CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Une note précédente analysait les deux premiers classements opérés en 2008 par les experts (alors anonymes) de l’Agence pour l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (aeres) pour les revues de philosophie (Merllié, 2009). Si ces classements avaient suscité d’assez nombreuses prises de position individuelles ou collectives dans différentes disciplines [1], ou si un fascicule entier d’une revue (absente de ces classements) a pu être consacré à « l’idéologie de l’évaluation » en général (Cités, 2009), la seule autre étude systématique des procédures du classement des revues scientifiques en France que j’ai remarquée est l’historique détaillé paru dans le Mouvement social (Fridenson, 2009). Or voici que de nouveaux matériaux s’offrent à l’étude de ces procédures : dans plusieurs disciplines ou groupes de disciplines des sciences humaines et sociales impliquées dans ces classements en France, de nouvelles listes sont parues sur le site de l’aeres en 2009 et 2010 (aeres, 2010). Bien que présentées comme le début d’un processus annuel de mise à jour [2], ces listes comportent des changements importants, qui paraissent en affecter la logique et non seulement le contenu. On se propose de présenter ici ceux qui s’observent à travers la liste éditée pour la philosophie, replacée dans le contexte de l’ensemble de ces listes.

Les champs disciplinaires

2Il s’agit, par ordre chronologique des dates de mise à jour affichées, des douze « champs disciplinaires » ci-dessous :

3

histoire, histoire de l’art, archéologie (mars 2009)
psychologie, éthologie, ergonomie (14 octobre 2009)
philosophie (9 novembre 2009)
histoire et philosophie des sciences (9 novembre 2009) [3]
sciences de l’éducation (17 novembre 2009)
théologie (23 novembre 2009)
sociologie, démographie (23 novembre 2009)
sciences et techniques des activités physiques et sportives (staps)
(14 décembre 2009)
géographie, aménagement, urbanisme (13 janvier 2010)
science politique (29 janvier 2010)
anthropologie, ethnologie (10 février 2010)
économie, gestion (16 juin 2010)

4Dans cette liste de listes, on remarque l’absence tant des sciences de la nature (y compris les sciences de l’ingénieur, les sciences médicales et odontologiques) et des mathématiques, présentées implicitement comme des disciplines où la valeur relative des revues est suffisamment reconnue et stabilisée pour ne pas avoir besoin d’être explicitée, que des disciplines linguistiques et littéraires (dont les « experts » désignés par l’aeres avaient choisi, en 2008, de ne pas établir de liste) [4] et des disciplines juridiques (cf. Koubi, 2009) : on reste, pour employer un terme récurrent dans la présentation de ces listes, dans le « périmètre » des sciences de l’homme et de la société, alors que les listes de l’European reference index for the humanities (erih ; LE pour la philosophie dans la note précédente), qui ont plus que largement influencé les listes de l’aeres pour la philosophie, étaient centrées sur les « humanités ».

5En ce qui concerne la philosophie, on note un nouveau changement de définition implicite des frontières. En effet, alors que la liste initiale (LA1 dans la note précédente) incluait une majorité de titres relevant des sciences des religions et que la suivante (LA2) s’en était séparée mais incluait l’histoire des sciences dans son titre (sans, il est vrai, que le contenu en soit affecté), celle qui est datée de novembre 2009 (désormais LA3), redevenue « Philosophie », coexiste avec deux listes distinctes pour « Histoire et philosophie des sciences » et « Théologie ».

Une fonction inchangée : identifier les chercheurs « produisants »

6Quelle est la fonction de ces listes ? Il est dit à nouveau qu’à travers l’évaluation des revues, elles n’auraient pas vocation à évaluer des individus qui y publient ou non, mais les formations de recherche [5]. Il s’agissait, dans les premiers documents parus, de permettre de distinguer, parmi les membres de celles-ci, les « publiants » des autres. Le vocabulaire a évolué : on dit maintenant les « produisants » [6]. L’évaluation des formations passant ainsi par celle de leurs membres (plus ou moins nombreux à satisfaire aux normes de production), il y a quelque hypocrisie à prétendre ne pas évaluer ceux-ci à cette occasion ou à ignorer que des pressions seront faites sur les « non-produisants » pour qu’ils quittent les formations soucieuses de leur label.

