1La coordination nationale Pas sans Nous est une plateforme de collectifs, d’associations et de militants qui agissent dans les quartiers populaires. Elle s’est créée dans la foulée du rapport de Marie-Hélène Bacqué et Mohamed Mechmache paru en 2013 et intitulé Pour une réforme radicale de la politique de la ville. Ça ne se fera plus sans nous [1], en réponse à l’une des propositions qui y était faite :
« Pour que les citoyens, leurs collectifs et associations puissent contribuer à la vie de la cité, il convient de favoriser la création de lieux de débats, d’échange, de coordination, de propositions, d’évaluation. Nous proposons que la puissance publique soutienne la création de tables locales de concertation au niveau local et d’une plateforme nationale en accordant des moyens en locaux, en fonctionnement et surtout en personnel. »
3La coordination s’inscrit dans une démarche de co-construction des politiques publiques. À ce titre, elle a mis en place une évaluation des conseils citoyens, indépendante et qui repose sur une méthode originale : une revue de presse, une enquête organisée avec l’Institut de la Concertation et de la Participation Citoyenne [2] et un programme national de co-évaluation des conseils citoyens mené en partenariat avec une dizaine d’universités françaises et l’Observatoire national de la politique de la ville (ONPV). La coordination a dans le même temps participé au comité de suivi national des conseils citoyens mis en place par le secrétariat d’État à la politique de la ville [3].
4Bénédicte Madelin, membre de la coordination Pas sans Nous, revient sur cette expérience d’évaluation des conseils citoyens. Comment des associations peuvent-elles se saisir de l’évaluation ? Dans quelle perspective ? Comment des citoyens organisés peuvent-ils contribuer à évaluer des politiques publiques ? Quelles sont les difficultés et les limites d’une telle expérience ?
5Ancienne professionnelle de la politique de la ville, directrice fondatrice de Profession Banlieue [4], Bénédicte Madelin est par ailleurs une militante de longue date de la démocratie locale et de la démocratie participative. Elle a également été membre du Conseil national des villes, des groupes de travail sur la réforme de la politique de la ville engagée par François Lamy et de la mission Bacqué-Mechmache relative à la production du rapport déjà cité.
6Quel était l’objectif qui a présidé à la mise en place de cette évaluation ?
7L’objectif était tout d’abord d’utiliser d’autres sources d’information pour documenter les conseils citoyens que celles produites par les instances nationales de la politique de la ville, afin de considérer la réalité des conseils citoyens d’un autre point de vue. En effet, toutes les études qui existaient à ce moment-là avaient été produites sur la base d’enquêtes réalisées pour certaines par les préfets auprès des maires ou des chefs de projet politique de la ville de municipalités ou d’intercommunalités, et pour d’autres par l’IRDSU (Inter-réseaux des professionnels du Développement Social Urbain) auprès de professionnels de la politique de la ville. Je pense notamment à enquête de l’IRDSU de 2015 intitulée Mise en œuvre des conseils citoyens. Une démarche à inscrire dans la durée [5].
8Dans le même temps, l’objectif était aussi d’apporter des éléments à la coordination Pas sans Nous pour l’aider à se positionner politiquement vis-à-vis de cette instance. Les militants étaient en effet partagés entre rejeter le dispositif au motif qu’il ne correspondait pas aux tables de quartier [6] proposées par le rapport ou s’y engager en considérant qu’il constituait une porte entrouverte en faveur de la participation des habitants et qu’il fallait donc investir ces instances.
9Comment avez-vous procédé pour réaliser cette évaluation ?
10La presse quotidienne régionale constituait à notre sens un moyen pour recueillir des éléments de connaissance factuels. Des travaux universitaires ont en effet montré que la presse régionale est un miroir fidèle de l’espace public local [7]. Cette source pouvait dès lors permettre de mieux comprendre ce qui se jouait dans ces conseils citoyens, de nourrir les échanges du comité de suivi national avec de nouvelles données, moins institutionnelles et plus locales, et, partant, de participer à l’élaboration de propositions pour éviter une dérive du dispositif.
11Mais dans le même temps, la presse quotidienne régionale représente un prisme déformant. Nous avons ainsi bien conscience que cette source est en partie biaisée. Par exemple, la survie de la presse régionale passe par l’annonce des manifestations de quartier. Cela peut conduire à ce que la presse régionale parle des conseils citoyens uniquement ou majoritairement lorsqu’ils organisent ce type d’événements et, au contraire, n’aborde pas ou peu les autres activités qu’ils mènent. Par ailleurs, la presse régionale peut parfois manquer de recul critique sur la politique locale et promouvoir les actions favorables à la municipalité en place au détriment de celles qui s’y opposent. Enfin, nous avons remarqué qu’il n’y a que très peu d’articles sur les conseils citoyens des grandes villes et des métropoles. Ainsi, nous n’avons trouvé qu’une quinzaine d’articles concernant les conseils citoyens parisiens, treize sur ceux de la ville de Lyon, neuf pour Strasbourg, cinq sur Nantes et quatre sur le seul et unique conseil citoyen de Lille qui comprend pourtant cinq quartiers prioritaires. À titre comparatif, nous avons recensé 54 articles pour la ville de Roubaix et ses trois quartiers prioritaires, 88 articles pour Poitiers [8], 40 pour Alençon ou encore 37 pour Thouars.
12En dépit de ces biais, la presse régionale nous a apporté nombre d’informations sur la composition, le fonctionnement et les missions portées par les conseils citoyens. Nous avons ainsi recueilli près de 3 000 articles (concernant 581 villes et agglomérations et près de 1 000 conseils citoyens). Nous avons conduit cette recension en fonction de nos moyens et de notre temps. Ainsi, nous avons été limités par le fait que certains titres ne sont pas totalement accessibles sans abonnement. L’une des conséquences est que la région Nord–Pas-de-Calais et certains départements du Grand-Est sont moins bien renseignés. Pour l’analyse, nous avons également travaillé avec les moyens à notre disposition. Nous avons ainsi utilisé un tableur dans lequel nous avons rapporté ville par ville et conseil citoyen par conseil citoyen :
- des informations statistiques issues du site du CGET : nombre de quartiers prioritaires, nombre d’habitants vivant en quartier prioritaire de la politique de la ville (QPV), date de signature du contrat de ville, etc. ;
- des informations factuelles trouvées dans les articles : nombre de conseils citoyens, nombre de membres (habitants et acteurs locaux), modalités de mobilisation et de tirage au sort, date de création, statut, animation, budget, participation ou non aux instances de pilotage, objectifs assignés, etc. ;
- des informations plus qualitatives sur les actions conduites par le conseil citoyen et quelques commentaires ou remarques issus des articles de presse.
13Les informations disponibles étant inégales, l’ensemble de ces rubriques n’est pas renseigné avec la même précision. En particulier, les rubriques concernant le nombre de conseillers citoyens, leur répartition par collège ou encore leur budget de fonctionnement sont peu renseignées. Nous ne les avons obtenues que pour un peu moins de la moitié des villes.
