CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Depuis trente ans, l’industrie financière s’est progressivement retrouvée au centre d’une redistribution majeure des ressources économiques dans un espace global. Aux États-Unis, dans de nombreux pays d’Europe, mais aussi en Inde et ailleurs, l’émission d’actions et d’obligations est devenue la première source de financement des entreprises, alors que les titres de dette sont inextricablement liés aux budgets des États tels que nous les connaissons aujourd’hui. Les récentes difficultés de certains États européens pour écouler leurs titres ne sont qu’un exemple parmi d’autres qui témoigne que cet accès aux ressources se fait dans un rapport de forces où s’opposent les prétendants aux fonds entre eux et avec l’industrie financière, cette dernière ayant un rôle d’arbitre dans leur adjudication.

2Pour l’approche anthropologique dont relève ce texte, les institutions sociales chargées de gérer et d’arbitrer les rapports de forces sont par excellence le lieu du politique [1]. Leur analyse implique de comprendre la manière dont les conflits autour de l’accès aux ressources font sens pour les participants, à la fois ceux qui les gèrent et ceux qui les subissent. Ce sens concerne les identités sociales au sein des hiérarchies établies dans ces rapports de forces, et la manière dont elles définissent l’ordre politique légitime dans une situation donnée [2]. Keith Hart a ainsi étudié comment les institutions monétaires et les politiques qui s’en réclament sont constitutives du sens de l’État et de la citoyenneté [3]. Ces identités concernent les aspects les plus personnels et les plus intimes, puisque l’argent peut être le véhicule de nos engagements moraux les plus primordiaux [4]. Analyser le rôle distributif de la finance contemporaine implique alors de comprendre la manière dont ses employés font sens de leurs pratiques, lorsqu’ils décident d’acheter et de vendre ces actifs qui constituent une source fondamentale de financement pour l’économie globale. Ceci permet de questionner la façon dont ils conçoivent les rapports sociaux hiérarchiques qu’ils contribuent à constituer par cette distribution. C’est ce que je chercherai à faire ici, à partir d’une enquête de terrain effectuée à Paris, en 2004, dans la société Acme, une grande multinationale française de gestion de fonds [5].

3L’évolution de la régulation et des outils techniques de la finance contemporaine depuis les années 1970 pointe vers une logique décrite par Michel Foucault dans les termes d’une « politique d’économisation », établie dans le projet néolibéral. Le rôle proprement politique de la gestion des rapports de forces dans l’accès au crédit par la finance contemporaine est évacué, celle-ci étant définie par des objectifs économiques dont les seuls enjeux seraient techniques : « La surface de contact entre l’individu et le pouvoir qui s’exerce sur lui, le principe par conséquent de régulation du pouvoir sur l’individu, ne va être que cette espèce de grille de l’homo œconomicus[6]. » Au nom des théories libérales, la régulation financière s’est développée en ambitionnant de créer des « marchés » financiers plus ou moins « efficients », dans lesquels l’action d’« investisseurs » individuels, à l’abri de toute « interférence étatique », permettrait une « allocation optimale » des ressources. Elle a ainsi visé à ouvrir l’accès aux marchés à davantage d’entreprises cherchant du financement, et à davantage d’intermédiaires financiers pouvant y investir, tout en limitant le rôle des États à de simples garants du respect des règles du jeu, contrairement au rôle directif qui avait été conféré à ces derniers dans la circulation des capitaux après la Deuxième Guerre mondiale. Ces logiques se sont progressivement étendues au monde entier [7].

4Dans leurs débuts, ces transformations de la régulation financière étaient accompagnées d’un discours ouvertement politique, lié aux théories néolibérales étudiées par M. Foucault, exaltant l’organisation sociale des rapports financiers à travers des « marchés », et ce dans le contexte de confrontation idéologique de la guerre froide. Cependant, les propositions concrètes de la régulation financière se sont faites en s’appuyant sur ce qui était censé être un fondement scientifique, issu de la théorie économique et financière telle qu’elle s’est développée à partir des théories philosophiques libérales elles-mêmes. Au XXe siècle, la théorie économique s’est en effet progressivement stabilisée autour d’une approche par des marchés dont il s’agissait d’étudier l’efficience et les conditions d’équilibre, en dehors de toute « interférence » de l’État [8]. L’utilisation de l’outil mathématique, et des événements symboliques comme l’obtention de prix Nobel, ont renforcé ce caractère prétendument scientifique [9]. Ceci a contribué à faire des concepts de la théorie politique libérale une série de prémisses dont la vérité n’était plus celle du débat politique, mais celle du raisonnement économique institué comme science [10].

5La théorie financière s’est développée à partir de cette théorie économique, notamment depuis les années 1950, en intégrant les outils statistiques élaborés à la fin du XIXe siècle [11]. La notion de marchés efficients et le but de la maximisation des profits sont devenus des fondements théoriques de ce qui s’est progressivement affirmé comme une série d’outils techniques dans les pratiques financières. Ces concepts se retrouvent ainsi dans tous les manuels d’évaluation et d’investissement financiers que j’ai été amené à utiliser comme stagiaire, étudiant et enseignant. Dans tous ces contextes, il s’agit toujours d’outils définis sous un rapport technique qui permettent de définir les variables et l’orientation du calcul, sans qu’on demande aux élèves ou aux praticiens d’en questionner le fondement conceptuel, et encore moins leur possible généalogie dans la théorie politique. En tant que concepts donnant sens aux outils techniques, l’hypothèse des marchés efficients et l’objectif de maximisation des profits se retrouvent dans la régulation, qui les reconnaît et les impose comme normes professionnelles.

6Ainsi, le projet politique visant à rendre « libres » des « investisseurs » dans des marchés « efficients » avec un État « garant » et « minimal », s’est progressivement imposé, dans la régulation, dans l’enseignement et dans l’utilisation des outils financiers. Mais il l’a fait comme relevant de débats techniques en vue d’un but, la maximisation du profit, dont le caractère économique semblait évacuer par définition son aspect politique, c’est-à-dire le fait qu’il s’agissait fondamentalement d’une manière de gérer des rapports de forces sociaux concernant la distribution du crédit. Pourtant, à travers la description des pratiques des employés de l’industrie financière, je chercherai à montrer comment l’horizon politique de cette définition de l’économique, c’est-à-dire le fait que l’organisation en « marchés efficients » est uniquement justifiée socialement par sa prétendue capacité à engendrer une allocation optimale des ressources, est ce qui donne à cette économisation sa légitimité politique. Ce qui montre en quoi l’économisation est elle-même une politique.

7Dans ce dessein, je décrirai un moment où des gérants de fonds, investissant l’argent de leurs clients dans des dérivés de crédit, en 2004, se voient confrontés à un changement de stratégie d’investissement, les poussant à s’engager dans le type de pratiques spéculatives qui se sont trouvées à la base de la dernière grande crise financière. J’étudierai comment, dans des situations où ils doivent se justifier, ils mobilisent le potentiel légitimant, politique et moral, des outils qu’ils utilisent, et dont la qualité de « technique » est ainsi débordée. En explorant les possibilités multiples mais limitées du corpus d’outils techniques issus de la théorie financière qu’ils sont obligés d’utiliser dans le cadre de leur travail, les employés donnent ainsi à voir les tensions et la labilité des concepts, à la fois techniques et politiques, qui définissent le regard de l’investisseur maximisateur et l’efficience des marchés, au sein de controverses dans leur milieu professionnel. Cette tension entre le politique et le technique apparaît ainsi comme constitutive de la politique d’économisation dans laquelle les pratiques financières font sens.

8Je montrerai, dans une première partie, comment les concepts de l’investisseur et de l’efficience des marchés, avec l’implicite d’un État garant minimal, se retrouvent dans la définition des pratiques et des procédures appliquées par les employés, en tant qu’outils techniques dans un cadre de travail standardisé. J’analyserai ensuite, dans une deuxième partie, comment, dans les situations de changement et de conflit, qui impliquent un impératif de justification et de légitimation accru de la pratique quotidienne, les employés mobilisent cet horizon politique, qui donne sens, selon la régulation et sa généalogie dans la théorie économique, aux outils conceptuels en principe uniquement « techniques ». Ceci permettra alors de questionner, en conclusion, comment dans l’espace global de l’industrie financière, le caractère réputé uniquement technique et économique de sa distribution du crédit donne aux rapports de forces sociaux le sens politique ambivalent de l’économisation.

« Investisseurs », « marchés efficients » et « États garants » comme enjeux techniques de la distribution de ressources

9Au moment des observations, Acme était – elle l’est toujours aujourd’hui – une grande multinationale française de gestion de fonds pour tiers, investissant l’argent de ses clients, notamment des entreprises d’assurance européennes, dans des actifs financiers du monde entier. Les concepts de l’investisseur, du marché efficient et, de manière plus implicite, de l’État minimal et garant, étaient omniprésents dans les pratiques, inscrits dans les outils techniques des procédures appliquées avec l’évidence du quotidien par les employés, sans autre débat politique ou moral les concernant.

L’« investisseur » comme intentionnalité du calcul

10Pendant quatre mois, en 2004, j’ai été l’assistant de quatre gérants de fonds, dans une équipe de sept personnes qui avait à charge d’investir cinq milliards d’euros dans des dérivés de crédit, appelés ABS (Asset Backed Securities). L’équipe était dirigée par Marie et, en deuxième position, Juliette, deux gérantes de trente-cinq ans, qui avaient travaillé avec ces actifs financiers pendant près de dix ans. Pour tous leurs collègues, leur expertise était au centre de la justification de leur rôle dans la gestion des fonds qui leur étaient alloués. La directrice de notre département invoquait leur savoir-faire particulier pour expliquer leurs salaires et leurs bonus. L’expertise des gérantes était aussi mise en avant dans le matériel de marketing que l’équipe présentait aux clients dont elle gérait ou cherchait à gérer les fonds.

