CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Lorsque Barack Obama est entré en fonction en janvier 2009, les États-Unis étaient frappés de plein fouet par ce qui pourrait bien s’avérer être le pire ralentissement économique depuis les années 1930. La récession mondiale, due en partie aux spéculations immobilières effrénées, mais aussi aux déficiences de la réglementation des produits financiers dérivés et de la titrisation (securization) [1] aux États-Unis, a conduit à un effondrement presque complet des marchés financiers mondiaux à la fin de l’année 2009. Barack Obama s’est donc vu dans l’obligation de modifier ses priorités politiques en mettant en place un plan de relance économique national, reléguant ainsi la réforme du système de santé (health-care) au second plan. La mauvaise santé économique et fiscale du pays n’a pas seulement affecté le calendrier des réformes du président, elle a également eu des conséquences directes sur le budget fédéral. Le déficit public a explosé avec la mise en œuvre successive du plan de relance, d’une aide nationale pour soutenir l’industrie automobile, connue sous le nom de « Cash for Clunkers » (l’équivalent de la prime à la casse en France), et la poursuite du Troubled Asset Relief Program (T.A.R.P.) créé par George W. Bush afin d’assainir les budgets de groupes qui sont des piliers de l’industrie et des finances américaines.

2La quasi-faillite budgétaire des 50 États fédérés est passée inaperçue au milieu de ce marasme financier. Contrairement à l’État fédéral, la plupart des États fédérés doivent garder un budget équilibré. Trente-sept d’entre eux se trouvent dans l’obligation d’équilibrer leur budget avant la fin de l’année fiscale, évitant ainsi d’accumuler de la dette publique d’année en année [2]. Les problèmes économiques des États ont été aggravés par la diminution drastique des recettes fiscales, alors qu’ils devaient dans le même temps faire face à une augmentation inattendue des dépenses publiques, notamment pour les aides sociales (welfare) et les allocations chômage.

3Cette combinaison délétère de déficits budgétaires, de réduction des dépenses et d’augmentation des impôts serait une grave cause de préoccupation pour la stabilité de n’importe quel gouvernement démocratique. Mais pourtant en Californie, l’État le plus peuplé de l’Union, la situation est encore plus dramatique. Le blocage politique actuel atteint un tel degré qu’il menace la capacité des autorités à faire face à la crise économique. Comme tous les États fédérés, la Californie est directement affectée par les fluctuations de l’économie nationale [3]. Mais les problèmes politiques et économiques du Golden State ne sont pas uniquement le résultat de la crise financière nationale. Leur origine est plus systémique : la pratique californienne de la démocratie directe et les réformes structurelles adoptées par les électeurs en recourant à l’initiative populaire créent des contraintes politiques et institutionnelles que les autres États fédérés ne connaissent pas. Ces réformes lient les mains des responsables locaux, de sorte que le ressentiment de l’électorat s’accroît devant leur passivité ; en fin de compte, la pratique de la démocratie directe et l’adoption de réformes encore plus contraignantes se trouvent à nouveau légitimées.

4Dans ce texte, je vais d’abord évoquer les problèmes budgétaires des États fédérés en général, avant de traiter de la situation en Californie et notamment les difficultés politiques de cet État. Il va s’agir d’examiner le déficit actuel et d’analyser les raisons pour lesquelles la Californie semble incapable d’équilibrer ses comptes.

Le contexte fédéré

5Alors que la crise économique se prolongeait tout au long de 2009, les déficits budgétaires des États ont continué de croître. À la fin de l’année fiscale 2008-2009, qui se termine le 30 juin pour la plupart des États, les législateurs locaux de tout le pays ont dû remuer ciel et terre pour combler un déficit cumulé de 113,2 milliards de dollars. À ce chiffre est venu s’ajouter un déficit de 140 milliards de dollars dû au déséquilibre fiscal estimé de l’année en cours. La majeure partie de ce déficit a pu être comblée grâce à des restrictions budgétaires, au recours aux réserves financières des États, à la hausse de certains impôts et à l’allocation exceptionnelle de fonds suite au plan de relance fédéral. Cependant, toute nouvelle coupe budgétaire ou hausse d’impôts en vue d’équilibrer le budget rend de fait extrêmement difficile, politiquement parlant, de demander aux citoyens des aménagements supplémentaires. De plus, le déficit cumulé de 253,2 milliards de dollars n’inclut pas les réajustements semestriels réalisés pendant cette année fiscale [4]. Ces réajustements sont importants, parce qu’à l’automne 2009, plus de la moitié des États connaissaient déjà des déficits budgétaires dès la fin du premier semestre [5]. L’État fédéral est alors intervenu en proposant une aide financière par l’intermédiaire du Americain Recovery and Reinvestment Act de 2009, allouant ainsi un montant de 140 milliards de dollars répartis sur plusieurs années aux États fédérés. La majeure partie de cette somme est destinée au Medicaid des États fédérés (services de santé aux plus démunis) ainsi qu’à d’autres programmes définis, de sorte que les États fédérés ne peuvent utiliser ces fonds à d’autres fins. On estime que les financements alloués dans le cadre du plan de relance et libres de toute contrainte s’élèvent à 8,8 milliards de dollars [6].

6En l’absence d’aides fédérales supplémentaires, les États ont dû recourir à de sévères restrictions budgétaires. Depuis le début de l’actuelle récession, les services publics ont été réduits dans au moins 41 États. La nature des restrictions varie d’État en État, mais les économies semblent avoir été réalisées principalement dans les services sociaux et dans l’éducation. Par exemple, 27 États ont limité les services de santé disponibles aux plus démunis ou ont restreint l’accès à ces services. Près de la moitié des États fédérés ont restreint les programmes d’aide aux personnes âgées et handicapées. La moitié a réduit ses dépenses dans le secteur de l’éducation en général, et 34 ont réduit les aides destinées à l’éducation supérieure. Les États fédérés ont également en ligne de mire leurs fonctionnaires : 26 États ont gelé toutes les nouvelles embauches, 22 ont baissé les salaires et 13 ont même diminué leurs effectifs par le biais de licenciements ou en mettant leurs employés temporairement au chômage technique [7]. Le U.S. Bureau of Labor Statistics indique que les États fédérés et les gouvernements locaux employaient 179 000 personnes de moins en septembre 2009 que l’année précédente [8]. Parmi les fonctionnaires encore en activité, nombreux sont ceux qui doivent faire face à une baisse de leurs salaires et prestations. En Californie, les employés d’État sont mis au chômage technique trois fois par mois, ce qui diminue leur revenu annuel de près de 15 %.

