1On a analysé ici (Merllié, 2009 et 2010) les trois premiers états (codés LA1 et LA2 pour ceux de 2008, LA3 pour celui de 2009) des listes de revues établies par l’Agence pour l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (AERES) en France pour la philosophie. Après une tentative pour hiérarchiser les revues en trois catégories (LA1 et 2), il ne s’agissait ensuite que d’établir le « périmètre scientifique » des revues de la discipline en vue de permettre aux experts chargés d’évaluer les unités de recherche de distinguer ceux de leurs membres qu’on pouvait considérer comme « produisants ». Un processus annuel de mise à jour de ces listes était alors annoncé.
2L’état suivant de cette liste (LA4) n’est cependant daté que de juillet 2012, mais le processus s’est accéléré, puisqu’il a été suivi d’un autre (LA5) daté d’octobre 2013. Autant les trois premiers états se distinguaient entre eux par des différences importantes, autant les modifications apportées récemment à LA3 sont modestes. Il ne paraît cependant pas inutile de les présenter. Auparavant, quelques faits sont à souligner :
31) Les analyses ici présentées peuvent paraître obsolètes. En un sens, en effet, l’AERES n’existe plus, puisqu’une loi sur l’enseignement supérieur et la recherche (du 22 juillet 2013) l’a supprimée. Mais c’est pour la remplacer par un autre organisme, au titre plus ronflant (le Haut conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur – HCERES) (voir Pumain et Dardel, 2013), qui risque de lui ressembler fort, mais qui reste virtuel tant qu’un décret n’est pas pris pour définir son fonctionnement. En tout cas, les épisodes 4 et 5 de cette série, dont l’un est postérieur à cette loi, devraient être les derniers de la saison.
42) Les objectifs affichés sont inchangés (comme la novlangue technocratique dans laquelle ils sont formulés) ; on pouvait lire dans la présentation de LA4 :
Cette liste de revues est un outil […] dessinant le périmètre scientifique des publications de la discipline pour ce qui concerne les revues. Les titres figurant dans la liste ci-après doivent être pris en compte, notamment, pour déterminer les chiffres de « produisants » lors de l’évaluation des unités de recherche.
63) Les six membres de la « commission d’actualisation » de LA3 ont été renouvelés : les six responsables de LA4 étaient tous nouveaux [1]. Ceux de LA5 sont également nouveaux pour quatre d’entre eux [2].
74) Parmi l’ensemble des disciplines des Sciences humaines et sociales donnant lieu à des listes de revues analogues, l’effectif de six membres est le plus faible. On compte par exemple 16 membres dans trois autres commissions (dont celle des sciences de l’éducation, dont la liste vient d’être actualisée en juin 2014) et 18 pour le droit.
85) En LA4, comme en LA3, les membres de la commission de philosophie se voient en outre attribuer une compétence particulièrement élargie, car ce sont exactement les mêmes qui constituent par ailleurs deux autres commissions, celles de « Théologie et sciences religieuses » et de l’« Histoire et philosophie des sciences », dont les listes ont été renouvelées exactement à la même date. Mais il est difficile de dire ce qu’il en serait en 2013, car seule la liste de philosophie a été renouvelée alors : les listes affichées sur le site de l’AERES pour ces deux autres disciplines sont toujours celles de juillet 2012. Et, tandis que les commissaires de LA3 et LA4 comportaient visiblement un représentant de la théologie et un autre de l’histoire des sciences, on ne remarque rien de tel parmi ceux de LA5.
LA4 : sept nouveaux titres
9De LA3 à LA4, l’effectif du club des revues universitairement fréquentables en philosophie passe de 239 à 245. Tous les titres antérieurs sont maintenus, à une exception près, et sept autres font leur entrée.
10Le titre qui disparaît est l’une des deux revues turques qui étaient présentes depuis LA1 : Felsefe Tarti?malan (sous-titré A Turkish Journal of Philosophy), revue qui continue d’exister puisque son volume 48 est daté de 2013.