11Cette insistance sur le savoir particulier du gérant n’est pas spécifique à l’équipe dans laquelle j’effectuais mes observations. L’expertise fonde en grande partie les contrats de gestion de fonds dans l’industrie financière, par lesquels le gérant s’engage à représenter les intérêts de ses clients en investissant leur argent et en cherchant à maximiser leur gain. Ces derniers lui délèguent un pouvoir de décision concernant leur capital, dans le dessein de le mettre à profit mieux qu’ils ne le feraient eux-mêmes. Dans les pays de tradition juridique de common law, le contrat de gestion de fonds est régi par le statut du trust, forme fidéicommissaire selon laquelle le différentiel d’expertise interdit au client d’interférer avec les choix de celui à qui il a confié ses fonds. Si dans leur forme légale ce principe est moins marqué en France, c’est encore le même raisonnement qui fonde la délégation de la décision au nom de la représentation des intérêts [12].

12Pour représenter les intérêts de ses clients en tant qu’investisseurs cherchant à maximiser leur profit, Juliette devait évaluer les actifs et les acheter à un prix jugé convenable selon des procédures et des objectifs établis par contrat. Mon travail de stagiaire consistait à produire des rapports sur l’activité de l’équipe et à assister les gérants, notamment Juliette, dans la recherche de données leur permettant d’évaluer les actifs. Je devais ainsi accompagner les évaluations de Juliette et formaliser les raisons de ses achats dans des documents qui étaient distribués aux clients actuels ou potentiels, ainsi qu’à certains collègues et aux niveaux hiérarchiques supérieurs dans le département.

13Selon l’approche établie dans son équipe, Juliette devait effectuer une « évaluation fondamentale » des caractéristiques « intrinsèques » des actifs, c’est-à-dire des sources dont provient l’argent que peuvent en attendre les propriétaires. Les ABS sont le produit de la « titrisation » de prêts bancaires. Pour un contrat typique basé sur des prêts immobiliers, autour de dix mille prêts octroyés par une banque sont regroupés et vendus à une entité légale ad hoc appelée SPV (Special Purpose Vehicle). Parce qu’ils sont la source des revenus sur laquelle est basé l’ABS, les prêts bancaires sont appelés « le sous-jacent » du titre. Le SPV émet un titre unique, l’ABS, d’une valeur de plusieurs centaines de millions de dollars, qui peut être vendu par fractions à des entités comme les clients de Juliette, et qui leur procure des revenus provenant des intérêts payés par les emprunteurs des crédits immobiliers. Analyser la valeur « fondamentale » de l’ABS impliquait ainsi d’analyser l’activité de la banque qui a accordé les crédits sous-jacents, et la « qualité » de ces derniers, c’est-à-dire la probabilité qu’ils soient remboursés jusqu’à la fin sans faire défaut.

14Pour chaque ABS acheté, je pouvais ainsi observer Juliette étudier longuement la centaine de pages qui constituait le contrat entre le SPV émettant le titre et son acheteur, et qui détaillait les caractéristiques des prêts bancaires titrisés. Lorsqu’elle me donnait le contrat analysé, je reprenais ses notes, concernant la qualité de crédit des emprunteurs, la distribution géographique des prêts, le type de maisons pour lesquelles ils étaient accordés (s’il s’agissait de prêts immobiliers) ou encore les types de taux d’intérêt demandés. Ces variables, parmi des dizaines d’autres, devaient permettre à l’œil expérimenté de se faire une « opinion » sur la fiabilité des revenus sur le long terme.

15Le travail de Juliette s’appuyait en partie sur les trois plus grandes agences de notation [13]. Chaque ABS est divisé en « tranches », avec une notation différente selon leur exposition aux pertes subies en cas de défauts de paiement dans les prêts bancaires sous-jacents. Si ces défauts deviennent importants, les tranches « plus risquées » et moins bien notées par les agences seraient affectées d’abord et arrêteraient de payer des intérêts à leurs détenteurs, avant les tranches mieux notées. L’intérêt payé par chaque tranche, est ainsi fonction du « risque » de non-paiement qu’elle présente. Selon les procédures établies au sein de son équipe, Juliette demandait aussi à la banque qui vendait le titre de faire un « stress test » pour évaluer le pourcentage de prêts susceptibles de faire défaut avant que la tranche dont elle achetait une partie ne soit affectée. Pour les tranches les mieux notées, qui constituaient le gros des achats de Juliette, cette proportion se situait généralement autour de 20 %.

16Ce rôle des agences de notation, standard dans la profession pour ce genre de titres, était d’autant plus évident pour Juliette qu’il s’inscrit dans son propre parcours d’apprentissage de l’évaluation des ABS. Après une formation en école de commerce, Juliette avait travaillé cinq ans dans une agence de notation, en dirigeant l’évaluation des dérivés de crédit. Elle avait ensuite travaillé dans une banque qui produisait ces mêmes titres, avant d’arriver à Acme, deux ans avant mes observations, pour occuper le poste qu’elle avait en 2004. C’est en référence à son expérience dans l’agence de notation que Juliette évoquait en entretien les deux volets de l’analyse fondamentale, c’est-à-dire l’analyse de l’activité de la banque émettrice des prêts et de l’entreprise chargée de la gestion du SPV, ainsi que de la composition du portefeuille de prêts titrisés et des flux d’argent qu’on pouvait en attendre : « La notation [par les agences] c’est quoi ? Ben c’est, euh… ben, tu retrouves les piliers de notre analyse. »

17Une fois cette « évaluation fondamentale » réalisée, Juliette négociait le prix avec une équipe commerciale chargée par la banque émettrice des crédits sous-jacents de vendre l’ABS. L’évaluation fondamentale du dérivé de crédit constituait l’expertise de Juliette et occupait la plus grande partie de son temps. La négociation du prix était par contre effectuée assez rapidement, en quelques minutes. Contrairement aux procédures et calculs standardisés de l’évaluation fondamentale, Juliette m’expliquait que la définition du prix était quelque chose de très « subjectif », qu’on apprenait en étant « tous les jours sur le marché ».

18Toute l’activité d’évaluation et d’investissement de Juliette était officiellement tendue vers la représentation des intérêts des clients dont elle avait les fonds à charge. Ce rapport était inscrit dans les termes de son contrat de travail, ainsi que les logiques organisationnelles au sein d’Acme, qui, de ce point de vue, n’était pas une exception dans l’industrie financière. La rémunération de l’entreprise provenait essentiellement d’une commission qu’elle prélevait sur les profits générés pour ses clients. Cette commission payait les salaires et les bonus des employés. Plus les fonds sous gestion étaient élevés, ce qui dépendait en principe de la satisfaction des clients, et plus les rémunérations variables des gérants étaient importantes, leurs supérieurs hiérarchiques ayant des bonus prélevés sur les profits réalisés par les équipes sous leur direction. Par ce biais, les gérants devaient être incités à représenter au mieux les intérêts de leurs clients, réputés se confondre avec leurs intérêts propres.

19Cette organisation donnait lieu, de manière assez explicite selon les occasions, à un conflit entre employés, équipes et départements portant sur les montants des fonds sous gestion. L’équipe ABS s’était ainsi développée dans le département dit du Fixed Income, où étaient les gérants investissant dans des obligations, dont la structure est semblable aux ABS. Marie y avait géré un premier fonds de trois cent cinquante millions d’euros avec un autre gérant. Après un conflit ouvert avec lui pour la responsabilité concernant les décisions sur l’achat des titres avec cet argent, Marie réussit à se faire embaucher par le Département Structuré, spécialisé dans les produits dérivés, dans lequel elle obtint des responsabilités plus importantes. À partir de ce moment, tous les fonds qu’elle a obtenus ont été adjugés à son nouveau département de rattachement. À l’époque de mes observations, Marie, Juliette et Bastien, un gérant junior appartenant également à l’équipe, avaient à charge la plupart des fonds, dont le montant total s’élevait à cinq milliards d’euros. Michel, un gérant de quarante ans, détaché du département Fixed Income, ne s’occupait que du fonds relativement peu signifiant de trois cent cinquante millions d’euros, et était écarté de tous les autres projets. Le département du Fixed Income, et l’employé qui incarnait sa présence dans l’équipe, étaient ainsi écartés du flux de commissions le plus important. Ceci traduisait la confrontation entre les deux départements au sein même de l’équipe, et la marginalisation d’un des membres, qui m’expliquait, en entretien, à quel point il se sentait empêché de croître dans l’équipe, autant en termes de bonus que de responsabilités, affectant également son sentiment d’épanouissement personnel.

20Les procédures appliquées par Juliette, et par les autres gérants de fonds dans l’industrie financière, impliquent que le regard qui est porté sur les actifs financiers cherche exclusivement à maximiser les profits selon des calculs généralement standardisés. Ce regard de l’investisseur n’est pourtant pas porté par les propriétaires du capital, considérés comme n’étant pas qualifiés pour effectuer les tâches de Juliette. Mais cette dernière ne l’incarne à son tour qu’en vertu du contrat de délégation de la gestion du patrimoine. Le rapport de représentation des intérêts est ainsi le moment de constitution de la figure de l’investisseur, qui devient alors l’agent du calcul économique et de la définition des techniques de la distribution des ressources. L’« investisseur », agent officiel de toutes les transactions, n’est pas un « sujet » au sens que la philosophie libérale donne à ce terme, c’est-à-dire un individu doté d’un corps et d’une volonté qui dirigent ses actions. Il est plus proche du type d’agence défini par Michel Foucault comme une « intentionnalité [14] » qui donne sens aux calculs, en définissant le regard à partir duquel les employés qui effectuent leur carrière dans l’industrie financière obtiennent des résultats.

