1Après l’Afrique sub-saharienne (Tabutin et Schoumaker, 2004), le monde arabe et le Moyen-Orient (Tabutin et Schoumaker, 2005), l’Amérique latine et la Caraïbe (Guzmán et al., 2006) et l’Asie du Sud (Véron, 2008), cette nouvelle chronique est consacrée à la démographie de la région du monde la plus peuplée : l’Asie de l’Est et du Sud-Est. Son poids est considérable : 2,1 milliards d’habitants estimés pour 2007 (sur les 6,6 milliards que compte la planète à cette date), soit un tiers de la population mondiale, pour seulement 16 des 227 pays pris en compte par les Nations unies. Parmi eux, un géant, la Chine, avec 1,3 milliard d’habitants, qui représente donc à elle seule plus de la moitié de la population de la région et un cinquième de la population du monde. La connaissance de l’évolution démographique de l’Asie de l’Est et du Sud-Est est donc indispensable pour comprendre celle de notre planète. Elle est également passionnante à d’autres titres. C’est la région du monde où les transitions démographiques ont été parmi les plus rapides, tant en matière de baisse de la fécondité que de la mortalité. Dans plusieurs pays, la fécondité a atteint un niveau plus faible que celui observé dans nombre de pays occidentaux grâce à des programmes de planification familiale parmi les plus volontaristes, si bien qu’aujourd’hui certains gouvernements ont mis en place des mesures originales et culturellement adaptées pour en redresser le niveau. Par ailleurs, on y trouve à la fois des pays dont l’essor économique repose sur des mesures fortes d’attraction de main-d’œuvre étrangère et d’autres dans lesquels il dépend de l’exportation de leur force de travail organisée à grande échelle.
2Le travail présenté dans cette chronique vise un double objectif qui consiste à présenter au lecteur l’évolution observée de 1950 jusqu’aux années les plus récentes et à décrire les caractéristiques démographiques actuelles de la région et des pays qui la composent. Les indicateurs utilisés dans cette chronique sont présentés dans quinze grands tableaux annexes correspondant aux thèmes traités dans le texte. L’objectif de ce travail est aussi de proposer une large synthèse dégageant les grands éléments de changement, faisant le point des connaissances sur la région et illustrée par l’expérience de tel ou tel pays représentatif ou, au contraire, particulier. L’information y est ainsi fréquemment résumée sous forme de petits tableaux et de graphiques spécifiques à certains pays ou comparant la région dans son ensemble (et, souvent, les deux sous-régions qui la composent) aux autres régions du monde en développement.
3Après une brève description du contexte socio-économique de la région par rapport au reste du monde, un aperçu des systèmes d’information et un résumé de l’évolution de la population de l’Asie de l’Est et du Sud-Est depuis deux millénaires, les thèmes suivants seront successivement abordés : la croissance démographique depuis 1950 ; les modèles de transition démographique ; la nuptialité (âge au mariage, célibat et ruptures d’union) ; la fécondité, son évolution et les politiques de contrôle mises en œuvre par les gouvernements ; les comportements reproductifs et autres variables intermédiaires de la fécondité (contraception et avortement en particulier) ; la mortalité générale et la mortalité maternelle ; la mortalité et la santé des enfants de la naissance à l’âge de cinq ans (suivi des grossesses et conditions d’accouchement, vaccination, malnutrition) ; les structures par âge ; l’urbanisation ; les migrations internationales ; et, enfin, les inégalités entre hommes et femmes en matière d’accès à l’éducation.
4La démarche adoptée est essentiellement descriptive : étude des niveaux et des tendances pour chacun des pays, ainsi que des inégalités selon l’instruction et le milieu de résidence dans quelques pays pour lesquels les données sont disponibles et qui illustrent bien la diversité des situations observées dans la région. De temps à autre, les relations entre les indices démographiques des pays et leurs indicateurs de développement social, économique, humain et sanitaire, regroupés par pays dans les tableaux annexes A.14 et A.15, seront discutées. Le lecteur intéressé par des travaux plus analytiques ou plus approfondis sur tel ou tel sujet ou pour tel ou tel pays pourra utilement se référer à l’abondante bibliographie présentée en annexe de cet article.
5Chaque fois que cela a été possible, nous avons eu recours aux indicateurs produits par les recensements, l’état civil et diverses enquêtes représentatives nationalement sur la fécondité et la santé effectuées dans ces pays depuis vingt ou trente ans, ainsi qu’à ceux tirés d’enquêtes plus spécialisées, particulières à tel ou tel pays. Les travaux démographiques publiés, propres à chacun des pays de l’Asie de l’Est et du Sud-Est ou les études plus spécifiquement régionales ont également été utilisés dans la mesure où ils fournissaient un éclairage original. Comme dans les chroniques précédentes sur les autres grandes régions du monde, nos sources privilégiées de données ont toutefois été les banques de données des organismes internationaux, Nations unies surtout (Division de la population, Unicef, Unesco, OMS, etc.) mais aussi Banque mondiale pour ce qui est des indicateurs économiques et sociaux ; ces bases de données sont indispensables pour retracer les évolutions depuis 1950 et pour disposer d’indicateurs comparables ou spécifiques. Le recours à ce type de source a déterminé les contours de la région tels qu’ils sont présentés sur la carte 1. Celle-ci présente la localisation géographique des seize pays et indique leur appartenance à l’Asie de l’Est (cinq pays : Chine [1], Corée du Nord [2], Corée du Sud, Japon et Mongolie) ou à l’Asie du Sud-Est (onze pays : Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Myanmar (Birmanie), Philippines, Singapour, Thaïlande, Timor oriental et Vietnam), selon la classification des Nations unies. Le regroupement de ces deux sous-régions et leur distinction par rapport au reste de l’Asie (Asie du Sud et Asie occidentale) se justifie par la relative cohésion interne, non seulement démographique et géographique, mais également historique et culturelle (avec une influence déterminante du bouddhisme chinois à certaines époques) de ces deux territoires.
La localisation des 16 pays de la région et des deux sous-régions

La localisation des 16 pays de la région et des deux sous-régions
I – La région dans le monde : le contexte général en 2005
6Globalement, l’ensemble régional regroupant l’Asie de l’Est et l’Asie du Sud-Est, formé de seize pays, connaît désormais une croissance démographique lente, largement inférieure à celle observée dans les autres grandes régions du monde en développement. En outre, la fécondité des femmes y est aujourd’hui très basse, inférieure au seuil de remplacement des générations. En 2005, elle atteint en effet 1,9 enfant par femme, contre une moyenne de 3,2 dans le reste du continent asiatique, 2,5 en Amérique latine, 3,1 en Afrique du Nord et 5,5 en Afrique sub-saharienne. D’un point de vue démographique, cette entité géographique composée de l’Asie de l’Est et du Sud-Est se démarque donc nettement des autres régions du monde en développement.
7En 2005, la région comptait 2,08 milliards d’habitants, ce qui représente plus de la moitié (53 %) de la population de l’ensemble du continent asiatique, 40 % de la population des pays en développement et le tiers (32 %) de la population mondiale. Rappelons toutefois que l’Asie de l’Est et du Sud-Est doit ce poids démographique considérable essentiellement à la Chine qui, à elle seule, rassemble près des deux tiers (63 %) de sa population et pèse donc lourd dans les évolutions régionales. Outre la Chine, toujours classée au 1er rang mondial, devant l’Inde, pour la taille de sa population, la région inclut deux des neuf autres pays les plus peuplés du monde : l’Indonésie (au 4e rang mondial) et le Japon (au 10e rang), qui comptent respectivement 226 et 128 millions d’habitants. La région comprend aussi des pays parmi les moins peuplés du monde, à savoir le sultanat de Brunei (370 000 habitants), le Timor oriental (un peu plus d’1 million) et la Mongolie (2,6 millions). Elle présente de ce fait une grande hétérogénéité démographique.
8Les seize pays composant la région sont par ailleurs situés à des stades très divers de leur transition démographique. À un extrême se trouve notamment le Japon, qui a achevé ce processus transitionnel depuis plusieurs décennies et est désormais le pays au monde dans lequel le processus de vieillissement est le plus avancé. À l’autre extrême se trouvent des pays comme le Cambodge ou le Laos qui, avec 3,6 enfants par femme en moyenne et une espérance de vie à la naissance de l’ordre de 60 ans (soit 22 ans de moins que l’espérance de vie japonaise), n’en sont qu’aux prémices de la transition. Des situations nationales politiques, économiques et sociales très différentes existent par ailleurs au sein de la région, qui regroupe des pays également très divers sur le plan démographique.
9Dans l’ensemble, la région est plutôt favorisée sur le plan économique. Selon le Pnud, l’Asie de l’Est et le Pacifique, qui couvrent l’essentiel de la région « Asie de l’Est et du Sud-Est » telle que définie par les Nations unies [3], présentent un produit intérieur brut (PIB) par habitant d’un niveau intermédiaire, comparable à celui de l’Afrique du Nord et du Moyen-Orient (pays arabes), mais deux fois plus élevé que celui de l’Asie du Sud et trois fois supérieur à celui de l’Afrique sub-saharienne (tableau 1). Il reste néanmoins très en deçà de celui relevé pour l’Amérique latine, et loin derrière celui des pays de l’OCDE (dont font partie le Japon et la Corée du Sud, les deux pays les plus riches de la région). Soulignons ainsi que l’exclusion par le Pnud, dans sa définition de la région, des pays les plus riches (Japon, Corée du Sud) et des plus pauvres (Myanmar, Laos, Cambodge, Mongolie, notamment) biaise un peu la comparaison interrégionale. En outre, ce niveau global cache des inégalités considérables. Par exemple, le produit intérieur brut par habitant (en parité de pouvoir d’achat) est de dix à quinze fois plus élevé au Japon et à Singapour (un peu en dessous de 30 000 $US par habitant) qu’il ne l’est au Laos, au Myanmar, au Cambodge, en Mongolie ou au Vietnam. La Chine, la Thaïlande, les Philippines et l’Indonésie sont dans une situation intermédiaire, avec un produit intérieur brut par habitant compris entre 3 600 et un peu plus de 8 000 $US par habitant (tableau annexe A.14).
Quelques caractéristiques démographiques, économiques et sociales de la région par rapport aux autres grandes régions du monde vers 2005

Quelques caractéristiques démographiques, économiques et sociales de la région par rapport aux autres grandes régions du monde vers 2005
10Finalement, en termes de développement humain, la région Asie de l’Est et Pacifique telle que définie par le Pnud est, après l’Amérique latine et la Caraïbe, la plus avancée du monde en développement. Avec un indice de développement humain [4] (IDH) de 0,760 en 2004, elle affiche en effet des performances largement meilleures que celles de l’Afrique (0,472) et de l’Asie du Sud (0,599) mais toujours très inférieures à celles des pays de l’OCDE (0,923) (tableau 1). Ici encore, soulignons la grande hétérogénéité des pays au sein de la région. Dans le classement mondial, trois pays de la région, soit le Japon, Singapour et la Corée du Sud [5] sont bien placés puisqu’ils occupent respectivement les 7e, 25e et 26e places sur 177, avec un indice de développement humain proche du maximum (soit 0,949, 0,916 et 0,912 respectivement), tandis que le Brunei et la Malaisie, qui affichent également des indices de développement humain élevés (supérieur ou égal à 0,8), occupent respectivement les 34e et 61e places dans le classement mondial. Les autres pays de la région sont tous, sans exception, classés dans la catégorie des pays à niveau de développement humain moyen (compris entre 0,5 et 0,8), tandis que seuls des pays africains sont inclus dans la catégorie des pays à faible niveau de développement humain (inférieur à 0,5) (Tabutin et Schoumaker, 2004). D’importantes disparités existent toutefois entre eux. La Thaïlande affiche par exemple un indicateur de développement humain de 0,784, alors que celui-ci tombe à 0,553 pour le Laos et 0,512 pour le Timor oriental, soit un niveau très peu supérieur à celui requis pour sortir de la catégorie des pays à faible niveau de développement humain (tableau A.14 en annexe). Notons cependant que la Corée du Nord est, faute de données disponibles, exclue du classement du Pnud ; elle figure pourtant parmi les pays les plus pauvres du monde [6].
II – Des pays géographiquement très diversifiés
11Les seize pays qui composent l’Asie de l’Est et du Sud-Est ont des populations, des superficies et des densités de peuplement d’une diversité extrême (tableau A.2 en annexe). Quelques entités se détachent largement : la Chine, avec plus de 1,3 milliard d’habitants en 2005 et, dans une moindre mesure, l’Indonésie et le Japon (avec respectivement 226 et 128 millions d’habitants) ; ces trois pays rassemblent 80 % de la population de la région (figure 1). Les 20 % restants vivent dans des pays de taille nettement plus réduite mais également variable, allant de quelques millions (Timor oriental, Mongolie, Singapour, Laos), voire de quelques centaines de milliers (Brunei), à un peu plus de 80 millions d’habitants (Philippines, Vietnam). La présence de trois des dix pays les plus peuplés du monde fait de l’Asie de l’Est et du Sud-Est la région regroupant le plus grand nombre d’habitants (2,08 milliards, soit 32 % de la population mondiale). Elle se positionne ainsi devant l’Asie du Centre et du Sud (1,6 milliard, soit 25 % de la population mondiale) qui inclut pourtant, elle aussi, trois des dix pays les plus peuplés (Inde, Pakistan et Bangladesh, qui comptent respectivement 1,1 milliard, 169 et 149 millions d’habitants en 2005). Elle se situe en outre largement devant l’ensemble du continent africain (922 millions d’habitants en 2005, soit 14 % de la population mondiale), avec une population deux fois plus nombreuse.
Classement des seize pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est en fonction de leur population en 2005 (effectifs en millions)

Classement des seize pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est en fonction de leur population en 2005 (effectifs en millions)
12L’éventail des superficies des pays de la région est extrêmement large, celles-ci s’étendant de plus de 9,5 millions de km2 pour la Chine – qui est ainsi le 4e pays au monde par sa superficie, après la Russie, le Canada et les États-Unis – à quelques milliers de km2 pour le sultanat de Brunei ou le Timor oriental (6 000 et 15 000 km2 respectivement), de même que pour la cité-État de Singapour, dont le territoire insulaire ne couvre que quelques centaines de kilomètres carrés. À l’exception de la Chine (qui représente près de 60 % du territoire de l’ensemble de la région), de l’Indonésie (1,9 million de km2, soit 12 % de l’ensemble) et de la Mongolie (près de 1,6 million de km2, soit 10 %), la majorité des pays étudiés ici sont de taille moyenne, avec une superficie comprise entre 100 000 et 700 000 km2.
13Les densités de population à l’échelle des pays entiers sont également très hétérogènes puisqu’elles varient, en 2005, de plus de 6 300 hab./km2 à Singapour à seulement 2 en Mongolie. Loin derrière Singapour, la Corée du Sud, le Japon, les Philippines et le Vietnam sont aussi très densément peuplés, avec deux à quatre fois plus d’habitants au kilomètre carré que la moyenne régionale (soit des valeurs comprises entre 250 et 500 hab./km2 pour une moyenne de 130 hab./km2).
14Ces densités nationales masquent toutefois d’importantes disparités de peuplement au sein même des pays. La population de la Chine, en particulier, est très inégalement répartie, puisque plus de 90 % des habitants se concentrent sur moins de 40 % du territoire, au sud-est d’une diagonale reliant les villes de Heihe, au Nord-Est, et de Tengchong, au Sud-Ouest [7]. Ainsi, l’île de Macao, qui a été rétrocédée à la Chine continentale en 1999 et détient depuis lors le statut de « région administrative spéciale », affiche, avec 20 346 hab./km2, la plus haute densité de population au monde. À l’opposé, en Mongolie intérieure et au Tibet, les densités sont très basses : 20 et 2 hab./km2, respectivement. Avec une moyenne de 119 hab./km2 sur l’ensemble de son territoire, l’Indonésie présente également une grande hétérogénéité de peuplement. La province de Jakarta, dont dépend la capitale indonésienne du même nom, enregistre la densité de population la plus élevée du pays : 12 635 hab./km2, tandis que l’île de Java, bien que beaucoup moins densément peuplée, présente également une densité élevée, voisine de 1 000 hab./km2 en 2000 (1 033 hab./km2 à Jawa Barat ; 959 à Jawa Tengah). À l’instar de la Chine, certaines provinces d’Indonésie ont en revanche de faibles densités : 11 à Kalimantan Timur, 6 hab./km2 à Papua [8]. Bien que dans une moindre mesure, le Japon présente également une grande disparité de peuplement, la densité de population variant en 2005 de plus de 4 600 hab./km2 dans les préfectures de Tokyo-to (5 751 hab./km2) et d’Osaka-fu (4 655 hab./km2) à seulement 72 hab./km2 dans celle d’Hokkaido [9].
15Soulignons que la densité brute, calculée en rapportant le nombre d’habitants à la surface totale du pays, ne rend pas compte de la relation entre ressources agricoles et pression démographique (Mathieu et Tabutin, 1996). En recalculant, par exemple, comme indiqué au tableau annexe A.2, les densités de population non plus à partir de la surface totale mais à partir de celle des terres arables, la perspective change sensiblement. Sans modifier radicalement le classement des pays au sein de la région, ce nouveau calcul souligne plus encore la pression démographique exercée sur les terres arables. La densité de population, exprimée cette fois en nombre d’habitants par km2 de terres arables, s’en trouve ainsi multipliée par 27 au Laos et par 18 en Malaisie. Les autres pays de la région, en comparaison de ces deux pays, s’en sortent relativement bien, malgré des coefficients multiplicateurs élevés : une multiplication par 5 de la densité aux Philippines, par 6 en Corée du Sud, par 7 en Chine, par 8 au Japon et par 9 en Indonésie.
III – Une amélioration récente mais rapide en matière d’information
16L’ Asie de l’Est et du Sud-Est se caractérise par une tradition millénaire de collecte d’informations démographiques. La région est à l’origine des tout premiers recensements jamais réalisés (en Chine, sous la dynastie des Han qui a régné de 206 av. J.-C. à 220 de notre ère). Simples opérations de comptage irrégulières, fondées sur des registres supposés être tenus à jour par les chefs de village, ces dénombrements servaient à estimer le nombre de contribuables et de conscrits potentiels. Ces comptages portaient soit sur le nombre de feux, comme dans l’Europe ancienne, soit sur le nombre d’hommes valides. Outre les femmes, les enfants et les vieillards, toutes sortes de catégories en étaient exclues, comme les esclaves, les notables et les lettrés, si bien que les chiffres de population qui en sont issus sont très approximatifs, ces opérations n’ayant à voir que le nom avec celles qui sont conduites actuellement. Cette tradition ancienne est toutefois le reflet d’un encadrement des populations qui s’est poursuivi sous des formes diverses et qui a sans aucun doute facilité l’essor de la collecte au XXe siècle dans plusieurs pays de la région. Là où une telle tradition était inconnue, soit dans la plus grande partie de l’Asie du Sud-Est, ce sont les régimes coloniaux qui ont les premiers mis en place des systèmes de recueil et d’analyse statistique de l’information démographique.
17Les recensements modernes, c’est-à-dire individuels et exhaustifs, ne sont véritablement apparus qu’assez tardivement, vers le milieu du XXe siècle si l’on exclut quelques opérations occasionnelles comme celles menées par certaines puissances coloniales (par exemple la France en Indochine en 1901, les Pays-Bas en Indonésie en 1930, et l’Angleterre en Malaisie et à Singapour en 1871). La pratique de recensements réguliers conformes aux normes internationales s’est très vite répandue dans toute la région au lendemain de la seconde guerre mondiale. Dans certains pays, comme le Japon et la Corée du Sud, leur fréquence (tous les cinq ans) est même plus élevée que dans la plupart des pays occidentaux. À l’exception du Cambodge (aucune opération n’ayant eu lieu entre celle de 1962 et celle de 1998), du Myanmar (où le dernier recensement date de 1983) et, surtout, de la Corée du Nord (qui ne compte qu’un seul recensement, à savoir celui de 1993), tous les pays de la région ont effectué des recensements modernes au moins une fois tous les 10 ou 12 ans depuis les années 1970, voire dans de nombreux cas depuis les années 1960 (tableau annexe A.1).
18Les systèmes d’état civil, en revanche, demeurent presque partout défaillants, avec des proportions significatives de naissances et de décès qui ne sont pas, ou trop tardivement, enregistrés mais les situations sont très variables en la matière. L’enregistrement des événements démographiques atteint 100 % dans plusieurs pays (Japon, Singapour, Corée du Sud, Corée du Nord et Brunei) et il est supérieur à 90 % – la limite pour être considéré comme satisfaisant par les Nations unies – en Mongolie et en Thaïlande. La situation est particulièrement mal connue en Chine mais les quelques informations disponibles suggèrent que la couverture des événements démographiques atteint actuellement 75 % environ, en ce qui concerne les naissances en tout cas (Attané et Sun, 1998 ; Zhang et Zhao, 2006). La proportion de naissances et de décès enregistrés n’est dans aucun pays inférieure à 50 %, même dans les moins favorisés à cet égard (53 % au Timor oriental, 55 % en Indonésie, 59 % au Laos), alors qu’elle n’est que de 34 % en Afrique sub-saharienne et 36 % en Asie du Sud (Unicef, 2007). Ces chiffres traduisent les progrès considérables qui ont été réalisés en Asie de l’Est et du Sud-Est.
19En matière d’enquêtes nationales représentatives sur la fécondité, la famille et la santé des enfants, un véritable essor a été observé à partir des années 1980. La participation aux programmes internationaux (enquête mondiale sur la fécondité, enquêtes démographiques et de santé, enquêtes de l’Unicef sur les indicateurs multiples [10]) a toutefois été assez limitée. Cinq pays, sur les seize que compte l’Asie de l’Est et du Sud-Est, ont participé à l’enquête mondiale sur la fécondité (la Corée du Sud en 1974, la Malaisie en 1974, la Thaïlande en 1975, l’Indonésie en 1976 et les Philippines en 1978) et/ou aux enquêtes démographiques et de santé (le Cambodge, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande et le Vietnam) dont plusieurs d’entre eux avec beaucoup de fidélité (3 enquêtes au Cambodge, 7 en Indonésie, 4 aux Philippines, 4 au Vietnam mais une seule, ancienne puisqu’elle date de 1987, en Thaïlande). Neuf pays ont contribué au programme d’enquêtes MICS mis en place par l’Unicef pour suivre l’évolution des Objectifs du Millénaire pour le développement et la plupart d’entre eux ont participé à au moins deux des trois vagues d’enquêtes (MICS-1, MICS-2, MICS-3 [11]). Ces pays sont situés en Asie de l’Est pour deux d’entre eux (Corée du Nord et Mongolie, avec deux enquêtes chacun) et en Asie du Sud-Est pour les autres (Indonésie, Laos, Myanmar, Philippines, Thaïlande, Timor oriental et Vietnam).
20Toutefois, parmi les pays qui n’ont pas, ou peu, participé à ces programmes d’enquêtes et même parmi ceux qui y ont activement contribué, nombreux sont ceux qui ont mené leurs propres enquêtes nationales sur un modèle proche de celui de ces programmes internationaux. Les enquêtes sur les comportements reproductifs sont entreprises sur des échantillons représentatifs sur le plan national très régulièrement dans les pays surveillant de près le niveau de la fécondité, au premier rang desquels se situent la Chine et le Vietnam (tous les 4-5 ans). Des enquêtes sur la santé des enfants ou la santé maternelle et infantile sont également réalisées ponctuellement ou régulièrement comme en Chine, où elles ont lieu chaque année depuis 1991 [12]. Par ailleurs, plusieurs pays ont participé au programme de collecte d’information sur la santé auprès des ménages [13] mis en place par l’Organisation mondiale de la santé, à savoir la Chine, la Malaisie, le Myanmar, les Philippines, le Laos et le Vietnam.
21Enfin, une majorité des pays de la région ont mis en œuvre des enquêtes destinées à estimer certains indicateurs de développement économique et social qui comportent souvent des informations démographiques utiles. C’est notamment le cas pour deux programmes internationaux conçus, l’un par la RAND Corporation, financé par l’Agence américaine pour le développement international (USAID), l’autre par la Banque mondiale. Le premier de ces organismes est à l’origine des enquêtes sur la vie familiale [14] (Family Life Surveys), très complètes et comportant toute une batterie de questions sur les comportements de procréation et de santé, dont deux pays de la région ont bénéficié (la Malaisie et l’Indonésie) ; la Banque mondiale est à l’origine des enquêtes sur les niveaux de vie [15] (Living Standard Measurement Studies), réalisées en Chine (en 1995-1997, mais dans les seules provinces d’Hebei et du Liaoning), en Mongolie (en 1995, 1998, 2001 et 2005), au Timor oriental (en 2001) et au Vietnam (en 1992-1993, 1997-1998, 2002, 2004 et 2006). Enfin, des enquêtes socio-économiques ont été conduites sur un échantillon représentatif de ménages en dehors des programmes internationaux par plusieurs autres pays de la région. Cinq enquêtes de ce type ont été réalisées au Cambodge depuis 1993, une enquête a eu lieu tous les cinq ans à partir de 1968 et tous les deux ans à partir de 1992 en Thaïlande et une enquête presque tous les ans en Indonésie depuis la fin des années 1970.
22Au final, la plupart des pays de la région disposent de sources d’informations riches et nombreuses. Si l’on s’en tient aux seuls recensements et enquêtes EMF, EDS et MICS, on compte presque 110 opérations de collecte pour les seize pays de la région depuis 1970 alors que dans le monde arabe par exemple, autre région en développement comparativement bien dotée, on en compte seulement une petite soixantaine pour vingt pays (Tabutin et Schoumaker, 2005). Presqu’un tiers des pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est n’ont rien à envier à l’Europe ou à l’Amérique du Nord en matière de système d’information démographique (Japon, Singapour, Corée du Sud, Malaisie et Brunei) et le pays le moins nanti (la Corée du Nord) dispose tout de même d’un recensement et de deux enquêtes MICS réalisés au cours des années 1990. Même les pays les moins développés économiquement peuvent être considérés comme bien pourvus, par rapport à certains pays d’Afrique sub-saharienne, d’Asie du Sud, voire d’Amérique latine ou de la Caraïbe. Ainsi, pour le Timor oriental, on dispose des données de cinq recensements (dont les quatre premiers ont été conduits par l’Indonésie dont faisait alors partie ce pays), une enquête MICS et une EDS ; pour le Cambodge, on dispose de deux recensements et de trois EDS ; et pour le Myanmar, de deux recensements, d’une EDS et de deux MICS. Enfin, plusieurs pays de la région ont été particulièrement actifs en matière d’enquêtes de type EDS, à savoir l’Indonésie (huit enquêtes), les Philippines (onze enquêtes) et le Vietnam (six enquêtes).
23Notons pour terminer que si les données des enquêtes EMF, EDS et MICS sont relativement faciles d’accès pour les chercheurs sous forme électronique, c’est rarement le cas des recensements et des autres types d’enquêtes (démographiques ou socio-économiques). En revanche, les différentes branches spécialisées des organismes internationaux (Division de la population des Nations unies, Unicef, Organisation mondiale de la santé notamment) y ont accès et publient les résultats de ces opérations ou des estimations qui en sont dérivées pour les principaux indicateurs démographiques. L’étude qui est présentée ici repose sur l’utilisation directe ou indirecte de ces différentes sources. La fiabilité des indicateurs présentés est évidemment fonction de la qualité des données utilisées, très variable d’un pays à l’autre et même, dans chaque pays, d’une opération à l’autre selon les moyens disponibles pour la collecte, la nature des informations réunies et le soin apporté à leur recueil. L’interprétation des niveaux et des tendances observés ainsi que la comparaison des indicateurs d’un pays à l’autre requièrent donc une certaine prudence.
IV – Un passé démographique de mieux en mieux connu
24L’histoire des populations de la région au cours des siècles passés est devenue l’objet d’un nombre croissant de publications. La démographie historique de l’Asie de l’Est et du Sud-Est a connu un essor considérable au cours des années 1990, grâce au renouvellement des techniques démographiques d’analyse de données individuelles telles que l’on peut en trouver dans cette région du monde. Après les travaux plus classiques et peu critiques des années 1960 et 1970 qui utilisaient les recensements ou dénombrements anciens (dès le début de notre ère dans l’Empire chinois, dont faisait alors partie le Vietnam, et à partir du VIIe siècle au Japon), les recherches s’appuyant sur l’exploitation de données plus spécifiques (généalogies en Chine, en Corée ou au Japon, registres paroissiaux dans les pays anciennement colonisés par des puissances occidentales catholiques, comme aux Philippines, ou registres de ménages tenus par les villages, les administrations locales ou les églises bouddhiques, comme en Indonésie) se sont multipliées, apportant des informations précieuses, bien que souvent plus locales, sur les dynamiques démographiques des siècles passés. Ce foisonnement se poursuit actuellement avec un réexamen de sources anciennes, revisitées avec les techniques de la démographie historique les plus modernes (celles de l’analyse biographique par exemple), qui permet dès à présent de dresser un tableau général de l’évolution des plus grands ensembles démographiques de la région. Le tableau 2 retrace cette évolution à partir des chiffres fournis par J.-N. Biraben (2004), qui a réuni l’ensemble des estimations connues à cette date.
25En Asie de l’Est, ce sont la Chine et le Japon qui ont fait l’objet des travaux les plus nombreux. Dans ces deux pays, la population semble avoir évolué par paliers depuis le début de l’ère chrétienne avec de fortes fluctuations dues aux changements économiques ou politiques (Biraben, 1993 ; Cartier, 2002). Ces fluctuations correspondaient aux transformations des techniques agricoles ou à des innovations en matière de navigation, aux débuts de la riziculture, au développement de l’irrigation, puis à l’invention de la monnaie et à l’essor du commerce pendant les périodes fastes ; elles étaient également dues aux catastrophes naturelles – famines et épidémies – souvent associées à des troubles politiques majeurs et à un affaiblissement du pouvoir menant à des changements dynastiques pendant les périodes de recul. Ainsi, la population chinoise serait passée de 60 à 120 millions au cours des dix siècles qui s’écoulent entre 200 et 1200 après J.-C., puis à 200 millions au XVIIIe siècle, et à 400 millions au tournant des XIXe et XXe siècles (Biraben, 2004 ; Cartier, 2002). Au Japon, la croissance aurait été relativement rapide entre les IVe et VIIIe siècles de notre ère (de moins d’un million à quelque 6 millions d’habitants), puis plus lente par la suite, avant de connaître un essor vigoureux du XVIe siècle à la fin du XVIIe siècle, époque à laquelle la population aurait atteint plus de 30 millions d’habitants ; suivront une nouvelle stagnation au XVIIIe siècle (avec tout juste un million d’habitants gagnés sur presque un siècle et demi) et, enfin, une nouvelle croissance rapide au cours du XIXe siècle, qui aurait porté la population de ce pays à 44 millions vers 1900 (Biraben, 1993 et 2004).
26En Asie du Sud-Est [16], l’évolution démographique n’est connue avec une relative certitude qu’à partir du XIXe siècle du fait de la rareté des sources avant les colonisations occidentales, subies par tous les pays de la région à l’exception de la Thaïlande. Il semble toutefois que la croissance aurait été remarquablement lente, compte tenu de la richesse des ressources naturelles de la région. Reid (2001), par exemple, considère qu’elle atteint seulement 0,2 % par an en moyenne jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Cette faible croissance correspond à une évolution très heurtée, la population ayant atteint un maximum de plus de 50 millions au IIe siècle avant notre ère, avant de diminuer sur le long terme pour atteindre un minimum de 19 millions vers 1400, puis de fluctuer autour de 30 millions au cours des 3-4 siècles suivants. L’essor économique du XIXe siècle, soutenu par la colonisation, aurait permis à la population de s’accroître d’un tiers entre 1800 et 1900 pour atteindre presque 40 millions à cette dernière date (Biraben, 2004). Les chiffres proposés pour la période antérieure à 1800 sont toutefois issus de sources très fragmentaires et sujettes à caution.
Évolution de la population de la Chine, du Japon et de l’ensemble de l’Asie du Sud-Est de – 400 av. J.-C. à 1950 (en millions)

Évolution de la population de la Chine, du Japon et de l’ensemble de l’Asie du Sud-Est de – 400 av. J.-C. à 1950 (en millions)
27Les systèmes d’information mis en place par les puissances coloniales (embryons d’état civil et registres de population, en plus de recensements des ménages ayant recueilli plus ou moins de caractéristiques individuelles) fournissent suffisamment de matière pour conclure à une forte croissance démographique au cours du XIXe siècle, croissance qui s’est poursuivie jusqu’au milieu du XXe siècle. C’est ce qui est en tout cas observé dans certaines parties des Philippines, de l’Indonésie et de la Malaisie (Xenos, 1996). Dans les pays étudiés, le développement des communications, l’augmentation de la production alimentaire et la mise en œuvre des premières mesures de santé publique dès le milieu du XIXe siècle (vaccination contre la variole et hygiène), qui sont l’œuvre de l’administration coloniale, expliquent la baisse significative de la mortalité. En l’absence de comportements volontaires de limitation des naissances, cette baisse de la mortalité a conduit à une croissance démographique exceptionnellement rapide pour des pays en voie de développement avant la seconde guerre mondiale. Les taux d’accroissement ont atteint 2 à 3 % par an dès 1830 environ en Indonésie et à partir du milieu du XIXe siècle en Malaisie, aux Philippines et à Singapour, alors qu’aucun pays occidental, ni même d’ailleurs le Japon, n’a jamais connu une croissance supérieure à 1,5 % pendant une période prolongée. Ces observations ont été généralisées à l’ensemble de l’Asie du Sud-Est, un peu excessivement nous semble-t-il, puisqu’elles ne s’appliquent pas par exemple aux pays anciennement colonisés par la France (Vietnam, Cambodge, Laos) (Barbieri, 2007). Il demeure que tous les pays de la région paraissent avoir connu jusqu’au XIXe siècle une vigueur démographique typique des fronts pionniers et qu’ils se caractérisaient encore par de faibles densités vers 1800, voire vers 1850 (Xenos, 1996). Le siècle suivant est marqué par des évolutions divergentes selon les pays, certains, comme l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande ou la Malaisie, connaissant indéniablement une croissance rapide de la population, et d’autres, comme le Cambodge, le Laos et le Vietnam, continuant à subir d’importantes fluctuations jusqu’aux premières décennies du XXe siècle. Comme nous le verrons plus loin, une relative convergence a toutefois marqué l’évolution démographique de ces pays, comme de ceux de l’Asie de l’Est, au milieu du XXe siècle.
V – Populations et croissances de 1950 à 2050
28Après 1950, la population de la région dans son ensemble a augmenté de manière significative, à des rythmes croissants jusqu’au milieu des années 1970, puis progressivement diversifiés d’un pays à l’autre sous l’effet des reculs variables de la fécondité et de la mortalité, sur lesquels nous reviendrons. Nous présentons d’abord les croissances démographiques de 1950 à 2005, puis les perspectives d’ici 2050.
1 – Une croissance démographique relativement modérée depuis 1950
29L’ensemble géopolitique constitué de l’Asie de l’Est et du Sud-Est a connu une accélération de sa croissance démographique entre le début des années 1950 et le milieu des années 1970 (autour de 2 % par an en moyenne), résultant du recul de la mortalité et d’une natalité toujours élevée. Ce niveau de croissance, certes soutenu, est toutefois resté en deçà de celui observé à cette époque dans les autres régions du monde en développement : en 1960-1965, par exemple, alors que la population de l’Amérique latine (avec la Caraïbe) croissait au rythme annuel moyen de 2,8 %, l’Asie de l’Est et du Sud-Est enregistrait un taux inférieur de 0,7 point, soit le plus bas de l’ensemble des régions du monde en développement (figure 2). Cette tendance générale s’est poursuivie au cours de la période suivante et jusqu’à aujourd’hui. Ainsi, en 2000-2005, l’Asie de l’Est et du Sud-Est avait une croissance démographique deux fois moins rapide que l’Asie du Centre et du Sud ou que l’Afrique du Nord (0,8 %, 1,6 % et 1,7 % par an respectivement), et trois fois moins rapide que celle de l’Afrique sub-saharienne, dont la population croît encore au rythme de 2,5 % par an en moyenne. L’ Asie de l’Est affiche une croissance démographique particulièrement lente, de seulement 0,6 % par an, voisine de celle des pays les plus développés (0,3 % en Europe de l’Ouest et 0,4 % en Europe du Nord en 2000-2005), et deux à quatre fois moins rapide que celles de l’Amérique latine (1,3 %), de l’Asie du Centre et du Sud (1,6 %) et de l’Afrique sub-saharienne (2,5 %).
Évolution des taux de croissance annuels moyens (en %) de la population de 1950 à 2005 dans cinq grandes régions et dans les pays les moins développés (Chine exclue)

