1Depuis le milieu du XXe siècle, âge d’or de la classe ouvrière, les catégories populaires sont progressivement sorties de leur condition d’insularité sociale, du fait de nombreux contacts avec les autres classes sociales, suscitant de puissants effets d’acculturation [1]. Les mutations du monde du travail, la massification scolaire ou l’élévation générale du niveau de vie ont profondément transformé les groupes sociaux situés en bas de la hiérarchie sociale [2]. Traversées par des forces centrifuges, les classes populaires sont aussi de plus en plus divisées : stables ou précaires [3], scolarité plus ou moins heurtée, expérience de travail au contact ou non avec d’autres milieux sociaux [4], etc. Cet éclatement se manifeste notamment par un clivage résidentiel, qui oppose les catégories populaires stables, installées dans les quartiers pavillonnaires et majoritairement propriétaires de leur logement, aux fractions paupérisées des cités HLM [5].
2Malgré son caractère schématique [6], ce clivage apparaît fortement structurant. Il reflète d’abord la distance sociale entre les fractions stables et précaires des catégories populaires, l’accès à la propriété requérant à la fois des conditions de revenus et une familiarité avec les logiques du crédit bancaire qui sont avant tout le fait des « milieux populaires instruits [7] ». Dans un contexte de fragilisation des protections sociales, la propriété privée constitue également une ressource déterminante [8]. Les inégalités de patrimoine, en particulier celles reposant sur la propriété du logement, se renforçant [9], la distinction entre propriétaires et locataires devient de plus en plus structurante dans la définition des positions sociales et les conditions de reproduction sociale. Mais la distance sociale entre cités HLM et quartiers pavillonnaires découle aussi des effets de l’espace résidentiel sur les styles de vie, car la distribution de la population dans l’espace « contribue à produire des divisions sociales et autorise l’affirmation de sous-groupes aux styles de vie originaux [10] », rendant possible le développement de sous-cultures spécifiques [11].
3Ce clivage résidentiel tient notamment à la composition sociale de ces territoires : si la ségrégation crée dans les cités HLM un entre-soi populaire très marqué, ailleurs les catégories populaires habitent dans des quartiers socialement mélangés [12]. La différence morphologique entre l’habitat collectif des cités HLM et l’habitat individuel contribue aussi à produire ces différences en termes de styles de vie. Parce qu’elle offre davantage d’espaces dans et en dehors du logement, la maison individuelle autorise en effet davantage la réalisation de pratiques populaires telles que le jardinage ou le bricolage, favorisant ainsi l’expression d’un « goût [populaire] de l’activité [13] ». L’habitat collectif s’avère à l’inverse très contraignant, empêchant notamment l’autoconstruction, très fréquente chez les ouvriers qui accèdent à la propriété [14]. Le statut de locataire constitue également un frein aux pratiques d’aménagement à l’intérieur du logement. Ainsi, à la différence de la maison individuelle qui permet l’épanouissement d’une sous-culture populaire – surtout masculine – autour de la « bricole », les cités HLM offrent à leurs occupants très peu de ces « tiers espaces » entre le logement et le travail sur lesquels repose ce style de vie populaire [15].
4Enfin, outre ces différences de peuplement et de style de vie, ce clivage renvoie à des principes de vision du monde différenciés : les fractions stables des classes populaires, dont l’accès en pavillon matérialise souvent une petite ascension sociale, sont davantage marquées par une « conscience triangulaire [16] ». Elles ont le sentiment d’appartenir à un monde situé à distance non seulement des catégories dominantes, mais également des fractions paupérisées des cités HLM, perçues comme « assistées » et dont le style de vie, souvent confondu avec celui de la culture de rue, est rejeté [17]. Ce clivage résidentiel se traduit par des rapports souvent différenciés au politique. La faible participation des habitants de cités contraste ainsi nettement avec l’intégration politique de certaines catégories populaires de territoires périurbains ou ruraux [18], et les orientations électorales des uns et des autres peuvent s’avérer divergentes [19].
5En soulignant l’importance des logiques de peuplement dans la construction des groupes sociaux, Jean-Claude Chamboredon insistait sur le rôle croissant des institutions politiques (en particulier de l’État) dans leur genèse. Ainsi, tout comme la disparition des quartiers ouvriers « traditionnels » a été précipitée par la politique de rénovation urbaine d’après-guerre [20], le clivage résidentiel contemporain au sein des classes populaires est largement le fruit des politiques urbaines de construction de grands ensembles dans les années 1950?1960 et de promotion de l’accès à la propriété depuis les années 1960 [21].
6La redéfinition récente des politiques publiques menées dans les « zones urbaines sensibles » invite à s’interroger à nouveau sur les effets sociaux des logiques de peuplement qui ont cours au sein de ces territoires populaires. Le programme national de rénovation urbaine (PNRU) lancé en 2003 marque en effet un tournant des politiques de la ville. Concentrant son action sur l’offre de logements, il vise spécifiquement à agir sur le peuplement de ces quartiers. Avec 250 000 démolitions et autant de reconstructions annoncées, il consiste essentiellement à remplacer des tours HLM par de petits immeubles, avec des statuts d’occupation variés (location HLM, location libre ou accession à la propriété), consacrant l’arrivée des promoteurs privés dans l’aménagement de ces territoires [22]. Si le nombre des nouvelles constructions sera finalement en deçà des objectifs et si la « diversification » de l’offre de logements reste au final relativement modeste [23], la transformation urbaine de ces cités n’en est pas moins importante. Ces nouvelles constructions ainsi que la réorganisation de l’espace local autour de nouvelles normes urbanistiques doivent participer à la « banalisation » de ces quartiers, rompant avec l’architecture fonctionnaliste qui participait à leur stigmatisation. La nouvelle offre de logements est censée faire (re)venir sur place des ménages des classes moyennes ou des fractions stables des classes populaires, dont la présence est supposée bénéfique pour « l’intégration » des habitants de cités [24]. La rénovation urbaine doit ainsi concourir à la « mixité sociale », credo des politiques urbaines depuis les années 1980 [25].
7Visant à combattre le stigmate résidentiel et bouleversant les logiques de peuplement de ces quartiers, cette politique est susceptible d’affecter les groupes sociaux qui y habitent, en modifiant leurs statuts résidentiels, leur composition sociale et, au final, leur style de vie. Pour aborder les éventuels effets de cette politique, on s’intéressera ici à un aspect central du dispositif de transformation du peuplement des cités : le développement de l’accession sociale à la propriété. Je m’appuierai sur une monographie réalisée entre 2007 et 2012 dans le grand ensemble des Minguettes, à Vénissieux en banlieue lyonnaise [26], dont une partie porte sur un programme d’accession sociale à la propriété (encadré 1).
Encadré 1. L’enquête : une monographie dans un quartier en rénovation urbaine
Cette recherche a mobilisé divers outils : analyse statistique des mobilités résidentielles et de l’évolution du peuplement (données des organismes HLM et d’accession sociale à la propriété, du recensement de la population de l’Insee et de l’observatoire local de la demande du logement social) ; analyse de documents institutionnels et d’archives ; observations directes (espaces publics, fêtes de quartier, réunions d’associations de quartier, visites de logements) ; 22 entretiens auprès d’acteurs institutionnels chargés de la mise en œuvre de la rénovation urbaine (bailleurs sociaux, organisme d’accession sociale à la propriété, chargés de projet du Grand projet de ville, etc.). Elle repose également sur 59 entretiens auprès de différentes catégories d’habitants des Minguettes : ménages relogés en raison des démolitions, habitants des nouveaux logements ou des anciens immeubles non démolis, membres d’associations locales. Ces entretiens approfondis (entre une heure trente et cinq heures) portent sur les pratiques résidentielles (essentiellement dans le logement et le quartier) et les représentations qui y sont associées, sur leurs évolutions au cours de la rénovation, ainsi que sur les trajectoires sociale et résidentielle.
L’accession à la propriété, analysée dans cet article, est donc une dimension parmi d’autres d’une recherche plus large, portant sur diverses situations résidentielles ou sociales affectées par la rénovation urbaine. L’ensemble de ces situations offre autant de points de comparaison et de contextualisation pour situer et enrichir l’analyse des trajectoires, des styles de vie et des formes de cohabitation des accédants avec leurs voisins.
La partie de l’enquête sur l’accession porte sur un programme neuf d’accession sociale à la propriété livré en 2008 : la résidence des Tulipes [27]. Composé de 35 logements en accession et de 56 logements sociaux, cet ensemble de petits immeubles de quatre étages comporte presque exclusivement des logements de taille modeste (T2, T3 et T4). Il est situé au cœur du grand ensemble, dans sa partie la plus valorisée, où sont concentrés commerces, services et équipements locaux ainsi que des copropriétés anciennes, et où se polarisent les efforts du projet de rénovation urbaine visant à créer un nouveau centre de quartier. Le principal matériau empirique mobilisé dans cet article se compose d’un entretien avec la chargée d’opération du programme des Tulipes, du fichier des 35 accédants fourni par le promoteur et de sept entretiens approfondis auprès de ménages ayant accédé à la propriété au cours de la rénovation (choisis à partir des fichiers accession et relogement, de façon à représenter la diversité des profils existants) : cinq aux Tulipes et deux autres installés dans des copropriétés anciennes voisines à l’occasion de leur relogement. Comme la plupart des habitants des Minguettes, ces sept enquêtés sont tous immigrés ou enfants d’immigrés. Voici quelques éléments décrivant succinctement leur profil :
Mme Amar : 34 ans, caissière en supermarché, mari agent d’entretien en piscine municipale, trois enfants de trois à quatorze ans, locataire HLM dans le 8e arrondissement de Lyon avant d’acheter aux Tulipes ;
Mme Ascaridian : 44 ans, ouvrière spécialisée dans l’automobile, mari employé de commerce, deux enfants de quatorze et vingt et un ans, locataire HLM dans une tour des Minguettes avant d’acheter aux Tulipes ;
Nadia Ikhlef : 30 ans, conseillère clientèle par téléphone, célibataire, habitait avant chez ses parents dans une commune du Sud-Est lyonnais ;
M. Boussouf : 44 ans, conducteur de bus, femme agent de service (femme de ménage) en établissement scolaire, deux enfants de onze et quatorze ans, locataire HLM dans un petit immeuble aux Minguettes avant d’acheter aux Tulipes ;
Melvut Uskudar : 23 ans, ancien ouvrier du bâtiment devenu petit entrepreneur du bâtiment, femme au chômage (employée qualifiée en comptabilité), un enfant en bas âge, a quitté le domicile parental dans un quartier d’habitat social proche des Minguettes pour acheter aux Tulipes ;
Mme Bekala : 36 ans, femme au foyer, mari ancien ouvrier du bâtiment devenu petit entrepreneur du bâtiment, trois enfants de dix à seize ans, habitait une tour HLM des Minguettes aujourd’hui démolie avant d’acheter en 2004 un appartement dans une copropriété au centre des Minguettes, puis de retourner dans une HLM des Minguettes en 2009 ;
Samir Taleb : 37 ans, ancien ouvrier du bâtiment devenu agent d’entretien municipal, femme auparavant au foyer ayant pris au moment d’accéder à la propriété un emploi d’agent d’entretien, trois enfants de onze à seize ans, habitait une tour HLM des Minguettes aujourd’hui démolie avant d’acheter un appartement dans une copropriété au centre des Minguettes en 2004.