7Qu’est-ce alors qu’un « produisant » ? La définition précise, peut-être variable selon les disciplines, n’est généralement pas spécifiée. Les responsables de la liste « Économie, gestion » sont les seuls à préciser :

8

« La règle de base pour être reconnu enseignant-chercheur ou chercheur “produisant” est, sauf exception, d’avoir publié pendant la période de référence (à savoir janvier 2006 à août 2010 pour la vague B) au moins 2 articles (respectivement 4 articles pour les chercheurs) dans les revues appartenant à la liste aeres […] ».

L’identification des experts

9Dans l’économie de la plupart de ces listes, deux grands changements sont à relever. Signalons en premier lieu l’abandon de l’anonymat des experts-nomenclateurs puisque, si les noms de ceux qui ont établi les listes initiales n’ont pas été indiqués, on dispose désormais au moins de ceux des experts qui ont procédé à leur mise à jour (à une exception près : celle de la liste « Histoire, histoire de l’art, archéologie »).

10Ont ainsi « participé à la commission d’actualisation de la liste Philosophie » (les noms sont suivis des titres donnés dans la présentation de LA3) :

11

Pascal Duris, Université Bordeaux 1, vice-président 72e section du cnu[7]
Claude Gautier, Université Montpellier 3
Jean Gayon, Université Paris 1, iuf honoraire [8]
Laurent Jaffro, Université Paris 1, iuf honoraire
Sandra Laugier, Université d’Amiens, Déléguée scientifique aeres[9]
Claudine Tiercelin, Université Paris 12, iuf

12La philosophie a dû moins peser que d’autres disciplines sur le budget de l’aeres, car les autres listes comportent un plus grand nombre d’experts (de sept à treize), à l’exception de la science politique (qui en comporte également six) et de deux autres cas remarquables : « Histoire et philosophie des sciences » (désormais LAsc) et « Théologie » (LAth2), dont la liste des experts est strictement identique à celle de la philosophie. Moins nombreux et à vocation pourtant pluridisciplinaire ou à compétences particulièrement étendues, les commissaires communs à ces trois listes se distinguent aussi de la majorité des autres par l’absence d’« experts » travaillant hors de France.

Du classement au périmètre

13Un deuxième changement majeur est l’abandon, majoritaire sinon général (mais provisoire, si on lit bien), de la distinction de classes hiérarchisées au sein des revues incluses dans les listes. L’emploi systématique du terme « périmètre » vient signifier cet abandon d’une pratique présentée comme prématurée :

14

« Les plus nombreuses [de ces listes] définissent un périmètre scientifique, sans classement. D’autres, qui correspondent aux disciplines dans lesquelles les bases bibliographiques internationales sont majoritairement acceptées par la communauté scientifique, proposent une première hiérarchisation » (aeres, 2010).
« Cette liste est un outil destiné aux comités d’experts de l’aeres, aux responsables des unités de recherche (umr et ea) et aux enseignants-chercheurs et chercheurs en philosophie, dessinant le périmètre scientifique des publications de la discipline pour ce qui concerne les revues » (présentation de LA3).
« La commission a décidé de ne pas caractériser ces revues en fonction d’un critère de qualité scientifique. C’est donc une liste unique, une liste “périmètre”, qui est adoptée » (liste de psychologie).
« L’aeres a donc choisi, en ce qui concerne les revues en histoire, histoire de l’art et archéologie, de définir plutôt un périmètre de scientificité sans classement particulier » (liste d’histoire).

