demeure le sujet le plus affecté par la maladie à cause de la misère de sa condition sociale et familiale qui entraîne un niveau nutritionnel très insuffisant par rapport à ses besoins, notamment en période reproductive. Nonobstant l’important tribut payé par les femmes à la pellagre et malgré les contributions des quelques auteurs sur le sujet, la maladie ne semble pas avoir exercé une influence certaine sur la natalité et la fécondité des régions considérées.

Remerciements?: Je remercie vivement Isabelle Séguy pour sa relecture attentive et ses remarques pertinentes. Je remercie également les relecteurs, pour le bien-fondé de leurs commentaires.

Notes

  • [1]
    Ainsi se nomment les pellagreux qui, malgré l’extrême indigence qui ne permet aucune des modifications nutritionnelles nécessaires à la guérison, dissimulent leur maladie et ne profitent donc d’aucune prise en charge, ni alimentaire, ni hospitalière.
  • [2]
    Ces documents peuvent être consultés auprès des archives d’Istat.
  • [3]
    La troisième étant le béribéri. Le scorbut, ou avitaminose C, provoque, entre autres effets, un défaut d’hydroxylation du collagène qui engendre une déstructuration des tissus et des vaisseaux sanguins, cause d’hémorragies et de mort.
  • [4]
    Les mots «?toxicozéiste?» et «?carentiéliste?» sont des néologismes créés lors des premières études sur la pellagre. Les deux mots, italiens à l’origine, ont été traduits par nos soins.
  • [5]
    En Inde, au milieu du XXe?siècle, la pellagre est causée par la consommation exclusive de sorgho, contenant de la leucine, l’acide aminé antagoniste du tryptophane qui, en inhibant son métabolisme, cause le syndrome carentiel pellagreux.
  • [6]
    La carence en vitamine B6 engendre des symptômes pellagroïdes, comme des neuropathies périphériques, des troubles neuropsychiques et dermatologiques, ainsi qu’une altération de la matrice osseuse (la vitamine B6 est un cofacteur dans l’oxydation des résidus de lysine incorporés dans les tissus osseux).
  • [7]
    Le département de biochimie du laboratoire d’Upton, New York, suppose que la démence pellagreuse est due au taux trop élevé de tryptophane converti en kynurénine, par rapport à celui utilisé dans la synthèse de la sérotonine (Hankes, 1974).
  • [8]
    Pour les anglophones, et notamment pour les Américains, la pellagre est la maladie des 4D, car aux trois symptômes mentionnés on ajoute death, la mort.
  • [9]
    L’institut Gris est composé de trois sections distinctes?: «?Pellagroserie?», «?Hospice?» et «?Asile pour aliénés tranquilles?».
  • [10]
    Dans les campagnes d’Italie du Nord au XIXe siècle, la pratique du baliatico conduit les agricultrices, au lendemain d’une naissance, à se proposer aux autorités communales pour alimenter un nourrisson bourgeois, un bébé abandonné ou orphelin, afin d’accroître le budget familial. Cette pratique entraîne une augmentation de leurs besoins quotidiens en niacine.
  • [11]
    Cela implique également un déclin généralisé de la taille en Italie du Nord entre 1730 et 1870, cohérente avec cette dégradation du revenu et de l’alimentation. L’enquête Jacini rapporte les pourcentages élevés de jeunes hommes vénètes réformés au service militaire pour cause de maigreur, chétivité et taille inférieure à la limite officielle (Enquête Jacini, 1882?; A’Hearn, 2003).
  • [12]
    Selon les résultats du recensement de l’année 1881 (Istat, 1883), en Vénétie, 42,9?% de la population est âgée de 1 à 19?ans, 48,1?% de 20 à 60?ans et 8,9?% de plus de 60?ans.
  • [13]
    Le Mozambique a été victime d’une guerre civile responsable d’un million de morts. L’exode massif des civils s’est accompli sous l’égide du Haut commissariat aux réfugiés (HCR).
  • [14]
    La ceinture cotonnière du sud des États-Unis est formée par la Géorgie, la Louisiane, l’Alabama, le Mississippi et la Caroline du Sud. Malgré la prépondérance de la culture du coton, le maïs y est également massivement cultivé.
  • [15]
    Venise comptait, jusqu’à 1978, deux hôpitaux psychiatriques?: San Servolo, masculin, et San Clemente, féminin, qui offraient vers 1870 le même nombre de places. Les deux structures ont été reconverties suite à la fermeture définitive des asiles psychiatriques italiens en 1978.
  • [16]
    Les registres de la pellagroserie décomptent 167?femmes et 180?hommes sortis de l’institut Gris en 1908, dont 23?femmes âgées de 15 à 28?ans?: 20?guéries, 2?hospitalisées dans une autre structure et 1?décédée.
  • [17]
    Les communes rurales sont classées en fonction de l’étendue de la surface agricole de leur territoire, de la structure de la population selon l’activité agricole, de la dimension du centre de la commune en termes de population et de densité, du degré d’instruction, des caractéristiques de l’habitat.
  • [18]
    Les tout derniers décès par pellagre sont enregistrés durant la seconde guerre mondiale.
  • [19]
    Federazione Nazionale Lavoratori della Terra.
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Français