Évolution des taux de croissance annuels moyens (en %) de la population de 1950 à 2005 dans cinq grandes régions et dans les pays les moins développés (Chine exclue)
30Cette évolution singulière tient principalement à la présence de la Chine, dont le poids démographique (63 % en 2005) influence lourdement l’évolution globale de la région et, dans une moindre mesure, à celle du Japon, dont les caractéristiques démographiques des cinquante dernières années s’apparentent davantage à celles des pays d’Europe de l’Ouest qu’à celles de ses voisins asiatiques. Soumise à une politique drastique de contrôle des naissances dès le début des années 1970, sur laquelle nous reviendrons, la Chine a connu une évolution plutôt atypique eu égard à son niveau de développement économique, à savoir un ralentissement marqué de sa croissance naturelle, passée de 2,2 % par an en 1970-1975 à 1,3 % en 1980-1985 alors que dans la majorité des autres pays de la région, la population croissait encore à un rythme soutenu au cours de la seconde moitié des années 1980 : 2,8 % par an en Mongolie, 2,4 % aux Philippines, 2,6 % en Malaisie, 2,2 % au Vietnam, 2,0 % en Indonésie et au Myanmar.
31Sur l’ensemble de la période 1950-2005, l’Asie de l’Est et du Sud-Est a connu une croissance relative modérée, la plus faible de l’ensemble du monde en développement : 1,6 % par an en moyenne, contre 2,6 % pour l’Afrique sub-saharienne, 2,3 % pour l’Afrique du Nord, 2,2 % pour l’Amérique latine et la Caraïbe, 2,1 % pour l’Asie du Centre et du Sud. Elle s’est donc rapidement démarquée, avec d’importants ralentissements (figure 2) dus à la baisse précoce et marquée de la fécondité dans de nombreux pays, notamment au Japon, où la fécondité est passée en dessous du seuil de remplacement des générations dès la fin des années 1950, mais aussi en Chine. Néanmoins, en dépit du ralentissement plutôt précoce de sa croissance démographique, l’Asie de l’Est et du Sud-Est s’est caractérisée par un accroissement absolu considérable. Chaque année entre 1950 et 2005, la population de la région a augmenté en moyenne de 22,4 millions de personnes (dont 13,8 en Chine), contre 20,6 millions pour l’Asie du Centre et du Sud, 12,7 millions pour l’ensemble du continent africain et 7,1 millions pour l’Amérique latine et la Caraïbe.
Évolution des taux de croissance annuels moyens de la population de 1960-1965 à 2000-2005 dans les seize pays de la région (%)

Évolution des taux de croissance annuels moyens de la population de 1960-1965 à 2000-2005 dans les seize pays de la région (%)
32Si l’ensemble des pays de la région, à l’exception du Timor oriental caractérisé par une immigration massive à la suite de son annexion par l’Indonésie en 1975, ont connu un ralentissement marqué de leur croissance démographique au cours des dernières décennies, le rythme de ce ralentissement a été variable. La figure 3, fondée sur les données des Nations unies (2006a) (tableau A.3 en annexe), compare les croissances pré-transitionnelles de 1960-1965 à celles de 2000-2005 pour chacun des seize pays. À un extrême, on trouve les Philippines, dont la croissance de la population est aujourd’hui – Brunei et Timor oriental exceptés [17] – la plus rapide de la région (2,1 % par an en 2000-2005), de même que la Malaisie (2,0 % par an en moyenne en 2000-2005). Sachant que ces pays avaient déjà les taux d’accroissement les plus élevés de la région en 1960-1965 (supérieurs à 3 % par an), le ralentissement de la croissance démographique entre 1960-1965 et 2000-2005 y a donc été le moins marqué, de l’ordre de 35 %. Une évolution comparable est observée au Laos et au Cambodge où, en dépit de niveaux de départ moins élevés qu’en Malaisie ou aux Philippines (2,5 % par an en 1960-1965), le fléchissement de la croissance a été relativement lent pendant ces quarante années (– 35 % et – 28 % respectivement). Ainsi, ces quatre pays ont encore, en 2000-2005, la croissance démographique la plus soutenue au sein de la région, comprise entre 1,6 % et 2,1 % par an. À l’autre extrême, figurent six pays : la Chine, la Corée du Nord, la Corée du Sud, le Japon, la Mongolie et la Thaïlande où, bien que le niveau de départ ait été dans l’ensemble relativement moins élevé que dans les autres pays, le ralentissement de la croissance démographique a été très prononcé, supérieur à 65 % et dépassant même les 80 % au Japon et en Corée du Sud. Entre ces extrêmes, se trouvent notamment l’Indonésie, le Vietnam et le Myanmar qui, avec des niveaux de croissance modérés en 1960-1965 (entre 2,2 et 2,5 % par an en moyenne), se situent encore aujourd’hui à des niveaux relativement peu élevés par rapport aux autres pays de la région, soit entre 0,9 et 1,5 % par an en 2000-2005. Ils ont par ailleurs enregistré un fléchissement modéré (entre 40 et 60 %) du rythme de leur croissance démographique sur les quatre décennies. Il en est de même pour Singapour, dont l’essentiel de la croissance provient cependant non pas de l’accroissement naturel, la fécondité des femmes étant désormais l’une des plus faibles du monde, mais d’un flux d’immigration continu tout au long de cette période. En définitive, il y a une relation plutôt claire entre les rythmes de baisse et les niveaux de départ observés en 1960-1965, même si cette relation est de nature atypique : en effet, ce sont les pays dans lesquels la croissance était, au départ, la moins forte qui ont connu le fléchissement le plus marqué de leur accroissement démographique.
33Au total, le fléchissement marqué de la croissance démographique dans la région s’est accompagné d’un accroissement de l’hétérogénéité des croissances démographiques. Il y a quarante ans, la plupart des pays se caractérisaient par des taux de croissance compris entre 2,1 % et 3,1 %, contre 0,1 % à 2,3 % aujourd’hui, avec (si l’on exclut le Brunei de même que le Timor oriental, qui se caractérisent par une croissance exceptionnellement élevée) des écarts types atteignant respectivement 0,54 et 0,61 en 1960-1965 et en 2000-2005. Sur les seize pays de la région, tous sont aujourd’hui passés sous la barre des 2 % de croissance, à l’exception des Philippines et de la Malaisie qui, avec respectivement 2,1 % et 2,0 % de croissance par an en moyenne, n’en sont cependant guère éloignés, du Brunei et, bien sûr, du Timor oriental. Comme cela a déjà été signalé, le cas du Japon est largement à part : sa croissance démographique, déjà inférieure à 1 % par an en moyenne en 1960-1965, est désormais presque nulle avec + 0,1 % en 2000-2005.
34La croissance absolue de la population de l’Asie de l’Est et du Sud-Est, en d’autres termes la pression démographique qui s’exerce au regard de la satisfaction des besoins essentiels (éducation, logement, alimentation, emploi, etc.) est certes élevée mais elle a été moins importante que dans les autres régions du monde en développement. La population de la région a en effet été multipliée par 2,5 entre 1950 et 2005, contre 3,2 en Asie du Centre et du Sud, 3,3 en Amérique latine et dans la Caraïbe, 3,6 en Afrique du Nord et 4,3 en Afrique sub-saharienne. Elle a presque doublé depuis 1965 (avec un coefficient multiplicateur [18] de 1,8 entre 1965 et 2005) (tableau 3) mais elle n’a augmenté que de 17 % depuis 1990.
Croissance démographique totale et coefficient multiplicateur de la population entre 1965 et 2005 dans les pays de la région

Croissance démographique totale et coefficient multiplicateur de la population entre 1965 et 2005 dans les pays de la région
35Ces chiffres relativement peu élevés par rapport à d’autres régions résultent principalement de l’évolution de la fécondité au cours des dernières décennies et, comme nous allons le voir maintenant, ces évolutions sont à même de se poursuivre dans les prochaines décennies.
2 – Quelques perspectives d’ici 2050
36Effectuées à des périodes et avec des méthodes différentes, les projections de population réalisées par les instituts nationaux de la statistique dans chaque pays, quand elles existent, sont difficilement comparables. Dès lors, nous nous en tiendrons ici aux projections réalisées par les Nations unies, plus homogènes sur le plan méthodologique mais qui gomment sans doute certaines particularités nationales. Révisées tous les deux ans, celles de 2006 intègrent les changements démographiques les plus récents, de même que diverses caractéristiques susceptibles d’influencer l’avenir démographique des pays de la région (tableau 4).
37Les projections de 2006, aussi récentes et à jour soient-elles, doivent néanmoins être considérées comme un avenir possible parmi d’autres. Elles pourraient en effet être revues à la baisse ou à la hausse, selon l’évolution démographique observée, en particulier celle de la fécondité et, dans certains cas, de la migration. Notons en outre que ce dernier jeu de projections tient également compte de la masculinité accrue des naissances observée dans certains pays d’Asie de l’Est, comme c’est le cas en particulier en Chine et en Corée du Sud. La simple comparaison des projections des Nations unies à six ans d’intervalle (en 2000 et en 2006) pour les six plus grands pays de la région illustre cette incertitude relative à l’horizon 2025 et plus encore à l’horizon 2050. Aux Philippines, les effectifs de population ont été revus à la hausse : + 8,2 % à l’horizon 2025 et + 9,4 % à l’horizon 2050, mais ils ont au contraire été revus à la baisse pour la Chine (– 3,6 % à l’horizon 2050), le Japon (– 6,1 %), l’Indonésie (– 4,6 %), le Vietnam (– 3,1 %) et surtout pour la Thaïlande (– 18,3 %). Ainsi l’estimation de la population totale de ces six grands pays au milieu du XXIe siècle a-t-elle été diminuée de plus de 80 millions de personnes (soit – 3,3 % par rapport aux projections réalisées en 2000). Le tableau A.2 en annexe présente, par pays et sous-région, l’évolution de la population depuis 1950 et les perspectives pour 2025 et 2050.
Comparaison des projections de population (en milliers) à l’horizon 2025 et 2050 faites par les Nations unies en 2000 et en 2006 pour les six plus grands pays de la région

Comparaison des projections de population (en milliers) à l’horizon 2025 et 2050 faites par les Nations unies en 2000 et en 2006 pour les six plus grands pays de la région
38Les croissances démographiques prévues pour les pays de la région ralentissent fortement, notamment en Asie de l’Est, mais elles sont encore soutenues dans bon nombre d’entre eux (entre + 1,3 % et 2,0 % par an en moyenne en 2005-2010 dans la plupart des pays d’Asie du Sud-Est). En outre, compte tenu des effectifs concernés (rappelons que l’ensemble de la région regroupe à l’heure actuelle le tiers de la population mondiale), la croissance démographique, bien que déjà modérée à l’échelle régionale (+ 0,7 % par an en moyenne en 2005-2010) conduira à une augmentation sensible de la population au cours des quarante-cinq prochaines années. L’ensemble de la région passerait ainsi de 2,08 milliards d’habitants en 2005 à 2,34 milliards dès 2025 (soit + 12,5 % sur vingt ans), puis à 2,36 milliards en 2050 (soit + 13,4 % depuis 2005) selon la variante moyenne des Nations unies, soit une augmentation de près de 280 millions d’habitants entre 2005 et 2050 (figure 4), et cela en dépit d’une croissance démographique qui deviendra négative dès 2040, principalement sous l’influence de l’évolution de la population chinoise. Néanmoins, l’accroissement démographique relatif de l’Asie de l’Est et du Sud-Est, comparé aux autres régions du monde en développement, est faible. En effet, la population de cette région aura été multipliée par près de trois (2,8) en cent ans (1950-2050) alors que celle de l’Afrique aura connu une multiplication par 8,1, celle de l’Asie du Centre et du Sud, par 5, et celle de l’Amérique latine et de la Caraïbe, par 4,6. La population de la région se stabilisera à partir de 2025 environ, et sera, dès 2040, dépassée par celle de l’Asie du Centre et du Sud (figure 4). Il n’en reste pas moins que, en 2050, la région devrait être presque 4 fois plus peuplée que l’Europe (contre un rapport de 2,9 à l’heure actuelle) et comptera encore 400 millions d’habitants de plus que le continent africain.
Évolution depuis 1950 et projection jusqu’en 2050 de la population des grandes régions du monde (en millions)

Évolution depuis 1950 et projection jusqu’en 2050 de la population des grandes régions du monde (en millions)
39Au niveau sous-régional, les évolutions d’ici 2050 seront contrastées. En effet, tandis que l’Asie de l’Est connaît d’ores et déjà une croissance très faible (+ 0,5 % par an en moyenne en 2005-2010) qui deviendra négative dès 2030, la population de l’Asie du Sud-Est continuera quant à elle à croître, bien que faiblement (avec un taux d’accroissement tombé à + 0,2 % par an en 2045-2050), au moins jusqu’en 2050, en raison d’un recul de la fécondité plus lent qu’en Asie de l’Est, notamment par rapport à la Chine.
40Tous les pays d’Asie de l’Est, à la seule exception de la Mongolie, auront une croissance négative en 2050. Ce revirement de tendance s’opèrera cependant avec un décalage important selon les pays. Tandis que le Japon enregistrera une réduction de sa population dès 2005-2010, ce processus devrait s’opérer après 2025 en Corée du Sud, et 2035 en Chine et en Corée du Nord. En revanche, à l’exception de la Thaïlande et de Singapour qui devraient connaître une croissance négative à partir de 2035, tous les autres pays d’Asie du Sud-Est continueront à afficher une croissance démographique positive au moins jusqu’en 2050, date à laquelle elle ne devrait cependant pas dépasser + 0,8 % par an en moyenne, Timor oriental excepté (tableau A.2 en annexe). Finalement, en 2050, cinq pays (Chine, Japon, Indonésie, Philippines et Vietnam) compteront plus de cent millions d’habitants, contre seulement trois à l’heure actuelle (Chine, Japon, Indonésie) (figure 5). Ces projections confirment toutefois, dans l’ensemble, le maintien à l’horizon 2050 du poids démographique relatif de chacun des pays au sein de la région. À l’échelle sous-régionale, cependant, le poids relatif de la Chine en Asie de l’Est augmentera légèrement, passant de 85,5 % en 1990 à 88,5 % en 2050 du fait principalement du recul du Japon (tableau 5).
Population (en milliers) et croissance (%) 2005-2050 des sous-régions

Population (en milliers) et croissance (%) 2005-2050 des sous-régions
Évolution de la population des cinq plus grands pays de la région, 1950-2050 (en millions)

Évolution de la population des cinq plus grands pays de la région, 1950-2050 (en millions)
41Avec de tels scénarios, quasiment assurés même si une marge d’erreur subsiste, on peut imaginer la pression démographique exercée dans certains pays sur les écosystèmes (marins, côtiers ou forestiers), sur les sols et sur une ressource aussi vitale que l’eau, dont la disponibilité est déjà restreinte, en particulier en Chine, mais aussi sur l’ensemble des ressources naturelles mondiales (pétrole, gaz, etc.).
42Nous allons maintenant examiner les deux éléments qui, en dehors des migrations, influent sur la croissance démographique de toute entité géographique : la natalité et la mortalité, dont les évolutions respectives au cours du temps déterminent ce qu’il est convenu d’appeler le modèle de transition démographique.
VI – Les différents modèles de transition démographique
43Globalement, l’ensemble de la région a amorcé sa transition démographique dans les années 1950 selon le schéma classique : la mortalité, au départ très élevée (le taux brut de mortalité est d’environ 23 ‰ en 1950-1955 dans les deux sous-régions et l’espérance de vie à la naissance est de l’ordre de 42 ans) recule assez vite, tandis que la natalité, elle aussi très élevée (d’environ 41 ‰ en Asie de l’Est et de 44 ‰ en Asie du Sud-Est, correspondant à 6 enfants par femme en moyenne) diminue presque en parallèle jusque dans les années 1980 (figure 6 ; tableau A.3 en annexe). Puis le recul de la fécondité s’accélère, dès le milieu des années 1980 en Asie de l’Est, mais reste régulier en Asie du Sud-Est, tandis que celui de la mortalité ralentit. La région dans son ensemble voit ainsi sa croissance ralentir dès la seconde moitié des années 1970. Aujourd’hui, elle se caractérise par une natalité et une mortalité relativement faibles, de 15,2 ‰ et 6,8 ‰ respectivement, soit une croissance naturelle annuelle de 0,8 % environ.
Les transitions démographiques dans les deux sous-régions (Asie de l’Est, Asie du Sud-Est)

Les transitions démographiques dans les deux sous-régions (Asie de l’Est, Asie du Sud-Est)
44Prises dans leur ensemble, les deux sous-régions ont des histoires transitionnelles assez voisines depuis 1950. Cependant, si elles se caractérisent par des niveaux de départ presque identiques, un décalage existe dans le calendrier de la baisse de la natalité et les niveaux d’arrivée observés en 2005. L’ Asie du Sud-Est a en effet, à l’heure actuelle, un taux de natalité de plus de huit points supérieur à celui de l’Asie de l’Est (21,3 ‰ et 13,1 ‰ respectivement), résultat d’un déclin qui a commencé plus tardivement. En revanche, la mortalité se situe aujourd’hui comme cinquante ans auparavant à un niveau équivalent dans les deux sous-régions (6,7 ‰ et 6,8 ‰ respectivement en 2000-2005), malgré des évolutions différenciées : à une baisse rapide de la mortalité jusqu’au milieu des années 1970 a succédé une stabilisation en Asie de l’Est, tandis que la baisse a été régulière en Asie du Sud-Est. Au total, les taux d’accroissement naturel sont différents entre ces deux sous-régions, la population de l’Asie du Sud-Est ayant encore une croissance 2,3 fois plus rapide que l’Asie de l’Est (avec des taux de 1,46 % et 0,63 % respectivement). Soulignons, comme nous allons le voir, que la transition démographique relativement précoce de l’Asie de l’Est comparée à celle de l’Asie du Sud-Est tient principalement à l’influence des évolutions chinoise et japonaise.
45Les histoires démographiques nationales présentent de fortes disparités (tableau annexe A.3). À titre illustratif, les figures 7.1 à 7.8 présentent les schémas de transition de 1950 à 2005 dans huit pays représentatifs de la région. On peut grosso modo dégager quatre grands modèles ou situations transitionnelles.
Quelques exemples de transitions démographiques de 1950 à 2005

Quelques exemples de transitions démographiques de 1950 à 2005
- Le modèle de transition précoce incarné par le Japon, dont la transition démographique s’est achevée dès les années cinquante. Le recul de la mortalité s’est en effet amorcé au début de l’ère Meiji (vers 1870) et s’est poursuivi jusqu’aux années précédant la seconde guerre mondiale, le taux étant alors inférieur à 10 ‰. La baisse de la natalité, plus tardive, a débuté vers 1920 pour s’accélérer fortement à partir de la fin des années 1940. Durant la phase transitionnelle, toutefois, la population japonaise a crû à un rythme relativement modéré, jamais supérieur à 2 % par an. Désormais, l’espérance de vie à la naissance au Japon est la plus élevée du monde (81,9 ans sexes réunis) et la fécondité, parmi les plus faibles (1,3 enfant par femme en 2000-2005), à tel point que ce pays connaît une croissance démographique négative depuis 2005.
- Le modèle de transition rapide illustré par la Chine, la Corée du Sud et la Thaïlande ainsi que, dans une moindre mesure, Singapour et la Corée du Nord. Dans les trois premiers pays, le recul de la mortalité, déjà amorcé au début des années 1950, a été rapidement suivi d’un déclin de la natalité. Aussi la croissance démographique a-t-elle rapidement diminué, passant en dessous de 1,5 % par an entre la fin des années 1970 et le milieu des années 1980. En Corée du Sud, en Chine et en Thaïlande, qui se caractérisent désormais par une espérance de vie à la naissance relativement élevée (77,0, 72,0 et 68,6 ans respectivement) et par une fécondité inférieure au seuil de remplacement des générations (1,2, 1,7 et 1,8 enfant par femme, respectivement, en 2000-2005), la croissance naturelle est désormais très lente, entre 0,5 % et 0,7 % par an en moyenne. La transition démographique y est, pour l’essentiel, achevée.
- Le modèle traditionnel, relativement lent mais régulier, illustré par l’Indonésie, la Malaisie et les Philippines, se caractérise par une croissance démographique relativement stable tout au long de la période considérée. Dans ces trois pays, la baisse de la mortalité, entamée dans la première moitié des années 1950, s’est poursuivie régulièrement jusqu’à aujourd’hui. Les taux de mortalité y sont désormais bas, entre 4 ‰ et 7 ‰, du fait d’une population encore jeune. La baisse de la natalité s’est, dans l’ensemble, effectuée en parallèle à celle de la mortalité, avec toutefois un décalage important en termes de niveaux (le taux de natalité est en effet encore supérieur à 20 ‰ dans les trois pays). Aussi l’Indonésie, et plus encore la Malaisie et les Philippines, affichent-elles une croissance démographique encore soutenue, respectivement de 1,4 %, 1,8 % et 2,3 % par an en moyenne en 2000-2005, qui indique que la transition démographique n’y est pas achevée. En effet, si la mortalité a considérablement reculé, avec une espérance de vie à la naissance de l’ordre de 70 ans (68,6 ans en Indonésie, 73,0 ans en Malaisie et 70,3 ans aux Philippines), la fécondité y est encore en moyenne très supérieure au seuil de remplacement des générations (avec respectivement 2,4, 2,9 et 3,5 enfants par femme). Le Vietnam, la Mongolie, le Brunei et le Myanmar s’inscrivent également dans ce modèle traditionnel de transition lente mais régulière.
- Enfin, le modèle tardif, incertain et encore peu avancé illustré notamment par le Cambodge. Du fait d’une histoire récente tourmentée et marquée par la guerre, l’évolution démographique du Cambodge au cours des cinquante dernières années a été très irrégulière. Elle peut être schématisée comme suit : 1) les années 1950 à 1965 sont caractérisées par un recul de la mortalité et une stabilité de la natalité, et donc par une croissance démographique soutenue (de l’ordre de 2,3 % par an) ; 2) les années 1970 à 1979 sont marquées par une remontée de la mortalité du fait de la guerre civile et du conflit avec le Vietnam et par un fort recul de la natalité, avec pour conséquence une croissance négative de la population ; 3) les années 1979 à 1990 ont connu une remontée de la natalité, un recul de la mortalité et une croissance démographique très rapide (de l’ordre de 3,6 % par an en moyenne) ; et enfin 4) la période récente est caractérisée par un ralentissement de la croissance démographique consécutif à une baisse de la mortalité et de la natalité. Néanmoins, la transition démographique cambodgienne n’en est qu’à ses prémices, avec une espérance de vie à la naissance parmi les plus faibles du monde (56,8 ans en 2000-2005), une fécondité en baisse mais encore de 3,6 enfants par femme, et un taux d’accroissement de sa population de 1,8 % par an en moyenne. Le Laos, et plus encore le Timor oriental, font partie des pays de la région à transition tardive.
VII – La nuptialité : des évolutions contrastées
47Dans les sociétés traditionnelles en phase pré-transitionnelle, le régime matrimonial se caractérise généralement par un mariage précoce pour les femmes, plus tardif pour les hommes et quasi universel pour les unes comme pour les autres. De ce point de vue, toutefois, le modèle matrimonial des pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est diffère quelque peu de celui observé dans la plupart des autres régions du monde en développement, à savoir que, au moins depuis les années 1960, les écarts d’âge entre époux n’y sont pas très importants et que le mariage féminin n’y est pas spécialement précoce. En outre, la situation du mariage n’a, dans l’ensemble, évolué que lentement au cours des dernières décennies eu égard aux transformations importantes qui sont observées notamment au Maghreb. Les tableaux A.4 et A.5 en annexe présentent, lorsque l’information est disponible, l’évolution par pays des âges moyens au premier mariage des hommes et des femmes au cours des dernières décennies, les écarts d’âge entre époux [19] aux dates correspondantes, les proportions de célibataires selon l’âge et la situation du célibat définitif, obtenus à partir des données de recensements, d’enquêtes ou de bases de données internationales [20].
1 – Dans l’ensemble, un mariage de plus en plus tardif
48La transition de la fécondité qui, nous le verrons, s’est opérée dans la plupart des pays de la région au cours des dernières décennies, ne s’est pas, dans l’ensemble, accompagnée de transformations significatives du calendrier de la nuptialité, en partie du fait d’un mariage féminin déjà relativement tardif dans la plupart des pays dans les années 1960 et 1970. Vers 1970, en effet, les femmes se mariaient en moyenne entre les âges de 20 et 24 ans dans tous les pays de la région pour lesquels l’information est disponible, soit à des âges beaucoup plus élevés que ceux observés alors dans de nombreux autres pays du monde en développement, en particulier d’Asie du Sud (Bangladesh, Inde, Népal, Afghanistan, notamment) et d’Afrique centrale et de l’Est (Véron, 2008 ; Tabutin et Schoumaker, 2004).
49Aujourd’hui, les âges moyens au premier mariage des hommes et des femmes, outre quelques exceptions notables comme le Japon, la Corée du Sud et Singapour, se situent entre 24 et 28 ans pour les premiers et entre 22 et 25 ans pour les secondes. Ils sont désormais marqués par une précocité relative eu égard à l’évolution observée dans certains pays du monde en développement, notamment au Maghreb (l’âge moyen des femmes au premier mariage est aujourd’hui de 27 ans au Maroc et de plus de 29 ans en Algérie et en Tunisie, par exemple), mais ils continuent à se distinguer de certains pays de l’Asie du Sud, comme l’Inde, où le mariage féminin demeure en moyenne très précoce (l’âge médian des femmes au premier mariage étant de 17 ans d’après l’enquête NFHS/EDS de 2005-2006), et d’Afrique de l’Ouest.
50L’absence de séries annuelles complètes pour la plupart des pays de la région nous a amenées à recourir à des interpolations afin de retracer des tendances générales. Si ces interpolations gomment de possibles accidents propres à certaines situations nationales, elles n’en donnent pas moins une vue d’ensemble (figure 8). On remarque que, au sein de la région, aujourd’hui comme dans les années 1970, c’est au Japon, en Corée du Sud et à Singapour, les femmes se marient le plus tard, avec un âge moyen d’entrée en union de plus de 26 ans (tableau A.4). C’est au Cambodge, en Chine, en Indonésie, au Laos, aux Philippines et au Vietnam que le mariage reste le plus précoce (de l’ordre de 23 ans pour les femmes et de 25 ans pour les hommes). Cependant, l’âge moyen des femmes à l’entrée en première union a augmenté de deux à trois ans dans la plupart des pays de la région au cours des trente dernières années. Chez les hommes, l’âge moyen au premier mariage a également augmenté mais, dans l’ensemble, moins vite que celui des femmes puisque l’on observe une réduction lente mais généralisée des écarts entre les deux sexes dans le calendrier du premier mariage, désormais compris entre 2 et 4 ans dans les différents pays pour lesquels on dispose de l’information (figure 9). Dans les deux grands pays musulmans de la région, l’Indonésie et la Malaisie, on observe ainsi, désormais, des écarts d’âge au mariage entre époux comparables à ceux des pays voisins non musulmans (tableau A.4 en annexe). Ces écarts sont également proches de ceux observés dans la plupart des pays musulmans d’Afrique et du Moyen-Orient (Iran, 3,2 ans en 1996 ; Tunisie, 3,7 ans en 2001 ; Algérie, 3,4 ans en 2002, in Tabutin et Schoumaker, 2005), mais sensiblement moindres qu’au Bangladesh, pays musulman d’Asie du Sud, par exemple, où l’écart d’âge entre époux était encore de plus de 6 ans en 2001.
Évolution des âges moyens des femmes au premier mariage dans quelques pays de la région (estimés à partir d’interpolations ou de reconstitutions réalisées à partir des données disponibles pour certaines années)

Évolution des âges moyens des femmes au premier mariage dans quelques pays de la région (estimés à partir d’interpolations ou de reconstitutions réalisées à partir des données disponibles pour certaines années)
51La Chine, pour laquelle on dispose de séries annuelles complètes pour les années 1970 à 1990, montre une évolution atypique, marquée par une hausse sensible de l’âge moyen des femmes au premier mariage au cours des années 1970, puis par un rajeunissement du calendrier de la nuptialité dans la première moitié des années 1980, puis de nouveau par un recul progressif de l’âge au mariage (figure 8). Cette évolution est le résultat direct des mesures en faveur d’un contrôle des naissances adoptées durant cette période, insistant notamment sur le mariage tardif au cours des années 1970, puis presque exclusivement axées sur l’enfant unique à partir de 1979 (Scharping, 2003), comme nous le verrons plus loin. Aux Philippines, où le célibat définitif des femmes est, après Singapour, le Japon et le Myanmar, le plus élevé de la région, l’âge moyen des femmes au premier mariage n’a par ailleurs que faiblement augmenté depuis les années 1970.
Âge moyen au premier mariage des hommes et des femmes vers 2000

Âge moyen au premier mariage des hommes et des femmes vers 2000
52Un allongement de la période de célibat est visible dans la plupart des pays de la région (figure 10). En 1970, aux âges de 30-34 ans, en effet, la part de femmes encore célibataires n’excédait 10 % dans aucun de ceux pour lesquels les données sont disponibles, y compris au Japon où l’âge des femmes au premier mariage était déjà le plus tardif. Trente ans plus tard, ces proportions ont doublé, voire triplé, dans plusieurs d’entre eux dont le Japon (7 % en 1970 contre 27 % en 2000), la Thaïlande (8 % et 16 % respectivement), l’Indonésie (2 % et 7 %) et le Myanmar (de 9 % à 26 %). C’est particulièrement vrai des grandes villes de la région, cette proportion étant par exemple passée de 6 % à 31 % à Hong Kong, de 11 % à 33 % à Bangkok, et de 4 % à 14 % à Jakarta (Jones, 2004), ce qui traduit des changements de comportement incontestables.
Proportion de femmes célibataires à 30-34 ans et à 45-49 ans dans quelques pays de la région en 1970 et en 2000 (en %)

Proportion de femmes célibataires à 30-34 ans et à 45-49 ans dans quelques pays de la région en 1970 et en 2000 (en %)
53Pour l’instant, cet allongement de la période de célibat n’est pas nécessairement associé à une plus grande fréquence du célibat définitif. Ainsi, en Chine, alors que la proportion de femmes encore célibataires aux âges de 20-24 ans est passée de 46 % à 58 % entre 1982 et 2000 (tableau A.5), très peu d’entre elles renoncent définitivement au mariage. En effet, passé l’âge de 40 ans, seules 0,2 % des Chinoises n’ont jamais été mariées, une situation atypique eu égard tant aux autres pays de la région qu’à la plupart de ceux des autres régions du monde en développement. Dans les autres pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est pour lesquels l’information est disponible, le célibat définitif est en hausse depuis les années 1960 (Jones, 2004). Il concerne désormais de 2 % (comme en Indonésie) à 13 % des femmes (à Singapour), ce dernier pays étant, avec le Japon (où 8 % des femmes sont encore célibataires à 45-49 ans en 2005) et la Thaïlande (où cette proportion est passée de 3 % à 8 % entre 1960 et 2000), celui où le célibat féminin définitif a augmenté le plus fortement au cours de la période transitionnelle et post-transitionnelle. Il est d’ailleurs intéressant de souligner le contraste important entre les Chinoises de Chine, pour lesquelles le mariage reste donc quasi universel, et celles d’ethnie chinoise de Singapour et de Kuala Lumpur, capitale de la Malaisie, chez lesquelles cette proportion atteint respectivement 13,5 % et 10 % en 2000 (Jones, 2004). On note en revanche une similitude entre les Chinoises de Chine et les Coréennes à cet égard. Ainsi, en Corée du Sud, en dépit d’un recul de l’âge moyen d’entrée en union des femmes, le célibat définitif reste très peu répandu, et ne concerne que 1,7 % des femmes de 45-49 ans en 2000.
54Ailleurs, à l’exception du Vietnam et des Philippines où les données des EDS présentent des évolutions ambivalentes, ces proportions n’ont que faiblement augmenté au cours des trente dernières années. En Indonésie et en Malaisie, où un retard du mariage est également observable à l’échelle nationale – la proportion de femmes âgées de 20 à 24 ans encore célibataires étant passée respectivement de 22,3 % en 1980 à 41,2 % en 2002-2003 et de 51,3 % en 1980 à 68,5 % en 2000 – cette évolution ne s’est pas non plus accompagnée d’une augmentation significative du célibat définitif des femmes, les proportions de femmes toujours célibataires à 45-49 ans étant de 3,8 % en Malaisie (en 1991) et de 2,0 % en Indonésie (en 2002-2003).
55Le Myanmar, avec près de 12 % des femmes de 45-49 ans toujours célibataires, fait quant à lui figure d’exception dans la région, sans que des déterminants socio-économiques (niveau d’instruction, urbanisation, etc.) ne viennent justifier a priori cette situation. Jones (2007) fournit toutefois quelques éléments de compréhension, en expliquant notamment cette situation par l’absence de pression sociale pour se marier et par la difficulté à obtenir un divorce en cas de mésentente, celui-ci étant, par ailleurs, toujours socialement stigmatisé. Enfin, au Myanmar, au contraire de ce que l’on observe dans d’autres pays de la région (en Chine, par exemple), les femmes célibataires ne seraient pas socialement dévalorisées [21].
56En dépit d’un allongement de la durée du célibat aussi bien des hommes que des femmes depuis environ trois décennies, se marier demeure la norme sociale largement prédominante dans la région. On observe toutefois des différences entre pays et des variations, parfois marquées, entre régions d’un même pays, comme nous allons le voir maintenant à travers quelques exemples.
2 – Des disparités au sein des pays dans le calendrier de la nuptialité
57Les données nationales disponibles masquent en effet, dans certains cas, des disparités importantes au sein des pays. C’est le cas en particulier en Chine, où plus de cinq années séparent l’entrée en union des femmes dans la province du Yunnan (22,2 ans en 2005) et celle des femmes de la Région autonome spéciale de Hong Kong, rétrocédée à la Chine en 1997, ou celle de Macao, rétrocédée en 1999, où les âges moyens des femmes au premier mariage atteignent respectivement 27,5 ans (en 2001) et 27,9 ans (en 1998), soit un niveau voisin de celui des femmes japonaises. En Indonésie où l’âge médian au premier mariage est de 19,5 ans au niveau national, les différences dans le calendrier de la nuptialité féminine, moins marquées qu’en Chine, sont néanmoins présentes. Tandis que cet indicateur excède, d’après la dernière EDS de 2002-2003, 21 ans dans les provinces de Bali, de Jakarta ou de Sumatra Nord, par exemple, il est encore inférieur à 18 ans à Java Ouest. Les écarts sont surtout marqués selon le niveau d’instruction, l’âge médian des femmes au premier mariage étant de 17,1 ans pour les femmes sans instruction, contre 23,5 ans pour celles qui ont fréquenté l’enseignement secondaire ou supérieur. Les disparités sont de moindre ampleur aux Philippines et au Vietnam. Aux Philippines, l’âge médian au premier mariage, qui atteint 23,8 ans dans la National Capital Region d’après la dernière EDS réalisée en 2003, tombe à moins de 20 ans dans la Région autonome musulmane de Mindanao, île du sud du pays qui connaît une crise politique due à des mouvements séparatistes musulmans. Au Vietnam, un écart de près de trois ans existe entre les âges médians d’entrée en union des femmes qui résident dans le Sud-Est (22,8 ans) et celles qui vivent dans la région montagneuse du Nord (20,0 ans), tandis que quatre années séparent l’âge médian d’entrée en union des femmes sans instruction et celles qui ont fréquenté au moins l’école secondaire. Au Cambodge, en revanche, où le mariage des femmes demeure globalement précoce, une relative homogénéité dans le calendrier de la nuptialité féminine est observée : lors de la dernière EDS de 2005, l’âge médian des femmes au premier mariage est partout compris entre 19 et 21 ans.
58En Indonésie, aux Philippines et au Vietnam, le niveau d’instruction demeure un déterminant important du calendrier de la nuptialité (tableau 6). L’âge médian d’entrée en union reste en effet particulièrement précoce pour les femmes sans instruction pour lesquelles il est partout inférieur à 20 ans (il reste de 17,1 ans seulement aux Philippines au début des années 2000) tandis que celui des femmes ayant atteint au moins le secondaire est de trois à six ans plus tardif. En Chine, où l’âge légal au mariage des femmes est de 20 ans, les écarts dans le calendrier du mariage selon le niveau d’instruction sont moindres, l’âge moyen des femmes au premier mariage étant de 21,4 ans au recensement de 2000, contre 23,7 ans pour les femmes ayant atteint le secondaire ou plus.
Âge médian des femmes au premier mariage (en années) selon le milieu de résidence et le niveau d’instruction dans les pays de la région ayant réalisé des EDS