14Cette évaluation à partir de la presse régionale a été complétée par une étude menée par la coordination Pas sans Nous et l’Institut de la Concertation en 2016, qui a essentiellement porté sur la création des conseils citoyens – certains se mettaient tout juste en place – et leurs modalités de fonctionnement, à partir d’une enquête en ligne. Plus de 200 réponses étaient parvenues, émanant pour un tiers de membres du collège des acteurs locaux, tous associatifs, et pour un quart du collège des habitants. Certaines données étaient également issues de la veille dans la presse quotidienne régionale assurée par Pas sans Nous, qui regroupait alors plus de 1 300 articles concernant 450 villes et agglomérations. Cette étude n’a pas apporté de résultats sur les thématiques de travail, mais bien sur les conditions de mise en place des conseils citoyens, leurs marges d’autonomie et leur place dans le pilotage du contrat de ville. Elle a donné lieu à une journée d’échanges qui s’est tenue le 6 juin 2016 et qui a rassemblé cent cinquante participants : habitants, conseillers citoyens, professionnels de la politique de la ville, responsables associatifs et quelques élus… À l’issue de la journée, dix propositions étaient faites, marquant toutes la volonté d’un conseil citoyen qui ait les moyens (formation, moyens matériels) d’avoir un véritable impact sur la gouvernance du contrat de ville, qui soit ouvert sur le quartier pour une participation large et réelle des habitants, quitte à ce que cela demande au conseil d’entrer en résistance.
15Suite à ce travail, Marie-Hélène Bacqué a proposé à l’Observatoire national de la politique de la ville, dont elle était membre, de lancer des évaluations qualitatives de conseils citoyens, qui soient conduites par des habitants et des étudiants en master. Ce programme de co-évaluation des conseils citoyens a associé une dizaine d’universités et la coordination Pas sans Nous. Il visait à analyser la façon dont les conseils citoyens avaient été mis en place, leurs fonctionnements et marges de manœuvre, les dynamiques qu’ils avaient – ou non – contribué à engager, leurs relations avec d’autres partenaires, leur influence dans la conduite de la politique de la ville, leur participation aux instances de pilotage, etc. Ce travail a permis d’évaluer davantage le contenu des conseils, en mobilisant les membres des conseils citoyens eux-mêmes, et en interrogeant la capacité des conseils citoyens à constituer une opportunité de renouveler la démocratie, à être un projet de participation citoyenne [9].
16Enfin, Pas sans Nous est membre du comité de suivi national des conseils citoyens. Cette instance, qui s’est réunie jusqu’en avril 2017, apporte des données souvent très quantitatives sur les conseils citoyens. Elle nous permet de confronter notre connaissance du fonctionnement des conseils, issue du terrain, des témoignages des conseillers membres de la coordination, avec les résultats avancés par le CGET et les autres partenaires comme l’IRDSU, le Mouvement associatif ou encore les centres de ressources pour la politique de la ville – qui ont tous fait un recensement des conseils citoyens dans leurs régions respectives.
17Quels sont les principaux résultats ? En quoi sont-ils parfois différents de ceux du CGET ?
18D’après notre corpus, les objectifs assignés aux conseils citoyens et les thématiques de travail correspondent en règle générale aux trois grands piliers des contrats de ville, ce que constate aussi le CGET : cohésion sociale ; cadre de vie et rénovation urbaine ; développement économique et emploi. Cela ne signifie pas pour autant que les conseils citoyens travaillent effectivement sur ces sujets. Ce qui ressort des articles, c’est que les conseils citoyens se mobilisent très majoritairement sur le volet de la cohésion sociale, qui comprend l’animation sociale, sportive et culturelle, la santé, l’éducation, la sécurité et la tranquillité, ou encore la lutte contre les discriminations. Il pourrait s’agir d’un biais de la presse régionale mais ce résultat se retrouve aussi dans les autres études auxquelles nous avons participé. Paradoxalement, ce n’est pas le sujet que le CGET met en avant. Le deuxième champ qui apparaît le plus travaillé d’après les articles de presse est celui du cadre de vie et de la rénovation urbaine. Le CGET évoque, lui, particulièrement cette dimension. Cela peut s’expliquer notamment parce qu’il finance à hauteur de 75 % les formations de conseillers citoyens dans le cadre de l’École du renouvellement urbain [10]. La mobilisation sur le développement économique et l’emploi n’est quasiment pas évoquée par la presse.
19Pouvez-vous nous expliquer ce que votre analyse nous apprend de la mobilisation des conseils citoyens sur le volet de la cohésion sociale ?
20Sur ce volet, l’aspect le plus abordé est celui de l’animation locale. Les articles sont nombreux à rendre compte de manifestations festives : fêtes de quartiers, fêtes des voisins, fête à la citrouille, fête d’Halloween, fête de la nature, arbre de Noël, galette des Rois, chasse aux œufs, concours du plus beau sapin, repas de quartier, carnaval, Gratiféria… On peut lire dans les articles que l’organisation et la participation active à ces fêtes répondent à différents objectifs, le principal étant de rencontrer les habitants et de les inviter à faire remonter leurs préoccupations. À Beauvais, par exemple, le conseil citoyen organise des lotos et une chasse aux œufs et espère avec ces animations « aborder les gens et recueillir leurs doléances » [11]. Un autre objectif poursuivi est celui de se faire connaître, de trouver une légitimité et de montrer son utilité auprès des habitants : « “Pour avoir une légitimité, il y a intérêt à ce que des actions concrètes soient visibles très rapidement sur le terrain”, prévient un Chamiérois qui alerte sur “le manque total de confiance envers les pouvoirs publics” » [12]. Enfin, le dernier objectif qui apparaît est celui de développer l’animation du quartier en suppléance d’un espace d’animation inexistant.
21En revanche, certaines thématiques du volet cohésion sociale sont très peu abordées. Ainsi, la question de la santé n’est abordée que par quatre articles alors qu’il s’agit de l’une des thématiques de travail souvent assignée aux conseils citoyens dans les contrats de ville. Ces articles concernent la mobilisation pour l’installation d’un médecin généraliste (Auch) et la réinstallation d’un dentiste (Ambérieu-en-Bugey), un « programme sur le secourisme pour responsabiliser les citoyens » (Calais) [13] et une implication « sur le thème des problèmes de santé » (Amiens) [14]. Si l’on considère que les jardins partagés et solidaires concernent également la question de la santé, les initiatives sont alors bien plus nombreuses (à Amiens, Calonne-Ricouart, Bonneuil-sur-Marne, Évreux, Aire-sur-la-Lys, Pont-Saint-Esprit, La Fère, Cosne-Cours-sur-Loire, Alençon, Torcy, Carmaux, Cholet, Libercourt, Saint-Omer, Thiers…).
22La question de l’éducation semble davantage prise en charge par les conseils citoyens. Dans quatre villes par exemple (Le Mée-sur-Seine, Chauny, Noyon et Pont-Saint-Esprit), le conseil citoyen met en place de l’aide aux devoirs, des animations périscolaires ou crée des lieux d’accueil parent-enfant. Ils deviennent parfois directement opérateurs pour la mise en œuvre du contrat de ville.
