1La victoire de Berlusconi, sans être une surprise, n’est ni facile à expliquer ni encourageante pour l’avenir du pays et plus largement de la politique dans les « grandes démocraties ». Il convient d’emblée de dire que cette victoire est dans le prolongement d’une montée continue de Forza Italia depuis son arrivée sur la scène politique. Lors des élections de 1996, le centre-droit avait en effet obtenu un peu plus de votes que le centre-gauche, qui accéda toutefois au pouvoir, grâce aux mécanismes de la loi électorale avec l’appui de Rifondazione Comunista.
2Sans être une nouveauté, puisque déjà élu président du Conseil pour une courte période en 1994, la victoire de Berlusconi révèle la difficulté à stabiliser en Italie une gauche social-démocrate au pouvoir. À y regarder de près, sans être ni exceptionnel ni original dans le domaine des politiques sociales et culturelles, en particulier dans le Mezzogiorno, le bilan des gouvernements successifs de centre-gauche (Prodi, D’Alema puis Amato) est loin d’être catastrophique. L’une des erreurs politiques a été d’argumenter ce bilan et les principales actions (réforme des retraites, de l’université, réduction des dépenses publiques, modernisation des services publics) essentiellement au regard de la construction européenne. L’Italie a certes impressionné ses voisins en engageant rapidement les principales réformes imposées par le traité de Maastricht et en passant à l’euro avec les autres grandes puissances européennes, mais cette gestion technocratique ne pouvait suffire à répondre aux attentes et parfois aux inquiétudes d’une grande partie des Italiens.
3La gauche était d’ailleurs embarrassée pour désigner son leader pour ces élections. Si Amato mais surtout D’Alema occupaient objectivement cette position, leur faible popularité et l’usure du pouvoir jouaient contre eux. Il fallut alors trouver un homme en mesure de concurrencer Berlusconi sur son propre terrain, celui du paraître, de l’image, du look, au détriment des idées et des programmes. Berlusconi a su profiter de cette ambiguïté en refusant le débat télévisé en direct avec Rutelli sous prétexte que le véritable leader de la gauche était D’Alema. Si l’affrontement entre les deux principaux candidats s’est donc joué pour une large part sur le terrain des images et des médias, Rutelli, étant donné la force de frappe médiatique de Berlusconi, est loin de sortir perdant. Margherita (coalition des petites formations de centre-gauche regroupées autour de sa candidature) obtient des scores plus qu’honorables et fait souvent jeu égal avec le parti des Démocrates de gauche (14,5 % aux élections à la chambre des députés au niveau national et 16,6 % pour les démocraties de gauche – DS). De ce point de vue, c’est peut-être moins la gauche en général qui sort véritablement affaiblie de ces élections que les Démocrates de gauche eux-mêmes, avec à leur tête D’Alema. D’ailleurs, une coalition large incluant Rifondazione Comunista (RC) et la liste Di Pietro aurait sans doute reconduit la gauche au pouvoir. Le manque d’unité, l’hétérogénéité de la coalition et les conflits internes au sein même de la gauche l’ont profondément affaiblie. La droite s’est présentée unie quand la gauche se déchirait. Cela pose inévitablement la question stratégique, et dans ce cas décisive pour l’issue des élections, du rapport des partis sociaux-démocrates avec les formations situées à leur gauche et à l’extrême gauche. Le refus de Rifondazione Comunista de cautionner certaines orientations jugées trop libérales du pôle de l’Olivier a conduit à une division de la gauche qui a favorisé la victoire de Berlusconi. La véritable force de Berlusconi a été d’occuper très tôt une position hégémonique dans la campagne qui lui a permis de fixer le cadre des débats et d’imposer les termes de l’affrontement politique. Fort de sa victoire annoncée par les sondages, il a donné le ton qui a ensuite été subi par la gauche.
4Un autre élément, peu mentionné, relatif à l’intervention armée en Serbie puis au Kosovo a sans doute joué indirectement contre la gauche. En effet, le choix de l’intervention militaire s’est fait sous un gouvernement de gauche qui incarnait pour une part une sensibilité plutôt pacifiste. Cela a donné lieu à des oppositions fortes au sein même de la gauche, étant donné aussi la façon dont le gouvernement a mis le parlement devant le fait accompli en lui demandant de voter alors que les forces armées étaient déjà impliquées. Beaucoup de familles n’ont pas accepté l’implication directe (étant donné aussi la proximité) et l’envoi de jeunes soldats.