7Toutefois, la diminution des dépenses publiques ne peut à elle seule enrayer le déficit budgétaire de la majeure partie des États fédérés. Un nombre croissant d’entre eux a donc tenté d’augmenter les recettes pour équilibrer leur budget. En juillet 2009, 30 États avaient augmenté les impôts, et sept autres réfléchissaient à cette éventualité. Mais, une nouvelle fois, les hausses d’impôts sont de tous ordres puisqu’elles varient dans chaque État. Les États fédérés ont ainsi augmenté les impôts sur le revenu, les TVA (sales tax), les impôts sur les bénéfices, les taxes sur les produits déjà surtaxés comme le tabac et l’alcool, les cartes grises, et la liste n’est pas exhaustive. Toutefois, certaines hausses d’impôts sont des plus inhabituelles : le Maine a augmenté le prix des permis de chasse et de pêche et, plus surprenant, des permis de tir à l’arc ; le New Jersey a augmenté le taux d’imposition des gains à la loterie. Il arrive aussi très fréquemment qu’un État augmente plusieurs impôts en même temps [9].

California confidential

8La situation est des plus graves en Californie. Les statistiques sont à peine croyables. La Californie fait partie des huit États dont l’année fiscale débute le 1er juillet et qui n’ont pas réussi à adopter un budget dans les temps [10]. Durant l’année fiscale prenant fin en 2009, le budget de la Californie était déficitaire de plus de 37 milliards de dollars, ce qui était alors le record national. Ce gigantesque déficit représentait 36,7 % du budget total, ce qui place la Californie au second rang parmi les 45 États fédérés et le District of Columbia qui ont enregistré des déficits budgétaires. Pour l’année fiscale en cours et prenant fin en 2010, la Californie a sombré encore davantage : le déficit atteint les 46,6 milliards de dollars, soit plus de la moitié du budget total prévu. Cette somme représente le double du déficit de New York, estimé à 20,9 milliards de dollars, et place la Californie devant l’Arizona au classement des États au plus gros déficit rapporté au budget [11]. Pour ne rien arranger, la Californie se classe quatrième en termes d’ampleur du chômage, avec un taux stupéfiant de 12,5 % [12].

9Pourquoi la Californie est-elle en si mauvaise posture ? D’une part, les institutions californiennes compliquent toute prise de décision un tant soit peu coûteuse politiquement. Elle est l’un des trois États, avec le Rhode Island et l’Arkansas, à avoir besoin d’une majorité « extraordinaire » aux Chambres pour adopter le budget [13]. Ceci permet aux républicains des deux Assemblées d’État, certes minoritaires mais représentant plus d’un tiers des sièges, d’exercer un pouvoir non négligeable sur la procédure de vote du budget. Comme les républicains s’opposent presque systématiquement à toute nouvelle hausse d’impôts, ils obligent de fait les démocrates, pourtant majoritaires, à trouver d’autres moyens pour équilibrer le budget. En retour, les démocrates refusent généralement de limiter les dépenses, de sorte que la négociation budgétaire se traîne d’une année sur l’autre et ne se résout ponctuellement qu’en recourant à des man œuvres comptables tout en gonflant les estimations budgétaires.

10Cela implique néanmoins que le législatif soit capable d’adopter un budget à temps, ce qui est devenu extrêmement rare. Selon la Constitution californienne, les Assemblées législatives doivent adopter le nouveau budget avant le 15 juin, puis le gouverneur doit y apposer sa signature avant le 1er juillet, ce qui marque le début de la nouvelle année fiscale. Depuis 1968, la Californie a réussi à adopter son budget avant le 1er juillet seulement 15 fois sur un total de 42 années fiscales [14]. En 2007, le budget a été voté avec « seulement » 55 jours de retard. Mais en 2008, alors que l’économie locale commençait à se fragiliser, les partis politiques ont bloqué la procédure de vote, si bien qu’un projet budgétaire commun n’a pu être signé par le gouverneur Arnold Schwarzenegger que le 23 septembre, soit un nouveau record de 85 jours après le début de l’année fiscale. Les deux principaux partis ont aggravé la situation de blocage budgétaire en s’accordant sur le redécoupage des circonscriptions (redistricting) en 2000. Leur plan bipartisan revenait à isoler les élus des deux partis de toute compétition électorale. Pour éviter une confrontation politique qui risquait d’aboutir à des élections anticipées, avec tous les risques politiques que cela comporte, les deux partis ont conclu un accord qui scellait le clivage partisan alors existant au sein du législatif, et ce pendant les dix années à venir. Le projet de redécoupage des circonscriptions assurait aux républicains d’obtenir le soutien d’un nombre suffisant de circonscriptions (safe districts) pour empêcher les démocrates d’acquérir une majorité législative des deux tiers, majorité nécessaire pour augmenter les impôts ou adopter le budget annuel. En retour, les républicains ont cédé le reste de l’État aux démocrates en leur reconnaissant des circonscriptions leur étant favorables. Non seulement ce plan garantit que le budget sera soumis au veto des républicains pendant la prochaine décennie, mais d’après Mark Baldassare et Cheryl Katz [15] ce plan bipartisan a une autre conséquence de taille :

11Le plan a fonctionné, dans la mesure où les deux partis ont pu renforcer leur contrôle sur leurs circonscriptions. Le manque de compétition électorale a accru le rôle des primaires, les nominations étant souvent remportées par les membres les plus extrêmes et les plus activistes. Les modérés ont été mis à l’écart, les partis sont devenus plus idéologiques – les démocrates, plus progressistes ; les républicains, plus conservateurs – de sorte que les élus se souciaient peu de faire des compromis ou de trouver un terrain d’entente (p. 24).