8L’enquête menée aux Minguettes permet de saisir les effets de la transformation du peuplement provoquée par la rénovation urbaine sur les trajectoires, les modes de cohabitation, la composition sociale et au final les styles de vie. L’accession à la propriété profite en effet à des ménages avec des attaches familiales locales, qui appartiennent aux fractions stables des classes populaires mais sont économiquement contraints, et qui connaissent là une petite et fragile mobilité résidentielle. Les efforts imposés par l’accession se traduisent par un fort investissement de la sphère domestique, ce repli sur le logement et la famille se faisant au détriment du quartier, que les habitants tiennent à distance afin de ne pas mettre en péril leur promotion sociale.
Une petite promotion pour des familles populaires stables
9Depuis les années 1990, les politiques publiques locales et nationales en soutien à l’accession sociale à la propriété connaissent un net regain [28], notamment sous l’effet du PNRU qui en fait un outil central de la diversification de l’habitat (avec l’accession libre et le locatif libre) dans les « zones urbaines sensibles ». Ces dispositifs consistent à aider des ménages, sous condition de revenus, à devenir propriétaire de leur logement, par des aides directes et des plafonds de prix de vente. La rénovation urbaine offre avec ces programmes des conditions économiques particulièrement favorables pour l’accès des ménages au statut de propriétaire. Pour autant, ces opérations s’insèrent dans des quartiers fortement stigmatisés et très peu attractifs [29], et ne sont pas sans risque pour les promoteurs. Ainsi, malgré ces conditions ouvertes et attractives, l’opération des Tulipes se traduit par la présence prédominante de ménages modestes, quoique appartenant aux fractions stables des classes populaires.
Des ménages modestes appartenant aux fractions stables des classes populaires
10La vente des appartements en accession aux Tulipes a rencontré un important succès. Comme le soulignent tant les acheteurs que les promoteurs, cet achat constitue en effet une très « bonne affaire » : dans un marché du logement très tendu dans l’agglomération lyonnaise, le prix de ces appartements apparaît très concurrentiel et est susceptible d’attirer de nombreux ménages des classes populaires et moyennes. Cette attractivité résulte en grande partie des choix promus par la mairie de Vénissieux, qui souhaite ouvrir le plus largement possible l’éventail des ménages pouvant avoir accès aux Tulipes. Une réduction conséquente du prix des appartements par rapport au marché privé est tout d’abord opérée du fait de nombreuses aides : aides directes (du PNRU, du Grand Lyon et de Vénissieux) de 25 000 euros par logement en moyenne, TVA réduite et prise en charge d’une partie du coût du foncier par la commune. À 1750 euros/m2 en moyenne, les logements des Tulipes ont un coût nettement inférieur aux prix du marché [30]. À ces aides permettant de réduire le prix des logements s’ajoutent des conditions favorisant l’accès de larges catégories de ménages à ces logements : l’obtention du prêt à taux zéro, ainsi que le choix de la municipalité de fixer le plafond de ressources des ménages à son niveau le plus élevé – le Prêt Locatif Intermédiaire, dont l’accès est ouvert à 85 % des ménages. En optant pour ce plafond et des prix très attractifs, « la mairie de Vénissieux souhaite que la clientèle soit tirée vers le haut afin de changer l’image du quartier [31] ».
11Pourtant, les ménages qui s’installent aux Tulipes ont des revenus très modestes, largement inférieurs aux plafonds (inférieurs en moyenne de deux tiers [32]). Car ceux qui profitent de cette « bonne affaire » le font avant tout parce que leur capital économique ne leur permet pas d’accéder à la propriété ailleurs. À l’inverse, pour ceux ayant les moyens d’un choix plus ouvert, le stigmate qui affecte les Minguettes semble peser très lourd : dans l’agglomération, rares sont les ménages qui envisagent de s’y installer et d’y devenir propriétaire. Quoique plus favorisés que l’ensemble de la population du quartier, les ménages qui accèdent à la propriété aux Minguettes le font donc en partie sous la contrainte. Face au marché du logement, plusieurs enquêtés qui avaient d’abord envisagé l’achat d’un pavillon ont ainsi dû réduire leurs ambitions.
12Au lieu des classes moyennes espérées par le PNRU, ce sont donc des familles modestes qui accèdent à la propriété aux Minguettes [33]. Celles-ci appartiennent aux fractions stables des catégories populaires : parmi les sept ménages rencontrés, à part deux anciens ouvriers du bâtiment ayant créé leur entreprise, tous les accédants sont ouvriers ou employés avec un emploi stable (fonctionnaires territoriaux ou en contrat à durée indéterminée). Parmi eux, on trouve une seule ouvrière spécialisée, dans l’industrie automobile (Mme Ascaridian), mais cette immigrée dont l’arrivée en France s’est traduite par un déclassement social (ses diplômes obtenus à l’étranger n’étant pas reconnus sur le marché du travail) appartient davantage aux « milieux populaires instruits » qu’aux franges précaires des classes dominées. Ces ménages se distinguent également des fractions populaires précaires par leur situation professionnelle. La majorité d’entre eux occupe des emplois en contact avec le public (conducteur de bus, caissière, employé de commerce, conseillère clientèle, agent de piscine municipale, etc.), dont on connaît les effets en termes d’acculturation [34]. Le milieu professionnel joue aussi souvent un rôle dans la trajectoire de ces ménages : les conversations avec les collègues, dont certains possèdent déjà leur logement, ont chez certains déclenché l’aspiration à devenir propriétaire.
13S’ils appartiennent aux classes populaires, les ménages qui accèdent à la propriété se distinguent donc nettement des fractions précaires, majoritaires aux Minguettes, par leur situation professionnelle. Ils possèdent également davantage de capital économique : beaucoup disposent au moment de l’achat d’un apport initial important [35], témoignant d’attitudes d’épargne. En plus de ce petit patrimoine, les résidents des Tulipes disposent de revenus nettement supérieurs à ceux du reste des habitants des Minguettes [36]. L’ensemble de ces attributs résulte directement des conditions d’obtention des prêts bancaires, qui exigent la stabilité de l’emploi et un certain capital économique. Au sein d’une population fortement touchée par le chômage et la précarité [37], les couples qui accèdent à la propriété, bénéficiant d’emplois stables et de deux salaires, apparaissent comme relativement privilégiés. Par la modestie de leur situation, ils se distinguent cependant de ménages de classes moyennes, qui continuent à éviter les Minguettes. Ils s’en différencient également par leur trajectoire résidentielle et leurs attaches familiales qui, comme on va le voir, leur permettent d’atténuer les craintes liées à la réputation du quartier et les autorisent à considérer le fait d’y devenir propriétaire comme une forme de promotion.
Les Minguettes : un choix local et familial
14Pour accéder à la propriété aux Minguettes, y investir ses économies et consacrer d’importants efforts au remboursement du crédit, il faut donc, à l’encontre des représentations dominantes situant ce quartier à l’extrémité inférieure de la hiérarchie résidentielle locale [38], considérer qu’il est possible d’y connaître une promotion résidentielle. Ce rapport au stigmate résidentiel tient sans doute à la faiblesse du capital économique et à l’absence d’options alternatives, qui conduit à faire de nécessité vertu. Mais elle s’explique avant tout par des trajectoires résidentielles qui rendent possible une certaine familiarité avec les cités HLM et avec les Minguettes en particulier.
15Le recrutement des nouveaux propriétaires des Tulipes est en effet marqué par un très fort localisme. Deux tiers habitaient auparavant dans l’ensemble formé par Vénissieux et Saint-Fons (commune voisine, adossée aux Minguettes et qui forme un même ensemble géographique aux yeux de nombreux enquêtés) dont un tiers aux Minguettes. Le reste est issu du 8e arrondissement de Lyon et des communes du Sud-Est lyonnais, situées dans un même environnement à dominante populaire et comprenant de nombreux logements sociaux, à proximité relative des Minguettes. La familiarité avec le quartier joue donc un rôle important, notamment pour ceux qui habitaient déjà sur place et ont pu conserver leurs habitudes. Pour les deux ménages enquêtés ayant acheté leur logement dans une copropriété ancienne des Minguettes, cette familiarité est activement recherchée, notamment par les femmes, qui souhaitent avant tout rester à proximité d’un réseau familial et d’interconnaissance situé localement, dans un espace connu et maîtrisé [39].
16Pour les allochtones, le fait d’avoir habité auparavant dans une cité HLM permet une certaine familiarité avec le quartier. Mais cela ne suffit pas à contrer les réticences initiales liées à la mauvaise réputation des Minguettes : si la visite préalable du quartier réduit quelque peu leur appréhension, c’est surtout les discussions avec les proches, en particulier la famille, qui permet de lever les doutes. Ainsi Mme Amar, locataire HLM dans le 8e arrondissement de Lyon avant d’acheter aux Tulipes, aspirait à l’achat d’une maison non loin de Lyon. Réduisant rapidement ses ambitions à la recherche d’un appartement, le choix des Minguettes a fini par s’imposer « par rapport au prix et au budget qu’on avait ». La décision n’a pourtant pas été facile, le couple hésitant beaucoup à exposer ses trois enfants aux « fréquentations » du quartier. Si le fait d’avoir vécu en cité HLM participe à les rassurer, c’est surtout la famille qui permet de lever leurs doutes : « Mes parents, ils adorent Vénissieux. Ils aiment bien Vénissieux, je sais pas pourquoi. […] Ma mère, elle me disait justement : “Vous allez voir, Vénissieux, c’est déjà bien, mais en plus, ça va changer, ça va être super bien”. Ils m’ont réconfortée et ils m’ont poussée à faire mon choix. » Le quartier est d’ailleurs loin de lui être inconnu : ayant passé une partie de son enfance à Saint-Fons, elle possède de nombreux membres de sa famille à proximité (un frère et une sœur à Vénissieux, deux cousines aux Minguettes, ses parents dans une commune voisine) et se rend régulièrement aux Minguettes pour le grand marché hebdomadaire. S’installer aux Tulipes lui permet donc de maintenir une proximité avec sa famille, dans un environnement connu.