Âge médian des femmes au premier mariage (en années) selon le milieu de résidence et le niveau d’instruction dans les pays de la région ayant réalisé des EDS
59Des disparités sont également observées entre groupes ethniques. Ainsi, en Malaisie, en dépit d’interactions sociales croissantes entre les trois groupes ethniques majoritaires du pays (chinois, malais et indien) depuis le début des années 1970, les mariages interethniques restent peu répandus, ce qui permet aux comportements matrimoniaux propres à chacun de ces groupes de se pérenniser (Subramanian, 1997). Ainsi, comparés aux Chinois, les Malais sont traditionnellement plus enclins à se marier jeunes. Dans les années 1950, en effet, 50 % des femmes d’ethnie malaise étaient mariées avant l’âge de 20 ans, souvent dans le cadre de mariages arrangés dès la puberté, contre seulement 10 % de celles d’ethnie chinoise (Leete, 1996). En 2000, en dépit d’un recul sensible et généralisé du calendrier du mariage, des différences entre ces deux groupes ethniques se sont maintenues puisqu’ à 30-34 ans, 18,2 % des Malaisiennes d’ethnie chinoise sont encore célibataires, contre 9,7 % des femmes d’ethnie malaise. Une caractéristique que l’on retrouve d’ailleurs à Singapour où les femmes d’ethnie chinoise se marient plus tardivement et restent moins souvent célibataires que celles d’ethnie malaise (à 45-49 ans, les proportions de femmes encore célibataires y sont de 13,5 % et 7,5 % respectivement en 2000) (Jones, 2004).
60Dans l’ensemble, l’allongement de la durée moyenne du célibat féminin dans les pays de la région est à mettre en relation avec les meilleures opportunités scolaires et économiques offertes aux femmes ces dernières décennies. Ce meilleur accès des femmes à l’éducation et à l’emploi a, dans l’ensemble, favorisé leur émancipation économique en les rendant moins dépendantes des hommes qu’auparavant. Cette évolution expliquerait aussi pourquoi les parents sont dès lors moins enclins à marier leur fille tôt dans le cadre de mariages souvent arrangés, afin de garder un contrôle sur le revenu généré par leur travail, ce contrôle étant exercé par l’époux après le mariage. Ceci est vrai dans de nombreux pays de la région, en dépit d’un paysage culturel et religieux diversifié (Jones, 2007). En outre, l’activité féminine croissante et l’élévation du niveau d’instruction ont contribué à redéfinir la place de la femme au sein de la famille et de la société. S’opèrent ainsi des changements de perception quant au mariage, notamment chez les femmes les plus instruites qui ont un regard de plus en plus critique vis-à-vis de la répartition traditionnelle des rôles et des tâches au sein du ménage. Cela a notamment été montré pour le Japon où de nombreuses jeunes femmes « vivent avec leurs parents, contribuent peu aux dépenses du ménage en dépit d’un bon niveau de salaire et peuvent ainsi bénéficier d’une vie confortable avec un minimum de responsabilités » (Retherford et al., 2001).
3 – Le divorce : des tendances ambivalentes
61Dans l’ensemble des pays de la région pour lesquels l’information est disponible, à l’exception des plus développés que sont le Japon et la Corée du Sud, les unions restent globalement stables et ne débouchent qu’assez rarement sur un divorce. De fortes disparités entre les pays sont toutefois observées, les unions étant beaucoup plus fréquemment rompues dans les pays les plus urbanisés et les plus développés sur le plan économique. Les taux bruts de divortialité [22], qui ne donnent qu’une mesure imparfaite de la fréquence du phénomène au sein des populations concernées, sont de 0,4 ‰ en Mongolie et de 0,5 ‰ au Vietnam, 0,8 ‰ à Singapour, 1,3 ‰ en Chine, les taux les plus élevés étant relevés au Japon et en Corée du Sud où ils atteignent respectivement 2,1 ‰ et 2,9 ‰ [23], des niveaux voisins de ceux observés dans de nombreux pays d’Europe occidentale. C’est au Japon que la proportion de femmes divorcées et non remariées est la plus élevée à partir de 30-34 ans et en Chine que ces proportions sont les plus faibles dans toutes les classes d’âges (figure 11).
Proportion de femmes divorcées et non remariées selon l’âge, vers 2000 (en % des classes d’âges considérées)

Proportion de femmes divorcées et non remariées selon l’âge, vers 2000 (en % des classes d’âges considérées)
62La situation est toutefois hétérogène au sein de la région. En effet, tandis que l’on assiste à une montée des divorces en particulier au Japon, en Corée du Sud et en Chine, leur fréquence a considérablement diminué chez les populations musulmanes d’Indonésie, de Malaisie et de Singapour (Jones, 2004). Jusqu’à récemment, en effet, ces populations musulmanes se caractérisaient par une fréquence des divorces parmi les plus élevées au monde, la loi islamique étant, pour les hommes, particulièrement tolérante en la matière. Le divorce est bien accepté socialement dans ces sociétés, en dépit d’une tradition répandue des mariages arrangés et souvent précoces (Tom, 1993). La fréquence traditionnellement élevée des divorces dans les populations musulmanes a également été attribuée aux systèmes de parenté et aux structures familiales en vigueur dans les pays concernés, qui accordent aux femmes un statut social relativement élevé. Ainsi, les femmes indonésiennes ont traditionnellement joué un rôle prédominant aussi bien dans la sphère publique que privée. Toutefois, au cours des dernières décennies, la désagrégation progressive des solidarités familiales traditionnelles, reconnues comme facteur d’instabilité des unions, de même qu’un retard de l’âge au premier mariage, auraient fortement joué en faveur d’un recul du divorce (Heaton et al., 2001).
63En Malaisie où les unions restent globalement stables, les divorces sont également plus fréquents chez les couples d’ethnie malaise, de confession musulmane, que chez les Malaisiens d’ethnie indienne et, a fortiori, ceux d’ethnie chinoise, qui ont les taux de divorce les plus faibles. En outre, les femmes d’ethnie malaise sont plus enclines à se remarier après un divorce (78 % en 1989) que ne le sont les Malaisiennes d’ethnie indienne ou chinoise (20 %).
64Aux Philippines, les remariages sont encore peu répandus, puisqu’ils n’ont représenté qu’un peu plus de 2 % de l’ensemble des unions contractées en 2003. En outre, ces remises en union concernent majoritairement des hommes, le rapport de masculinité des personnes remariées cette année-là s’établissant à 221 hommes pour 100 femmes [24]. En Chine, les remariages de veuves et de divorcées sont toujours très stigmatisés, donc rares.
VIII – La fécondité : des changements importants d’intensité et de calendrier
65Les dernières décennies ont été marquées par une baisse importante de la fécondité dans l’ensemble de l’Asie de l’Est et du Sud-Est. De plus de cinq enfants par femme au début des années 1960, l’indice synthétique est passé en dessous de trois au début des années 1980, avant de chuter en dessous du seuil de remplacement des générations au début des années 2000 (tableau A.6 en annexe). Cette diminution d’ensemble masque cependant une diversité des rythmes de baisse entre pays, groupes sociaux et milieux d’habitat.
66Quelques cas particuliers, bien documentés, permettent d’illustrer la diversité et la spécificité des histoires transitionnelles.
1 – Une baisse quasi généralisée mais à des rythmes variables
67La comparaison des indices synthétiques de fécondité des seize pays en 1960-1965 et en 2000-2005 (figure 12) montre clairement que la baisse est générale mais très inégale. Dans six pays (Chine, Corée du Nord, Corée du Sud, Japon, Singapour, Thaïlande), la transition de la fécondité est largement achevée avec un nombre moyen d’enfants par femme qui est désormais inférieur au seuil de remplacement des générations. Le Japon, Singapour et la Corée du Sud se caractérisent même par des niveaux de fécondité parmi les plus bas au monde, inférieurs à 1,4 enfant par femme (faisant d’eux des « ‘lowest-low’ fertility countries »). À l’autre extrême, on trouve des pays comme le Cambodge, le Laos et les Philippines, qui comptent toujours plus de 3,5 enfants par femme en 2000-2005. Le Timor oriental fait quant à lui figure d’exception aussi bien au niveau régional que mondial, avec un niveau de fécondité parmi les plus élevés du monde : 7 enfants par femme en 2000-2005. En dépit de ces disparités persistantes et si l’on exclut le Timor oriental, l’hétérogénéité des niveaux de fécondité au sein de la région s’est considérablement réduite au cours des quarante dernières années, avec un écart type passé de 1,38 en 1960-1965 à 0,81 en 2000-2005.
Évolution des indices synthétiques de fécondité de 1960-1965 à 2000-2005 dans les seize pays de la région

Évolution des indices synthétiques de fécondité de 1960-1965 à 2000-2005 dans les seize pays de la région
2 – Cinq exemples de transition de la fécondité depuis 1950
68Cinq pays (le Cambodge, la Chine, l’Indonésie, le Japon et les Philippines) représentent bien la diversité des évolutions dans la région (figure 13), mais leur situation, en termes de données statistiques, est diversement renseignée. Certains, comme le Japon, l’Indonésie et les Philippines, disposent de séries chronologiques plus ou moins longues et complètes mais relativement fiables grâce aux enquêtes démographiques et de santé (EDS), aux enquêtes nationales, aux recensements ou à l’état civil. Pour le Japon, qui est le cas le mieux documenté, on dispose de séries annuelles quasi complètes depuis 1937 grâce à l’état civil. Les séries présentées pour le Cambodge ont été établies à partir des EDS réalisées en 2000 et 2005 et complétées par des interpolations tirées des estimations des Nations unies (2006a). Pour la Chine qui ne dispose ni d’EDS ni d’un enregistrement exhaustif des naissances à l’état civil, nous avons utilisé les séries annuelles reconstituées par Chen et Coale (1993) pour la période 1949-1990, par Attané (2000) pour la période 1990-1998, complétées par les données des Nations unies (2006a) pour 2005. Les taux de fécondité par âge proviennent des EDS pour l’Indonésie et les Philippines, du Bureau national de la statistique pour le Japon, des recensements pour la Chine, et des Nations unies pour le Cambodge.
Évolution de l’indice synthétique de fécondité dans cinq pays de la région au cours du XXe siècle

Évolution de l’indice synthétique de fécondité dans cinq pays de la région au cours du XXe siècle
69Les séries ainsi reconstituées révèlent d’importantes disparités dans les évolutions de la fécondité observées depuis le milieu du XXe siècle qui, comme nous le verrons plus loin, s’expliquent en partie par l’adoption ou non de programmes visant à contrôler les naissances et, le cas échéant, par la plus ou moins grande rigueur de ces programmes.
70Le Japon a connu la transition de la fécondité la plus précoce dans la région : le nombre moyen d’enfants par femme a très fortement baissé à partir du milieu des années 1940, passant de 4,5 enfants en 1947 à un niveau inférieur au seuil de remplacement des générations (2,0 enfants) dès 1957, soit une division par plus de deux en seulement dix ans. Depuis lors, l’indice synthétique de fécondité a baissé de manière continue et régulière, pour atteindre un niveau parmi les plus bas au monde, inférieur à 1,3 enfant par femme depuis 2003. Bien que plus tardive, puisque n’ayant débuté que vingt-cinq ans plus tard environ, dans les années 1970, la baisse de la fécondité en Chine a été tout aussi impressionnante et rapide qu’au Japon : en dix ans, l’indice synthétique y a également baissé de plus de moitié, passant de 5,7 enfants par femme en 1970 à 2,8 en 1979. Après une stagnation autour de 2,5 enfants par femme au cours des années 1980, la fécondité chinoise est passée en dessous du seuil de remplacement des générations au début des années 1990, et se situe aujourd’hui autour de 1,7 à 1,8 enfant par femme (Yuan et al., 2003 ; Wang, 2003). Soulignons qu’en Chine, à l’instar de ce qui a été précédemment noté pour la Corée du Sud, la réduction de la fécondité n’a pas été associée à une hausse du célibat définitif. En Thaïlande, dont le cas n’est pas détaillé ici, l’évolution depuis les années 1970 a été tout à fait similaire à celle de la Chine, la fécondité ayant diminué de 5,0 à 1,8 enfant par femme entre le début des années 1970 et le début des années 2000 (tableau A.6 en annexe).
71En Indonésie, comme d’ailleurs au Myanmar, la transition de la fécondité a, dans l’ensemble, démarré simultanément à celle de la Chine, mais elle y a été à la fois plus régulière et moins marquée. D’un niveau comparable à celle des Chinoises à la fin des années 1960 (autour de 5,5 enfants par femme), la fécondité indonésienne a entamé, au début des années 1970, une baisse modérée mais régulière, avant de se stabiliser autour de 2,4 enfants par femme au début des années 2000. Ce pays est donc, parmi les cas développés ici, dans une situation intermédiaire, entre la Chine et le Japon, d’un côté, et les Philippines et le Cambodge, de l’autre, ces deux derniers pays continuant d’accuser un retard relatif dans leur processus transitionnel.
72Aux Philippines, l’indice synthétique de fécondité était de 7,3 enfants par femme au début des années 1950, le niveau le plus élevé de la région. D’après les enquêtes démographiques menées de 1968 à 1993 et l’EDS de 1998, la fécondité a faiblement baissé au cours des deux décennies suivantes, restant supérieure à 5 enfants par femme jusqu’au milieu des années 1980. Une nouvelle baisse a amené l’indice synthétique de fécondité à 4,1 enfants par femme en 1993 puis à 3,7 en 1998, soit un niveau bien supérieur à celui de l’Indonésie (2,8). Ce pays voisin présente pourtant diverses similitudes avec les Philippines, notamment d’un point de vue géographique et humain ; bien que de confessions différentes [25], les deux pays se caractérisent par ailleurs par une forte pratique religieuse (Rallu et Pictet, 2002). D’après les estimations des Nations unies, l’écart entre ces deux pays se serait encore creusé sur la période récente, la fécondité atteignant 3,5 enfants par femme aux Philippines, contre 2,4 en Indonésie en 2000-2005 (tableau A.6 en annexe).
73Le Cambodge demeure quant à lui, avec une fécondité restée supérieure à cinq enfants par femme au début des années 1990, un cas de transition particulièrement tardive, à l’instar de son voisin le Laos. Aujourd’hui, la fécondité s’y élève encore à 3,6 enfants par femme, un niveau équivalent à celui des Philippines mais de plus d’un point supérieur à la moyenne régionale de l’Asie du Sud-Est (2,5 enfants en 2000-2005).
74Ces changements d’intensité particulièrement marqués, on l’a dit, en Chine et au Japon, se sont accompagnés d’évolutions notables de calendrier dans les cinq pays. Au vu des figures 14.1 à 14.5 qui représentent l’évolution des taux de fécondité par âge sur la période, la fécondité diminue partout sensiblement à tous les âges, mais à des rythmes divers. Le recul relatif le plus prononcé se produit aux âges où la fécondité est la plus élevée, entre 20 et 29 ans, avec toutefois des différences d’un pays à l’autre. En Chine, notamment, en dépit d’un déclin important de la fécondité, celle-ci reste dans l’ensemble précoce et son intensité diminue fortement dès l’âge de 25 ans : à 30-34 ans, les femmes ont un taux de fécondité qui est quatre fois inférieur à celui des femmes de 20-24 ans, tandis que dans les quatre autres pays étudiés ici, la fécondité reste à peu près également répartie entre deux classes d’âges : 20-24 ans et 25-29 ans en Indonésie, aux Philippines et au Cambodge, 25-29 et 30-34 ans au Japon. Ainsi, pour un nombre d’enfants inférieur au seuil de remplacement des générations en Chine et au Japon, on observe au début des années 2000 des calendriers dissemblables de la fécondité et un âge moyen à la maternité sensiblement plus faible en Chine.
Évolution des taux de fécondité par âge (‰) en Indonésie, aux Philippines, en Chine, au Cambodge et au Japon au cours des dernières décennies

Évolution des taux de fécondité par âge (‰) en Indonésie, aux Philippines, en Chine, au Cambodge et au Japon au cours des dernières décennies
75Comme évoqué précédemment, la transition de la fécondité en Indonésie et aux Philippines s’effectue de manière plus lente et régulière qu’en Chine, sans changement brutal des comportements, comme cela fut le cas dans ce dernier pays au cours des années 1970 avec la mise en œuvre de la troisième campagne de limitation des naissances.
3 – Des programmes de planification familiale plus ou moins récents et décisifs
76La plupart des pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est ont, à l’instar d’autres régions du monde en développement, adopté des programmes de planification familiale afin de contrôler leur croissance démographique. Cela a notamment été le cas dans les pays les plus peuplés de la région : Japon, Chine, Indonésie, Vietnam, Philippines, Thaïlande, mais aussi Malaisie, Corée du Sud, Singapour et, beaucoup plus récemment, Cambodge, Laos et Mongolie.
77De telles mesures, lorsqu’elles ont été adoptées, ont cependant revêtu des formes diverses, avec des objectifs et des moyens relevant parfois davantage de politiques familiales ou sanitaires (comme au Japon, aux Philippines, au Cambodge et au Laos) que de politiques de limitation des naissances proprement dites (comme en Chine, à Singapour, en Corée du Sud, en Thaïlande et au Vietnam, par exemple). Elles ont en outre, selon les pays, connu une application plus ou moins rigoureuse et autoritaire, et ont eu une efficacité variable dans des contextes culturels, sociaux, politiques, économiques et religieux extrêmement diversifiés.
78C’est le Japon qui, le premier, a mis en place un programme officiel destiné à promouvoir la planification familiale. Ce programme, prioritairement destiné à limiter le nombre d’avortements provoqués qui, du fait de restrictions légales très fortes à l’époque, étaient le plus souvent clandestins et avaient donc d’importants effets secondaires sur la santé des mères, avait toutefois une visée plus sanitaire que démographique. Ainsi, après avoir libéralisé l’avortement provoqué dès 1948 dans le cadre de la « loi de protection eugénique » et autorisé la vente de contraceptifs chimiques en 1949, les autorités japonaises ont mis en place, à partir de 1952, des programmes d’éducation et d’information sur les techniques contraceptives, sous l’égide du ministère de la Santé. Ces mesures ont cependant relevé davantage d’une volonté gouvernementale de satisfaire la demande de la population en matière de contraception et ainsi de limiter le recours aux avortements provoqués, que d’une prise de position ouvertement favorable à la limitation des naissances. En outre, au début des années 1950, la baisse de la fécondité était déjà largement commencée. Très rapidement, il a donc été admis que, même si les programmes de planification familiale mis en place par les pouvoirs publics avaient d’ores et déjà quelques résultats à leur actif, la baisse rapide de la fécondité avait été principalement l’œuvre des Japonais eux-mêmes, chez lesquels les raisons d’être et la pratique de la régulation des naissances étaient déjà bien implantées. À ce jour, alors que la fécondité japonaise est parmi les plus faibles du monde, aucune politique gouvernementale destinée à favoriser une remontée de la natalité n’a été adoptée, l’action de l’État en la matière se limitant à faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale pour les femmes en leur proposant de meilleurs services, notamment pour la garde des enfants.
79La Corée du Sud et Singapour sont désormais, à l’instar du Japon, parmi les pays au monde où la fécondité est la plus basse. Cette situation actuelle découle en partie de l’adhésion massive aux programmes de planification familiale mis en œuvre dans ces pays au cours des années 1960, qui s’appuyaient notamment sur le développement de la contraception. Dans un contexte général de recul rapide de la mortalité et de forte croissance économique, la fécondité du moment a fortement chuté, pour passer en dessous du seuil de remplacement des générations dès 1975 à Singapour et dès 1983 en Corée du Sud. Soucieuses de limiter les effets de la réduction rapide du nombre d’enfants sur la structure par âge de la population, les autorités singapouriennes et coréennes ont rapidement révisé leurs objectifs en matière de planification familiale. Ainsi, dès 1984, Singapour adoptait une série de mesures résolument natalistes, l’objectif étant de stabiliser la fécondité au-dessus du seuil de remplacement des générations par un accroissement du nombre des familles de trois enfants. Jusqu’à ce jour, cependant, cette politique nataliste semble n’avoir guère eu d’effets, le nombre moyen d’enfants par femme oscillant autour de 1,4 à 1,5 enfant. En Corée du Sud, le revirement a été à la fois plus tardif et moins explicite. Ce n’est en effet qu’en 1996 qu’a été adoptée une nouvelle politique, rompant avec celle mise en œuvre trente-cinq ans plus tôt (Barbieri, 2006). Celle-ci met toutefois l’accent plus sur la qualité de vie et le bien-être de la population que sur la croissance démographique (Kim, 2000).
80Peu après le Japon, la Chine a, à son tour, adopté des mesures visant à contrôler les naissances. Pourtant, jusqu’au début des années 1970, les efforts faits pour ralentir la croissance démographique dans le cadre des deux premières campagnes de limitation des naissances, lancées respectivement en 1956 et 1962, ont été sans effet visible sur la natalité, hormis dans quelques grands centres urbains. Ce n’est qu’à partir de 1971, avec le lancement de la troisième campagne nationale de limitation des naissances, que l’action des autorités chinoises a permis une baisse rapide de la fécondité. À partir de 1973, le mariage et la procréation tardifs, l’espacement des naissances et la réduction du nombre d’enfants ont été encouragés, souvent par des procédés très autoritaires (Blayo, 1997). Sous l’effet de ces mesures, la fécondité est passée de 5,7 enfants par femme en 1970 à 2,8 en 1979, soit, à l’instar du Japon et de Singapour [26], la plus forte baisse enregistrée dans le monde en un temps si court [27]. Ces progrès furent cependant jugés insuffisants, d’une part pour atténuer les effets sur la natalité de l’arrivée à l’âge d’avoir des enfants des générations nombreuses nées au début des années 1960 et, d’autre part, pour permettre à la Chine de développer son économie. De ce fait, les autorités chinoises ont instauré, en 1979, la norme drastique de l’enfant unique, qui s’appliquait à 95 % des couples dans les villes et 90 % des couples dans les zones rurales. Mais la forte résistance populaire opposée à cette norme de l’enfant unique, en particulier dans les campagnes, a contraint le gouvernement chinois à élargir dès 1984 les conditions autorisant les couples de paysans à avoir un deuxième enfant. Ainsi, depuis les années 1980, la politique chinoise de limitation des naissances est régie par des réglementations provinciales qui tiennent compte des conditions locales pour fixer le nombre maximum d’enfants autorisé, celui-ci variant de 0,8 à 3,4 enfants par femme en moyenne selon les provinces (Guo et al., 2003). Le passage de la fécondité du moment sous le seuil de remplacement des générations au début des années 1990, de même que la faible croissance démographique qui caractérise aujourd’hui la Chine (0,6 % par an en 2007) n’ont toutefois encore eu aucune répercussion sur la politique nationale de contrôle des naissances, qui demeure restrictive et contraignante [28].
81Diverses similitudes existent entre le programme de planification familiale mis en œuvre en Chine et celui qui, avec quelques années de décalage, a été adopté au Vietnam. Comme pendant la seconde moitié des années 1950 en Chine, les années 1960 ont été marquées, au Vietnam, par une prise de conscience politique quant à la nécessité de contrôler la croissance démographique pour garantir le développement économique et, par-là même, l’édification du socialisme. Ainsi le gouvernement nord-vietnamien a-t-il adopté, dès 1963, une première politique de planification familiale. Celle-ci fixait des normes de restriction de la taille des familles et un espacement des naissances minimal, qui sont restés en vigueur jusqu’à la réunification du pays en 1976. Étendue par la suite à l’ensemble du Vietnam réunifié, cette politique présente de nombreuses similitudes avec celle mise en place en Chine, notamment dans son caractère à peine moins autoritaire, avec l’adoption de mesures incitatives et répressives. Puis les décisions du 5e Congrès national du Parti communiste, en 1982, et la création du Comité national pour la population et la planification familiale en 1984 ont marqué l’adoption d’une politique énergique de contrôle des naissances. La politique de « un ou deux enfants » par famille, officialisée en 1988, a renforcé les mesures d’infléchissement de la croissance démographique considéré comme nécessaire à l’amélioration du niveau de vie et permis une baisse rapide de la fécondité vietnamienne entre la fin des années 1980 et la fin des années 1990. Désormais, au Vietnam comme en Chine, il existe de grandes variations locales dans la mise en œuvre de la politique nationale, chaque gouvernement local ayant une grande latitude pour édicter sa propre politique de récompenses ou de sanctions en fonction de considérations démographiques, économiques et politiques (Attané et Scornet, 2009).
82En Indonésie, les premiers programmes de contrôle des naissances, tout d’abord intégrés aux soins de santé maternelle et infantile, ont été mis en place en 1956, à l’initiative d’organisations privées et sous les auspices de l’organisation internationale International Planned Parenthood Federation. Avec l’avènement du régime du président Suharto en 1968, le gouvernement indonésien s’est engagé en faveur de la planification familiale, axée en particulier sur la limitation de la fécondité à deux enfants par femme, l’espacement des naissances, l’amélioration du rôle et du statut de la femme, la formation et l’éducation des jeunes et le développement de nouvelles normes concernant la famille et la collectivité, l’instauration de ces mesures reposant sur la mobilisation des institutions locales et religieuses. Cependant, l’adhésion de la population indonésienne à ces mesures a été mitigée. D’où le paradoxe de la transition de la fécondité en Indonésie qui, contrairement à ce qui est généralement observé, n’est passée ni par un retard de l’âge au mariage, ni par une généralisation de la contraception moderne, ni par l’avortement provoqué, mais a plutôt relevé d’une volonté délibérée de la population de réduire sa fécondité, notamment grâce à un allaitement maternel prolongé (Courbage, 2002).
83Aux Philippines, le programme de planification familiale, qui relève d’une initiative non gouvernementale, est né dans les années 1960. En 1969, a été créée une Commission sur la population au rôle purement consultatif. En 1971, la planification familiale a été intégrée à la stratégie nationale de développement, son objectif étant alors de faire passer la croissance annuelle de la population de 2,5 % en 1978 à 2,1 % en 1987 et de porter la prévalence de la contraception à 40 % en 1982 puis à 50 % en 1987. Ces objectifs n’ont pas été atteints, la croissance démographique atteignant encore 2,4 % par an en moyenne en 1985-1990. Au cours des années suivantes, sous la présidence de Cory Aquino (1986-1991), le programme national de planification des naissances a marqué le pas du fait de l’absence de soutien politique et financier (Rallu et Pictet, 2002). L’objectif a dès lors été d’améliorer la santé de la mère et de l’enfant, et non de réduire la fécondité. En outre, un frein important au programme de planification familiale est mis par l’Église catholique, qui a fait de son opposition à la contraception son cheval de bataille dans la lutte contre l’administration Ramos au cours des années 1990. Cela constitue un obstacle important à la baisse de la fécondité philippine, qui demeure l’une des plus élevées de la région.
84En Malaisie, dont l’histoire démographique récente est étroitement liée à la situation économique et surtout ethnique, la planification familiale revêt une dimension fortement politique. Au milieu du XIXe siècle, le peuplement de la Malaisie était presque exclusivement malais. Puis, du fait d’une forte immigration chinoise et indienne, les Malais n’ont plus représenté que 57 % de la population du pays en 1911, contre 29 % de Chinois et 10 % d’Indiens. Les Malais sont même, par la suite, devenus minoritaires, leur proportion étant tombée à moins de 50 % en 1957 au moment de l’indépendance de la Fédération de Malaisie, après près d’un siècle de protectorat britannique. C’est à partir de ce moment que les activités de planification familiale se sont développées dans le pays. Après plus de deux décennies de forte croissance démographique (supérieure à 3 % par an), le gouvernement a adopté une politique nationale de planning familial fin 1964, dans un contexte de progrès social et économique dû aux plans de développement mis en place depuis 1956. Les mesures mises en œuvre à partir de 1967 ont été axées prioritairement sur la diffusion des méthodes contraceptives, notamment la pilule, et sur la formation de personnel qualifié. Mais parallèlement, depuis la fin des années 1950, une idéologie nationaliste malaise s’est développée, liée à la crainte des Malais de devenir une minorité sans pouvoir. Ainsi, en 1969, des émeutes raciales ont abouti à la définition d’une nouvelle politique économique visant à corriger les inégalités économiques dans le pays, notamment par le recours à la discrimination positive en faveur des Malais pour les recrutements dans la fonction publique, dans le secteur privé et dans les universités nationales, avec le regain d’un fondamentalisme musulman. La perte de la majorité démographique des Malais a, à partir de 1982, entraîné un revirement de la politique de population de la Malaisie, jusque-là plutôt antinataliste, le Premier ministre ayant alors posé l’objectif de 70 millions de Malais. Cet objectif a été réaffirmé en 1984 au moment de son inscription dans les objectifs du Plan (objectif irréaliste puisque la Malaisie ne compte qu’un peu plus de 13 millions de Malais en 2005). Le rôle de l’État et de son discours semble avoir pendant un temps joué un rôle décisif dans les comportements de fécondité des Malais, l’indice synthétique atteignant 5 enfants par femme au milieu des années 1980, contre à peine plus de 2 enfants pour les couples d’ethnie chinoise et indienne. Aujourd’hui, ces disparités se sont estompées mais elles n’ont pas complètement disparu, les Malaises ayant une fécondité de 3,5 enfants par femme environ, contre 2 environ pour les femmes d’origine chinoise et indienne.
85Les premières initiatives visant à contrôler les naissances ont été plus tardives en Thaïlande que dans les pays précités. C’est seulement en 1970 que la Thaïlande a mis en place sa première politique de population, destinée à favoriser le recours à la contraception sur la base du volontariat pour réduire la croissance démographique. Le plan quinquennal de 1972-1976 a eu pour objectif, à travers le développement de l’accès aux services et à l’information en matière de planning familial dans l’ensemble du pays, y compris dans les villages, de réduire la croissance démographique annuelle à 2,5 %. L’avortement et la stérilisation ont été libéralisés à partir de 1977 et la production nationale de contraceptifs a été développée. En outre, diverses mesures incitatives, comme la gratuité de l’accouchement pour les femmes acceptant une stérilisation immédiate et des aides financières à la scolarisation des enfants et à la production agricole pour les couples s’engageant à ne pas avoir plus de deux enfants, ont eu pour effet une hausse rapide de la prévalence contraceptive. L’objectif de développement de la planification familiale a été constamment reconduit d’un plan quinquennal à l’autre, au moins jusqu’à celui de 1992-1996. Depuis le plan quinquennal de 1997-2001, le discours officiel en matière de planification familiale est en effet plus nuancé, et il s’agit, alors que la fécondité des Thaïlandaises est désormais très faible (1,8 enfant par femme en 2000-2005), d’ajuster l’intensité des activités de planification familiale à la situation locale [29].
86Alors qu’en Malaisie, en Thaïlande et aux Philippines, l’abandon des aspects les plus stricts des programmes de contrôle des naissances ainsi que la baisse généralisée des investissements de l’État dans les programmes nationaux de planification familiale peuvent être interprétés comme les premiers signes d’un revirement des politiques démographiques (Barbieri, 2006), d’autres pays ne se sont que très récemment lancés dans des programmes de planification familiale.
87Au nombre de ces derniers figurent le Cambodge, la Mongolie et le Laos, qui ont attendu la fin des années 1990 ou le début des années 2000 pour mettre en place des politiques de population. Le Cambodge a adopté en 2003 une politique visant à rendre la croissance démographique du pays compatible avec son développement socio-économique et à soulager la pression démographique sur l’environnement et les ressources naturelles. Jusque-là presque exclusivement axées sur l’espacement des naissances, les mesures de planification familiale ont été développées pour permettre aux couples de décider librement du nombre de leurs enfants en facilitant l’accès à l’information, à l’éducation et aux services avec, pour objectif déclaré, la lutte contre la mortalité maternelle et infantile, toujours très élevée par rapport à la plupart des autres pays de la région. La politique de population adoptée en Mongolie au début des années 2000 s’inscrit également dans un cadre plus large de promotion du développement économique et elle est très comparable, dans ses objectifs comme dans les mesures mises en œuvre, à celle du Cambodge [30].
88Parmi les derniers pays de la région à avoir mis en place des mesures de planification familiale, figure également le Laos, qui a attendu 1999 pour adopter une « politique nationale pour la population et le développement ». De cette décision tardive résultent sans doute, au moins en partie, les mauvaises performances du Laos tant en matière de pratique contraceptive (moins de 30 % des femmes en 2000) qu’en matière de mortalité infantile, avec un taux qui figure parmi les plus élevés de la région (62 ‰ en 2000-2005). Cette politique, qui s’inscrit dans un vaste programme d’amélioration de la santé de la mère et de l’enfant, comporte divers objectifs. Elle vise tout d’abord à réduire le nombre d’enfants non désirés, tout en incitant les couples à se limiter à 2 à 4 enfants et à espacer les naissances de deux à trois ans au minimum. L’objectif est également de lutter contre la pauvreté, en particulier chez les minorités ethniques. Il s’agit aussi, comme en Mongolie et au Cambodge, de faire en sorte que la croissance démographique soit compatible avec le contexte socio-économique, d’améliorer le niveau de vie et de réduire la mortalité maternelle et infantile. Cette politique cherche par ailleurs à améliorer le statut des femmes et des minorités ethniques en leur permettant notamment d’avoir un meilleur accès à l’éducation et à la santé. Il s’agit enfin de favoriser une répartition harmonieuse de la population au sein du pays, dans le but de préserver l’environnement naturel et de permettre un développement durable. L’un des objectifs spécifiques est de réduire la fécondité à 3 enfants par femme et d’augmenter la prévalence contraceptive à 60 %-65 % d’ici 2020 [31].
89Le contenu et la mise en œuvre des programmes de planification familiale dans les pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est sont, quand ils existent, très diversifiés. Il paraît clair cependant que dans la plupart des cas, les programmes les plus ambitieux et les plus suivis, comme en Chine, en Corée du Sud, au Vietnam ou en Thaïlande, ont eu un rôle déterminant dans la baisse de la fécondité dans ces pays alors que, dans d’autres pays comme les Philippines ou l’Indonésie, leur rôle a été beaucoup moins décisif.
4 – Diversification sociale et spatiale des modèles de reproduction dans les pays
90Dans l’histoire de toutes les sociétés, la transition de la fécondité au niveau national se fait par étapes. La baisse de la fécondité ne débute jamais au même moment dans toutes les régions et dans tous les groupes sociaux au sein d’un pays, et elle ne va pas au même rythme. Certains groupes, culturellement plus ouverts ou plus directement soumis aux effets de la modernisation sociale et économique et s’adaptant plus rapidement aux effets des changements sociaux ou d’une crise économique, sont en avance sur les autres. On assiste donc généralement d’abord à une diversification des stratégies familiales, puis à une convergence progressive des comportements. Comme ailleurs, les transitions de la fécondité dans la région se produisent d’abord dans les populations urbaines et les plus instruites. En guise d’illustration, le tableau 7 présente les différences de fécondité selon le milieu d’habitat (urbain/rural) et selon le niveau d’instruction des femmes dans quelques pays de la région.
Fécondité selon le milieu de résidence (urbain/rural) et le niveau d’instruction des mères dans quelques pays de la région à différents stades de la transition démographique (nombre d’enfants par femme)