15Cinq des douze listes maintiennent des distinctions entre les revues qu’elles énumèrent, mais elles ont renoncé, plus ou moins clairement, à la trilogie antérieure en A, B, C. La liste des sciences de l’éducation se contente d’étiqueter du terme « interface » certaines revues tenues pour relevant davantage des pratiques professionnelles que de la production scientifique. La liste de psychologie présente cinq niveaux, mais ceux-ci ne prétendent pas caractériser la valeur scientifique des revues mais leur « impact relatif » [10]. Le summum de l’ambiguïté sous ce rapport paraît atteint par les staps, dont le « périmètre » est « un ensemble non exhaustif », ne contenant que des revues « de rang A », parmi lesquelles on distingue cependant à la fois des « niveaux d’impact » et trois niveaux de « qualité et rayonnement ».

16On remarque aussi que les listes pour l’histoire et la philosophie des sciences et pour la théologie, dont l’actualisation a été réalisée par les mêmes experts que pour la philosophie, affichent, à la différence de celle-ci, un classement distinguant deux « rangs » (premier et deuxième). La présentation de la première précise qu’il s’agit d’« une indication relative fondée sur la qualité et le rayonnement de la revue », la seconde indique seulement que la commission « a décidé d’adopter la liste erih, en y apportant quelques modifications mineures ».

17À prendre ces textes au pied de la lettre, on serait donc passé, dans la majorité des cas au moins, avec les listes issues en 2009 et 2010 des « commissions d’actualisation », de l’ambition axiologique de dire la valeur des revues à celle, toute descriptive, de délimiter des « périmètres scientifiques », en signalant seulement les revues tenues pour scientifiquement pertinentes dans un domaine particulier. D’une liste dont la fonction principale paraît être de hiérarchiser à une liste qui se contente d’énumérer, la différence est évidemment importante. Les experts-géomètres ne sont plus métrologues. Ce changement de perspective correspond d’ailleurs à une demande qui avait été faite très explicitement lors d’une réunion d’un ensemble de revues de sciences sociales tenue en décembre 2008 (cf. Fridenson, 2009, p. 13).

Périmètre = A + B (+ ou – quelque chose)

18Cependant, cet abandon plus ou moins général du classement A, B, C n’a qu’une portée relative. Par construction, le classement ternaire comportait une quatrième catégorie, aux limites indéfinies, des revues exclues (intentionnellement ou non) de la liste. La délimitation d’un « périmètre » non hiérarchisé, en séparant un dedans du dehors, comporte de même deux catégories, même si le contenu de la seconde n’est pas énuméré et reste problématique. Or, il était précisé, avec les listes initiales, que les « publiants » étaient les auteurs des revues classées en A ou en B, de sorte que la catégorie C ne remplissait guère de fonction pratique. On peut donc supposer que les nouvelles listes non hiérarchisées ne font que prendre au sérieux cette idée d’une frontière particulière mettant hors jeu scientifique les revues d’abord classées en C. Une quadripartition A/B/C/D est ainsi simplifiée en une bipartition A+B/C+D.

19La présentation d’une des douze nouvelles listes confirme explicitement cette hypothèse :

20

« La commission d’actualisation de la liste des revues en Anthropologie-Ethnologie […] a travaillé au cours de l’année 2008-2009 et abouti à la délimitation d’une nouvelle liste qui correspond aux notes A et B antérieures ».

21Le cas des sciences des religions illustre clairement ce choix de l’abandon du contenu de la catégorie C antérieure. Au-delà des changements de dénomination (« Religious studies and theology », « Théologie et sciences religieuses », puis « Théologie » tout court), ceux du contenu sont vite analysés. La liste erih a été transposée en LAth1 sans la moindre variation pour les titres retenus (avec de rares classements différents, de C en B ou de B en A). Dans LAth2, les titres A sont devenus de « premier rang », les titres B de « deuxième rang » et les titres C ont disparu. Exceptions erratiques : quatre titres C ont été maintenus dans le second rayon [11], le Journal of Business Ethics est déclassé de A au deuxième rang et – offense au Vatican ou erreur de manipulation informatique ? – Gregorianum (A précédemment) a disparu (comme en LA3, cf. annexe 2).