23La thématique sécurité-tranquillité est quant à elle abordée dans quelques articles. L’implication des conseils citoyens varie du simple signalement d’un sentiment d’insécurité à une implication directe pour rétablir la sécurité. À Alès, par exemple, le conseil citoyen semble très actif sur le sujet : il a notamment « dressé un état des lieux » [15] sur les questions de sécurité et de tranquillité qu’il a fait parvenir aux élus. Cette interpellation a conduit à la création d’un groupe local de traitement de la délinquance. Il a, par ailleurs, organisé une marche citoyenne pour dénoncer l’amalgame entre quartiers populaires et terrorisme. D’autres conseils citoyens se mobilisent davantage sur la sécurité routière, les stationnements anarchiques, la présence de quads ou encore les nuisances sonores (Charleville-Mézières, Calais, Cosne-Cours-sur-Loire). Enfin, certains conseils citoyens vont jusqu’à donner leur avis sur les emplacements des caméras de vidéo protection (Saint-Girons), ou encore réclamer l’instauration de procès-verbaux pour des incivilités comme les dépôts d’ordures ou les mauvais stationnements (Charleville-Mézières). Beaucoup de conseils citoyens sont par ailleurs sollicités par la police nationale à propos de la mise en place de la police de sécurité du quotidien.
24Il est intéressant de noter quelques différences d’appréciation de cette thématique de la cohésion sociale avec la perception qu’en ont des conseillers citoyens qui ont pris part au programme national de co-évaluation des conseils citoyens. En effet, dans certaines prises de position, la question de la santé couvre l’ensemble des déterminants de santé. Le fait qu’il ne faut pas réduire la santé à l’accès aux soins est notamment mis en avant. Des conseillers citoyens estiment qu’ils ont leur rôle à jouer sur les déterminants de santé (logement, cadre de vie, propreté, alimentation, etc.), même s’ils ont l’impression que les « institutionnels » cherchent à les contenir sur des « actions relatives à l’alphabétisation » [16].
25De même, sur la question de la sécurité, des conseillers citoyens du programme insistent sur la nécessité de « différencier délinquance et incivilités ». Pour certains, « se concentrer sur la délinquance, c’est prendre le problème à l’envers : il faut créer des animations notamment pour les jeunes, favoriser le lien social », ce qui peut « passer par la suggestion d’aménagements dans le cadre de projets de renouvellement urbain, comme la salle de sport à ciel ouvert de Bobigny sur le canal de l’Ourcq » [17].
26En s’exprimant ainsi, les conseillers réaffirment la dimension transversale de la politique de la ville, au-delà de son découpage en trois grandes thématiques : cohésion sociale, développement économique et emploi, rénovation urbaine.
27Intéressons-nous à présent au pilier « Cadre de vie et renouvellement urbain » des contrats de ville. D’après votre évaluation, comment peut-on qualifier la mobilisation des conseils citoyens sur cette thématique ?
28Dans la presse quotidienne régionale, il est plus question de cadre de vie que de renouvellement urbain. Il est ainsi fait état de nombreuses « opérations citoyennes », pour reprendre une expression utilisée dans de nombreux articles, de nettoyage des espaces publics (Roissy-en-Brie, Antony, Draguignan, Évreux, Lillers, Bédarieux, Alençon, Vienne, Ajaccio, Saint-Pierre de la Réunion…). Ces opérations sont tantôt conduites avec les habitants, tantôt avec les élèves des écoles ou avec le conseil municipal des enfants, et elles sont parfois répétées tous les ans. À Saint-Pierre (La Réunion), une représentante du conseil citoyen explique ainsi : « Dans l’idéal, on voudrait pouvoir le faire tous les 30-40 jours, pour créer une dynamique. Quand on nettoie soi-même, d’une part, on fait plus attention, et d’autre part, on est plus enclin à dire aux gens de ramasser leurs déchets » [18]. Ailleurs, des conseils citoyens mettent en œuvre des marches exploratoires, destinées à faire un état des lieux des problématiques du quartier (Auch, Le Mée-sur-Seine, Nogent-le-Rotrou, Paris). À Aussillon, une marche exploratoire du conseil citoyen a abouti à des travaux d’aménagement réalisés dans le cadre d’un chantier de jeunes.
29Mais certains conseils citoyens vont s’attacher au « dur ». Par exemple, le conseil citoyen Centre-Sémard de Saint-Denis a consacré 20 000 €, soit l’intégralité de son budget, à une étude tant sociologique que technique pour comprendre et prévenir les incendies mortels qui frappent nombre de vieux immeubles insalubres du centre-ville.
30Selon la presse, la mobilisation sur les projets de rénovation urbaine concernerait peu de conseils citoyens (environ 15 % sur notre base de données). Leur faible mobilisation sur ce sujet serait notamment redevable à la résignation des conseillers citoyens devant des projets complexes sur lesquels ils disposent de peu d’informations : « On apprend par la presse que des bâtiments pourraient être construits sur le parc des Crêtes, le pôle images [19] aussi. On aimerait ne pas toujours être mis devant le fait accompli ! » [20], explique ainsi un conseiller citoyen de Poitiers qui a pourtant, avec d’autres conseillers, interpellé la ville sur la nature des projets à venir dans le cadre de l’ANRU.
31Toutefois, les quelques actions signalées conduisent pour beaucoup à une participation assez conséquente des habitants. Certains conseils citoyens organisent ainsi des réunions d’information sur le projet comme à Châtenay-Malabry, Abbeville, Reims… Les conseillers citoyens deviennent parfois un relais d’information auprès des habitants, comme à Angoulême où c’est le conseil citoyen qui a présenté aux habitants « l’ébauche du projet de réhabilitation de leur quartier » [21].
32La presse régionale fait également état de nombreuses oppositions aux projets de rénovation urbaine, cristallisées en partie autour du sentiment que les projets se construisent sans les habitants. À Darnétal, c’est la nécessité du projet de renouvellement urbain lui-même, officiellement justifié pour retrouver la tranquillité dans le quartier, qui est interrogée : « On s’en fiche des beaux trottoirs et des immeubles neufs. Ce que l’on veut c’est être tranquille. Sortir son chien sans voir un type vomir ou faire des dérapages avec sa voiture ou son scooter ! » [22], interpelle une habitante parmi les nombreuses personnes présentes à cette réunion. À Poissy, le conseil citoyen dénonce la mauvaise qualité des travaux (« Fissures, fuites, fils dénudés, peinture qui se décolle… la liste des griefs exposés par le conseil citoyen sur sa page Facebook et à la permanence de Vilogia [le bailleur social] est longue »), ou encore ses conditions de réalisation (« Certains ne sont déjà pas partis l’année dernière lors des congés pour surveiller leur appartement. Ce serait bien que cela ne soit pas la même chose cette année » [23]). À Romainville, la présentation du projet de rénovation d’un quartier en amont de la création du conseil citoyen a conduit des habitants à déposer une plainte devant le tribunal administratif. Enfin, à Melun, la mobilisation du conseil citoyen et de l’ensemble des associations du quartier dès janvier 2016, ainsi que la recherche de soutien auprès de Pas sans Nous, a permis aux habitants d’être entendus par la municipalité : « On ne fera rien contre les habitants », déclarait le maire en avril 2018 [24].