12Le réalignement politique en cours en Californie a accentué cette évolution vers la surenchère idéologique si caractéristique des élections primaires. Les côtes de Californie sont maintenant nettement « libérales » (au sens américain de « progressistes ») et démocrates alors que l’intérieur des terres – comme par exemple la Central Valley – devient de plus en plus conservateur et républicain [16]. Les régions devenant donc plus homogènes politiquement, les extrémistes des deux bords peuvent facilement se développer. Aucun des deux partis n’a une incitation électorale forte à la modération. Bien au contraire : les élus doivent leur siège à leur engagement idéologique. Comme les modérés ne peuvent percer électoralement ni lors des primaires ni lors de l’élection générale, une majorité centriste significative ne peut se constituer dans les Assemblées de l’État. De plus, la Californie doit composer avec les conséquences politiques de la limitation des mandats de ses législateurs. La Californie a des limitations de mandats parmi les plus exigeantes du pays pour ses législateurs : un élu peut demeurer seulement six ans à l’Assemblée, la Chambre basse, et huit ans au Sénat, la Chambre haute. Non seulement ces limitations écartent régulièrement du pouvoir les membres les plus expérimentés de chaque parti, mais ils introduisent également des élus ayant une expérience limitée en matière de politiques budgétaires, et qui par ailleurs pensent rapidement à la suite de leur carrière plus qu’à leur position actuelle. Les limitations de mandat limitent l’influence et le pouvoir des responsables au sein du législatif lorsqu’il s’agit de faire voter le budget. De 1961 à 1995, seuls cinq élus ont été désignés « speaker » de l’Assemblée de Californie, l’une des fonctions les plus prestigieuses et déterminantes au niveau de l’État. En revanche, pendant les quatorze années suivantes, neuf personnes différentes ont été désignées « speaker », et seulement l’une d’entre elles est restée en fonction plus de trois ans. Comment est-il possible pour un élu au sein du législatif, tout particulièrement le « speaker », de négocier le budget de l’État avec le gouverneur, quand il ou elle vient d’entrer en fonction ?

La démocratie directe sur le devant de la scène

13La limitation des mandats n’est qu’une des nombreuses mesures politiques prises par les électeurs californiens par l’intermédiaire du référendum d’initiative populaire. Bien que la Californie ne soit pas le premier État à faire usage de la démocratie directe, elle a toutefois établi depuis longtemps une relation particulière avec ses citoyens en les laissant s’exprimer sur des questions politiques diverses et variées par le biais de scrutins populaires. La démocratie directe a été utilisée pour la première fois au début du XXe siècle par les progressistes et leur leader californien, le gouverneur Hiram Johnson. Johnson et ses alliés politiques ont inscrit l’initiative populaire, le référendum et le « rappel » (recall) dans la Constitution d’État en 1911. Leur but était de restreindre l’influence politique de la compagnie des chemins de fer de l’État (Southern Pacific Railroad), dont la domination avait duré plusieurs décennies. Les progressistes se sont attaqués au contrôle qu’avait la compagnie sur les institutions et les partis politiques locaux. Les progressistes étaient persuadés qu’un élément central de leur mouvement de réformes reposait sur la capacité des électeurs à contourner eux-mêmes les institutions politiques traditionnelles. Une de ces réformes a donné le droit aux citoyens de « rappeler » (recall) des élus. Ce type d’élections s’est produit cinq fois depuis 1913 en Californie, le « rappel » le plus célèbre restant celui de 2003 qui a vu le gouverneur Gray Davis être remplacé par A. Schwarzenegger. N’est-il pas révélateur que, sur les terres d’Hollywood, les électeurs décident d’abandonner leur gouverneur pour une star de cinéma plus « glamour » ? N’est-il pas aussi révélateur que l’une des premières actions de A. Schwarzenegger en tant que gouverneur fut de compliquer encore un peu la situation budgétaire ? À cause de la récession du début des années 2000, la Californie connaissait un déficit budgétaire qui atteignait, à l’époque, un niveau record. Pour équilibrer le budget, Davis avait triplé le prix des cartes grises, une action politiquement risquée dans un État où les voitures sont au cœur du mode de vie. A. Schwarzenegger avait axé sa campagne contre Davis sur ce problème, promettant de revenir sur cette augmentation s’il était élu, ce qu’il fit immédiatement en prenant ses fonctions. Voir un homme politique respecter ses promesses électorales était certes bienvenu, mais cette décision a aussitôt entraîné un manque de 4 milliards de dollars, compliquant d’autant plus la tâche des responsables pour redresser sa situation budgétaire [17]. La Californie a aussi derrière elle une série d’initiatives populaires, connues seulement par leur numéro de scrutin. Proposition 13 et Proposition 98 ont notamment eu un impact considérable sur le budget de l’État. Proposition 13, votée en 1978, a gelé le niveau de l’impôt foncier (property tax) en encadrant strictement toute hausse supplémentaire. Elle a aussi modifié la procédure budgétaire en stipulant qu’une majorité des deux tiers des Chambres serait désormais nécessaire pour adopter toute nouvelle hausse d’impôt. Cela place la Californie parmi les 14 États fédérés dont la Constitution exige une majorité « extraordinaire » pour augmenter les impôts [18]. Votée en 1988, Proposition 98 va précisément en sens inverse : elle impose en effet aux autorités locales d’accorder une somme minimum aux établissements du primaire, du secondaire et aux universités d’État. Ces propositions ne représentent que deux exemples parmi des dizaines d’autres approuvées par l’électorat californien et qui ont encore aujourd’hui des conséquences sur la procédure budgétaire à Sacramento. Cette procédure est devenue si commune qu’elle est maintenant désignée par une expression qui lui est propre et qui évoque la tyrannie des urnes sur l’élaboration du budget : ballot-box budgeting.

