CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 L’Afrique connaîtra dans les décennies à venir une croissance démographique spectaculaire. Alors que sa population totale est estimée à près de 1,17 milliards d’habitants en 2015, elle devrait pratiquement doubler en 35 ans et atteindre près de 2,4 milliards en 2050 (UN, 2013 ; scénario médian), abritant alors un humain sur quatre (contre moins d’un sur six aujourd’hui). Cette forte croissance démographique globale sera concomitante de modifications notables dans la structure par âge de la population du continent. Dans le cadre des réflexions sur les stratégies de développement à mettre en œuvre ou à poursuivre, l’accent est souvent mis sur l’importance des jeunes dans la population africaine actuelle et à venir. Cela se justifie pleinement lorsque l’on considère que les moins de 15 ans et les 15-24 ans représentent aujourd’hui respectivement 40,6 % et 19,4 % de la population africaine et en représenteront encore 32,2 % et 18,3 % en 2050, selon le scenario médian des Nations Unies. En termes d’effectifs, les moins de 15 ans verront leur nombre augmenter de 50 %, passant de 474 millions à 711 millions de personnes, et les 15-24 ans de plus de 90 %, de 226 à près de 437 millions. La configuration démographique actuelle et les évolutions à venir rendent incontournable la recherche d’investissements adaptés permettant d’accroître les opportunités offertes aux jeunes (UNFPA, 2014 ; UNICEF, 2014). Toutefois, un autre défi démographique se profile pour ce continent : le vieillissement de sa population.

2 La part relative des aînés, entendus ici comme l’ensemble des personnes de 60 ans et plus, devrait passer de 5,5 % en 2015 à 8,9 % en 2050 [4] et ainsi rester globalement faible en comparaison des autres régions du monde. Derrière ces chiffres relatifs se profile une forte gérontocroissance : le nombre de personnes de 60 ans et plus devrait plus que tripler en 35 ans, passant de 63,8 millions d’individus en 2015 à 211,8 en 2050 (soit une augmentation de plus de 230 %). Quant aux grands aînés, âgés de 80 ans et plus, leur nombre devrait presque quadrupler, passant de 5,3 millions d’individus en 2015 à 20,4 millions en 2050 (soit une augmentation de 285 %).

3 Des travaux de recherche montrent depuis quelques années les limites des solidarités familiales face aux besoins de personnes âgées dans des contextes particuliers de vulnérabilité, comme l’épidémie de sida (Knodel et al., 2003) ou l’urbanisation rapide (Aboderin, 2006). Les familles africaines, ainsi que les États, doivent gérer les besoins de leurs aînés en même temps que ceux de leurs enfants et de leurs jeunes (Golaz, 2013). Face à l’ampleur des changements démographiques à venir, il serait illusoire de penser que les solidarités familiales seront en mesure de mieux faire face aux besoins de leurs personnes âgées, si elles ne sont pas secondées par des politiques sociales efficaces (Sajoux et Lecestre-Rollier, 2015 ; Sajoux et Amar, 2015).

4 C’est dans ce contexte que nous dressons un aperçu de la diversité des situations dans lesquelles se trouvent, et se trouveront dans quelques années, les personnes âgées sur le continent africain. Notre objectif est d’esquisser, à partir des données générales disponibles, des axes d’interrogations communs, tout en soulignant la diversité des contextes et des initiatives mises en place. L’utilisation de données standardisées est un choix délibéré, du fait des difficultés que pose pour de nombreux pays du continent la comparaison des données nationales, lorsqu’elles existent. Les données de population des Nations Unies et l’indice de développement humain (IDH) mobilisés dans cet article ont des limites bien connues. Ainsi l’IDH repose sur un choix particulier et limité d’indicateurs. Sa composante monétaire est construite depuis 2010 à partir du revenu national brut par habitant en parité de pouvoir d’achat, or la validité des mesures du revenu national brut est fortement contestée (Jerven, 2013). Quant aux projections de population à l’horizon 2050, même dans le scénario médian, elles reposent sur des estimations de la situation actuelle et sur de nombreuses hypothèses supplémentaires et sont susceptibles d’être révisées (Schoumaker, 2000). De plus, la structure par âge, sur laquelle nous devons nous reposer pour estimer la part des âgés et des très âgés dans la population, est sensible aux problèmes de déclaration d’âge, fréquents en Afrique, et connaît donc elle aussi des marges d’erreur relativement importantes (Randall et al., 2015). Le choix de données internationales standardisées est donc ici un choix contraint qui ne permet pas une analyse approfondie de la situation de chaque pays, mais nous permet néanmoins d’atteindre nos objectifs, en abordant les différences existantes, les ordres de grandeur et les différentiels probables d’évolution. Après une analyse de la situation économique et démographique des pays et des régions du continent, nous aborderons les systèmes de protection sociale existants et en cours de développement.