22Par comparaison, l’évolution de la liste de philosophie, due aux mêmes experts, est plus complexe, mais n’en confirme pas moins ce principe général du processus « d’actualisation » de 2009. Celui-ci s’est traduit par un rétrécissement sensible du « périmètre » des revues considérées comme scientifiquement pertinentes dans le domaine. La liste européenne de 2007 (LE) dont étaient partis les experts de l’aeres comporte 305 titres ; LA2 en comportait 317 en 2008 ; LA3 est réduite en 2009 à 239 revues (soit 25 % de moins). Plus précisément, cette réduction de 78 de l’effectif correspond à la sortie de 92 titres et l’entrée de 14 autres.

23Une première hypothèse possible serait que, en cessant d’inclure la philosophie et l’histoire des sciences, maintenant objets d’une liste distincte, la « philosophie » tout court a perdu les titres correspondant spécifiquement à ce domaine. Mais on avait déjà remarqué que la philosophie des sciences n’était pas plus représentée dans LA2 que dans LA1 et l’on peut constater que d’assez nombreux titres sont communs à LA3 et à LAsc [12]. Et aussi que deux des nouveaux titres de LA3 portent explicitement sur la philosophie des sciences et l’épistémologie (cf. annexe 1).

24Qu’est-ce qui caractérise ces 14 nouveaux titres ? A priori, ils n’ont guère de traits communs, en dehors du fait qu’y dominent la franco- et la lusophonie, avec sept revues de langue française et cinq revues brésiliennes [13], tendant plutôt à réduire le déséquilibre en faveur des revues anglophones [14]. Ils peuvent correspondre notamment à des demandes formulées par des revues pour être prises en compte, voire à de simples rectifications d’erreurs matérielles [15].

25À quoi correspondent les 92 titres disparus à la faveur de l’actualisation ? Leur classement antérieur était très majoritairement dans le niveau C : sur 62 revues A en LA2, 4 sont absentes de LA3, sur 156 revues B, 21, sur 99 revues C, 67 (les taux de sortie du nouveau « périmètre » sont respectivement de 6, 13 et 68 %). Statistiquement, l’hypothèse selon laquelle la nouvelle liste correspond globalement aux niveaux A et B antérieurs se vérifie donc bien pour la philosophie. L’esprit du classement de l’erih, qui a servi de base aux premiers classements aeres mais qui tenait les revues classées en C pour de bonnes revues de diffusion nationale, n’est dès lors plus respecté.
Une fois cette règle tendancielle mise en évidence, pour comprendre plus précisément la logique qui a pu présider à l’élaboration de LA3, ce sont donc, d’une part, les anciens titres A et B disparus (cf. annexes 2 et 3) et, dans l’autre sens, les anciens titres C maintenus qu’il faudrait analyser.
On ne voit guère ressortir une logique des exclusions listées en annexes 2 et 3. Quelques-unes peuvent s’expliquer par le fait qu’il s’agit de revues dont la dominante ne serait pas philosophique et que l’on retrouve dans d’autres listes de l’aeres, et notamment celles dont sont responsables les mêmes experts (LAsc et LAth2). On aurait là un effet du découpage de l’aire des « périmètres », sans effet sur la reconnaissance par l’aeres des revues concernées. Ainsi, la Revue de synthèse, voulue transdisciplinaire par Henri Berr, disparue de LA3 et également absente de LAsc, subsiste cependant comme accessible aux « produisants » par le biais de l’histoire. Mais le même parti pris d’éviter les répétitions entre les listes, s’il avait été systématique, aurait conduit à bien d’autres exclusions. Quelques autres correspondent à des revues classées C en LE, et requalifiées B en LA2 : on aurait là une sorte de repentir de la variation de LE à LA2. Deux autres disparitions portent sur des revues qu’on peut tenir pour plus bibliographiques que de recherche (Critique et Philosophical books). Mais les effets de ces trois logiques possibles laissent inexpliquée une bonne part de ces sorties de LA2 à LA3. Des lecteurs plus perspicaces, à défaut des auteurs eux-mêmes de cette liste, auraient peut-être des interprétations à proposer, s’il ne faut pas y voir des fluctuations sans autre fonction que de marquer l’inévitable arbitraire de toute nomenclature de ce type.