5Enfin, de dures critiques avaient été adressées au gouvernement par la gauche suite à l’échec de la commission sur les chambres, censée être le pilier des réformes institutionnelles. Des enquêtes d’opinion [1] ont d’ailleurs montré que les électeurs de gauche étaient plus sensibles à cette question que les électeurs de droite.
6Du côté de Berlusconi, on connaît bien les arguments avancés pour expliquer son succès : modèle de réussite économique, self made man, porteur de la fameuse « entrepreneurialité » italienne, pas identifié aux aspects les plus traditionnels du système politique, vaste empire médiatique au service de la campagne. Tous ces éléments ont joué à des degrés divers dans son succès. On peut s’interroger en revanche sur le faible impact des deux éléments qui pouvaient considérablement discréditer sa candidature : d’une part, le conflit d’intérêt (première fortune d’Italie, quatorzième homme le plus riche du monde) et, d’autre part, les affaires judiciaires en cours dont certaines mettent en évidence ses rapports avec la mafia. L’Italie confirme de ce double point de vue son anomalie si souvent retenue comme une caractéristique de ce pays par ses observateurs. S’il existe parmi les pays démocratiques développés des chefs d’État très proches des milieux économiques (à commencer par les États-Unis avec Bush et ses relations avec les grands groupes pétroliers), aucun n’est directement gouverné par un homme aussi riche, présent dans de nombreux secteurs économiques, de la télévision à la presse en passant par l’immobilier et la production culturelle de masse [2]. On imagine facilement les dangers posés par une situation où, étant donné l’étendue de l’activité économique des groupes contrôlés par Berlusconi, la plupart des décisions du gouvernement concerneront d’une manière ou d’une autre ses intérêts. Si l’incompatibilité des deux positions (le fameux conflit d’intérêts) a été âprement discutée en Italie et à l’étranger (avec des prises de positions de grands journaux européens qui paradoxalement ont peut-être servi Berlusconi), elle n’est jamais apparue comme un obstacle insurmontable à une candidature à la tête de l'Italie.
7Tout aussi inquiétant, et malgré l’affaire Mani pulite et les nombreuses publications [3], les procès en cours concernant directement Berlusconi ou ses proches n’ont pas affaibli sa candidature. Même si les procès terminés n’ont jamais pu déboucher sur une condamnation, les témoignages publiés dans le livre de Veltri et Travaglio sont éloquents sur les rapports de Berlusconi avec la mafia. Difficile là aussi d’imaginer pareille situation dans un autre pays développé, même si partout en Europe les affaires de corruption ont sali la classe politique. Au-delà du cas Berlusconi, cela révèle sans doute plus profondément un grand malaise dans la société italienne quant à son rapport avec la justice et la façon de lutter contre la mafia.
• Changement social et offre politique
8Même si les logiques et les stratégies strictement politiques ont joué un grand rôle dans ces élections, les dynamiques du changement social, vu leur ampleur et leur rapidité au cours de l’après-guerre, n’ont pas été sans effet. Il convient de saisir comment s’agencent et évoluent dans le temps cinq grandes dimensions de la société italienne : marché du travail, émigration/immigration, fécondité, criminalité/insécurité et enfin Mezzogiorno.