1. UN CONTINENT AUX RÉALITES ÉCONOMIQUES ET DÉMOGRAPHIQUES CONTRASTÉES

1.1 Des réalités économiques fortement différenciées

5 Il est difficile de rendre compte de manière brève de la diversité des réalités économiques africaines car, comme l’indique Hugon (2013, 5) « Comment présenter l'essentiel alors que, même si on se limite à l'Afrique subsaharienne, le sous-continent est une terre de contrastes ? Il faudrait écrire au pluriel : les économies des Afriques. » Tout en ayant conscience des limites de l’indice de développement humain (IDH) développé par le Programme de Nations Unies pour le développement (PNUD), nous nous baserons sur cet indicateur pour évoquer le caractère contrasté des réalités socio-économiques africaines. L’IDH constitue, en effet, une mesure globale des progrès réalisés dans trois dimensions essentielles de la vie humaine : la santé, l’éducation et le niveau de vie. Elle est établie à partir de quatre indicateurs statistiques : espérance de vie à la naissance, taux d’alphabétisation, taux brut de scolarisation et revenu national brut par habitant en parité de pouvoir d’achat [5]. Parmi ses limites, l'IDH ne reflète pas les inégalités au sein d’un pays ni la pauvreté non monétaire [6]. Toutefois, il nous permet de donner un aperçu de la disparité des situations socio-économiques en Afrique (PNUD, 2014). Sur le continent africain, l’IDH varie de 0,337 au Niger (dernier pays du classement mondial) à 0,784 en Lybie (ceci étant essentiellement dû à la composante revenu par habitant). Faisant partie des pays dit « à développement humain élevé », la Libye est classée au 55ème rang mondial [7], suivie par Maurice, les Seychelles, la Tunisie et l’Algérie. Viennent ensuite les 12 pays africains considérés « à développement humain moyen » au premier rang desquels figure le Botswana (109ème rang, IDH de 0,683). Dans ce groupe se trouvent également l’Afrique du Sud, le Maroc et la Guinée équatoriale. Puis 35 pays africains font partie des pays « à développement humain faible ». En ne considérant que la composante monétaire de l’IDH, les écarts s’avèrent conséquents : le revenu national brut par habitant en parité de pouvoir d’achat est de 21 666 $ pour la Libye, et seulement de 444 $ pour la République démocratique du Congo (le plus faible de l’ensemble des pays classés).

1.2 Derrière une population globalement jeune, des situations régionales et nationales aux disparités marquées

6 Selon les estimations des Nations Unies (UN, 2013), en 2015, c’est l’Afrique centrale qui apparaît la plus jeune avec 44,6 % de sa population âgée de moins de 15 ans et l’Afrique australe la moins jeune avec seulement 30 % de sa population âgée de moins de 15 ans. Les différences sont encore plus fortes entre pays : les moins de 15 ans représentent 23,2 % de la population en Tunisie contre 50,1 % au Niger. C’est dans ce pays que l’âge médian est le plus bas en 2015 : 15 ans seulement. Et c’est en Tunisie, à l’île de La Réunion, aux Seychelles et à l’île Maurice qu’il est le plus élevé, au-dessus de 31 ans. Ces forts contrastes reflètent des situations opposées en termes d’avancée dans le processus de transition démographique : alors que sur la période 2010-2015, l’indice synthétique de fécondité s’établit à 2 enfants par femme en Tunisie (contre 6,7 en 1950-1955), il s’élève à 7,6 enfants par femme au Niger (contre 6,9 en 1959-1955 et 7,5 en 1970-1975).

