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1 Un nombre croissant de pays du Sud, notamment de l’Asie de l’Est et du Sud-Est, ont achevé leur transition de fécondité et connaissent désormais des niveaux de fécondité inférieurs à 2 enfants par femme. Ces profondes modifications des comportements des couples sont le résultat de changements socioéconomiques et culturels parfois importants, mais souvent aussi de politiques fermes et efficaces de contrôle des naissances. La Chine, avec aujourd’hui une fécondité de l’ordre de 1,5 enfant, en est un cas bien connu et documenté. Mais à ce niveau de fécondité, est-il toujours pertinent ou utile de maintenir une politique aussi restrictive des naissances ? Un assouplissement de la réglementation (autoriser par exemple un enfant supplémentaire) conduirait-il finalement à une reprise de fécondité ? C’est à ces questions que tentent de répondre M. Giovanna Merli et S. Philip Morgan à partir d’une enquête menée à Shanghai en 2007-2008. Utilisant les déclarations de 1 241 individus mariés (résidents et migrants), ils confrontent les fécondités réalisées aux intentions de fécondité selon le nombre d’enfants qui serait autorisé, autrement dit selon le degré d’assouplissement de la politique actuelle. Ces résultats empiriques permettent d’affiner les hypothèses sur l’avenir de la fécondité en cas d’absence de politiques démographiques contraignantes.

Introduction et contexte

2 La Chine a rejoint le groupe des pays à faible fécondité. Différentes sources ont donné lieu à des estimations de l’indicateur conjoncturel de fécondité (Retherford et al., 2005 ; Cai, 2008 ; Goodkind, 2011), corroborées par les évolutions de la descendance des générations (Morgan et al., 2009), qui suggèrent que la fécondité est passée de 2,8 enfants par femme à la fin des années 1970 à une valeur comprise entre 1,4 et 1,6 en 2000. Ce niveau est cohérent avec la réglementation locale officielle de la fécondité, puisque l’agrégation des politiques locales fournit des résultats compris entre 1,5 et 1,6 enfant par couple à la fin des années 1990 (Attané, 2002 ; Gu et al., 2007). Le rythme de passage à une fécondité faible peut en effet être attribué dans une large mesure au succès des politiques chinoises de planification des naissances strictement appliquées dans les zones urbaines, mais avec certains aménagements dans les zones rurales afin de prendre en compte la forte préférence pour un fils, par l’introduction de la politique « un fils – deux enfants ».

3 Mais quelles auraient été ces évolutions et quels seraient les niveaux actuels de fécondité en l’absence de la politique de l’enfant unique ? La réponse est bien incertaine. Lavely et Freedman (1990) notaient que le recul de la fécondité était déjà en œuvre dans les villes et les milieux les plus instruits avant toute intervention gouvernementale. D’autres pays asiatiques, comme la Corée du Sud, ont connu une remarquable baisse de la fécondité vers des niveaux très inférieurs au seuil de remplacement des générations, avec des programmes de planification des naissances bien moins radicaux qu’en Chine.

4 C’est pourquoi il existe un débat, à la fois politique et scientifique, sur ce que deviendrait la fécondité en Chine si les politiques actuelles de planification des naissances étaient abandonnées ou assouplies. Pour certains, il en résulterait un important baby-boom. Une proportion considérable de la population peut avoir refoulé le désir latent d’un second enfant ou d’une famille plus nombreuse. Plus précisément, certains supposent que la préférence quasi universelle pour deux enfants en Chine aujourd’hui conduirait à une fécondité au moins égale à 2,0 (Zeng, 2007). D’autres avancent que la fécondité chinoise est supérieure aux estimations courantes car les petites filles sont sous-déclarées au recensement, du fait des pratiques des fonctionnaires de la planification des naissances responsables de la réalisation des objectifs et des quotas de leur juridiction (Merli et Raftery, 2000 ; Merli et al., 2004 ; Goodkind, 2004 ; Goodkind, 2011). Par exemple, l’indicateur conjoncturel de fécondité de 1,35 enfant par femme (0,94 dans les zones urbaines et 1,43 dans les zones rurales) au recensement de 2000 (questionnaire court) serait sous-estimé. Les estimations corrigées sont comprises entre 1,4 et 1,6 (Retherford et al., 2005).

5 Le point de vue opposé, soutenu par une quantité importante de nouvelles données et d’arguments récents, met en doute la nécessité de la politique actuelle (Merli et Smith, 2002 ; Morgan et al., 2009 ; Cai, 2010). D’autres pays asiatiques avec des héritages culturels divers (comme la Corée du Sud, Singapour, le Japon ou la Thaïlande) ont une fécondité basse sans réglementation qui restreigne explicitement la taille de la famille. À en juger par ces exemples, on s’attendrait à ce que le développement économique et social de la Chine ait entraîné une baisse de la fécondité vers un niveau faible (pas nécessairement sous le seuil de remplacement des générations). Afin d’illustrer cet argument, la figure 1 présente l’indicateur conjoncturel de fécondité pour plusieurs pays d’Asie et leur indicateur de développement humain (IDH) [1] (Bongaarts et Watkins, 1996 ; Myrskylä et al., 2009). Pour chaque pays, les points de la courbe représentent des périodes quinquennales consécutives entre 1960 et 2005. Le recul spectaculaire de la fécondité chinoise s’est produit à des niveaux relativement faibles de l’IDH, requérant une interprétation particulière, notamment des conséquences de la politique chinoise de maîtrise de la population, d’abord du fait de la campagne du wan-xi-shao (littéralement « mariage tardif, naissances espacées et peu nombreuses »), puis de la politique de l’enfant unique. Mais le rythme de la baisse de la fécondité dans les autres pays est également spectaculaire, bien qu’ayant commencé à des niveaux d’IDH plus élevés qu’en Chine. Pour un IDH d’environ 0,75 (période 2000-2005), la fécondité chinoise ne semble pas être « artificiellement basse ». En outre, la fécondité des autres pays présentés ici continue à diminuer lorsque l’IDH progresse. Par comparaison, ni le niveau actuel de la fécondité chinoise, ni les prévisions d’une prolongation de la baisse ne nécessitent d’explication spécifique comme le programme de planification des naissances. Le développement économique et social, mesuré par l’IDH, est une explication suffisante pour l’ensemble des pays représentés ici [2].

Figure 1

Indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) et indicateur de développement humain (IDH) pour quelques pays d’Asie

Figure 1

Indicateur conjoncturel de fécondité (ICF) et indicateur de développement humain (IDH) pour quelques pays d’Asie

Source : Myrskylä et al., 2009.

6 Un autre argument convaincant repose sur des comparaisons internes, suggérant que certaines régions ont une fécondité inférieure à ce qu’autorise la politique gouvernementale actuelle. Plus encore, de nombreuses sources donnent à penser que des intentions de fécondité inférieures au niveau de remplacement des générations pourraient se maintenir même en l’absence de contraintes politiques. Merli et Smith (2002) ont comparé, dans quatre comtés en Chine, la fécondité effective des femmes avec leurs intentions précédemment exprimées en répondant à une question sur le nombre supplémentaire d’enfants qu’elles auraient si les politiques gouvernementales étaient différentes ; ils ont ainsi montré où et quand les femmes ont cessé de vouloir davantage d’enfants. Il apparaît que la réglementation limitant la taille des familles était mieux acceptée dans les zones les plus industrielles et urbanisées, ainsi que dans les zones où elle a été mise en place de façon rigoureuse, alors qu’elle est moins bien acceptée dans les zones les plus pauvres et là où l’application de la loi a été la plus laxiste. Ces résultats suggéraient qu’un assouplissement de la politique permettrait à certaines femmes d’avoir les enfants supplémentaires qu’elles souhaitaient. Mais elles étaient peu nombreuses à vouloir plus de 2 enfants, la plupart ayant suivi l’objectif gouvernemental de l’enfant unique. Dans la mesure où les contraintes officielles sont entérinées par la population et que d’autres contraintes tirent la fécondité vers le bas, l’impact de la réglementation sur les intentions ne se traduit pas entièrement par une hausse de la fécondité en cas de suspension de cette politique. Zheng et al. (2009) ont étudié, dans la province de Jiangsu, les intentions de fécondité des jeunes couples dans lesquels l’un des conjoints était enfant unique et donc autorisés à avoir un second enfant ; ils ont montré que les intentions de ces couples sont largement inférieures à la limite de 2 enfants fixée par le gouvernement. Pour Gu et Liu (2009), la hausse de fécondité résultant d’un assouplissement du cadre légal expérimenté dans plusieurs comtés a été modérée, bien inférieure à ce qu’autorisait ce changement de politique. Merli et Smith (2002) ainsi que Goldstein et ses collègues (2003) font valoir, les premiers pour la Chine et les seconds pour les populations germanophones d’Europe, qu’une génération contrainte d’avoir une faible fécondité peut accepter ou se résoudre par la suite à une très faible fécondité. Enfin, Morgan et al. (2009) voient en Chine une série de caractéristiques qui rendent de plus en plus vraisemblable le fait que la fécondité effective restera en deçà des intentions déclarées. À partir d’un modèle des déterminants proches de la faible fécondité utilisé dans des contextes variés, ces auteurs montrent que peu de facteurs pourraient conduire les couples à avoir plus d’enfants que prévu (par exemple, les naissances « non désirées » sont rares). À l’inverse, un ensemble de facteurs pourraient amener à avoir moins d’enfants que prévu, en particulier du fait d’un retard de la fécondité dû aux contraintes économiques.