Moins de diversité linguistique

26Faute également d’une interprétation qui s’imposerait, je n’énumère pas ici l’ensemble des 32 revues classées C en LA2 et maintenues (donc promues) en LA3. Il apparaît cependant très clairement que l’élimination de la majorité des revues classées en C en LE (et, par suite, en LA2) affecte fortement la diversité des langues et des pays du nouveau « périmètre ». Contrairement à ce que pouvait donner à penser la liste des 14 revues ajoutées, LA3 comporte ainsi une plus grande proportion de revues anglophones que LA2, du fait que celles-ci figuraient rarement dans la catégorie C. Ce n’est pourtant pas que la liste de l’erih (qui privilégie, rappelons-le, les revues européennes, puisque la catégorie C se veut ouverte aux bonnes revues de diffusion nationale en Europe) soit d’une grande ouverture linguistique ou géographique : on n’y trouve aucune revue pour de nombreux pays comme la Chine, la Russie, le Japon, etc., ni aucune langue utilisant d’autres caractères que latins (y compris le grec, pourtant représenté dans les listes de sciences des religions).

27Deux exemples : l’espagnol et le portugais sont deux langues largement diffusées dans le monde. LE comporte 13 revues classées comme de langue espagnole ou éditées en Espagne (dont trois sont présentées comme plurilingues et deux éditées en Argentine), toutes classées en C [16]. Il n’en reste que trois en LA3 (dont deux avaient été classées en B en LA2, la troisième étant plurilingue). Huit revues éditées au Portugal (aucune au Brésil) figurent sur LE, dont deux classées en B, les autres en C. Quatre subsistent en LA3, dont les deux classées en B par LE et une promue en B par LA2. La relative ouverture géographique des 14 nouveaux titres de LA3 (avec une revue argentine et cinq brésiliennes) (cf. annexe 1) ne rétablit que partiellement ce décalage.

28Pourquoi, par exemple, les cinq revues de langue néerlandaise, les deux revues tchèques et six des sept revues hongroises de LE disparaissent-elles de LA3, quand les deux turques et une sur deux des finnoises sont maintenues ? S’il s’agissait seulement d’encourager les chercheurs en France à privilégier les revues de langue anglaise, cela pouvait être dit plus directement.

La carrière des revues francophones

29Si dépendante qu’elle reste de la liste européenne de 2007, c’est sans doute, comme il pouvait paraître logique compte tenu des destinataires auxquels elle s’adresse, dans le traitement des revues francophones que la nouvelle liste de l’aeres s’en distingue le plus. C’est donc le cas de ces revues qu’il convient d’observer de plus près si l’on veut faire ressortir au mieux les transformations de LA3 par rapport aux listes qu’elle adapte. À l’ensemble de LA2 et LA3 correspond un effectif de 38 titres de revues francophones (31 pour LA2 et 28 pour LA3, 21 étant communes). De LE en 2007 à LA3 en 2009, certaines sont apparues, d’autres ont disparu, certaines ont progressé, d’autres ont régressé. Le tableau ci-contre illustre la diversité de ces carrières dans les trois nomenclatures successives. Des commentaires de certains cas se trouvent dans la note précédente et ci-dessus. Par construction, ce tableau ignore toutes les revues philosophiques francophones absentes de chacun de ces classements (quelques exemples dans Merllié, 2009, p. 95). Les lecteurs indigènes, même s’ils ne sont pas familiers de toutes ces revues, pourront se risquer à interpréter les constantes et les variations de ces listes.