Fécondité selon le milieu de résidence (urbain/rural) et le niveau d’instruction des mères dans quelques pays de la région à différents stades de la transition démographique (nombre d’enfants par femme)
91Les niveaux de la fécondité observés à l’échelle nationale cachent, dans certains cas, des disparités internes importantes et, dans les différents pays présentés ici, villes et campagnes sont bien distinctes en la matière. Partout, la fécondité est sensiblement plus basse en milieu urbain, y compris au Cambodge qui en est pourtant au tout début de sa transition et, dans une moindre mesure, en Indonésie. Cependant, ces différences entre milieu urbain et milieu rural évoluent dans le temps, quand les changements de normes et de comportements apparus dans les villes quelques années plus tôt se diffusent dans les campagnes ou auprès des autres groupes sociaux. C’est aux Philippines que les différences de comportement entre femmes des villes et femmes des campagnes restent les plus marquées, ces dernières ayant encore, en 2003, 1,3 enfant de plus que les premières en moyenne.
92Au-delà de la dichotomie villes/campagnes en matière de fécondité, d’autres types de disparités sont observés. Par exemple, en Chine et en Indonésie, les deux pays les plus peuplés de la région, la transition de la fécondité ne s’est pas effectuée partout au même rythme. L’hétérogénéité des évolutions s’est surtout développée au cours de la première phase de la transition, à savoir dans les années 1970 pour ces deux pays. Par exemple, alors que l’indice synthétique de fécondité était tombé en dessous de 3,5 enfants par femme dès 1980 dans la province indonésienne de Yogyakarta, il dépassait encore 5,8 dans celles de Sumatera Utara, de Sulawesi Tenggara et de Maluku [32]. En Chine, au début des années 1970, l’indice synthétique de fécondité dépassait 6 enfants par femme dans la minorité musulmane ouïghoure du Xinjiang de même que chez les musulmans hui de la province du Ningxia, mais il était déjà tombé en dessous du seuil de remplacement des générations dans la municipalité de Shanghai (Peng, 2002). Toutefois, depuis les années 1990 et dans les deux pays, la baisse de la fécondité s’est généralisée à l’ensemble des provinces, les disparités internes tendant ainsi à s’atténuer. Au recensement de 1999, la fécondité des Indonésiennes se situait dans une fourchette étroite, entre 2 (notamment dans les provinces de Jakarta, de Yogyakarta et de Bali) et 3 enfants par femme (notamment à Sumatera Utara et à Nusa Tenggara Timur). En Chine, la fécondité est désormais tellement basse dans les municipalités de Shanghai et de Pékin (0,8 enfant par femme en 2000) que les disparités entre provinces tendent à nouveau à croître, l’indice synthétique étant encore de 2,5 enfants par femme au Xinjiang et au Jiangxi, et de 3 dans la province méridionale du Guizhou, soit trois à quatre fois plus que celui observé dans la municipalité de Shanghai [33].
93Tout comme la Chine et l’Indonésie, la Thaïlande s’est caractérisée par d’importantes disparités régionales de fécondité au cours de la phase de transition. Au milieu des années 1980, le nombre moyen d’enfants par femme était en effet déjà largement inférieur au seuil de remplacement des générations à Bangkok, la capitale (1,7), tandis qu’il atteignait encore 4,1 dans le Sud. Ces disparités se sont estompées par la suite puisque, dix ans plus tard, en 1995-1996, le nombre moyen d’enfants par femme, qui avait encore chuté de quelques dixièmes à Bangkok (1,3) était tombé à 2,9 dans le Sud. En Malaisie, où la fécondité est encore élevée (3 enfants par femme en 2000), des disparités régionales sont également présentes. En 2000, le nombre moyen d’enfants par femme était de 2,2 à Pulau Pinang et de 2,3 à Kuala Lumpur, la capitale, soit deux à trois enfants de moins en moyenne qu’à Terengganu (4,3) et Kelantan (5,3) [34]. Les différences étaient particulièrement marquées entre groupes ethniques, le taux brut de natalité atteignant 14,6 ‰ en 2004 au sein de la population malaisienne d’ethnie chinoise contre 17,6 ‰ dans l’ethnie indienne et 21,8 ‰ dans l’ethnie malaise.
94Au Cambodge, où la transition de la fécondité n’a débuté que très récemment dans bon nombre de régions, les disparités géographiques sont également marquées, le nombre moyen d’enfants par femme passant du simple au double entre les régions extrêmes. Ainsi, en 2005, la province de Phnom Penh, qui inclut la capitale, affichait la fécondité la plus faible (2,5 enfants par femme) alors que dans les provinces de Mondol Kiri et de Rattanak Kiri, les femmes avaient deux fois plus d’enfants en moyenne (5,2). De ce point de vue, la situation des Philippines est similaire à celle du Cambodge, les femmes vivant dans la région de Mimaropa ayant près de deux fois plus d’enfants en moyenne (5,0) que celles vivant dans la capitale (2,8). Les disparités sont encore plus marquées au Laos, où l’indice synthétique de fécondité, tombé à 2,3 enfants par femme à Ventiane, la capitale, dépasse 5 dans plus de la moitié des provinces et même 6 dans celles de Xaysomboon et Huaphanh [35].
95D’une manière générale, le rôle de l’instruction des femmes s’affirme dans la région, comme ailleurs dans le monde. En dehors de l’Indonésie où la fécondité a baissé de façon relativement homogène et varie peu selon le niveau d’instruction des femmes, le simple fait d’avoir suivi une scolarisation dans le primaire modifie sensiblement les comportements, comme on peut le voir notamment au Cambodge et au Vietnam (tableau 7), l’accès à l’enseignement secondaire ou supérieur accentuant encore ces différences. Presque partout dans ces cinq pays, en effet, l’accès à l’enseignement secondaire ou supérieur se montre très discriminant, la fécondité des mères très instruites étant en moyenne deux fois plus faible que celle des femmes sans instruction. Les différences sont également évidentes en Chine, où la fécondité atteint 2,2 enfants en moyenne chez les femmes sans instruction, contre moins de 1 chez celles qui ont effectué des études supérieures.
96La transition de la fécondité peut donc à l’évidence prendre des chemins divers, en Asie de l’Est et du Sud-Est comme dans le reste du monde.
5 – Développement humain et mortalité des enfants : des corrélations claires avec la fécondité
97À l’instar de ce que l’on observe au niveau mondial ou dans d’autres régions du monde, il existe au début des années 2000 une relation assez étroite entre la fécondité et l’indice de développement humain (IDH) [36], de même qu’entre la fécondité et la mortalité des enfants (figures 15 et 16).
Relation entre l’indice synthétique de fécondité et le niveau de développement humain (IDH)

Relation entre l’indice synthétique de fécondité et le niveau de développement humain (IDH)
Relation entre l’indice synthétique de fécondité et le taux de mortalité infantile

Relation entre l’indice synthétique de fécondité et le taux de mortalité infantile
98Les corrélations sont statistiquement significatives (R2 = 0,512 avec l’IDH et R2 = 0,457 avec le taux de mortalité infantile), mais la dispersion des points est importante. Par exemple, pour un même niveau de développement humain en 2004, autour de 0,77, les fécondités peuvent varier du simple au double, de 1,7 (en Chine) à 3,5 (aux Philippines) en 2000-2005. En Malaisie, où l’indice de développement n’est que légèrement supérieur à celui de la Thaïlande (0,81 et 0,78 respectivement), les femmes font en moyenne un enfant de plus (avec des indices synthétiques de fécondité de 2,9 et 1,8, respectivement). À l’inverse, pour une même fécondité (de l’ordre de 2,3 enfants par femme en 2000-2005), l’indice de développement humain varie de 0,58 au Myanmar à 0,71 au Vietnam. Il en est de même pour la mortalité infantile. À un bas niveau (de l’ordre de 10 à 11 ‰) se retrouvent une fois encore la Malaisie et la Thaïlande, qui ont des niveaux de fécondité très éloignés. En revanche, à niveau de fécondité équivalent, le Myanmar se caractérise par une mortalité infantile plus de deux fois supérieure à celle de l’Indonésie (74,9 ‰ et 34,2 ‰). Le caractère non systématique de cette relation confirme la spécificité des histoires nationales et la diversité des chemins que prend la transition de la fécondité.
6 – Un déséquilibre croissant entre les sexes à la naissance
99Concomitamment à la baisse de la fécondité qui s’est opérée depuis les années 1970, certains pays de la région ont enregistré une augmentation sensible du rapport de masculinité à la naissance. Cet indicateur, qui est le ratio entre l’effectif des naissances masculines et celui des naissances féminines, se situe, dans des circonstances ordinaires, autour de 105 garçons pour 100 filles. Or, en Chine, en Corée du Sud et, plus récemment, au Vietnam, les rapports observés s’éloignent de cette valeur de référence. Si le cas du Vietnam est encore incertain compte tenu de certaines contradictions entre les sources de données disponibles (Bélanger et al., 2003), les déséquilibres observés en Chine et en Corée du Sud sont en revanche largement avérés et bien documentés (figure 17).
Évolution du rapport de masculinité à la naissance en Chine (1980-2005) et en Corée du Sud (1970-2000)

Évolution du rapport de masculinité à la naissance en Chine (1980-2005) et en Corée du Sud (1970-2000)
100Cette évolution est la conséquence du maintien d’une forte préférence pour les garçons, trait de la culture traditionnelle, dans un contexte de forte baisse de la fécondité. Parallèlement, depuis les années 1980, les techniques de détermination prénatale du sexe de l’enfant se sont largement développées, ce qui a permis la diffusion du recours aux avortements sélectifs. Ce phénomène prend aujourd’hui des proportions alarmantes en Chine (où le rapport de masculinité à la naissance atteint 120 garçons pour 100 filles en 2005), le pays d’Asie qui, avec l’Inde, discrimine le plus ses petites filles. On estime ainsi que le déficit de filles chinoises dû aux avortements sélectifs atteint entre 500 000 et 600 000 chaque année en moyenne depuis le début des années 1990. Ce déficit ne manquera pas de se répercuter tant sur le marché matrimonial dès les années 2010, que sur l’évolution démographique globale de la Chine (Attané, 2006), d’autant qu’il est régulièrement aggravé par une surmortalité anormale des filles avant l’âge de cinq ans (Attané, 2005), comme nous le verrons plus loin.
101Notons toutefois qu’en Corée du Sud, le rapport de masculinité à la naissance connaît, depuis le milieu des années 1990, un retour progressif vers des niveaux plus conformes à la norme biologique, signe vraisemblable de l’apparition de sentiments plus favorables aux filles dans les nouvelles générations, dans un contexte de fécondité désormais extrêmement faible [37].
IX – Les déterminants proches de la fécondité
102Le niveau de fécondité d’une population à un moment donné dépend tout à la fois des normes et pratiques en matière de mise en union, d’allaitement, d’abstinence sexuelle post-partum, d’avortement et, bien sûr, de contraception, qu’il s’agisse d’une contraception d’espacement ou d’arrêt. Les pays de la région sont, dans l’ensemble, peu documentés sur ces questions. Seules les EDS fournissent des données récentes sur quelques-uns d’entre eux (Cambodge, Indonésie, Philippines et Vietnam). Nous passerons brièvement en revue la question de l’allaitement et de l’abstinence sexuelle post-partum, particulièrement mal connue, pour nous concentrer sur la contraception et l’avortement, pour lesquels nous disposons d’informations plus complètes (voir tableau A.7 en annexe).
1 – Dans l’ensemble, des naissances plus espacées
103Au vu des quelques données récentes et comparables dont on dispose, on n’observe pas de changements majeurs de l’âge à la première maternité, l’âge médian à la survenue de cet événement restant globalement stable (tableau A.7 en annexe). Soulignons toutefois que l’Indonésie reste, parmi les pays de la région pour lesquels l’information est disponible, l’un de ceux dans lesquels la fécondité est la plus précoce, avec un âge médian des femmes à la première naissance de 21 ans en 2003, soit plus de deux ans de moins qu’aux Philippines (23,2 ans), où la fécondité est pourtant plus élevée. Autrement dit, l’âge auquel survient la première naissance n’apparaît pas nécessairement comme un déterminant majeur du niveau global de la fécondité.
104En revanche, l’intervalle intergénésique se serait quant à lui sensiblement allongé, parallèlement à la baisse de la fécondité. Calculé sur l’ensemble des femmes de 15-49 ans, l’intervalle médian entre les deux dernières naissances a par exemple augmenté de 16 mois en Indonésie entre 1991 et 2002-2003 et de plus de dix mois au Vietnam entre 1997 et 2002. Cet allongement a été beaucoup plus faible (2,5 mois environ) aux Philippines et au Cambodge, où la fécondité a moins diminué.
105L’abstinence sexuelle et l’allaitement sont deux des variables qui peuvent influer sur la durée de l’infécondité post-partum, celle qui suit une naissance, et donc sur l’intervalle intergénésique. Or, la durée médiane de l’abstinence sexuelle post-partum est relativement courte dans les pays présentés ici (autour de 3 mois) et elle ne s’est pas sensiblement modifiée. Il en va de même pour l’aménorrhée post-partum.
106L’allaitement maternel est toujours régulièrement pratiqué dans ces quatre pays et il est dans l’ensemble plutôt long, avec des durées moyennes qui vont désormais de 14 à 22 mois. Dans l’ensemble, il n’y a pas de changements notables depuis une quinzaine d’années.
2 – Progrès rapides mais variables de la contraception
107La pratique contraceptive a connu une hausse quasi généralisée au cours des dernières décennies dans les pays de la région, où elle est désormais très répandue puisqu’elle concerne au moins 60 % des femmes dans la majorité d’entre eux. Les prévalences contraceptives par pays (toutes méthodes confondues d’une part, méthodes modernes d’autre part) sont présentées dans le tableau annexe A.8.
108De fortes disparités, à la fois en termes de niveau et de tendances, existent cependant. Quatre pays se distinguent d’abord par une prévalence contraceptive particulièrement élevée. En Chine, en Corée du Sud, en Thaïlande et au Vietnam, plus de 75 % des femmes mariées en âge de procréer recourent actuellement à la contraception, soit des niveaux comparables, voire supérieurs, à ceux des pays développés d’Europe de l’Ouest et du Nord (78 % au Danemark ; 75 % en France ; 82 % au Royaume-Uni). Si la prévalence dans ces pays avoisine les niveaux relevés dans quelques rares pays d’Amérique latine (Brésil, Costa Rica, Colombie, Cuba), elle y est largement plus élevée que dans la plupart des autres pays du monde en développement, y compris dans ceux où les prévalences figurent parmi les plus élevées (57 % en Algérie en 2002 et 63 % au Maroc en 2003 [38] pour l’Afrique ; 54 % au Bangladesh en 2000 et 56 % en Inde en 2005-2006 pour l’Asie du Sud). En Chine, la prévalence contraceptive, qui atteint 87 % à 90 % selon les sources, est la plus élevée au monde. Dans ces pays, une telle situation tient sans conteste aux programmes de planning familial prioritairement axés sur la pratique de la contraception qui ont été mis en place à partir des années 1960 et 1970, comme indiqué précédemment.
109À l’inverse, le Laos, le Myanmar et le Cambodge se caractérisent par la prévalence contraceptive la plus faible du continent asiatique avec seulement 30 à 40 % des femmes mariées recourant actuellement à un moyen de contraception.
110En dehors des Philippines, du Vietnam, de la Corée du Sud et du Cambodge, le recours aux méthodes contraceptives traditionnelles est désormais très faible, puisqu’il concerne moins de 7 % des femmes mariées, tandis que l’utilisation des méthodes modernes a connu une augmentation significative presque partout au cours des dernières décennies. Les progrès varient cependant beaucoup d’un pays à l’autre. La figure 18 illustre la variabilité de la pratique contraceptive dans la région et sa relation avec la fécondité au tournant du siècle.
111La prévalence des méthodes contraceptives utilisées, quel que soit leur type, diffère sensiblement d’un pays à l’autre. La pilule ne domine que dans quelques cas : au Cambodge et aux Philippines, où elle est adoptée par environ 13 % des femmes en union, et en Thaïlande par 27 % d’entre elles, tandis que le préservatif est dans l’ensemble peu utilisé par les couples mariés, à l’exception notable du Japon et de Singapour où il concerne 44 % et 22 % d’entre eux respectivement. En Chine, en Corée du Sud et, dans une moindre mesure, en Thaïlande, la stérilisation, féminine surtout, est le moyen de loin le plus utilisé, puisqu’elle concerne, respectivement, 40 %, 37 % et 24 % des couples mariés dans ces trois pays. Enfin, le stérilet fait, dans l’ensemble, peu d’adeptes (il est partout utilisé par moins de 7 % des couples). Seuls la Chine et le Vietnam font exception, avec au moins une femme mariée sur trois portant un stérilet. L’Indonésie et la Thaïlande se distinguent quant à elles par un niveau de recours aux injections inégalé ailleurs dans la région et rarement dans le reste du monde en développement : cette méthode concerne respectivement 28 % (en 2003) et 22 % (en 2000) des femmes mariées dans ces deux pays. Dans les différents pays, les principales méthodes traditionnelles déclarées sont le retrait et l’abstinence périodique.
112Globalement, et conformément à ce que l’on observe ailleurs, la pratique contraceptive (toutes méthodes confondues) est négativement corrélée avec la fécondité générale (figure 18), et ce de façon significative, avec un coefficient de détermination de 0,485. Les choses sont particulièrement claires dans les situations extrêmes, un peu plus floues dans les pays en position intermédiaire. Ainsi, pour une prévalence contraceptive d’environ 60 %, la fécondité varie de 1,3 enfant par femme environ à Singapour et au Japon à 2,4 en Indonésie. À l’inverse, pour une fécondité de l’ordre de 2,3 à 2,4 enfants par femme, la prévalence contraceptive varie d’un peu moins de 80 % au Vietnam à environ 60 % en Indonésie. Notons par ailleurs les cas particuliers du Japon et de Singapour, où la prévalence contraceptive reste relativement faible compte tenu du niveau de la fécondité. Dans ces pays, la très faible fécondité est désormais plus attribuable au retard important de la nuptialité qu’à l’avortement provoqué ou à la prévalence contraceptive (Sato et Iwasawa, 2006).
Indice synthétique de fécondité et prévalence contraceptive dans les pays de la région au début des années 2000 (toutes méthodes)

Indice synthétique de fécondité et prévalence contraceptive dans les pays de la région au début des années 2000 (toutes méthodes)
3 – L’avortement
113L’avortement provoqué a un statut légal très variable au sein des pays de la région. En effet, tandis que sa pratique est illégale aux Philippines et au Laos, elle est autorisée sans restriction au Cambodge, en Corée du Nord, en Chine, en Mongolie, à Singapour et au Vietnam. Ailleurs, les conditions autorisant la pratique de l’avortement varient (tableau 8). Dans la plupart des cas toutefois, l’avortement provoqué est autorisé au moins lorsque la grossesse met en danger la vie de la mère, comme au Brunei, en Indonésie et au Myanmar.
114La question de l’avortement provoqué en tant que variable intermédiaire de la fécondité est, dans les pays de la région comme dans la plupart des autres régions du monde, difficile à traiter, faute de données véritablement fiables. En effet, des problèmes récurrents d’enregistrement rendent les comparaisons entre pays et l’interprétation des évolutions généralement hasardeuses. Ainsi, les données, quand elles sont disponibles, sous-estiment couramment la fréquence de l’avortement dans le monde. Nous ne présenterons ici que quelques cas pour lesquels nous disposons de séries statistiques annuelles plus ou moins complètes.
Situations dans lesquelles l’avortement est légalement autorisé par pays, vers 2007

Situations dans lesquelles l’avortement est légalement autorisé par pays, vers 2007
115Au Japon, le recours à l’avortement provoqué a été le moteur de la baisse de la fécondité dans les années 1950 et jusqu’au début des années 1960, avec un taux d’avortement pour 100 naissances vivantes dépassant 60 % entre 1954 et 1962 (figure 19). À partir du début des années 1970, ce taux s’est stabilisé entre 30 % et 40 %. En Chine, la fréquence de l’avortement provoqué a fortement augmenté à partir du début des années 1970 (Blayo, 1997), lorsque la troisième campagne de contrôle des naissances a été mise en œuvre, passant de moins de 15 avortements pour 100 naissances vivantes en 1971 à près de 70 % en 1983.
Taux d’avortement pour 100 naissances vivantes au Japon, 1950-2000 et en Chine, 1971-2006

Taux d’avortement pour 100 naissances vivantes au Japon, 1950-2000 et en Chine, 1971-2006
116Dans les pays pour lesquels l’information est disponible, le nombre d’avortements pour 1 000 femmes âgées de 15 à 44 ans varie sensiblement (tableau 9). C’est au Vietnam que le recours à l’avortement provoqué est non seulement le plus fréquent (83 ‰ en 1996) mais encore qu’il a le plus augmenté depuis le milieu des années 1970. En revanche, le Japon, Singapour et la Corée du Sud ont enregistré une nette tendance à la baisse entre 1975 et 1996. La Chine constitue une situation particulière car l’avortement y est autorisé sans restriction, et ce quelle que soit la durée de gestation, et il est encore parfois pratiqué de manière autoritaire sur les femmes enceintes en dehors des quotas fixés dans le cadre de la politique de contrôle des naissances. En dépit de cela, le recours à l’avortement provoqué y est désormais, d’après les données disponibles les plus récentes, trois fois moins fréquent qu’au Vietnam par exemple.
Nombre d’avortements provoqués pratiqués légalement pour 1 000 femmes âgées de 15 à 44 ans

Nombre d’avortements provoqués pratiqués légalement pour 1 000 femmes âgées de 15 à 44 ans
X – La mortalité générale : des progrès considérables
117Après un départ un peu lent comparativement aux autres régions, la transition de la mortalité en Asie du Sud-Est et, surtout, en Asie de l’Est s’est caractérisée à partir des années 1960 par des progrès remarquables de l’espérance de vie à la naissance. Ces progrès ont permis aux pays de la région d’afficher dès les années 1980 des niveaux de mortalité parmi les plus faibles du monde en développement. Il convient toutefois de rester prudent dans la mesure où, dans la plupart des pays, les données disponibles ne sont pas entièrement fiables, surtout pour les périodes anciennes. Peu de pays disposent en effet d’informations complètes et détaillées sur les décès par âge, sexe, cause et selon des caractéristiques telles que le milieu d’habitat ou le milieu social, en raison de systèmes d’état civil incomplets ou par manque d’exploitation et de publication des données. Pour la perspective historique, nous en sommes donc réduits à nous appuyer essentiellement sur les estimations produites par la Division de la population des Nations unies, les seules qui soient disponibles et comparables pour l’ensemble des pays [39]. Des thèmes plus spécifiques, comme les disparités géographiques ou les inégalités selon le sexe, seront illustrés sur la base des pays les mieux documentés. Cette section se conclura par un examen des progrès en matière de mortalité maternelle et de lutte contre le sida dans la région.
1 – De fortes disparités intra-régionales
118Partant d’une espérance de vie (ou durée de vie moyenne) à peine supérieure à 40 ans au début des années 1950, la région dans son ensemble a aujourd’hui atteint un niveau de 72 ans [40], grâce à des gains annuels moyens d’espérance de vie de 1950-1955 à 2000-2005 un peu supérieurs à six mois (tableau A.9 en annexe, tableau 10). Les progrès ont été particulièrement rapides au cours des années 1960, avec des gains annuels moyens atteignant presque 18 mois (contre seulement trois mois dans la plupart des pays occidentaux, dont la France). Ils ont été beaucoup plus lents mais très réguliers pendant les trois décennies suivantes. Si l’on exclut le Japon, dont la situation est tout à fait différente de celle des autres pays de la région en début de période, l’espérance de vie à la naissance en Asie de l’Est et du Sud-Est était, en 1950-1955, à peine supérieure à celle de l’Asie du Sud et même de l’Afrique sub-saharienne et sensiblement inférieure à celle du Monde arabe et, surtout, de l’Amérique latine et de la Caraïbe ; mais les progrès rapides enregistrés au cours des quarante dernières années font que, aujourd’hui, la région a une espérance de vie à la naissance (72 ans) supérieure de 3 ans à celle du Monde arabe, de près de 10 ans à celle de l’Asie du Sud et de 25 ans à celle de l’Afrique sub-saharienne. Les moyennes de cette région, fortement influencées par la situation observée en Chine, dont la population représente 63 % de l’ensemble (et 86 % de celle de l’Asie de l’Est), dissimulent toutefois de très grandes disparités inter et intra-régionales, tant en termes de niveau que de rythme d’évolution.
Évolution de l’espérance de vie depuis 1950, mortalité maternelle et prévalence du VIH vers 2000 par sous-région

Évolution de l’espérance de vie depuis 1950, mortalité maternelle et prévalence du VIH vers 2000 par sous-région
119L’évolution de la durée de vie moyenne a été très régulière en Asie du Sud-Est sur l’ensemble de la période, avec une augmentation de 41 à 69 ans entre 1950-1955 et 2000-2005, soit un gain annuel moyen de 0,6 an (figure 20). Elle a été beaucoup plus heurtée en Asie de l’Est, principalement du fait de la situation de la Chine qui, rappelons-le, regroupe à elle seule 86 % de la population de la sous-région. Le rythme de croissance de l’espérance de vie à la naissance a d’abord été relativement proche de celui observé dans les autres régions du monde en développement (0,9 an de gain annuel moyen entre 1950-1955 et 1960-1965) à l’exception de l’Afrique sub-saharienne, déjà à la traîne. Il est devenu soudain très rapide au cours des années 1960 avec presque deux années d’espérance de vie gagnées pour chaque année de calendrier, mais il s’est ensuite très vite ralenti. L’espérance de vie s’est même caractérisée par une croissance nulle au cours des années 1980 avant de reprendre une évolution plus favorable mais assez lente à partir de 1990-1995, avec un gain moyen annuel de 0,3 an au cours de la dernière décennie. Cette évolution de l’espérance de vie à la naissance en Asie de l’Est est donc étroitement liée à celle de la Chine où, depuis la réforme en faveur d’une privatisation du système de santé au milieu des années 1980, l’état de santé de la population a, dans l’ensemble, stagné.
Évolution des espérances de vie par sous-région, 1950-1955 à 2000-2005

Évolution des espérances de vie par sous-région, 1950-1955 à 2000-2005
120Comme dans l’histoire sanitaire des autres régions du monde, ces progrès, considérables dans l’ensemble, ont été divers selon les pays [41], qui certes ne partaient pas tous du même point. Dans les années 1950, les inégalités géographiques étaient particulièrement marquées : l’espérance de vie à la naissance était de seulement 30 ans au Timor oriental et à peine supérieure à 35 ans au Myanmar et en Indonésie ; elle se situait autour de 40 ans en Chine, en Mongolie, au Cambodge, au Laos et au Vietnam, entre 45 et 50 ans en Malaisie, aux Philippines, en Corée du Nord et du Sud et en Thaïlande, et elle atteignait déjà plus de 60 ans à Singapour, au Brunei et, surtout, au Japon qui détenait le niveau record de 63,9 ans. La figure 21 illustre l’évolution des espérances de vie dans les seize pays entre 1970-1975 et 2000-2005, période au cours de laquelle les progrès ont été les plus diversifiés. Si l’on en croit les données des Nations unies, ils ont été particulièrement importants (entre 40 % et 45 % d’augmentation de la durée de vie moyenne en 30 ans) dans quatre pays d’Asie du Sud-Est (Indonésie, Cambodge, Timor oriental et Vietnam). Ils ont été sensiblement plus faibles en Asie de l’Est (avec une augmentation inférieure à 15 % en Chine et au Japon et pratiquement nulle en Corée du Nord). Aujourd’hui, les variations géographiques de l’espérance de vie à la naissance demeurent considérables entre des pays comme le Cambodge (57 ans), le Timor oriental (58 ans), le Myanmar (60 ans) ou le Laos (62 ans) et des pays comme le Brunei, la Corée du Sud, Singapour (autour de 76-79 ans) et, surtout, le Japon (82 ans) qui se situe au premier rang mondial en la matière.
Évolution de l’espérance de vie entre 1970-1975 et 2000-2005 dans les seize pays