7 Compte tenu de l’importance des intentions de fécondité dans les spéculations concernant l’avenir de la fécondité en Chine (et ailleurs), un examen approfondi de ces intentions est nécessaire. Les informations disponibles suggèrent que l’écart se réduit entre les préférences individuelles et celles du gouvernement en matière de fécondité, et que la fécondité effective pourrait rester en deçà des objectifs déclarés par les femmes à cause de contraintes économiques et sociales.

8 Shanghai offre un contexte intéressant et important pour l’étude des préférences de fécondité, à cause de l’hétérogénéité de sa population face aux différentes options offertes par la politique de planification. Depuis le lancement de la période de réforme économique et d’ouverture vers l’étranger, Shanghai – aujourd’hui la plus grande ville de Chine, avec 19 millions d’habitants en 2008 et 23 millions en 2010 – a été un pôle de croissance économique dans l’industrie, la finance et le commerce. Elle a connu le rythme le plus rapide de modernisation, de transition vers l’économie de marché et de croissance du revenu par habitant. L’histoire de la basse fécondité à Shanghai est liée aux facteurs socioéconomiques ainsi qu’à une longue histoire de politiques de maîtrise de la fécondité, que le gouvernement de Shanghai a commencé à préconiser dès les années 1960 (Nie et Wyman, 2005 ; Guo, 1996). La baisse de la fécondité y a débuté 10 ans avant les autres provinces chinoises. Elle est passée de 4 enfants par femme en 1963 à près de 1 enfant par femme en 1979, niveau nettement inférieur à la moyenne nationale de 2,7 enfants par femme à la fin des années 1970, ce qui suggère qu’à Shanghai la norme d’un seul enfant prévalait déjà au moment du lancement de la politique de l’enfant unique à l’échelon national (Peng et Cheng, 2005 ; Guo, 1996). Bien que le développement socioéconomique explique le début précoce de la transition de la fécondité à Shanghai, le fait d’avoir atteint très vite une faible fécondité a été attribué au programme de planification des naissances, en particulier la législation en faveur de l’avortement (Guo, 1996). Dans les dix dernières années, l’indicateur conjoncturel de fécondité a été constamment inférieur à 1, avec un minimum de 0,88 enfant par femme atteint en 2008 (Lutz et Basten, 2010 ; Shanghai Population and Family Planning Commission, 2010).

9 Après des décennies de très basse fécondité, de nombreux nouveaux mariés aujourd’hui à Shanghai sont eux-mêmes des enfants uniques. Les couples mariés dont les deux conjoints sont des enfants uniques ont le droit de s’écarter de la stricte règle commune et d’avoir deux enfants, comme le permet la loi de 1979. Mais la plupart des nouveaux mariés n’y étaient pas éligibles jusque récemment. L’usage que les couples éligibles font de cette possibilité n’est pas bien connu, mais particulièrement intéressant. Le comportement de ce groupe peut tenir lieu d’expérimentation naturelle sur les conséquences d’un assouplissement de la politique de l’enfant unique.

10 Shanghai est aussi une destination importante pour les migrants intérieurs en Chine. Le nombre de migrants à Shanghai, c’est-à-dire de personnes vivant à Shanghai sans être inscrites au registre permanent des ménages de Shanghai (hukou), s’est accru constamment depuis le début des années 1980, de 0,26 million en 1981 à 2,6 millions en 1997 et 4,4 millions en 2005, date à laquelle ils représentaient 25 % de la population totale de la ville. Alors que les migrants enregistrés dans un hukou urbain doivent suivre la même réglementation en matière de planification des naissances que les résidents enregistrés à Shanghai, ceux qui sont enregistrés dans un hukou rural suivent la réglementation de leur région d’origine, laquelle autorise généralement les couples ruraux à avoir deux enfants si le premier né est une fille.

11 Alors que les précédentes études sur les préférences de fécondité à Shanghai se sont appuyées sur de petits échantillons non représentatifs (Nie et Wyman, 2005) ou sur des échantillons de la population vivant dans les districts urbains les plus développés (Liu, 2005), nous utilisons des données recueillies auprès d’un échantillon aléatoire représentatif de la population de l’ensemble de la ville de Shanghai. À partir de ces données, nous cherchons à déterminer s’il existe une demande refoulée d’enfants de rang 2 et plus, ou si une logique des familles très restreintes conduit à des préférences pour un nombre d’enfants conforme à la politique chinoise actuelle, voire inférieur. Nos résultats ne pourront pas être généralisés au reste de la Chine, en particulier à la population rurale. On sait toutefois que la fécondité est très basse à Beijing, Changchun et Shenyang – ces deux dernières villes sont les capitales de deux provinces, Jilin et Liaoning, dans lesquelles la fécondité est réputée pour être parmi les plus faibles de Chine – (Liu, 2005). Les écarts de fécondité entre Shanghai/Beijing et Changchun/Shenyang s’expliquent par des différences de niveau de développement socioéconomique (Liu, 2005). Shanghai peut donc fournir un aperçu de la fécondité future des zones urbaines chinoises lorsqu’elles atteindront à leur tour ces niveaux élevés de développement économique et social.

I – Données

12 Les données proviennent de l’Enquête de Shanghai sur les comportements et les réseaux sexuels (Shanghai Sexual Behavior and Sexual Networks Survey, SSNS), première enquête sur les réseaux sexuels au niveau local jamais réalisée en Chine, d’octobre 2007 à janvier 2008. L’étude repose sur des échantillons représentatifs de résidents à Shanghai âgés de 18 à 49 ans inscrits au registre des ménages de Shanghai (hukou) et de migrants (résidents non inscrits au hukou de Shanghai). Les taux de réponse, 56 % pour les résidents inscrits et 61 % pour les migrants, sont inférieurs à celui de la première enquête nationale sur les comportements sexuels – l’Enquête chinoise sur la santé et la vie familiale en 2000 (China Health and Family Life Survey, CHFLS) – qui avait atteint 73 % (Parish et al., 2003 ; Parish et al., 2007).

13 Cependant, des taux de réponse aussi faibles ne sont pas rares dans la Chine urbaine où les changements sociaux rapides rendent plus difficile l’accès à la population urbaine et la participation aux enquêtes sociales (de Leeuw et Heer 2002 ; Treiman et al., 2009). La taille totale des échantillons de la SSNS ayant été ajustée pour tenir compte des non-réponses (plan de sondage présenté en annexe), ils incluent 1 192 résidents inscrits à Shanghai et 496 migrants. Les pondérations ont été calculées en deux étapes pour tenir compte des probabilités de tirage inégales et des populations non couvertes, la seconde étape incluant un calibrage de la distribution par sexe et âge de l’échantillon pour l’ajuster à celle de Shanghai en 2005 lors de l’enquête intercensitaire à 3 %. La base de données, pondérée de façon à tenir compte des taux de sondage inégaux, comptait trop peu de femmes et d’hommes âgés de 18 à 24 ans, par comparaison aux résultats de l’enquête intercensitaire, malgré un défaut de couverture un peu moindre pour les jeunes femmes. Après calibrage, les distributions pondérées par résidence urbaine, âge et instruction dans l’enquête SSNS sont cohérentes avec celles de l’enquête intercensitaire à 3 %. Les échantillons ajustés sont donc représentatifs des résidents inscrits à Shanghai et des migrants âgés de 18 à 49 ans.