17La famille est aussi fortement sollicitée pour aider le ménage dans le processus d’accession. Après avoir été informé du projet des Tulipes par un cousin habitant aux Minguettes, Melvut Uskudar, qui souhaitait s’installer à proximité de sa famille résidant à Saint-Fons, a été d’abord incité puis largement soutenu dans son projet d’achat par ses parents. Après le refus de sa banque de lui accorder un prêt, ces derniers ont eux-mêmes négocié le prêt auprès de leur banque. C’est aussi lors du déménagement ou pour les travaux d’aménagement que la famille se mobilise [40]. Elle joue enfin un rôle comme instance de socialisation : l’univers familial participe à la transmission de dispositions résidentielles, tant en termes de rapport à l’épargne que d’inscription de l’accession à la propriété dans l’univers des possibles. Le statut de propriétaire fait partie de l’expérience et des références familiales des enquêtés, qu’il s’agisse du statut occupé dans le pays d’origine ou, en France, de celui des parents ou d’une partie de la fratrie. Devenir propriétaire s’inscrit ainsi dans une logique de reproduction familiale du statut résidentiel [41].
18En somme, ces accédants à la propriété possèdent les traits classiques de la culture populaire que sont le localisme et le familialisme [42]. Si, comme on va le voir, leur trajectoire les conduit à mettre à distance les sociabilités locales, elle laisse cependant à la famille une large place. Comme pour l’ensemble des classes populaires, la proximité géographique et l’intensité des sociabilités familiales restent un fait majeur [43]. Signe de l’importance de cette proximité, deux des cinq ménages d’accédants aux Tulipes rencontrés comptent dans la copropriété un membre de leur fratrie : Mme Amar a convaincu son frère d’acheter un appartement voisin et c’est peu après que sa sœur ait signé un compromis de vente que Mme Ascaridian a pris la décision d’acheter également. Dans un contexte de fragilisation des protections sociales, la famille offre à ces ménages, dont les revenus sont modestes et pour qui la précarité n’est jamais très loin, une « protection rapprochée [44] ». À travers l’aide matérielle apportée lors du déménagement et des travaux d’installation, elle constitue une ressource cruciale pour faire face au coût élevé de l’accession. Surtout, en permettant aisément de déléguer la prise en charge des enfants, la proximité de la famille rend possible la conciliation de l’économie domestique et du travail des femmes, indispensable pour assurer cette petite ascension résidentielle [45].
Une ascension fragile et exigeante
19L’accès à la propriété aux Tulipes constitue pour ces habitants une petite promotion résidentielle. Quoique relativement modeste, puisqu’elle se déroule dans un quartier très déprécié, elle n’en est pas moins importante à leurs yeux car elle leur permet d’accorder leur statut résidentiel avec leur position sociale et matérialise leur différence avec le reste des habitants des Minguettes. Si elle représente pour tous une forme de promotion, l’accession à la propriété prend néanmoins chez les habitants des Tulipes un sens différent, selon le moment où elle intervient dans leur cycle de vie.
20Une part non négligeable des résidents a un profil de « passant [46] ». Offrant surtout des logements de taille modeste [47], la commercialisation des logements a en effet attiré une part importante de jeunes ménages (les moins de 35 ans représentent la moitié des résidents), pour qui ce logement devrait constituer une simple étape dans leur trajectoire résidentielle. C’est le cas de Nadia Ikhlef, qui, à 30 ans, quitte le domicile parental dans une autre commune du Sud-Est lyonnais et achète seule son logement : ayant intégré les nouvelles règles du marché immobilier, qui imposent de plus en plus de disposer d’un apport pour acheter ensuite un logement susceptible d’accueillir une famille, elle considère son installation comme un « bon premier investissement ». Malgré les clauses anti-spéculatives qui soumettent l’obtention des aides à l’accession à l’obligation d’occuper son logement pendant une durée minimale de dix ans, certains espèrent bien réaliser avec ce logement une future plus-value qui leur permettra de poursuivre ailleurs leur trajectoire résidentielle ascendante. Cette projection dans l’avenir est cependant davantage le fait de ménages originaires d’autres quartiers. Elle correspond aussi à une façon de se ménager une voie de sortie, face aux incertitudes sur l’évolution future du quartier et aux inquiétudes concernant son influence sur les enfants.
21Si ces appartements sont envisagés comme un tremplin dans les parcours de certains, devenir propriétaire aux Tulipes représente pour d’autres l’aboutissement de leur trajectoire résidentielle. Pour ces « sédentaires », l’arrivée correspond souvent à une promotion résidentielle locale, dans un environnement familier et à proximité des ressources du réseau familial. C’est le cas de la plupart des enquêtés rencontrés. Pour la famille Ascaridian, l’emménagement aux Tulipes s’inscrit dans une logique compensatoire : installés depuis leur arrivée en France au milieu des années 1990 dans un logement social des Minguettes, où ils ont rejoint une partie de leur famille, ils ont tenu pendant quelques années un restaurant avant de devoir le fermer, et se trouvent depuis relégués dans des emplois subalternes de l’industrie ou du commerce. Propriétaires de leur logement en Arménie et bénéficiant d’un statut social plutôt favorisé, leur arrivée en France était jusque-là marquée par un double déclassement social et résidentiel. Devenir propriétaire aux Tulipes leur permet de compenser sur la scène résidentielle une situation professionnelle largement en deçà de leurs aspirations [48].
22La trajectoire des Ascaridian est par ailleurs emblématique des transformations récentes, liées à la rénovation urbaine, des trajectoires résidentielles envisageables depuis le quartier. Leur destin contraste en effet fortement avec celui de la plupart des membres de leur famille qui, arrivés avant eux aux Minguettes, ont depuis quitté le grand ensemble pour poursuivre ailleurs une trajectoire résidentielle. Comme pour un très grand nombre d’habitants des « zones urbaines sensibles [49] », notamment les ménages immigrés, le passage par les Minguettes correspondait pour ceux qui ont quitté le quartier à une simple étape dans des trajectoires ascendantes, à la manière du modèle de l’assimilation spatiale de l’école de Chicago [50]. À l’inverse, pour ceux arrivés plus récemment comme Mme Ascaridan ou sa sœur, qui ont toutes les deux acheté aux Tulipes, les possibilités de mobilité résidentielle hors du quartier sont désormais réduites [51] et des trajectoires ascendantes sur place sont désormais possibles. En devenant propriétaire aux Tulipes, elles connaissent donc un sort différent de leurs prédécesseurs : quartier de transition pour ces derniers, les Minguettes sont pour elles un quartier d’installation. Avec l’accession sociale à la propriété, l’objectif principal des institutions chargées de mettre en œuvre localement la rénovation urbaine semble ainsi atteint. En effet, si le mot d’ordre national des politiques de la ville est la « mixité sociale », sa traduction locale (par les bailleurs sociaux, la coopérative HLM ou les agents chargés de la coordination des opérations) consiste plutôt à promouvoir les « parcours résidentiels [52] ». Il s’agit avant tout, en offrant aux habitants des possibilités de promotion résidentielle locale, d’éviter la fuite des fractions stables des classes populaires. En retenant sur place une partie de ces ménages, le programme des Tulipes contribue à la transformation du rôle des Minguettes, limitant l’effet centrifuge du quartier sur les trajectoires résidentielles des ménages en ascension sociale.
23En effet, cette promotion résidentielle est souvent associée à un « petit déplacement [53] » dans l’espace social, marqué notamment par l’accès à la fonction publique ou au statut d’indépendant. Ainsi, Melvut Uskudar, jeune père de 22 ans originaire d’une cité HLM proche des Minguettes, associe très clairement l’amélioration que la rénovation urbaine lui semble apporter au quartier à la pente de sa propre trajectoire :
« Bon, je vais pas le cacher, j’ai grandi dans le quartier, j’ai grandi au milieu des conneries. J’ai fait le con à l’école, malheureusement. Donc quand je regarde par rapport à tout ça, y a beaucoup de changement, tout ça, la vie de quartier. Avant, on va dire, j’étais pas très présentable. Maintenant ça commence à devenir plus présentable. »
25Ayant monté une entreprise de bâtiment avec son frère après avoir été ouvrier pendant quelques années, il a aussi clairement le sentiment d’avoir changé de statut et d’avoir amélioré ses revenus, même s’il exprime le sentiment que cette promotion reste fragile :
« Moi, de la classe ouvrière, je suis passé avec mon entreprise à être chef d’entreprise. Forcément je gagne plus. Mais quand on regarde l’artisanat, au cours de ces dix dernières années, l’artisanat dans le bâtiment comment il a évolué, et ben il a chuté, diminué. Ça va de moins en moins bien […]. Je gagne mieux qu’avant, mais c’est toujours de plus en plus difficile. »
27Ces petites promotions sociales et résidentielles demeurent donc fragiles et la modestie des ressources fait peser des incertitudes sur la capacité à faire face aux remboursements sur la longue durée. Lorsque je la rencontre en 2009, Mme Ascaridian vient ainsi de passer deux semaines au chômage technique. Malgré son contrat à durée indéterminée, elle ne se sent guère protégée par son emploi dans l’industrie automobile et fait part de son inquiétude quant à sa capacité à se maintenir dans son logement. Le retour en arrière est ainsi une menace bien réelle : après avoir acheté leur logement dans une copropriété ancienne des Minguettes au début des années 2000, la famille Bekala ne parvient plus à rembourser son prêt et, contrainte de revendre quelques années plus tard, doit retourner dans une HLM. Marquée par de fortes incertitudes, l’accession à la propriété appelle donc une grande vigilance dans la gestion de budgets très serrés, ainsi que des efforts constants et une importante mobilisation familiale. Sauf chez quelques ménages plus à l’aise financièrement, elle se traduit par d’importants sacrifices, notamment des restrictions concernant les sorties payantes (cinéma, restaurant, etc.). Voici comment M. Boussouf décrit les changements provoqués par son nouveau statut résidentiel sur sa vie de famille :
« C’est vrai qu’au niveau… financièrement, on est limité par rapport à avant. C’est juste, juste, maintenant. […] Des sorties, des trucs comme ça, on en faisait plus avant que maintenant. C’est vrai que c’est bien d’être propriétaire, mais financièrement, on a toujours le crédit à payer, on a toujours des charges en plus, donc ça fait des sacrées sommes. […] Les sorties, on limite, on en faisait plus avant que maintenant. Maintenant, c’est plus des sorties de balades que des sorties d’activité, on va dire. On fait encore des sorties, mais c’est plus les mêmes, financièrement, c’est plus économe. […] Les enfants, pour eux, ça change rien, quand ils sortent avec les amis, ils ont toujours l’argent de poche. C’est surtout moi et ma femme qu’on se prive. Ils le ressentent pas, eux, c’est toujours pareil. Quand ils veulent aller quelque part : “papa, on peut aller quelque part”, ça a pas changé pour eux, pour aller au cinéma, ils veulent aller faire un truc… Mais c’est vrai que, ensemble, les activités, on les fait moins, les restos, on les fait moins. […] On allait manger, mais pas des grands restos, comme Flunch, on va dire, ou des petits, des restos sympas, quoi, en famille, pas trop chers aussi. »
29Ces efforts accomplis sont également à l’origine d’un sentiment de distinction par rapport aux locataires HLM et forgent le sentiment de l’ascension résidentielle. Majoritairement locataires HLM ou hébergés chez leurs parents avant de s’installer aux Tulipes, les habitants ont tous le sentiment de connaître une forme de promotion résidentielle. Conséquence directe du passage du statut de locataire à celui de propriétaire, ce sentiment est renforcé par l’impression d’avoir eu prise sur son destin résidentiel et de devoir cette ascension à ses propres efforts et à sa persévérance. À la différence de la « remise de soi » observée chez les ménages les plus démunis au cours de l’enquête, notamment ceux résidant dans les tours vouées à la démolition qui, au moment du relogement, délèguent au bailleur social leur destin résidentiel (souvent à regrets ensuite), les ménages accédant à la propriété mettent en œuvre des stratégies actives et font preuve d’une mobilisation intense dans leur recherche de logement : sélection des annonces, visites de plusieurs logements, négociation des conditions du prêt auprès des établissements bancaires, etc. Et l’accession à la propriété est associée à une forte mobilisation familiale, qui se traduit notamment par une fécondité restreinte typique des ménages modestes en ascension sociale [54] et la bi-activité du couple.