En attendant LA4, mille e tre riviste

30La transparence nouvelle de l’identité des responsables de ces listes débouchera peut-être sur celle des motifs des décisions prises à la faveur de l’actualisation programmée de leur travail d’évaluation. Après l’émergence du Brésil (qui, justement, célébrait en 2009 une « Année de la France »), à quel nouveau continent s’ouvrira le « périmètre » de la philosophie ? Quelles autres revues, rédigées dans quelles langues, y pénétreront ou le quitteront ? En attendant la suite de cette histoire, qui s’inscrit dans les cahots de celle du management de la recherche (cf. Vilkas, 2009) et dont il ne faut malheureusement pas sous-estimer les effets possibles sur les (fragiles) revues qui en sont l’objet (et sur leurs auteurs et lecteurs), on voudrait faire écho à Alain Herreman sur un point de littérature. S’adressant à Sandra Laugier au sujet de LAsc, il note que « la liste est sans doute l’un des genres textuels les plus pauvres » (lettre du 5 février 2010, in Roux, 2010). Pauvreté toute relative : une liste peut dire beaucoup de choses. De l’humble pense-bête pour les commissions jusqu’aux catalogues inspirés du Livre des Nombres, le genre, capable de donner le vertige même à Umberto Eco (2009), est riche d’effets, notamment poétiques ou comiques, que prise la poésie orale et qu’illustrent au moins Prévert, Borges, ou le Don Juan de Da Ponte et Mozart.

Évolution du classement des revues francophones présentes en LA2 ou LA3

tableau im1
Titre ERIH AERES AERES 2007 2008 2009 Logique et analyse B A oui Archives d’histoire doctrinale et littéraire du Moyen-âge B B oui Bulletin de philosophie médiévale B B oui Dialogue B B oui Philosophie antique B B oui Recherches de théologie et de philosophie médiévales B B oui Revue internationale de philosophie B B oui Revue de philosophie ancienne C A oui Revue de théologie et de philosophie C A oui Revue des sciences philosophiques et théologiques C A oui Archives de philosophie C B oui Études philosophiques C B oui Philosophie C B oui Recherches husserliennes C B oui Revue de métaphysique et de morale C B oui Revue philosophique C B oui Revue philosophique de Louvain C B oui Études phénoménologiques C C oui Recherches sur la philosophie et le langage C C oui Critique C B non Revue de synthèse C B non Alter C C non Cahiers d’études levinassiennes C C non Revue d’esthétique C C non Revue des sciences morales et politiques C c non Revue de philosophie économique non B oui Mélanges de l’Institut dominicain des Études orientales du Caire non B non Revue d’histoire des sciences non B non Raison publique non C oui Revue francophone d’esthétique non C non Rue Descartes non C non Archives de philosophie du droit non non oui Cahiers philosophiques non non oui Droits non non oui Nouvelle revue d’esthétique non non oui Philosophia scientiae non non oui Philosophiques non non oui Raisons politiques non non oui Note du tableau : les revues sont rangées en fonction de leur classement (A, B, C) par l’erih puis par l’aeres en 2008 puis par ordre alphabétique. Oui = présence, non = absence sur une liste.

Évolution du classement des revues francophones présentes en LA2 ou LA3

31De LA2 à son actualisation en LA3, en tout cas, le scénario qui se déploie n’est pas simple. On est passé de la taxinomie, qui classe, à la nomenclature, qui énumère. Mais cette opération apparente de simplification s’est réalisée de manière complexe et obscure, créant au passage de nouvelles classes virtuelles. Le train a vu s’effacer les distinctions entre les trois classes de ses compartiments, mais c’est en réduisant sa capacité, en décrochant les wagons aux banquettes de bois, en remettant sur le quai quelques passagers de première et de deuxième classe, tout en réintégrant une partie des autres et en accueillant quelques oubliés des trajets précédents : autant de catégories nouvelles dont les principes de construction sont assez mystérieux pour exciter l’imagination herméneutique.