11Pénètrent dans le « périmètre » :
- Analytica
- Antiquorum philosophia
- Bulletin de la société internationale des Amis de Montaigne
- Classical Quarterly
- Corpus. Revue de philosophie
- Methodos
- Mnemosyne. A Journal of Classical Studies
12Il s’agit de :
- une revue brésilienne (1) que j’ai eu du mal à identifier, du fait qu’on trouve surtout sous ce nom une revue de chimie (Analytica Chimica Acta) et que le n° ISSN indiqué est faux (il correspond à la collection « Libelles » des Presses universitaires de France) ; mais il doit bien s’agir de la revue éditée par le département de philosophie de l’Université fédérale de Rio de Janeiro, ce qui fait passer de cinq à six le nombre de revues brésiliennes figurant sur cette liste depuis LA3 ;
- trois revues spécialisées dans l’antiquité classique : (7) fondée en 1852, qui paraît aux Pays-Bas et publie en anglais des textes ne concernant pas spécifiquement la philosophie ; (4) publiée à Cambridge, également généraliste, dont le volume 64 paraît en 2014 ; (2) annuelle, sous-titrée An International Journal et éditée en Italie depuis 2007 ;
- trois revues éditées en France : (3) paraît (non sans interruptions) depuis 1913, maintenant éditée par les Éditions Classiques Garnier (n° 57 daté novembre 2013) ; (5), maintenant totalement séparée de la collection du « Corpus des œuvres de philosophie en langue française », paraît depuis 1997 « avec le concours de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense » (n° 64 daté 2013) [3] ; (6) sous-titrée Savoirs et textes et caractérisée comme « revue interdisciplinaire : philologie, histoire des sciences, philosophie », publiée par les Presses universitaire du Septentrion depuis 2001 (vol. 14 en 2014).
LA5 : cinq autres revues
13De LA4 à LA5, on passe, en octobre 2013, de 245 à 250 titres répertoriés. Aucune revue n’ayant été évincée, on observe seulement l’entrée de cinq nouvelles venues, sans doute à leur demande, puisque le texte de présentation précise que « les demandes qui sont ainsi parvenues à l’AERES ont été examinées par une commission annuelle d’actualisation ». Ce sont :
- Aisthesis. Pratiche, linguaggi e saperi dell’estetico
- Bruniana & Campanelliana
- Chiasmi international
- Cités
- Études Ricœuriennes
14Il s’agit, cette fois, de trois revues publiées en Italie (les trois premières, mais (10) est coédité notamment par Vrin) et deux en France. Et, également, de trois revues centrées principalement sur un auteur, (10) se consacrant aux études merleau-pontiennes. Plusieurs sont relativement récentes : (8) date de 2008 (n° 7 en 2014), (10) est à son volume XV en 2014, (11), sous-titrée Philosophie, Politique, Histoire, date de 2000, (12) est une revue électronique dont le volume V est daté 2014. On relève que (2) et (9) ont le même éditeur.
15Globalement, sur les douze revues ajoutées depuis 2009, trois ne concernent que marginalement (4 et 7) ou partiellement (6) la philosophie et quatre sont spécialisées sur un auteur (3, 10 et 12) ou deux auteurs proches (9). Le processus de mise à jour semble ne plus jouer que sur les marges.
Quelle internationalisation ?
16L’analyse de LA3, qui faisait apparaître, dans une liste très largement dominée par l’anglais, l’irruption de cinq revues brésiliennes [4], conduisait à se demander « à quel nouveau continent » allait pouvoir s’ouvrir, avec les actualisations annoncées, le « périmètre » de la philosophie (Merllié, 2010, p. 504). Rien de tel ne s’est produit ou esquissé, puisque les revues introduites en 2012 et 2013 relèvent principalement de la francophonie et de langues latines. On peut donc considérer que, pour modestes qu’elles aient été (le nombre des titres référencés a augmenté de 5 %), ces modifications vont plutôt dans le sens d’une atténuation de l’hégémonie de l’anglais dans cette liste. Mais on doit continuer d’observer qu’on n’y trouve « aucune revue pour de nombreux pays comme la Chine, la Russie, le Japon, etc. Ni aucune langue utilisant d’autres caractères que latins (y compris le grec) » (ibid.). On reste bien loin de quelque chose qui puisse ressembler à une liste mondiale des revues de philosophie. Et le sentiment d’arbitraire que donnaient les épisodes précédents n’est en rien atténué.
1715 juillet 2014
Notes
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[1]
Il s’agit de Thierry Gonthier (Université de Lyon 3), Christian Grappe (Université de Strasbourg, théologie protestante), Valéry Laurand (Université de Bordeaux 3), Charles Ramond (Université Paris 8, délégué scientifique AERES pour la philosophie), Jean-Jacques Szczeciniarz (université Paris-VII) et Carole Talon-Hugon (Université de Nice).
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[2]
Charles Ramond et Carole Talon-Hugon, alors déléguée scientifique AERES pour la philosophie, y figurent toujours. Les nouveaux membres sont : Natalie Depraz (Université de Rouen), Danielle Lories (Université de Louvain), Jacques Morizot (Université d’Aix-Marseille) et Bruno Pinchard (université Lyon-III).
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[3]
Auteur d’un article dans le n° 58 de cette revue, le signataire de ces lignes se voit-il accéder au statut de « produisant » ?
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[4]
L’une de ces cinq revues, Discurso, voyait son titre italianisé en « Discorso » (Merllié, 2010, p. 507, note) : elle reste ainsi travestie en LA4 et 5.