1Le 27 mai 2005, le Comité consultatif de déontologie et d’éthique de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) tenait, au Collège de France, son premier séminaire international sur l’éthique de la recherche pour le développement. Le présent document [1] en constitue les actes ; il reproduit l’ensemble des conférences et des discussions qui on eu lieu lors de cette journée. Entre les séances d’ouverture et de clôture, l’ouvrage s’articule en trois parties précédées d’une introduction générale d’Ignacy Sachs. La première partie traite des enjeux éthiques de la vaccination ; la seconde renvoie au débat sur les interactions entre l’homme et son environnement naturel ; la troisième regroupe une série d’interventions portant sur les conflits de valeurs dans la recherche pour le développement. Sans chercher à rapporter l’exhaustivité des propos, ni même à détailler les apports de l’ensemble des contributeurs, assez nombreux, je voudrais relever quelques idées-clés des propos tenus dans cette publication.
2L’introduction générale d’I. Sachs est centrée sur le dilemme auquel est confrontée une problématique éthique du développement. Si la conception et la mise en œuvre de projets de développement doivent viser à faire du progrès technique un levier du progrès social et économique, il n’en demeure pas moins nécessaire de reconnaître que ces projets pourront avoir, à côté de leurs effets éventuellement positifs, des effets aussi négatifs. Le recours au principe de précaution, loin de permettre de sortir de ce dilemme, lui donne au contraire plus de consistance et en durcit les termes. En effet, le principe de précaution ne peut être compris comme un frein à l’action. Il implique une obligation d’action, mais une obligation d’action qui prend en considération la mesure des choses. Et c’est là, précisément, que réside la question éthique. L’éthique est avant tout une mesure raisonnée et instruite des décisions. Le dilemme entre effets positifs et effets négatifs de toute action trouve alors sa solution dans la « juste » mesure. De ce point de vue, les trois thèmes retenus dans cet ouvrage apparaissent particulièrement pertinents.
3La vaccination, premier de ces thèmes, est en effet, comme le relève Anne-Marie Moulin dans son introduction à celui-ci, au cœur d’une double polémique. D’une part, la vaccination est aujourd’hui entrée dans l’ère du soupçon sur ses effets avérés ; d’autre part, la polémique sur le partage des profits comme des bienfaits des vaccins prend forme. D’un côté, les populations du Sud sont mises à contribution lors des phases d’expérimentation et en subissent donc éventuellement les coûts en termes de santé ; d’un autre côté, une fois validés et autorisés, ces vaccins profitent majoritairement aux populations du Nord. Il y a là une asymétrie et une injustice flagrantes. Plusieurs interventions font échos, chacune à leur manière, à cette double polémique. Il en ressort la mise en discussion de critères éthiques du choix de la vaccination. Le premier critère, et certainement le plus simple à comprendre, est ce que l’on peut appeler la comptabilité macabre. Il revient à compter le nombre de morts. Si les effets positifs – le nombre de vies sauvées par rapport au nombre de vies perdues – sont très importants, alors la vaccination est finalement justifiée. Mais ce critère ne saurait suffire. S’il souffre d’un défaut de légitimité, l’acte de vaccination est refusé par les populations. Or, la légitimité suppose, d’une part, que les vaccins fournis soient jugés prioritaires par rapport aux autres besoins de santé des populations locales, d’autre part, que les populations du Sud soient bénéficiaires de ces vaccins si elles participent à leur mise au point. Cette légitimité suppose donc une vraie discussion, au sens d’une « éthique de la discussion », entre les partenaires du Nord et du Sud. Elle ne peut se limiter à un consentement des populations du Sud qui servent pour les expériences – consentement généralement obtenu sans que les populations aient compris réellement ce à quoi elles consentaient. Si les points de vue développés dans ces interventions sont forts pertinents, on peut néanmoins regretter que, le débat étant en grande partie orienté autour des différentes phases d’expérimentation, le lecteur ne soit pas éclairé par une présentation détaillée des différentes phases de celle-ci afin de pouvoir en comprendre les enjeux respectifs.
4Le second thème de l’ouvrage aborde la question de la prise en compte de la relation entre l’homme et son environnement naturel dans les projets de développement. Les exemples relatés sont essentiellement axés sur la protection de l’environnement et de la biodiversité. En introduction, Jean-Pierre Revéret remet fortement en cause la façon qui est devenue la plus habituelle de poser les questions. Il le fait en introduisant un double point de vue. D’une part, il appelle à un dépassement de l’opposition habituelle entre « anthropocentrisme » et « écocentrisme » et il s’appuie pour cela sur une éthique « conséquentialiste » : selon lui, l’analyse des conséquences (d’une action) permet de trancher sur ce qui est souhaitable sans pour cela avoir besoin de faire prédominer l’une ou l’autre des visions du monde. D’autre part, il pose que cette éthique conséquentialiste ne peut être une éthique ethnocentrée, mais doit au contraire s’attacher à prendre en compte les différents systèmes de représentation du monde des populations pour comprendre les comportements et arriver à un accord sur les objectifs de préservation. Finalement, seule la participation des populations au projet de conservation peut permettre une telle démarche. Mais encore faut-il préciser que cette participation ne doit pas être une simple demande d’adhésion ; sa mise en œuvre doit reposer, là encore, sur une éthique de la discussion. Les interventions de cette partie traitent de problèmes rencontrés lors de la mise en œuvre de partenariats de recherche. Qu’il s’agisse de l’Amazonie brésilienne, du Cameroun ou de Madagascar, il est frappant de constater que toutes s’inscrivent dans cette double perspective.
5Le troisième thème abordé, les conflits de valeurs, prolonge et englobe les deux précédents, dans la mesure où il soulève le délicat problème de l’universalité ou de la relativité de celles-ci. Ici, les interventions semblent tendre vers une position intermédiaire, celle du pluralisme des valeurs. Il ne s’agit pas de nier l’universalité de certains droits fondamentaux, mais de considérer que, les références à ce qu’il convient de faire étant plurielles, les valeurs sont elles-mêmes interprétées à l’aune de cette pluralité. Cette pluralité n’est pas préjudiciable si elle permet d’avancer vers le progrès universel. Bien sûr, dans une telle optique, une éthique de la discussion paraît là aussi centrale.
6Et c’est le point sur lequel on ressent une certaine insatisfaction à la lecture de ce document. Il manque une introduction générale (ou une conclusion) qui aurait clairement fait ressortir ce qui fait l’unité des propos thématiques et organise l’ordre dans lequel ils sont présentés. Le recours à une certaine éthique de la discussion s’avère au cœur de l’ensemble de l’ouvrage. Or, cette éthique n’est évoquée à aucun moment. Comme il s’agit là du document du premier séminaire international de l’IRD sur cette question, on ne peut que souhaiter qu’un autre séminaire pose directement la question de ce qu’il faudrait entendre par une éthique de la discussion dans les rapports Nord-Sud.
Notes
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Auteur correspondant : jballetfr@yahoo.fr
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[1]
Kahn, F., Lecourt, D., Moulin, A.-M. (Eds), 2007. Y a-t-il une éthique propre à la recherche pour le développement ?, Paris, IRD.