33D’autres conseils citoyens participent à la mise en place des projets artistiques ou de mémoire pour accompagner la transformation du quartier, comme en témoignent par exemple le projet Regards et mémoires à Aussillon ou les ateliers cinéma sur la mémoire du quartier du Parc aux lièvres à Évry.
34Finalement, l’implication des conseils citoyens dans le « dur » des projets de rénovation urbaine semble assez faible. Pourtant, le rapport de l’ONPV de 2016 affirme que « les quartiers du nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) sont plus souvent couverts par des conseils citoyens déjà constitués » [25]. Comment l’expliquer ? Est-ce seulement pour répondre à l’exigence du règlement de l’Agence nationale de rénovation urbaine qui dit qu’il n’y aurait aucune convention signée avant la mise en place d’une maison du projet [26] ? Cette exigence aurait-elle levé les réticences des municipalités à la création des conseils citoyens ? Nous n’avons pas de réponse à cette question.
35Les monographies concernant les conseils citoyens impliqués dans le programme national de co-évaluation montrent les mêmes tendances : les projets de renouvellement urbain – et particulièrement quand ils impliquent une démolition – constituent un facteur de mobilisation fort chez les conseillers citoyens des quartiers concernés, mais cela ne concerne que peu de conseils citoyens. Et la façon dont ils s’emparent de cette question est révélatrice de la double mission des conseillers citoyens, entre action de terrain et co-construction institutionnelle.
36La synthèse de ce travail souligne trois explications :
« La participation des conseillers citoyens aux PRU se heurte à de nombreux obstacles : technicité des projets, temps long des procédures, contraintes imposées par les financeurs et notamment par l’ANRU, pratiques professionnelles peu ouvertes à la participation des habitants, sectorisation des politiques publiques, etc.
Les conseillers citoyens sont bien souvent considérés comme les relais auprès des habitants d’une concertation que les institutions peinent à mettre en œuvre. Ce rôle met les conseillers citoyens dans une situation délicate : porteurs de la responsabilité d’un projet de renouvellement urbain qu’ils ont rarement co-construit, ils deviennent les représentants de l’institution auprès des habitants plutôt que l’inverse.
Conscients de ce risque, certains conseils citoyens se détournent de la concertation institutionnelle pour faire peser la mobilisation habitante dans le rapport de force qu’ils imposent aux acteurs institutionnels. » [27]
38Qu’en est-il de la question du développement économique et de l’emploi, troisième pilier des contrats de ville ?
39Si 50 % des conseils citoyens ont pour mission, d’après le contrat de ville qui les concerne, de travailler sur le développement économique et l’emploi, les actions, réflexions ou propositions sur le sujet sont à peine évoquées dans les articles de presse. Quelques mobilisations sur l’emploi sont mentionnées. À Poitiers, par exemple, le conseil citoyen a créé un groupe de travail thématique sur cette question et a écrit au maire pour l’alerter : « Il faut mettre le paquet sur l’emploi… Le taux de chômage est de 28 %. Pour l’instant, on n’a jamais pu dire notre ressenti. Les gens veulent du social, pas du béton. »
40Les articles signalent plus fréquemment des réactions des conseils citoyens pour dénoncer la disparition des commerces de proximité ou réclamer l’installation d’une supérette sur le quartier, comme à Étouvie (Amiens). Un autre article raconte que le conseil citoyen et des habitantes du quartier du Jas-de-Bouffan à Aix-en-Provence ont manifesté contre le départ de l’antenne de Pôle emploi du quartier : « Rien n’est fait pour améliorer la situation. La seule chose que l’on voit, c’est que petit à petit, on nous enlève le Pôle emploi, la PMI… » [28], dénonce une conseillère citoyenne, avec d’autres femmes du quartier en colère et qui ne se considèrent pas écoutées par les pouvoirs publics. Ce sentiment des conseillers citoyens de ne pas être écoutés sur ces problématiques apparaît largement partagé, d’après les articles recensés dans notre veille. Toutefois, à Pont-Saint-Esprit, le conseil citoyen a mis en place une commission de travail sur la réduction des écarts de taux d’emplois entre les quartiers prioritaires et l’agglomération. À Lanester, le conseil citoyen accueille Citéslab, dispositif initié par la Caisse des dépôts pour accompagner les futurs entrepreneurs des quartiers prioritaires dans la création et le développement de leur entreprise.
41Ce qu’il ressort de l’implication des conseils citoyens sur les trois grands piliers des contrats de ville laisse une impression très mitigée. Les conseils citoyens sont essentiellement présents sur des animations de quartier, très peu sur la dimension structurelle qui pourrait permettre une transformation réelle de la situation des habitants dans les quartiers populaires : les transports, l’accès à l’emploi, l’aménagement urbain, notamment.
42Fallait-il créer cette nouvelle instance pour occuper le rôle traditionnellement joué par les associations, les centres sociaux et autres fonds de participation des habitants ? Accepter voire faire en sorte que les conseils citoyens ne jouent que ce rôle, n’est-ce pas faire reculer encore un peu plus l’idée de participation des habitants dans la décision publique ?
43La loi pour la ville et la cohésion urbaine précise dans son article 7 que les conseils citoyens doivent être « associés à l’élaboration, à la mise en œuvre et à l’évaluation des contrats de ville ». Il y est également écrit : « des représentants du conseil citoyen participent à toutes les instances de pilotage du contrat de ville, y compris celles relatives aux projets de renouvellement urbain ». À la lecture des articles, cela apparaît-il être effectif ?
44Cette question est peu abordée en tant que telle dans les articles. Toutefois, la mention de la date de la création des conseils et celle de la signature des contrats de ville permettent de constater la quasi-absence des conseils citoyens dans l’élaboration du contrat de ville : seule une petite vingtaine de conseils citoyens a effectivement pu contribuer à son élaboration parmi les conseils citoyens recensés dans la veille.
45Ces chiffres sont corroborés tant par l’enquête conduite par l’IRDSU en février 2015 que par la première enquête quantitative du CGET. Si « au 18 décembre 2015, 414 contrats de ville étaient signés sur les 437 prévus », les conseils citoyens, en revanche, étaient encore majoritairement en cours de constitution : « [E]nviron 800 conseils devaient être encore installés, en plus des 380 déjà en place » [29].
46Cela s’explique notamment par des questions de calendrier : la création des conseils citoyens demande plus de temps que la contractualisation des contrats de ville, particulièrement quand le dispositif se heurte à une opposition politique locale… Certains conseils ne sont toujours pas créés au moment où nous écrivons ces lignes !