30En offrant des possibilités de promotion résidentielle locale, la rénovation urbaine parvient donc à retenir sur place des catégories populaires stables ou en petite ascension. En termes de « mixité sociale », l’effet de cette politique est donc limité : d’une part, les classes moyennes continuent à éviter le quartier ; d’autre part, à l’échelle du grand ensemble, les programmes neufs représentent une part minoritaire du parc résidentiel (en 2015, au terme de la rénovation urbaine, l’ensemble des logements neufs représentera 11 % du parc des Minguettes et la part des propriétaires aura augmenté seulement de 2 points, de 22,7 à 24,7 %) [55]. Si elle doit être ramenée à sa juste mesure, cette mixité n’en est pas moins réelle. En retenant sur place les catégories stables qui tendent habituellement à quitter le quartier, la rénovation urbaine fait ainsi cohabiter au sein d’une même cité différentes fractions des classes populaires, générant une dynamique allant (même modestement) à l’encontre du clivage résidentiel qui divise les classes populaires.
Investir son logement et tenir le quartier à distance
31Quels effets cette évolution du peuplement a-t-elle sur les styles de vie localement en vigueur ? L’enquête ayant eu lieu peu de temps après l’emménagement, une observation de plus longue durée serait sans doute utile pour saisir la manière dont les styles de vie se stabilisent au fil du temps. Cependant, observer les trajectoires d’accédants à leur début, dans un quartier encore en cours de transformation, présente des avantages indéniables pour décrire les transformations des styles de vie et des trajectoires de ces ménages : d’une part, la précédente situation résidentielle et le processus ayant conduit au déménagement sont encore récents dans la mémoire des enquêtés, ce qui limite les biais des entretiens rétrospectifs (oublis sélectifs, reconstructions a posteriori, etc.) ; d’autre part, le déménagement et les transformations du quartier liées à la rénovation urbaine constituent un moment de crise, de rupture de la routine, particulièrement propice à la réflexivité des acteurs sur leur situation et sur leurs pratiques [56], ce qui constitue un atout majeur pour l’enquêteur. Comme nous allons le voir, nos entretiens montrent que le début de ces trajectoires est marqué par un fort investissement de la sphère privée au détriment du quartier, que les accédants souhaitent tenir à distance.
Investir son « monde privé »
32Consacrant d’importants efforts pour devenir propriétaire, les habitants des Tulipes investissent intensément la sphère domestique. En raison des sacrifices consentis pour rembourser leur crédit, ils aspirent largement à profiter de leur logement. Cela se manifeste d’abord par l’investissement matériel et symbolique lors de l’aménagement de leur appartement. Certes, on est bien loin ici de la culture ouvrière traditionnelle marquée par « l’investissement en travail opéré dans la sphère domestique [57] ». Les travaux que les habitants des Tulipes réalisent dans leur nouveau logement sont modestes : non seulement l’autoconstruction leur est impossible mais, à l’exception notable de ceux exerçant une profession dans le bâtiment, les aménagements qu’ils réalisent se limitent souvent au strict minimum (pose de tapisserie ou peinture). Cette distance à l’égard de la pratique du bricolage (« mon mari n’est pas bricoleur », dit Mme Amar) témoigne d’un style de vie spécifique aux classes populaires des cités. Elle est sans doute le résultat de la socialisation dans le contexte résidentiel des HLM, qui empêche la transmission de dispositions populaires au bricolage [58]. Par ailleurs, si l’achat d’un logement sur plan offre des marges de manœuvre aux accédants pour l’aménager, peu d’entre eux ont modifié le plan initial, faute de maîtriser cet outil – souvent non sans regrets ensuite.
33Cela ne signifie pas pour autant l’absence de pratiques d’aménagement, qui revêtent à leurs yeux une grande importance. Ceux qui travaillent dans le bâtiment réalisent des aménagements considérables dans leur logement, non sans en tirer une certaine fierté (M. Uskudar ajoute au catalogue qu’il distribue à ses clients les photographies de son logement). Symbole de leur changement de statut, ceux qui en ont les moyens renouvellent complètement leur mobilier et, trouvant parfois leur inspiration dans les émissions de télévision spécialisées, tous apportent un grand soin au choix des matériaux et aux accords des couleurs dans le mobilier des espaces de réception. Le statut de propriétaire est particulièrement propice à cette appropriation du logement : suscitant le sentiment d’être chez soi, il permet davantage de « personnaliser » son espace privé (Mme Ascaridian). Il incite également davantage à l’hédonisme dans la sphère domestique : la famille Ascaridian a ainsi investi dans une salle de bain très confortable et au décor soigné, Mme Amar explique profiter désormais de son balcon lors des petits déjeuners prolongés le week-end, etc.
34Le plaisir associé au nouveau logement est aussi celui des réceptions. C’est le cas des jeunes ménages qui décohabitent, et acquièrent ainsi la possibilité d’accueillir de manière autonome. Pour tous les accédants, le logement est non seulement un lieu important pour les sociabilités amicales, mais il est surtout l’espace privilégié des sociabilités familiales. L’importance des réceptions se manifeste par le soin particulier apporté au décor du salon, mais aussi dans l’organisation du logement. La famille Ascaridian, seul ménage à avoir modifié sensiblement le plan de son logement (titulaire d’un diplôme des beaux-arts en Arménie, M. Ascaridian n’a pas eu les difficultés de ses voisins pour manier cet outil de représentation graphique du logement), a privilégié avant tout les espaces de réception, un plaisir essentiel aux yeux de ces anciens restaurateurs. Consacrant beaucoup de temps à cuisiner, ils ont choisi d’ajouter une cloison entre le salon et la cuisine (qui était ouverte sur le plan initial) et, surtout, de réduire au maximum la surface des chambres et de la cuisine afin d’agrandir celle du salon. Disposant désormais d’un grand salon, ils peuvent recevoir sans restriction :
« On reçoit beaucoup, voilà, il fallait que ça soit grand. Par exemple, pour Noël, on avait vingt-deux personnes, et ça nous a pas gênés. Y avait la place pour danser, pour chanter, pour les enfants […]. Là-bas, on avait un petit salon qui faisait 17 m2, ici, il fait 26 m2, y a quand même une différence. Là-bas aussi, on recevait, mais, bon, c’était un petit peu gênant, c’était juste. Par exemple, on comptait les gens, fallait pas que ça dépasse, avec nous, douze personnes. Ici, on peut ajouter une autre table ; mon mari, il a acheté une deuxième table alors quand on a besoin, on emmène, c’est dans le garage, on monte la table […]. Le salon c’est très, très [important] pour moi. » (Mme Ascaridian)
36Lieu d’épanouissement personnel et consacré aux plaisirs des sociabilités amicales et familiales, le logement est ainsi fortement investi. Ce « monde privé [59] », tourné vers soi, la famille et les amis, se construit largement à distance du quartier et des sociabilités locales.
« Faire une coupure » avec le quartier
37S’ils fréquentent volontiers les commerces et certains équipements collectifs des Minguettes, les accédants à la propriété se tiennent à l’écart du quartier et des sociabilités locales. Cette coupure résulte d’abord de la mobilisation familiale pour le remboursement du crédit, qui impose au couple de disposer de deux salaires et a pour effet d’éloigner les femmes des sociabilités locales. Chez une grande partie des habitants des Minguettes, on retrouve en effet un style de vie populaire traditionnel structuré par d’intenses sociabilités féminines au sein du voisinage, se déroulant pendant la journée, le plus souvent dans le logement autour de la « tasse de café [60] ». Le maintien de ces sociabilités, qui exigent une grande disponibilité, est rendu possible par un taux d’activité féminin particulièrement faible aux Minguettes [61].
