1 Dans son History of Modern Philosophy in France [1] de 1899, qui brosse un tableau d’ensemble de la philosophie française de Descartes au « mouvement contemporain », Lucien Lévy-Bruhl consacre un paragraphe du dernier chapitre à Ravaisson. Le texte français de cet ouvrage semblant perdu, on prend ici le risque de proposer une traduction de la traduction de ce passage.
2 Dans ce chapitre XV, « The Contemporary Movement in French Philosophy », Lévy-Bruhl relève d’abord l’« extrême variété des théories » dans la seconde moitié du xixe siècle. Le « spiritualisme éclectique » (présenté dans le chapitre XII) « perd du terrain » (p. 440) et le positivisme comtien (présenté dans le chapitre XIII), éclaté par un schisme, « s’enferme dans son Église », de sorte que « le temps est venu d’un renouveau de la spéculation métaphysique » (p. 441). Vient alors un alinéa (p. 441-442) qui présente ainsi un premier aspect de ce renouveau :
Ce renouveau, dont on avait pu pressentir l’approche avant le milieu du siècle, prit des formes différentes selon qu’y prédominait l’esprit de la métaphysique dogmatique ou l’influence du criticisme kantien. La philosophie de M. Ravaisson appartient à la première catégorie et procède, en proportions diverses, d’Aristote, de Leibniz et de Schelling. Pour lui, tous les systèmes philosophiques peuvent se ramener à trois types, qui sont autant de points de vue à partir desquels la vérité est plus ou moins complètement saisie. Au niveau inférieur se trouvent les philosophies empiristes. Elles sont aveugles à tout ce qui n’est pas révélé par les sens. Ces systèmes ne sont pas erronés dans ce qu’ils affirment, mais ce qu’ils nient est infiniment plus réel que ce qu’ils tiennent pour la seule réalité. Au-dessus, à un niveau intermédiaire, viennent les philosophies de l’entendement, tels le kantisme et le stoïcisme. Elles reconnaissent bien que l’esprit a une activité propre, mais le croient incapable de dépasser d’insurmontables barrières, comme le temps, l’espace, la causalité, et s’arrêtent là. Enfin, au sommet, sont les systèmes métaphysiques qui ont compris que la sensation et même la connaissance discursive ne seraient pas possibles s’il n’existait une intuition de la raison par laquelle la réalité véritable, l’absolu, se révèle sans médiation, et qui permet à la raison de s’unir à l’absolu comme principe parfait de toute existence, de toute connaissance, de toute beauté et de toute force. À ce système, s’ajoutent une philosophie de la nature qui montre l’éternelle ascension des êtres imparfaits vers l’être parfait qui est à la fois leur cause et leur fin, et une philosophie de l’histoire qui voit dans la religion et l’art des révélations parallèles à celles de la raison.
4 Suit dans ce chapitre une présentation de Secrétan, avant une analyse plus développée des systèmes « qui ont trouvé leur inspiration dans les idées kantiennes » (p. 444), avec Lachelier, Boutroux, Renouvier. On passe ensuite à Fouillée et Guyau, à Cournot, à Claude Bernard, Berthelot, Ribot, puis à la sociologie.
5 Il faut ajouter ici que, vingt-deux ans plus tôt, était parue une autre présentation de la philosophie contemporaine en France destinée au public anglophone : l’article de Théodule Ribot « Philosophy in France [2] », que son auteur décrivait ainsi dans une lettre à Alfred Espinas : « Le spiritualisme est flagellé de la bonne sorte. C’est un vrai pamphlet. Cela paraîtra en Angleterre sous ma signature. Cela m’a beaucoup intéressé à faire. Ravaisson et l’Institut ont été étrillés [3]. » Quatre pages y portent effectivement sur Ravaisson. Il n’est pas utile de les reprendre ici puisque Serge Nicolas a publié une traduction française de ce texte [4].
Notes
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[1]
Chicago, The Open Court, et Londres, Kegan Paul, 1899, traduction de G. Coblence, revue par W. H. Carruth ; nouvelle éd. en 1924. Le chapitre XV, cité ici dans la pagination du livre, est paru d’abord dans le no d’avril 1899 de The Monist (IX, no 3, p. 416-436).
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[2]
Mind, II, 1877, p. 366-386.
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[3]
Lettre de mai 1876, selon la transcription de Raymond Lenoir, Revue philosophique, 1962, no 3, p. 338.
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[4]
Serge Nicolas, « L’état de la philosophie et de la psychologie en France dans les années 1870 selon Théodule Ribot », Revue d’histoire des sciences humaines, 2000, no 1, p. 105-106, suivi de Théodule Ribot, « Philosophie et psychologie en France (1877) », ibid., p. 107-123.