47Dans quelques villes, la contribution des habitants a pu prendre d’autres formes : ateliers de concertation, marches exploratoires, tables de quartier… À Bonneuil-sur-Marne, par exemple, le conseil citoyen « en préfiguration » s’est rapidement mis au travail pour que ses membres participent à l’élaboration des dossiers du contrat de ville, et plus précisément à l’élaboration du programme de renouvellement urbain. En effet, au moment de l’installation officielle du conseil citoyen, ses membres se réunissaient déjà depuis presque un an. Un membre du conseil citoyen explique ainsi :
« Nous fourmillons d’idées. Nous avons cette fierté de représenter tous les habitants de la cité. Notre objectif est de recueillir la parole de tous et de la transmettre aux partenaires du projet qui, de plus en plus, vont nous solliciter. On est reconnu comme des interlocuteurs directs du préfet, c’est formidable ! Depuis plusieurs mois les gens ici sont vraiment investis. On y croit. Même si on sait qu’il faudra peut-être hausser le ton pour se faire entendre. » [30]
49C’est aussi le cas à Montreuil où une élue m’a expliqué lors d’une discussion informelle que de nombreux ateliers avaient été organisés pour l’élaboration du contrat de ville sans que cela aboutisse à la formalisation d’un conseil citoyen. Sans être opposée au dispositif du conseil citoyen, elle craignait que cette nouvelle instance ne vienne casser les dynamiques participatives à l’œuvre dans la commune. De fait, alors que le contrat de ville avait été signé le 28 mai 2015, l’appel à candidatures pour les deux conseils citoyens a été réalisé courant janvier 2016 pour une installation le 7 mars suivant.
50Au-delà du contrat de ville lui-même qui s’est souvent apparenté à la signature d’un contrat-cadre, un certain nombre de conseils citoyens participent à toutes les instances techniques et politiques de pilotage. Les articles de presse recensés ne permettent pas de savoir s’il s’agit d’une participation réelle ou d’une participation théorique. Les autres travaux d’évaluation auxquels nous avons participé laissent penser que la participation à ces instances est difficile. Selon l’enquête de l’ONPV de 2016, 75 % des conseils citoyens seraient représentés dans les comités de pilotage, 53 % dans les comités techniques et seulement 30 % dans les instances financières [31]. Mais c’est une participation qui semble théorique : cela ne signifie pas que les conseillers citoyens participent effectivement, l’organisation de ces instances n’étant pas toujours adaptée aux contraintes et aux besoins de conseillers citoyens. En effet, les horaires des réunions (souvent en journée) ne sont pas toujours compatibles avec les emplois du temps familiaux ou professionnels.
51Il s’agit également souvent d’une participation alibi car les conseillers citoyens n’y disposent pas d’un véritable pouvoir : ils sont consultés mais leur avis est rarement pris en compte et ils ne sont pas toujours en mesure de comprendre immédiatement ce dont il est question du fait de la technicité du langage et des sujets abordés. Par ailleurs, les comités de pilotage sont des instances de validation qui interviennent à l’issue d’un travail de réflexion préalable qui n’a pas vocation à être remis en cause. Si les comités techniques s’apparentent, eux, davantage à des instances de travail, les techniciens y sont majoritaires et le langage utilisé ne permet souvent pas une implication réelle des conseillers. Certains ne veulent pas y participer car ils ne comprennent pas les sujets abordés ou se sentent mal à l’aise dans de telles réunions, sans parler de la non-maîtrise du langage institutionnel, voire de la peur de prendre la parole en public.
52En outre, les conseillers citoyens ont souvent l’ordre du jour très peu de temps avant la réunion, quand ils ne découvrent pas les dossiers sur table. Et certains le disent très clairement : « Ce n’est pas facile de s’impliquer quand on ne sait pas pourquoi on vient » [32].
53L’irruption de ces nouveaux acteurs dans la gouvernance des contrats de ville appelle nécessairement des transformations dans les modes de faire. Pourquoi l’effort d’adaptation devrait-il toujours être porté par les conseillers citoyens, qui sont bénévoles, et non par ceux qui sont payés ou indemnisés pour la mise en œuvre du contrat de ville ?
54Cela ne s’explique-t-il pas aussi et surtout par une volonté politique de ne pas donner de pouvoir aux conseils citoyens ? Cette position est parfois clairement exprimée par les élus. Le maire adjoint de Compiègne a ainsi déclaré : « Ces conseils citoyens seront consultatifs et sans pouvoir de décision » [33]. À Montbéliard, la maire a indiqué : « Il ne faut pas s’imaginer qu’ils vont avoir du pouvoir » [34].
55La loi indique également : « Les conseils citoyens exercent leur action en toute indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics et inscrivent leur action dans le respect des valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité et de neutralité » [35]. Que nous apprennent les articles à ce sujet ?
56L’autonomie des conseils citoyens, c’est d’abord leur autonomie politique, c’est-à-dire le fait qu’ils ne fonctionnent pas sous l’autorité ni même sous le regard des élus locaux. Ils doivent trouver des espaces de débat et de propositions où ils puissent élaborer un point de vue en dehors de toute contrainte institutionnelle. À la lecture des articles de presse, il apparaît que c’est le cas pour une majorité de conseils citoyens, mais pas pour tous. Quand les pouvoirs publics sont présents d’une manière ou d’une autre dans les conseils citoyens, peut-on considérer qu’il s’agit encore de conseils citoyens ? À Douai, par exemple, le conseil citoyen est présidé par un conseiller municipal. À Évry, les huit conseils citoyens, appelés conseils citoyens de quartier, étaient coprésidés par un habitant et un élu, et les élus étaient présents aux réunions. À Grigny, a été institué un troisième collège, celui des élus municipaux avec six membres et le maire qui en est membre de droit. À Auch ou à Poitiers, les articles signalent la présence des élus aux réunions. À Dreux, le maire revendique le pilotage des conseils par les élus :
« J’avais fait le choix d’un changement du précédent dispositif d’abord parce que le gouvernement de l’époque (celui de Manuel Valls) a imposé la mise en place des conseils citoyens qui ne devaient comporter aucun élu. On s’aperçoit que cette décision est une erreur. L’absence des élus est vécue comme un abandon. Leur présence est essentielle pour organiser des réunions, prendre des décisions, servir de relais avec l’équipe municipale. J’ai donc décidé de nommer quatre ou cinq élus dans chaque comité de proximité. » [36]
58L’autonomie des conseils citoyens passe également par une autonomie de fonctionnement, qui comprend l’animation du conseil citoyen, un local dédié et un budget propre. Les informations recueillies par le biais des articles sont assez peu précises sur ces trois dimensions. La question est abordée pour seulement 20 % des conseils citoyens concernés. Cela ne saurait toutefois nous étonner, compte tenu de la source d’information.
59Concernant l’animation des conseils citoyens, trois grandes catégories d’acteurs sont mentionnées. Dans la grande majorité des cas, ce sont des professionnels issus de services municipaux (politique de la ville, démocratie locale) ou paramunicipaux qui animent le conseil citoyen. Les municipalités recrutent parfois des services civiques ou des adultes relais à qui ils confient cette mission. Mais on constate aussi que ce sont parfois directement des élus qui se chargent de l’animation… Ensuite viennent les cabinets de consultants et associations spécialisées dans l’animation de la concertation ou du débat public, dont certaines SCOOP d’éducation populaire. Pratiquement tous ces animateurs ont été retenus par la collectivité locale à la suite d’un appel d’offres. Enfin viennent les centres sociaux et maisons de quartier ou MJC, sollicités par la municipalité ou par l’État pour prendre en charge cette mission. Croisé avec les informations recueillies sur la participation d’élus ou de salariés de la mairie aux conseils citoyens en tant que membres des conseils citoyens, ce panorama montre clairement que les pouvoirs publics ne sont jamais bien loin d’un possible contrôle de ce qui se passe dans les réunions.