Évolution de l’espérance de vie entre 1970-1975 et 2000-2005 dans les seize pays
2 – Les transitions épidémiologiques sous-jacentes au recul de la mortalité
121Sans pouvoir l’illustrer ici parfaitement, faute de données suffisantes pour la plupart des pays de la région, il est certain, comme l’exemple précoce du Japon le suggère, que le passage d’espérances de vie de l’ordre de 40 ans vers 1970 à plus de 70 ans aujourd’hui correspond à un profond bouleversement dans les modèles de morbidité et de causes de mortalité ainsi que dans le calendrier de la mortalité : les maladies infectieuses et parasitaires, prédominantes au départ, notamment chez les enfants, font progressivement place aux maladies chroniques et dégénératives et aux accidents ; les maladies et les risques de mortalité sont repoussés à des âges de plus en plus avancés. Il s’agit, en simplifiant, du modèle classique de la transition épidémiologique.
122Ainsi, en Asie de l’Est (Zhao et Kinfu, 2005), vers le milieu des années 1960, période à partir de laquelle des données plus détaillées sur la mortalité commencent à être disponibles pour plusieurs pays de la région, les décès par maladies infectieuses représentaient encore souvent environ un cinquième de l’ensemble (moins de 10 % au Japon) ; à l’aube du XXIe siècle, cette proportion a été réduite à la portion congrue (autour de 2 %) tandis que les cancers et les maladies cardio-vasculaires représentent 60 % de l’ensemble des décès au Japon et à Hong Kong et 50 % en Corée du Sud. Une évolution comparable de la mortalité par cause est observée en Chine où, alors qu’à la fin des années 1950, un bon tiers des décès était attribuable aux maladies infectieuses, y compris respiratoires (tuberculose notamment), plus des deux tiers sont aujourd’hui dus aux maladies dégénératives chroniques. Une étude récente montre que, aux âges adultes (40 ans et plus), plus de 65 % des décès sont attribuables, à parts à peu près égales, à seulement trois causes, qui sont les maladies du cœur, les cancers et les maladies cérébro-vasculaires, tandis que l’ensemble des maladies infectieuses (y compris la pneumonie et la grippe) n’en représentent plus que 6 % (Jiang et al., 2005).
3 – Des écarts de mortalité apparemment favorables aux femmes
123Partout et toujours, le recul de la mortalité s’accompagne d’une évolution des différences selon le sexe : on passe progressivement d’une situation où hommes et femmes ont des durées de vie assez voisines à une autre où les femmes prennent un avantage certain sur les hommes, même si celui-ci varie selon les cultures et les régions [42]. Les surmortalités féminines, fréquentes aux jeunes âges (nous y reviendrons) comme aux âges de la reproduction, s’atténuent peu à peu avant de disparaître [43].
124Les données d’espérance de vie par sexe présentées par les Nations unies (Nations unies, 2006a) montrent l’existence d’un avantage féminin dans l’ensemble des pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est. Le rapport de l’espérance de vie des femmes à celle des hommes est partout très supérieur à 100 et varie de 103 au Timor oriental (105 en Chine, au Vietnam et à Singapour) à 114 en Thaïlande (111 au Myanmar, 110 en Mongolie et en Corée du Sud). On peut se demander si la croissance économique et les transformations des comportements individuels (tabagisme, conduite automobile, alimentation, sédentarisation par exemple) conduiront, comme dans les pays développés jusqu’à récemment, à un accroissement de l’écart en faveur des femmes. Il est toutefois difficile de se fonder sur les séries disponibles pour mesurer l’évolution des écarts entre sexes dans la mesure où, dans une grande majorité des pays, les différences selon le sexe qui sont observées résultent tout autant, sinon plus, des modèles utilisés par les Nations unies pour produire leurs estimations que de la réalité. Dans le passé notamment, la mortalité inférieure des femmes pourrait provenir d’une sous-déclaration différentielle à l’état civil, un phénomène fréquent dans les pays en développement.
4 – La mortalité maternelle : des progrès inespérés
125En 2005, environ 45 000 décès maternels sont survenus dans les seize pays de la région, représentant 8 % du total mondial des décès maternels (pour 32 % de la population) [44]. Mais les estimations nationales de la mortalité maternelle, définie par l’OMS comme la mortalité des femmes pendant leur grossesse, au moment de l’accouchement ou dans les 42 jours qui suivent, sont à prendre avec beaucoup de précautions, dans la région comme ailleurs. En l’absence de statistiques de causes de décès dans la plupart des pays de notre étude, elles relèvent la plupart du temps d’estimations indirectes, fondées sur diverses définitions et méthodes de calcul [45] ; en conséquence, ces estimations doivent simplement être considérées comme des ordres de grandeur [46]. Les données par pays sont présentées dans le tableau annexe A.10, et les estimations par sous-région dans le tableau 10.
126L’ensemble de la région a un taux moyen de mortalité maternelle de 1 pour 800 naissances. Elle est en bien meilleure position que l’Afrique sub-saharienne (1 décès pour 110 naissances) et que l’Asie du Sud (1 décès pour 200 naissances), et elle est désormais un peu mieux placée que l’Afrique du Nord et l’Asie occidentale (1 décès pour 630 naissances) et même, mais à peine, que l’Amérique latine et la Caraïbe (1 décès pour 770 naissances). La position de l’Asie de l’Est et du Sud-Est s’est nettement améliorée au cours de la période récente du fait des progrès considérables réalisés en matière de suivi des grossesses et des conditions d’accouchement (voir plus loin). Ainsi, entre 1990 et 2005, le taux de mortalité maternelle s’est réduit de presque 50 % en Asie de l’Est et de plus de 30 % en Asie du Sud-Est, soit un rythme de baisse plus rapide que dans toutes les autres régions du monde, y compris les plus développées (OMS, 2007). L’ Asie de l’Est est, de fait, la seule région du monde pouvant aujourd’hui prétendre atteindre l’objectif de réduction des trois quarts du taux de mortalité maternelle fixé pour 2015 dans le cadre des Objectifs du Millénaire des Nations unies en 1990. Toutefois, comparée à la situation des pays industrialisés (1 décès maternel pour 10 000 naissances), la mortalité maternelle en Asie de l’Est et du Sud-Est demeure un enjeu majeur de santé publique et la poursuite des efforts réalisés dans ce domaine est toujours une priorité. Un meilleur suivi des grossesses et de bonnes conditions d’accouchement constituent des mesures d’autant plus efficaces qu’elles favorisent tout autant la survie des nouveau-nés que celle de leurs mères.
127Comme presque partout ailleurs, de fortes disparités sont observées entre les pays et entre les sous-régions. Le taux de mortalité maternelle est ainsi six fois plus élevé en Asie du Sud-Est (1 décès pour 330 naissances) qu’en Asie de l’Est (1 décès pour 2 000 naissances), ce qui place cette dernière très loin devant toutes les autres régions du monde en développement. C’est, comme on pouvait s’y attendre, dans les pays les plus industrialisés de la région que le niveau de la mortalité maternelle est le plus faible, soit 1 décès maternel pour plus de 15 000 naissances au Japon, pour environ 8 000 au Brunei et pour 7 000 à Singapour et en Corée du Sud. Viennent ensuite la Chine, la Malaisie et la Mongolie, avec 1 décès maternel pour environ 2 000 naissances. Plus loin derrière se trouvent la Thaïlande (1 décès pour 1 000 naissances), puis le Vietnam (1 pour 770). Les pays de la région les moins favorisés dans ce domaine sont les Philippines (1 pour 440), la Corée du Nord (1 pour 270), le Myanmar et le Timor oriental (1 pour 260), l’Indonésie (1 pour 240), le Cambodge (1 pour 190) et, enfin, le Laos (1 pour 150). Ces différences proviennent aussi bien d’écarts en matière de suivi prénatal et de conditions d’accouchement que des variations des comportements reproductifs, dans la mesure où le nombre d’enfants mis au monde multiplie d’autant les risques de décès maternel, avec une mortalité maternelle plus forte à parité élevée et avec des grossesses rapprochées.
5 – Le sida : des résultats encourageants
128L’Asie se trouve dans une situation intermédiaire en matière d’épidémie de sida. La prévalence du VIH, qui y est estimée à 0,2 %, peut paraître faible relativement à celle observée en Afrique sub-saharienne (où elle est estimée à 7,5 %). Elle est également moins élevée qu’en Amérique latine (0,6 %) et en Asie du Sud (0,8 %), mais elle l’est deux fois plus que dans le Monde arabe et le Moyen-Orient (0,1 %). Surtout, compte tenu de la taille des populations, le nombre d’individus concernés est considérable : plus de cinq millions d’adultes (âgés de 15 à 49 ans) y vivent avec le virus [47]. D’importantes variations existent toutefois entre l’Asie de l’Est et l’Asie du Sud-Est et, au sein de ces deux sous-régions, entre les pays qui les composent.
129L’épidémie est d’abord apparue en Asie du Sud-Est, avec un premier cas déclaré en Thaïlande en 1984, et cette sous-région reste celle où le taux de prévalence du VIH est le plus élevé (0,6 % contre 0,1 % en Asie de l’Est). Si l’on exclut la Corée du Nord, pour laquelle aucune estimation n’est disponible, le Programme commun des Nations unies sur le VIH/sida (Onusida) situe les prévalences nationales entre près de 0 et 2 % (tableau A.10), contre 20 % en Afrique australe. La prévalence est très faible dans les pays de l’Asie du Sud-Est que sont les Philippines et le Brunei et dans la plus grande partie de l’Asie de l’Est (Japon, Mongolie et Corée du Sud). Elle atteint son niveau le plus élevé au Cambodge, où l’épidémie a été initialement détectée en 1991 et où le nombre de personnes atteintes est d’environ 130 000. Les autres pays particulièrement touchés en termes d’effectifs sont la Thaïlande (près de 550 000 personnes infectées), le Myanmar (340 000) et, surtout, la Chine (850 000). Dans ce dernier pays, les sites de surveillance épidémiologique se sont multipliés au cours de la décennie passée mais il demeure difficile d’établir une estimation globale fiable du fait de la diversité des situations régionales. La prévalence y est aujourd’hui estimée à environ 0,1 % au niveau national. Si aucune zone géographique n’est épargnée, les provinces les plus touchées sont celles qui bordent les frontières au Sud-Est (Guangdong, Guangxi et Yunnan) et au Nord-Ouest (Xinjiang) ainsi que les grandes villes.
130Contrairement à la situation observée en Afrique sub-saharienne, où l’épidémie s’est presque dès ses débuts répandue au sein de la population générale, touchant autant les femmes que les hommes, en Asie elle a pendant longtemps presque exclusivement concerné les groupes à risque (toxicomanes utilisateurs de drogues intraveineuses et prostituées) et ce n’est que récemment qu’elle s’est étendue à d’autres groupes. On constate une proportion croissante d’infections parmi les femmes, qui contractent le virus par l’intermédiaire de leur conjoint. Ainsi à l’échelle du continent asiatique, la proportion de femmes s’accroît progressivement parmi les personnes infectées, de 25 % en 2001 à près de 30 % en 2007.
131L’Asie du Sud-Est se caractérise toutefois par un effort précoce et soutenu de la part des gouvernements pour lutter contre l’épidémie. Dès les années 1980, la lutte contre le VIH a été une priorité des autorités sanitaires en Thaïlande, pays le plus touché à l’époque dans la région (Pnud, 2004) : des programmes y ont été mis en place pour empêcher les échanges de seringues afin de limiter l’épidémie parmi les toxicomanes ; les prostituées ont été soumises à un suivi médical très approfondi ; l’utilisation de préservatifs a été partout encouragée et facilitée ; les femmes enceintes infectées ont été systématiquement prises en charge ; et, aujourd’hui, les mesures destinées à généraliser la prise de médicaments antirétroviraux, les plus efficaces pour retarder l’émergence du sida parmi les personnes infectées, constituent le fer de lance du programme national de lutte contre la maladie. Ainsi la proportion de personnes bénéficiant de ce type de traitements a été multipliée par quatre entre 2003 et 2005, passant de 16 % à 59 % [48]. Ces efforts se sont traduits par une régression remarquable du taux de prévalence du VIH parmi les populations à risque comme dans la population générale : chez les prostituées, ce taux a chuté de 20 % au milieu des années 1990 à moins de 6 % en 2004 ; chez les femmes enceintes testées dans le cadre de programmes de surveillance épidémiologique, il a diminué de 2,5 % (le niveau maximum atteint dans la seconde moitié des années 1990) à 1 % en 2004 [49]. Il semble plus difficile de réduire les comportements à risque parmi les toxicomanes, qui restent très vulnérables avec un taux de prévalence évalué entre 30 % et 50 % selon les méthodes d’estimation. La lutte contre le VIH/sida s’est également organisée efficacement avec le soutien des organismes internationaux au Cambodge, où la prévalence de l’infection semble actuellement diminuer. Au Myanmar, où il est plus difficile d’évaluer la qualité des estimations, l’épidémie paraît également avoir été contenue.
132Dans ces trois pays, des projections réalisées par l’Agence américaine pour le développement international (United States Agency for International Development, 2004) révèlent toutefois que, malgré l’évolution favorable actuelle, le prix à payer en termes d’années d’espérance de vie perdues demeure lourd et le restera pendant la décennie à venir. Ainsi par exemple, au Myanmar en 2010, l’espérance de vie à la naissance sera inférieure de 4,5 ans à ce qu’elle aurait été en l’absence d’épidémie. De même, le taux brut de mortalité en 2010 sera supérieur de 12 % en Thaïlande et de 26 % au Cambodge du seul fait de la maladie.
133Par ailleurs, la situation épidémiologique est devenue préoccupante dans plusieurs pays jusque-là faiblement affectés et, tout particulièrement, au Vietnam et en Indonésie où une progression rapide du nombre de personnes infectées est observée. Au Vietnam, ce nombre a doublé entre 2001 et 2005, passant de 120 000 à 260 000 personnes. En Indonésie, où la prévalence nationale est encore très faible (0,1 %), l’épidémie se répand rapidement parmi les populations à risque : plus de 40 % des toxicomanes utilisateurs de drogues injectables sont infectés dans les grandes villes. Au total, si la situation se présente plutôt favorablement dans les pays les plus anciennement touchés par l’épidémie, il est encore trop tôt pour conclure à une victoire dans la lutte contre le VIH/sida dans cette région du monde.
XI – La mortalité et la santé des enfants
134Comme ailleurs dans le monde, la transition sanitaire dans la région a d’abord profité aux enfants les plus jeunes. D’énormes progrès ont été réalisés dans la lutte contre la mortalité infanto-juvénile au cours des cinquante dernières années. Demeurent néanmoins, comme sur les autres continents, de grandes inégalités entre pays, entre groupes sociaux à l’intérieur des pays et entre les deux sexes, la surmortalité des petites filles représentant un problème croissant en Chine.
135Comme pour la fécondité et l’espérance de vie, les évolutions par pays de la mortalité infantile depuis 1950 sont issues des estimations [50] des Nations unies (tableau annexe A.9). Les autres données, sur la mortalité des enfants de moins de cinq ans et ses composantes, les conditions d’accouchement, la couverture des soins prénatals et les vaccinations, ainsi que sur les niveaux de malnutrition, proviennent des dernières enquêtes disponibles dans chaque pays où existe au moins une source d’information. Nous avons eu plus particulièrement recours aux bases de données de l’Unicef d’une part (notamment concernant les indicateurs de santé autres que la mortalité) et de l’Institute for Health Metrics and Evaluation [51] d’autre part. Soulignons que les efforts déployés par les chercheurs de ce dernier organisme pour réunir toutes les sources d’information disponibles dans chaque pays, afin d’estimer de manière la plus fiable possible les niveaux de mortalité dans l’enfance et leurs composantes (mortalités néonatale, post-néonatale et juvénile) et fournir des intervalles de confiance pour chacun de ces indicateurs rendent particulièrement précieuses les données présentées.
1 – Des progrès spectaculaires depuis les années 1950
136Dans les années 1950, la mortalité des enfants était encore très forte dans toutes les régions en développement, avec peu de différences entre elles : en dehors de l’Amérique latine, déjà en avance avec un taux inférieur à 130 ‰, la mortalité infantile variait de 170 ‰ en Asie du Sud à 195 ‰ dans le Monde arabe et le Moyen-Orient. L’Asie de l’Est et du Sud-Est se situait dans une position intermédiaire avec un taux de 180 ‰ environ pour la région dans son ensemble (tableau 11).
Évolution de la mortalité infantile depuis les années cinquante par grande région

Évolution de la mortalité infantile depuis les années cinquante par grande région
137La situation a rapidement évolué, mais à des rythmes divers (figure 22). La mortalité infantile de l’Asie de l’Est a brutalement chuté dès les années 1960 avant de se stabiliser autour de 40 ‰ à partir de 1980 et de diminuer plus lentement par la suite. L’évolution à la baisse a été plus régulière mais un peu moins rapide en Asie du Sud-Est. Cinquante ans plus tard, la région dans son ensemble se trouve dans une position beaucoup plus favorable que presque toutes les autres régions en développement. Avec un taux de mortalité infantile inférieur à 30 ‰, elle se situe désormais à un niveau comparable à celui atteint en Amérique latine et Caraïbe, un peu en dessous de celui du Monde arabe et du Moyen-Orient, et très largement en dessous de celui de l’Asie du Sud et de l’Afrique sub-saharienne. Globalement, la progression a été particulièrement forte au cours des années 1950 et 1960, avec une baisse du taux supérieure à 60 % (tableau 11). Elle a été un peu plus lente pendant la période suivante (50 % entre 1970-1975 et 1990-1995) et le ralentissement paraît se poursuivre actuellement.
Évolution du taux de mortalité infantile par sous-région, 1950-1955 à 2000-2005

Évolution du taux de mortalité infantile par sous-région, 1950-1955 à 2000-2005
138Ces mouvements d’ensemble masquent la diversité des évolutions et des niveaux de mortalité selon les pays, comme l’illustre la figure 23 qui compare les mortalités infantiles nationales en 1970-1975 et 2000-2005. Si l’on exclut la Corée du Nord, qui n’a enregistré aucun progrès au cours de ces trois décennies (ce qui incite d’ailleurs à s’interroger sur le niveau relativement bas affiché il y a trente ans) et le Myanmar, où la baisse a tout de même atteint 25 %, tous les pays de la région ont enregistré une diminution d’au moins 50 % du taux de mortalité infantile entre les années 1970 et les années 2000. Cette évolution s’est produite indépendamment du niveau initial et de la sous-région d’appartenance (Asie de l’Est ou Asie du Sud-Est) : elle a concerné tout autant le Cambodge et le Timor oriental, dont les mortalités infantiles atteignaient les niveaux les plus élevés en 1970-1975, supérieurs à 180 ‰ (inférieurs à 80 ‰ aujourd’hui), que Singapour et le Japon, qui se caractérisaient alors par les plus faibles niveaux, avec des taux de 19 ‰ et 12 ‰ respectivement (3 ‰ aujourd’hui). Les écarts considérables qui existaient entre les pays en début de période n’ont fait que se creuser davantage au cours du temps en termes relatifs. Notons que c’est dans les pays qui ont récemment connu des crises politiques graves ou qui subissent des régimes autoritaires (Corée du Nord, Myanmar, Laos, Cambodge et Timor oriental) que la mortalité infantile est la plus élevée ou que les progrès ont été les plus lents. Si le développement économique et social joue un rôle indéniable, puisque ces pays sont aussi les plus pauvres, l’histoire politique ne peut être négligée même si ses effets sont difficilement mesurables.
Évolution du taux de mortalité infantile entre 1970-1975 et 2000-2005 dans les seize pays de la région

Évolution du taux de mortalité infantile entre 1970-1975 et 2000-2005 dans les seize pays de la région
2 – Des changements notables dans l’évolution de la mortalité des moins de 5 ans
139Dans les transitions historiques de la mortalité générale, les progrès réalisés ne profitent pas au même degré à tous les âges. Il en est de même pour la mortalité avant l’âge de 5 ans, que l’on décompose classiquement en mortalité néonatale (celle du premier mois), post-néonatale (de 1 à 12 mois) et juvénile (du premier au cinquième anniversaire). Nous avons calculé la valeur de ces trois indicateurs pour chacune des deux sous-régions étudiées à partir des taux de mortalité fournis pour chaque pays par l’Institute for Health Metrics and Evaluation, que l’on a pondérés par le nombre annuel de naissances dans chacun des pays les composant (obtenu à partir des données des Nations unies, 2006a). Faute de données disponibles pour une période suffisamment longue, nous avons dû exclure des calculs un certain nombre de pays si bien que, dans l’analyse qui suit, l’Asie de l’Est est composée de la Chine, du Japon et de la Corée du Sud, et l’Asie du Sud-Est se réduit à l’Indonésie, la Malaisie, le Myanmar, les Philippines, Singapour et la Thaïlande [52]. Les résultats de nos calculs sont illustrés par les figures 24 et 25 [53].
Évolution des quotients de mortalité néonatale, post-néonatale et de 1 à 5 ans en Asie de l’Est de 1970 à 2000

Évolution des quotients de mortalité néonatale, post-néonatale et de 1 à 5 ans en Asie de l’Est de 1970 à 2000
Évolution des quotients de mortalité néonatale, post-néonatale et de 1 à 5 ans en Asie du Sud-Est de 1970 à 2000

Évolution des quotients de mortalité néonatale, post-néonatale et de 1 à 5 ans en Asie du Sud-Est de 1970 à 2000
140Les trois indicateurs considérés ont diminué dans les deux sous-régions, mais à des rythmes et selon des chronologies variables. L’histoire de la mortalité des enfants y est globalement conforme à ce que l’on observe classiquement : avec la progression du contrôle (préventif et curatif) des maladies infectieuses et parasitaires, la mortalité post-néonatale et la mortalité de 1 à 5 ans baissent plus rapidement que la mortalité néonatale. Tandis que ce type de maladies peut être efficacement combattu avec des mesures simples et peu coûteuses, telles que la vaccination, la réhydratation orale, les suppléments en micronutriments ou le traitement des moustiquaires par des insecticides, la baisse de la mortalité néonatale nécessite un encadrement médical plus onéreux et techniquement avancé. Ce sont en effet le suivi pendant la grossesse et surtout les conditions d’accouchement qui déterminent en grande partie les risques de mortalité pendant les premiers jours de la vie. En Asie de l’Est et du Sud-Est comme dans d’autres régions du monde en développement, c’est cette dernière qui diminue le plus lentement. Le recul de la mortalité néonatale est loin d’être négligeable puisqu’il a atteint près de 55 % dans l’ensemble régional entre 1970 et 2000, mais il demeure inférieur à celui enregistré pour la mortalité post-néonatale et pour la mortalité juvénile, proche de 75 % dans les deux cas.
141En ce qui concerne les différences au sein de cet ensemble régional, c’est la mortalité post-néonatale qui enregistre l’écart le plus important entre l’Asie de l’Est et l’Asie du Sud-Est. Dans cette dernière, le taux correspondant est plus élevé de 70 % à 80 % en début et en fin de période et, du fait de la baisse plus rapide de la mortalité en Asie de l’Est au cours des années 1970, il a même été jusqu’à 2,4 fois supérieur au début des années 1980. Notons aussi que les progrès en matière de lutte contre la mortalité néonatale ont été plus marqués en Asie de l’Est qu’en Asie du Sud-Est, notamment au cours des années 1970 : le taux a baissé deux fois plus rapidement dans la première région que dans la seconde entre 1970 et 1980 (– 30 % contre – 15 %). L’Asie de l’Est se caractérisant déjà par des taux de mortalité plus faibles au début des années 1970, cette évolution a accru l’écart entre les deux régions en matière de mortalité néonatale au cours des années 1980. Le taux de mortalité néonatale en Asie du Sud-Est, déjà supérieur de 40 % à celui de l’Asie de l’Est en 1970, représentait le double de celui-ci dans la première moitié des années 1980. Du fait d’un ralentissement dans le rythme de baisse de la mortalité à tous âges en Asie de l’Est pendant la période suivante (1980-2000), alors que le recul se poursuivait régulièrement en Asie du Sud-Est, l’écart s’est un peu réduit entre les deux sous-régions, le taux de mortalité néonatale demeurant néanmoins encore supérieur de 60 % en Asie du Sud-Est. L’évolution comparée de la mortalité juvénile dans les deux sous-régions est relativement similaire à celle des mortalités néonatale et post-néonatale mais l’écart est moindre, compris dans un rapport de 1,3 à 1,8 selon les périodes entre l’Asie du Sud-Est et l’Asie de l’Est.
3 – La surmortalité des petites filles : un problème essentiellement circonscrit à la Chine
142Comme de nombreuses autres régions du monde en développement, l’Asie de l’Est et du Sud-Est (mais surtout la première) connaissaient dans les années 1970 et 1980 une surmortalité des petites filles particulièrement élevée et précoce, qui débutait souvent dès l’âge de 2 ou 3 mois. En d’autres termes, dès que l’on quittait la période des risques de nature endogène pour entrer dans les âges de morbidité/mortalité affectés par les maladies infectieuses et parasitaires, les filles perdaient rapidement leur avantage biologique de départ et devenaient plus exposées que les garçons (Tabutin et Willems, 1995 ; Tabutin et Gourbin, 1997). Avec le déclin de la mortalité aux jeunes âges, dû notamment au contrôle progressif des maladies infectieuses, cette surmortalité des petites filles a disparu ou presque dans un bon nombre de pays du monde pour faire place à une surmortalité générale des garçons. L’Asie de l’Est et du Sud-Est n’est pas en reste, la mortalité des garçons étant partout plus élevée que celle des filles, sauf en Chine et, pour la mortalité infantile uniquement, au Vietnam (tableau 12). Des différences culturelles importantes et reconnues séparent dans ce domaine l’Asie de l’Est de l’Asie du Sud-Est. Cette dernière région se caractérise traditionnellement par une égalité relative des sexes qui s’oppose à la discrimination dont les femmes sont historiquement victimes en Asie de l’Est mais dont, heureusement, la plupart des pays de la région sont parvenus à s’affranchir, comme le montrent les indicateurs actuels de mortalité par sexe. Du fait de l’effectif de sa population, la situation observée en Chine pèse toutefois très lourd sur les différences de mortalité selon le sexe dans la région.
Taux de mortalité infantile, quotient de mortalité des enfants de moins de cinq ans et rapport des quotients masculins aux quotients féminins par pays (2006)

Taux de mortalité infantile, quotient de mortalité des enfants de moins de cinq ans et rapport des quotients masculins aux quotients féminins par pays (2006)
143En Chine, la surmortalité des petites filles s’observe pendant la première année de vie et dans les suivantes. Ce phénomène a été mis en évidence dans les cohortes nées depuis la fin des années 1930 (Coale et Banister, 1994 ; Riley et Gardner, 1997) mais il s’est aggravé au cours de la période la plus récente : au cours des années 1960 pour la mortalité juvénile, au cours des années 1980 pour la mortalité infantile. Aujourd’hui, l’écart de mortalité entre les deux sexes est particulièrement marqué pendant la première année de vie. Le tableau 13 présente les taux de mortalité infantile de la Chine selon le sexe et le rapport du taux féminin au taux masculin pour plusieurs périodes depuis le début des années 1970. Dans une population sans discrimination à relativement faible mortalité, ce rapport s’établit à 0,8 environ (Hill et Upchurch, 1995), ce qui correspond à un taux de mortalité infantile des filles inférieur de 20 % à celui des garçons. Les données réunies dans le tableau 13 montrent que la surmortalité des filles pendant la période infantile en Chine s’est aggravée très régulièrement au cours des trois dernières décennies du XXe siècle pour atteindre un niveau record en 2000 : le taux de mortalité des filles est alors supérieur de 47 % à celui des garçons, soit un niveau proche du double de celui attendu en l’absence de surmortalité des filles. Un tel niveau de surmortalité correspond à un excès de presque 100 000 décès annuels pour les petites filles au cours de la seule première année de vie.
Taux de mortalité infantile (pour mille) selon le sexe et surmortalité des filles en Chine entre 1973 et 2000

Taux de mortalité infantile (pour mille) selon le sexe et surmortalité des filles en Chine entre 1973 et 2000
144La surmortalité observée pendant la période juvénile (entre les premier et cinquième anniversaires) est devenue moins sévère depuis les années 1980, relativement à celle de la période infantile, tout en demeurant significative, avec un rapport des taux qui oscille autour de 1,1 depuis trente ans pour un rapport attendu d’environ 0,8, là encore, dans une population sans discrimination (Hill et Upchurch, 1995).
145Cette situation est attribuable à la préférence culturellement très ancrée pour les garçons associée à la forte baisse de la fécondité et à la dégradation relative de la situation économique dans les familles les plus démunies. Si l’infanticide des petites filles existe encore dans certaines zones rurales de Chine, c’est surtout la négligence dont elles sont victimes qui explique leur forte surmortalité (Banister, 2004 ; Li et al., 2004). La discrimination dont elles font l’objet se traduit notamment par un moindre accès de celles-ci aux soins de santé préventifs et curatifs dans un contexte où la privatisation des services de santé engendre un transfert parfois considérable des coûts de l’État vers les familles (Cailliez, 2002). La surmortalité des filles est particulièrement importante en zone rurale avec un rapport des taux selon le sexe atteignant 1,5 contre 1,3 en zone urbaine en 2000 [54]. L’écart selon le milieu de résidence pourrait présager d’une amélioration à venir lorsque, après avoir surtout bénéficié aux villes, l’essor économique du pays atteindra les campagnes. Il pourrait en être de même pour les inégalités économiques et sociales de mortalité, en Chine comme ailleurs en Asie de l’Est et du Sud-Est.
4 – Des variations considérables entre pays en matière médicale
146Pour illustrer la situation sanitaire de la région et comprendre un peu mieux les inégalités géographiques de la mortalité des enfants, examinons trois pratiques importantes pour la santé de la mère et de l’enfant : le suivi pendant la grossesse, l’assistance à l’accouchement et la vaccination, avant d’aborder la question de la malnutrition, persistante dans la région.
147Basé sur les données les plus récentes rassemblées par l’Unicef, le tableau annexe A.11 présente pour chacun des seize pays les quotients de mortalité néonatale, infantile et infanto-juvénile, la proportion de naissances survenant sans aucune consultation prénatale, la proportion d’enfants vaccinés contre la rougeole et enfin la proportion d’enfants souffrant de malnutrition chronique (sévère) responsable d’un retard de croissance. Le tableau 14 indique pour tous ces indicateurs les moyennes sous-régionales.
Mortalité infantile et infanto-juvénile, suivi prénatal, conditions d’accouchement, vaccination contre la rougeole et malnutrition des enfants par sous-région en 2000-2006

Mortalité infantile et infanto-juvénile, suivi prénatal, conditions d’accouchement, vaccination contre la rougeole et malnutrition des enfants par sous-région en 2000-2006
148La région dans son ensemble est relativement privilégiée en matière de suivi des grossesses. En moyenne, moins de 10 % des mères accouchent sans avoir pu bénéficier d’une seule visite prénatale (tableau 14). Les disparités régionales sont par ailleurs faibles (la proportion est de 9 % en Asie de l’Est et de 11 % en Asie du Sud-Est). Cependant, les différences sont considérables entre des pays parfois voisins, à l’intérieur d’une sous-région, reflétant les écarts en matière de politiques sanitaires et de contexte socio-économique (tableau A.11). Tandis que dans plusieurs pays (Japon, Corée du Sud, Brunei, Singapour, Mongolie et Thaïlande), toutes les femmes enceintes ou presque bénéficient d’au moins une visite prénatale, l’absence de suivi concerne plus de 20 % d’entre elles en Malaisie et au Myanmar, 31 % au Cambodge, 39 % au Timor oriental, et 73 % au Laos. Notons que la Chine et le Vietnam, où cette proportion est de 10 % environ, sont en relativement bonne position.
149Les inégalités géographiques sont encore plus importantes en matière d’assistance médicale à l’accouchement (tableau annexe A.11 et tableau 14), avec des situations excellentes, là encore, dans l’ensemble de l’Asie de l’Est et dans les pays les plus industrialisés de l’Asie du Sud-Est (Brunei, Malaisie, Thaïlande et Singapour) et d’autres, préoccupantes, en Indonésie (28 % des accouchements sans assistance de personnel qualifié), aux Philippines (40 %), au Myanmar (43 %), au Cambodge (56 %) et, surtout, au Laos et au Timor oriental où cette proportion est supérieure à 80 %. Comme une forte relation existe entre le suivi prénatal et l’assistance médicale à l’accouchement (sauf, curieusement, en Malaisie), dans ces derniers pays, les risques de mortalité tant maternelle qu’infantile sont donc démultipliés, une situation clairement illustrée par le niveau de la mortalité néonatale (tableau A.11) : le taux est aujourd’hui très faible au Japon, à Singapour, en Corée du Sud et, dans une moindre mesure, au Brunei et en Malaisie (5 ‰ au plus), alors qu’il est encore considérable au Cambodge, au Myanmar, au Timor oriental et au Laos (35 à 40 ‰).
150La couverture vaccinale, mesurée ici par la vaccination contre la rougeole [55] (particulièrement efficace pour faire reculer la mortalité des jeunes enfants), est un autre aspect de l’accès aux services de santé de base. Le taux de couverture est très élevé, avec un pourcentage proche de 100 dans la plupart des pays, notamment en Asie de l’Est. Des préoccupations demeurent toutefois concernant certains pays déjà cités et, tout particulièrement, le Laos (moins d’un enfant de moins de 5 ans sur deux est vacciné contre la rougeole) et le Timor oriental (moins des deux tiers). Plus inquiétant, l’Asie du Sud-Est est la seule région au monde où une stagnation, voire une baisse des taux de couverture a été observée au cours de la décennie passée, alors que les progrès ont été considérables en Afrique sub-saharienne. Près de 180 000 des quelque 350 000 décès d’enfants enregistrés chaque année dans le monde du fait de la rougeole (contre plus de six millions quarante ans plus tôt) se produisent en Asie (Wolfson et al., 2007). Parmi les 45 pays identifiés par l’Unicef et l’Organisation mondiale de la santé comme prioritaires en la matière figurent l’Indonésie, le Myanmar, le Timor oriental, le Cambodge, le Laos et le Vietnam. Ces 45 pays enregistrent à eux seuls plus de 95 % des décès par rougeole. Si la relation entre vaccination contre la rougeole et mortalité des enfants n’est pas systématique, ce sont globalement les pays où le taux de couverture vaccinale est inférieur à 80 % qui se caractérisent par la mortalité la plus élevée avant l’âge de 5 ans, soit le Myanmar (avec un taux qui atteignait encore plus de 100 ‰ en 2006), le Cambodge (82 ‰) et le Laos (75 ‰). Quelques exceptions sont néanmoins à signaler, comme l’Indonésie où le taux de mortalité des enfants de moins de 5 ans est de 34 ‰, soit plus de deux fois moindre qu’au Cambodge pour une couverture vaccinale inférieure, et le Timor oriental (55 ‰ pour une couverture vaccinale de 64 %). Ces données illustrent l’efficacité de la stratégie des soins de santé primaire qui consiste à favoriser les interventions verticales centrées sur les maladies (programme de vaccination systématique en l’occurrence) malgré un contexte socio-économique défavorable, ces deux pays ayant bénéficié de campagnes très soutenues menées par leur gouvernement ou par des organismes internationaux.
151Conséquence des conditions de vie, de la faiblesse du pouvoir d’achat dans certains pays et de la pauvreté d’une partie des populations, la malnutrition des enfants demeure un problème majeur : un enfant sur quatre souffre d’un retard de croissance dans la région, soit moins qu’en Asie du Sud (40 %) ou en Afrique sub-saharienne (45 %) mais plus que dans le Monde arabe et le Moyen-Orient (moins de 20 %) ou qu’en Amérique latine (16 %). De récentes estimations font état de 3,5 millions de décès d’enfants de moins de 5 ans favorisés par la malnutrition en Asie de l’Est et du Sud-Est (Black et al., 2008). Non seulement la plupart des maladies infectieuses et parasitaires de la petite enfance sont souvent cause de malnutrition par la perte d’appétit et par les diarrhées qu’elles provoquent, mais la malnutrition elle-même est très souvent facteur de morbidité et de mortalité car elle entraîne un affaiblissement du système immunitaire, accroissant la susceptibilité à un grand nombre de maladies mortelles de la petite enfance. Presque 70 % des enfants concernés par ce problème vivent en Asie. Dans les deux sous-régions étudiées, les carences en zinc et en vitamine A sont responsables à elles seules de plus de 60 000 décès d’enfants de moins de 5 ans (Black et al., 2008). Cependant, comme pour les autres indicateurs de santé, les variations géographiques sont considérables, non seulement entre les deux sous-régions (22 % d’enfants malnutris en Asie de l’Est, contre 31 % en Asie du Sud-Est) mais également entre pays, avec des proportions qui varient de moins de 5 % à Singapour (et sans doute moins au Japon et en Corée du Sud où les chiffres font défaut) à plus de 55 % au Timor oriental (tableau annexe A.11). Certes, l’Asie de l’Est serait la région du monde qui aurait progressé le plus rapidement en la matière au cours de la dernière décennie avec un recul de plus de 30 % de la malnutrition chez les enfants, mais la situation demeure préoccupante en Asie du Sud-Est où la moitié des enfants de moins de 5 ans souffrent d’insuffisance pondérale modérée ou sévère [56]. Plus préoccupant encore, la situation menace de s’aggraver non seulement dans certains pays affectés par des crises politiques ou des catastrophes naturelles (Myanmar et Timor oriental en particulier), mais également au sein des populations les plus pauvres des autres pays de la région, susceptibles de souffrir de manière disproportionnée de l’accroissement des prix des denrées alimentaires sur le marché mondial (FAO, 2003).
5 – De fortes inégalités géographiques et sociales au sein des pays
152Aussi différentes que soient leurs histoires politiques et économiques, tous les pays de la région connaissent – comme ailleurs – de profondes inégalités sociales et régionales dans le domaine de la santé et de la mortalité des enfants. Les variations géographiques au sein des pays sont partout supérieures à celles que l’on observe d’un pays à l’autre. En Indonésie par exemple, une analyse des statistiques de l’état civil permet d’établir que le taux de mortalité infantile variait, en 1999, de 24 ‰-25 ‰ dans les provinces de Jakarta et de Yogyakarta à 81 ‰ dans celle de Nusa Tenggara Barat et que le taux de mortalité entre 1 et 5 ans allait d’environ 5 ‰ dans les deux premières provinces à plus de 40 ‰ dans la dernière [57].
153Les enquêtes de type EDS (Enquêtes démographiques et de santé) ou MICS (Multiple Indicator Cluster Surveys) [58] permettent quant à elles de mesurer les écarts entre groupes sociaux au sein de populations dont le système d’état civil est défaillant. Malheureusement, rares sont les pays de la région ayant participé à ces programmes et les données d’autres enquêtes nationales récentes équivalentes sont pour beaucoup difficilement accessibles. Les résultats recueillis dans les quelques pays qui ont bénéficié d’enquêtes démographiques et de santé ou à indicateurs multiples sont toutefois très informatifs en matière de différences de mortalité entre les enfants. Le tableau 15 présente les écarts de mortalité à différents âges de la petite enfance en fonction, d’une part, du niveau d’instruction de la mère (femmes ayant atteint au moins le niveau secondaire vs femmes sans instruction) et, d’autre part, du milieu de résidence (urbain vs rural) dans les cinq pays pour lesquels au moins une enquête est disponible, à savoir le Cambodge, l’Indonésie, les Philippines, la Thaïlande et le Vietnam.
Rapport des taux de mortalité dans l’enfance en fonction des caractéristiques de la mère, 1987-2005 (%)