9Jusqu’au début des années soixante, les Italiens, surtout du Sud, ont très largement émigré vers d’autres pays plus développés. Le marché du travail du triangle industriel ne pouvait pas absorber l’ensemble de la main-d’œuvre disponible. Il faut attendre le premier miracle économique pour que cette émigration vers l’étranger laisse place à un déplacement massif des méridionaux vers les grandes villes industrielles du Nord. L’immigration n’existe pour ainsi dire pas, la fécondité reste importante et la criminalité et l’insécurité renvoient surtout à la mafia et au crime organisé. Un changement profond va affecter l’Italie des années soixante-dix et se confirmer dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix. La grande industrie du Nord-Ouest va connaître une période de crise, de conflits sociaux et de chômage qui va profiter indirectement aux petites et moyennes entreprises des régions du Nord-Est et du Centre. Les Italiens du Sud ne quittent plus en masse leur région et la fécondité commence à baisser fortement, surtout dans le Nord. Les districts industriels de la troisième Italie recrutent à cette époque essentiellement une main-d’œuvre ouvrière spécialisée, à l’échelle locale et régionale. L’immigration n’est pas encore développée ni nécessaire pour l’économie italienne. C’est au cours des années quatre-vingt et quatre-vingt-dix que les grandes entreprises du Nord-Ouest se restructurent et que l’économie retrouve un second souffle. La main-d’œuvre arrive de plus en plus de l’étranger, même dans certaines régions plus traditionnelles de PME. L’Italie devient alors l’un des principaux pays d’immigration en Europe au moment où sa fécondité atteint les taux les plus bas au monde. Les étrangers s’installent massivement dans les villes et leur visibilité bouscule une société peu préparée à leur accueil. Le thème de l’immigration commence alors à être de plus en plus associé à celui de l’insécurité et de la criminalité. Même si le chômage touche massivement le Sud et plus particulièrement les jeunes, les méridionaux ne migrent plus vers le Nord et prolongent leur séjour chez leurs parents jusqu’à 30-35 ans (66 % des garçons et 44 % des filles de 25-29 ans vivent encore chez leurs parents alors qu’ils ne sont respectivement que 22,5 % et 10,3 en France).
10La chute de la Ligue dans la Nord, la montée en puissance du thème de l’insécurité et de l’immigration, et enfin l’éternelle question méridionale se rattachent à ces dynamiques et mettent en évidence la difficulté de l’offre politique à apporter des réponses à ces changements.
• Une coalition de centre-droit adaptée à la diversité socio-territoriale de l’Italie
11La coalition de la Maison des libertés comprenait trois formations censées attirer chacune des composantes et des sensibilités distinctes de la société italienne. Forza Italia (FI), avec à sa tête Berlusconi, a mis en avant un discours fondé sur la performance économique, la liberté d’entreprendre et la modernisation de l’État. Il s’agissait de gagner les votes de l’Italie entreprenante du Nord, celle des régions urbanisées et des grandes entreprises. Bossi et la Ligue du Nord étaient là pour récupérer les votes des petits et moyens entrepreneurs et plus largement de cette Italie des petites villes et des districts industriels (la Vénétie, le Nord de la Lombardie). Enfin, Alleanza Nazionale (AN), débarrassée des références les plus radicales du fascisme italien, était un allié indispensable pour récupérer l’électorat du Mezzogiorno attaché à l’État et à la redistribution des ressources publiques.
12Cette stratégie s’est révélée gagnante mais a surtout profité à Forza Italia qui consolide son ancrage dans le Nord, en mordant considérablement sur les régions à forte présence de PME. Elle réalise également de bons scores dans le Sud et tout particulièrement en Sicile où le centre-droit récupère la totalité des sièges au sénat comme au parlement. AN remplit son rôle (carte ci-dessous) mais baisse dans toutes les régions comparativement aux scores réalisés en 1996. Elle reste fortement ancrée dans le Sud (un peu plus de 15 % dans les Pouilles et en Calabre) mais ne dépasse pas 8-9 % dans les grandes régions industrielles du Nord. L’alliance avec AN a donc bien fonctionné pour Berlusconi puisqu’elle permet à la coalition de droite d’être bien représentée dans le Mezzogiorno au sénat, tandis que FI consolide sa présence indépendamment d’AN à la chambre des députés.
Vote Alleanza Nationale (Chambre, 2001)

Vote Alleanza Nationale (Chambre, 2001)
• Les limites de la propagande ethnico-régionaliste face à la culture entrepreneuriale
13C’est donc la Ligue qui sort fortement affaiblie de ces élections avec dans certaines régions des scores divisés par deux ou trois (de 32,8 % à 11,2 % dans la région de Venise où avait eu lieu le fameux rassemblement pour la Padanie, voir courbes ci-dessous). Une partie de l’électorat s’est reportée sur Forza Italia qui, dans les mêmes régions, gagne en moyenne dix points (passant par exemple en Vénétie de 18,4 % à près de 30 %). Comment expliquer cette dégringolade la Ligue au profit de FI ?