60Sur la question de l’indépendance financière, l’article 7 de la loi pour la ville et la cohésion urbaine précise que l’État « apporte son concours à leur fonctionnement » [37]. Cette formulation assez vague n’implique pas un budget spécifique, mais le cadre de référence précise :
« Conformément à la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine, le contrat de ville devra prévoir pour chaque conseil citoyen du territoire des moyens dédiés pour le fonctionnement courant. Ces moyens de fonctionnement permettront au conseil citoyen de prendre en charge des dépenses inhérentes à l’organisation de réunions publiques, les éventuels frais de déplacement de ses représentants au sein de ses instances de pilotage, les outils de communication pour mobiliser les habitants. » [38]
62Au vu des renseignements issus des articles de presse – il y en a peu –, il apparaît que les conseils citoyens bénéficient de budgets qui varient de 0 € à plus de 60 000 € par an. En outre, les conseils citoyens qui ont les budgets les plus importants sont ceux qui sont directement porteurs d’actions liées aux programmes municipaux, par exemple dans le cadre de la mise en place des Fonds de participation des habitants ou des Fonds d’initiatives locales. Les conseils citoyens souhaitant mener des actions qui ne s’inscrivent pas dans les programmes municipaux sont bien plus difficiles à financer… surtout s’ils ne sont pas constitués en association. Ainsi, il leur est souvent difficile de mobiliser des études ayant pour objectif une contre-expertise de projets municipaux par exemple [39].
63Le rapport 2016 de l’ONPV donne quelques chiffres :
« Même s’ils sont modestes, des moyens sont dans la majorité des cas accordés pour permettre [aux conseils citoyens] de fonctionner : ainsi, sur les 63 % de conseils citoyens renseignés sur ce critère, près des deux tiers bénéficient d’un budget de fonctionnement attribué dans le cadre du contrat de ville qui s’élève, en moyenne, à 3 500 euros. » [40]
65Quant aux locaux réguliers dont disposent les conseils citoyens, les articles de la presse quotidienne régionale ne donnent pas beaucoup d’informations. Parmi les quelques renseignements recueillis, on constate que les conseils citoyens bénéficient de salles dans les centres sociaux et maisons de quartier, mais rarement de façon permanente (par exemple dans des locaux partagés avec une autre association ou encore dans les Maisons du projet).
66Quand on additionne l’absence d’une animation voire d’un secrétariat véritablement indépendant, des budgets minimes et des locaux « intermittents », on peut difficilement considérer les conseils citoyens comme des instances autonomes, à même de constituer des instances de participation indépendantes.
67Quel bilan faites-vous des conseils citoyens en termes de mobilisation citoyenne ? Les conseils citoyens attirent-ils les habitants ? Les conduisent-ils à s’impliquer durablement dans l’espace public local ?
68Notre évaluation est assez pessimiste sur ces questions. D’abord, il faut noter que la constitution du collège des habitants des conseils citoyens a souvent été très laborieuse, d’abord parce qu’il a été difficile de mobiliser des habitants. À Amiens, lors de l’installation des conseils citoyens, seuls 29 avaient répondu présents sur les centaines de tirés au sort [41]. À Bruay-la-Buissière, les premières réunions d’information autour du conseil citoyen ont réuni six habitants sur l’un des quartiers et un unique habitant sur un autre quartier [42]. À Marseille, parmi les 4 000 personnes tirées au sort, 80 seulement ont accepté de participer au collège des habitants du conseil citoyen. Dans plusieurs villes (Bagnolet, Fleury-les-Aubrais), il a fallu renouveler les appels à candidatures pour avoir un minimum de conseillers dans le collège des habitants… À plusieurs endroits, la constitution des conseils citoyens a fait l’objet de polémiques, ce qui a également compliqué la mise en place de l’instance. À Vénissieux par exemple, le tirage au sort aurait été fait sur des listes préétablies par la mairie. Selon l’opposition, qui a déposé un contentieux devant le préfet, « plus de 50 % des membres du collège habitant du conseil citoyen faisaient partie du comité de soutien lors des élections municipales partielles de 2015 » [43]. Par ailleurs, il est rare que les élus affichent un regard positif sur les conseils citoyens, sur leurs réflexions et leurs apports potentiels. Le volontarisme politique pour la mise en place des instances s’en ressent. Si des articles évoquent le soutien d’un maire ou d’un élu (comme à Aussillon [44] ou à Maubeuge [45]), on lit bien plus souvent les réticences et exceptionnellement les oppositions fermes des élus locaux, comme à Cavaillon où le maire refusait encore en août 2017 de mettre en place un conseil citoyen [46].
69Ensuite, on remarque que les conseils citoyens se vident rapidement de leurs membres. L’analyse des articles confirme ainsi l’une des conclusions du programme national de co-évaluation des conseils citoyens :
« Tous les conseils citoyens sont confrontés à la démobilisation d’une part importante de leurs membres : les listes des arrêtés préfectoraux ne sont souvent plus un reflet fidèle de la réalité, si elles ne l’ont jamais été. En effet, dans certains conseils, les personnes tirées au sort – que ce soit suite à un appel à volontaires ou non – n’ont pas toujours répondu présentes à la première réunion. Par la suite, les groupes initiaux ont souvent vu leurs effectifs se réduire par deux. » [47]
71Ainsi, à Montpellier, les conseillers citoyens ont proposé des modalités de remplacement face à l’absentéisme de trop nombreux membres. À Poitiers, moins de six mois après le lancement des conseils citoyens, plus de la moitié des conseillers avaient quitté l’instance, notamment ceux tirés au sort. À Toulouse, Coutras et dans de très nombreuses villes, c’est à peine un tiers des conseillers citoyens qui participent. Cette désertion entraîne parfois la dissolution du conseil citoyen, notamment quand il s’est organisé en association. À Béthoncourt, le président et la trésorière ont claqué la porte après plusieurs tentatives infructueuses pour rencontrer le maire et d’autres membres parlent de déni de démocratie : « Le conseil citoyen n’existe que dans la forme », « Les projets ne sont pas pris au sérieux » [48]. À Orléans, dans le quartier de la Source, « sur les 30 membres reconnus, 8 ou 10 sont présents en séance plénière, et seulement 3-4 participeraient aux ateliers. Quant aux acteurs locaux, ils ne sont pas là… » [49]. À Château-Thierry, pas un seul conseiller du collège des habitants n’était présent à l’assemblée générale des conseils citoyens de la ville.