38Le destin de la famille Bekala illustre bien cette tension entre les efforts imposés par l’accession à la propriété et l’insertion dans les sociabilités féminines locales. Unique couple d’accédants rencontré dont la femme ne travaille pas, il s’agit aussi du seul où celle-ci reste fortement investie dans les sociabilités quotidiennes avec les « copines » résidant dans le quartier. Or, comme on l’a vu, les Bekala ont dû revendre leur logement, le travail du seul mari s’avérant insuffisant pour faire face au montant des remboursements. La revente de leur logement et leur retour en HLM démontrent bien la nécessité de disposer de deux salaires pour accéder à la propriété. Ils soulignent aussi la relative incompatibilité pour les femmes entre l’entretien de sociabilités locales intenses et le travail exigé par l’achat de l’appartement. Dans son ancien quartier du 8e arrondissement de Lyon, Mme Amar participait activement à une association d’aide aux femmes en difficulté et avait largement investi les sociabilités informelles avec les « mamans » voisines. Si un congé parental lui avait offert jusque-là la disponibilité nécessaire à l’entretien de ces relations, le retour au travail imposé par l’achat de son logement l’empêche désormais de s’investir dans les relations de quartier. Ainsi résume-t-elle ce changement : aujourd’hui, « c’est pas possible de gérer. Comme ça, je me consacre à ma famille et à mon travail. »
39La distance avec les sociabilités locales n’est pas seulement imposée par des contraintes temporelles. Elle est aussi souhaitée et volontairement organisée. Ainsi, à côté des relations familiales auxquelles ils accordent beaucoup de place, les accédants choisissent leurs amis davantage parmi leurs collègues, qui habitent en dehors des Minguettes, que parmi leurs voisins. Et, bien que les Minguettes offrent de nombreux équipements et espaces verts très fréquentés, ils choisissent plus souvent d’autres espaces pour leurs loisirs. Ce souci de tenir le quartier à distance est avant tout une réponse aux inquiétudes suscitées par son influence jugée néfaste sur leurs enfants. Pour les activités de ces derniers dans le quartier, les parents privilégient donc les loisirs encadrés (sportifs essentiellement). Mais c’est surtout l’enjeu scolaire qui importe. Comme bien d’autres fractions stables des classes populaires de cité [62], les parents rencontrés tentent de contrôler les conditions de scolarité de leurs enfants : soit par des « parcours protégés » (comme Mme Amar, qui s’assure que sa fille se trouve dans la classe réunissant les meilleurs élèves du collège de secteur), soit par « défection » en choisissant un établissement dans un autre secteur. Bénéficiant par leur trajectoire migratoire et leur socialisation familiale de dispositions plurilingues, les deux filles Ascaridian, grâce au choix d’options rares (russe et japonais), ont pu intégrer un lycée prestigieux du centre de Lyon.
40De leur côté, les deux fils Boussouf sont scolarisés dans un établissement privé à proximité de Lyon qui accueille de nombreux autres élèves des Minguettes. Comme l’explique leur père, l’objectif est que leurs fréquentations ne se limitent pas au quartier :
« Les faire sortir un peu du quartier, les faire bouger un peu […]. Les copains du quartier, ils les voient le week-end, quand ils sont en vacances. Comme ça, ça leur fait une coupure. Pour eux, c’est ce qu’on a pensé […] : ils ont leurs copains de l’école, aussi. Ils se voient, mais bon, ça leur fait une coupure. Je voudrais pas qu’ils soient ensemble dans le quartier et encore à l’école. » (souligné par nous)
42Cette stratégie scolaire s’explique directement par la trajectoire de M. Boussouf. Ayant grandi aux Minguettes où il avait connu une scolarité difficile, il considère devoir son salut social à la coupure qu’il a lui-même connu avec le quartier. Après les « émeutes » du début des années 1980 aux Minguettes, inquiet pour le devenir de ses enfants, son père l’avait « ramené » en Algérie. Là-bas, il reprend ses études (jusqu’au niveau bac), rencontre sa femme et entame sa carrière professionnelle comme petit commerçant, puis chauffeur de taxi, avant d’intégrer à son retour en France les Transports en commun lyonnais, où il est aujourd’hui conducteur de bus. Les violences des années 1990 en Algérie le conduisent à revenir aux Minguettes, où il retrouve plusieurs membres de sa famille, mais il ressent une certaine distance avec ses amis d’enfance, qui ont connu d’autres trajectoires que la sienne et avec qui il entretient des relations cordiales mais distantes. Pour lui comme pour les autres accédants des Minguettes, la « coupure » avec les sociabilités locales est vécue comme une condition de l’ascension sociale. C’est précisément sur cette mise à distance que repose leur promotion résidentielle.
Travail et propriété : un ethos distinctif
43La présence des tours HLM voisines rappelle en effet en permanence aux accédants leur ancien statut résidentiel. Or les efforts engagés pour accéder à la propriété n’ont de sens que s’ils se matérialisent par une nette distinction entre ces deux types d’habitat. Leur discours est ainsi marqué par un travail de lutte symbolique pour la reconnaissance de la transformation de leur quartier et de l’amélioration de leur statut résidentiel qui en découle. À l’inverse des autres habitants des Minguettes, ils souscrivent sans réserve au discours officiel sur la rénovation urbaine, se montrant très sensibles à la communication institutionnelle sur les changements en cours. Souvent mentionnés par les enquêtés, les panneaux publicitaires, les prospectus ou le journal municipal, qui reprennent fréquemment l’image des Tulipes pour illustrer le renouveau du quartier, sont perçus comme une source de fierté et de légitimation de leur ascension résidentielle. Loin du quant-à-soi observé chez les fractions précaires des Minguettes, les habitants des Tulipes, principaux bénéficiaires de la rénovation, adhèrent ainsi au discours institutionnel. Celui-ci contribue à forger leur représentation du quartier, en particulier chez les nouveaux venus :
« J’ai vraiment l’impression que là, le quartier est en train de changer, ils veulent se débarrasser de cette image de grandes tours, de cité. Et tout ça, j’en avais discuté, justement, avec la dame qui m’avait vendu l’appartement : le maire de Vénissieux voulait plus de ces grandes tours-là, il voulait que des petits immeubles. […] Quand je suis venue, en fait, la première fois, pour voir un peu ce qui était proposé en appartements, elle a expliqué tous les changements qu’il y allait avoir dans Vénissieux, et je me suis dit : “ouais, là, c’est vrai que ça peut être pas mal d’habiter ici, quand même, parce qu’y a beaucoup de choses qui vont changer, notamment le tram, le cinéma, etc.” Je me suis dit, c’est des changements qui peuvent, ça m’a conforté dans mon idée, en fait, d’acheter dans le coin […]. Elle était super bien informée, la dame que j’avais vue. Avec des maquettes, aussi : Vénissieux avant, Vénissieux après, c’était pas mal. » (N. Ikhlef)
45D’après cette représentation promue par les autorités locales, la situation des Minguettes connaît donc une amélioration grâce aux reconstructions et à la disparition des tours HLM. Paradoxalement, alors que l’objectif est de changer l’image du quartier, la rénovation urbaine tend à réaffirmer un des fondements de la stigmatisation des cités : l’idée du caractère pathogène des tours HLM, qui justifie leur démolition. Et c’est justement parce qu’elle donne un sens à leur trajectoire que les accédants à la propriété adhèrent à cette représentation : c’est par rapport aux tours HLM que leur situation constitue une promotion. En « montant » dans la hiérarchie résidentielle, ils ont ainsi intériorisé un sens plus aigu de leur position résidentielle [63]. La représentation négative des tours HLM s’explique par le réseau de connaissance des accédants, tourné vers l’extérieur du quartier : plus souvent en interaction avec des allochtones (au travail, dans leurs sociabilités amicales, etc.), ils doivent faire face de manière fréquente au stigmate résidentiel [64]. Le discours officiel sur les transformations du quartier leur offre alors une ressource discursive et symbolique pour gérer ces interactions : il permet d’opposer au stigmate une image positive et légitime de leur quartier, tout en valorisant leur propre trajectoire.
46La mise à distance des tours HLM s’enracine également dans l’expérience des habitants. Ceux qui y ont vécu auparavant décrivent longuement les désagréments qui les ont marqués, en particulier la saleté, les dégradations des parties communes et la cohabitation difficile avec les quelques jeunes occupant souvent les allées. Ces difficultés traduisent surtout la frustration de ne pas avoir la maîtrise de son environnement résidentiel. À leurs yeux, le problème des tours est avant tout démographique : en rassemblant un trop grand nombre de ménages, elles rendent impossible le contrôle du voisinage. Lorsqu’une dégradation est causée, il est impossible d’en identifier l’auteur et de faire respecter des normes de cohabitation. Parce que ces dégradations se traduisent d’après eux par une augmentation des charges locatives, ils avaient souvent le sentiment de payer pour les dégradations commises par les autres. La distance que ces ménages souhaitent prendre avec les tours renvoie ainsi, indissociablement, à leur aspiration à la respectabilité résidentielle et à la condamnation morale de certains usages et de leurs conséquences matérielles et économiques, afférents aux modalités de cohabitation qui ont cours dans les tours HLM. À l’inverse, la petite taille des nouvelles constructions leur donne le sentiment de mieux maîtriser leur environnement. Les dispositifs de « résidentialisation », qui encadrent les accès et les usages autour des nouveaux immeubles [65], viennent renforcer ce sentiment de maîtrise, au contraire des tours où « les minots […] croient qu’ils sont propriétaires du quartier » (S. Taleb).