14 Les informations recueillies auprès des répondants concernent leurs caractéristiques démographiques et socioéconomiques et celles de leur conjoint marié ou cohabitant (âge, situation matrimoniale, instruction, emploi actuel et précédent, revenu, etc.), ainsi que leurs trois plus récentes relations de couple non marié et leurs caractéristiques. Un module complémentaire sur les préférences de fécondité des enquêtés comportait des questions sur le nombre et le sexe des enfants avec le conjoint actuel, marié ou non, les sentiments personnels à l’égard de ce nombre d’enfants, le nombre d’enfants qu’ils étaient autorisés à avoir dans le cadre de la politique actuelle et, s’ils avaient droit à plus d’un enfant, le type d’exception dont ils bénéficiaient. On demandait aussi aux enquêtés s’ils auraient un enfant supplémentaire en cas d’assouplissement de la réglementation, ainsi que les raisons pour lesquelles ils voudraient ou pas un enfant supplémentaire.

15 La première moitié de l’entretien, comprenant des questions sur les caractéristiques démographiques et sociales des individus et sur la fécondité effective et souhaitée, a été effectuée de manière traditionnelle, en face-à-face avec un enquêteur reportant les réponses sur un exemplaire papier. Par respect pour la vie privée, les entretiens se déroulaient hors du domicile des enquêtés, dans une pièce fermée au sein des bureaux du comité local de voisinage ou dans des hôtels. Les enquêtés remplissaient un formulaire de consentement qui les assurait de la confidentialité de leurs réponses et recevaient une petite rétribution pour leur participation.

16 Afin de s’assurer de la validité des réponses, on a demandé aux enquêtés, à la fin de chaque entretien, s’ils acceptaient de participer à une seconde rencontre à une date ultérieure. Parmi ceux qui ont accepté (89 %), nous avons sélectionné un échantillon aléatoire de 100 personnes à qui nous avons administré le même questionnaire un à deux mois plus tard. Les réponses sur la fécondité effective et sur les préférences de fécondité ont un coefficient Kappa moyen de 0,89 qui atteste d’une forte cohérence entre les deux entretiens. Ce n’est bien sûr pas un indicateur parfait, mais il montre une certaine conformité.

17 Le tableau 1 présente des statistiques pondérées sur la population de Shanghai selon le sexe (1A) et l’inscription au registre des ménages (1B). Les migrants représentent environ 40 % des hommes et des femmes de 18 à 49 ans. À Shanghai, 71 % des hommes et 77 % des femmes âgés de 18 à 49 ans sont actuellement mariés, ce qui est cohérent avec les très faibles taux de divorce en Chine (Zeng et al., 2002) et la relative jeunesse de l’échantillon, dans lequel très peu sont divorcés ou veufs. La plupart des résidents à Shanghai n’ont qu’un enfant. Du fait des différences entre hommes et femmes pour l’âge moyen au mariage et à la première naissance, les femmes sont proportionnellement plus nombreuses que les hommes à être actuellement mariées et avec un enfant. Les différences sont plus fortes entre personnes inscrites et non inscrites (migrants) au registre des ménages (hukou) de Shanghai. Les migrants sont en moyenne cinq ans plus jeunes que les résidents inscrits. Leur niveau d’instruction est moindre. Une proportion plus importante de migrants déclarent avoir deux enfants ou plus, alors que ce n’est le cas que de 3,3 % des Shanghaiens.

18 Comme la maternité en Chine a lieu exclusivement dans le cadre du mariage et que les questions sur les nombres d’enfants actuel et attendu n’ont pas été posées aux couples non mariés ou non cohabitants, nous analysons les données pour les échantillons combinés des résidents enregistrés et des migrants, mais restreints aux 1 241 enquêtés actuellement mariés ou cohabitants sur les 1 689 répondants. Les cohabitants non mariés n’ont été inclus que dans la mesure où ils faisaient état de projet de mariage, car ils peuvent alors avoir discuté avec leur futur conjoint de leurs intentions de fécondité et, surtout, ils doivent connaître le nombre d’enfants légalement autorisé, compte tenu des caractéristiques de chacun. Parmi les 34 enquêtés cohabitants, 30 projetaient de se marier. Le faible nombre de cohabitants n’est pas étonnant, même à Shanghai, ville à la pointe du changement social, car la cohabitation prénuptiale est encore mal vue. Par la suite, nous désignerons les enquêtés mariés et cohabitants simplement par le terme de « mariés ».

II – Fécondité réelle, fécondité autorisée et souhaits de fécondité à Shanghai

Fécondité réelle vs fécondité autorisée

19 Pour le pays dans son ensemble, l’indicateur conjoncturel de fécondité est très proche des objectifs moyens pondérés de la planification des naissances au niveau local (Gu et al., 2007). Nous avons demandé aux enquêtés à Shanghai le nombre d’enfants qu’ils étaient autorisés à avoir selon la réglementation en vigueur. Nous pouvons donc calculer pour cet échantillon le nombre moyen d’enfants autorisé par couple. Après avoir exclu 1 enquêté qui disait n’être autorisé à avoir aucun enfant et 16 autres qui ne connaissaient pas le nombre auquel ils étaient autorisés, nous avons construit le tableau 2 où figurent la distribution de la population de Shanghai selon le nombre d’enfants autorisé ainsi que le nombre d’habitants dans la population (ajustés par des pondérations qui reflètent l’enquête intercensitaire à 3 % en 2005) sur la base des 1 224 observations et le nombre moyen d’enfants nés par rapport au nombre autorisé. La plupart des habitants de Shanghai (75,1 %) sont autorisés à avoir un enfant, 24,9 % à en avoir deux et 0,07 % à en avoir trois. Si chacun avait autant d’enfants que la loi le permet, le nombre moyen d’enfants des hommes et femmes mariés de Shanghai serait de 1,25.

Tableau 1

Distribution (% pondérés) des résidents de Shanghai âgés de 18 à 49 ans suivant le sexe et leur inscription au registre des ménages (hukou)

Tableau 1
1A Hommes Femmes % Effectif % Effectif 50,9 840 49,1 848 Inscription au registre des ménages (hukou) Hukou de Shanghai 58,7 590 59,8 602 Hukou hors Shanghai 41,3 250 40,2 246 Âge moyen 33,6 ans 33,2 ans Niveau d’instruction Primaire ou inférieur 5,2 41 10,5 85 Secondaire 43,7 322 40,3 306 Secondaire avancé 29,3 248 27,3 251 Supérieur 21,8 229 21,9 206 État matrimonial Marié 70,8 559 77,5 651 Cohabitant/ projet de mariage 3,3 24 1,0 7 Non marié 24,3 230 19,3 153 Veuf 0,2 3 0,3 6 Divorcé 1,4 24 1,9 31 Nombre actuel d’enfants avec le conjoint actuel 0 12,9 72 8,4 51 1 72,5 436 80,6 543 2 12,9 68 10,6 61 3 1,6 7 0,4 3 1B Hukou de Shanghai Hukou hors Shanghai % Effectif % Effectif 59,2 1 192 40,8 496 Sexe Homme 50,4 590 51,6 250 Femme 49,6 602 48,4 246 Âge moyen 35,7 ans 30,0 ans Niveau d’instruction Primaire ou inférieur 3,9 44 13,6 82 Secondaire 33,6 368 54,2 260 Secondaire avancé 32,0 392 22,9 107 Supérieur 30,5 388 9,3 47 État matrimonial Marié 74,5 809 73,4 401 Cohabitant/ projet de mariage 0,9 14 4,0 17 Non marié 21,5 307 22,4 76 Veuf 0,4 9 0,0 0 Divorcé 2,7 53 0,01 2 Nombre actuel d’enfants avec le conjoint actuel 0 9,0 77 13,0 46 1 87,7 723 60,9 256 2 3,3 23 23,6 106 3 0,0 0 2,5 10 Note : Tous les pourcentages ont été calculés en tenant compte des pondérations, mais les effectifs sont non pondérés. Source : SSNS, 2008.