14Cependant la répétition des blocages institutionnels et les pressions électoralistes présidant à l’élaboration du budget ne détournent par les Californiens de la démocratie directe : pourquoi ? On peut faire l’hypothèse selon laquelle la démocratie directe est à l’origine d’un cercle vicieux. Plus les citoyens interfèrent dans la vie publique par l’intermédiaire d’initiatives populaires, plus il devient difficile pour les parlementaires de gouverner ; cette situation amplifie alors le désir des citoyens de résoudre les problèmes nouveaux par une autre initiative. Comme Proposition 13 limitait la taille du budget de la Californie, les électeurs ont adopté Proposition 98 qui impose qu’une somme plancher soit destinée à l’éducation. Le budget est donc soumis à des pressions supplémentaires, qui ne peuvent être levées que par de nouvelles initiatives. La perte de contrôle des législateurs sur le budget est inversement proportionnelle au mécontentement des Californiens quant aux décisions prises dans les Assemblées. Et les chiffres ne sont pas encourageants. Juste avant que Gray Davis ne soit révoqué, le Field Poll de Californie annonçait que 22 % des Californiens approuvaient son action. De même, en octobre 2009, 27 % des Californiens approuvaient l’action de A. Schwarzenegger, soit le taux le plus faible qu’il n’ait jamais enregistré. De plus, 65 % des personnes sondées désapprouvaient son action. Le soutien porté à l’Assemblée n’était pas meilleur, avec seulement 13 % d’opinions positives, ce qui est le taux le plus bas depuis que le Field Poll a commencé à faire des sondages sur le législatif au début des années 1980 [19]. D’autre part, la population californienne soutient toujours très fortement la procédure de démocratie directe. Une étude, réalisée par le Public Policy Institute de Californie en septembre 2009, a permis de montrer que près de six Californiens sur dix déclaraient que les décisions politiques prises par l’intermédiaire d’une consultation directe de l’électorat étaient probablement meilleures que celles du gouverneur et du législatif [20]. Les Californiens sont également attachés aux mesures qu’ils ont prises par l’intermédiaire des initiatives populaires, et ne souhaitent pas qu’on les modifie. Toujours dans le Field Poll d’octobre 2009, il apparaît que 43 à 52 % des Californiens rejettent l’idée de changer le vote du budget à la majorité des deux tiers. Ils s’opposent à tout amendement de la Proposition 13 qui permettrait aux Assemblées d’État d’augmenter les impôts avec une majorité simple. Notons également que la majorité de l’électorat pense que les limitations des mandats ont été, dans l’ensemble, bénéfiques à l’État [21]. Malgré toutes les difficultés politiques que l’on peut imputer à la démocratie directe, les Californiens la plébiscitent toujours plus. En gardant à l’esprit tous ces éléments, il est plus aisé de comprendre pourquoi la crise budgétaire actuelle en Californie a pris une telle ampleur par rapport à d’autres États.

Les blocages budgétaires à Sacramento

15Le 19 février 2009, à la suite d’une séance plénière record de 45 heures, les Assemblées d’État ont adopté une hausse d’impôts d’un montant de 12,8 milliards de dollars pour tenter de réduire un déficit de 42 milliards de dollars. Comme nous l’avons déjà précisé, la Californie est un des trois États fédérés dans lesquels il est nécessaire d’obtenir une majorité qualifiée chaque année pour adopter le budget. Ceci permet aux parlementaires républicains, en minorité au sein de chaque Chambre, d’exercer une influence considérable sur les négociations.

16En Californie, pour adopter tout projet budgétaire, il est nécessaire d’obtenir deux tiers des voix à la fois au Sénat, composé de 40 membres, et à l’Assemblée, où siègent 80 représentants, soit respectivement 27 et 54 voix. Au printemps 2009, les démocrates occupaient 24 sièges au Sénat et 51 à l’Assemblée ; ils avaient donc besoin du soutien de trois républicains supplémentaires dans chacune des Chambres pour pouvoir adopter un budget [22]. Le vote aux deux tiers n’est pas un nouvel obstacle à la vie politique californienne ; et en fait, depuis les années 1980, les plus importants dirigeants politiques de l’État se réunissent chaque année pour négocier le budget. On fait en général référence à ces réunions par le terme des « 5 Grands » (The Big 5), car elles rassemblent le gouverneur et le leader démocrate et républicain de chaque Chambre.

17Comme d’habitude dans la négociation budgétaire californienne, le principal point de désaccord lors des négociations du printemps 2009 fut comment équilibrer le budget en évitant des décisions douloureuses comme des hausses d’impôt ou des coupes dans les dépenses. Les démocrates refusent en général de tailler dans les dépenses, alors que les républicains refusent toute nouvelle hausse d’impôt. Plutôt que de trouver un compromis « bipartisan », la sortie de crise résulte le plus souvent de manipulations comptables ; une autre stratégie fréquemment utilisée par les gouverneurs républicains ou démocrates consiste à piocher dans d’autres sources de revenu. Cependant, A. Schwarzenegger, constatant le déficit grandissant – alors estimé à 42 milliards de dollars –, avait prévenu les législateurs que la diminution des dépenses publiques ainsi que des hausses d’impôts seraient nécessaires pour aboutir à un équilibre budgétaire.

18La procédure budgétaire repose en général sur une négociation privée des « 5 Grands » ; puis, les leaders de chaque parti tentent de convaincre le reste de leur parti d’accepter le compromis. Malgré d’occasionnels refus, les démocrates finissent par se rallier au projet. Si celui-ci n’inclut pas de hausse d’impôt, quelques parlementaires républicains se joindront finalement à eux. Cependant, en fonction de la situation économique de l’État, les négociations peuvent se prolonger pendant des semaines, voire des mois. Le budget de 2008-2009 n’a été adopté que le 16 septembre 2008, soit deux mois et demi après le début de l’année fiscale. Cela a marqué le retard le plus long jamais enregistré dans toute l’histoire de la Californie. Déjà l’année précédente, le budget n’avait pu être signé avant le 24 août, soit près de deux mois après le début de l’année fiscale [23].