Rapport des taux de mortalité dans l’enfance en fonction des caractéristiques de la mère, 1987-2005 (%)
154Plusieurs points sont à souligner. Tout d’abord, les écarts sont considérables, aussi bien selon le niveau d’instruction de la mère que selon le milieu de résidence. Au cours des années les plus récentes, les enfants nés en milieu rural avaient une probabilité de décéder avant l’âge de 5 ans supérieure d’au moins 50 % à celle des enfants nés en milieu urbain, atteignant même le double au Vietnam. L’écart est encore plus important en fonction du niveau d’instruction de la mère, soit un rapport proche de 2,5 dans les pays considérés et même de 3,7 aux Philippines. Si l’on peut en juger d’après ces informations très limitées, il semble donc que les caractéristiques de la mère jouent un rôle plus important en matière de mortalité des enfants que l’accès aux soins de santé ou d’autres facteurs contextuels. Deuxième point important : les inégalités paraissent s’être aggravées dans certains pays, comme le Cambodge et surtout le Vietnam. Dans ce dernier pays, le rapport des taux de mortalité infanto-juvénile selon le milieu de résidence et le niveau d’instruction de la mère s’est accru, passant respectivement de 1,6 à 2,2 et de 2,0 à 2,3 entre l’enquête de 1997 et celle de 2002, soit en seulement cinq ans. Ce phénomène n’est toutefois pas forcément le signe d’une dégradation car la période a bénéficié d’un essor économique très rapide et il traduit donc, vraisemblablement, un effet de sélection des groupes de population les plus démunis ou, en tout cas, dans un contexte d’amélioration générale des conditions de vie, un progrès plus rapide en ville et dans les groupes les plus favorisés qu’à la campagne ou parmi les plus démunis. Troisième point : l’ampleur des écarts varie de manière considérable en fonction de l’âge (avec une distinction entre les périodes néonatale, post-néonatale et juvénile), sans que soit toutefois clairement perceptible une tendance systématique qui concernerait l’ensemble des pays considérés. Soulignons cependant que lorsque l’on analyse le niveau de la mortalité en fonction du niveau d’instruction de la mère, les écarts sont globalement beaucoup plus marqués pendant la période juvénile qu’infantile. Le Vietnam fait exception à ce schéma dans la mesure où ce facteur est particulièrement discriminant pendant le premier mois de vie (avec un rapport des taux de mortalité néonatale atteignant près de 3,6) mais ce pays se caractérisant par un accès à l’éducation globalement élevé, les femmes n’ayant jamais été scolarisées appartiennent à un groupe particulièrement marginalisé et peu représenté dans la population, ce qui pourrait expliquer cet écart important. Au Vietnam, le rapport des taux de mortalité juvénile selon le niveau d’instruction de la mère est néanmoins très inférieur à celui observé dans les autres pays. Notons par ailleurs que les écarts relatifs sont particulièrement importants là où la mortalité des enfants a atteint un niveau faible globalement. Ainsi, par exemple, la Thaïlande affiche un rapport de 1 à 10 pour la mortalité juvénile entre les enfants des femmes sans instruction (par ailleurs peu nombreuses dans ce pays) et ceux des femmes ayant atteint au moins le niveau secondaire mais les taux ne sont, respectivement, que de 21 ‰ et de 2 ‰. En Chine, le niveau d’instruction de la mère est également un déterminant important du niveau de mortalité des enfants, mais beaucoup moins qu’en Thaïlande. Au recensement de 1990, le taux de mortalité infantile était en effet trois fois plus élevé chez les Chinoises illettrées ou semi-illettrées (47 ‰) que chez celles qui avaient fréquenté au moins l’école secondaire (14 ‰) (Han et Li, 1999).
155Des informations réunies tant par des enquêtes que par des recensements ou par d’autres types de sources permettent de comprendre les mécanismes sous-jacents à ces écarts. On sait ainsi, par exemple, qu’en matière d’hygiène l’écart est considérable entre milieu urbain et milieu rural : au moins 80 % de la population vivant en ville dans les seize pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est a directement accès à une source d’eau potable (100 % au Brunei, au Japon, en Malaisie, en Corée du Sud et à Singapour), à l’exception du Cambodge (65 %), tandis que c’est le cas de moins de 70 % de la population vivant en zone rurale dans presque la moitié d’entre eux (et moins de 35 % au Cambodge et en Mongolie). Comparées aux villes, les campagnes sont aussi très souvent dépourvues de réseaux d’assainissement, avec des écarts dans la proportion de la population ayant accès à des installations considérées comme « adéquates » selon les normes internationales, qui varient du simple au double en Chine, en Indonésie, en Mongolie, au Timor oriental et au Vietnam, du simple au triple au Laos et même du simple au quintuple au Cambodge (Unicef, 2008). Les conditions sanitaires générales sont ainsi clairement plus favorables en milieu urbain qu’en milieu rural. Avec seulement 8 % de la population rurale du Cambodge bénéficiant d’installations sanitaires considérées par l’Organisation mondiale de la santé comme adéquates, 20 % au Laos, 28 % en Chine et 33 % au Timor oriental (Unicef, 2008), la situation est pire qu’en Afrique sub-saharienne (où 37 % de la population totale a accès à des installations d’assainissement), ce qui explique la fréquence des maladies infectieuses et parasitaires, dont sont principalement victimes les jeunes enfants dans la plupart des pays de la région.
156Par ailleurs, toutes les données d’enquêtes montrent à quel point les caractéristiques de la mère influent sur l’adoption de comportements de santé favorables aux enfants. La vaccination en particulier, l’un des facteurs de prévention essentiels pour lutter contre la mortalité prématurée due aux maladies contagieuses les plus fatales, varie considérablement entre groupes sociaux. Les données des enquêtes démographiques et de santé déjà citées indiquent que les enfants dont la mère a atteint au moins le niveau secondaire sont toujours (dans les cinq pays concernés par ces enquêtes) deux, trois, voire quatre fois (EDS indonésienne 2002-2003) plus souvent vaccinés que ceux dont la mère n’a reçu aucune instruction [59]. Plus préoccupant : dans les pays pour lesquels plus d’une enquête a été réalisée, les écarts, loin de se réduire, tendent plutôt à s’accroître. En outre, il existe une relation forte, d’une part, entre le niveau d’instruction et le milieu de résidence et, d’autre part, entre la vaccination et d’autres comportements de santé (réhydratation pour lutter contre les effets délétères de la diarrhée, recours aux moustiquaires pour prévenir le paludisme, consultation médicale en cas d’épisode pathologique grave, etc.), si bien que dans certains groupes de population, les enfants cumulent tous les risques. Le développement économique rapide de la région peut toutefois laisser espérer que se produira un rattrapage progressif au profit de ces populations même si, pour le moment, les mieux lotis sont aussi ceux pour lesquels l’amélioration est la plus rapide.
XII – Les structures par sexe et âge : des transformations spectaculaires
157Avec un âge médian supérieur à 31 ans vers 2005, moins d’un quart de la population âgée de moins de 15 ans, et plus de 10 % de personnes de 60 ans ou plus, l’Asie de l’Est et du Sud-Est se distingue par une avance considérable sur le reste du monde en développement en matière d’évolution démographique structurelle (tableau 16). Le vieillissement rapide qui la caractérise se traduit par un rapprochement progressif de sa structure par âge de celle des pays développés, même si ces derniers se situent encore bien loin devant elle pour tous ces indicateurs.
Indicateurs des structures par âge et par sexe par sous-région en 2005

Indicateurs des structures par âge et par sexe par sous-région en 2005
158Le changement a été d’autant plus spectaculaire que, contrairement à l’Amérique latine et la Caraïbe, où la transition démographique s’est produite de manière à la fois précoce et relativement lente, les niveaux de fécondité et de mortalité y figuraient encore parmi les plus élevés au monde il y a une quarantaine d’années. Ainsi, dans l’ensemble de la région, la proportion des moins de 15 ans est passée de 35 % en 1950 à seulement 23 % en 2005 et celle des 60 ans et plus a progressé de 7 à 11 % au cours de la même période. En outre, cette évolution ira en s’accélérant dans les deux ou trois décennies à venir du fait des tendances actuelles de la mortalité et de la fécondité, qui n’ont pas encore fait sentir tous leurs effets sur la structure par âge de la population. Ce vieillissement rapide, sur lequel nous reviendrons plus loin en détail, représente le défi démographique premier de l’Asie de l’Est et du Sud-Est en ce début de XXIe siècle et il le restera très probablement au moins jusqu’en 2050. Il est toutefois contrebalancé par le fait que la proportion d’adultes d’âge actif (15-59 ans) demeurera relativement stable à un niveau élevé pendant toute la période, oscillant entre 60 % et 65 %. De fait, après avoir atteint un minima vers 1965-1970, cette proportion, qui était alors de l’ordre de 50-55 %, a progressivement augmenté et elle n’atteindra son maximum que vers 2020 (67 %) avant de décliner lentement par la suite.
1 – Des variations inter et intra-régionales considérables
159L’examen des structures par âge et sexe des populations au niveau des sous-régions et des pays révèle d’importants contrastes (tableau 16 et tableau A.12 en annexe). La population de l’Asie de l’Est est beaucoup plus âgée que celle de l’Asie du Sud-Est : l’âge médian y atteint plus de 33 ans contre seulement 26 chez sa voisine. En outre, non seulement la proportion de jeunes de moins de 15 ans dans cette deuxième sous-région est de moitié plus élevée qu’en Asie de l’Est (presque 30 % contre à peine plus de 20 %), mais la part relative des personnes âgées de 60 ans et plus est également très inférieure à celle de l’Asie de l’Est (8 % contre plus de 12 %). Les pays les plus « jeunes » de la région, à savoir le Timor Leste (avec un âge médian de 17 ans), le Laos (19 ans) et le Cambodge (20 ans), se trouvent tous situés en Asie du Sud-Est. Inversement, tous les pays d’Asie de l’Est à l’exception de la Mongolie (où l’âge médian de la population est de 24 ans) se caractérisent par un âge médian supérieur à 30 ans, le record étant détenu par le Japon (43 ans). Notons toutefois les exceptions que constituent, en Asie du Sud-Est, Singapour et la Thaïlande, dont les âges médians sont relativement élevés (respectivement 37,5 et 33 ans).
160Évidemment, les pays se caractérisant par le plus faible âge médian sont aussi ceux dans lesquels la part de la population de moins 15 ans est la plus importante. Ainsi, par exemple, le pays dont l’âge médian est le moins élevé, à savoir le Timor oriental, est aussi celui où la proportion de jeunes de 0-14 ans est la plus forte (45 % en 2005). De même, au Laos comme au Cambodge, les 0-14 ans représentent presque 40 % du total. Dans ces trois pays, la proportion des personnes âgées de 60 ans ou plus est au contraire très faible (environ 5 %). Cette proportion est en revanche importante dans les pays où l’âge médian de la population est élevé : supérieure à 25 % au Japon et à 10 % en Chine, en Thaïlande, à Singapour et dans les deux Corée.
161Examinons plus en détail les évolutions des pyramides des âges de 1950 à 2000 et les perspectives jusqu’en 2030 dans quatre pays (la Chine, le Cambodge, l’Indonésie et Singapour) qui illustrent bien la diversité des structures démographiques observées dans la région (figure 26). Si l’Indonésie et le Cambodge présentent des structures de forme pyramidale typiques de la période pré-transitionnelle en 1950, celles des deux autres pays se différencient dès cette époque. La Chine se caractérise par un net décrochement entre les deux premiers groupes d’âges, dû à la forte hausse de la natalité au début des années 1950, après la prise de pouvoir par les communistes. La particularité de la pyramide de Singapour est d’afficher un renflement qui concerne surtout les hommes âgés de 30 à 50 ans et qui s’explique par un important mouvement historique d’immigration, essentiellement en provenance de Chine et d’Inde. Aujourd’hui, la forme pyramidale a disparu dans les quatre pays. Les situations nationales se sont diversifiées et elles continueront à diverger au cours des décennies à venir. Les pyramides les plus régulières en 2000 sont celles du Cambodge et de l’Indonésie mais même dans ces deux pays, leur forme s’éloigne de celle si caractéristique des années 1950.
162Au Cambodge, la rupture engendrée par le régime des Khmers rouges des années 1975 à 1979, responsable de l’un des pires génocides de l’histoire mondiale, apparaît très clairement entre les 15-19 et les 20-24 ans sur la pyramide de 2000. Cette rupture traduit non seulement l’accroissement considérable de la mortalité, 25 % de la population étant décédée pendant ces seules cinq années, mais aussi une baisse brutale de la fécondité, qui s’est alors réduite d’un tiers (Heuveline, 2007). Cette période tragique a été suivie d’un rebond presque tout aussi spectaculaire avec une reprise rapide de la fécondité qui s’est établie à un niveau supérieur à celui qui précédait la période des Khmers rouges, autour de 7 enfants par femme, et qui s’est prolongée pendant une bonne décennie. Malgré un déclin progressif après cette phase de baby-boom, la fécondité demeure aujourd’hui à un niveau relativement élevé (4 enfants par femme) qui explique la base encore large de la pyramide pour ce pays et la proportion importante de jeunes de moins de 15 ans en 2000 (42 %). La crise démographique des années 1970 explique les différences observées entre la structure par âge de la population cambodgienne et celles des populations du Laos et du Timor oriental dont la forme pyramidale sera préservée au moins jusqu’en 2030. La Mongolie, le Vietnam et le Brunei sont également assez proches de ce schéma mais une baisse de la fécondité, régulière et beaucoup plus substantielle qu’au Cambodge, au Laos et au Timor oriental, y modifiera rapidement la structure par âge avec un rétrécissement marqué de la base de la pyramide. Dans tous ces pays, la proportion de jeunes de moins de 15 ans atteindra encore 20 % à 30 % en 2050 contre seulement 10 % à 15 % dans presque tous les pays d’Asie de l’Est et, à l’exception du Vietnam (où elle s’établira à 26 %), la part des personnes âgées y sera encore relativement faible (autour de 15 % à 18 %).
163La structure de la pyramide indonésienne (figure 26) est très représentative de celle de l’Asie du Sud-Est dans son ensemble et très proche de celle des Philippines, du Myanmar, de la Malaisie et de la Thaïlande. Déjà perceptible aujourd’hui, la forme en cloche se précise au fur et à mesure que l’on se rapproche de 2030 et traduit une évolution très régulière à la baisse de la mortalité et de la fécondité. Les rapports respectifs des trois grands groupes d’âges, à savoir les jeunes, les adultes d’âge actif et les personnes âgées, se situent à des niveaux intermédiaires entre ceux des pays qui viennent d’être décrits et ceux des pays engagés plus précocement ou plus résolument dans la transition démographique. Ainsi, les moins de 15 ans représenteront 16-17 % et les 60 ans et plus, environ 22-25 % de la population totale en 2030.
Pyramide des âges de la Chine, du Cambodge, de l’Indonésie et de Singapour en 1950, 2000 et 2030

Pyramide des âges de la Chine, du Cambodge, de l’Indonésie et de Singapour en 1950, 2000 et 2030
164Les deux autres pays choisis sont particulièrement illustratifs des transitions démographiques rapides et le faible niveau de fécondité qui y est aujourd’hui atteint se traduit par un très net étranglement de la pyramide. En Chine comme à Singapour, la structure observée aujourd’hui évoluera relativement peu d’ici 2030, sinon par un rétrécissement de plus en plus prononcé de la base de la pyramide, particulièrement marqué dans ce dernier pays. Les irrégularités de forme observées tant en 2000 qu’en 2030 s’expliquent par des facteurs globalement similaires mais décalés dans le temps. À Singapour, la baisse de la fécondité est relativement ancienne puisqu’elle a démarré dès le début des années 1950 et que le seuil de remplacement des générations était atteint en 1975 (Barbieri, 2006). Elle a accompagné une amélioration rapide de l’état de santé de la population, engendrant un vieillissement accéléré qui n’a été qu’en partie compensé par un fort mouvement d’immigration. Cette histoire démographique explique le rétrécissement précoce de la pyramide des âges et les gonflements observés pour certains groupes. En Chine, la transition démographique est plus récente, comme l’indique la forme encore relativement régulière de la pyramide en 2000. Par ailleurs, dans ce pays, comme en Corée du Nord, les crises politiques et sanitaires qui ont marqué le XXe siècle ont produit des indentations très marquées de la structure par âge. Un lissage progressif de la pyramide est toutefois anticipé et le maintien de la fécondité à un faible niveau combiné à une baisse continue de la mortalité attendue dans ces pays produira une forme plus proche du sapin, comme celle actuellement observée au Japon et en Corée du Sud. Tous ces pays ont pour caractéristique commune d’enregistrer les plus faibles proportions de jeunes (de l’ordre de 10 % à 15 % en 2030) et les plus fortes proportions de personnes âgées de la région aujourd’hui et dans les décennies à venir (plus de 30 % en 2030).
2 – Un déséquilibre marqué entre les sexes
165En ce qui concerne les rapports de masculinité, l’Asie de l’Est se distingue par un déséquilibre très marqué entre les sexes alors que, dans l’ensemble, le rôle des mouvements migratoires sur la structure démographique est négligeable. Tandis que, à l’échelle mondiale, l’effectif de chacun des deux sexes est très comparable (le ratio étant proche de 102 hommes pour 100 femmes), l’Asie de l’Est compte environ 105 hommes pour 100 femmes, soit un rapport proche de celui observé dans le Monde arabe et au Moyen-Orient, ainsi qu’en Asie du Sud (tableau 16). En Asie du Sud-Est, le rapport de masculinité (100 hommes pour 100 femmes) est au contraire inférieur à la moyenne mondiale. Il convient toutefois de modérer ces propos dans la mesure où le fort déséquilibre entre les sexes observé en Asie de l’Est est uniquement le fait de la Chine, où le rapport de masculinité est proche de 107, tandis que, dans les autres pays de la sous-région, il est soit égal à 100 (en Corée du Sud et en Mongolie), soit inférieur à ce niveau (Corée du Nord et, surtout, Japon) (tableau A.12). Des rapports de masculinité proches de celui de la Chine s’observent également dans certains pays de l’Asie du Sud-Est (le Brunei et le Timor oriental, où ils atteignent, respectivement, 108 et 103 hommes pour 100 femmes) mais ces derniers sont peu peuplés et pèsent donc très modestement sur le rapport observé au niveau de la sous-région.
3 – Rapports de dépendance et dividendes démographiques
166La baisse récente et rapide de la fécondité a provoqué, comme dans d’autres régions en développement, une baisse simultanée des rapports de dépendance [60] dans presque tous les pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est. On observe une évolution actuellement très favorable du rapport de dépendance (soit un faible nombre d’enfants et de personnes âgées à la charge des adultes) qui est sur le point d’atteindre son minimum dans de nombreux pays de la région. Plus la baisse de la fécondité a été précoce et/ou rapide, plus le minimum du rapport de dépendance est faible et se situe à une date proche de celle d’aujourd’hui. La figure 27 illustre, pour les quatre pays représentatifs de la région (Cambodge, Indonésie, Chine et Singapour) trois types de rapports de dépendance : le rapport de dépendance des enfants, qui est le nombre des enfants de moins de 15 ans pour 100 adultes de 15-64 ans ; le rapport de dépendance des personnes âgées (nombre de personnes de 65 ans ou plus pour 100 adultes de 15-64 ans) ; et le rapport de dépendance total, qui est la somme des deux précédents rapports. Dans les pays représentés, selon les estimations des Nations unies les plus récentes (2006a), le minimum du rapport de dépendance total sera d’abord atteint, soit en 2012 exactement, en Chine et à Singapour où il s’établira alors, respectivement, à 39 et 34 personnes dépendantes pour 100 actifs (soit près de trois fois plus d’actifs que de jeunes et de personnes âgées). Il surviendra plus tard en Indonésie (2024) et au Cambodge (2045) et ne baissera pas autant (43 et 44 personnes dépendantes pour 100 actifs, respectivement). Jusqu’à ce minimum, la courbe du rapport de dépendance total suit presque exactement celle du rapport de dépendance des enfants (nombre d’enfants de moins de 15 ans pour 100 adultes de 15-64 ans). Ensuite se produit un décrochement entre les deux courbes et un rapprochement progressif de la courbe du rapport de dépendance total de celle du rapport de dépendance des personnes âgées (nombre de personnes de 65 ans et plus pour 100 adultes de 15-64 ans). Cette évolution est très manifeste à Singapour notamment mais elle concernera tous les pays à plus ou moins long terme. Après avoir atteint son minimum, le rapport de dépendance total remonte partout d’autant plus rapidement qu’il a diminué, si bien qu’en 2050 il atteindrait 79 à Singapour, 64 en Chine, 56 en Indonésie et 47 au Cambodge – cette évolution étant amenée à se poursuivre bien au-delà du milieu du XXIe siècle du fait de l’inertie démographique. La diminution des rapports de dépendance, en réduisant la pression démographique exercée par les jeunes et les plus âgés sur les populations d’âge actif (par une réduction notamment des investissements nécessaires à leur instruction, pour les premiers, et à leur santé, pour les deux groupes), a des implications sociales et économiques potentiellement importantes. Soulignons toutefois que cet indicateur purement démographique ne correspond à un réel rapport de dépendance économique que sous certaines hypothèses rarement respectées, à savoir que tous les individus de moins de 15 ans et de 65 ans ou plus soient inactifs et que tous les adultes de 15-64 ans soient au contraire actifs. En fait, la dépendance économique peut être aggravée par un marché de l’emploi déprécié, les chômeurs accroissant la part de la population dépendante économiquement et, inversement, elle peut être allégée par une proportion importante d’actifs parmi les jeunes et les plus âgés. Dans un environnement économique favorable, la baisse des rapports de dépendance permettrait de récolter ce que l’on qualifie parfois de « dividendes démographiques », soit une accélération de la croissance économique et du développement humain liée à ces modifications des structures démographiques. Comme nous l’avons souligné, cela dépend à l’évidence de multiples autres facteurs économiques et politiques.
Rapports de dépendance des enfants (0-14 ans/15-64 ans), des personnes âgées (65 ans ou plus/15-64 ans) et total (0-14 ans et 65 ans ou plus/15-64 ans), Chine, Cambodge, Indonésie et Singapour, 1950-2050

Rapports de dépendance des enfants (0-14 ans/15-64 ans), des personnes âgées (65 ans ou plus/15-64 ans) et total (0-14 ans et 65 ans ou plus/15-64 ans), Chine, Cambodge, Indonésie et Singapour, 1950-2050
4 – Un vieillissement accéléré de la population
167Le vieillissement est en Asie un problème récent mais qui représente aujourd’hui un phénomène durable dont les effets ne se feront vraiment sentir que dans trois ou quatre décennies, lorsque la part des personnes âgées de 60 ans ou plus aura dépassé celle des moins de 15 ans. Aujourd’hui, pour la région dans son ensemble, le nombre des personnes âgées augmente beaucoup plus vite que celui de la population générale, soit 3 % par an contre moins de 1 %. En outre, l’écart entre ces deux taux de croissance ira s’amplifiant au cours des décennies à venir, dans la mesure où le rythme d’accroissement se réduira beaucoup plus vite pour la population générale (0,2 % par an en Asie du Sud-Est en 2045-2050, pour être même négatif, à – 0,4 % par an, en Asie de l’Est) que pour celle des personnes âgées de 60 ans et plus (0,7 % par an en Asie du Sud-Est en 2045-2050 et encore près de 2,0 % par an en Asie de l’Est). Selon les Nations unies (2006a), en 2020, la part des moins de 15 ans devrait s’établir au-dessous de 20 % et celle des 60 ans ou plus sera de l’ordre de 17 % tandis que l’âge médian aura dépassé 30 ans. En 2040, avec toute la prudence qui s’impose dans l’utilisation de ces perspectives plus lointaines et donc plus incertaines, l’âge médian sera proche de 43 ans, les moins de 15 ans ne représenteront plus que 16 % de la population totale et les 60 ans ou plus plus du quart. Il y aura donc presque deux fois plus de personnes âgées que de jeunes, une évolution démographique qui s’accompagnera sans aucun doute de conséquences économiques, sociologiques, culturelles et politiques majeures. Compte tenu de la masse démographique concernée par cette évolution, le nombre de personnes âgées de 60 ans ou plus à cette date sera considérable, soit près de 630 millions d’individus (et déjà 230 millions aujourd’hui), ce qui représente largement plus que l’ensemble de la population de l’Union européenne actuelle (qui compte 27 pays et quelque 450 millions d’habitants). Notons également un vieillissement rapide au sein même du groupe des personnes âgées, avec un taux de croissance annuelle de l’effectif des 80 ans ou plus qui s’établit actuellement à plus de 4,5 % dans les deux sous-régions. Ce rythme de croissance atteint aujourd’hui (2005-2010) son maximum mais il sera encore proche de 4 % par an en 2045-2050 (Nations unies, 2007).
5 – Un phénomène qui concerne particulièrement les femmes
168Le déséquilibre des effectifs par sexe observé sur l’ensemble de la population se pose d’une tout autre manière aux âges élevés. En effet, les femmes représentent une part croissante de la population des personnes âgées et cette part croît avec l’âge. Ainsi, les rapports de masculinité s’établissent aujourd’hui, chez les plus de 60 ans, à seulement 85 hommes pour 100 femmes en Asie du Sud-Est et à 90 en Asie de l’Est, et, chez les plus de 80 ans, à 70 et 60 hommes pour 100 femmes respectivement. Ce déséquilibre s’aggravera encore dans les décennies à venir du fait de l’accroissement plus rapide de l’espérance de vie des femmes que de celle des hommes. Selon les estimations les plus récentes des Nations unies (Nations unies, 2007), en 2005-2010, les femmes ont encore à 80 ans une espérance de vie de 8,5 ans en Asie de l’Est, et de 6,5 ans en Asie du Sud-Est ; cet indicateur atteindra respectivement 10,3 et 8,7 ans en 2045-2050. Pour les hommes, dont les espérances de vie à 80 ans s’établissent aujourd’hui à 6,5 ans en Asie de l’Est et à 6,0 ans en Asie du Sud-Est, l’augmentation sera beaucoup plus faible avec des espérances de vie à 80 ans qui atteindront, respectivement, 6,9 et 7,8 ans.
169Ces écarts dans les progrès de la longévité entre les deux sexes expliquent que les femmes vieillissent beaucoup plus souvent seules que les hommes, phénomène aggravé par la différence d’âge traditionnelle entre les époux. Le même rapport des Nations unies souligne que seulement 40 % des femmes âgées de 60 ans ou plus sont encore mariées en Asie du Sud-Est (55 % en Asie de l’Est) alors que c’est le fait de plus de 80 % des hommes du même âge dans les deux sous-régions. Toutefois, du fait de solidarités familiales encore fortes et de la cohabitation traditionnelle des générations, la proportion de femmes âgées de 60 ans ou plus vivant seules est beaucoup plus faible, autour de 10 % dans les deux sous-régions (contre 7 % pour les hommes en Asie de l’Est et seulement 3 % en Asie du Sud-Est, cette dernière sous-région ayant connu une baisse de la mortalité moins rapide que la première). La baisse rapide de la fécondité, et donc du nombre d’enfants qui, une fois adultes, pourront prendre en charge leurs parents âgés, conjuguée à un exode rural qui ira en s’intensifiant dans les années à venir et qui concerne exclusivement les jeunes, laissent toutefois présager une aggravation de la situation domestique des personnes âgées en général, et des femmes en particulier. Cela sera d’autant plus le cas que le relais institutionnel n’est pas envisageable à court terme, les pays de la région ne disposant pas encore de structures ou de programmes de soins destinés aux plus âgés, à l’exception de quelques-uns (le Japon en particulier).
XIII – L’urbanisation : la montée en puissance des villes
170Comme dans d’autres parties du monde, l’urbanisation rapide de la population de la région est l’une des transformations majeures de la seconde moitié du XXe siècle qui ne manquera pas de se poursuivre au XXIe siècle [61]. Encore essentiellement rurale il y a cinquante ans, la région comptera, dès 2015, plus d’urbains que de ruraux si l’on se fie aux perspectives démographiques établies par les Nations unies (Nations unies, 2008). Moins d’un habitant sur sept vivait en ville en 1950, un sur quatre en 1975, 40 % en 2000 et le taux d’urbanisation devrait atteindre 60 % vers 2025 (tableau 17). Au total, la population urbaine a été multipliée par 6 en 50 ans, passant de près de 140 millions en 1950 à plus de 800 millions en 2000 et, toujours selon les perspectives des Nations unies, elle atteindra 1,4 milliard en 2025. Par rapport à d’autres régions en développement, le taux d’urbanisation de l’Asie de l’Est et du Sud-Est se situe dans la moyenne. Il est aujourd’hui un peu supérieur à celui de l’Asie du Sud et de l’Afrique sub-saharienne mais encore très inférieur à celui du Monde arabe et du Moyen-Orient, et loin derrière celui de l’Amérique latine et de la Caraïbe.
Évolution du taux d’urbanisation par sous-région de 1950 à 2000 et perspectives pour 2025 (en %)

Évolution du taux d’urbanisation par sous-région de 1950 à 2000 et perspectives pour 2025 (en %)
171Un rattrapage est toutefois envisageable après 2025 compte tenu du rythme de croissance de la population urbaine beaucoup plus élevé en Asie de l’Est et du Sud-Est que dans les autres régions en développement depuis 1975. Ainsi, la population urbaine a crû de plus de 70 % au cours de la période 1975-2000 dans ces deux régions contre 60 % en Afrique sub-saharienne, 30 % en Asie du Sud et dans le Monde arabe et le Moyen-Orient, et seulement 25 % en Amérique latine et en Caraïbe. Les Nations unies estiment que, si le rythme d’urbanisation devrait partout se ralentir, il demeurera plus soutenu en Asie de l’Est et du Sud-Est qu’ailleurs : la population urbaine y augmentera de 50 % entre 2000 et 2025, contre 45 % en Afrique sub-saharienne, 35 % en Asie du Sud, 15 % dans le Monde arabe et le Moyen-Orient, et 10 % en Amérique latine et en Caraïbe.
1 – Des situations nationales contrastées
172Les deux sous-régions qui composent l’Asie de l’Est et du Sud-Est sont remarquablement proches en matière d’urbanisation : la part de la population urbaine y est très comparable au cours du temps, en tout cas depuis 1950. En revanche, d’importants contrastes sont observés tant en termes de niveau que de tendance au sein des deux sous-régions. Au début des années 1950, les taux d’urbanisation variaient de 7 % au Laos à déjà 100 % à Singapour (figure 28). Si l’on exclut ce dernier pays, le taux le plus élevé était celui du Japon (35 %). Entre le Laos et le Japon, l’Asie de l’Est et du Sud-Est présente tout un éventail de situations nationales. C’est encore le cas aujourd’hui mais sur une amplitude plus large, les rythmes de croissance urbaine au cours des cinq dernières décennies étant associés aux taux d’urbanisation observés en 1950 : plus la population urbaine était importante en 1950, plus elle s’est accrue rapidement pendant les cinq décennies suivantes. Ainsi, la proportion de population urbaine se situait en 2000 entre 17 % au Cambodge et 80 % en Corée du Sud, Singapour étant resté urbanisé à 100 %. On observe donc, globalement, une urbanisation moins rapide dans les pays les moins développés socio-économiquement. Le régime politique en vigueur pendant les années 1960 à 1980 intervient toutefois comme un facteur perturbateur de la relation entre urbanisation et croissance économique. Ainsi, à l’exception (notable) de la Corée du Nord, un taux d’urbanisation relativement faible par rapport au niveau de développement socio-économique caractérise aujourd’hui les pays ayant connu un régime communiste au cours des années 1960 à 1980, à savoir la Chine, le Cambodge, le Vietnam, le Myanmar et le Laos (figure 28). En effet, l’une des particularités de ces régimes politiques a été de maintenir par la force légale, voire de renvoyer les populations dans les campagnes. Le Cambodge est particulièrement illustratif de ce phénomène dans la mesure où les villes ont perdu près de 60 % de leurs effectifs après l’arrivée des Khmers rouges au pouvoir en 1975. Par contraste, le retour des populations en ville associé à un fort mouvement d’exode rural a provoqué un triplement de la population urbaine pendant les vingt années qui ont suivi leur départ en 1979. Compte tenu du potentiel démographique et de l’assouplissement des contraintes sur la mobilité géographique interne dans la plupart des pays concernés, les Nations unies considèrent que c’est là que se concentrera la croissance urbaine de la région dans les années à venir. Ainsi, selon leurs perspectives, entre 2000 et 2025, la population urbaine devrait augmenter d’au moins 100 % au Laos et au Cambodge et de 60 % environ en Chine, au Vietnam et au Myanmar. En revanche, l’augmentation atteindra moins de 20 % dans les deux Corée, au Japon, en Mongolie, au Brunei et 30 % en Thaïlande, en Malaisie et aux Philippines. L’Indonésie représente une exception à ce schéma avec une croissance urbaine estimée à plus de 100 % entre 1975 et 2000 et encore presque 60 % entre 2000 et 2025.
Taux d’urbanisation (%) en 1950 et en 2000 dans les seize pays de la région

Taux d’urbanisation (%) en 1950 et en 2000 dans les seize pays de la région
2 – La densification du réseau urbain
173Parallèlement à la croissance de la population urbaine, les cinquante dernières années ont été marquées par la multiplication du nombre des grandes villes. En 2000, la région concentre 136 des quelque 430 villes du monde qui comptent plus d’un million d’habitants, contre 22 (sur 78) en 1950. La Chine en compte actuellement 100 à elle seule, malgré son taux d’urbanisation relativement faible, tandis que quatre des seize pays de la région n’en comportent aucune (le Brunei, la Mongolie, le Laos et le Timor oriental). L’ Asie de l’Est et du Sud-Est comprend aujourd’hui 15 villes de plus de 5 millions d’habitants (3 de plus en 2015), dont cinq de plus de 10 millions : deux au Japon, Tokyo et Osaka-Kobe, deux en Chine, Pékin et Shanghai, et une aux Philippines, Manille. Deux s’y ajouteront encore d’ici 2015, à savoir Jakarta, en Indonésie, et Canton, en Chine (Nations unies, 2008). La population de Tokyo, l’agglomération de loin la plus peuplée de la région, dépasse les 35 millions d’habitants en 2005. De telles grandes villes sont certes le lieu d’innovations et de progrès sociaux et économiques, mais la plupart sont aussi confrontées au cumul de problèmes importants en matière d’emploi, de pollution, d’accès à l’eau potable, au logement, etc.
174Dans de rares pays de la région, ces grandes villes concentrent à elles seules une part importante de la population totale (tableau 18). Il s’agit, outre la cité-État de Singapour, du Japon, où près d’un habitant sur trois vit actuellement (2005) à Tokyo, et de la Corée du Sud, où un habitant sur cinq vit à Séoul. Ces deux villes concentrent, respectivement, 42 % et 25 % de la population urbaine totale du pays. Notons aussi que 50 % de la population urbaine du Cambodge vit à Phnom Penh. Ces proportions traduisent une « macrocéphalie » relative (soit une disproportion de la taille de la plus grande ville par rapport à celle des autres villes du pays) mais non démesurée par rapport au reste du monde en développement. En Thaïlande et au Myanmar, le poids des plus grandes villes est également important dans la mesure où environ 30 % de la population urbaine totale y vit. Ailleurs, le système urbain est plus équilibré, en particulier en Chine où seulement 5 % de la population urbaine du pays habite l’une des deux plus grandes métropoles (3 % à Pékin et 2 % à Shanghai) et où le réseau des très grandes villes est extrêmement développé : à côté des 100 agglomérations chinoises de plus d’un million d’habitants déjà mentionnées coexistent encore une cinquantaine de villes de plus de 750 000 habitants. En Indonésie et en Malaisie, moins de 10 % de la population urbaine totale vit dans la capitale. Le Vietnam est le seul pays de la région à se caractériser par un système urbain clairement bicéphale, avec presque la moitié de la population urbaine concentrée à Hanoi et à Hô Chi Minh-Ville.
Évolution de la population des principales villes de quelques pays de la région de 1950 à 2000 et perspectives pour 2015 (classement alphabétique des villes)