Les « marchés efficients » comme espace de la distribution du crédit

21Si l’évaluation et l’investissement réalisés par Juliette et ses collègues semblent être une instanciation singulière de la figure de l’investisseur, ils ne peuvent être compris que dans l’espace organisationnel qui les rend possibles, celui de l’entreprise dans laquelle ils travaillaient, mais aussi celui du réseau commercial au sein duquel les titres étaient échangés et l’argent était distribué. Cet espace social fait sens, selon la régulation financière et la théorie qu’elle mobilise, en ce qu’il serait le lieu où se réaliserait l’efficience des marchés conduisant à une allocation optimale des ressources. Le concept des « marchés efficients » est le cadre qui, dans les procédures des gérants comme Juliette, donne sens à l’intentionnalité que les employés mettaient en pratique, à la fois parce qu’il était présupposé dans leurs calculs et parce qu’il renvoyait à l’espace professionnel dans lequel ils agissaient.

22Selon son contrat de gestion, chaque ABS acheté par Juliette était intégré dans un même ensemble avec d’autres ABS, dont la valeur totale était d’un milliard et demi d’euros, provenant d’un groupe spécifique de clients. L’objectif explicite de cette procédure était de « diversifier » le risque de défaut de paiement d’un titre. Ainsi, aucun titre ne devait avoir un poids trop important et les titres étaient choisis pour avoir une diversité concernant leurs sous-jacents et les facteurs qui pouvaient affecter les revenus qu’ils procuraient, selon l’analyse fondamentale décrite plus haut. Juliette remarquait qu’il s’agissait là de pratiques tout à fait standardisées et qui s’imposaient avec l’évidence des règles de base de la pratique professionnelle : « C’est des choses qui sont, enfin, […] l’un dans l’autre après ça tombe sous le sens, c’est de faire des expositions maximum de 2 % par nom [15], donc que ça soit de l’ABS ou autre chose, tu vois… »

23Ce type de diversification a été systématisé dans la théorie financière avec l’utilisation de l’outil statistique selon l’hypothèse de l’efficience des marchés. Dans ce cadre théorique, toute l’information relative à la valeur fondamentale d’un actif est supposée être intégrée dans le prix, à travers le jeu de l’offre et de la demande. Cela implique qu’un investisseur individuel ne peut pas atteindre une meilleure évaluation du prix que le marché lui-même. Reste que les prix peuvent évoluer de manière aléatoire, selon l’apparition imprévisible de nouvelles informations, du fait des changements dans l’activité économique. Ainsi, l’investisseur est exposé à une volatilité de la valeur de ses actifs qu’il ne peut éviter. Mais il peut en réduire l’impact. En diversifiant ses investissements, la statistique démontre que, pour un revenu donné, la volatilité de l’ensemble ne peut qu’être plus faible que celle d’un actif isolé [16]. Ce traitement statistique est rendu possible par le fait que, le prix étant considéré comme représentatif de l’objet d’investissement, selon la théorie de l’efficience, il peut alors être considéré comme son indice sur le long terme, avec une volatilité et une moyenne qui, comme dans les sciences physiques pour les phénomènes naturels, sont censés permettre de dire quelque chose sur le futur à partir du passé [17]. Cette analyse valut à son auteur, Henri Markovitz, le prix Nobel d’économie. L’approche fondamentale du prix et l’acceptation de l’hypothèse des marchés efficients conduisent ainsi à une diversification systématique des investissements, dans une logique dite de « buy and hold », c’est-à-dire dans laquelle on ne cherche pas à faire des gains en se distinguant du marché par des paris singuliers, mais plutôt en achetant tout ce que le marché propose, pour mieux diversifier son investissement et en le gardant sur le long terme. Comme le dit un manuel de référence en considérant le cas des actions cotées :

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« La théorie financière indique que, dans un marché efficient, et il existe de nombreuses preuves que tous les grands marchés financiers du monde s’approchent de cette caractéristique, l’ensemble des informations disponibles sur les valeurs mobilières, le marché, l’économie, etc., sont reflétées très rapidement dans les cours. Aussi, en général, le cours d’un actif est très proche de sa valeur intrinsèque ou “vraie valeur”. […] En l’absence d’informations privilégiées, il n’y a pas de placement à privilégier. Le portefeuille d’actions doit être le plus diversifié possible [18]. »

25Par contre, une récusation de l’hypothèse d’efficience des marchés peut conduire à établir des stratégies de « spéculation », dans lesquelles les investisseurs ne s’intéressent pas à la valeur « fondamentale », mais plutôt aux opinions que se font les autres participants et qui risquent d’influencer, à plus ou moins court terme, l’offre et la demande, et donc le prix [19].

26Comme l’évoque Juliette, la majorité des fonds d’investissement sont généralement diversifiés dans plus de cinquante titres différents, qu’il s’agisse d’actions, d’obligations ou d’ABS. La diversification fonde aussi les stratégies globales d’investissement, comme celles qu’Acme proposait à ses grands clients. Comme dans la plupart des entreprises de cette taille, un département spécialisé, celui de l’Allocation, y orientait les fonds des clients, par actifs et par région de la planète, selon les calculs proposés par la théorie standard pour maximiser les revenus en limitant la volatilité. Typiquement, les deux tiers des fonds sous gestion étaient investis en actions et obligations des pays riches, le reste allant à des actifs et des régions considérés plus exotiques ou risqués comme les « marchés émergents » ou encore les dérivés de crédit. Ainsi, des près de trois cent milliards d’euros qu’Acme avait sous gestion, les cinq milliards investis en ABS ne constituaient qu’un faible pourcentage. L’entreprise était structurée en fonction de cette diversification, avec des départements spécialisés par types d’actifs, et divisés à l’intérieur en fonction de critères plus fins, comme la provenance des titres ou le type d’activité qu’ils financent. L’équipe investissant dans de grandes capitalisations européennes, composée de onze personnes, gérait ainsi onze milliards d’euros.

27À l’époque où Juliette investissait un milliard et demi d’euros en ABS, avec un revenu annuel de 3,4 %, l’État brésilien, pour accéder aux mêmes capitaux pour une maturité semblable à celle des ABS, à dix ans, devait payer un taux d’intérêt beaucoup plus élevé, proche de 10 %. Certains États, comme la République démocratique du Congo, ravagée par la guerre, et avec une dette extérieure d’à peine dix milliards d’euros, ne pouvaient même pas aspirer à faire partie de ces flux. Dans les pratiques des employés, cette différenciation dans l’accès au crédit était comprise comme le résultat de l’efficience des marchés, définis par les échanges entre leurs participants, c’est-à-dire entre les employés eux-mêmes, qui reconduisaient dans leurs procédures la figure de l’investisseur.

28Dans le cas décrit ici, ces acteurs étaient multiples et distribués dans le monde. Selon une structure typique à l’époque [20], les ABS achetés par Juliette étaient à leur tour « titrisés ». Pour le fond qu’elle gérait à l’époque de mes observations, la gérante avait acheté des fractions d’environ dix millions d’euros de près de cent cinquante titres, qui étaient à leur tour vendus à un SPV, établi dans les îles Jersey et dans l’État américain du Delaware. Le SPV émettait un titre unique, appelé CDO (Collateralized Debt Obligation) dont les différentes tranches, notées par les mêmes agences de notation [21], étaient achetées par les clients d’Acme. La structure du CDO géré par Juliette à l’époque de mes observations avait été répliquée à partir d’autres contrats similaires, et sa forme était considérée comme standard. Les deux tiers des titres les moins risqués constituaient la tranche la plus sûre, achetée par la GBB, une grande banque britannique. Cette dernière n’en percevait qu’une partie des revenus, l’autre étant versée à AIG, la plus grande entreprise d’assurance dans le monde à l’époque, qui se retrouvait dans la plupart des contrats de ce type [22]. Cette dernière s’engageait à couvrir la valeur des titres s’ils faisaient défaut [23]. Des entreprises d’assurance françaises achetaient les tranches plus risquées, c’est-à-dire les premières affectées en cas de défaut de paiement des prêts bancaires sous-jacents aux ABS.

29Lorsque Juliette achetait un ABS, en appliquant le regard de l’investisseur maximisateur pour le bénéfice de ses clients, elle permettait à la banque qui a émis le titre d’effacer de son bilan les prêts titrisés, qu’elle avait légalement vendus à un SPV. Cela libère les réserves et le minimum de capital que la banque doit bloquer pour chaque prêt, et lui permet donc de multiplier son octroi de crédit sans faire appel à de nouvelles sources de capital. La demande massive d’ABS américains, à partir du milieu des années 2000, notamment avec des sous-jacents subprime[24], fut ainsi en partie à l’origine de l’expansion du crédit hypothécaire et de la spéculation sur les prix de l’immobilier, dont l’explosion précipita la crise financière à partir de 2007 et 2008 [25]. Par son acte d’achat, en 2004, Juliette faisait en sorte que l’argent versé, entre autres, par des souscripteurs de polices d’assurance en France, financent les prêts immobiliers américains, et que les intérêts payés par les emprunteurs aux États-Unis financent l’indemnisation des incidents en France. Elle s’embarquait ainsi, sans le soupçonner, dans le mouvement qui déboucha sur ce qui fut considéré par la suite comme la plus grande crise financière depuis 1929. Acme, à travers l’équipe de Juliette, commença par investir trois cent cinquante millions d’euros en ABS en 2001. En 2004, ce montant était de cinq milliards et il avait atteint près de sept milliards en 2007, avant que la crise ne se traduise par des pertes de plus de deux milliards d’euros. La banque GBB et l’assureur AIG, engagés dans de nombreux contrats de ce type, firent faillite et durent être rachetés par l’État. Pour sauvegarder son image dans le service de la gestion de fonds pour tiers, et parce que l’entreprise était suffisamment grande pour le faire, Acme assuma les pertes dans son bilan, et en épargna ses clients, qui étaient les propriétaires d’actifs financiers dont la valeur était devenue presque nulle.