Résumé

Dans de nombreux pays du monde, à différentes époques, la consommation de maïs comme unique denrée alimentaire a mené à la pellagre. Maladie causée par une extrême pauvreté nutritionnelle, l’avitaminose B3 est une maladie de carence due à la déficience en niacine et en tryptophane. Depuis la fin du XVIIIe?siècle, en Italie du Nord et particulièrement en Vénétie, la pellagre demeure endémique jusqu’aux années autour de la première guerre mondiale. Le bouleversement causé par le «?mal de la misère?» n’affecte qu’une seule classe sociale, celle dont l’alimentation est totalement fondée sur la consommation de polenta de maïs?: les paysans, notamment les journaliers, catégorie professionnelle particulièrement défavorisée. Fondée sur des sources documentaires d’origines diverses et entreprise dans une perspective pluridisciplinaire, cette analyse retrace les mécanismes épidémiologiques, sociaux, politiques et démographiques qui ont mené à la diffusion de la pellagre principalement parmi les agricultrices vénètes et lombardes en âge reproductif. L’observation de l’impact démographique de la maladie sur la population paysanne féminine engage une discussion à propos des éventuelles conséquences sur la natalité et la fécondité des populations de ces deux régions à la fin du XIXe?siècle.

Mots-clés

  • Italie
  • XIXe siècle
  • avitaminose
  • pellagre
  • mortalité
  • maladie sociale
  • monde rural
  • histoire de genre
Español

La pelagra en Italia a finales del siglo XIX: los efectos de una enfermedad por carencia

Resumen

En numerosos países del mundo, en diferentes épocas, el consumo del maíz como alimento exclusivo ha provocado la pelagra. Enfermedad causada por una pobreza nutricional extrema, la avitaminosis B3 es una enfermedad por carencia debida a la deficiencia en niacina y en triptófano. Desde finales del siglo XVIII, en Italia del Norte y particularmente en Venecia, la pelagra subsiste en forma endémica hasta la Primera Guerra mundial. La convulsión causada por le “mal de la miseria” afecta a una sola clase social, cuya alimentación está exclusivamente fundada en el consumo de la polenta de maíz: los campesinos, y sobre todo los jornaleros, categoría particularmente desfavorecida. Basado en fuentes documentales de origen diverso y conducido con un espíritu pluridisciplinario, este análisis reconstituye los mecanismos epidemiológicos, sociales, políticos y demográficos que han llevado a la propagación de la pelagra, principalmente entre los campesinos venecianos y lombardos de edad reproductiva. La observación del impacto demográfico de la enfermedad en la populación campesina femenina lleva a una discusión sobre las eventuales consecuencias en la natalidad y la fecundidad de la población de estas dos regiones a finales del siglo XIX.

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Monica Ginnaio
Université Nice Sophia Antipolis.
Correspondance : Monica Ginnaio, Université Nice Sophia Antipolis, Campus Saint-Jeand’Angély, SJA3-CEPAM-UMR 6130 CNRS, 4 avenue des Diables bleus, 06357 Nice Cedex 4, courriel : monica.ginnaio@cepam.cnrs.fr
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Mis en ligne sur Cairn.info le 23/05/2012
https://doi.org/10.3917/popu.1103.0671
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