Évolution de la population des principales villes de quelques pays de la région de 1950 à 2000 et perspectives pour 2015 (classement alphabétique des villes)
3 – Une lente décélération de la croissance urbaine
175La phase de forte croissance démographique (en termes relatifs) des grandes villes est maintenant terminée, sauf en Chine (et au Cambodge mais pour d’autres raisons – voir plus haut). En Chine, l’urbanisation, jusqu’ici bridée par le régime politique, a connu un formidable essor avec le dynamisme économique contemporain et le passage à l’économie de marché. La fécondité des populations urbaines est maintenant inférieure au seuil de remplacement des générations, si bien que la croissance urbaine est exclusivement nourrie par l’exode rural et par l’expansion des villes aux dépens des campagnes environnantes (Hugo, 2003). Comme l’indiquent les données du tableau 18, six des huit plus grandes villes chinoises ont connu une croissance démographique plus forte sur la période 1975-2000 qu’en 1950-1975. Presque partout ailleurs, la période la plus récente se caractérise par une nette décélération de la croissance urbaine comparée à la période précédente. Les Nations unies considèrent que ce ralentissement se poursuivra dans les années à venir et que la population des plus grandes villes d’Asie de l’Est et du Sud-Est devrait se stabiliser au niveau atteint actuellement ou ne croître que très lentement. Le rythme annuel moyen de la croissance urbaine ne devrait pas être supérieur à 1 % dans la plupart des villes du tableau 18. La Chine sera elle aussi concernée par ce ralentissement, même si la population de ses plus grandes villes continuera à croître plus rapidement qu’ailleurs. Le Cambodge, le Vietnam et le Myanmar, trois anciens pays communistes dont le potentiel demeure important du fait de leur taux d’urbanisation relativement faible, sont les seuls pays de la région dans lesquels la croissance des plus grandes villes sera au moins aussi soutenue dans les années à venir qu’elle l’a été au cours des deux ou trois décennies passées.
176Le ralentissement de la croissance des grandes villes s’inscrit dans une tendance plus générale de décélération de la croissance urbaine, qui résulte de la baisse de la croissance naturelle et de la diminution progressive des mouvements migratoires entre la campagne et la ville. Dans presque tous les pays de la région, les taux de croissance urbaine en 2000-2005 sont en effet beaucoup plus faibles que dans les années 1970 (entre 0,5 % et 3 % en 2000-2005, contre 3 % à 5,5 % dans la plupart des pays en 1970-1975). Là encore, les pays communistes représentent une exception notable, avec des taux plus élevés actuellement qu’au cours de la période précédente en Chine, au Cambodge, au Vietnam et au Laos. Le Timor oriental, caractérisé par de faibles taux d’urbanisation et de croissance économique, est une autre exception avec un rythme d’accroissement moyen qui est passé de 5 % à 7 % par an entre 1970-1975 et 2000-2005. Néanmoins, le ralentissement de la croissance des grandes villes est presque partout plus prononcé que celui de l’ensemble du milieu urbain, et la part des grandes villes dans le total de la population urbaine a par conséquent eu tendance à diminuer dans un bon nombre des pays de la région, même si cette évolution est moins fortement marquée que dans d’autres parties du monde en développement. La part représentée par la première ville du pays dans la population urbaine a sensiblement diminué au Vietnam, en Indonésie, en Malaisie, aux Philippines et en Corée du Sud ; elle est restée relativement stable au Japon, en Thaïlande et au Myanmar et elle a significativement augmenté en Corée du Nord et au Cambodge. En Chine, si cette tendance n’apparaît pas aussi marquée du fait de la faible proportion que représentent les populations de Shanghai et de Pékin au sein de la population urbaine totale du pays (4 % pour chacune des deux villes en 1975, 3 % et 2 % respectivement en 2005), les masses de population concernées sont considérables (respectivement 15 et 11 millions d’habitants en 2006).
XIV – Les migrations internationales
177La migration internationale reste un phénomène démographique assez mal documenté, en Asie de l’Est et du Sud-Est comme dans les autres régions du monde, à l’exception des plus développées. Les Nations unies publient régulièrement des informations statistiques sur le nombre de migrants dans chaque pays et chaque grande région et sous-région du monde (Nations unies, 2006b pour les plus récentes), mais il est plus difficile de réunir des données sur les mouvements migratoires annuels. De nombreux pays asiatiques n’incluent pas les questions nécessaires à l’analyse des migrations internationales dans leurs recensements, à savoir celles qui concernent le lieu de naissance, la nationalité, le lieu de résidence antérieure et/ou la date d’entrée dans le pays. De plus, même là où l’information existe, l’importance de la migration clandestine engendre une sous-estimation parfois considérable de l’ampleur des mouvements migratoires. Il convient donc de rester prudent dans l’interprétation des statistiques disponibles.
178Parmi les indicateurs les plus utilisés figurent le stock de migrants, les migrants étant définis comme le nombre de résidents d’un pays nés à l’étranger [62]. La proportion de migrants est ce même nombre rapporté à la population totale du pays. Enfin, les Nations unies publient régulièrement des estimations de taux de migration nette, rapport du solde migratoire (nombre d’immigrés moins nombre d’émigrés) annuel moyen au cours d’une période à la population du pays. Ces données, les plus récentes possibles, sont reprises dans le tableau annexe A.13 pour chaque pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est [63]. Les mêmes indicateurs sont présentés au tableau 19 pour chacune des deux sous-régions de notre étude, en même temps que pour quelques autres grandes régions du monde en développement à titre de comparaison. Le tableau A.13 inclut en outre les populations réfugiées.
1 – Des mouvements migratoires d’ampleur très variable
179Depuis que les pays riches ont progressivement ouvert leurs frontières, au lendemain de la seconde guerre mondiale et, plus encore, au cours des années 1960 et 1970 (États-Unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande et certains pays européens comme l’Allemagne, plus récemment), les flux migratoires en provenance des régions en voie de développement se sont intensifiés. L’Asie de l’Est et du Sud-Est ne fait pas exception et se caractérise actuellement par un taux de migration nette négatif, ce qui traduit la prédominance de l’émigration sur l’immigration. Cette relative hémorragie humaine est toutefois faible comparée à d’autres régions, malgré une intensification progressive des mouvements migratoires au cours des deux ou trois dernières décennies (Hugo, 2005 ; Skeldon, 2006). Le taux de migration nette y est de – 0,3 ‰ en 2000-2005 (tableau 19). Cet indicateur se situe au même niveau qu’en Asie du Sud et en Afrique sub-saharienne tandis qu’il s’établit à – 0,6 ‰ et – 2,5 ‰ dans le Monde arabe et le Moyen-Orient ainsi qu’en Amérique du Sud. Compte tenu de la masse démographique de la région étudiée, le nombre d’individus concernés n’y est pas considérable. En 2005, le nombre de migrants cumulés pour l’ensemble des pays de la région atteignait un peu plus de 12 millions (20 millions selon la Banque mondiale, 2008) et représentait moins de 1 % de la population totale, contre plus de 2 % en Afrique sub-saharienne et plus de 6 % dans le Monde arabe et le Moyen-Orient, la région en développement caractérisée de loin par la proportion la plus importante d’individus nés ailleurs que dans leur pays de résidence. Notons que, même dans cette dernière, la proportion de migrants est faible par rapport à celle observée dans les pays occidentaux, soit 25 % en Australie et Nouvelle-Zélande, 13 % en Amérique du Nord et 10 % en Europe de l’Ouest (Nations unies, 2006b). L’impact économique, social et démographique de la migration internationale sur les pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est est toutefois amplifié par la forte concentration géographique des flux. Ainsi, par exemple, la plupart des 30 à 50 millions de Chinois de première et deuxième générations recensés dans le monde proviennent des trois seules provinces du Guangdong, du Fujian et du Zhejiang (Skeldon, 2000 ; OIM, 2003).
Migrations internationales, populations réfugiées et déplacées pour quelques grandes régions du monde

Migrations internationales, populations réfugiées et déplacées pour quelques grandes régions du monde
180Les indicateurs régionaux dissimulent des situations sous-régionales et nationales très diversifiées (tableau A.13). En termes relatifs, les mouvements migratoires internationaux sont ainsi beaucoup plus intenses en Asie du Sud-Est qu’en Asie de l’Est : le pourcentage d’individus nés hors de leur pays de résidence comme le taux de migration nette sont trois fois plus élevés en Asie du Sud-Est qu’en Asie de l’Est. Toutefois, le nombre de migrants est assez voisin, soit, respectivement, 5,7 et 6,5 millions de personnes. Lorsque l’on considère les pays qui composent ces deux sous-régions, les situations sont plus diversifiées au sein de l’Asie du Sud-Est. Dans cette dernière, les pays se caractérisant par des taux de migration nette négatifs sont presque aussi nombreux que ceux qui enregistrent des taux positifs. Globalement, les taux varient de – 4 ‰ en Mongolie et au Laos à plus de + 20 ‰ au Timor oriental. Signalons toutefois qu’il s’agit dans ce dernier d’une situation transitoire, due à son indépendance récente (2002). À Singapour, où le taux de migration nette est d’environ 10 ‰, la situation actuelle est caractéristique d’une histoire migratoire ancienne qui fait de ce pays, sur lequel nous reviendrons ci-dessous en détail, une exception en Asie de l’Est et du Sud-Est.
181Les principaux pays d’émigration sont les Philippines, la Chine continentale (hors Hong Kong et Macao), le Laos et, dans une moindre mesure, l’Indonésie, le Myanmar et le Vietnam, tandis que le Japon, Singapour et le Brunei figurent parmi les principales destinations asiatiques. Ces deux derniers pays comptent parmi les pays du monde caractérisés par la plus forte proportion de personnes nées hors de leurs frontières (soit 43 % à Singapour et 33 % au Brunei en 2005, cf. tableau A.13). Les territoires de Hong Kong et de Macao sont également d’importants bénéficiaires de l’immigration asiatique mais ils ne seront pas ici traités indépendamment de la Chine. La Malaisie et la Thaïlande se caractérisent par des flux d’émigration et d’immigration significatifs (Hugo, 2005).
182Toutefois, la situation à un moment donné ne rend pas compte de la dynamique du phénomène migratoire en Asie. Il apparaît en effet que l’on se situe actuellement dans une phase de transition qui concerne la majorité des pays de la région. Autrefois à l’origine de flux migratoires intenses vers les pays occidentaux et, plus récemment, vers le Moyen-Orient, l’Asie de l’Est et du Sud-Est tend à devenir une terre d’accueil privilégiée pour les migrants en provenance des pays pauvres au fur et à mesure qu’elle se développe économiquement et que ses besoins en main-d’œuvre non qualifiée s’accroissent. La Thaïlande est particulièrement représentative de ce phénomène. Tandis qu’au cours des années 1980, ce pays était à l’origine de flux migratoires importants dirigés vers les économies pétrolières du Moyen-Orient, puis, au début des années 1990, vers les pôles de développement asiatiques les plus dynamiques (Malaisie, Japon et Singapour), le nombre annuel de départs décline rapidement depuis 1995 environ malgré les efforts du gouvernement thaïlandais pour contrecarrer ce mouvement. Le changement des comportements migratoires est attribué à l’accroissement du revenu moyen par habitant et du niveau d’instruction, qui a permis davantage de mobilité sociale en Thaïlande, ainsi qu’à l’effondrement de la fécondité, qui affaiblit les incitations au départ (en réduisant la pression sur les ressources au niveau familial et local notamment) et accroît la demande de main-d’œuvre qui favorise non seulement la population du pays mais également celle de ces voisins, Myanmar, Cambodge et Laos en particulier (Martin et Zürcher, 2008 ; Skeldon, 2006).
183Ces situations, variables d’un pays à l’autre, ont été façonnées par des évolutions politiques et économiques parfois très mouvementées. Aussi la nature et les causes de ces mouvements migratoires sont-elles très variées et ces migrations prennent de multiples formes (temporaires ou permanentes, spontanées ou forcées, régulières ou clandestines). Elles ont aussi fortement évolué au cours du temps. Ainsi, par exemple, les mouvements de réfugiés en provenance d’Asie, caractéristiques de la période des crises politiques majeures des années 1970 et 1980 dans la région (qui ont notamment provoqué l’émigration de deux millions de Vietnamiens au cours de ces deux décennies), se sont progressivement taris, comme l’indiquent les statistiques recueillies auprès du Haut Commissariat aux réfugiés (HCR) des Nations unies et présentées dans le tableau A.13. Aujourd’hui, seuls le Timor oriental et le Myanmar sont encore concernés par ce problème et comptent un nombre important de personnes déplacées à l’intérieur même de leur pays (près de 240 000 personnes au Myanmar actuellement, plus de 100 000 au Timor oriental en 2006 [64]) et des départs de réfugiés qui continuent à se produire en direction des pays voisins (Chine, Thaïlande et Malaisie notamment).
184Sans entrer ici dans le détail des mouvements migratoires complexes et pas toujours bien documentés, nous examinons ci-après les destinations atteintes par les migrants d’Asie de l’Est et du Sud-Est. Nous avons choisi d’illustrer ensuite notre propos par deux études de cas. La première concerne Singapour, l’un des pays du monde à plus forte concentration d’immigrés. La seconde porte sur les Philippines, le pays de la région qui compte la plus forte proportion d’émigrés. Nous terminerons sur ce sujet par une discussion des conséquences économiques de la migration internationale dans les pays de départ.
2 – Europe, Amérique du Nord, Océanie, Asie : des destinations de plus en plus diversifiées
185L’Asie de l’Est et du Sud-Est a une longue tradition d’émigration vers les pays occidentaux, qui se poursuit actuellement. Le tableau 20 présente, pour une année récente (la dernière pour laquelle les informations sont disponibles), le nombre d’immigrés originaires de cette région dans quinze pays occidentaux pour lesquels existent des données détaillées. Environ 10 millions de personnes nées en Asie de l’Est ou du Sud-Est résident actuellement dans ces quinze pays, soit la moitié seulement du nombre total d’émigrés de cette région. Les plus représentés sont les Chinois, avec presque 4 millions d’individus. Viennent ensuite les Philippins (2 millions), les Vietnamiens (1,35 million), les Coréens (du Sud – presque 500 000), les Japonais (460 000), les Thaïlandais (335 000), les Indonésiens (325 000), les Cambodgiens (230 000), les Malaisiens (220 000), les Laotiens (140 000) et les Singapouriens (130 000). Les autres pays sont représentés par moins de 100 000 migrants chacun. Les États-Unis ont accueilli à eux seuls plus de 60 % de l’ensemble de ces migrants. Le Canada et l’Australie sont également des terres de destination privilégiées pour les migrants d’Asie de l’Est et du Sud-Est (avec, respectivement, un peu plus et un peu moins d’un million de migrants chacun). Seulement 15 % des migrants d’Asie de l’Est et du Sud-Est résident actuellement dans les autres pays, européens en particulier, pour lesquels les informations sont disponibles.
Immigrés originaires d’Asie de l’Est et du Sud-Est dans 15 pays occidentaux selon le pays d’accueil et le pays d’origine (dernière année disponible)

Immigrés originaires d’Asie de l’Est et du Sud-Est dans 15 pays occidentaux selon le pays d’accueil et le pays d’origine (dernière année disponible)
(suite). Immigrés originaires d’Asie de l’Est et du Sud-est dans 15 pays occidentaux selon le pays d’accueil et le pays d’origine (dernière année disponible)

(suite). Immigrés originaires d’Asie de l’Est et du Sud-est dans 15 pays occidentaux selon le pays d’accueil et le pays d’origine (dernière année disponible)
186Les données présentées rendent toutefois mal compte de la situation en matière de flux migratoires issus de la région qui nous occupe, dans la mesure où une proportion croissante de départs se fait actuellement en direction d’autres pays asiatiques pour lesquels, malheureusement, des statistiques détaillées sur les migrants font généralement défaut (Skeldon, 2000). Notons par exemple le cas, mieux connu, du Japon où, selon des statistiques issues du ministère de la Justice [65] en 2004, vivaient à cette date plus de 600 000 Coréens, originaires de l’une ou l’autre des deux Corée (et représentant près d’un tiers de l’ensemble des immigrés recensés dans le pays), 500 000 Chinois et 200 000 Philippins, sur les quelque 2 millions d’étrangers vivant dans ce pays. La législation locale rend toutefois particulièrement ardue l’intégration économique et culturelle des migrants, interdisant par exemple la nationalité japonaise à leurs enfants nés sur place ou multipliant les barrières à leur éducation, la scolarisation n’étant pas obligatoire pour eux, contrairement aux enfants de citoyens japonais (Haines et al., 2007). Signalons une mesure originale mise en place par le gouvernement japonais pour protéger l’homogénéité culturelle du pays face aux besoins en main-d’œuvre étrangère de son économie et résister au multiculturalisme : le recrutement actif de descendants d’anciens émigrés japonais en Amérique latine. Près de 240 000 immigrés d’origine japonaise auraient ainsi été comptés dans le pays lors du dernier recensement de la population en 2005 (Martin et Zürcher, 2008).
187L’émigration vers les pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient est également importante, notamment vers l’Arabie saoudite où, après les Thaïlandais dans les années 1980, les Philippins et les Indonésiens sont arrivés nombreux au cours des années 1990 (Banque mondiale, 2008). La très grande majorité des migrations au sein de l’Asie sont de relativement courte durée, les gouvernements de l’ensemble des pays de la région décourageant l’installation définitive. Dans la plupart des cas, les migrants bénéficient de contrats de travail de deux ans maximum et ils ne peuvent être accompagnés des membres de leur famille (Martin et Zürcher, 2008). De plus en plus souvent, des agences contrôlées par les gouvernements des pays d’immigration gèrent, dans les pays de départ, le recrutement des travailleurs étrangers. Les corridors migratoires les plus empruntés par les habitants de la région sont actuellement les suivants : Philippines – États-Unis, Chine – États-Unis, Vietnam – États-Unis, Malaisie – Singapour, Indonésie – Malaisie et Chine – Singapour.
3 – Singapour : un pays construit par l’immigration
188Colonie britannique à partir de 1819, Singapour s’est véritablement construit sur l’immigration régionale. Les autorités coloniales ont dès le départ instauré une politique d’installation libre, dont ont essentiellement bénéficié les Chinois, les Indiens et les Malais. Les descendants de ces trois grands groupes représentent actuellement 77 %, 14 % et 8 % de la population totale du pays (Yeoh, 2007). Les quatre langues nationales officielles sont l’anglais, le chinois mandarin, le malais et le tamoul. La population s’est très rapidement accrue, passant de quelques centaines d’habitants à l’arrivée des colons britanniques, à 500 000 au recensement de 1931. À partir des années 1920, l’immigration a toutefois été bridée et une série de lois en a fortement limité l’essor. Après l’indépendance (1965), les barrières à l’immigration ont encore été renforcées mais l’extraordinaire décollage économique de ce minuscule pays a rapidement incité le gouvernement à une réouverture progressive et contrôlée des frontières. Avec un taux de croissance économique annuel moyen proche de 13 % en 1965-1970, 9 % en 1971-1980, 7 % en 1981-1990, 8 % en 1991-2006, les besoins en main-d’œuvre ont très vite dépassé les capacités locales (données de la Banque mondiale [66]). Au cours des années 1970, 50 000 emplois nouveaux étaient générés chaque année par l’économie singapourienne pour seulement 30 000 nouveaux entrants singapouriens sur le marché du travail (Hui, 1997). Des accords intergouvernementaux bilatéraux ont donc été conclus avec, en particulier, des pays d’Asie du Sud (Inde, Bangladesh et Sri Lanka) et du Sud-Est (Philippines et Thaïlande).
189La nouvelle politique migratoire a été rapidement couronnée de succès comme le montrent les statistiques démographiques officielles. À la différence de la première période de forte immigration (jusqu’aux années 1920), cette politique consiste à favoriser la venue de travailleurs étrangers à court terme (avec des contrats de deux ans en général) mais à décourager leur installation définitive. Les statistiques distinguent ainsi systématiquement les résidents des non-résidents. Ces derniers comprennent tous les migrants bénéficiant d’un permis de séjour non permanent, soit essentiellement les travailleurs étrangers sur contrat temporaire (la quasi-totalité des migrants) et les étudiants étrangers. Parmi les résidents, le recensement distingue par ailleurs les individus de nationalité singapourienne des résidents permanents. Les résidents permanents bénéficient d’un titre de séjour permanent et du même statut légal que les citoyens du pays, mais ils sont exclus du droit de vote.
190En 1970, les non-résidents représentaient moins de 3 % de la population totale du pays (2 millions d’habitants à l’époque). Les décennies suivantes ont vu cette proportion s’accroître rapidement, avec un doublement de la part des non-résidents dans la population singapourienne presque tous les dix ans (2,9 % en 1970, 5,5 % en 1980, 10,3 % en 1990 et 18,8 % en 2000). Traditionnellement Malais et Chinois, leur composition ethnique s’est progressivement diversifiée et la part des Philippins et des Indonésiens s’est en particulier accrue sensiblement. Si l’on ajoute aux non-résidents les résidents permanents nés hors de Singapour, dont les trois quarts sont d’origine chinoise, la proportion de personnes nées hors des frontières est passée de 9-10 % en 1970-1980 à 14 % en 1990, pour atteindre 26 % en 2000 (Yeoh, 2007). Au cours de cette dernière décennie, la population non résidente s’est accrue à un rythme annuel moyen cinq fois supérieur à celui de la population résidente (9,3 % contre 1,8 %). Au sein de celle-ci, le nombre de résidents permanents a augmenté encore plus rapidement, soit 10 % par an en moyenne au cours de la période 1990-2000 contre 1,3 % parmi les citoyens du pays. Aujourd’hui, un habitant sur quatre est donc né hors de Singapour pour une population totale qui atteignait seulement 4,02 millions d’habitants au dernier recensement (juin 2000). Les travailleurs étrangers représentent 30 % de la force de travail totale du pays. Ils sont toutefois concentrés dans les secteurs les moins qualifiés et, tout particulièrement, le secteur de la construction et celui des services aux personnes (Yeoh, 2007). Plus de 80 % des emplois temporaires dans le secteur du bâtiment sont occupés par des étrangers (la plupart en provenance de Thaïlande) (Hui, 1997). En ce qui concerne les travailleurs domestiques, essentiellement des femmes, les migrantes indonésiennes sont particulièrement bien représentées.
191Avec la restructuration économique des années 1990, fondée notamment sur la rapide délocalisation des entreprises de production vers d’autres pays asiatiques, la proportion d’emplois qualifiés ne cesse cependant de croître et la nature de la demande en main-d’œuvre étrangère a évolué en faveur du secteur tertiaire (services bancaires et financiers en particulier). Le gouvernement de Singapour poursuit activement une politique à deux vitesses, décourageant l’installation permanente des migrants faiblement qualifiés et favorisant l’intégration des étrangers les plus qualifiés. Les critères d’éligibilité à la résidence permanente sont d’avoir un revenu annuel minimum équivalent à environ 65 % du revenu moyen par habitant, un niveau d’instruction secondaire ou supérieur et un minimum de cinq ans d’expérience professionnelle (Hui, 1997). Ces critères sont également utilisés pour le rapprochement familial. En revanche, il est très difficile pour les migrants non qualifiés, même ceux qui bénéficient d’un contrat de travail ou qui sont mariés à un citoyen de Singapour, de prétendre à la résidence permanente. En outre, les étrangères candidates à l’immigration vers Singapour doivent subir un test de grossesse dont le résultat détermine leur éligibilité au départ et celles qui deviennent enceintes pendant leur séjour doivent quitter le pays pour rentrer accoucher chez elles (Martin et Zürcher, 2008).
4 – Les Philippines : une émigration institutionnalisée
192Les Philippines constituent le premier pourvoyeur de travailleurs étrangers en provenance d’Asie, en termes relatifs. Le gouvernement philippin estime à plus de 8 millions le nombre de ses citoyens résidant à l’étranger, pour une population totale de 83 millions (Martin et Zürcher, 2008). Avec l’intensification régulière du mouvement d’émigration qui concerne actuellement plus d’un million de personnes quittant chaque année le pays pour aller travailler à l’étranger, ce chiffre ne pourra que s’accroître à l’avenir. Une véritable culture de l’émigration anime la population philippine (Asis, 2006). Cette culture est soutenue par l’institutionnalisation des mouvements migratoires, le gouvernement philippin jouant depuis de nombreuses années un rôle prépondérant dans l’organisation des flux d’émigration en faveur de quelque 200 pays du monde, au premier rang desquels ont longtemps figuré les États-Unis.
193L’émigration vers les États-Unis est un phénomène ancien qui résulte de liens particuliers entre les deux pays (Asis, 2006 ; Grieco, 2003). Colonie américaine de 1898 à 1946, les Philippines ont été dès les premières années du vingtième siècle à l’origine de mouvements migratoires importants, d’abord vers l’état de Hawaï où les Philippins alimentaient en main-d’œuvre les plantations de canne à sucre et d’ananas, en plein développement à cette époque, puis vers la Californie et, dans une moindre mesure, vers les autres états de la côte Ouest. Plus de 150 000 Philippins auraient ainsi émigré aux États-Unis entre 1906 et 1930. Ce mouvement a été interrompu en 1934, lorsque fut signé le décret prévoyant l’indépendance à venir des Philippines, qui a modifié de ce fait le statut des immigrés philippins qui devenaient soumis à la même législation (restrictive) que ceux des autres pays. Puis le mouvement a repris immédiatement de l’ampleur lorsque, en 1965, les États-Unis ouvrirent à nouveau largement leurs frontières. Une progressive diversification des pays d’accueil de l’immigration philippine s’est néanmoins produite à partir de cette époque du fait d’une ouverture comparable des frontières des autres pays occidentaux à forte immigration de peuplement (Canada, Australie et Nouvelle-Zélande). La connaissance de l’anglais, qui est toujours l’une des deux langues officielles du pays avec le tagalog, a sans aucun doute facilité l’intégration des Philippins au sein des marchés du travail internationaux. Les Philippines devinrent rapidement l’un des premiers pourvoyeurs d’immigrés vers les pays anglo-saxons mais également vers d’autres destinations (Asis, 2006). Le ralentissement de la croissance économique caractérisé par une baisse du revenu national par habitant, une augmentation du chômage et un déséquilibre de la balance des paiements, dû aux conséquences de la crise pétrolière mondiale des années 1970, a favorisé ce mouvement. Ces incitations au départ ont coïncidé avec une demande croissante de main-d’œuvre non qualifiée dans les pays du golfe Persique.
194Le gouvernement philippin de l’époque, celui du Commandant Marcos, a saisi cette opportunité en instaurant un programme officiel d’emplois à l’étranger dès 1974 et en signant des accords bilatéraux avec nombre de gouvernements étrangers, notamment au Moyen-Orient. Destiné à promouvoir l’emploi de travailleurs philippins à l’étranger, ce programme s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui, géré par une administration spéciale, la Philippines Overseas Employment Administration. Initialement chargée du recrutement des travailleurs philippins envoyés à l’étranger, cette administration a aujourd’hui pour fonction de contrôler les quelque 1 300 agences privées ou semi-privées installées dans le pays auxquelles cette tâche a été déléguée (Yang, 2004). Les contrats signés entre employeurs étrangers et employés philippins par l’intermédiaire de ces agences sont soumis à la législation des Philippines et un droit spécial leur est appliqué. L’ administration philippine se préoccupe également de la situation de ses travailleurs à l’étranger, tant en matière de conditions de travail et de respect des droits que pour assurer leur retour à l’issue de leur contrat (généralement deux ans mais les contrats sont souvent renouvelés). En effet, ce nouveau type de migration s’oppose au caractère définitif des mouvements observés avant le milieu du XXe siècle. Non seulement les contrats et permis de travail associés sont de courte durée mais les migrants ne peuvent pas être accompagnés des membres de leur famille immédiate, épouse ou enfants (Yang, 2004).
195La mise en place du programme officiel d’incitation au départ de travailleurs à l’étranger a rencontré un succès qui, trente ans plus tard, ne se dément pas (figure 29). Le nombre de personnes concernées s’est accru, passant de quelque 35 000 travailleurs en 1975 à plus de 200 000 en 1980, presque 500 000 en 1990, pour dépasser le million en 2005. Les premiers pays de destination étaient en 2006 l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Hong Kong, le Koweit, le Qatar, Singapour, l’Italie, le Royaume-Uni et la Corée du Sud (Philippines Overseas Employment Administration, 2007). Ce classement traduit une évolution progressive des pays d’accueil au cours du temps. Tandis qu’avant le milieu des années 1970 les pays développés à forte immigration (Amérique du Nord, Australie et Nouvelle-Zélande) représentaient de loin les premières destinations des migrants philippins, ils ont été remplacés par les pays du Moyen-Orient producteurs de pétrole au cours des années 1970 et 1980. Ces derniers accueillaient 85 % des travailleurs émigrés philippins en 1980 par exemple, mais ils sont à leur tour progressivement mis en concurrence avec plusieurs pays asiatiques (Chine – essentiellement Hong Kong – Singapour, Corée du Sud et Malaisie en particulier). Ces évolutions s’accompagnent par ailleurs d’un changement des secteurs économiques auxquels contribuent les travailleurs philippins émigrés. Autrefois recrutés dans le secteur agricole, puis plus tard dans le secteur industriel, et plus récemment dans le secteur du bâtiment, les émigrés philippins travaillent de plus en plus souvent dans le secteur des services et, notamment, les services aux particuliers qui occupent actuellement un tiers d’entre eux (Philippines Overseas Employment Administration, 2007). Ces changements se sont accompagnés d’une féminisation progressive de la population philippine émigrée, les femmes représentant depuis 1992 plus de la moitié des travailleurs qui quittent chaque année officiellement le pays pour rejoindre l’étranger, une tendance qui concerne aussi d’autres pays de la région comme par exemple l’Indonésie (Asis, 2006 ; OIM, 2003).
Évolution du nombre de travailleurs émigrés des Philippines, 1975-2006

Évolution du nombre de travailleurs émigrés des Philippines, 1975-2006
196L’émigration philippine permet non seulement d’alléger la pression sur un marché du travail encore récemment tendu mais elle constitue également une source de revenus indispensables pour nombre de familles. Les envois de fonds opérés par les migrants philippins au profit de leur pays d’origine sont estimés à plus d’un milliard de dollars américains par mois. Près d’un ménage philippin sur cinq en bénéficie et ces envois représentent un quart de leurs revenus, soit un impact économique considérable pour la partie la moins favorisée de la population (O’Neil, 2004). Ces transferts représentent près de 15 % du produit intérieur brut des Philippines (Martin et Zürcher, 2008). Les 15 milliards de dollars envoyés chaque année aux Philippines par les travailleurs émigrés représentent le cinquième volume de fonds transférés de la sorte dans le monde par ordre d’importance (après la Chine notamment), malgré la taille relativement modeste de la population totale du pays.
5 – Conséquences économiques des migrations
197Parmi les nombreuses conséquences économiques, sociales, politiques et démographiques des mouvements migratoires en Asie, le volume des transferts monétaires réalisés par les migrants en faveur de leur communauté d’origine est de mieux en mieux documenté. Le tableau 21 présente une série statistique de données recueillies par la Banque mondiale pour la période 1980-2007 qui montre la rapide intensification des envois de fonds vers les pays étudiés. Les diasporas de Chine, des Philippines et, dans une moindre mesure, d’Indonésie et du Vietnam sont à l’origine des transferts les plus importants réalisés au profit des pays de la région, en termes de volume absolu. Comparé aux ressources nationales, le montant des transferts est particulièrement important aux Philippines, où il atteint plus de 15 milliards de dollars, soit près de la moitié du budget national (Martin et Zürcher, 2008). L’effort réalisé par les travailleurs immigrés vietnamiens est également considérable par rapport aux ressources nationales. La rapidité avec laquelle le volume des transferts s’est accru depuis le tournant du siècle est particulièrement impressionnante : entre 2000 et 2007, les fonds envoyés par les migrants internationaux ont été multipliés par quatre vers la Chine, par cinq vers l’Indonésie et par près de trois vers les Philippines (tableau 21). Les travaux sur la question suggèrent que les transferts monétaires réalisés par les migrants en faveur de leur pays d’origine sont souvent investis de manière productive, par exemple pour financer la scolarisation des jeunes restés au pays ou pour créer une entreprise familiale. Même lorsque l’argent envoyé est utilisé à des fins non productives, il favorise le dynamisme économique des industries et commerces locaux (Skeldon, 2000 ; Martin et Zürcher, 2008). Un autre type de transferts financiers est constitué des investissements réalisés par des résidents permanents à l’étranger d’origine asiatique dans leur pays de départ. Ainsi, par exemple, quelque 80 % des investissements étrangers dans des entreprises chinoises sont attribuables à la diaspora (Skeldon, 2000).
Transferts monétaires opérés par les émigrés d’Asie de l’Est et du Sud-Est au profit de leur pays d’origine, 1980-2007 (millions de US $ constants)

Transferts monétaires opérés par les émigrés d’Asie de l’Est et du Sud-Est au profit de leur pays d’origine, 1980-2007 (millions de US $ constants)
XV – L’accès à l’éducation des femmes et des hommes
198Comme dans les précédentes chroniques réalisées pour l’Afrique sub-saharienne (2004), pour le Monde arabe et le Moyen-Orient (2005), l’Amérique latine et la Caraïbe (2006) et pour l’Asie du Centre et du Sud (2007), nous terminons par un bref aperçu de la situation en matière d’éducation, sans entrer dans la vaste problématique des relations entre éducation et développement ou dans celle des relations entre formation, emploi et chômage.
199Le rôle essentiel de l’éducation et du capital humain dans le développement économique et social des sociétés n’est plus à démontrer. En démographie, parmi les caractéristiques individuelles, le niveau d’instruction des mères et des pères est en général l’une des variables explicatives les plus discriminantes des comportements en matière de mariage, de naissances, de santé et parfois de migration. À un niveau contextuel, celui des pays, le développement de l’éducation est fréquemment en rapport avec le rythme et les modalités des transitions démographiques.
200Nous allons d’une part examiner l’état de l’analphabétisme au sein de la population adulte dans les pays de la région. D’autre part, nous chercherons s’il existe une relation entre le niveau de développement éducatif de ces pays et la fécondité ou la mortalité des enfants. Le tableau annexe A.15 présente par sexe et par pays l’évolution des taux d’analphabétisme des adultes entre 1980 et 2005.
1 – L’analphabétisme adulte
201À la suite des importants progrès réalisés dans la plupart des pays de la région depuis une vingtaine d’années, l’analphabétisme des adultes est désormais, dans l’ensemble, relativement faible. Dans les différents pays en effet, à l’exception notable du Cambodge et du Laos où un adulte sur trois environ est encore analphabète, le taux d’analphabétisme est partout inférieur à 15 %. Il est en outre éradiqué ou en passe de l’être dans plusieurs d’entre eux, notamment au Japon et en Corée du Sud, mais aussi en Mongolie, aux Philippines et en Thaïlande. En dépit de ces performances qui mettent les pays de la région en bonne place eu égard notamment à la plupart des pays africains, d’importants écarts persistent entre les sexes. En effet, l’analphabétisme continue de concerner beaucoup plus largement les femmes que les hommes, avec des taux variant souvent du simple au double (comme au Cambodge, en Indonésie, au Laos, en Malaisie, au Myanmar et en Thaïlande), voire du simple au triple ou davantage (comme en Chine, en Corée du Sud et à Singapour). Néanmoins, les écarts entre les sexes se sont, dans l’ensemble, stabilisés ou estompés au cours des vingt dernières années, à l’exception de la Chine où le rapport du taux d’analphabétisme adulte féminin au taux masculin est passé de 2,2 en 1980 à 3,0 en 2005 (tableau annexe A.15).
2 – Les relations avec la fécondité et la mortalité infantile
202Dans les analyses menées au niveau international, les relations observées à un moment donné entre la fécondité ou la mortalité des enfants et le niveau d’instruction dans les pays sont classiquement négatives et assez bonnes : globalement, plus le niveau d’instruction de la population des pays augmente, plus la fécondité et la mortalité des enfants sont basses. Qu’en est-il dans les pays de la région au début des années 2000 ?
203Calculée sur treize pays, la corrélation entre la fécondité des femmes (ISF) et leur niveau d’analphabétisme est positive (figure 30), conformément à ce que l’on observe habituellement y compris en Afrique sub-saharienne. En d’autres termes, au niveau agrégé, l’instruction des femmes a, dans cette région comme ailleurs dans le monde, une influence importante sur la fécondité, en dépit d’une grande diversité de situations : par exemple, pour un niveau d’analphabétisme féminin inférieur à 5 %, les fécondités vont de 1,2 enfant par femme en Corée du Sud à trois fois ce niveau, soit 3,5 enfants par femme, aux Philippines. Inversement, une fécondité de l’ordre de 3,5 enfants par femme peut être associée à des niveaux d’analphabétisme à la fois très hauts (comme au Laos et au Cambodge où environ 40 % des femmes sont encore analphabètes) et plus modérés (comme aux Philippines où une femme sur vingt est encore analphabète).
Corrélation entre la fécondité et l’analphabétisme des femmes vers 2000