30Alors que Juliette effectue ses calculs et prend ses décisions, d’autres effectuent eux aussi des évaluations, comme les employés des agences de notation, ou passent des ordres d’achat, comme ceux qui achètent les tranches du CDO, en se situant eux aussi du point de vue de l’investisseur maximisateur. Cette intentionnalité se retrouve ainsi disséminée dans les actes des participants aux circuits de l’échange de crédit, qui transite entre des souscripteurs de police d’assurance et des acheteurs de biens immobiliers en passant par des gestionnaires de fonds comme Juliette. Cela se passe dans un espace géographique global : les investisseurs sont répartis sur la surface du globe et chacun d’entre eux compare les actifs du monde entier. Tous ces acteurs, constituant les participants à l’échange, sont considérés par la régulation financière comme les agents de l’efficience des marchés. Ainsi, le concept de l’efficience des marchés désigne à la fois le cadre conceptuel dans lequel agit l’intentionnalité que mettent en pratique les employés, et l’industrie financière comme espace social dans lequel ont lieu leurs échanges.

Un État garant implicite et ambivalent

31Dans le cadre théorique des marchés efficients, dans lesquels agissent des investisseurs libres et individuels, l’État est supposé ne devoir jouer qu’un rôle minimal visant à permettre au mécanisme de marché de fonctionner correctement. Toute la problématisation de l’allocation des fonds selon la logique de la diversification se fait de fait sans problématiser l’existence des États comme acteurs possibles de la distribution des ressources. La régulation financière considère elle aussi ce principe comme fondamental. La dernière crise en offre un exemple extrême : alors que des entreprises financières avaient été nationalisées, aux États-Unis ou au Royaume-Uni, les gouvernements se sont engagés à s’abstenir de vouloir influencer l’orientation de leurs activités afin de ne pas biaiser leur participation en tant qu’investisseurs maximisateurs et ne pas interférer avec le « mécanisme du marché ».

32Or, malgré l’évidence avec laquelle s’impose l’idée d’un État minimal, réduit à n’être que le garant de l’application des règles, l’État a un rôle ambivalent dans l’évaluation. Pour les ABS, comme pour tous les autres actifs financiers, le profit que doit procurer l’investissement doit être supérieur à un taux d’intérêt dit « sans risque [26] », défini généralement par le taux payé par les États les plus riches, dont on considère qu’ils ne feront pas défaut, ou encore par un taux d’intérêt qui en dépend, celui appliqué aux prêts que se font les plus grandes banques entre elles, comme le Libor [27]. Le revenu payé par l’ABS est défini comme un différentiel par rapport à ce taux [28]. À l’époque de mes observations, les tranches moins risquées, notées AAA, payaient ainsi un différentiel de 0,2 % – ou encore « 20 bp [29] » – par rapport au Libor, c’est-à-dire 3,4 %, lorsque ce dernier est à 3,2 %. Les BBB, plus risquées, payaient par contre « 85 bp ». La négociation du prix consistait pour Juliette à rechercher un différentiel plus élevé, ce qui se jouait généralement à un ou deux « bp » près.

33Dans la pratique de l’évaluation, la notion de « taux sans risque » permet au regard évaluateur de considérer qu’il peut toujours se déplacer de l’objet considéré vers un autre qui reste acceptable, et lui donne ainsi une « liberté » de se désengager de toute transaction. Ainsi, si les ABS semblent trop risqués par rapport au revenu qu’ils proposent, en principe, Acme peut investir l’argent de ses clients dans des bons du Trésor américain. Pourtant, cette notion implique aussi qu’il y aurait une rente minimale assurée par l’État pour les détenteurs de capital, ce qui contredit les intuitions fondamentales de la théorie libérale. Alors que dans les manuels comme celui cité plus haut, les concepts d’efficience de marché et de représentativité des prix sont longuement développés, la notion de « taux sans risque », sur laquelle se base celle de « prime de risque », ne fait l’objet d’aucune réflexion quant à ses conditions de possibilité, en dehors du cas de l’analyse financière des dettes souveraines, où le seul enjeu est le profit que peut en tirer l’investisseur. Elle n’en marque pas moins la présence ambivalente de l’État comme force régulatrice non seulement pour les règles du marché, mais aussi pour le regard évaluateur qui oriente la distribution des ressources. Le taux sans risque définit en effet le seuil à partir duquel une activité sociale peut être comprise, dans l’industrie financière, comme candidate légitime au crédit.

34Dans l’évaluation, le Libor et les taux payés par les pays riches sont compris comme des données qui s’intègrent sans débat autre que technique dans la série des opérations. Le fait que le « taux sans risque » soit, par exemple, le produit d’un rapport de forces dans la politique fiscale n’est pas problématisé en des termes politiques, mais uniquement en vue des revenus qui en proviennent. L’absence de l’État dans la problématisation technique fait partie de l’absence du politique. L’acte d’achat de Juliette, qui transfère effectivement les fonds d’une entreprise à une autre à travers plusieurs juridictions, en hiérarchisant et en excluant des prétendants au crédit, n’est pas conçu comme un arbitrage politique dans un rapport de forces global, qui justifierait que la bulle immobilière aux États-Unis soit plus légitime que les États brésilien ou congolais pour capter des fonds de l’épargne des ménages européens et américains. Cet acte n’est que l’application de procédures, définies comme des techniques visant à représenter l’intérêt maximisateur d’un « investisseur ». Le débat sur l’orientation du crédit ne concerne pas les rapports de forces et les légitimités politiques des différents prétendants au crédit. Il n’est légitime et ne fait sens qu’au sein d’une problématisation technique concernant les calculs pour intégrer l’objet d’investissement dans la hiérarchie des objets possibles, au sein de la diversification. Ainsi, les investisseurs et les marchés efficients, comme outils de l’évaluation et de l’investissement, sont à la fois le point de départ et l’horizon de la pratique professionnelle, non pas du fait de leur généalogie dans la théorie politique ou de la justification politique de la régulation financière, mais en tant que ce qui donne un sens technique et opératoire aux calculs, aux procédures et aux bénéfices que peuvent en tirer les employés qui les appliquent.

Trames du politique et légitimation de la pratique financière

35L’« investisseur » et les « marchés » plus ou moins « efficients » des échanges quotidiens dans l’industrie financière apparaissent éloignés des utopies libérales dont ils tirent les concepts censés les décrire. Plutôt que des espaces publics dans lesquels des sujets peuvent entrer et sortir librement pour engager leur capital en fonction de leur évaluation personnelle, il s’agit de réseaux commerciaux d’entreprises dans lesquelles évoluent des employés qui manipulent l’argent d’autrui pour un salaire et un bonus, et avec une barrière à l’entrée très élevée, sous forme de réquisits attestant de connaissances acquises en matière de théorie financière. L’évaluation et l’orientation hiérarchisée du crédit ne sont pas le fait de personnes isolées, mais ont lieu dans les interactions entre des professionnels et sont indexées aux rapports commerciaux et hiérarchiques qui lient ces deniers. Les propriétaires légaux du capital, les « investisseurs » au sens des contrats de délégation de la gestion des fonds, par exemple le propriétaire de la maison achetée ou de la police d’assurance et des flux monétaires qui leur sont associés, n’y ont qu’une participation médiatisée, loin de la « liberté » d’entrée, de sortie et d’évaluation que suppose le sujet libéral. Les « investisseurs » et les « marchés efficients » n’existent ainsi qu’en tant qu’ils sont représentés dans les pratiques professionnelles ; ils sont omniprésents comme raisons techniques des calculs, des procédures et de leur régulation par les États, mais absents comme sujets, pour les uns, et comme espaces de sociabilité, pour les autres, qui seraient redevables d’un sens moral et politique.

36Pourtant, le sens politique perdu de ces concepts redevient fondamental dans des situations de justification et de conflit, dans lesquelles il gagne alors une force de légitimation qui ne s’arrête pas à la définition des procédures, comme dans le cas de l’intentionnalité de Foucault, mais qui s’accompagne d’attachements affectifs et moraux qui marquent la vie des personnes qui les portent. Dans ces situations, celles-ci ne peuvent prendre position qu’au sein des limites définies par les théories politiques dont sont issus les concepts financiers qui donnent sens à leur pratique.

Une justification par-delà la technique

37En 2004, la stratégie commerciale de l’équipe que j’observais était mise en échec par l’augmentation des taux d’intérêt et de la demande pour des ABS bien notés, qui faisaient que le différentiel – le « spread » – devenait trop faible pour rémunérer suffisamment à la fois Acme, l’équipe et ses clients. La seule stratégie possible pour continuer à investir dans ces actifs, semblait être d’orienter l’investissement vers les tranches moins bien notées, qui offraient un différentiel plus élevé, mais qui étaient aussi plus risquées. Toutefois, dans ce cas, acheter des actifs et les garder sur le long terme ne suffirait plus. Il faudrait être attentif aux variations à court terme des prix, le risque plus élevé se traduisant par des réactions plus rapides des « investisseurs ». Mais c’est aussi grâce à cette volatilité qu’il était possible d’envisager de réaliser des gains en essayant d’acheter bas et de vendre haut selon l’approche « spéculative » souvent associée aux traders[30].