Annexes

321) Titres de LA3 absents de LA2

33Archives de philosophie du droit

34Cahiers philosophiques

35Cognitio

36Discorso [sic] [17]

37Dois Pontos

38Droits

39Feminist Studies

40Nouvelle revue d’esthétique

41Philosophia Scientiae. Travaux d’histoire et de philosophie des sciences

42Philosophiques

43Principia (Revista internacional de epistemologia)

44Raisons politiques

45Revista latinoamerica [sic] de filosofia

46Veritas

472) Titres de LA2 classés en A et absents de LA3

48Argumentation (B en LE, présent en LAsc)

49Gregorianum (C en LE, A en LAth1, absent de LAth2)

50Hastings Centre Report (A en LE)

51Psyche. Zeitschrift für Psychoanalyse und ihre Anwendungen (B en LE, présent sur la liste de psychologie)

523) Titres de LA2 classés en B et absents de LA3

53Angelicum (B en LE, 2e rang en LAth2)

54Archive for mathematical logic (B en LE)

55Brain and Mind (B en LE)

56Critique (C en LE)

57Environmental values (C en LE)

58Ethical perspectives (C en LE, 2e rang en LAth2)

59Giornale di storia della filosofia (absent en LE)

60Journal of Neoplatonic studies (B en LE)

61Kennedy institute of Ethics Journal (B en LE)

62Mélanges de l’Institut dominicain des études orientales du Caire (mideo) (B en LE, 2e rang en LAth2)

63Mind and society (B en LE, 2e rang en LAsc)

64Minds and machines (B en LE)

65Philosophia reformata (B en LE, 2e rang en LAth2)

66Philosophical books (B en LE)

67Pragmatics and cognition (B en LE, présent en psychologie)

68Revue d’histoire des sciences (absent en LE, 2e rang en LAsc)

69Revue de synthèse (C en LE, absent de LAsc, présent en histoire)

70Schopenhauer-Jahrbuch (C en LE)

71Sistemi intelligenti (C en LE)

72Studia philonica annual (B en LE)
Theoria. Revista de teoria, historia y fundamentos de la ciencia (B en LE, 2e rang en LAsc)

Notes

  • [1]
    Cf. les réactions évoquées dans la note précédente, ou encore, plutôt en défense du principe (mais en critique de la mise en œuvre), l’éditorial de Pascal Engel (2009).
  • [2]
    Les « premières listes, publiées sur le site de l’aeres […] ont été actualisées en tenant compte du degré d’internationalisation, de l’organisation et des pratiques des milieux de chaque discipline. Le travail régulier des commissions aboutira à des révisions annuelles » (aeres, 2010).
  • [3]
    Bien que présentée comme actualisant une liste établie en juin 2008, cette liste doit être la première éditée par l’aeres dans ce domaine, à en juger par mes archives comme par le témoignage de Sophie Roux (2010) qui date de janvier 2010 la première liste publiée par l’aeres dans ce domaine, où sont apparues les premières critiques systématiques et collectives contre le classement de l’erih. Au moment où j’achève la rédaction de cette note (juillet 2010), cette liste est devenue inaccessible sur internet (le « lien » débouche sur la liste d’histoire).
  • [4]
    Décision réitérée en juillet 2009 par la « Commission des revues en Arts, lettres, langues et sociétés des cultures étrangères ». Notons aussi que la liste des « Sciences du langage » de 2008 a disparu à la faveur des actualisations de 2009 et 2010.
  • [5]
    « Les experts qui évaluent les unités de recherche ne peuvent plus espérer connaître l’ensemble des périodiques dans lesquels les publications ont été réalisées. L’aeres a donc décidé de leur fournir la liste des revues qui, par discipline ou domaine, tiennent une place importante dans la diffusion des résultats de la recherche à l’échelle nationale et surtout internationale » (aeres, 2010).
  • [6]
    La formule « Cette liste comprend tous les titres à prendre en compte systématiquement dans la détermination des chiffres de “produisants” lors de l’évaluation des unités de recherche » se retrouve dans la présentation de plusieurs listes. Dans celle de philosophie, on lit : « La commission d’actualisation […] qui s’est réunie en mai, juin et septembre 2009, propose ci-dessous une nouvelle liste pour le décompte des “produisants” ».
  • [7]
    La section 72 du Comité national des universités est celle d’histoire et philosophie des sciences.
  • [8]
    iuf = Institut universitaire de France.
  • [9]
    Sandra Laugier, maintenant professeur à l’Université Paris 1, a aussi été nommée directrice scientifique adjointe de l’Institut des sciences humaines et sociales du cnrs en juillet 2010.
  • [10]
    L’impact d’un article renvoie aux citations qui sont en sont faites : « On trouvera ainsi associé à chaque revue, l’un des six descripteurs suivants : impact non disponible (N/D), impact excellent, très bon, bon, assez bon et modéré. Le niveau excellent qualifie les 10 % de revues présentant le plus haut facteur d’impact relatif (pour les sous-disciplines concernées), le niveau très bon correspond aux revues situées entre les 10 % et 25 %, bon entre 25 % et 50 %, assez bon entre 50 % et 75 % et modéré pour le reste ».
  • [11]
    Un cas laisse deviner une intention : celui de Feminist theology. The journal of the Britain and Ireland school of feminist theology (cf. infra, note 4).
  • [12]
    Ainsi, parmi les 24 entrées de LA3 pour la seule lettre A, l’intersection avec les 20 entrées correspondantes de LAsc est de cinq titres.
  • [13]
    Dont deux au moins comportent l’un des experts de LA3 dans leur conseil scientifique.
  • [14]
    Le seul titre anglophone ajouté est à relever pour le symbole qu’il représente : les Feminist Studies sont l’une des 119 revues de la liste erih consacrée aux « Gender studies », dont l’équivalent ne figure pas dans les « champs disciplinaires » de l’aeres. Ajouté à Hypatia et à Die Philosophin, elle porte à trois l’effectif des titres communs à LA3 et à cette liste.
  • [15]
    On peut considérer que c’est le cas pour la Nouvelle revue d’esthétique, créée en 2008 et absente des listes antérieures de l’erih et de l’aeres, où se trouve en revanche la Revue d’esthétique qui, créée en 1958, avait cessé de paraître après 2004 et ne figure plus sur LA3.
  • [16]
    Je m’appuie ici sur le classement des revues de LE par langue et par pays que donne l’erih, bien qu’il comporte des erreurs parfois évidentes.
  • [17]
    Ce titre italien ne correspond à aucune revue. Il faut lire Discurso, revue éditée par le département de philosophie de l’Université de São Paulo.
Français