Distribution (% pondérés) des résidents de Shanghai âgés de 18 à 49 ans suivant le sexe et leur inscription au registre des ménages (hukou)

Tableau 2

Distribution (%) par nombre d’enfants autorisé et effectifs pondérés

Tableau 2
Pourcentage Effectifs pondérés Nombre moyen d’enfants nés (nombre autorisé) 1 75,1 168 602 0,7505 2 24,9 55 873 0,4974 3 0,07 163 0,0022 Total 100,00 224 638 1,25 Note : 16 répondants sont exclus car ils ne connaissent pas leur nombre d’enfants autorisé, et 1 parce qu’il en déclare zéro. Tous les pourcentages sont obtenus après pondération. Les effectifs pondérés sont calculés après ajustement des données de l’enquête avec les pondérations, en tenant compte des probabilités de tirage inégales et des populations non couvertes. Champ : Shanghai, hommes et femmes mariés âgés de 18 à 49 ans (N = 1 224). Source : SSNS, 2008.

Distribution (%) par nombre d’enfants autorisé et effectifs pondérés

20 Le résultat est supérieur à 1 enfant car diverses réglementations s’appliquent à la population de Shanghai. La raison principale est l’inscription de certains ménages sur un registre rural, ce qui autorise à avoir un second enfant lorsque le premier est une fille (56 %). Vient ensuite le fait que les deux époux sont enfants uniques (25 % des exemptions). Le rôle des migrants dans les niveaux de fécondité à Shanghai est illustré par la figure 2 où est représenté le nombre moyen d’enfants des femmes mariées résidentes (N = 441) et celui des migrantes mariées (N = 210), en fonction de l’âge des mères à la naissance du dernier enfant. Ce sont des indices synthétiques de fécondité totale. La fécondité des femmes mariées enregistrées à Shanghai est achevée au début de leur trentaine et ne dépasse pas un enfant, alors que certaines migrantes ont plus d’un enfant au même âge. L’arrivée d’un second enfant est cohérente avec les règles de planification des naissances selon lesquelles les couples éligibles sont autorisés à avoir un second enfant 4 ans après la naissance du premier ou quand la mère a plus de 28 ans. Toutefois, les femmes ayant migré à Shanghai n’atteignent pas la limite de 1,5 enfant qu’on observerait si toutes les migrantes venues de zones rurales avaient les deux enfants auxquels elles sont autorisées. Divers facteurs peuvent l’expliquer : la sélectivité du processus migratoire, l’assimilation et le type de politique en vigueur dans les lieux d’origine. Environ la moitié des migrantes à Shanghai sont enregistrées dans des zones pratiquant une politique de l’enfant unique : 25,2 % sont enregistrées dans une autre zone urbaine et 31 % de celles enregistrées en zone rurale viennent de la province de Jiangsu ou du Sichuan, les deux seules de Chine où la politique de l’enfant unique s’applique indistinctement, quel que soit le statut du hukou.

Figure 2

Nombre moyen d’enfants par âge de la mère à la naissance du dernier né

Figure 2

Nombre moyen d’enfants par âge de la mère à la naissance du dernier né

Champ : Shanghai, femmes mariées âgées de 18 à 49 ans (N = 651).
Source : SSNS, 2008.
Tableau 3

Proportions de nombre d’enfants déjà nés et de nombre d’enfants autorisé

Tableau 3
Nombre d’enfants déjà nés Nombre d’enfants autorisé 1 enfant 2 enfants 3 enfants Total 0 8,5 2,0 0,0 10,4 1 62,6 14,1 0,0 76,8 2 3,7 8,1 0,0 11,8 3 0,2 0,7 0,1 1,0 Total 75,1 24,9 0,1 100,0 Note : 16 répondants sont exclus car ils ne connaissent pas leur nombre d’enfants autorisé, et 1 parce qu’il en déclare zéro. Tous les pourcentages sont obtenus après pondération. Champ : Shanghai, hommes et femmes mariés âgés de 18 à 49 ans (N = 1 224 ; Population = 224 638). Source : SSNS, 2008.

Proportions de nombre d’enfants déjà nés et de nombre d’enfants autorisé

21 Nous avons demandé aux enquêtés s’ils auraient un autre enfant, dans l’hypothèse d’un abandon de la politique de planification des naissances. Nous avons combiné les réponses avec celles sur le nombre d’enfants déjà nés et sur le nombre d’enfants autorisé pour tenter de répondre à la question suivante : quelle serait la descendance des couples en l’absence de contrainte politique ? La réponse nécessite de connaître la situation de chaque personne par rapport au nombre d’enfants qu’elle est autorisée à avoir. Le tableau 3 présente la distribution de la population mariée âgée de 18 à 49 ans à Shanghai par nombre d’enfants déjà nés et nombre d’enfants autorisé.

22 À Shanghai 62,6 % des résidents sont autorisés à avoir un seul enfant et l’ont déjà ; 8,1 % sont autorisés à avoir deux enfants et les ont déjà ; 14,1 % n’ont qu’un enfant alors qu’ils sont autorisés à deux ; et 10,5 % (8,5 + 2,0) n’ont pas encore d’enfant alors qu’ils sont autorisés à en avoir un ou deux. Quelques-uns (3,7 + 0,7 = 4,4 %) ont dépassé la limite qui leur est allouée ; ils comptent pour un tiers des habitants de Shanghai ayant deux enfants ou plus (4,4 / (11,8 + 1,03) = 34 %).

Préférences de fécondité en cas d’absence de réglementation

23 Dans le tableau 4, chaque colonne présente une situation de couples caractérisés à la fois par leur nombre d’enfants déjà nés et leur nombre autorisé, alors que les lignes indiquent le nombre d’enfants souhaité, calculé à partir du nombre d’enfants déjà nés et de la réponse à la question sur l’éventualité d’une naissance supplémentaire si la politique était assouplie. Le tableau présente les résultats pour les personnes mariées ayant au moins un enfant.

24 Parmi les hommes et femmes mariés de Shanghai autorisés à avoir un seul enfant qu’ils ont déjà, 19,8 % disent en souhaiter un autre (ou sont incertains sur ce sujet) si la politique de planification des naissances est assouplie ; nous faisons l’hypothèse « libérale » que ces enquêtés souhaitent deux enfants. Parmi ceux autorisés à avoir deux enfants qu’ils ont déjà, 7 % seulement répondent qu’ils en auraient un autre (ou sont incertains sur ce sujet) ; nous supposons qu’ils souhaitent trois enfants. Parmi les quelques enquêtés qui sont déjà au-delà de la limite assignée par la politique, 4,9 % seulement pourraient avoir un enfant supplémentaire (réponse positive ou « ne sait pas ») en cas d’assouplissement. La quatrième colonne désigne un groupe intéressant : les personnes autorisées à avoir deux enfants et qui en ont actuellement un. Étonnamment, elles ne sont que 33,9 % à dire qu’elles voudraient un autre enfant, même si la politique changeait. En fait, les hommes et femmes mariés ayant un enfant sont satisfaits de ce nombre, qu’ils soient ou non autorisés à en avoir un de plus ; ils sont respectivement 81 % et 76 % à déclarer qu’avoir un seul enfant leur convient (p = 0,26). Qu’une proportion aussi élevée de couples soit satisfaite avec un seul enfant, quel que soit le nombre que leur autorise la politique actuelle, est très révélateur de ce que pourrait être la fécondité future à Shanghai si la politique était assouplie.

Tableau 4

Distribution par nombre d’enfants souhaité, selon les nombres d’enfants déjà nés et autorisés

Tableau 4
Nombre souhaité, en l’absence de politique Déjà né 1, autorisé 1 Déjà nés 2, autorisés 2 Déjà nés 2, autorisé 1 Déjà né 1, autorisés 2 Déjà nés 3 Total 1 80,2 – – 66,1 – 66,5 2 19,8 92,7 95,1 33,9 – 31,5 3 0,0 7,3 4,9 – 100,0 2,0 Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 N 821 85 43 146 10 1 105 Effectifs pondérés 140 713 18 119 8 340 31 532 2 315 201 019 Note : 12 répondants sont exclus car ils ne connaissent pas leur nombre d’enfants autorisé. Tous les pourcentages sont obtenus après pondération. Champ : Shanghai, hommes et femmes mariés âgés de 18 à 49 ans ayant au moins 1 enfant (N = 1 105). Source : SSNS, 2008.