38Tous les membres de l’équipe considéraient ce changement de stratégie inévitable d’un point de vue commercial. Par ailleurs, du point de vue organisationnel, il arrivait à un bon moment, puisqu’un changement de pouvoir à Acme à la même époque renforçait leur département. Nicole, la directrice du Département Structuré, avait pris la tête du département central de l’Allocation. Pour tous les employés que j’ai pu rencontrer à ce moment, quel que soit leur département, il semblait évident que la nouvelle directrice allait favoriser les personnes qui étaient sous sa direction auparavant, et dont les succès lui avaient permis de se légitimer auprès de la hiérarchie de l’entreprise et prétendre à cette nouvelle position. Juliette me décrivait ainsi ce qu’elle espérait en termes de fonds sous gestion, qui se traduiraient par davantage de commissions, de bonus et d’embauches pour l’équipe : « Pour nous, j’espère, ça devrait être positif, ça devrait faire passer des idées, de dire que, au lieu d’avoir 3 % d’ABS dans le portefeuille, peut-être que l’allocation optimale, il faudrait le travailler, mais nous on a fait nos petits calculs sur notre coin de table, on était arrivés à peu près à 15-20 %. »

39Pourtant, ce changement impliquait de prendre une position différente par rapport à l’hypothèse de l’efficience des marchés. La vision des marchés efficients basée sur l’évaluation fondamentale de chaque investisseur serait remplacée par celle de prix qui varient sur le court terme, « indépendamment » des fondamentaux, en fonction des opinions changeantes des spéculateurs. En écartant d’office l’option de ne pas continuer leur activité, et donc pour justifier leur changement de stratégie et par là la continuité à leur poste de travail, les employés devaient se positionner par rapport à cette alternative, au demeurant formalisée dans la théorie financière elle-même.

40En effet, la théorie des marchés efficients comporte une tension importante pour l’organisation de l’industrie financière. Si, en effet, les marchés sont efficients, le prix reflète toute l’information disponible et un investisseur isolé ne peut, par son évaluation personnelle, atteindre une évaluation plus riche en contenu et donc plus « vraie » que ce prix. Le prix du marché est donc l’évaluation la plus juste. Mais ce même prix dépend du fait qu’il y a des investisseurs qui croient que le marché n’est pas efficient et qui cherchent donc à évaluer les actifs par eux-mêmes, afin de le « battre » en anticipant ce que les autres n’ont pas vu. Certains manuels d’investissement remarquent ainsi que pour que les marchés soient efficients, il faut que certains investisseurs croient qu’ils ne le sont pas, pour que le prix reflète l’information qu’ils collectent, mais que la plupart croient à l’efficience, pour qu’ils utilisent effectivement le prix comme signal pour l’allocation optimale du capital [31]. Les indices boursiers, comme le CAC 40 ou le S&P 100, qui regroupent des entreprises selon des caractéristiques communes, sont généralement considérés comme représentatifs du « marché ». On peut y investir en développant des logiciels qui répliquent l’indice choisi, dans le portefeuille de l’« investisseur », sans qu’il y ait même besoin d’une personne pour prendre les décisions d’achat et de vente. C’est ce que préconise le manuel cité plus haut, lorsque l’hypothèse des marchés efficients est acceptée : « l’implication logique est de bâtir sa stratégie de placement sur des fonds indiciels qui ne subissent aucun risque spécifique et minimisent les coûts de transaction [32] ». Au contraire, si les marchés ne sont pas considérés comme efficients, des pratiques spéculatives basées sur les capacités personnelles du gérant, comme celles en cours dans la gestion des hedge funds, peuvent être considérées comme légitimes. Entre ces deux positions extrêmes, les gérants sont généralement tenus de répliquer plus ou moins un indice de référence, tout en cherchant à le « battre » de quelques points de pourcentage, une approche dite « classique » qui était celle que suivait Juliette. Dans ce cas, sans remettre ouvertement en cause l’efficience du marché, les employés sont censés réaliser l’évaluation fondamentale qui leur permette de choisir certains actifs parmi d’autres et de réaliser ainsi des profits légèrement plus élevés que ceux du « marché [33] ».

41L’alternative entre l’approche fondamentale et l’approche spéculative de la valeur est ainsi formalisée dans l’industrie financière en des termes techniques qui renvoient à la problématisation de l’efficience des marchés selon la théorie financière. Tout comme Juliette, Marie avait plus de dix ans d’expérience dans l’évaluation fondamentale des ABS. Elle avait travaillé à la titrisation de prêts bancaires pendant de longues années dans une banque, avant d’être embauchée comme analyste à Acme. Les deux gérantes remarquaient qu’elles ne s’étaient confrontées à la variation des prix des actifs à court terme que depuis leur entrée dans l’équipe de gestion d’Acme, en 2001 pour Marie et en 2002 pour Juliette. En 2004, dans des entretiens avec moi et dans des présentations auprès de leurs clients et de leurs supérieurs, elles légitimaient encore leur position et les salaires et bonus élevés qu’elles percevaient par cette longue expérience. Dans ce contexte, le changement de stratégie, tout comme la modification du calcul du partage des allocations entre les services, pouvait apparaître comme une simple alternative entre deux techniques, différentes et l’une comme l’autre légitimes, mais plus ou moins adaptées à la situation. Cependant, leur attachement à leur expertise s’accompagnait d’un argumentaire qui dépassait le caractère uniquement technique : celui-ci renvoyait à une problématisation politique des marchés efficients et de ce que sont censés y faire les « investisseurs ».

42Ainsi, Marie s’estimait confrontée à une contradiction difficile à résoudre :

43

« Il y a d’autres moyens de faire de la valeur en se rapprochant de ce qui pour moi est très opposé à ma mentalité, mais… je commence à accepter que ça a de la valeur de faire du trading, d’acheter et de vendre, de jouer sur des décrochages, même si on se fiche des fondamentaux. Tout le truc que j’ai toujours euh… jamais compris quoi ! Comment on peut faire, acheter et vendre dans la même journée […]. Tout ce truc-là, je commence à voir que ça a du sens dans un autre type de stratégie et que… il ne faut pas se le couper. Mais je reste quand même fondamentalement attachée aux croyances de crédit. Nous on gère des fonds pour du Fixed Income. Est-ce que quand on gère des fonds pour des compagnies d’assurance, on peut pas aller faire du spiel ! Mais là aussi, j’évolue pas mal, dans mes sources de valeur. Je pense que ces mecs-là apportent de la valeur ! Même si je trouve que c’est de la valeur surfaite, c’est de la valeur… et donc il faut que j’arrive à intégrer ce type de fonctionnement dans l’équipe. »

44Dépassant la problématisation technique, Marie considérait ainsi que puisque les entreprises d’assurance doivent couvrir les risques de leurs clients sur le long terme, leurs intérêts ne sont pas vraiment défendus en faisant du trading, dont le caractère peu « sérieux » est rappelé par le mot allemand Spiel (qui sigifie « jeu »), assimilé au pari et opposé au caractère responsable de l’analyse fondamentale.

45Tout comme Marie, Juliette m’expliquait qu’elle n’était pas prête à renoncer à ses « croyances crédit », c’est-à-dire à son adhésion à l’importance de l’analyse fondamentale des dettes bancaires, le « crédit » qui constitue le sous-jacent des ABS. En revanche, elle considérait que faire du trading pouvait être compatible avec son expertise. Il s’agissait d’intégrer quelque chose de « nouveau » et d’« intéressant ». Mais, là encore, les paris spéculatifs devaient à ses yeux toujours être raisonnés par l’évaluation fondamentale réalisée en amont :

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« Je pense qu’à partir du moment où t’as la vue fondamentale, qui pour moi sur ce marché est la vue crédit, rien ne t’empêche de faire du trading. Le trading, c’est juste technique, hein. C’est juste à un moment donné prendre les bonnes positions, mais c’est… ce que je pense, le plus important c’est, tu restes dans un cadre où t’es confortable dans le crédit. »

47À la différence de Marie, Juliette justifiait ses choix en considérant que le côté « juste technique » du trading l’empêchait d’empiéter dans le plan, non plus uniquement technique, mais moral, où se situait sa responsabilité, celui de toujours maintenir la « vue fondamentale » sur « le marché », sur laquelle se fondait son expertise.

48Contrairement à Juliette et Marie, Bastien, le gérant junior qui s’était formé dans l’équipe depuis cinq ans, affichait une neutralité quant à la question du changement de stratégie d’investissement. Il m’expliquait qu’il accepterait la décision de ses supérieures, et qu’il suivrait la stratégie qu’elles lui indiqueraient, sa priorité étant de rester à son poste de travail et de continuer à grandir avec l’équipe. Lorsque je le pressais de prendre position par rapport à l’alternative, il ne développait pas des argumentaires concernant ses croyances sur la valeur, ou encore l’engagement moral que cela supposait par rapport aux intérêts des clients qu’il devait représenter. Affichant une distance avec ses engagements moraux, il jouait sur son appartenance à une famille huppée pour tourner l’alternative en dérision et s’en dégager par l’humour : « faire du trading, acheter et vendre tout le temps, spéculer sur les prix à court terme, ça ne me dit pas trop : je trouve ça un peu vulgaire ! » Alors que Bastien cherchait à ne pas prendre position par rapport à l’alternative, il n’y échappait qu’en se référant à un autre registre pour légitimer son non-choix. L’humour permettait ainsi d’éviter de devoir se positionner, sans avoir à assumer frontalement le manquement moral que cet évitement impliquait par rapport aux discours de ses supérieures.