19Quelques semaines après que le budget de 2008-2009 ait été adopté fin septembre, l’État se trouvait déjà largement en situation déficitaire. Dans Business Week, il fut annoncé que A. Schwarzenegger allait demander aux autorités fédérales une aide de 7 milliards de dollars pour combler le déficit budgétaire. Le magazine déclarait même la Californie numéro 1 des États « incapables de s’assumer financièrement » [24]. En novembre 2008, au beau milieu de l’année budgétaire, A. Schwarzenegger proposa de réduire les dépenses publiques. Son plan incluait notamment la mise en place d’une journée de chômage technique par mois pour les fonctionnaires. À la suite de cette proposition, lors d’une séance exceptionnelle des Chambres, les législateurs ne purent trouver d’accord leur permettant d’équilibrer le budget. Le gouverneur déclara alors l’état d’urgence fiscale, imposant ainsi aux législateurs de rester en session tant qu’un accord budgétaire n’avait pas été trouvé [25]. Dès le mois de décembre, le gouverneur ordonna la mise en place de deux jours de chômage technique par mois pour les fonctionnaires. Toutefois, le déséquilibre budgétaire continua de s’aggraver, si bien qu’au mois de février 2009, John Chiang, le responsable du budget de la Californie (State Controller), a dû repousser de 30 jours le paiement des différentes échéances, soit un total de 3,5 milliards de dollars, et ce parce que la Californie rencontrait des problèmes de liquidité [26]. Comme la Californie se trouvait dans une nouvelle impasse budgétaire, A. Schwarzenegger et les législateurs finirent par décider de combiner la phase préparatoire du nouveau budget de 2009-2010 avec les révisions budgétaires semestrielles de 2008-2009.

20Une fois de plus, A. Schwarzenegger et les démocrates avaient besoin de trois voix républicaines à l’Assemblée et au Sénat. Au cours du processus de négociation, les trois républicains susceptibles de les soutenir furent identifiés. À la suite d’une consultation privée de deux jours avec les républicains à la fin du mois de janvier 2009, deux Représentants à l’Assemblée, Roger Niello et Anthony Adams, firent savoir qu’ils seraient à même d’accepter des hausses d’impôts temporaires dans le cadre d’un plan budgétaire global [27]. À ces derniers s’ajoutait le leader républicain de l’Assemblée, Mike Villines, qui accepta naturellement le projet budgétaire qu’il avait négocié. A. Schwarzenegger et les démocrates semblaient donc avoir réussi à réunir les trois voix républicaines dont ils avaient besoin pour adopter le budget. Comme toujours lorsqu’un accord budgétaire se fait, ces trois républicains qui acceptèrent de soutenir le budget, ont bénéficié au passage de soutiens à des projets profitant à leurs circonscriptions. Par exemple, le nouveau budget permet à l’agence de développement (redevelopment agency) de Glendora, une ville située dans la circonscription d’Adams, de conserver 2,6 millions de dollars en recettes supplémentaires [28].

21Les oppositions au compromis budgétaire furent générales sur l’échiquier politique. À gauche, des groupes « libéraux » rejetèrent la diminution des dépenses publiques, et les syndicats menacèrent les démocrates de retombées politiques désastreuses s’ils remettaient en cause le statut des employés de la fonction publique fédérée, un élément clé dans le compromis avec les républicains. À droite, les républicains étaient unanimes contre les hausses d’impôts, même temporaires. L’opposition au sein de l’opinion fut renforcée par le John and Ken show, une émission radiophonique de débats (talk-show), animée par John Kobylt et Kenneth Chiampou à Los Angeles. Bien plus populistes qu’engagés en faveur des conservateurs, John et Ken dénonce ouvertement l’immigration illégale et critique régulièrement les républicains ayant voté des hausses d’impôts. Les deux animateurs mobilisent leurs auditeurs dans une sorte de frénésie, et publient ostensiblement sur leur site internet des photos retouchées montrant les têtes en taille réduite des républicains soutenant des hausses d’impôts plantées sur des pieux comme on peut en voir dans les dessins animés. « Un fan, particulièrement inspiré, a appelé le leader républicain, Mike Villines, à son bureau au petit matin et a répété à plusieurs reprises, ‘Head on stick ! Head on stick !’ [29] ». Aussi surprenantes que ces menaces puissent paraître, les répercussions politiques de telles attaques contre les républicains furent néanmoins réelles. Des semaines avant que le budget ne soit adopté, l’ancien représentant républicain Ray Haynes prédisait une défaite électorale à tout républicain qui soutiendrait le budget [30]. Quelques jours plus tard, l’ancien sénateur Dick Mountjoy évoquait lors d’un entretien au blog conservateur Flashreport.org la possibilité pour lui de défier Adams si ce dernier votait en faveur du budget comprenant les hausses d’impôts. Il disait réfléchir à l’éventualité de se présenter contre lui lors des primaires républicaines [31]. Ces pressions politiques venant de la droite rendirent extrêmement difficiles le rassemblement de républicains favorables au projet de budget. Mais néanmoins, trois républicains furent aussi trouvés au Sénat. Le premier sénateur à franchir le pas fut le leader de l’opposition (Minority Leader) Dave Cogdill dont le mandat devait être renouvelé en 2010. Le deuxième fut Roy Ashburn, dont le mandat se terminait en 2010 sans possibilité pour lui de le renouveler. Le troisième, qui permit de débloquer la situation, fut le républicain Abel Maldonado, auquel la limitation des mandats impose de partir en 2012. Il accepta de soutenir les deux autres après avoir négocié un accord avec eux et les démocrates. Parmi les républicains, Cogdill était celui dont l’engagement était le plus facilement prévisible, car, en tant que leader de l’opposition au Sénat, il avait négocié le budget avec les autres « 5 Grands ». Après qu’un premier accord ait été négocié le 11 février, Cogdill annonça aux républicains en privé, puis publiquement à la presse, que le plan budgétaire ne saurait être plus satisfaisant pour son parti. Il ne se déclarait toutefois pas certain de l’issue du vote final [32]. En tant qu’ancien expert foncier conservateur de la Central Valley, Cogdill était un soutien républicain inattendu au budget, mais ce vote fait partie des principales responsabilités du leader de l’opposition. De fait, son statut de leader de l’opposition l’emportait sur ses opinions personnelles. Ses collègues ne firent cependant pas cette distinction.