Corrélation entre la fécondité et l’analphabétisme des femmes vers 2000
204La corrélation entre la mortalité infantile et le taux d’analphabétisme des femmes, bien sûr positive (figure 31), est forte (R2 = 0,45), sans toutefois être totalement linéaire. Cela démontre le rôle privilégié de l’instruction féminine dans la mortalité avant le premier anniversaire, qui ressort même dans des analyses comme celle-ci menées au niveau agrégé. Notons que le Myanmar et la Mongolie enregistrent des taux de mortalité encore très élevés eu égard au niveau d’alphabétisation des femmes.
Corrélation entre le taux de mortalité infantile et l’analphabétisme des femmes vers 2000

Corrélation entre le taux de mortalité infantile et l’analphabétisme des femmes vers 2000
Conclusion
205Avec plus de 30 % de la population mondiale, l’Asie de l’Est et du Sud-Est pèse d’un poids considérable sur l’évolution démographique de la planète. Le ralentissement de la croissance démographique mondiale est en grande partie à mettre au crédit de la transition démographique dans cette région, telle qu’elle vient d’être décrite en détail dans cette chronique. Nous n’avons pas cherché ici à répondre à l’ensemble des questions portant sur le contexte social, économique, environnemental ou politique dans lequel cette transition s’est réalisée. Avec le matériel statistique sans cesse croissant dont on dispose, nous avons tenté de dégager les grandes tendances depuis cinquante ans, en particulier depuis les années 1970, et les caractéristiques actuelles des diverses composantes des dynamiques démographiques des seize pays appartenant aux deux sous-régions que sont l’Asie de l’Est et l’Asie du Sud-Est. À l’issue de ce travail, plusieurs points saillants paraissent particulièrement dignes d’intérêt.
206À l’évidence, la caractéristique essentielle de la seconde moitié du XXe siècle aura été une accélération considérable de la croissance démographique, qui a entraîné des transformations extraordinaires dans tous les domaines de la société. Cette accélération a été observée dans toutes les régions du monde en développement mais elle a été particulièrement brutale en Asie de l’Est et du Sud-Est, du simple fait de la masse démographique concernée. Alors que la région ne comptait que cent millions d’habitants à l’aube de l’ère chrétienne, il a fallu plus d’un millénaire et demi pour que la population double et atteigne 200 millions. En revanche, il n’aura fallu que près de 200 ans pour le doublement suivant, et seulement 70 ans pour le suivant. À ce stade, c’est-à-dire vers le début de la période qui nous concerne (1950), la région comptait quelque 850 millions d’habitants, et il n’aura ensuite fallu que 35 ans pour qu’elle double à nouveau. Malgré le ralentissement du rythme de croissance observé dès le milieu des années 1970 et la décélération rapide qui a suivi (avec un taux annuel moyen aujourd’hui inférieur à 1 %), l’augmentation de la population se poursuivra au moins jusqu’au milieu du XXIe siècle, lorsque l’Asie de l’Est et du Sud-Est comptera environ 2,35 milliards d’habitants. À quelques incertitudes près sur la date exacte à laquelle cette région parviendra à ce chiffre, il sera inévitablement atteint au cours de ce siècle.
207L’explosion démographique des années 1950 à 1970 a résulté en partie des progrès réalisés dans la région en matière de lutte contre la mortalité et, tout particulièrement, contre la mortalité des enfants, avec une division par six du taux de mortalité infantile entre 1950-1955 et 2000-2005. Toutefois, les inégalités de santé demeurent importantes entre les pays de la région et au sein de chaque pays. Le sexe, le niveau d’instruction et le milieu de résidence semblent particulièrement déterminants en la matière. Il reste que la baisse rapide de la mortalité figure parmi les plus grandes victoires remportées par les plus grands pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est au cours de la seconde moitié du XXe siècle. Elle aura toutefois été génératrice du défi démographique majeur de cette même période, à savoir le contrôle de la croissance démographique. Ce contrôle, qui s’est traduit par une rupture historique dans les comportements reproductifs et, en Asie de l’Est et du Sud-Est tout particulièrement, par un engagement continu et souvent autoritaire des gouvernements concernés en faveur de programmes très actifs de planification familiale, a rencontré un succès évident. Soulignons toutefois la diversité déjà ancienne des régimes démographiques dans la région. Depuis près d’un demi-siècle, avec la fin de la transition démographique japonaise et, plus récemment, celle de la Corée du Sud et de Singapour, il n’y a plus une mais des démographies régionales. Les évolutions ont été parfois rapides et brutales, comme en Chine, en Corée du Sud et en Thaïlande, parfois beaucoup plus lentes, si bien que les disparités entre pays de la région sont désormais considérables : la région inclut à la fois un pays comme le Japon, où l’espérance de vie à la naissance est la plus élevée du monde et la fécondité parmi les plus faibles, aux côtés de pays comme le Cambodge, où l’espérance de vie à la naissance est parmi les plus basses de la planète, et le Timor oriental, où la fécondité est la plus élevée au monde.
208Il n’en demeure pas moins que, à l’échelle de la région dans son ensemble, la fécondité, qui était encore proche de 6 enfants par femme vers 1950, est aujourd’hui inférieure au seuil de remplacement des générations et significativement moins élevée que dans les autres régions en développement, soit 1,9 enfant par femme en 2005, contre une moyenne de 3,2 dans le reste du continent asiatique, de 2,5 en Amérique latine et Caraïbe, de 3,1 en Afrique du Nord et de 5,5 en Afrique sub-saharienne. Ce résultat a été permis par une augmentation remarquable du recours à la contraception, qui atteint actuellement en moyenne environ 75 % dans la région. Cette situation, qui correspond aux objectifs que les gouvernements de nombreux pays d’Asie de l’Est et du Sud-Est s’étaient fixés à partir des années 1960, conduit pourtant à un nouveau défi démographique qui sera l’un des plus importants, voire le plus important, du XXIe siècle : le vieillissement de la population. Tandis que vers 2000, une personne sur dix était âgée de 60 ans ou plus, ce sera le cas d’une sur six en 2020 et d’une sur quatre en 2040. Cette évolution quasi inéluctable, compte tenu des niveaux très faibles de fécondité déjà atteints et de la baisse continue de la mortalité aux grands âges, nécessitera une adaptation considérable des structures sociales et institutionnelles dans les pays de la région. Pour le moment, le rapport de dépendance évolue très favorablement ; à partir de 2010, toutefois, une élévation du rapport de dépendance est prévisible et se produira dans chaque pays à une vitesse d’autant plus forte que la baisse de la fécondité a été rapide.
209Les changements de structure de la population auront des conséquences économiques qui pourront en partie être compensées par une réorganisation des flux migratoires. Cette réorganisation est d’ores et déjà en cours, comme l’indique l’intensification progressive des mouvements de population au sein même de la région. Elle résulte des importantes disparités socio-économiques qui y sont observées. L’ Asie de l’Est et du Sud-Est regroupe en effet des pays qui sont parmi les plus riches de la planète (Japon, Corée du Sud, Singapour) et d’autres qui figurent parmi les plus pauvres (Corée du Nord, Laos, Myanmar notamment). Si un flux sans cesse croissant d’immigrants est destiné à venir gonfler la force de travail des pays demandeurs de main-d’œuvre, il faudra sans doute envisager une révision majeure des politiques actuelles, avec un assouplissement des restrictions concernant le séjour des travailleurs étrangers et de leur famille et des mesures d’intégration à long terme plus favorables à leur égard.
210Pour conclure, on peut s’interroger sur la convergence à long terme entre la situation démographique de cette partie du monde et celle des pays occidentaux. Si les évolutions observées actuellement se poursuivent, les niveaux de fécondité et de mortalité de l’Asie de l’Est et du Sud-Est pourraient bientôt rattraper ceux des pays développés, voire, comme le suggère l’expérience du Japon, les devancer. L’avenir dépendra en grande partie du succès des politiques mises en œuvre tant dans le domaine des comportements reproductifs que de la santé et des migrations internationales. La marge de manœuvre paraît néanmoins étroite et, à moins d’une catastrophe, la situation démographique à moyen terme ne déviera probablement que très peu des projections actuelles. Dans l’intervalle, la région jouera un rôle prédominant dans l’évolution démographique de la planète dont elle représente aujourd’hui, et continuera à représenter dans les décennies à venir, une part considérable.
Remerciements
Nous remercions Dominique Tabutin pour sa relecture attentive d’une version préliminaire de cet article ainsi que pour ses conseils éclairés.La population de Taiwan
211Taiwan est, d’un point de vue aussi bien géographique que culturel, un territoire d’Asie de l’Est et du Sud-Est. Il aurait donc pleinement mérité d’être traité dans cette chronique, au même titre que les autres pays de la région. Son statut géopolitique discuté en fait cependant un cas à part, la question étant de savoir si Taiwan (y compris l’archipel des Pescadores) est un territoire indépendant – ce qui est le cas dans les faits puisqu’il est administré par un gouvernement indépendant – portant le nom de République de Chine ou si, au contraire, il s’agit d’une province de la République populaire de Chine, comme le défend cette dernière qui n’y détient toutefois actuellement aucun pouvoir. Le statut de Taiwan demeure un sujet sensible dans la géopolitique internationale et le pays n’est officiellement reconnu ni par l’Organisation des Nations unies ni par la majorité des autres pays du monde. La population taiwanaise elle-même est divisée sur la question de l’indépendance vis-à-vis de la République populaire de Chine.
212N’étant pas officiellement reconnu comme un État indépendant par la plupart des organismes internationaux, Taiwan ne figure pas dans la base de données démographiques publiée par la Division de la population des Nations unies sur laquelle est fondée la plus grande partie des analyses présentées dans notre chronique. C’est la raison pour laquelle le cas de Taiwan est brièvement traité à part dans cette annexe.
213L’évolution démographique de Taiwan au cours du XXe siècle est étroitement liée aux événements historiques qui ont caractérisé cette période. Jusque-là isolée et habitée par des populations aborigènes, l’île de Taiwan fut administrée par les Chinois à partir de la fin du XVIIe siècle. Son passage sous administration japonaise à la suite de la guerre sino-japonaise de 1895 marqua le début d’une phase de forte croissance démographique : comptant alors 2,6 millions d’habitants, la population atteignit 6,0 millions en 1940, soit une multiplication par 2,3 en moins d’un demi-siècle. Cette croissance fut plus forte encore au cours des décennies suivantes, marquées par un nouveau passage de l’île sous administration chinoise en 1945, après la défaite des Japonais en Chine continentale, puis par l’échec de Tchang Kaï-chek en 1949 face au parti communiste de Mao en Chine populaire, qui amena les partisans du parti nationaliste à se réfugier sur l’île taïwanaise, ce repli ayant été accompagné d’une vague d’immigration en provenance de République populaire de Chine.
Évolution et croissance de la population de Taiwan, 1940-2008

Évolution et croissance de la population de Taiwan, 1940-2008
214Ainsi, sous le coup de l’immigration chinoise en provenance du continent et d’une fécondité toujours élevée, la population taiwanaise a enregistré une croissance d’environ 3 % par an entre 1940 et 1970 (tableau 1), qui a conduit à une multiplication par 2,5 de son effectif. Par la suite, en particulier au cours de la période récente, la croissance démographique de Taiwan a fortement ralenti, passant de 1,6 % par an en moyenne entre 1970 et 1990 à un rythme désormais très faible, de moins de 0,6 % par an entre 2000 et 2008. Ce faible accroissement est en partie dû à un taux net d’émigration négatif – notamment du fait d’une importante fuite des cerveaux liée à une très faible proportion de retours parmi les étudiants partis se former à l’étranger (O’Neil, 2003) –, même si le nombre d’immigrants ne cesse de croître (pour atteindre presque 340 000 en 2000 [67]. Taiwan bénéficie en effet de l’intensification des mouvements migratoires au sein de la région dont proviennent 86 % des habitants nés à l’étranger (Thaïlande et Philippines pour la grande majorité d’entre eux) [68]. Comme ailleurs en Asie de l’Est et du Sud-Est, les immigrants appartiennent aux catégories sociales les plus défavorisées et leur statut légal est très précaire. Sur la base des tendances actuelles, la population de Taiwan devrait plafonner juste en dessous de 24 millions vers 2027, avant d’amorcer une décroissance pour n’atteindre que 20,4 millions d’habitants en 2056, soit trois millions de moins qu’aujourd’hui [69].
215Ces évolutions se sont accompagnées de transformations importantes de la structure par âge de la population taiwanaise, qui est entrée dans une phase de vieillissement rapide. Ainsi, en l’espace de trente ans (1978-2007), l’âge médian de la population est passé de 22,2 à 35,8 ans. Dans le même intervalle, la proportion de personnes âgées de 65 ans ou plus est passée de 4 % à 10 %, alors que celle des enfants âgés de moins de 15 ans a diminué de près de moitié, tombant de 33 % en 1978 à 18 % en 2007 (figure A.1). Le processus de vieillissement s’accélèrera encore au cours des cinquante prochaines années, si bien qu’en 2056 les personnes âgées de 65 ans ou plus devraient représenter plus du tiers de la population totale (38 %), tandis que seul un Taiwanais sur dix (10 %) sera alors âgé de moins de 15 ans [70].
Structure par âge et par sexe de la population taiwanaise en 2000

Structure par âge et par sexe de la population taiwanaise en 2000
216La hausse rapide de l’espérance de vie à la naissance, qui atteint désormais des niveaux proches de ceux des pays les plus développés, est l’un des traits marquants de la démographie taiwanaise au cours des dernières décennies (figure A.2). Entre 1985 et 2007, la durée de vie moyenne s’est accrue de 15,8 ans pour les hommes et de 18,5 ans pour les femmes, soit un gain annuel moyen de 0,5 et 0,6 an, respectivement. Elle est aujourd’hui de 78,6 ans, soit 6 ans de plus qu’en Chine continentale.
Évolution de l’espérance de vie à la naissance, hommes et femmes, 1956-2007

Évolution de l’espérance de vie à la naissance, hommes et femmes, 1956-2007
217La fécondité des femmes taiwanaises est désormais très faible avec un indice synthétique de seulement 1,1 enfant par femme en 2006, soit un niveau encore inférieur à celui des pays les plus développés de la région, comme le Japon (1,3 enfant par femme en 2000-2005), la Corée du Sud (1,2) ou Singapour (1,4) [71]. La baisse s’est produite principalement au cours des années 1960 et 1970, sous le coup des nombreuses mesures adoptées par les autorités taiwanaises dans le but de ralentir la croissance démographique. Ces mesures ont rencontré une adhésion massive des familles : ainsi, de plus de 7 enfants par femme en 1951, la fécondité taiwanaise est tombée en dessous du seuil de remplacement des générations dès le milieu des années 1980. Un retard important de l’âge moyen au premier mariage, passé de 27 à 33 ans pour les hommes et de 23 à 29 ans pour les femmes entre 1975 et 2006 [72], une plus grande fréquence des divorces (avec 6,4 % de la population âgée de 15 ans et plus divorcée en 2007, contre 0,9 % trente ans plus tôt [73]), une élévation rapide du niveau d’instruction, en particulier chez les femmes, et une pratique contraceptive très répandue (qui concernait 90 % des femmes en 1998, contre 28 % en 1965 [74]), sont manifestement responsables du niveau exceptionnellement faible atteint par la fécondité taiwanaise aujourd’hui, parmi les plus basses du monde.
Évolution de la fécondité taiwanaise, 1951-2008

Évolution de la fécondité taiwanaise, 1951-2008
218Une « nouvelle politique de population » a été adoptée en 1992 par les autorités taiwanaises pour maintenir une croissance démographique positive et ainsi ralentir le processus de vieillissement. Le gouvernement a développé dans ce cadre un ensemble de mesures prônant les valeurs familiales et des programmes destinés à favoriser le mariage des jeunes, l’objectif étant de stabiliser progressivement la fécondité autour du seuil de remplacement des générations (Barbieri, 2006 ; Chang, 2005). Mais aucune mesure véritablement pro-nataliste n’a été mise en œuvre et la famille à deux enfants est toujours encouragée, ce qui explique sans doute que cette politique ne soit pas parvenue à infléchir l’évolution à la baisse de la fécondité.
Recensements, enquêtes démographiques et socio-économiques nationales auprès des ménages, enquêtes nationales de fécondité et de santé de 1945 à 2008

Recensements, enquêtes démographiques et socio-économiques nationales auprès des ménages, enquêtes nationales de fécondité et de santé de 1945 à 2008
Superficie et densité en 2000-2005, Évolution de la population de 1950 à 2050

Superficie et densité en 2000-2005, Évolution de la population de 1950 à 2050
Taux de natalité, de mortalité et d’accroissement naturel de 1950 à 2005

Taux de natalité, de mortalité et d’accroissement naturel de 1950 à 2005
Âge moyen des femmes et des hommes au premier mariage

Âge moyen des femmes et des hommes au premier mariage
Proportion de femmes célibataires à différents âges

Proportion de femmes célibataires à différents âges
Indice synthétique de fécondité et taux net de reproduction de 1950 à 2015

Indice synthétique de fécondité et taux net de reproduction de 1950 à 2015
Niveau, calendrier et caractéristiques les plus récentes de la fécondité

Niveau, calendrier et caractéristiques les plus récentes de la fécondité
Taux de prévalence contraceptive selon la méthode (en % des femmes mariées en âge de procréer)


Taux de prévalence contraceptive selon la méthode (en % des femmes mariées en âge de procréer)
Espérance de vie à la naissance et mortalité infantile de 1950 à 2005

Espérance de vie à la naissance et mortalité infantile de 1950 à 2005
Mortalité maternelle et prévalence du VIH à 15-49 ans

Mortalité maternelle et prévalence du VIH à 15-49 ans
Conditions d’accouchement, mortalité et santé des enfants

Conditions d’accouchement, mortalité et santé des enfants
Structure de la population par grands groupes d’âges de 1950 à 2030 et rapports de dépendance et de masculinité en 2005

Structure de la population par grands groupes d’âges de 1950 à 2030 et rapports de dépendance et de masculinité en 2005
Migrations internationales, populations réfugiées et déplacées

Migrations internationales, populations réfugiées et déplacées
Indicateurs de développement (économie, développement humain et pauvreté)

Indicateurs de développement (économie, développement humain et pauvreté)
Évolution du taux d’analphabetisme et du rapport du taux féminin au taux masculin entre 1980 et 2005

Évolution du taux d’analphabetisme et du rapport du taux féminin au taux masculin entre 1980 et 2005
Notes
-
[*]
Institut national d’études démographiques, Paris.
Correspondance : Isabelle Attané, Institut national d’études démographiques, 133 boulevard Davout, 75980 Paris Cedex 20, tél : 33 (0)1 56 06 22 56, courriel : isabelle. attane@ ined. fr -
[1]
Notons que Hong Kong et Macao, qui ont été rétrocédés à la Chine respectivement en 1997 et 1999 et ont depuis lors le statut de Régions autonomes spéciales, seront traités comme parties intégrantes de la République populaire de Chine, et non en tant qu’entités nationales autonomes. L’île de Taiwan (ou République de Chine) n’étant pas officiellement reconnue comme un État indépendant par l’Organisation des Nations unies, elle ne figure pas dans la base de données démographiques publiée par la Division de la population des Nations unies sur laquelle est fondée la plus grande partie des analyses présentées dans cet article. Le cas de Taiwan est toutefois traité en annexe.
-
[2]
Pour alléger la lecture, nous utilisons les termes de Chine pour désigner la République populaire de Chine (sauf cas particuliers), Corée du Nord pour la République populaire démocratique de Corée, Corée du Sud pour la République de Corée, Laos pour la République populaire démocratique lao et Mongolie pour la République populaire de Mongolie.
-
[3]
Dans la région « Asie de l’Est et Pacifique », le Pnud inclut en effet dix pays, dont seulement huit (Cambodge, Chine, Indonésie, Malaisie, Mongolie, Philippines, Thaïlande, Vietnam) appartiennent à l’Asie de l’Est et du Sud-Est telle que définie par les Nations unies, mais exclut le Japon, la Corée du Sud, la Corée du Nord, la Mongolie, le Laos, le Myanmar, le Brunei, Singapour et le Timor oriental qui appartiennent également à l’Asie de l’Est et du Sud-Est telle que définie par les Nations unies.
-
[4]
Indicateur synthétique mis au point par le Pnud, qui prend en compte le revenu, l’éducation et l’espérance de vie à la naissance et qui varie de 0 à 1.
-
[5]
Rappelons que ces trois pays ne sont pas inclus dans la liste des pays d’Asie de l’Est et du Pacifique telle qu’établie par le Pnud.
-
[6]
« North Korea urgently needs food aid », Food Agriculture Organization of the United Nations, sur le site internet http:// www. fao. org/ english/ newsroom/ news/ 2003/ 24139-en. html, consulté le 14 janvier 2007.
-
[7]
En 1982, les régions situées au nord-ouest de cette ligne (57,1 % de la superficie totale) abritaient 5,6 % de la population totale (Blayo, 1997). Cette répartition s’est peu modifiée depuis.
-
[8]
Statistics Indonesia, sur le site internet http:// www. bps. go. id/ sector/ population/ table3. shtml
-
[9]
Japan Statistics Bureau, sur le site internet http:// www. stat. go. jp/ English/ data/ handbook/ c02cont. htm#cha2_2
-
[10]
Ces programmes sont souvent dénommés par leur sigle : EMF pour l’enquête mondiale sur la fécondité (World Fertility Survey, ou WFS en anglais), EDS pour les enquêtes démographiques et de santé (Demographic and Health Surveys, ou DHS), MICS pour les enquêtes à indicateurs multiples (Multiple Indicator Cluster Surveys).
-
[11]
Voir http:// www. unicef. org/ french/ statistics/ index_24302. html pour une description en français de ce programme d’enquêtes.
-
[12]
Il s’agit des enquêtes réalisées dans le cadre du Child and Maternal Surveillance System (cf. tableau A.1 en annexe).
-
[13]
Pour plus d’informations sur ce programme, le World Health Survey, voir le site qui lui est consacré à l’adresse : http:// www. who. int/ healthinfo/ survey/ en/
- [14]
- [15]
-
[16]
Les chiffres présentés pour l’Asie du Sud-Est doivent être considérés comme des approximations car J.-N. Biraben, à l’origine de ces données, ne précise pas, dans l’article consulté et cité en source, quelle définition exacte il donne à la région, si bien qu’il ne nous est pas possible de vérifier que celle-ci correspond effectivement aux pays que nous étudions.
-
[17]
Au Brunei, où la fécondité est désormais de 2,5 enfants par femme, la croissance démographique toujours élevée est due essentiellement à une immigration importante.
-
[18]
Rapport entre la population en 2005 et la population en 1965.
-
[19]
Les écarts d’âge entre époux sont estimés par différence entre les âges moyens des hommes et des femmes au premier mariage.
-
[20]
World Fertility Report, 2003 et World Marriage Patterns, 2000. Les données japonaises sont tirées de http:// www. stat. go. jp/ English/ data/ handbook/ c02cont. htm#cha2_2
-
[21]
Information aimablement transmise par Gavin Jones.
-
[22]
Le taux brut de divortialité se calcule en rapportant le nombre de divorces survenus au cours d’une année donnée à la population totale moyenne de l’année. Il s’exprime en ‰.
-
[23]
Données pour 2004, sauf pour le Vietnam (2002) et pour la Mongolie (2003). Données tirées du UN Demographic Yearbook 2005, à l’adresse <http:// unstats. un. org/ unsd/ demographic/ products/ dyb/ dyb2004. htm>, non disponibles pour les autres pays de la région.
-
[24]
Données du Philippines National Statistics Office, disponibles sur le site internet http:// www. census. gov. ph/ data/ sectordata/ sr06206tx. html
-
[25]
La population indonésienne est en effet à 87 % musulmane, tandis que celle des Philippines compte plus de 95 % de chrétiens, dont 87 % de catholiques.
-
[26]
Au Japon, la fécondité a diminué de plus de moitié entre 1947 et 1957. En Corée du Sud, une baisse d’ampleur équivalente s’est opérée entre 1965 et 1975.
-
[27]
Même en Algérie, où la transition de la fécondité a été particulièrement rapide et brutale, une quinzaine d’années a été nécessaire pour voir la fécondité diminuer de moitié, passant d’un peu plus de 6 enfants par femme en 1980 à à peine plus de 3 en 1995 (Ouadah-Bedidi et Vallin, 2000).
-
[28]
Pour plus d’informations sur la politique chinoise de contrôle des naissances, voir notamment Attané (2005).
-
[29]
Informations tirées de la base de données Unescap, sur le site internet <http:// www. unescap. org/ esid/ psis/ population/ database/ poplaws/ law_thai/ th_title. htm#Family%20Planning>
-
[30]
http:// www. unescap. org/ esid/ psis/ population/ database/ poplaws/ law_mongolia/ mongo2. htm
- [31]
-
[32]
Source : Statistics Indonesia, sur le site internet
<http:// www. bps. go. id/ sector/ population/ table7. shtml>. -
[33]
Ainsi, en Chine, l’écart type entre les indices synthétiques de fécondité est passé de 0,568 dans les années 1950 à 1,323 en 1970 puis à 0,460 à la fin des années 1990 (Peng, 2002).
-
[34]
Department of Statistics, Malaysia, 2001.
-
[35]
National Statistics Centre of the Lao PDR, sur le site internet <http:// www. nsc. gov. la/ Products/ Populationcensus2005/ PopulationCensus2005_chapter1. htm>
-
[36]
Indicateur proposé par le Pnud (Programme des Nations unies pour le développement) qui, rappelons-le, combine l’espérance de vie à la naissance, la scolarisation, l’alphabétisation et le PIB par habitant, afin de mesurer le niveau de développement humain (voir note du tableau annexe A.14). Notons que la Corée du Sud, pour laquelle le Pnud ne calcule pas d’IDH, est exclue de cette première comparaison.
-
[37]
En Chine comme en Corée du Sud, il a en effet été constaté que la sélection sur le sexe de l’enfant à naître s’opère surtout sur les naissances de rang 2 et plus.
-
[38]
Notons que l’Iran, où 73 % des femmes emploient une méthode contraceptive, fait exception dans la région Monde arabe et Moyen-Orient (Tabutin et Schoumaker, 2005).
-
[39]
Ce ne sont bien souvent que des estimations, dans lesquelles le calcul des espérances de vie est le plus souvent basé sur la mortalité des enfants (généralement la mieux connue) avec une extrapolation aux autres âges à partir de tables types de mortalité.
-
[40]
Toutes les moyennes régionales et sous-régionales que nous présentons sont pondérées par les effectifs de la population de chaque pays.
-
[41]
La situation en Afrique sub-saharienne, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, en Amérique latine et dans la Caraïbe et, tout récemment, en Asie du Sud a été présentée dans quatre autres chroniques de conjoncture de Population (respectivement : Tabutin et Schoumaker, 2004 et 2005 ; Guzmán et al., 2006 ; Véron, 2008).
-
[42]
Voir Tabutin (1978) pour l’histoire de l’Europe en la matière.
-
[43]
Nous n’entrerons pas ici dans les explications possibles de ces différences selon le sexe et de ces tendances (voir notamment Waldron, 1998 ; Vallin, 2002). Retenons simplement que les femmes naissent avec un avantage génétique certain sur les hommes, les conduisant a priori à une espérance de vie plus élevée, mais que cet avantage peut être contrecarré par des discriminations de comportements en matière alimentaire, sanitaire, etc. ou encore par les risques liés à la procréation. Au lieu d’une surmortalité masculine attendue (ou biologique), cela peut aboutir à des surmortalités féminines à certains âges que nous qualifions de sociales. Leur intensité et leur étendue en âge déterminent les différences d’espérance de vie entre hommes et femmes.
-
[44]
Calcul effectué à partir des données par pays estimées par l’OMS (2007).
-
[45]
Se référer au rapport OMS (2007) pour une description claire et précise des méthodes utilisées.
-
[46]
Cela conduit l’OMS (2007) à présenter chaque estimation pour un pays dans une large fourchette dont nous retenons ici la valeur centrale.
-
[47]
Toutes les informations quantitatives sans référence présentées dans cette section proviennent du dernier rapport de l’Onusida/OMS (2007).
-
[48]
Unaids/WHO Global HIV/AIDS Online Database,
http:// www. who. int/ GlobalAtlas/ predefinedReports/ EFS2006/ index. asp, consulté le 15 février 2008. -
[49]
Unaids/WHO Global HIV/AIDS Online Database,
http:// www. who. int/ GlobalAtlas/ predefinedReports/ EFS2006/ index. asp, consulté le 15 février 2008. -
[50]
La prudence est de mise concernant les données du passé (années 1950 et 1960 notamment). Les niveaux de mortalité des enfants sont mieux connus pour la période récente (années 1990 et suivantes) du fait de la multiplication des sources d’information (amélioration des systèmes d’état civil, recensements et enquêtes), même si une sous-estimation dont l’ampleur est difficile à évaluer demeure sans aucun doute dans de nombreux pays de la région.
- [51]
-
[52]
Lorsque les calculs sont faits pour l’ensemble des pays de la région pour les périodes où toutes les données sont disponibles, les résultats ne sont pas sensiblement modifiés, ni en termes de niveau de la mortalité, ni en termes de tendance. Ce phénomène tient à ce que les pays exclus sont soit des petits pays (qui pèsent donc peu dans le calcul des indicateurs à l’échelle régionale) comme le Timor oriental, soit des pays pour lesquels les indicateurs sont proches de la moyenne régionale comme le Vietnam.
-
[53]
La régularité des courbes ne doit pas faire illusion : elle provient de la manière dont les indicateurs ont été estimés par l’Institute for Health Metrics and Evaluation, à partir du lissage des taux calculés directement ou indirectement pour chaque pays (selon les données disponibles) à différents moments.
-
[54]
Calculé par Isabelle Attané à partir des données de recensement auxquelles ont été appliqués des ajustements équivalents à ceux effectués par Banister (2007) pour l’ensemble du pays.
-
[55]
Il existe une relation très forte entre les taux de couverture vaccinale contre la rougeole et les taux de couverture contre les autres maladies transmissibles (poliomyélite, coqueluche, tuberculose, diphtérie et hépatite B), si bien que ces observations s’appliquent au programme élargi de vaccination dans son ensemble.
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[56]
Bureau régional de l’OMS, <http:// www. searo. who. int/ en/ Section13/ Section37/ Section135. htm>, consulté le 2 juillet 2008.
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[57]
Statistics Indonesia, <http:// www. bps. go. id/ sector/ population/ table5. shtml>, consulté le 25 octobre 2007.
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[58]
Voir la section II de cet article qui concerne les sources d’information démographique pour des explications concernant ces deux types d’enquêtes.
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[59]
Données disponibles sur le site des enquêtes démographiques et de santé, <http:// www. measuredhs. com/ >, consulté le 2 juillet 2008.
-
[60]
Le rapport de dépendance se définit comme le rapport de l’effectif de la population « dépendante » (les moins de 15 ans et les 65 ans ou plus) à l’effectif de la population d’âge actif (15-64 ans).
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[61]
Rappelons que la croissance urbaine résulte de la croissance naturelle des villes (différence entre la natalité et la mortalité), mais également de la migration du milieu rural vers le milieu urbain et des reclassements de localités rurales en localités urbaines.
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[62]
Les stocks de migrants sont estimés essentiellement à partir des réponses aux questions posées dans les recensements sur le lieu de naissance ou, à défaut, la nationalité, voire le lieu de résidence antérieur.
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[63]
Notons qu’il existe de fréquentes contradictions entre les données des Nations unies et celles d’autres sources en matière de migrations internationales, telles que les chiffres officiels de différents pays, y compris ceux dont l’appareil statistique est très développé, ou d’autres organismes internationaux (Banque mondiale par exemple). Ces contradictions illustrent la difficulté à recueillir des informations statistiques fiables sur ce phénomène démographique et invitent à la prudence quant à leur interprétation.
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[64]
Les mouvements de population que les violences politiques ont entraînés au Timor oriental en 2006 n’apparaissent pas au tableau annexe A.13 car celui-ci présente des données pour l’année 2005 (dernière année pour laquelle des informations statistiques sont disponibles pour l’ensemble des pays de la région).
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[65]
Site internet du ministère de la Justice du Japon, <http:// www. moj. go. jp/ ENGLISH/ IB/ ib-01. html>, consulté le 23 juin 2008.
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[66]
Données en ligne de la Banque mondiale, hhttp:// web. worldbank. org/ WBSITE/ EXTERNAL/ DATASTATISTICS/0,,contentMDK:20398986menuPK:64133163pagePK:64133150piPK:64133175theSitePK:239419,00.html, site consulté le 24 juin 2008.
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[67]
World migration information sheet for Taiwan, Migration Information Source, Migration Policy Institute, à l’adresse http:// www. migrationinformation. org/ datahub/ countrydata. cfm? ID= 564, consultée le 22 décembre 2008.
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[68]
Ibid.
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[69]
National Statistics, Republic of China, à l’adresse http:// eng. stat. gov. tw/ lp. asp? ctNode= 2265&CtUnit= 1072&BaseDSD= 36
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[70]
National Statistics, Republic of China, à l’adresse <http:// eng. stat. gov. tw/ lp. asp? ctNode= 2265&CtUnit= 1072&BaseDSD= 36>
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[71]
Taiwan, Government Information Office, Republic of China, à l’adresse <http:// www. gio. gov. tw/ ct. asp? xItem= 35569&ctNode= 4101>, consultée le 14 décembre 2008.
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[72]
Taiwan, Government Information Office, Republic of China, à l’adresse <http:// www. gio. gov. tw/ ct. asp? xItem= 35569&ctNode= 4101>, consultée le 14 décembre 2008.
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[73]
Taiwan Ministry of Interior, à l’adresse <http:// www. moi. gov. tw/ stat/ english/ year. asp>.
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[74]
Ce pourcentage concerne les femmes mariées âgées de 22 à 39 ans ayant utilisé une méthode de contraception au moins une fois au cours de leur vie (voir Chang, 2005).