49Ces positionnements correspondaient aussi aux trajectoires personnelles des personnes. Marie m’avait longuement expliqué qu’elle avait décidé de se consacrer à son travail pendant plusieurs années mais que, à trente-cinq ans et avec deux enfants en bas âge, elle voulait maintenant se recentrer sur sa famille. Elle commençait à considérer comme injustifiable, de ce point de vue, de supporter le stress des négociations avec ses clients, mais aussi avec sa hiérarchie et dans les conflits entre départements. Juliette m’indiquait qu’elle était attirée par la possibilité d’avoir plus de responsabilités, mais à la condition d’obtenir suffisamment d’embauches pour que cela n’implique pas une charge de travail horaire plus élevée. Alors que les ABS étaient devenus le seul domaine dans lequel Marie et Juliette se considéraient suffisamment légitimes pour maintenir leur niveau de revenus et de responsabilité, Bastien, qui avait fait une école normale supérieure et était agrégé en sciences sociales, décrivait son rôle de gérant comme « un travail intéressant et qui permet de bien gagner sa vie ». Mais, à vingt-neuf ans, les ABS n’avaient occupé que cinq ans de sa vie, et il songeait prendre un temps partiel pour se consacrer à la réalisation d’une thèse de théologie, se voyant à long terme revenir dans le domaine de l’éducation, par exemple comme consultant pour une organisation internationale.

50Marie, Juliette et Bastien orientaient l’argent de leurs clients vers des actifs financiers qui faisaient sens au sein des seules logiques d’évaluation disponibles et légitimes. Par rapport à elles, les acteurs se positionnaient différemment, en oscillant entre l’adhésion et le rejet ou, parfois, en affichant une indifférence plus ou moins assumée. Mais, alors que leurs positions dépendaient aussi de leur attachement à leur carrière dans l’industrie financière et à leur projection dans le futur, dans tous les cas, les justifications avancées correspondaient à la logique de représentation du regard de l’investisseur et à une position considérée comme légitime par rapport à l’hypothèse de l’efficience des marchés. L’argumentaire purement « technique » est alors transcendé par les concepts mêmes qui le fondent, et qui permettent d’embrayer sur une justification politique et morale, de façon plus ou moins consciente ou élaborée, mais dans tous les cas articulée selon les logiques des philosophies libérales dont ils sont historiquement issus.

51Ces problématisations politiques et morales donnent en effet leur sens aux conflits entre les employés à l’époque de mes observations. Nos bureaux étaient situés dans un espace ouvert que nous partagions avec une centaine d’employés d’autres équipes, qui souvent ne connaissaient presque rien des contenus de nos activités. L’atmosphère était généralement calme, puisque lever la voix dans son équipe impliquait de déranger des personnes qui n’auraient probablement pas compris un enjeu qui ne les concernait pas directement. Par ailleurs, les rumeurs sur le changement de pouvoir au sein de l’Allocation se faisant pressantes, sans que je le sache en tant que stagiaire, les employés refusaient de parler devant les autres des enjeux les plus importants, c’est-à-dire de la redistribution des fonds qui pourrait advenir. Le silence cachait ainsi les tensions qui devenaient apparentes à l’heure du déjeuner, dans les pauses café ou dans des entretiens à huis clos. Je n’accédais aux débats entre Marie et ses subordonnés que par ces bribes. Ainsi, Michel, systématiquement marginalisé et se sachant sur le départ, devait néanmoins s’asseoir tous les jours à côté de Juliette, qui accumulait des responsabilités et des milliards d’euros de fonds sur gestion, alors qu’il n’avait, pour sa part, que la charge, très peu preneuse en temps, de gérer le petit fond qui lui était alloué. Cette marginalisation sous couvert d’harmonie se retrouvait dans les pauses café, lorsque Marie et Juliette passaient une partie importante du temps à commenter les aventures de leurs enfants en bas âge, en réagissant activement aux commentaires de l’une et de l’autre, mais en restant silencieuses voire ironiques lorsque Michel racontait ses déboires avec son premier enfant, âgé de quelques mois. Alors que son exclusion était en partie liée à son rattachement à un département rival, Marie, dans un entretien, insistait longuement sur le fait que le passé de trader sur les marchés des obligations, et le manque d’expérience de Michel dans l’analyse fondamentale des ABS, le disqualifiaient pour continuer dans l’équipe, y compris au moment où celle-ci adopterait des approches plus spéculatives. Ce dernier évoquait de son côté le fait que les deux gérantes s’étaient « approprié » les ABS, l’excluant d’office et le mettant dans une situation où il lui devenait difficile de se dire, le matin, qu’il allait « passer une bonne journée ».

52Les justifications du changement permirent de donner sens à la réorientation de carrière des employés et des activités d’investissement de l’équipe, c’est-à-dire à la manière dont elle orientait les sommes dont elle avait la responsabilité. Marie quitta l’équipe ABS d’Acme quatre mois après ces entretiens et fut embauchée comme analyste senior dans une agence de notation, ce qui lui permit de rester proche de l’expertise qu’elle trouvait la plus légitime. Juliette prit sa place, Bastien devint gérant senior et, après que Michel fut licencié, sous leur direction, entre 2004 et 2007, l’équipe investit deux milliards d’euros supplémentaires en ABS, dans des fonds et des CDO orientés vers le trading et les tranches moins bien notées. L’embauche de quatre nouveaux analystes spécialisés dans l’évaluation fondamentale fut mise en avant dans les documents de marketing de l’équipe, pour rappeler que cette approche fondait les pratiques de trading, c’est-à-dire pour renforcer la légitimité que l’équipe espérait tirer de son respect de l’hypothèse de l’efficience des marchés. Comme pour la grande majorité des autres professionnels opérant avec des dérivés de crédit, l’équipe renforça ainsi l’exposition de ses clients à la crise financière qui commença à partir de 2007. Cependant, contrairement à d’autres entreprises, Acme évita la faillite. Comme nous l’avons vu, le changement de pouvoir en 2004 au sein d’Acme était l’occasion, selon Juliette, de multiplier les fonds sous gestion de l’équipe par cinq ou six dans les années à venir. Cependant, au sein de la nouvelle équipe de l’allocation, les « calculs » dont parlait Juliette donnaient une « allocation optimale » différente de celle qu’elle espérait, notamment parce que les ABS étaient des actifs financiers récents et qu’il n’existait donc pas de données statistiques sur le long terme permettant de l’intégrer dans les calculs sur la diversification tels que les préconise la théorie financière standard.

L’industrie financière dans un projet politique global

53Lorsqu’elle fustigeait les traders qui investissent à court terme sans se soucier de la valeur fondamentale des actifs, Marie cherchait à se réconcilier avec leur activité en disant qu’elle « apport[e] de la valeur ». Du point de vue pratique qui était le sien, il s’agissait de dire que la spéculation était une solution pour que l’équipe continue à faire des profits pour ses clients et, par ce biais, pour Acme et pour les gérants, sous forme de commissions, de salaires et de bonus. Dans ce sens, cette expression était omniprésente dans les discussions entre les professionnels, et dans les présentations marketing de leur activité. Ainsi, lorsque le supérieur de Marie m’accorda un bref entretien, il commença par me dire, en guise d’introduction et avant que je lui pose de questions : « Nous créons de la valeur… pour nos clients. » Vers la fin de mon stage, Marie me proposa de m’aider dans mes recherches, en me présentant à d’autres gérants de fonds d’Acme pour que je les interviewe. Elle me demanda de lui dire en une phrase l’objet de ma recherche et, lorsque je lui dis qu’elle portait sur « la définition de la valeur », elle fit une grimace d’insatisfaction et me dit : « On va mettre que tu étudies la création de valeur. »

54Cette expression est également centrale dans les théories libérales, selon lesquelles l’organisation des échanges à travers des marchés libres, en permettant une meilleure allocation du capital, permettent de « créer des richesses » ou « de la valeur ». Dans ce contexte, le rôle de l’industrie financière est d’allouer le crédit de manière à favoriser les activités économiques les plus prometteuses. C’est ainsi qu’elle peut être mobilisée par les professionnels, dans des situations qui impliquent une justification. Je n’ai pas eu l’occasion d’interviewer les employés après la dernière crise financière. Cependant, mes observations ont eu lieu après ce qui avait été considéré, à l’époque, comme la plus grande crise financière des pays riches depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, celle de la « bulle Internet ». Fernand, le directeur de l’Allocation qui allait être remplacé, m’accorda un long entretien dans lequel il se sentit obligé de justifier, après l’explosion de la bulle, l’instabilité sociale à laquelle l’industrie financière avait semblé contribuer : « Par rapport à ceux qui effectivement produisent des biens et des richesses qui sont les autres entreprises, les entreprises financières produisent de la richesse, mais de manière dérivée. Il faut qu’il y ait une base de quelque chose à échanger, à traiter, à faire fusionner, à financer, pour que la finance vive. »

55Cette « création de richesses » est due, selon Fernand, à la capacité de l’industrie financière à bien allouer les ressources sociales, dans la logique de tâtonnement qui conduit de l’inefficience à l’efficience des marchés :