7 L’hétérogénéité des importances relatives des différentes tranches d’âge s’explique aussi par des situations contrastées en matière d’espérance de vie. La forte augmentation de l’espérance de vie à la naissance au cours du dernier demi-siècle témoigne du recul de la mortalité sur le continent. Elle est passée de 37,4 ans sur la période 1950-1955 à 55,6 ans sur la période 2005-2010 ; elle est estimée à 58,2 ans sur la période 2010-2015. Néanmoins, ces évolutions se sont déclinées de manière différenciée suivant les pays, avec des niveaux de mortalité dans l’enfance et à l’âge adulte qui demeurent élevés dans certains pays, nombreux en Afrique centrale et de l’Ouest. Le Sierra Leone est ainsi le pays présentant l’espérance de vie à la naissance la plus basse, estimée à 45,3 ans sur la période 2010-2015. Elle est de plus de trente ans plus élevée dans quelques pays comme en Tunisie, où elle s’établit à 75,8 ans. L’augmentation de l’espérance de vie à 60 ans traduit, quant à elle, le fait que la période de « vieillesse » s’allonge : pour l’ensemble du continent elle est passée de 12,5 ans sur la période 1950-1955 à 16,4 ans sur la période 2010-2015 et devrait atteindre 18,9 ans en 2045-2050. Les disparités entre pays restent, pour l’heure, très marquées : pour la période 2010-2015, l’espérance vie à 60 ans est estimée à 12,5 ans au Sierra Leone et à 20,2 ans en Tunisie.

1.3 Réalités et ampleur de la forte gérontocroissance à venir

8 D’ici 2050, l’hétérogénéité démographique de l’Afrique ira en s’accroissant, dans la mesure où les parts relatives des plus jeunes seront toujours assez différenciées, tout en se situant à des niveaux nettement plus bas qu’aujourd’hui, et où les parts relatives des plus âgés s’échelonneront sur un éventail particulièrement large. Au niveau des grandes régions, la population d’Afrique septentrionale devrait alors compter 17,3 % de plus de soixante ans, suivie par l’Afrique australe (14,9 %). Pour les trois autres régions, ces parts relatives devraient être inférieures à 8,5 % : 8,2 % pour l’Afrique orientale et seulement 6,9 et 6,4 %, respectivement pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale. En prenant en compte les différences nationales, d’importants contrastes apparaissent une fois de plus : le Niger devrait compter en 2050 seulement 4 % de personnes de plus de 60 ans, alors que la Tunisie devrait en compter – en termes relatifs – sept fois et demie plus, soit 30,1 % ; l’âge médian de chacun de ces pays devrait alors s’élever respectivement à 17,5 et 43,4 ans. Entre ces deux situations extrêmes, se situeront, par exemple, le Burkina Faso et le Sénégal (6,8 et 7,6 %), le Gabon (10,3 %), le Botswana (12,6 %), l’Afrique du Sud (15,6 %) et le Maroc (21 %).

Figure 1

Parts relatives et effectifs de personnes âgées en 2015 en Afrique

figure im1

Parts relatives et effectifs de personnes âgées en 2015 en Afrique

9 Au-delà de cette hétérogénéité démographique croissante, il est important de noter que, même si l’on peut s’attendre dans la grande majorité des pays africains d’être encore au-dessous de la barre des 12 % de personnes âgées en 2050, la question du vieillissement de la population africaine se pose car le nombre de personnes âgées et très âgées devrait fortement augmenter dans les 35 prochaines années (figures 1 et 2). Le Burkina Faso devrait connaître un quadruplement de sa population âgée de 60 ans et plus (passant de 0,7 million à près de 2,8 millions) et plus encore pour sa population âgée de 80 ans et plus. Le Sénégal verrait sa population de plus de 60 ans multipliée par 3,7 (passant de 0,68 à 2,5 millions) et celle de plus de 80 ans multipliée par 3,2. La population de plus de 60 ans du Maroc serait multipliée par 3,2 (passant de 2,8 à 9 millions de personnes) et celle de plus de 80 ans multipliée par 4,3 (passant de 0,3 million à près de 1,3 millions) (tableau 1 [8]).