Distribution par nombre d’enfants souhaité, selon les nombres d’enfants déjà nés et autorisés

25 On peut remettre en question l’interprétation selon laquelle les hommes et femmes de Shanghai se satisfont d’un enfant unique. Peut-être ne souhaiteraient-ils pas avoir d’autres enfants, même si la politique était modifiée, parce qu’ils s’estiment « trop vieux » (socialement ou biologiquement). Pour lever ce doute, nous avons fait figurer dans le tableau 5 les personnes ayant un enfant (la majorité des enquêtés du tableau 4, soit 821 + 146), en décomposant ce groupe par âge de l’enfant (0 à 9 ans, 10 ans et plus) et par âge de la mère (jusqu’à 30 ans, 31 ans et plus). Les couples dans lesquels la mère et l’enfant sont jeunes sont à une étape de leur vie où la probabilité d’avoir un enfant supplémentaire est maximale.

Tableau 5

Proportion (%) d’enquêtés qui souhaiteraient avoir deux enfants en l’absence de réglementation selon les nombres d’enfants déjà nés et autorisé, l’âge de leur unique enfant et l’âge de la mère

Tableau 5
Âge de l’enfant Déjà né 1, autorisé 1 Déjà né 1, autorisés 2 Total (N) Âge de la mère Total Âge de la mère Total 30 ans ou – 31 ans et + 30 ans ou – 31 ans et + 0 à 9 ans 30,0 28,9 29,7 43,0 21,7 38,8 32,3 (158) (124) (282) (73) (25) (98) (380) 10 ans et + – 13,3 13,2 – 20,2 20,2 13,9 (1) (538) (539) (0) (48) (48) (587) Total 30,0 16,3 19,8 43,0 20,8 33,9 22,3 (159) (662) (821) (73) (73) (146) (967) Effectifs pondérés 35 297 105 416 140 713 18 567 12 964 31 532 172 244 Note : Tous les pourcentages ont été obtenus après pondération. Le nombre d’enquêtés (N) est entre parenthèses. Les effectifs pondérés sont en bas des colonnes. Champ : Shanghai, hommes et femmes mariés âgés de 18 à 49 ans avec 1 seul enfant (N = 967). Source : SSNS, 2008.

Proportion (%) d’enquêtés qui souhaiteraient avoir deux enfants en l’absence de réglementation selon les nombres d’enfants déjà nés et autorisé, l’âge de leur unique enfant et l’âge de la mère

26 L’un des résultats clés du tableau 4 était que 19,8 % des enquêtés, ayant déjà l’unique enfant que la loi leur autorise, en auraient davantage si la politique de planification était modifiée (ou que 80,2 % n’en auraient pas davantage). Ce chiffre passe à 30 % quand la mère et l’enfant sont jeunes (respectivement moins de 31 ans et moins de 10 ans), mais une large majorité de ces couples (70 %) se satisfont de l’enfant unique auquel les contraint la loi. L’?autre résultat clé du tableau 4 est la proportion d’enquêtés n’ayant qu’un enfant parmi ceux que la loi actuelle autorise à en avoir deux. Parmi les couples dans lesquels la mère et l’enfant sont jeunes (tableau 5), 43 % auraient un autre enfant si les restrictions légales étaient abolies. C’est presque 10 % de moins que sur l’ensemble de l’échantillon du tableau 4 (33,9 %). Les intentions de fécondité varient selon les étapes de la vie, mais même lorsque la mère et l’enfant sont jeunes, une majorité n’aurait pas d’autres enfants en cas d’assouplissement de la politique [3]. Ces résultats suggèrent qu’un changement de politique n’affecterait qu’en partie la population féminine. Certaines seraient « trop âgées » pour réagir à de telles modifications, ce qui amortirait l’effet immédiat, mais les cohortes suivantes vivraient toute leur période féconde dans un nouveau régime et pourraient être impactées.

Tableau 6

Distribution par nombre d’enfants souhaité, selon le nombre d’enfants autorisé suivant trois scénarios, pour les hommes et femmes sans enfant

Tableau 6
Nombre souhaité en l’absence de politique Nombre d’enfants autorisé Scénario bas Scénario moyen Scénario élevé 1 2 Total 1 2 Total 1 2 Total 0 62,1 52,2 60,2 – – – – – – 1 37,9 47,8 39,8 62,1 52,2 60,2 62,1 – 50,4 2 – – – 37,9 47,8 39,.8 37,9 52,2 40,6 3 – – – – – – – 47,8 9,0 Total 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 100,0 N 93 25 118 93 25 118 93 25 118 Effectifs pondérés 19 008 4 422 23 430 19 008 4 422 23 430 19 008 4 422 23 430 Note : 4 répondants sont exclus car ils ne connaissent pas leur nombre d’enfants autorisé, et 1 parce qu’il en déclare zéro. Tous les pourcentages sont obtenus après pondération. Champ : Shanghai, hommes et femmes mariés âgés de 18 à 49 sans enfant. Source : SSNS, 2008.

Distribution par nombre d’enfants souhaité, selon le nombre d’enfants autorisé suivant trois scénarios, pour les hommes et femmes sans enfant

27 Le tableau 6 présente le nombre d’enfants souhaité par les hommes et femmes sans enfant en fonction du nombre autorisé. Parmi les répondants mariés, 7,5 % n’avaient pas d’enfant au moment de l’enquête. Il est difficile d’obtenir pour eux une estimation fiable du nombre d’enfants souhaité en l’absence de politique. Les souhaits qu’ils expriment sont très instables. Prévoir leur fécondité dans le cadre de la politique actuelle est difficile car le groupe est un mélange hétérogène de personnes ayant choisi de rester sans enfant, de couples à faible fécondité, et d’autres n’ayant pas encore le ou les enfants autorisés (70 % des enquêtés sans enfant sont mariés depuis moins de quatre ans). C’est pourquoi nous proposons pour ce groupe un éventail d’estimations de leur nombre souhaité d’enfants, selon des hypothèses basse, moyenne ou élevée. Dans l’estimation basse, nous supposons que les enquêtés sans enfant interprètent la question « Auriez-vous un enfant supplémentaire en l’absence de politique ? » comme une question sur leur nombre désiré d’enfants. Nous postulons alors que ceux qui répondent par l’affirmative auraient un enfant et que les autres n’en souhaitent pas. Dans l’estimation moyenne, nous supposons que tous les enquêtés sans enfant en auraient au moins un et qu’une fraction d’entre eux en auraient un de plus, cette fraction correspond à ceux qui ont répondu positivement à la question citée précédemment. Nous postulons donc que les enquêtés répondant qu’ils auraient un enfant supplémentaire en cas d’assouplissement de la loi en auraient deux au total, et que les autres en auraient un. Dans l’estimation élevée, nous supposons que les enquêtés aujourd’hui sans enfant auront à terme le nombre d’enfants qui leur est autorisé, et qu’en outre une fraction d’entre eux en auront un de plus – ceux qui ont répondu positivement à la question. Nous avons donc attribué à chacun le nombre d’enfants autorisé et un enfant supplémentaire à ceux qui disent qu’ils auraient un autre enfant en cas d’assouplissement de la politique. Il en résulte un nombre moyen souhaité d’enfants par les couples sans enfant de 0,40, 1,40 ou 1,59 selon le scénario. La vérité se situe sans doute quelque part entre 0,40 et 1,40 car 43 % des hommes mariés sans enfant et 38 % des femmes mariées sans enfant ont plus de 30 ans, ce qui signifie qu’une proportion importante d’hommes et femmes sans enfant ont déjà dépassé l’âge auquel les Chinois et, plus encore, les Chinoises ont un enfant.

28 En combinant les nombres souhaités d’enfants déduits pour les personnes sans enfant à partir du tableau 6 et ceux pour les personnes ayant déjà un enfant ou plus (tableau 4), nous estimons que les personnes mariées de Shanghai « souhaitent » 1,25, 1,36 ou 1,38 enfant, selon les hypothèses proposées pour les couples sans enfant. Par comparaison au nombre d’enfants actuellement autorisé (1,25), ces chiffres sont respectivement égal, supérieur de 8,6 % et supérieur de 10,2 %. Autrement dit, si la politique de planification était assouplie et si tous ceux déclarant qu’ils auraient un enfant supplémentaire dans ce cas en avaient effectivement un, le nombre moyen d’enfants ne dépasserait pas 1,38. Si nous analysons les seuls couples dans lesquels le dernier né a moins de 10 ans et la mère moins de 31 ans, l’estimation de la fécondité attendue atteint 1,43. Ainsi, même en tenant compte du fait que les intentions de fécondité se modifient au fil de la vie et en projetant le comportement des cohortes à venir, la fécondité envisagée en l’absence de réglementation resterait inférieure à 1,5 enfant.