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« Le marché financier […] a imposé la discipline de la hiérarchie des rendements. Nous, qui gérons de l’argent pour compte de tiers, par exemple pour des caisses de retraites, et ben, on n’a pas le droit de ne pas investir dans des entreprises qui rapportent 25 % sur les capitaux engagés, par exemple dans l’informatique, Microsoft, etc., même si on aime bien Michelin. Parce que Michelin c’est 6 ou 7 % sur les capitaux propres et bon, c’est mieux vingt-cinq que six ! […] Donc vous avez eu, si vous voulez, une torsion des flux d’argent, qui ont été se déverser sur des activités prometteuses de 15, 20, 25 % de rendement. […] Donc on voit bien toute la force du système, c’est-à-dire sa capacité à hiérarchiser les rendements et donc d’imposer une vraie discipline, une vraie rigueur. […] On a été capables de hiérarchiser, mais en même temps on a été capables de se tromper collectivement dans des proportions, je dirais, qui avec le recul paraissent invraisemblables, d’aveuglement, de stupidité, de panurgisme, de tout ce que vous voulez. […] L’industrie financière, par sa globalisation et sa mise en autoconcurrence, a exagéré. Et je pense que c’est un ressort fondamental de cette activité. C’est-à-dire que je crois que dans ses tendances elle ne se trompe pas, par contre elle exagère toujours. Le marché ne s’est pas trompé, il a bien vu que la globalisation, c’était une formidable revalorisation du capital. […] Donc c’est vrai que les marchés financiers ont joué de… je dirais, d’une certaine façon, ils ont élevé la rigueur de la rentabilité dans les marchés, ils ont levé le niveau d’exigence, ils ont obligé à des mouvements de transparence plus importante, ils ont provoqué une meilleure efficacité du capital, comme on dit, mais il y a eu effectivement des situations d’excès. »

57Dans ces mots, la valeur, définie du point de vue cognitif par l’analyse et déterminée du point de vue matériel par le prix dans l’échange, est ainsi « créée », en rendant le « capital » plus « efficace » par la « discipline » que l’industrie financière impose à l’activité économique. Les acteurs théoriques de cette distribution sont le regard de l’investisseur et l’efficience des marchés, l’acteur concret étant, dans l’espace global des échanges et des possibilités d’investissement, le réseau commercial constitué par l’industrie financière, alors que les États y sont absents, leur rôle implicite étant la garantie des règles du jeu marchand.

58Le sens clairement politique que donne Fernand à l’activité de l’industrie financière dans son entretien avec moi est généralement absent dans les discussions techniques concernant le positionnement par rapport à l’efficience des marchés et la hiérarchisation des actifs financiers par l’évaluation et l’investissement. Mais son potentiel de justification peut être mobilisé, ou plutôt évoqué dans une labilité sémantique dont les acteurs peuvent jouer selon les occasions. Au quotidien, le but de Juliette est de produire des bénéfices pour ses clients et, par là, d’assurer les revenus de son employeur, qui se traduisent en salaire et bonus pour elle. C’est ce qu’elle désigne, comme ses collègues, comme le fait de « créer de la valeur », sans que ce terme désigne une activité qui semble toucher le reste de la société en dehors des individus concernés par ces flux. Il peut en être de même lorsqu’elle indique qu’une augmentation des fonds sous gestion pour son équipe au sein d’Acme correspondrait à une « allocation optimale » dans le portefeuille de l’entreprise. Cependant, dans tous ces cas, son activité et ses aspirations peuvent être comprises au sein du raisonnement développé par Fernand que j’ai cité plus haut, et dans lequel l’activité de Juliette participe d’un projet politique au centre duquel se trouve l’industrie financière. Ainsi, la « création de valeur » permet de désigner quatre flux monétaires distincts qui, par le biais de leur problématisation dans la théorie politique néolibérale, peuvent être conçus comme s’ils faisaient partie d’une même logique : gagner de l’argent pour soi sous la forme d’un salaire et d’un bonus, procurer un revenu à son employeur, générer des bénéfices pour ses clients, et accroître la richesse sociale par le biais du calcul maximisateur et de l’efficience des marchés.

59Les mêmes concepts, en principe techniques, peuvent donc aussi être invoqués comme les fondements de justifications morales et politiques des pratiques quotidiennes qu’ils définissent. Comme le laisse voir l’exemple d’Acme, qui n’est pas original de ce point de vue, ces raisonnements permettent de rendre compte d’une distribution de ressources qui s’étend au monde entier, en mettant en compétition, et donc en rapport de forces, les différentes activités susceptibles d’être financées. Au sein de ces flux financiers qui traversent de multiples juridictions sans être orientés par une autorité politique désignée comme telle, la justification que propose la théorie néolibérale apparaît comme la seule cohérente au regard des pratiques des employés. Lorsque les employés problématisent les techniques standardisées qu’ils appliquent au quotidien, ils le font en mobilisant les possibles limités de la trame politique de la théorie financière, au sein de controverses considérées légitimes dans leur espace professionnel. Par ce biais, c’est l’allocation du crédit qui est régulée dans les termes du néolibéralisme, dans l’espace global des rapport de forces autour de l’accès au crédit, au sein duquel l’industrie financière a la responsabilité d’effectuer, comme le dit Fernand, une « hiérarchisation ».

60*

61Les « investisseurs », les « marchés efficients » et l’implicite ambigu d’un « État garant » n’existent pas comme des sujets et des espaces sociaux, mais ils sont omniprésents en tant qu’ils sont des raisons et des agences opérant dans les calculs et les procédures des professionnels de la finance. Les détenteurs et utilisateurs finaux du capital ne deviennent des « investisseurs » qu’à travers les contrats de délégation et leur application par des employés de l’industrie financière, dont le réseau commercial est défini comme l’espace des « marchés efficients ». Par cette mise en pratique du projet néolibéral, ses enjeux politiques ne seraient plus redevables que d’un débat technique.

62Dans les débats intergouvernementaux et dans les mesures de régulation prises lors de la dernière grande crise financière, les réponses officielles se sont situées dans ce cadre. Les gouvernements se sont interdits d’orienter l’action des entreprises financières, y compris lorsqu’elles avaient été nationalisées, et une grande partie du débat a concerné le respect du contrat de représentation engageant l’industrie financière. Il s’est agi de réformer les systèmes de rémunération et de faire en sorte qu’une plus grande « transparence » dans l’évaluation et dans l’échange rende plus difficiles les « abus ». Par contre, les inégalités dans l’accès au crédit que produisent les pratiques actuelles dans l’industrie financière sont restées en dehors des enjeux de régulation politique, puisqu’elles ne seraient que le résultat inévitable d’une série d’opérations dont le caractère technique exclut qu’on puisse les mettre en doute sur un autre plan. Ce processus que Foucault décrivait comme une économisation permettrait ainsi justement d’évacuer le politique de la discussion concernant la distribution des ressources sociales.

63Cependant, comme le montre le terrain exploré ici, dans la notion même d’économie, et dans les procédures prétendument techniques qui sont censées permettre de la mettre en œuvre, les trames du projet politique dont ces concepts sont issus restent présentes. Elles deviennent apparentes lorsqu’il s’agit de justifier les choix et les effets des pratiques financières, dans les conflits quotidiens des professionnels de la finance, mais aussi dans les visions d’ensemble de la finance contemporaine qui appuient les ambitions régulatrices. Cette labilité des concepts, qui permettent des interprétations et des présentations multiples des mêmes procédures et opérations de calcul, fait partie de l’économisation, dont le contenu politique reste inaperçu tant qu’on accepte la distinction entre économique et politique qu’elle véhicule. Si d’une part les hiérarchies sociales qui sont l’effet de la distribution du crédit font sens comme l’effet d’une technique qui n’est pas redevable d’une critique en termes de rapports de pouvoir, d’autre part, et en même temps, elles font sens en tant qu’effet désirable d’un projet politique dont elles sont la preuve qu’il est en train d’être appliqué. Plus la « hiérarchisation » produite par la « discipline » du marché est cruelle et éloignée de toute considération explicitement politique, et plus elle semble confirmer que le projet politique d’organisation de la distribution des ressources par le marché est bien respecté, avec sa limitation du rôle des États et la place centrale accordée aux « investisseurs » et aux « marchés efficients ».

64Comme on l’a vu brièvement dans le cas du CDO géré par Juliette, aujourd’hui, les rapports financiers, et les hiérarchies qu’ils constituent, sont établis dans un espace géographique global, qui traverse de multiples juridictions. Dans cet espace, les procédures de l’industrie financière, d’une entreprise à une autre, permettent de donner aux pratiques et à leurs effets un sens, certes multiple et contradictoire, mais commun à tous les participants. Le rôle politique de l’industrie financière dans une distribution globale du crédit est assez récent dans l’histoire contemporaine, même si les pratiques décrites sont parfois vieilles de plusieurs siècles. En reprenant le questionnement plus large de l’anthropologie politique, on peut alors se demander à quel point les raisons et le sens politique des pratiques de ceux qui sont chargés d’arbitrer les rapports de forces autour de l’accès au crédit font effectivement partie de la constitution d’une identité politique globale. Du point de vue de ce qui est observable dans les pratiques quotidiennes des employés de la finance contemporaine, l’inégalité dans l’accès au crédit ferait ainsi sens dans la tension propre au projet d’économisation, à la fois déploiement d’opérations purement techniques en vue d’objectifs individuels économiques et projet politique d’allocation optimale des ressources sociales.