47Au-delà de la morphologie des immeubles, c’est le statut d’occupation qui procure un sentiment de distinction. Les accédants partagent la vision classique des effets pratiques et moralisateurs de la propriété, tel M. Uskudar : « Un propriétaire, ça fait toujours attention à son habitation. Tandis qu’un locataire, souvent il se dit : “De toute façon, je vais me barrer, c’est pas chez moi, je vais pas finir là.” Il en a rien à foutre. Il faut pousser les gens à acheter. Ça permettra qu’ils vivent un peu dans le propre. » Aux yeux des habitants des Tulipes, ce qui les distingue de ceux des tours HLM est donc un ethos de la propriété, générant un plus grand respect des lieux occupés. C’est également un ethos du travail, car pour être propriétaire, il faut savoir gérer son épargne et travailler dur. Ainsi, si Mme Askaridian apprécie son nouveau quartier, entouré d’autres copropriétés, c’est parce que la sélection opérée par le statut de propriétaire permet de préserver un certain entre-soi, où cet ethos est partagé :
« Si vous voulez, là, les bâtiments qui sont juste en face, c’est privé ; là, derrière le cinéma, c’est privé, pareil. Ça change tout : c’est des gens qui ont pu acheter quelque chose, ils travaillent, ils sont plus sûrement, plus adaptés à la vie en France, quoi. Ce sont des étrangers, pareil [que nous]. Y en a beaucoup, des étrangers. [Mais] c’est pas les RMIstes, c’est pas des gens qui bougent pas […]. Y a pas beaucoup [de personnes] qui peuvent acheter [dans les nouveaux immeubles]. Ce sont des gens qui travaillent, qui sont sérieux, qui font pas n’importe quoi, qui achètent. »
49En somme, on retrouve chez ces accédants la « conscience triangulaire [66] » qu’O. Schwartz décrit chez les fractions supérieures des classes populaires : le sentiment d’appartenir à un monde distant à la fois des classes supérieures et des fractions précaires des classes populaires. Leur souci de se distinguer des autres habitants des Minguettes est d’autant plus fort que la distance sociale (et géographique) qui les sépare est faible [67]. Il est aussi rendu nécessaire par les incertitudes qui planent sur leur propre ascension résidentielle : incertitudes quant au remboursement du crédit, comme on l’a vu, mais aussi quant au devenir de leur quartier, qui est encore en chantier et dont la transformation reste encore en grande partie une promesse [68]. L’arrivée aux Tulipes conduit ainsi ses occupants à se tenir à distance des tours HLM et de leurs habitants, aujourd’hui encore nettement majoritaires aux Minguettes. Cette logique de distinction constitue une rupture par rapport au principe d’égalité, très prégnant dans les milieux populaires, et que l’indistinction relative de l’habitat des cités HLM avait jusque-là en partie préservé. La présence d’une conscience triangulaire chez ces enquêtés n’est pas anodine. La mise à distance des fractions les moins respectables des classes populaires est en effet souvent associée aux ménages « blancs », chez qui le sentiment de distance sociale peut se redoubler d’une grille de lecture racialisée de leur différence [69]. L’existence de cette même logique chez les accédants des Minguettes, qui sont tous immigrés ou d’ascendance immigrée, montre que les clivages internes aux classes populaires, en matière de stabilité et d’aspirations à la respectabilité sociale, traversent aussi les groupes populaires issus de l’immigration.
50De leur côté, manifestant un sentiment réciproque de distance sociale, les autres habitants des Minguettes décrivent les occupants des nouveaux immeubles comme des « riches » ou des « bourgeois ». Et les accédants des Tulipes sont conscients de la façon dont ils sont désormais perçus dans le quartier. La façade des Tulipes donnant sur le quartier voisin composé de tours HLM a reçu à plusieurs reprises des jets de pierre, si bien qu’au moment de l’enquête, tous les volets sont fermés en permanence. Pour autant, les relations des accédants avec le reste de la population ne sont pas conflictuelles. Elles sont plutôt marquées par une distance cordiale, rappelant l’attitude de « réserve » propre à certains quartiers de centre-ville [70]. Et au sein de la copropriété, même s’il faut rester prudent en raison du caractère relativement récent de l’emménagement au moment de l’enquête (moins de deux ans), la même attitude de réserve semblait prévaloir dans les relations de voisinage.
51*
52Le développement de l’accession à la propriété dans les cités HLM permet à des ménages modestes de connaître une petite promotion résidentielle, de se constituer un patrimoine économique tout en restant dans un environnement familier, à proximité des ressources du réseau familial. En favorisant la stabilisation sur place de ménages appartenant aux fractions stables des milieux populaires, la rénovation urbaine va ainsi à l’encontre des forces centrifuges qui poussent habituellement cette catégorie de ménages à quitter les cités HLM pour s’installer dans d’autres secteurs, en particulier dans le périurbain pavillonnaire. En modifiant les logiques de peuplement de ces quartiers, elle vient ainsi contrarier les processus à l’origine du clivage résidentiel qui oppose, au sein des classes populaires, les fractions précaires des cités HLM et les fractions stables des zones pavillonnaires propriétaires de leur logement. En réduisant ainsi la distance spatiale qui les sépare, parvient-elle pour autant à réduire la distance sociale entre ces fractions de classe ? L’observation du rapport des résidents des Tulipes à leur quartier indique plutôt le contraire.
53La rénovation urbaine semble bien plutôt faciliter la constitution d’une petite élite locale, dont le statut social et résidentiel se démarque du reste du quartier. Cette élite, cependant, se distingue nettement des « établis [71] » décrits par Norbert Elias : peu insérée dans les sociabilités, les associations et les institutions représentatives locales, elle ne tire nullement sa position de son ancrage local [72]. Au contraire, en raison des efforts qu’elles imposent et du changement de statut auquel elles sont associées, ces trajectoires ascendantes se traduisent par un fort investissement de la sphère domestique et familiale et par la mise à distance volontaire du quartier. La construction de nouveaux immeubles renforce donc la différenciation résidentielle interne aux Minguettes et suscite, en même temps que des promotions résidentielles, des logiques de distinction.
54Si la rénovation urbaine parvient à rapprocher dans l’espace ces différentes fractions des classes populaires, elle ne réduit pas la distance sociale qui les sépare. Les attentes de cette politique à l’égard de la mixité sociale dans les cités sont, dès lors, doublement déçues : non seulement elle ne réussit pas à attirer sur place des ménages de classes moyennes ; mais la cohabitation entre les groupes sociaux en présence est loin de se traduire par un rapprochement social. Dans ce contexte, l’idée selon laquelle les ménages les plus précaires bénéficieraient de la proximité spatiale avec les catégories plus stables grâce à la diffusion de normes et de modèles sociaux valorisants, semble avoir peu de chances de se réaliser [73]. Les pratiques d’évitement du quartier, notamment sur le plan scolaire, risquent au contraire de mettre en échec les desseins de la mixité sociale. Accélérant une tendance sans doute déjà à l’œuvre, le style de vie des accédants à la propriété, privilégiant leur « monde privé » et la réserve à l’égard du voisinage, contribue au déclin des sociabilités de proximité dans les cités. Ce faisant, il fragilise les ressources compensatoires que les milieux populaires trouvent dans les relations de proximité.
Notes
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[1]
Je tiens à remercier Violaine Girard, Anne Lambert et Hélène Steinmetz pour m’avoir encouragé à développer cette analyse, ainsi que les deux relecteurs anonymes de Politix pour leurs commentaires précieux sur la première version de ce texte et Loïc Bonneval pour son aide sur les données du marché immobilier lyonnais.
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[2]
Nous renvoyons ici au travail d’Olivier Schwartz sur les classes populaires (La notion de « classes populaires », habilitation à diriger des recherches, Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 1998) et à sa discussion du modèle de la classe ouvrière comme « univers ségrégé » chez Richard Hoggart (La Culture du pauvre. Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Éditions de Minuit, 1970), ainsi qu’à l’excellente synthèse de Gérard Mauger sur la question (« Les transformations des classes populaires en France depuis trente ans », in Cours-Salies (P.), Lojkine (J.), Vakaloulis (M.), dir., Nouvelles luttes de classe, Paris, Presses universitaires de France, 2006).
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[3]
Castel (R.), Les métamorphoses de la question sociale. Une chronique du salariat, Paris, Fayard, 1995.
-
[4]
Schwartz (O.), La notion de « classes populaires », op. cit.
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[5]
Cf. Mauger (G.), « Les transformations des classes populaires… », art. cit. ; Masclet (O.), La gauche et les cités. Enquête sur un rendez-vous manqué, Paris, La Dispute, 2005.
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[6]
La dichotomie propriétaires de pavillons/locataires en cité HLM est réductrice à plusieurs titres : les catégories populaires n’habitent pas uniquement dans ces deux types d’espace (mais aussi dans des quartiers de centre-ville, etc.) ; ensuite, statut d’occupation et type d’habitat ne se recouvrent pas systématiquement (on peut être locataire HLM en pavillon ou propriétaire d’un appartement) ; enfin, bien qu’elles soient toutes majoritairement propriétaires d’un pavillon, les catégories populaires du périurbain, de proche banlieue ou de milieu rural évoluent dans des contextes résidentiels très différents.
-
[7]
O. Schwartz développe longuement cette hypothèse, comme un des facteurs de l’« extraversion » croissante d’une partie des classes populaires, cf. Schwartz (O.), La notion de « classes populaires », op. cit.
-
[8]
Castel (R.), Haroche (C.), Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi. Entretiens sur la construction de l’individu moderne, Paris, Fayard, 2001.
-
[9]
Dès 1990, Pierre Bourdieu et Monique de Saint-Martin remarquaient que le patrimoine économique, à travers le développement de l’accession à la propriété, occupait une place croissante dans les stratégies de mobilité et de reproduction sociale des agents sociaux (« Le sens de la propriété », Actes de la recherche en sciences sociales, 81 (1), 1990). Depuis, Louis Chauvel a souligné l’importance croissante du patrimoine dans les inégalités de revenus (« Le retour des classes sociales ? », Revue de l’OFCE, 79, 2001) et une enquête récente démontre l’accroissement de ces inégalités et le rôle croissant du logement dans la production de celles-ci (« Les inégalités de patrimoine s’accroissent entre 2004 et 2010 », Insee Première, 1380, 2011).
-
[10]
Chamboredon (J.-C.), « La construction sociale des populations », in Duby (G.), dir., Histoire de la France urbaine, Paris, Seuil, 1985, p. 454.
-
[11]
Par exemple, la sous-culture agonistique des adolescents de cité dans Lepoutre (D.), Cœur de banlieue. Codes, rites et langages, Paris, Odile Jacob, 1997 ; ou la culture domestique locale des « petits-moyens » de quartiers pavillonnaires dans Cartier (M.), Coutant (I.), Masclet (O.), Siblot (Y.), La France des « petits-moyens ». Enquête sur la banlieue pavillonnaire, Paris, La Découverte, 2008.
-
[12]
Préteceille (E.), « La ségrégation sociale a-t-elle augmenté ? La métropole parisienne entre polarisation et mixité », Sociétés contemporaines, 62 (2), 2006.
-
[13]
Weber (F.), Le Travail à-côté. Étude d’ethnographie ouvrière, Paris, Éditions de l’EHESS, 1989.
-
[14]
Verret (M.), L’espace ouvrier, Paris, L’Harmattan, 1995.