Tableau 1

Gérontocroissance dans différents pays d’Afrique, 2015-2050 [*]

60 ans et plus (en milliers) [**] 80 ans et plus (en milliers) [**]
Pays 2015
(1)
2050
(2)
coefficient multiplicateur des effectifs 2015-2050 (2)/ (1) 2015
(3)
2050
(4)
coefficient multiplicateur des effectifs 2015-2050 (4)/ (3)
Burkina Faso 691
(3,9 %)
2 764
(6,8 %)
4,0 40
(0,2 %)
170
(0,4 %)
4,3
Sénégal 676
(4,5 %)
2 517
(7,6 %)
3,7 50
(0,3 %)
162
(0,5 %)
3,2
Maroc 2 848
(8,4 %)
9 012
(21 %)
3,2 299
(0,9 %)
1 285
(3 %)
4,3
Gabon 128
(7,2 %)
350
(10,3 %)
2,7 12
(0,9 %)
27
(1 %)
2,3
Botswana 126
(6,2 %)
341
(12,6 %)
2,7 16
(0,6 %)
34
(1 %)
2,1
Afrique du Sud 4 735
(8,9 %)
9 881
(15,6 %)
2,1 494
(0,9 %)
1 297
(2 %)
2,6
figure im2
[*] La précision des données mentionnées ne doit pas occulter le fait que les projections de population à l’horizon 2050 reposent sur un certain nombre d’hypothèses et sont susceptibles d’être révisées.
[**] Les pourcentages indiqués entre parenthèses indiquent la part relative de chacune des tranches d’âges dans la population totale.

Gérontocroissance dans différents pays d’Afrique, 2015-2050 [*]

Estimations et projections (UN, 2013). Scénario médian.
Figure 2

Parts relatives et effectifs de personnes âgées en 2050 en Afrique

figure im3

Parts relatives et effectifs de personnes âgées en 2050 en Afrique

10 Le défi est donc double pour les pays d’Afrique : répondre aux besoins de générations de jeunes toujours (très) nombreuses – en matière d’éducation, de santé et d’insertion professionnelle – et se préparer, dans un délai bien plus court que celui dont ont disposé les pays du Nord, à répondre aux besoins d’aînés dont le nombre va croître de manière spectaculaire en moins de quatre décennies.

11 Quelques précurseurs s’étaient interrogés il y a plus de vingt ans déjà sur les enjeux liés au vieillissement de la population en Afrique. C’est notamment le cas de Kouamé qui écrivait dès 1990 « Ainsi, même si à l’heure actuelle le processus du vieillissement n’est pas encore amorcé en Afrique, les tendances observées traduisent le fait que de plus en plus de personnes y vivent à un âge très avancé dans les familles. Le problème du vieillissement ne devrait donc pas être perçu uniquement sous l’angle de la restructuration par âge. Il serait tout aussi important de le percevoir du point de vue de l’accroissement des effectifs des personnes âgées. Cette reformulation doit aussi tenir compte des bouleversements dans les structures familiales et les systèmes de valeurs et de la paupérisation croissante (Sokolovsky, 1982) » (Kouamé, 1990, 3-4). Analysant les spécificités des besoins des personnes âgées en matière de santé, Kâ (1991, 169) écrivait, pour sa part, « En Afrique, la dimension des problèmes de géronto-gériatrie augmentera avec l’allongement de l’espérance de vie et l’augmentation des maladies cancéreuses et dégénératives ». Parmi les éléments de conclusion de son étude, il mentionnait « Dans l’ensemble, la solidarité entre les générations est encore efficace : la personne âgée continuera pour quelque temps encore à bénéficier du soutien de nombreux membres de sa famille et de sa communauté élargie. Mais l’urbanisation, les difficultés économiques et écologiques seront un frein » (Ibid., 182). Plus de deux décennies plus tard, bien que « la plupart des États africains commencent à s’intéresser à la prise en charge des personnes âgées », leur vulnérabilité semble être toujours insuffisamment prise en compte dans les politiques mises en œuvre (Berthé et al., 2013, 369). Ces auteurs indiquent notamment que des plans d’action de protection, de promotion ou de soins des personnes âgées, s’inspirant des recommandations de la deuxième assemblée mondiale sur le vieillissement tenue à Madrid en 2002, ont été conçus dans plusieurs pays, comme, par exemple, en Afrique du Sud, au Bénin, au Burkina Faso, au Cameroun, au Mali, au Nigeria et au Sénégal.