Notes

  • [1]
    Cf. Balandier (G.), Anthropologie politique, Paris, Presses Universitaires de France, 1967.
  • [2]
    Cf. Mauss (M.), « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques », in Sociologie et anthropologie, Paris, Presses Universitaires de France, 1995 [1re éd.1923-1924].
  • [3]
    Cf. Hart (K.), « Heads or Tails? The Two Sides of the Coin », Man (N. S.), 21, 1986 et Hart (K.), The Memory Bank: Money in an Unequal World, London, Profile Books, 2000.
  • [4]
    Cf. Zelizer (V.), The Social Meaning of Money: Pin Money, Paychecks, Poor Relief, and Other Currencies, Princeton, Princeton University Press, 1997 ; Bourdieu (P.), Les structures sociales de l’économie, Paris, Seuil, 2000.
  • [5]
    Cette enquête repose sur des observations effectuées comme stagiaire pendant quatre mois auprès d’une équipe de gérants de fonds dans cette entreprise. L’enquête comprit aussi deux autres stages, auprès de brokers vendant de l’analyse financière à New York en 2002 et de consultants dans les hedge funds à Paris en 2003, et une centaine d’entretiens avec des professionnels dans les lieux de travail et ailleurs. Elle fut poursuivie avec l’obtention d’un diplôme d’analyste financier et l’enseignement de divers cours de finance dans des écoles de commerce. Cf. Ortiz (H.), Anthropologie politique de la finance contemporaine : évaluer, investir, innover, thèse pour le doctorat en anthropologie sociale, École des hautes études en sciences sociales, 2008. En accord avec les personnes observées et pour préserver leur anonymat, tous les noms ont été changés.
  • [6]
    Cf. Foucault (M.), Naissance de la Biopolitique. Cours au Collège de France, 1978-1979, Paris, Gallimard-Seuil, p. 248 et 258.
  • [7]
    Ces phénomènes ont été longuement étudiés : cf. pour l’Europe et les États-Unis, Lee (R.), What Is an Exchange? The Automation, Management, and Regulation of Financial Markets, Oxford, Oxford University Press, 1998, p. 215-249 et Abdelal (R.), Capital Rules: The Construction of Global Finance, Cambridge (MA), Harvard University Press, 2007. Des logiques semblables ont été développées, à partir des années 1990, au Japon et, pour les actions cotées, en Inde et en Chine : cf. par exemple Amyx (J. A.), Japan’s Financial Crisis: Institutional Rigidity and Reluctant Change, Princeton, Princeton University Press, 2004 ; Reddy (Y. V.), India and the Global Financial Crisis: Managing Money and Finance, London, Anthem Press, 2009, p. 97-117 et Zhu (M.), « China’s Emerging Financial Industries and Implications », in Zhu (M.), Cai (J.), Avery (M.), eds, China’s Emerging Financial Markets: Challenges and Global Impact, Singapore, John Wiley & Sons (Asia), 2009.
  • [8]
    Cf. Lebaron (F.), La croyance économique. Les économistes entre science et politique, Paris, Seuil, 2000.
  • [9]
    Cf. McCloskey (D.), The Rhetoric of Economics, Madison, University of Winsconsin Press, 1998.
  • [10]
    Cf. Foucault (M.), Naissance de la Biopolitique…, op. cit., p. 35.
  • [11]
    Pour ce qui suit, cf. De Goede (M.), Virtue, Fortune and Faith : A Genealogy of Finance, Minneapolis-London, University of Minnesota Press, 2005 et MacKenzie (D.), An Engine not a Camera: How Financial Models Shape Markets, Cambridge (MA), MIT Press, 2006.
  • [12]
    Cf. Clark (G. L.), Pension Fund Capitalism, Oxford, Oxford University Press, 2000 et Montagne (S.), Les fonds de pension. Entre protection sociale et spéculation financière, Paris, Odile Jacob, 2006.
  • [13]
    Cf. Sinclair (T. J.), The New Masters of Capital: American Bond Rating Agencies and the Politics of Creditworthiness, Ithaca-London, Cornell University Press, 2005.
  • [14]
    Foucault (M.), Histoire de la sexualité, t. 1 : La volonté de savoir, Gallimard, Paris, 1976, p. 125.
  • [15]
    C’est-à-dire qu’il doit y avoir au moins cinquante ABS différents au sein d’un même investissement.
  • [16]
    Cf. MacKenzie (D.), An Engine not a Camera…, op. cit.
  • [17]
    Cf. De Goede (M.), Virtue, Fortune and Faith…, op. cit. et Muniesa (F.), « Market Technologies and the Pragmatics of Prices », Economy and Society, 36 (3), 2007.
  • [18]
    Jacquillat (B.), Solnik (B.), Marchés financiers. Gestion de portefeuille et des risques, Paris, Dunod, p. 1 et 133.
  • [19]
    Un phénomène décrit et décrié par Keynes : cf. Keynes (J. M.), The General Theory of Employment, Interest and Money, New York, Prometheus Books, 1997 [1re éd. 1936], p. 156.
  • [20]
    Cf. Tett (G.), Fool’s Gold: How the Bold Dream of a Small Tribe at J. P. Morgan Was Corrupted by Wall Street Greed and Unleashed a Catastrophe, New York, Free Press, 2009.
  • [21]
    Pour une analyse détaillée des notations des différents titres et de leur lien avec la crise financière, cf. MacKenzie (D.), « The Credit Crisis as a Problem in the Sociology of Knowledge », Working Paper, University of Edingburgh, September 2010, http://www.sps.ed.ac.uk/__data/assets/pdf_file/0019/36082/CrisisRevised.pdf.
  • [22]
    Cette omniprésence fait que changer son nom induirait à une confusion, mais elle permet aussi de maintenir ici l’anonymat d’Acme dont le contrat n’avait rien de particulier.
  • [23]
    Ce contrat d’assurance n’en était pas officiellement un, mais ce qu’on appelle un credit default swap (CDS), dont la structure juridique lui permet de ne pas apparaître dans les bilans, ce qui permet d’échapper à des réquisits fiscaux et réglementaires en toute légalité.
  • [24]
    Sur cette qualification des prêts immobiliers accordés aux ménages de revenus modestes aux États-Unis, cf. Poon (M.), « Scorecards as Devices for Consumer Credit: the Case of Fair, Isaac & Company, Inc. », The Sociological Review, 55, suplement 2, 2007.
  • [25]
    Cf. Jorion (P.), Vers la crise du capitalisme américain ?, Paris, La Découverte-MAUSS, 2007.
  • [26]
    Cf. Pradier (P.-C.), La notion de risque en économie, Paris, La Découverte, 2006.
  • [27]
    London Interbank Offered Rate.
  • [28]
    Ce différentiel est désigné par le mot anglais « spread ».
  • [29]
    Pour basis point (point de base), égal à 0,01 %.
  • [30]
    Cf. Godechot (O.), Les traders. Essai de sociologie des marchés financiers, Paris, La Découverte, 2001 et Tadjeddine (Y.), « Les prises cognitives de la rationalité. Une typologie des décisions spéculatives », Politix, 52, 2000.
  • [31]
    AZEK/ILPIP, Chapter 1. Modern Portfolio Theory, Course manual of the Swiss Financial Analysts Association (Ausbildungszentrum für Experten der Kapitalanlage AG), 2008, p. 33.
  • [32]
    Jacquillat (B.), Solnik (B.), Marchés financiers…, op. cit., p. 133.
  • [33]
    Cf. Ortiz (H.), « Investors and Efficient Markets: the Everyday Imaginaries of Investment Management », European Electronic Newsletter of Economic Sociology, 11 (1), 2009.
Français

Résumé

Au cours des trente dernières années, la régulation financière a été réorientée suivant un projet politique visant à établir des « marchés efficients » où des « investisseurs libres » contribuent à une « allocation optimale » des ressources et un « État minimal » réduit à un simple rôle de « garant » du fonctionnement du système. Cependant, l’établissement de nouveaux cadres de l’industrie financière informés par ces concepts a progressivement conduit à un effacement des marques de la généalogie politique dont ils procèdent : ils apparaissent ainsi finalement comme de simples outils techniques aux mains des professionnels aptes à les manipuler dans des contextes pratiques. L’analyse des pratiques quotidiennes de gérants de fonds investissant dans des dérivés de crédit avant la crise, en 2004 à Paris, confirme ce constat, mais montre aussi que cette technicisation n’est pas totale : dans des situations de changement et de conflits, les mêmes concepts sont susceptibles d’embrayer de nouveau sur des justifications morales et politiques selon les lignes des philosophies libérales dont ils sont issus. Cela révèle qu’alors que le système financier correspond à un cadre dans lequel la distribution inégale du crédit, en tant que question technique, ne peut pas être discutée comme un enjeu politique, c’est-à-dire comme un rapport de forces, cette technicisation ne se comprend que comme étant elle-même de nature politique et dès lors comme participant à ce rapport de forces : la tension qui se dessine entre le technique et le politique apparaît alors comme un rapport interne au projet politique dans lequel s’inscrit la finance contemporaine.

Horacio Ortiz
Chercheur au Centre de Sociologie de l’Innovation, MINES ParisTech. Il a obtenu un doctorat d’anthropologie sociale à l’École des hautes études en sciences sociales en 2008. Ses recherches portent sur les pratiques des professionnels de l’industrie financière. Il cherche à analyser les rapports de forces globaux autour de l’accès au crédit, l’organisation sociale de l’industrie financière, les modèles d’évaluation et d’investissement utilisés par ses employés et les imaginaires politiques et moraux dans lesquels ils font sens. Après des enquêtes de terrain à Paris et à New York, il poursuit ses recherches à Shanghai. Parmi ses publications récentes relatives au même sujet : Ortiz (H.), « Investors and Efficient Markets: the Everyday Imaginaries of Investment Management », European Electronic Newsletter of Economic Sociology, 11 (1), 2009.
Mis en ligne sur Cairn.info le 28/11/2011
https://doi.org/10.3917/pox.095.0155
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
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