14Ces régions de petites et moyennes entreprises du Nord-Est connaissent le quasi plein-emploi (3-4 % de taux de chômage), sont très dynamiques sur le plan économique, mais rencontrent depuis quelque temps des problèmes de recrutement de main-d’œuvre. Traditionnellement, ces petites entreprises recrutaient une main-d’œuvre locale spécialisée. Ces ouvriers étaient très appréciés pour leur savoir-faire, parfaitement intégrés à la vie locale par les réseaux familiaux et une forte identité. Leur savoir-faire artisanal a fait le succès des PME italiennes dans les secteurs de l’habillement, du cuir, des meubles, de la céramique et de la petite mécanique. Profitant de l’essoufflement de la grande industrie dans les années soixante et soixante-dix, et du développement de technologies permettant des changements rapides dans la production en petites séries, cette économie des PME en réseaux a été au cœur du second miracle économique italien. Ce succès repose à la fois sur la mobilisation des réseaux familiaux et la revalorisation à des échelles plus larges, grâce aux nouvelles technologies, d’un savoir-faire artisanal made in Italy (design, produits luxe, mode, etc.). Cette économie a donc un besoin crucial d’une main-d’œuvre ouvrière d’un certain niveau, mariant un savoir-faire artisanal et une technicité nécessaire au maniement de machines-outils sophistiquées.

15Face aux vieillissement de cette classe d’ouvriers-artisans et à l’absence de mobilité des jeunes méridionaux, ces entreprises n’ont pas eu d’autres possibilités au cours des dix dernières années que d’embaucher des immigrés. Ce recours à la main-d’œuvre étrangère sera d’autant plus nécessaire dans les prochaines décennies que la fécondité atteint dans ces régions les taux les plus bas d’Europe, et que les jeunes prolongeant leurs études acceptent de moins en moins facilement des emplois d’ouvriers. Face aux vomissements xénophobes et haineux vis-à-vis des étrangers du leader de la Ligue, Umberto Bossi, cette « raison économique » a sans doute conduit une partie de ce monde de la petite entreprise à « modérer » leur position en votant davantage FI. Bossi, en exacerbant les traits les plus ethniques et racistes de la Ligue, dans le cadre de l’alliance avec FI, a perdu une partie de son électorat qui privilégiait auparavant le rôle de la Ligue comme porte-parole de la petite entreprise contre l’État et la fiscalité. De la même façon, l’antiméridionalisme qui constituait une dimension importante du vote pour la Ligue [4] s’est sans doute amoindri et s’est trouvé dilué dans les propos de FI sur l’immigration et la sécurité des villes. FI a donc sûrement profité de ce vote entrepreneurial traditionnel, comme le confirment les enquêtes post-électorales de Ilvio Diamanti [5].
16Cela confirme par ailleurs que la Ligue, en fonction des conjonctures, récupérait des formes très différenciées de mécontentement et qu’il était réducteur de n’en faire que le seul représentant agressif d’un fédéralisme étriqué. Le vote du Nord s’est donc moins nettement concentré sur la Ligue et si FI en récupère la plus grande partie (à peu près la moitié selon plusieurs estimations), une part est allée aussi à Margherita (environ 15 %, surtout dans les régions où se trouvent les maires du centre-gauche), une petite partie a durci sa position en votant pour les différentes Ligues ethno-régionalistes, et d’autres enfin se sont abstenus.
• La montée en puissance du thème de l’insécurité et de la « microcriminalità »
17Si le discours ethnico-régionaliste contre l’immigration n’a pas été payant pour la Ligue, celui de Berlusconi et Forza Italia tourné vers l’insécurité urbaine et la délinquance s’est révélé être d’autant plus payant que, comme en France, la gauche, après avoir été absente sur ce thème, n’a pas su proposer une alternative aux propos alarmistes et sécuritaires de Berlusconi [6]. Ce thème relativement marginal dans les précédentes élections semble avoir joué un rôle décisif cette fois-ci. Il a d’autant mieux fonctionné politiquement que la question de l’insécurité et de la hausse de la criminalité est systématiquement reliée à celle de l’immigration, tant dans l’opinion publique que dans les appareils de contrôle et de répression [7]. Le pays semble réagir par une forte inquiétude au changement rapide d’une situation, au cours des vingt dernières années, qui voit l’Italie, pays traditionnel d’émigration, passé à celui de principal pays d’immigration en Europe. Concentrée dans les villes, et plus particulièrement dans les quartiers centraux, cette présence de plus en plus visible des immigrés favorise l’émergence d’un discours sécuritaire dans un pays qui ne connaissait que l’immigration des Italiens du Sud vers le Nord.
