Dans un monde ravagé par des crises multiples et entremêlées, des
inégalités rampantes et la montée des autoritarismes et extrémismes
politiques et religieux, le militantisme féministe se poursuit sans relâche.
Ancrées dans des alliances transnationales et profitant des outils numériques,
certaines de ces mobilisations sont fortement médiatisées (Nazneen and
Okech, 2021). D’autres mobilisations relèvent davantage d’un féminisme du
quotidien, agissant à bas bruit, ancré dans des territoires de vie et visant à
régler les problèmes « ici et maintenant » (Nazneen & Okech, 2021 ;
Verschuur et al., 2021).
À partir de recherches de terrains menées en Inde du Sud, cet article explore
une facette spécifique de ces mobilisations de l’ombre : alors même que les
revendications féministes peinent à être entendues et que le patriarcat étatique
se renforce plus qu’il ne décline, de nombreuses femmes de milieux
populaires, individuellement et collectivement, dédient une partie importante
de leur temps et de leurs compétences à faire en sorte que l’État fonctionne.
En obligeant l’État à octroyer des droits et à garantir l’existence de biens
publics et communs, les femmes assument en quelque sorte sa redevabilité,
c’est-à-dire le fait de « rendre des comptes » à la population. Dans le
prolongement de l’ethnographie de l’une d’entre nous menée dans un quartier
réhabilité de Bangalore, nous proposons de qualifier ce type d’activités de
« travail du politique » (Haritas, 2021). Nous suggérons le terme de « travail »
car il s’agit d’activités chronophages, répétitives, requérant des compétences
spécifiques et permettant de produire de la valeur matérielle…