22Un peu après minuit dans la nuit du 18 février 2009, le jour précédant le vote du budget, les sénateurs républicains de Californie ont pris tout le monde de court en retirant à Cogdill ses fonctions de leader législatif parce qu’il avait négocié un projet budgétaire comprenant des hausses d’impôts. Les républicains le remplacèrent par Dennis Hollingsworth, un républicain conservateur, surtout connu jusqu’alors pour avoir payé ses études en vendant du sperme de taureau… [33] Hollingsworth avait l’intention de rouvrir les négociations sur le budget et de retirer toute hausse d’impôt, ce qui exaspéra les démocrates qui pensaient avoir trouvé un accord. Bien que le renvoi de Cogdill ait illustré la force et la détermination du refus de tout impôt chez les républicains, l’arithmétique électorale n’était modifiée en rien. Cogdill maintenait sa promesse de voter le budget, de même que les deux autres républicains [34]. Quelques mois plus tard, au début du mois de mai, les républicains de l’Assemblée remplacèrent eux aussi leur leader. Encore sous le choc de l’adoption du budget des démocrates, les républicains ont renvoyé Mike Villines au profit de Sam Blakeslee, qui avait voté contre le budget incluant une augmentation des recettes de l’État de 12,5 milliards de dollars [35]. En l’espace de quelques mois, l’engagement politique des deux leaders républicains en faveur du budget et des hausses d’impôts leur avait coûté leurs positions de leaders.

23Contrairement à Cogdill, le vote d’Ashburn en faveur du budget et des hausses d’impôts est plus difficile à expliquer. Ashburn, ancien représentant à l’Assemblée de Californie et supervisor du comté de Kern [36], avait été particulièrement discret sur la question quelques jours avant le vote dans un entretien qu’il avait accordé au Bakersfield Californian, le journal de sa ville d’origine, le 14 février 2009. Il y avait critiqué les « 5 Grands » pour avoir négocié en secret, les comparant à « des magiciens essayant de jouer un tour à leur public, les habitants de la Californie ». Ashburn reconnaissait subir des pressions à cause de son vote potentiellement « indécis » (swing vote), et ajoutait sur un ton léger : « J’ai eu des conversations très intéressantes et j’espère en avoir encore beaucoup d’autres ». Il déclarait également qu’il n’avait pas encore pris sa décision, notamment parce qu’il n’avait pas pu prendre connaissance des détails du projet. Comme pratiquement tous les législateurs de Californie, Ashburn doit s’adapter à la très courte durée de son mandat : il a donc des ambitions plus élevées. En 2004, il fut candidat au Congrès, mais n’a pas été élu. Il a néanmoins réuni plus de 45 % des voix. Ashburn est à l’heure actuelle à la fin de son mandat et a annoncé qu’il se présenterait à une fonction plus élevée au sein du gouvernement d’État en 2010, fonction pour laquelle il a de grandes chances de se retrouver, lors des primaires du parti républicain, face à un autre sénateur d’État, George Runner, qui avait lui voté contre le projet de budget. En Californie, il y a une longue liste d’élus disparaissant de la vie politique après avoir voté un budget controversé. Il se pourrait qu’Ashburn soit une nouvelle entrée à la liste.

24Si Ashburn est le cas le plus difficile à expliquer, le vote de Maldonado est de loin le cas le plus intéressant. Comme le Sénat de Californie avait besoin d’une seule voix supplémentaire pour adopter le budget, tous les yeux se sont tournés vers Maldonado, sénateur latino républicain modéré de la Central Coast californienne. Pour accorder son vote, Maldonado exigeait la mise en œuvre de mesures aussi bien concrètes que politiques, voire presque théâtrales. Le sénateur demanda expressément de retirer la mesure prévoyant d’augmenter le prix du gallon d’essence de 12 cents [37]. Il insista aussi pour que le salaire des parlementaires locaux soit suspendu lorsque l’État était déficitaire, une mesure qui serait immédiatement saluée par l’électorat. Il formula aussi une demande aux conséquences bien plus générales : il demanda en effet l’ajout d’une mesure permettant aux électeurs d’adopter par scrutin direct un nouveau modèle de primaires ouvertes, lesquelles seraient favorables aux candidats modérés lors de primaires très disputées [38]. Cette mesure s’inspirait probablement de sa propre expérience lors des primaires du parti républicain de Californie en 2006, où il avait dû céder la place à un républicain plus conservateur. En décembre 2009, Maldonado fut désigné par A. Schwarzenegger Lieutenant Governor[39]. Si l’Assemblée confirme sa nomination, Maldonado pourrait en 2010 être un candidat contribuant peut-être à diminuer l’influence des conservateurs au sein de la primaire républicaine [40].