18Berlusconi n’a pas hésité à utiliser le registre du populisme, celui de la défense des biens et des personnes et la nécessité d’une répression accrue vis-à-vis de l’immigration « clandestine » et de la délinquance. D’autres enquêtes montrent que les électeurs relient ce thème à la droite, et lui font davantage confiance pour le traiter. Fait paradoxal, cependant, puisque trois des quatre grandes villes concernées par les élections municipales, Turin, Rome et Naples, ont donné la majorité à la gauche !
19On remarque en revanche que les régions où la perception des risques de criminalité est la plus marquée sont aussi celles où FI obtient ses meilleurs résultats. La criminalité renvoie à des phénomènes différents selon les régions. Dans le Nord, où se concentre l’immigration dans les grandes villes, elle va effectivement être reliée à la présence des étrangers et à l’insécurité urbaine, alors que dans le Sud, zone traditionnelle de présence mafieuse, elle fait davantage référence au crime organisé. La région des Pouilles est dans une situation particulière. Son taux important de perception de la criminalité est sans doute lié à l’arrivée sur ses côtes de la plus grande partie de l’immigration clandestine venant de l’Albanie.
20Seule l’Emilie Romagne échappe à cette corrélation puisque tout en ayant un haut niveau de perception des risques de criminalité, elle ne vote pas majoritairement FI. Cela s’explique très bien par la longue et forte tradition du communisme et maintenant de la gauche dans cette région. Cela tendrait donc à montrer que ce thème a été un élément important du vote en faveur de Berlusconi.
• Existe-t-il encore une Italie rouge ?
21Malgré l’effritement de l’hégémonie communiste puis social-démocrate dans les régions de l’Italie centrale, elles restent nettement plus à gauche que toutes les autres (voir carte ci-dessous). Cet électorat attaché aux valeurs de gauche est cependant moins « fidèle » qu’auparavant et capable de se reporter sur la droite pour exprimer un mécontentement profond ou sanctionner certains comportements politiques. On le voit bien dans le cas de Bologne, capitale de l’Emilie Romagne, qui après avoir sanctionné la gestion PDS de la ville, a donné la majorité à la gauche lors de ces élections.
Votes pour l’Olivier

Votes pour l’Olivier
22La comparaison avec les élections de 1996 montre que les régions les plus typiques de l’Italie rouge (Emilie Romagne et Toscane) obtiennent à peu près les mêmes scores, alors que l’Ombrie et les Marches perdent un peu. Ces élections confirment donc la tendance à l’effritement des sub-cultures politiques, blanche dans le Nord-Est ou rouge dans le Centre. La politique semble moins structurante pour ces sociétés de PME, au profit peut-être du marché, qui tendrait à devenir la principale instance de structuration. La baisse de la fécondité touche aussi directement ces sociétés fondées sur de puissants réseaux familiaux fortement mobilisés dans l’économie de petite entreprise. Avec la réduction des fratries, ce sont aussi les possibilités de connexions avec des entreprises en réseaux qui s’affaiblissent et des ressources familiales traditionnellement injectées dans cette économie qui s’épuisent. L’informel contenu dans les solidarités familiales était un élément essentiel de la flexibilité des entreprises, qui devront sans doute formaliser davantage leur fonctionnement en réseaux tout en restant compétitives.
• L’éternelle question méridionale
23La gauche gagne légèrement dans le Nord et le Nord-Est mais accuse une perte qui lui a été fatale dans le Sud (graphique B). Cela peut être interprété comme une sanction vis-à-vis d’une gauche qui fait de l’intégration européenne sa principale priorité [8] au détriment d’une politique ambitieuse pour le développement du Mezzogiorno. Le Sud est très diversifié du point de vue du développement économique. Si certaines régions, comme la dorsale Adriatique, connaissent des signes de dynamisme, au même titre que des productions ou des services liés à la nouvelle économie commencent à se localiser dans le Sud (Sicile par exemple), beaucoup de régions restent caractérisées par le chômage et l’économie informelle. Le marché du travail est très défavorable aux jeunes qui, tout en étant de plus en plus diplômés, restent de plus en plus longtemps chez leurs parents et ne quittent plus leur région pour obtenir un emploi dans le Nord. Les pères ont recours au double ou triple emploi et assurent l’essentiel du revenu, les autres membres de la famille n’occupant que des emplois secondaires et souvent précaires dans l’économie informelle. Aucun pays en Europe ne connaît de situations sociales aussi contrastées sur le plan territorial. Le Nord est dans une situation de quasi plein-emploi, alors que le chômage est multiplié par quatre dans le Sud. Situation unique en Europe, les différences sont telles que les femmes du Nord sont moins touchées par le chômage que les hommes du Sud. Alors que le chômage des jeunes continue de baisser entre 1993 et 1999 dans le Nord, il continue d’augmenter dans le Sud pour atteindre des taux records pour les jeunes femmes (41,5 % pour les 25-35 ans). Même si le recours à l’économie informelle nous oblige à relativiser ces données qui dans une certaine mesure ne permettent pas de mesurer réellement le participation des jeunes au marché du travail, elles montrent cependant un contraste phénoménal avec le Nord.