Les souhaits de fécondité sont-ils compatibles avec les limites imposées par le gouvernement ?

29 Les souhaits de fécondité exprimés intègrent-ils les restrictions imposées ou reflètent-ils des préférences réelles, indépendamment d’une soumission à la réglementation ? Le tableau 7 compare l’avis des enquêtés sur leur nombre d’enfants actuel et leurs souhaits en l’absence de réglementation, en croisant la satisfaction qu’ils expriment à l’égard de leur nombre effectif d’enfants avec le nombre souhaité et avec la combinaison nombre effectif-nombre autorisé. Pour les parents de deux enfants, la cohérence est à peu près totale entre les intentions déclarées et leur jugement sur leur nombre effectif d’enfants. Pour les parents d’un seul enfant, 90 % de ceux qui disent ne pas vouloir d’autre enfant jugent que le nombre actuel est « adéquat » et ce jugement ne diffère pas selon qu’ils sont autorisés à avoir un ou deux enfants par le gouvernement (p = 0,67). Mais 7,6 % de ceux qui ont un enfant et souhaitent le même nombre disent que leur nombre actuel d’enfants est insuffisant. Ceci pourrait suggérer que les intentions déclarées intègrent les limites imposées par la politique actuelle, mais aussi que d’autres contraintes non politiques empêchent la réalisation de la taille de famille souhaitée. L’?absence de cohérence entre les souhaits déclarés et la satisfaction à l’égard du nombre effectif d’enfants est particulièrement frappante chez ceux qui ont un enfant et en souhaitent deux. Malgré leur préférence pour deux enfants en l’absence de réglementation, près de la moitié estiment qu’un seul enfant est adéquat. Un tel jugement par des personnes qui souhaiteraient deux enfants mais ne sont autorisées à en avoir qu’un suggère que ces enquêtés répondent en se référant aux choix de l’État quand il s’agit de leur nombre effectif d’enfants, et en se référant à leurs choix propres dans l’hypothèse d’une absence de politique [4]. Cependant, une fraction similaire (p = 0,84) de ceux qui sont autorisés à avoir deux enfants et souhaitent ce nombre se dit satisfaite d’un seul enfant. Cette discordance apparente entre la taille de famille souhaitée en l’absence de politique et le jugement porté sur le nombre effectif d’enfants suggère que la seconde mesure reflète des contraintes non politiques. Cette explication est renforcée par les logiques qui poussent à ne pas souhaiter d’autres enfants, comme on peut le voir dans le tableau 8.

Tableau 7

Distribution des avis sur le nombre d’enfants nés selon le nombre souhaité d’enfants (en l’absence de réglementation), et selon la combinaison nombre d’enfants nés vs nombre autorisé

Tableau 7
Nombre souhaité : 1 Nombre souhaité : 2 Trop peu Adéquat Ne sait pas Total (N) Trop peu Adéquat Ne sait pas Total (N) Né 1, autorisé 1 7,6 90,1 2,3 100,0 44,2 45,3 10,5 100,0 (662) (159) Né 1, autorisés 2 5,2 92,0 2,8 100,0 40,1 46,1 13,9 100,0 (99) (48) Nés 2, autorisés 2 – – – – 0,0 98,9 1,12 100,0 (80) Nés 2, autorisé 1 – – – – 0,0 100,0 0,0 100,0 (40) Total 7,23 90,4 2,4 100,0 26,2 66,5 7,3 100,0 (761) (327) Note : Tous les pourcentages sont obtenus après pondération. Les nombres de répondants (N) ne sont pas pondérés. Champ : Shanghai, hommes et femmes mariés âgés de 18 à 49 ans ayant au moins 1 enfant. Source : SSNS, 2008.

Distribution des avis sur le nombre d’enfants nés selon le nombre souhaité d’enfants (en l’absence de réglementation), et selon la combinaison nombre d’enfants nés vs nombre autorisé

Que suggèrent les logiques invoquées pour vouloir ou non d’autres enfants ?

30 Le tableau 8 indique les réponses les plus fréquentes à la question : « Quelles sont les principales raisons pour lesquelles vous ne souhaiteriez pas avoir un enfant supplémentaire ? », par ceux qui ont un seul enfant et ont dit qu’ils n’en voudraient pas d’autre en cas d’assouplissement de la réglementation ; les résultats sont classés selon le nombre d’enfants autorisé. Les enquêtés pouvaient donner au maximum trois motifs. Les trois raisons les plus fréquemment citées sont d’ordre économique (« N’a pas les moyens d’en avoir un autre » ou « La charge pour élever un enfant est trop lourde ») ou politique, reprenant le slogan « Un enfant, c’est assez ». L’incidence élevée de cette dernière réponse, jointe au fait que les motifs économiques sont plus souvent invoqués par ceux ayant déjà le nombre d’enfants autorisé, montre clairement que les règles politiques ont été intégrées. La quatrième raison la plus citée est « Je n’ai pas l’énergie » qui, dans le contexte chinois, peut signifier « trop âgé(e) ou en mauvaise santé ».

Tableau 8

Fréquence (%) des divers motifs cités par les parents pour ne pas avoir d’enfant supplémentaire, selon le nombre autorisé d’enfants

Tableau 8
Nombre autorisé : 1 Nombre autorisé : 2 Total Un enfant, c’est assez 54 55 54,2 N’a pas les moyens d’en avoir un autre 62 53 60,9 La charge pour élever un enfant est trop lourde 73 63 71,7 Affecterait la qualité de vie 10 11 10,2 Trop de pression au travail 15 19 15,9 Trop âgé(e) ou en mauvaise santé 1 2 1,2 Pas d’énergie 22 23 22,5 N 662 99 761 Note : Tous les pourcentages ont été obtenus après pondération. Les nombres d’enquêtés N ne sont pas pondérés. Champ : Shanghai, hommes et femmes mariés âgés de 18 à 49 ans, ayant un enfant et qui n’en voudraient pas d’autre si la politique était assouplie. Source : SSNS, 2008.

Fréquence (%) des divers motifs cités par les parents pour ne pas avoir d’enfant supplémentaire, selon le nombre autorisé d’enfants

Tableau 9

Fréquence (%) des divers motifs cités par les parents pour avoir un enfant supplémentaire, selon le nombre autorisé d’enfants

Tableau 9
Nombre autorisé : 1 Nombre autorisé : 2 Total J’en ai les moyens 11,4 13,9 12,1 Ma situation professionnelle le permet 2,9 2,9 2,9 Nous avons assez d’espace à la maison 8,7 5,2 7,7 Je suis en bonne santé 10,7 16,5 12,3 J’ai fait un bon mariage 9,5 10,4 9,7 Les enfants apportent du bonheur 10,8 11,1 10,9 J’ai de l’aide à la maison 4,1 5,3 4,4 Les enfants apportent de la sécurité dans la vieillesse 17,8 9,3 15,4 Pour donner un compagnon de jeu à mon enfant 52,6 34,5 47,5 Pour avoir fille et garçon 14,0 6,7 12,0 Pour prolonger la lignée 5,2 4,6 5,0 N 159 47 206 Note : Tous les pourcentages sont obtenus après pondération. Les nombres d’enquêtés N ne sont pas pondérés. Champ : Shanghai, hommes et femmes mariés âgés de 18 à 49 ans ans ayant un enfant, et qui en voudraient un autre si la réglementation était assouplie. Source : SSNS, 2008.