Résumé

L’Agence pour l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (aeres) avait édité en 2008 deux listes différentes pour le classement des revues philosophiques (cf. Revue philosophique, 2009-1, p. 91-99). En novembre 2009 est parue une nouvelle liste « actualisée ». Des changements importants (moins de titres, abandon du classement interne) différencient la nouvelle liste des précédentes. On analyse la portée et les limites de ces changements.

Références

  • aeres, 2010, « Publications en sciences humaines et sociales (listes de revues) », http://www.aeres-evaluation.fr/Publications/Methodologie-de-l-evaluation/Documents-generaux-de-reference#Anchorrevueshs
  • Cités, no 37 « L’idéologie de l’évaluation », 2009-1.
  • Umberto Eco, Le Vertige de la liste, Paris, Flammarion, 2009.
  • En lignePascal Engel, « Editorial: Measure for Measure », Dialectica, 63-1, 2009, p. 1-5.
  • En lignePatrick Fridenson, « La multiplication des classements de revues de sciences sociales », Le Mouvement social, no 226, 2009-1, p. 5-14.
  • Geneviève Koubi, « Quelles revues “scientifiques” en droit ? », 5 février 2009, http://koubi.fr/spip.php?article218
  • En ligneDominique Merllié, « La machine de l’aeres à classer les revues de philosophie. Un démontage statistique », Revue philosophique, no 1, 2009, p. 91-99.
  • Sophie Roux, « À propos de la liste des revues d’histoire et de philosophie des sciences de l’aeres », 5 février 2010, http://evaluation.hypotheses.org/717
  • En ligneCatherine Vilkas, « Des pairs aux experts. L’émergence d’un “nouveau management” de la recherche scientifique », Cahiers internationaux de sociologie, vol. 126, 2009-1, p. 61-79.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/02/2011
https://doi.org/10.3917/rphi.104.0495
Pour citer cet article
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