24Dans ce contexte, la politique de réduction du déficit public et de contrôle des appels d’offres a eu deux effets dans le Sud. D’une part, de réduire considérablement l’intervention publique dans le secteur du bâtiment, si crucial pour l’économie de cette région et, d’autre part, d’affaiblir l’aide sociale si importante pour le revenu familial des ménages populaires avec enfants. Une partie de l’électorat du Sud se tourne donc vers AN qui incarne l’intervention de l’État dans son rôle d’assistance, alors qu’une autre partie a choisi FI qui a davantage insisté sur un plan de relance pour le Sud (aide à la construction de grandes infrastructures, équipements publics) et qui dans le même temps symbolise plus nettement le dynamisme attendu par les investissements privés. Autrement dit, en accentuant sa politique de rigueur au service de l’intégration européenne, sans donner de perspectives sociales, économiques mais aussi culturelles au Sud, la gauche, bien que perdante, n’a pas affaibli sa position au Nord, alors que paradoxalement, elle voit son image de représentant des intérêts populaires et de soutien aux politiques sociales se fragiliser considérablement dans le Sud, au profit d’une offre populiste de droite. •
Scores (%) de la gauche aux élections sénatoriales. 1996-2001

Scores (%) de la gauche aux élections sénatoriales. 1996-2001
Note : gauche 1996 = Olivier + progressistes ; gauche 2001 = Olivier + Rifondazione Comunista.Taux de chômage des jeunes (15-24 ans et 25-35 ans) par sexe et aire géographique (1993, 1999)

Taux de chômage des jeunes (15-24 ans et 25-35 ans) par sexe et aire géographique (1993, 1999)
Notes
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[1]
G. Sani, « L’opinion publique italienne », intervention à la journée d’études du GREPIC, Paris, 1er juin 2001.
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[2]
Berlusconi est à la tête des quatre plus grandes maisons d’édition italiennes et d’une large partie de la production cinématographique. Il est donc en mesure d’agir fortement sur les marchés culturels.
-
[3]
Dans leur livre, L’odore dei soldi (L’odeur de l’argent), Editori riuniti, 2001, Elio Veltri et Marco Travaglio ne recensent pas moins de quatorze affaires concernant Berlusconi, allant de la corruption de magistrats et de fonctionnaires, aux financements illégaux de campagnes électorales ou de partis politiques, à la fraude fiscale de grande envergure, en passant par des délits d’associations mafieuses. Deux personnages de son entourage immédiat (des « collaborateurs », des « conseillers »), Marcello dell’Utri et Vittorio Mangano, sont, comme on dit en italien, in odore di mafia.
-
[4]
I. Diamanti, La Lega, Donzelli, 1993.
-
[5]
I. Diamanti, « La victoire du centre-droit », intervention à la journée d’études du GREPIC, Paris, 1er juin 2001.
-
[6]
A. Dal Lago, Non-persone, l’esclusione dei migranti in una società globale, Feltrinelli, 1999, montre même que l’équation immigration/criminalité a autant fonctionné à gauche qu’à droite.
-
[7]
Voir F. Quassoli, « La citoyenneté niée : les politiques d’immigration récentes en Italie », Mouvements, n°12, novembre-décembre 2000, pp.122-128 ; M. Barbagli, Immigrazione e criminalità, Il Mulino, 2000.
-
[8]
M. Oberti, « L’Italie et l’Europe : ressources et contraintes du gouvernement D’Alema », Mouvements, n°2, janvier-février 1999, pp.119-123.