Fréquence (%) des divers motifs cités par les parents pour avoir un enfant supplémentaire, selon le nombre autorisé d’enfants

31 Le tableau 9 présente les raisons les plus fréquemment invoquées en réponse à la question : « Quelles sont les principales raisons pour lesquelles vous souhaiteriez avoir un enfant supplémentaire ? (donnez un maximum de trois réponses) », par ceux qui ont un seul enfant et ont dit qu’ils en voudraient un autre en cas d’assouplissement de la politique ; les résultats sont classés selon le nombre d’enfants autorisé. Le motif le plus fréquemment cité est « Pour donner un compagnon de jeu à notre enfant ». Cette logique est plus forte pour ceux qui ont atteint la limite d’un enfant imposée par la réglementation que pour ceux éligibles pour une deuxième naissance ; elle peut refléter des différences dans les souhaits de taille des familles entre les parents ayant des frères et sœurs (donc autorisés à n’avoir qu’un seul enfant) et ceux qui n’en ont pas eu (autorisés à avoir deux enfants), cohérents avec des résultats à propos de l’effet du nombre de frères et sœurs sur la taille souhaitée de la famille à Shanghai et ailleurs (Lutz et al., 2010). Sur les autres motifs, le nombre autorisé fait peu de différences.

Conclusion : L’effet de la politique de planification des naissances sur les intentions déclarées

32 Que deviendrait la fécondité à Shanghai si la politique de planification des naissances était assouplie ? Pour répondre à cette question, nous comparons la fécondité qu’on observerait à Shanghai si la population avait tous les enfants autorisés par la politique actuelle avec celle qui correspondrait aux « souhaits » des personnes en l’absence de contrainte politique. Pour mesurer ces « souhaits », nous nous appuyons sur les réponses d’hommes et de femmes mariés à la question : « Si la politique de planification des naissances était assouplie de façon à vous permettre d’avoir un enfant de plus, souhaiteriez-vous avoir un autre enfant ? », posée en 2007-2008 à un échantillon aléatoire de la population de la ville de Shanghai enregistrée comme résidente ou migrante.

33 La plupart des habitants de Shanghai sont autorisés à avoir un seul enfant, qu’ils ont déjà. Dans l’hypothèse d’un assouplissement de la réglementation, 19,8 % déclarent qu’ils souhaiteraient un autre enfant ou ont un doute sur le sujet. Ce résultat indique une importante demande « refoulée » de deuxième enfant. Très peu, parmi ceux qui ont deux ou trois enfants, souhaiteraient en avoir un autre en cas d’assouplissement de la loi. Le plus frappant est la proportion élevée de personnes ayant le droit d’avoir deux enfants et sans intention d’avoir le second (66,1 %). Ces deux résultats se compensant partiellement, l’estimation de la taille moyenne souhaitée de la famille est comprise entre 1,25 et 1,43 en fonction des hypothèses sur les souhaits des enquêtés sans enfant à la date de l’enquête, et en tenant compte du fait que les intentions de fécondité se modifient au fil de la vie. Nous avons aussi estimé à 1,25 le nombre moyen d’enfants en suivant l’hypothèse selon laquelle les femmes auraient exactement le nombre autorisé par la politique actuelle. Au maximum, la fécondité souhaitée en l’absence de réglementation à Shanghai (1,43), est donc supérieure de 14 % au niveau qu’on observerait aujourd’hui si chacun avait le nombre d’enfants autorisé ; cet écart mesure l’effet réducteur de la politique sur les intentions de fécondité. Cependant, l’incapacité dans laquelle se trouvent de nombreux couples avec un enfant d’en avoir un second alors que la loi le leur permettait, réduit la fécondité effective à 1,16 au lieu des 1,25 autorisés. Ces personnes, sur qui la limite imposée ne pèse pas, souhaitent avoir moins de deux enfants du fait de contraintes économiques, du sentiment qu’élever des enfants est une lourde charge en concurrence avec d’autres besoins, et du respect de la politique de l’enfant unique qu’ils ont intériorisée. Avec le développement économique et social continu, le nombre de gens souhaitant en rester à un enfant, ou même ne pas en avoir, pourrait augmenter à cause de l’accroissement du coût de l’éducation et de besoins concurrents, surtout à Shanghai, mais aussi de plus en plus dans d’autres zones urbaines où sont valorisés la réalisation de soi, le matérialisme et le consumérisme.

34 Pour envisager l’impact des intentions sur les comportements, une mise en perspective est nécessaire. Dans la plupart des contextes actuels, les intentions de fécondité ont une forte capacité prédictive de la fécondité au niveau individuel (Schoen et al., 1999 ; Morgan, 2001), mais elles sont loin d’être parfaites sur ce point. En outre, il est fréquent que les « erreurs » (c’est-à-dire les écarts entre intentions de fécondité et fécondité effective) ne se « compensent » pas (Morgan, 2001). Les intentions ne fournissent donc pas d’indicateurs fiables de la fécondité des cohortes ou des individus (Westoff et Ryder, 1977). Bongaarts (2001) a élaboré un modèle conceptuel permettant de comprendre le profil de telles erreurs au niveau agrégé (cette logique peut être étendue au niveau individuel ; voir Morgan et Rackin, 2010).

35 Morgan et al. (2009) ont appliqué le modèle de Bongaarts au cas de la Chine, où il existe une série de facteurs qui peuvent pousser la fécondité effective au-delà des intentions, et d’autres qui peuvent la maintenir en deçà. Les freins les plus importants sont : un effet « mécanique » du retard de fécondité sur l’indicateur conjoncturel (Bongaarts et Feeney, 1998) ; un effet biologique de recul de la fertilité aux âges avancés ; un processus social par lequel le retard conduit à des révisions à la baisse du nombre désiré d’enfants par suite de la concurrence avec d’autres objectifs et d’autres besoins. De tels freins expliquent, selon Morgan (2003), une large part de la fécondité inférieure au niveau de remplacement des générations dans les pays développés. Toutes ces forces agissent en Chine et les deux dernières suggèrent que la fécondité effective des cohortes chinoises actuelles pourrait être bien inférieure au nombre souhaité d’enfants. Mais la plus forte incertitude sur l’avenir de la fécondité en Chine concerne le niveau de fécondité souhaité si la réglementation actuelle était assouplie. La question de la demande d’enfants refoulée par la politique de planification des naissances a été soulevée par Morgan et al. (2009). C’est précisément celle traitée dans cet article.

36 Pour Shanghai, nos résultats suggèrent qu’en l’absence de politique, la fécondité désirée n’augmenterait que modestement (pas plus de 14 %) par rapport au niveau autorisé (1,25). Les freins, dans la limite de leur influence, réduiraient encore l’impact prévisible d’une hausse du nombre souhaité sur la fécondité effective. En l’absence de facteurs favorables importants, des intentions de fécondité inférieures au niveau de remplacement impliqueraient une fécondité réelle bien inférieure au niveau de remplacement. Un important facteur inflationniste (c’est-à-dire poussant la fécondité effective au-delà des intentions) est, dans certains contextes, l’existence de « naissances non désirées » (naissances résultant de grossesses non désirées par des femmes ne souhaitant plus d’enfants). La disponibilité actuelle de moyens contraceptifs, un avortement aujourd’hui bien accepté, et une « rationalité » historico-culturelle sur le nombre d’enfants (Greenlagh, 1988) suggèrent que les échecs contraceptifs n’auront qu’un effet positif très modeste en Chine. La préférence pour le sexe des enfants peut être aussi un facteur inflationniste, mais avec des effets assez faibles à l’avenir pour plusieurs raisons. La première est que les individus peuvent tenir compte de leurs préférences pour le sexe de leurs enfants dans les intentions qu’ils déclarent. La seconde est que la pratique d’un avortement sélectif selon le sexe réduit l’impact de ce facteur pour ceux qui sont prêts à y recourir. La troisième raison est que nos données suggèrent que la préférence pour les garçons dans des lieux comme Shanghai est aujourd’hui très limitée.

37 Au total, les intentions de fécondité exprimées par la population de Shanghai sont très faibles, et n’augmenteraient que modestement si les restrictions politiques étaient assouplies. Cette hausse elle-même peut être mise en doute car les facteurs susceptibles de réduire la fécondité effective par rapport aux intentions sont sans doute moins puissants que ceux agissant en sens inverse (à Shanghai et au-delà). L’accoutumance aux contraintes politiques et économiques a érodé la norme de deux enfants [5].

38 L’interprétation de ces résultats ainsi que la littérature sur les intentions et les comportements de fécondité mènent à la conclusion suivante : la politique actuelle de planification des naissances semble aujourd’hui anachronique à Shanghai. Dans ce contexte socioéconomique, la fécondité continuerait d’être très basse.