25Tout comme les trois républicains de l’Assemblée ayant voté le budget, les trois républicains du Sénat furent l’objet d’un torrent de critiques de la part d’activistes conservateurs rejetant tout impôt. Ces six républicains qui ont donné leur voix pour soutenir le projet budgétaire furent surnommés « les Six de Sacramento » (the Sacramento Six). A. Schwarzenegger les a salués comme de « grands héros » (great heroes). Cet enthousiasme du gouverneur n’a cependant pas fait l’unanimité parmi les autres républicains de Californie. Lors de la convention du parti à la fin du mois de février, les républicains adoptèrent un accord déniant tout financement électoral pour couvrir la campagne de ces six législateurs [41]. La décision fut d’autant plus facile à prendre qu’à l’exception de Niello, les Sacramento Six avaient auparavant fait la promesse officielle pendant leur campagne électorale de ne pas augmenter les impôts. « Ce que je regrette le plus dans cette promesse électorale, c’est que n’apparaissent pas quelques mots supplémentaires du type, “sauf en situation d’urgence” », expliqua Maldonado aux journalistes [42]. Des Sacramento Six, Adams est celui qui a subi le plus la colère des activistes. Le nombre grandissant de protestations l’a conduit à démissionner de ses fonctions de président de la section locale du parti au sein même de sa circonscription. Les oppositions ne se sont néanmoins pas estompées, et un mouvement de « rappel » contre Adams a rapidement vu le jour sous l’influence du John and Ken show et de nombreux commentateurs du FlashReport. Au mois d’avril, Adams s’est assuré du soutien du gouverneur A. Schwarzenegger en le conviant à un événement visant à collecter des fonds pour sa campagne [43]. Mais pourtant, au cours du mois d’octobre 2009, les partisans du rappel d’Adams ont remis une pétition d’environ 58 500 signatures, ce qui dépassait largement les 36 000 signatures nécessaires pour lancer une telle procédure. Les autorités chargées des élections locales vérifient à l’heure actuelle la validité des signatures ; cette procédure devrait s’étendre jusqu’à la mi-novembre. Si les partisans du rappel ont effectivement réussi à soumettre un nombre suffisant de signatures, A. Schwarzenegger organisera des élections anticipées dans les premiers mois de 2010 [44].

26La situation fiscale de la Californie s’est encore détériorée davantage le 19 mai, lorsque les électeurs ont refusé par scrutin direct de soutenir les hausses d’impôts temporaires du compromis budgétaire de février [45]. Près de deux tiers des votants se sont prononcés contre l’élément central du projet, qui aurait permis d’étendre les nouvelles hausses d’impôts à plusieurs années. Le rejet de cette proposition a entraîné la perte immédiate de 6 milliards de dollars de recette pour l’année fiscale suivante, et de 16 milliards de dollars pour les années à venir [46]. Dans l’espoir d’obtenir le soutien des conservateurs, les législateurs avaient ajouté à la mesure soumise au vote une disposition plafonnant la croissance des dépenses publiques. Cette disposition s’est retournée contre eux, car les conservateurs ont maintenu leur vote négatif à cause des hausses d’impôts, tandis que les groupes progressistes et les fonctionnaires se sont également ralliés à l’opposition parce qu’ils estimaient que le plafonnement des dépenses allait bien empêcher l’attribution de fonds supplémentaires pour des programmes sociaux récemment mis en place ou renforcés. En définitive, c’est en essayant d’apaiser un groupe violemment opposé à leur politique que les législateurs ont perdu leurs seuls réels alliés politiques. Le résultat de ce vote montrait également la méfiance pérenne de l’électorat contre toute idée d’augmentation des impôts ou de réduction des programmes.

27En réponse à l’échec du compromis budgétaire, A. Schwarzenegger a envoyé aux législateurs à la fin du mois de mai un nouveau projet visant à réduire les dépenses en supprimant divers programmes et en contractant dans le même temps un emprunt de plusieurs millions de dollars auprès des gouvernements locaux [47]. La plupart des dépenses publiques supprimées concernaient en priorité les services sociaux aux personnes démunies et handicapées. Lorsque Mike Genest, responsable des finances de l’État (California Director of Finance) [48], a été questionné par les journalistes quant à l’équité des coupes budgétaires, il a reconnu un des non-dits du débat budgétaire : « L’État [fédéré] ne fournit pas de services aux contribuables les plus aisés. Et pas beaucoup plus aux classes moyennes ». Les dépenses publiques se font pour les pauvres et les classes ouvrières. Il ajouta : « Les suppressions doivent se faire là où il y a de l’argent [49] ». Alors que la Californie possédait déjà la cote de crédit (credit rating) la plus basse des 50 États fédérés, les autorités de l’État demandèrent en juin une garantie fédérale sous la forme de bons de souscription (promissory notes) d’un montant de de 5,5 milliards de dollars. L’administration Obama leur a répondu sèchement que ce n’était pas à l’État fédéral de résoudre les problèmes budgétaires de la Californie, mais aux autorités de l’État [50]. Au début du mois de juillet, le gouverneur a décrété que les fonctionnaires fédérés seraient mis au chômage technique trois jours par mois au lieu de deux [51]. La Californie a également commencé à émettre des IOUs pour répondre à ses échéances financières à court terme [52]. Plusieurs grandes banques américaines ont fait savoir qu’elles accepteraient de moins en moins d’encaisser ces reconnaissances de dettes, intensifiant ainsi la pression pesant sur l’État et la nécessité d’adopter un budget au plus vite. Pendant ce temps, la cote de crédit de la Californie s’était encore effondrée un peu plus [53].

28Le 24 juillet 2009, près d’un mois après le début de la nouvelle année fiscale, les législateurs ont fini par adopter le budget de la Californie pour 2009-2010. Afin de combler le déficit de 26 milliards de dollars, il a été décidé de supprimer 15 milliards de dollars destinés aux services sociaux ; cette somme comprend notamment une diminution du budget de l’éducation de 8,1 milliards de dollars. Les fonctionnaires devront continuer d’effectuer trois jours de chômage technique mensuel, ce qui devrait économiser à l’État 1,3 milliard de dollars. Le reste du déficit a pu être comblé par un ensemble de man œuvres de comptabilité, d’estimations hasardeuses des recettes à venir, tout en piochant sans retenue dans les budgets des gouvernements locaux. Une impression de déjà-vu ? Afin d’obtenir le vote des républicains, le budget ne comprenait aucune hausse d’impôt supplémentaire [54]. A. Schwarzenegger a pu signer le budget quelques jours plus tard, et grâce à son veto sélectif (line-item veto), il a encore supprimé quelque 489 millions de dollars qui étaient destinés aux services sociaux, ce qui lui a valu les foudres des démocrates qui ne s’attendaient pas à de nouvelles restrictions budgétaires [55].