-
[15]
À la même époque que Florence Weber, O. Schwartz (Le Monde privé des ouvriers. Hommes et femmes du Nord, Paris, Presses universitaires de France, 1990) souligne l’importance de ces « tiers espaces » pour les hommes de milieux populaires. De façon similaire, Guy Groux et Catherine Lévy rapportent l’attachement populaire à la maison individuelle et au statut de propriétaire à la liberté qu’ils permettent : « L’autonomie acquise par l’espace à soi, [qui] se révèle dans “l’univers du faire” et de l’utile, dans l’établi du bricoleur qui matérialise souvent les usages sociaux et quotidiens des ouvriers. Aménagements des combles, ré-agencements des lieux, équipements “faits main”, jardinage, élevage, culture du potager, reflètent la maîtrise de l’espace. » (La possession ouvrière. Du taudis à la propriété, XIXe-XXe siècle, Paris, Éditions de l’Atelier, 1993, p. 185). Il y a ici un point important qui, à ma connaissance, n’a jusque-là pas été pris en compte dans l’explication des rapports entre générations dans le monde ouvrier : si, comme Stéphane Beaud et Michel Pialoux l’ont montré (Retour sur la condition ouvrière. Enquête aux usines Peugeot de Sochaux-Montbéliard, Paris, Fayard, 1999), le malaise des pères ouvriers, notamment ceux issus de l’immigration, s’explique par la précarisation et la disqualification sociale de leur métier, notamment aux yeux de leurs enfants passés par l’école, tout laisse penser que les conditions d’habitat en cité HLM participent également à produire ce désarroi, en leur offrant (à la différence de l’habitat individuel) peu de ces espaces nécessaires à la réalisation des activités socialement valorisantes que sont les différentes formes de « bricole ».
-
[16]
Collovald (A.), Schwartz (O.), « Haut, bas, fragile : sociologies du populaire », Vacarme, 37, 2006.
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[17]
Mauger (G.), « Les transformations des classes populaires… », art. cit.
-
[18]
Même s’il faut se garder des généralisations hâtives, le contraste est saisissant entre, d’une part, la description que fait V. Girard du territoire périurbain étudié dans sa thèse, où l’espace politique est dominé par une partie des catégories populaires autochtones (Un territoire périurbain, industriel et ouvrier. Promotions résidentielles de ménages des classes populaires et trajectoires d’élus salariés intermédiaires de l’industrie, thèse pour le doctorat de sociologie, EHESS, 2009) ou le « civisme » électoral des « petits-moyens » de Gonesse (Cartier (M.) et al., La France des « petits-moyens », op. cit.) et, d’autre part, l’exclusion relative de la politique observée dans les cités, cf. Masclet (O.), La gauche et les cités, op. cit. ; Braconnier (C.), Dormagen (J.?Y.), La démocratie de l’abstention. Aux origines de la démobilisation électorale en milieu populaire, Paris, Gallimard, 2007.
-
[19]
S’il faut bien sûr insister sur la complexité des phénomènes électoraux et l’absence d’effet mécanique de l’habitat sur le vote, il reste que les trajectoires d’accession à la propriété portent une partie non négligeable des fractions stables des classes populaires au vote à droite. Cf. Cartier (M.) et al., La France des « petits-moyens », op. cit. ; Girard (V.), « Les votes à droite en périurbain : “frustrations sociales” des ménages modestes ou recompositions des classes populaires ? », Métropolitiques, 2012 [en ligne : http://www.metropolitiques.eu/Les-votes-a-droite-en-periurbain.html].
-
[20]
Coing (H.), Rénovation urbaine et changement social. L’Îlot n° 4, Paris 13e, Paris, Les Éditions Ouvrières, 1966 ; Godard (F.), La Rénovation urbaine à Paris. Structure urbaine et logique de classe, Paris, Mouton, 1973.
-
[21]
Chamboredon (J.-C.), « La construction sociale des populations », art. cit. ; Groux (G.), Lévy (C.), La possession ouvrière, op. cit. ; Pialoux (M.), Théret (B.), « État, classe ouvrière et logement social (I et II) », Critiques de l’économie politique, 9-10, 1979 ; Bourdieu (P.), de Saint-Martin (M.), « Le sens de la propriété », art. cit. ; Driant (J.-C.), Les politiques du logement en France, Paris, La Documentation Française, 2009.
-
[22]
Saint-Macary (É.), Mixité sociale et diversité de l’habitat : l’investissement d’acteurs privés dans les opérations de rénovation urbaine, thèse pour le doctorat d’urbanisme, Université Paris-Est Marne-la-Vallée, 2011 ; Lelévrier (C.), Noyé (C.), « La fin des grands ensembles ? », in Donzelot (J.), dir., À quoi sert la rénovation urbaine ?, Paris, Presses universitaires de France, 2012.
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[23]
Alors que le PNRU 1 touche à sa fin, seules 140 000 démolitions-reconstructions de HLM ont effectivement été programmées, au lieu des 250 000 annoncées (ANRU, « État du programme national de rénovation urbaine au 9 octobre 2012 », 2012). Concernant la construction privée, il n’existe pas de données agrégées, mais une enquête sur 72 conventions ANRU en Île-de-France indique que leur part est modeste : avec 18 000 nouveaux logements, elle est inférieure à celle des reconstructions de HLM (plus de 30 000 sur ces 72 sites) et conduit à une évolution très limitée la part de l’offre privée dans ces quartiers, de 35 à 40 %, cf. Noyé (C.), Diversification de l’habitat et diversification fonctionnelle dans les opérations de rénovation urbaine en Île-de-France, Paris, DREIF, AORIF, 2009. D’autres enquêtes sur la mise en œuvre effective de la « diversification » du parc résidentiel dans les quartiers rénovés indiquent cependant que la part de la construction privée (en accession ou en location) est plus importante que celle initialement prévue dans les conventions, ces nouvelles constructions étant portées en premier lieu par la promotion privée, devant les programmes d’accession sociale et le locatif libre piloté par la Foncière logement. Cf. Saint-Macary (É.), Mixité sociale et diversité de l’habitat, op. cit. ; Lelévrier (C.), Noyé (C.), « La fin des grands ensembles ? », art. cit.
-
[24]
Pour une présentation des enjeux du PNRU : Epstein (R.), Gouverner à distance. La rénovation urbaine, démolition-reconstruction de l’appareil d’État, thèse pour le doctorat de science politique, ENS Cachan, 2008.
-
[25]
Palomares (É.), « Itinéraire du credo de la “mixité sociale” », Projet, 307 (6), 2008.
-
[26]
Cette enquête fait l’objet d’un doctorat de sociologie, en cours de rédaction, sous la direction de Jean-Yves Authier (Centre Max Weber, équipe MEPS, université Lyon II) et s’inscrit dans le cadre de l’ANR « Formes et conditions de sortie de la vulnérabilité sociale en milieux populaires » dirigée par Sylvia Faure et Daniel Thin (Programme « Vulnérabilités : à l’articulation du sanitaire et du social »).
-
[27]
Les noms de lieu et des enquêtés ont été modifiés, pour préserver leur anonymat. En revanche, en raison des spécificités du grand ensemble des Minguettes (stigmatisation ancienne et solidement ancrée, ultra-domination des catégories populaires, très grande taille du grand ensemble), il nous a paru utile de conserver son nom.
-
[28]
Steinmetz (H.), Fabriquer des petits propriétaires. Les HLM et l’accession à la propriété, thèse pour le doctorat de sociologie, Université Lyon II, 2013.
-
[29]
En 1999, on compte plus de 14 % de logements vacants aux Minguettes (RP Insee).
-
[30]
En 2006, année de la vente, le prix moyen des appartements neufs est de 2100 euros/m2 à Vénissieux et 2750 euros/m2 dans l’agglomération lyonnaise (base Perval).
-
[31]
« L’accession sociale à la propriété dans les quartiers ANRU », Fédération nationale des coopératives d’HLM, p. 8. Au contraire, comme l’indique ce document, d’autres projets de rénovation urbaine ont choisi des plafonds de ressource inférieurs aux plafonds légaux pour interdire l’accès des nouveaux logements à une population plus favorisée.
-
[32]
Fichier fourni par le promoteur.
-
[33]
Au-delà des Tulipes, ce constat vaut pour l’ensemble des Minguettes. Entre 1999 et 2008 (RP), la part des professions intermédiaires décline légèrement (de 12,8 à 12 %), comme celle des cadres et professions intellectuelles supérieures (de 2,1 à 1,7 %) – alors que sur la même période ces deux catégories voient leur part augmenter dans l’unité urbaine (respectivement de 26,2 à 27,6 % et de 16,5 à 21,1 %). Dans le même temps, la part des ouvriers augmente, de 44 à 47,5 %, comme celle des artisans, commerçants et chefs d’entreprises (de 2,7 à 3,6 %).
-
[34]
Schwartz (O.), La notion de « classes populaires », op. cit.
-
[35]
L’apport initial est de 30 000 euros en moyenne – 20 000 euros en excluant les quatre ménages déjà propriétaires auparavant et dont le patrimoine résulte de la revente de leur ancien logement. De tels apports représentent une part non négligeable du montant total de l’achat, le prix de vente réel moyen des logements aux Tulipes étant de 124 000 euros (149 000 euros, moins les aides de la ville et de l’ANRU).
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[36]
Deux tiers d’entre eux disposent de plus de 1 000 euros mensuels par unité de consommation, contre moins d’un quart des habitants des HLM des quartiers étudiés et pour lesquels les données étaient disponibles.
-
[37]
En 2008, d’après le recensement de la population, les ouvriers et employés représentent 83 % de la population active des Minguettes (dont 47,5 % d’ouvriers). Le taux de chômage est de 28,5 % et la part des emplois précaires (intérim et contrats à durée déterminée) parmi les actifs occupés est relativement élevée : 21,5 % (contre 11 % dans l’unité urbaine).
-
[38]
Les habitants des Minguettes font tous état de la nécessité de faire face à cette représentation stigmatisée de leur quartier, notamment dans leurs relations avec les allochtones. Gilbert (P.), « L’effet de légitimité résidentielle : un obstacle à l’interprétation des formes de cohabitation dans les cités HLM », Sociologie, 3 (1), 2012.
-
[39]
S. Faure a également souligné l’importance de la proximité et les effets déstabilisateurs de l’éloignement pour les femmes populaires habitant en cité HLM. Faure (S.), « De quelques effets sociaux des démolitions d’immeubles. Un grand ensemble HLM à Saint-Étienne », Espaces et sociétés, 124-125 (2), 2006.
-
[40]
On retrouve ici le constat général de l’importance de la mobilisation familiale au moment de l’accession à la propriété, notamment à travers des aides matérielles dans les milieux populaires. Authier (J.?Y.), Bidet (J.), Collet (A.), Gilbert (P.), Steinmetz (H.), État des lieux sur les trajectoires résidentielles, PUCA, 2010.
-
[41]
Plusieurs travaux dans les années 1990 ont souligné cette tendance à la reproduction sociale des statuts résidentiels et à la transmission familiale des dispositions résidentielles. Authier (J.?Y.) et al., Ibid.