Remerciements : Les résultats présentés dans cet article s’appuient sur l’Enquête sur les comportements et les réseaux sexuels de Shanghai (Shangai Survey of Sexual Behavior and Sexual Networks, SSNS) effectuée en 2008. L’enquête était organisée par Giovanna Merli en collaboration avec Ersheng Gao et Xiaowen Tu de l’École de santé publique de l’Université de Fudan et de l’Institut de recherche sur la planification des naissances, et avec Anan Shen de l’Académie des sciences sociales de Shanghai. La collecte des données a été financée par la subvention R21HD047521 du NICHD/NIDA, complétée par deux autres subventions du NICHD à l’Université de Wisconsin (responsable G. Merli). Nous remercions William Kalsbeek pour sa contribution à l’organisation de l’enquête, Feng Tian and Wei He pour leur appui à notre recherche, Herbert Smith, les rédacteurs en chef et les examinateurs anonymes de Population pour leurs suggestions et commentaires.

Annexe

Le plan de sondage

39 Les échantillons de résidents inscrits au registre de Shanghai et de migrants ont été sélectionnés sous forme de sous-échantillons aléatoires à partir d’un échantillon stratifié à plusieurs degrés par grappes extrait par le Bureau de statistique de Shanghai de l’enquête intercensitaire à 3 % de la population de Shanghai en 2005. Les enquêtés des deux sous-échantillons ont été choisis au sein de 100 petits groupes (PG) (d’environ 100 personnes chacun) dans 50 comités de voisinage (CV) tirés au hasard parmi les 963 CV utilisés pour l’échantillon à 3 %, dans chacun des trois groupes constitués pour l’échantillon à 3 % à partir des 19 districts de Shanghai – le centre ville, la première couronne de banlieues et la seconde couronne –, avec une représentation proportionnelle à la population du sous-échantillon stratifié de NC. Aux deux autres degrés de sous-échantillonnage, des sous-échantillons séparés d’individus de 18 à 49 ans ont été sélectionnés pour les résidents inscrits au registre de Shanghai et pour les migrants. Pour le sous-échantillon de résidents inscrits au hukou de Shanghai, 12 ont été désignés dans chaque PG en utilisant une liste mise à jour des adresses des ménages dans le PG ; une personne de 18 à 49 ans habitant dans le ménage a été choisie parmi les différents individus éligibles du ménage en utilisant une table de Kish. Pour les migrants, une procédure similaire a été utilisée dans laquelle 5 migrants ont été désignés par PG, à partir d’une liste mise à jour des adresses de ménages comptant au moins un migrant présent.

40 Parmi les 1 200 résidents inscrits au registre de Shanghai et les 500 migrants sélectionnés pour être enquêtés, les taux de participation ont été de 56 % pour les premiers et de 61 % pour les seconds. Respectivement 17,7 % des résidents et 17,8 % des migrants ont refusé de répondre ; 14 % et 12 % n’ont pas pu être joints ; 3,1 % et 3 % n’ont pas participé pour d’autres raisons. Enfin, 9,7 % et 5,2 % n’ont pas participé sans raison exprimée. Afin d’éviter que les non-réponses affectent la taille de l’échantillon, on a procédé à un remplacement à partir d’échantillons tirés au hasard dans les plans de sondage des ménages de chaque PG, en procédant de la même façon que pour le tirage des échantillons initiaux. L’?échantillon final, ajusté pour tenir compte des non-réponses, est composé de 1 192 résidents inscrits au registre de Shanghai et 496 migrants.

Notes

  • [1]
    L’IDH est un indice complexe combinant des mesures du revenu par habitant, de l’alphabétisme et de la scolarisation, ainsi que l’espérance de vie à la naissance ; http://hdr.undp.org/fr/statistiques/idh/
  • [2]
    La basse fécondité de la Chine au niveau national masque des variations significatives au niveau local. La fécondité dans des provinces comme le Guangdong pendant les années 1980 était bien supérieure aux limites autorisées par la politique malgré une croissance économique rapide (Attané, 2001 et 2002). Mais environ la moitié du recul de la fécondité entre 1990 et 2000 au Guangdong a pu être le fait du changement économique et social (Chen et al., 2010). Une large part de la baisse de la fécondité au Jiangsu et au Zhejiang mesurée à partir du recensement de 2000 a été attribuée à des facteurs de développement plutôt qu’à la politique (Cai, 2010).
  • [3]
    Ces analyses ont aussi été conduites séparément pour les hommes et les femmes sans qu’apparaisse de différence significative dans les préférences de fécondité selon le nombre d’enfants déjà nés et le nombre autorisé, ou après décomposition par âge de la mère et de l’enfant. Ces résultats, non reproduits ici, peuvent être obtenus auprès des auteurs.
  • [4]
    Milwertz (1996) a été le premier à noter la discordance entre choix personnels et choix de l’État.
  • [5]
    La norme n’a cependant pas disparu. La majorité des personnes autorisées à avoir un seul enfant disent que cela correspond à leur intention, même en cas d’assouplissement de la loi. Mais le souhait d’un deuxième enfant pour donner un compagnon de jeu à l’aîné est plus répandu parmi ceux dont la fécondité est limitée à un enfant unique, qui ont plus que la moyenne été élevés avec des frères et sœurs.
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Résumé

La Chine fait partie du groupe des pays à faible fécondité avec un indicateur conjoncturel de fécondité de l’ordre de 1,4 à 1,6 enfant par femme. Les spéculations sur l’avenir de la fécondité en Chine dépendent en grande partie de ce que sont les souhaits et les intentions de fécondité des individus, comparés aux objectifs de l’État. S’ils sont largement supérieurs, un relâchement des restrictions en matière de planification des naissances pourrait conduire à une augmentation importante de la fécondité. Un échantillon aléatoire de résidents enregistrés et de migrants a été interrogé à Shanghai afin de savoir si un assouplissement de la politique les conduirait à avoir un surcroît d’enfants. Les résultats montrent que, dans ce contexte urbain, les intentions vont vers une famille restreinte à un ou deux enfants. En cas de relâchement de la politique de planification des naissances, une fraction relativement limitée de la population (moins de 14 %) déclare vouloir réviser ses intentions à la hausse. Modeste, cet accroissement est de plus incertain car les facteurs susceptibles de réduire la fécondité effective par rapport aux intentions sont, à Shanghai, vraisemblablement plus forts que ceux jouant en sens inverse. Ces résultats empiriques permettent d’envisager ce que pourrait être l’avenir de la fécondité en l’absence de contraintes politiques.

Mots-clés

  • Chine
  • fécondité
  • préférences de fécondité
  • politique de planification des naisssances
  • Shanghai
Español

Fin de la unión conyugal, género y tareas domésticas en Suiza

Resumen

Los análisis longitudinales, que observan un mismo individuo a través del tiempo, son raros y se centran esencialmente sobre la evolución de la repartición de las tareas domésticas entre los cónyuges. Estos estudios insisten sobre el aumento del tiempo que las mujeres dedican a esas tareas a partir del momento en el que la pareja y la familia se constituyen pero no nos dicen si este fenómeno es reversible ¿Se observa lo contrario al final de la unión? ¿Qué sucede con los hombres? El análisis de los datos del Panel suizo de hogares (PSM) muestra que el fin de la unión conyugal (por separación o por defunción) se acompaña de una disminución del tiempo que las mujeres consagran a las tareas domésticas, mientras que en los hombres el efecto es escaso. La discusión de los diferentes factores que dan cuenta de estos resultados nos conduce a matizar el alcance explicativo de la teoría del doing genre, ampliamente utilizada en los estudios sobre la repartición de las tareas domésticas en la pareja. Esta teoría parece más apropiada para explicar el comportamiento de las mujeres que el de los hombres. La implicación doméstica de estos últimos parece, efectivamente, depender menos de las personas con las que está en interacción que de factores culturales como las referencias normativas de cada generación en materia de repartición y de implicación en las tareas domésticas.

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M. Giovanna Merli
Sanford School of Public Policy, Duke Population Research Institute, Duke Institute of Global Health, Duke University (États-Unis).
Correspondance : Giovanna Merli, Sanford School of Public Policy, Duke University, Box 90239, Durham, NC 27708-0239, USA, courriel : giovanna.merli@duke.edu.
S. Philip Morgan
Department of Sociology, Social Science Research Institute, Duke University (États-Unis).
Traduit par
Patrick Festy
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 23/05/2012
https://doi.org/10.3917/popu.1103.0601
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