12 Pourtant, les besoins des aînés présentent des spécificités fortes, particulièrement en matière de santé (Kâ et Ba, 2014, 12-14), dans la mesure où les personnes âgées sont confrontées à la coexistence de pathologies aiguës et de pathologies chroniques, leur particularité étant d’être fréquemment polypathologiques, tout en étant exposées à une forte vulnérabilité nutritionnelle. Cette dernière est le plus souvent peu prise en compte dans les programmes portant sur la santé et la nutrition qui sont principalement orientés vers la lutte contre la malnutrition des enfants et des femmes enceintes. Les besoins des aînés en matière de santé apparaissent également à travers les difficultés croissantes, voire l’incapacité, à réaliser pleinement et de façon autonome des activités de la vie quotidienne telles que se laver, s’habiller, manger, etc. La perte d’autonomie, caractérisée par la prévalence d’une ou plusieurs incapacités, augmente fortement avec l’avancée en âge (Fassi-Fihri, 2011), révélant de ce fait des besoins accrus en matière d’aide pour réaliser des actes de la vie quotidienne, en particulier aux « très grands âges » (80 ans et plus). Compte tenu de la rapidité de la croissance à venir des effectifs de cette tranche d’âge, l’hétérogénéité de la « population âgée », et tout particulièrement la distinction entre « jeunes aînés » et « grands aînés », devra être intégrée dans toute réflexion visant à développer des réponses adaptées aux besoins des personnes âgées en matière de santé.

13 S’orienter vers la recherche de réponses appropriées aux besoins accrus du grand âge, tout en ayant à répondre à ceux – multiples eux aussi – des générations montantes, n’est pas chose aisée. Bien que souvent confrontés à des situations économiques et sociales difficiles, de même qu’à de fortes contraintes liées à la jeunesse de leur population, les pays d’Afrique se sont pour beaucoup engagés dans l’élaboration de politiques et de dispositifs visant à améliorer leurs systèmes de protection sociale, entre autres dans les volets destinés à la protection des aînés. Les mécanismes de protection sociale à l’œuvre sur le continent présentent une grande diversité qui, selon l’AISS (2015, 1), « ouvre la voie à la mise en œuvre de politiques et pratiques innovantes « conçues par et pour l’Afrique », ce qui est une perspective encourageante pour un continent qui cherche à améliorer la sécurité sociale d’une population en expansion. »