-
[42]
Cf. par exemple : Bozon (M.), Vie quotidienne et rapports sociaux dans une petite ville de province. La mise en scène des différences, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1984 ; Barbichon (G.), « Culture de l’immédiateté et cultures populaires », Philographies. Mélanges offerts à Michel Verret, Saint-Sébastien, ACL-Société Crocus, 1987 ; Verret (M.), L’espace ouvrier, op. cit.
-
[43]
Bonvalet (C.), « La famille-entourage locale », Population, 58(1), 2003.
-
[44]
Castel (R.), Haroche (C.), Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi, op. cit.
-
[45]
A contrario, A. Lambert montre que pour des ménages originaires de cités HLM qui accèdent à la propriété dans le périurbain, l’éloignement du lieu de travail et du réseau familial rend impossible pour les femmes la conciliation de la double journée, celles-ci étant contraintes d’arrêter de travailler (« Travail salarié, travail domestique, travail au noir : l’économie domestique à l’épreuve de l’accession à la propriété en lotissement périurbain », Sociologie du travail, 54 (3), 2012). Cf. également, Sencébé (Y.) et al., Analyse des processus d’ancrage et des formes de territorialité des populations marquées par l’éclatement de leurs lieux de travail et de domicileà la périphérie des pôles urbains, PUCA, 2002.
-
[46]
Chamboredon (J.-C.), Lemaire (M.), « Proximité spatiale et distance sociale. Les grands ensembles et leur peuplement », art. cit.
-
[47]
Sur 35 logements, il y a aux Tulipes 8 T2, 11 T3, 13 T4 et seulement 1 T6 et 2 T5. D’après la chargée d’opération de la coopérative HLM, les grands logements, dont le prix est plus élevé, sont difficiles à commercialiser.
-
[48]
Sur l’investissement de la scène résidentielle comme logique compensatoire à la carrière professionnelle, et plus largement sur les articulations entre trajectoires professionnelles et résidentielles, cf. Collet (A.), « Les “gentrifieurs” du Bas Montreuil : vie résidentielle et vie professionnelle », Espaces et sociétés, 132-133 (1), 2008.
-
[49]
Nivière (D.), « La mobilité résidentielle des habitants des zones urbaines sensibles entre 1990 et 1999 », Rapport de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles, 2005.
-
[50]
Grafmeyer (Y.), Joseph (I.), L’École de Chicago, Paris, Éditions du Champ urbain, 1979.
-
[51]
Comme dans beaucoup d’agglomérations, le marché du logement s’est fortement tendu à Lyon au cours des années 2000 : temps d’attente pour obtenir un logement social passant entre 2002 et 2006 de 28 à 46 mois (Observatoire de la demande locative sociale du Rhône), hausse de 39 % des loyers dans le secteur privé de l’agglomération lyonnaise et quasi triplement des prix de vente dans l’ancien à Lyon entre 2000 et 2010 (Agence d’urbanisme du Grand Lyon, « Les loyers dans le parc privé de l’agglomération lyonnaise en 2010 » et « Marchés de l’immobilier ancien dans le Grand Lyon », 2011). Par ailleurs, dès les années 1990, la mobilité résidentielle a diminué aux Minguettes : alors que la part des personnes occupant le même logement au RP précédent a diminué entre 1990 et 1999 dans l’unité urbaine (de 47 à 44 %), elle a augmenté aux Minguettes (de 44 à 48 %). Et au cours des années 2000, malgré les nombreux déménagements provoqués par la rénovation urbaine, on observe encore une nette sous-mobilité résidentielle aux Minguettes : en 2008, 67 % des ménages occupent le même logement que 5 ans auparavant, contre 61 % dans l’unité urbaine (RP 1990, 1999 et 2008).
-
[52]
Lelévrier (C.), Action publique et trajectoires résidentielles : un autre regard sur les politiques de la ville, habilitation à diriger des recherches, Université Paris-Est Marne-la-Vallée, 2010.
-
[53]
Lahire (B.), La culture des individus. Dissonances culturelles et distinction de soi, Paris, La Découverte, 2004.
-
[54]
D’après le fichier du promoteur, la majorité des 35 ménages d’accédants a un ou deux enfants et, alors que ce cas est très fréquent aux Minguettes, aucun n’en a plus de quatre.
-
[55]
Ayant enquêté dans de nombreux quartiers, Christine Lelévrier souligne également l’effet très limité de la rénovation urbaine sur le peuplement, notamment en raison de la concentration des plus précaires provoquée par le relogement. Cf. Action publique et trajectoires résidentielles, op. cit. ; « La mixité dans la rénovation urbaine : dispersion ou re-concentration ? », Espaces et sociétés, 140-141, 2010.
-
[56]
Lahire (B.), L’homme pluriel. Les ressorts de l’action, Paris, Nathan, 1998 ; Mauger (G.), « Sens pratique et conditions sociales de possibilité de la pensée “pensante” », Cités, 38(2), 2009.
-
[57]
Verret (M.), L’espace ouvrier, op. cit., p. 165.
-
[58]
À Gonesse, à l’inverse des pionniers du lotissement plutôt d’origine provinciale et rurale, les générations les plus récentes de « petits-moyens » qui ont grandi en cité HLM et qui accèdent à la propriété d’un pavillon sont marquées par la même distance à l’égard du bricolage. Cartier (M.) et al., La France des « petits-moyens », op. cit.
-
[59]
Schwartz (O.), Le monde privé des ouvriers, op. cit.
-
[60]
Il s’agit ici d’un trait classique de la culture populaire. Cf. Schwartz (O.), Le monde privé des ouvriers, op. cit. ; Bozon (M.), Vie quotidienne et rapports sociaux dans une petite ville de province. La mise en scène des différences, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1984.
-
[61]
Le taux d’activité des femmes aux Minguettes figure parmi les plus bas de l’unité urbaine. La part des actives chez les 25-54 ans y est particulièrement faible : 67 %, contre 86 % dans l’unité urbaine de Lyon. Et l’écart concernant les femmes actives occupées est encore plus marqué : seules 47 % des femmes de 25-54 ans ont un emploi, contre 77 % dans l’unité urbaine (RP 2008).
-
[62]
Van Zanten (A.), L’école de la périphérie. Scolarité et ségrégation en banlieue, Paris, Presses universitaires de France, 2001.
-
[63]
« L’effet de l’ascension, de quelque nature qu’elle soit, est aussi de donner aux individus un sens vertical (hiérarchique) de l’orientation dans le monde social et culturel. C’est en “montant” qu’ils ont souvent acquis le sens du haut et du bas, de l’élévation et de la chute. » Lahire (B.), La culture des individus, op. cit., p. 422.
-
[64]
Gilbert (P.), « L’effet de légitimité résidentielle », art. cit.
-
[65]
Terme apparu à la fin des années 1990 chez les organismes HLM et les architectes pour désigner de nouvelles pratiques d’aménagement des logements sociaux, la « résidentialisation » « consiste au minimum à clarifier les statuts des espaces extérieurs et à délimiter, par une clôture, l’espace privé de la résidence et l’espace public de la ville. Les dispositifs spatiaux […] vont de la simple fermeture pour éviter les passages, rassemblements et trafics, à la constitution d’unité résidentielle offrant aux résidents des espaces à s’approprier. » Lelévrier (C.), Guigou (B.), « Les incertitudes de la résidentialisation. Transformation des espaces et régulation des usages », in Haumont (B.), Morel (A.), dir., La société des voisins. Partager un habitat collectif, Paris, Édition de la Maison des sciences de l’homme, 2005.
-
[66]
Collovald (A.), Schwartz (O.), « Haut, bas, fragile », art. cit.
-
[67]
Chamboredon (J.-C.), Lemaire (M.), « Proximité spatiale et distance sociale », art. cit.
-
[68]
Comme le note J.-Y. Authier, « pour que des relations sociales puissent s’instaurer entre différentes populations partageant un même espace résidentiel, il semble nécessaire que les différences entre les populations soient sans ambiguïtés, et qu’un renversement de situation puisse paraître impossible. » Cf. Authier (J.-Y.), « Les pratiques sociales de coprésence dans les espaces résidentiels : mixité et proximité », in Jaillet (M.-C.), Perrin (E.), Ménard (F.), dir., Diversité sociale, ségrégation urbaine, mixité, Paris, Puca, 2008, p. 111-112.
-
[69]
Voir par exemple l’expression de formes de racisme populaire dans le monde ouvrier ou dans des quartiers de petite promotion sociale et résidentielle, Beaud (S.), Pialoux (M.), « Racisme ouvrier ou mépris de classe ? Retour sur une enquête de terrain », in Fassin (D.), Fassin (É.), De la question sociale à la question raciale ?, Paris, La Découverte, 2006 ; Cartier (M.) et al., La France des petits-moyens, op. cit.
-
[70]
Grafmeyer (Y.), Habiter Lyon. Milieux et quartiers du centre-ville, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1991.
-
[71]
Elias (N.), Scotson (J.), Logiques de l’exclusion. Enquête sociologique au cœur des problèmes d’une communauté, Paris, Fayard, 1997.
-
[72]
Sur le déclin de l’autochtonie comme ressource pour les milieux populaires : Retière (J.-N.), « Autour de l’autochtonie. Réflexions sur la notion de capital social populaire », Politix, 63, 2003 ; Renahy (N.), Détang-Dessendre (C.), Gojard (S.), « Deux âges d’émigration ouvrière. Migration et sédentarité dans un village industriel », Population, 58, 2003. Cependant, la configuration décrite par N. Elias de constitution d’une élite locale sur la base de l’autochtonie n’a pas partout disparu, comme l’a montré V. Girard à propos de certaines catégories populaires périurbaines dans Un territoire périurbain, industriel et ouvrier, thèse cit.
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[73]
Les théories du role-model et les représentations mécanistes des « effets de quartier » et de la mixité sociale sont en effet largement remises en cause par la littérature scientifique. Cf. Authier (J.-Y.), « Les pratiques sociales de coprésence dans les espaces résidentiels : mixité et proximité », art. cit. ; Bacqué (M.-H.), Fol (S.), « Effets de quartier : enjeux scientifiques et politiques de l’importation d’une controverse », in Authier (J.?Y.), Bacqué (M.-H.), Guérin-Pace (F.), dir., Le quartier. Enjeux scientifiques, action politique et pratiques sociales, Paris, La Découverte, 2006 ; Chamboredon (J.-C.), Lemaire (M.), « Proximité spatiale et distance sociale », art. cit. ; Kleinhans (R.), « Social Implications of Housing Diversification in Urban Renewal. A Review of Recent Literature », Journal of Housing and the Build Environment, 19, 2004 ; Epstein (R.), Gouverner à distance, thèse cit.