Conclusion

29Dans le meilleur des cas, les commentaires sur la Californie en font un État dysfonctionnel, ou, de plus en plus souvent, ingouvernable. Pourtant, la plupart des problèmes structurels de la Californie ne sont rien d’autre que le résultat de l’action directe des citoyens. Les outils de démocratie directe ont permis aux citoyens de s’impliquer dans le gouvernement de leur État. Ils peuvent ainsi amender la constitution pour contraindre les élus et le gouverneur. Ils peuvent exiger la poursuite de certains programmes sans considérer leur financement. Ils peuvent imposer au gouvernement l’obligation de résoudre ses problèmes budgétaires, mais refuser en même temps toute augmentation d’impôts permettant précisément de finaliser le budget. Et si les électeurs sont véritablement mécontents de leurs responsables politiques, ils peuvent les contraindre à une nouvelle élection (recall). Dans ces conditions, il est peu surprenant d’assister à la montée d’un mouvement favorable à une convention constitutionnelle afin de réviser la Constitution californienne, et notamment l’initiative populaire. L’ironie cependant est qu’une convention abordant ces questions devrait être convoquée par le biais d’une initiative. Pourtant, la démocratie directe n’est pas le seul facteur responsable des problèmes en Californie. C’est simplement un élément au sein d’un ensemble plus vaste, et notamment d’une gestion fédérée qui dépend très largement d’hommes d’appareil, extrêmement partisans, et de groupes d’intérêts (special interests) qui agissent tous deux à l’abri de l’opinion publique. Par exemple, si la convention doit être convoquée par une initiative populaire c’est d’abord et avant tout parce que le législatif n’a aucun intérêt à le faire. Les deux partis en 2000 ont privilégié un redécoupage consensuel à un plan créant des circonscriptions plus ouvertes où les candidats auraient dû rivaliser pour obtenir le soutien des électeurs modérés. La réponse des électeurs, en 2008, fut l’adoption de la Proposition 11 qui confie l’élaboration des circonscriptions à une commission de citoyens indépendante de la législature. Critiquer les citoyens pour s’impliquer dans le processus de décision par la démocratie directe alors que les élus eux-mêmes refusent de prendre les décisions nécessaires semble injuste.

30La Californie, l’État de loin le plus peuplé de la nation, constitue 13 % de l’économie américaine. Il est évident que les États-Unis ont besoin d’une Californie stable et bien gouvernée si le pays veut sortir du marasme financier. La situation de la Californie peut sembler extrême, mais la crise budgétaire est réellement inquiétante dans les 50 États fédérés. La récession économique implique des hausses d’impôts et des coupes drastiques dans les dépenses publiques, ce qui déclenche nécessairement la grogne de l’électorat. Le président Obama préfère sans doute concentrer son capital politique sur la réforme du système de santé et sur d’autres promesses électorales, mais tant que l’économie ne se stabilise pas, les démocrates devront garder un œil sur les États fédérés et leurs difficultés budgétaires. La réélection des présidents américains dépend en grande partie de la situation économique du pays. Un deuxième plan de relance économique pourrait aider le président politiquement, surtout s’il attribue aux États plus de subventions « libres », c’est-à-dire non allouées directement à un programme bien précis. Cependant, si l’État fédéral peut en théorie rester indéfiniment en situation déficitaire, Obama ne peut pas réellement se permettre de garder un budget national déséquilibré à long terme. Le président américain devra donc faire en sorte de préserver l’équilibre fragile qui existe entre sa politique budgétaire et ses chances de réélection.

Notes

Français

Résumé

L’article analyse la crise budgétaire de Californie en la replaçant dans le contexte plus général national, tout en soulignant les spécificités politiques de la Californie, notamment la pratique de la démocratie directe. On découvre ainsi un processus budgétaire pris en otage par une minorité de républicains conservateurs et une vie politique contrainte par les impératifs contradictoires issus des initiatives populaires depuis 1978.

English

The Golden State into Turmoil

The Budget Crisis in California under the New Obama Administration

The Golden State into Turmoil

The text deals with the California budget crisis since 2008. It account for the larger national context as well as the political specificities of the Golden State in terms of direct democracy. This account highlights the way the budget process seems to be hijacked by a significant minority of anti-tax activists. It also shows how California politics is torn between the contradictory outcomes resulting from the increasing reliance on initiatives since 1978.

  • Bibliographie indicative

    • M. Baldassare, C. Katz, The Coming Age of Direct Democracy: California’s Recall And Beyond, MD, Rowman & Littlefield, Lanham, 2008.
    • J. Citrin, I. Martin (dir.), After the Tax Revolt: California’s Proposition 13 Turns 30, IGS Press, Berkeley, 2008.
    • F. Douzet (dir.), « La Californie : avant-garde de l’Amérique », Politique Américaine, n°9, hiver 2007-2008.
    • F. Douzet, T. Kousser, K. P. Miller, The New Political Geography of California, IGS Press, Berkeley, 2007.
    • En ligneW. Hussey, « Review of The Coming Age of Direct Democracy », Election Law Journal, vol. 7, septembre 2008, pp. 256-258.
  • Sites internet

Wesley Hussey [*]
  • [*]
    Wesley Hussey est Assistant Professor of Government à la California State University, Sacramento. L’auteur tient à remercier David Karol et un relecteur anonyme pour leurs commentaires. Cet article reprend des éléments déjà parus dans un compte rendu d’ouvrage en 2008 : Direct Democracy in California, « Review of The Coming Age of Direct Democracy », Election Law Journal, vol. 7, septembre 2008, pp. 256-258
Traduction réalisée par 
Laure Géant
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/11/2012
https://doi.org/10.3917/polam.014.0107
Pour citer cet article
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