72Lorsque l’on fait le bilan des informations données par ces articles, il apparaît clairement que la première préoccupation de beaucoup de conseils citoyens, face à cet absentéisme chronique ou au départ de trop nombreux conseillers, est de se faire connaître pour impliquer de nouveaux habitants. « Notre priorité aujourd’hui, c’est de communiquer, de faire savoir ce que l’on fait et ce que l’on va faire. Il faut qu’on se fasse connaître même si ce n’est pas évident car le quartier prioritaire est étendu » [50], explique par exemple le président du conseil citoyen de Lillers. À Poitiers, le conseil citoyen des Couronneries, lors d’une réunion plénière, faisait le même constat : un conseiller préconisait de « lancer une campagne de remobilisation, se faire connaître ». « Nous ne sommes pas une association. Nous jouons un rôle d’interface entre les habitants et les autres interlocuteurs. Notre but est de nous faire connaître », justifiait le président du conseil citoyen de Longwy en participant à Anim’city, une manifestation municipale en direction des jeunes. Toutefois, la tâche à accomplir semble immense. À Aix-en-Provence, les membres des trois conseils citoyens partagent le même sentiment face à la difficulté de sensibiliser et d’informer les habitants, difficulté d’autant plus grande qu’ils ont le sentiment que le conseil citoyen n’accomplit pas grand-chose.
73À la lecture de ces articles, le constat est de manière générale assez sombre sur la capacité des conseils citoyens à permettre une plus grande implication des habitants dans l’espace public local. Nous pensons que le premier défaut de ces conseils citoyens est qu’ils ont été imposés par la loi, de façon descendante, autoritaire, nécessitant un décret pour fixer leur composition, avec tous les risques inhérents à une telle procédure. Par ailleurs, le respect effectif des termes de la loi en matière d’association des conseils citoyens à l’élaboration et à la mise en œuvre du contrat de ville n’est pas vérifié. L’enjeu aujourd’hui, pour les conseils citoyens comme pour toutes les formes de démocratie participative, se situe très certainement autour de la question du pouvoir : mettre de côté cette conception du pouvoir concentré entre les mains de quelques personnes qui seraient garantes de l’intérêt général, pour promouvoir celle d’un pouvoir partagé, où chaque citoyen est reconnu dans sa capacité à construire du commun.
74Quel bilan faites-vous de cette démarche d’évaluation ?
75L’intérêt de cette démarche de recensement des articles de la presse quotidienne régionale sur les conseils citoyens, croisée avec l’étude menée avec l’Institut de la Concertation et avec le programme national de co-évaluation des conseils citoyens, réside dans les différences et complémentarités entre ces trois sources de connaissance sur le fonctionnement de ces instances.
76La veille dans la presse quotidienne régionale a commencé en novembre 2014 et se poursuit encore aujourd’hui : les articles couvrent plus de quatre ans de fonctionnement des conseils citoyens et permettent ainsi de voir les évolutions dans la durée. L’étude menée début 2016 avec l’Institut de la Concertation a été conduite alors que les conseils citoyens se mettaient difficilement en place. Elle a été réalisée sur la base du volontariat des participants qui devaient répondre à une enquête en ligne. Le programme national de co-évaluation des conseils citoyens conduit en 2017 a permis la coproduction d’études par des étudiants et des chercheurs en interaction avec des conseillers citoyens. Il couvre un champ moins important de conseils citoyens, mais ces études sur leurs missions, leur autonomie par rapport au pouvoir local voire leur capacité d’interpellation donnent des informations plus qualitatives à un certain nombre d’articles de presse recensés dans la veille.
77Le croisement de toutes ces données montre des différences significatives avec les rapports du CGET, qui se limitent trop souvent à une étude quantitative des conseils citoyens mis en place. Le CGET nous semble en effet défendre systématiquement l’institution en présentant une vision toujours positive des conseils citoyens. Notre travail s’ancre pour sa part dans une démarche de critique constructive.
78Il nous semble que la complémentarité de nos trois sources permet d’avoir une vision assez exhaustive du fonctionnement réel des conseils citoyens, de leurs difficultés et parfois de leurs avancées : combien de conseils fonctionnent réellement ? Qui participe ? Dans quelles instances de pilotage sont-ils présents ? Avec quels moyens effectifs ? Et quelle autonomie ? C’est fort de cette connaissance que Pas sans Nous peut interpeller le CGET comme les professionnels de la politique de la ville, qui bien souvent, les uns comme les autres, semblent se satisfaire de la petite dizaine de conseillers qui participent à telle ou telle réunion, alors qu’ils devaient être trois fois plus nombreux.
79Mais le débat est difficile : c’est comme si reconnaître des dysfonctionnements conduirait à conclure à la nécessité de supprimer les conseils citoyens. Que le CGET veuille soutenir cette exigence de participation dans la politique de la ville est louable à condition, toutefois, que cette participation soit réelle et non factice. Refuser de montrer les difficultés des conseils citoyens, n’est-ce pas une façon très efficace de les voir disparaître ?
80Au contraire, il est d’après nous nécessaire de pointer les dysfonctionnements et de les comprendre afin de donner une chance à cette instance de constituer une avancée pour la participation des habitants. Sans repérer les difficultés, les pouvoirs publics ne rechercheront pas les solutions pour que les conseils citoyens soient un vrai projet politique de participation citoyenne. C’est ce que nous écrivions en date du juin 2016 à Hélène Geoffroy, alors ministre de la Ville, alors qu’elle préparait sa circulaire « relative aux conseils citoyens » [51], pour lui rappeler la dimension politique du conseil citoyen :
« Le conseil citoyen est une instance citoyenne qui est intégrée ou participe au comité de pilotage du contrat de ville et du projet de rénovation urbaine. Ce n’est pas une association supplémentaire qui porte des projets […]. Le conseil citoyen est une des instances de gouvernance. »
82Et nous poursuivions à propos du programme de travail du comité de suivi national des conseils citoyens :
« L’objectif d’un travail sur le fonctionnement réel des conseils citoyens est bien de repérer les situations de blocage pour trouver les voies du déblocage et montrer que la participation effective des citoyens aux politiques publiques (orientation et mise en œuvre) est non seulement possible mais nécessaire. Si nous n’y arrivons pas, nous désespérerons encore un peu plus les habitants des quartiers populaires […] qui se sont investis dans les conseils citoyens. »
Notes
-
[1]
M.-H. Bacqué, M. Mechmache, 2013, Pour une réforme radicale de la politique de la ville. Ça ne se fera plus sans nous. Citoyenneté et pouvoir d’agir dans les quartiers populaires, Paris, Ministère de la Ville, juillet 2013, 97 p., http://www.ladocumentationfrancaise.fr/rapports-publics/134000430/index.shtml (accès le 16/07/2019).
-
[2]
L’Institut de la Concertation et de la Participation Citoyenne, créé en 2008, est un réseau national de praticiens de la concertation (consultants, agents territoriaux, responsables associatifs, chercheurs). Il se présente comme un « espace de débat et de réflexion ouvert à tous ceux qui, dans l’exercice de leur activité professionnelle, militante ou élective, se posent la question de l’amélioration et de la diffusion des pratiques de concertation » (https://i-cpc.org/qui-sommes-nous, accès le 16/07/2019).
-
[3]
Ces différentes contributions sont présentées de manière plus précise au fil de l’entretien.
-
[4]
Centre de ressources sur la politique de la ville en Seine-Saint-Denis.
-
[5]
IRDSU, 2015, Mise en œuvre des conseils citoyens. Une démarche à inscrire dans la durée, http://www.irdsu.net/wp-content/uploads/2015/05/ENQU%C3%8ATE-2015-version-FINALE-18-mai-2015.pdf (accès le 16/07/2019).
-
[6]
Suivant la proposition du rapport Bacqué-Mechmache (op. cit.), le CGET a soutenu la Fédération nationale des centres sociaux et Pas sans Nous pour conduire une expérimentation de douze tables de quartier, et son évaluation. Collectif, 2018, Les Tables de quartier en France. Retour sur trois ans d’expérimentation, http://www.centres-sociaux.fr/files/2018/09/Les-Tables-de-quartier-2018.pdf (accès le 16/07/2019). Voir aussi l’article de Jérémy Louis dans le présent dossier.
-
[7]
L. Ballarini, 2012, « Pourquoi lire la presse régionale aujourd’hui ? », Sciences de la société, 84-85, p. 17-31.
-
[8]
Ce nombre important peut certainement s’expliquer en partie par la forte implication des élus locaux dans le dispositif, voir infra.
-
[9]
Voir la synthèse de ce programme : L. Billen (dir.), 2018, Programme national de co-évaluation des conseils citoyens. Synthèse nationale, Paris, Universités Paris Nanterre et Paris 1 Panthéon-Sorbonne, https://www.conseilscitoyens.fr/article/co-évaluation-nationale-des-conseils-citoyens-la-synthèse (accès le 16/07/2019).
-
[10]
L’École du Renouvellement Urbain est un organisme de formation créé en 2005 qui propose des formations sur la politique de la ville et le renouvellement urbain. La formation dont il est question ici s’intitule « Conseiller citoyen et acteur du renouvellement urbain ». Voir la plaquette de présentation de cette formation : https://www.cget.gouv.fr/sites/cget.gouv.fr/files/atoms/files/conseils_citoyens_plaquette_formation-ecole_du_renouvellement_urbain_2017.pdf (accès le 16/07/2019).
- [11]
-
[12]
http://www.sudouest.fr/2016/10/07/les-voix-des-quartiers-2526224-1733.php (accès le 16/07/2019).
- [13]
- [14]
- [15]
-
[16]
L. Billen (dir.), 2017, Co-évaluation des conseils citoyens. Journée d’échanges habitants/étudiants/chercheurs du 1er juillet 2017, https://www.conseilscitoyens.fr/sites/default/files/document/fichier/Actes-01072017.pdf (accès le 16/07/2019).
-
[17]
Ibidem.
- [18]
-
[19]
Il s’agit d’un projet d’équipement culturel à rayonnement régional et national, qui regrouperait l’École européenne supérieure de l’image (EESI) et un cinéma d’art et d’essai.
- [20]
-
[21]
http://www.charentelibre.fr/2018/06/15/grand-font-l-avenir-se-dessine-enfin,3270016.php (accès le 16/07/2019).
- [22]
- [23]
- [24]
-
[25]
ONPV, Rapport 2016, p. 74, http://www.onpv.fr/uploads/media_items/rapport-onpv-2016.original.pdf (accès le 16/07/2019).
-
[26]
« Conformément à l’article 7 de la loi no 2014-173 du 21 février 2014 [sur la création des conseils citoyens], le dossier comporte une présentation détaillée des modalités de co-construction et de suivi du projet territorial intégré du contrat de ville avec les habitants, ainsi que les modalités de mise en place de la maison du projet de renouvellement urbain ». ANRU, Règlement général relatif au nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU) validé par le conseil d’administration du 16 juillet 2015, p. 67-68, https://www.anru.fr/fre/Mediatheque/Textes-officiels/Reglement-general-relatif-au-nouveau-programme-national-de-renouvellement-urbain-NPNRU-valide-par-le-conseil-d-administration-du-16-juillet-2015 (accès le 16/07/2019).
-
[27]
L. Billen (dir.), 2018, Programme national de co-évaluation des conseils citoyens. Synthèse nationale, op. cit.
- [28]
- [29]
- [30]
-
[31]
ONPV, 2016, Rapport annuel, op. cit.
-
[32]
L. Billen (dir.), 2017, Co-évaluation des conseils citoyens. Journée d’échanges habitants/étudiants/chercheurs du1er juillet 2017, op. cit.
- [33]
-
[34]
http://www.estrepublicain.fr/edition-belfort-hericourt-montbeliard (accès le 16/07/2019).
-
[35]
Loi no 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.
- [36]
-
[37]
Loi no 2014-173 du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion urbaine.
-
[38]
Ministère des Droits des femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, 2014, Conseils citoyens. Cadre de référence, http://www.ville.gouv.fr/IMG/pdf/cadre-de-reference-conseils-citoyens.pdf (accès le 16/07/2019).
-
[39]
Sur la question de l’intérêt de la contre-expertise, voir notamment la quatrième proposition du rapport Pour une réforme radicale de la politique de la ville. Ça ne se fera plus sans nous, op. cit., p. 50-53.
-
[40]
ONPV, 2016, Rapport annuel, op. cit., p. 77.
-
[41]
Amiens Métropole, « Les conseils citoyens sont lancés », Communiqué de presse, 16 juin 2017, http://ancien.amiens.fr/actualite/4423/conseils-citoyens-sont-lances.html (accès le 29/04/2019).
-
[42]
http://www.lavoixdunord.fr/region/bruay-la-buissiere (accès le 02/12/2018).
-
[43]
http://venissieuxinfos.fr/conseil-citoyen-polemique (accès le 16/07/2019).
-
[44]
« Je suis convaincu que les politiques publiques construites avec les citoyens constituent la meilleure voie pour recréer une dynamique de confiance entre les habitants, les corps intermédiaires des territoires et les institutions », explique le maire d’Ausillon. Voir https://www.ladepeche.fr/article/2015/10/16/2198501-falgalarie-la-maison-de-projet-est-prete.html (accès le 16/07/2019).
-
[45]
« Les habitants sont beaucoup plus impliqués qu’avant dans les prises de décision. Ils reçoivent plus d’informations en amont, peuvent consulter des dossiers auxquels ils n’avaient pas accès dans les ex-conseils de quartier », explique la maire adjointe à l’urbanisme et la cohésion sociale de Maubeuge sur canalfm.fr (dans un article qui n’est plus disponible sur Internet : « Les conseils citoyens, une nouvelle façon de s’impliquer dans la vie de la commune », 30 mars 2016).
- [46]
-
[47]
L. Billen (dir.), 2017, Co-évaluation des conseils citoyens. Journée d’échanges habitants/étudiants/chercheurs du 1er juillet 2017, op. cit.
- [48]
- [49]
- [50]
-
[51]
Circulaire du 2 février 2017 relative aux conseils citoyens, http://www.ville.gouv.fr/IMG/pdf/circulaire_du_2_fevrier_2017_relative_aux_conseils_citoyens.pdf (accès le 16/07/2019).