2. PROTECTION SOCIALE ET VIEILLESSE EN AFRIQUE

2.1 Traits généraux

14 Témoignant du soutien politique accordé aux projets d’extension des systèmes de protection sociale sur le continent, l’adoption de divers accords régionaux et panafricains a jalonné la dernière décennie. Parmi ces accords figurent la Déclaration de Pretoria sur les droits économiques, sociaux et culturels en Afrique, adoptée en 2004, dans laquelle les participants affirment notamment (point 10) : « Les droits sociaux, économiques et culturels explicitement prévus par la Charte africaine, lus en parallèle avec les autres droits contenus dans la Charte, tels que le droit à la vie et le respect de la dignité inhérente à la personne humaine, impliquent la reconnaissance des autres droits économiques et sociaux, y compris le droit à l'abri, le droit à l’alimentation de base et le droit à la sécurité sociale. » [9] En 2008 a été adopté le Cadre de politique sociale pour l’Afrique de l’Union africaine (UA), dans lequel il est mentionné : « Les États membres de l’UA ont noté que la protection sociale a des impacts positifs multiples sur les économies nationales et est essentielle pour créer le capital humain, rompre le cycle de pauvreté intergénération et réduire les inégalités croissantes qui handicapent le développement économique et social de l’Afrique. » (UA, 2008, 19). En 2010 a été adoptée la Déclaration tripartite de Yaoundé sur la mise en œuvre du socle de protection sociale [10]. Simultanément, s’affirme de plus en plus la vision selon laquelle la protection sociale ne constitue pas un coût mais un investissement social et représente notamment un instrument d’accélération des progrès vers la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) en Afrique (PNUD, 2011, 109- 136) [11]. En 2012, l’adoption de la recommandation no 202 de l’Organisation internationale du travail (OIT) portant sur les socles de protection sociale [12] est venue renforcer le soutien politique accordé à l’extension et au renforcement de la protection sociale. Cette recommandation appelle, entre autres, à garantir un revenu de base à toutes les personnes âgées, et, en priorité, à celles se trouvant dans le besoin et non couvertes par les dispositifs existants (ILO, 2014, 79).

15 La dernière décennie est donc marquée par un changement de paradigme concernant l’importance à donner au développement de dispositifs de protection sociale, en général, et à ceux s’adressant aux personnes âgées, en particulier. La protection sociale est désormais considérée en tant qu’une condition du développement économique et social et non plus comme une de ses retombées, et le soutien aux personnes âgées est considéré dans ce cadre à la fois nécessaire, en raison de leurs effectifs croissants, et utile car apportant plus globalement un soutien à l’ensemble des ménages. Ce changement de paradigme est en grande partie porté par les organismes internationaux (OMS, PNUD, OIT) et relayé par les instances panafricaines. Cette évolution se retrouve aussi exprimée au niveau national dans un certain nombre de pays (Delcourt, 2009) : plan Sésame au Sénégal (Mbacké Leye et al., 2013), retraite dite universelle en Afrique du Sud (Scodellaro, 2010), … Un des enjeux des décennies à venir portera sur la capacité des différents pays à s’approprier ces discours programmatiques, et à trouver les ressources nécessaires, économiques et politiques, pour mettre en œuvre ces dispositifs de protection sociale de manière adaptée à leur situation.

16 Pour l’heure, la part des personnes âgées percevant une pension en Afrique est relativement faible : elle est estimée à 21,5 % pour l’ensemble du continent (ILO, 2014, 273). Elle s’établit seulement à 16,9 % en Afrique subsaharienne et à 36,7 % en Afrique du Nord, contre 47 % dans la région Asie et Pacifique, 56,1 % en Amérique latine et aux Caraïbes, et plus de 90 % en Amérique du Nord et en Europe. Néanmoins, même si seule une personne âgée sur cinq bénéficie d’une pension en Afrique, la situation est loin d’être homogène sur l’ensemble du continent et les avancées réalisées au cours de la dernière décennie ont été importantes, tout en étant diverses au regard des mécanismes mis en œuvre.

2.2 Couverture du risque vieillesse : derrière un déficit global, une pluralité de modèles

17 Les systèmes de retraite présents sur le continent africain ont souvent été initiés au cours de périodes de colonisation européenne et lorsque c’est le cas, ils s’inspirent de ces modèles. Ils diffèrent tout d’abord par la période à laquelle a été promulguée la première loi les concernant (ILO, 2014, 237-240). La plus ancienne a vu le jour en Afrique du Sud en 1928. De nombreux pays ont adopté leur première loi en la matière dans les années 1950 et 1960 : Maurice en 1950, la Guinée en 1958, le Maroc en 1959, la Tanzanie en 1964. Ensuite ce sont, par exemple, le Libéria (1972) et le Sénégal (1975). Les premières lois les plus récemment apparues datent des années 2000 : cas du Lesotho (2004) ou du Malawi (2011). Selon l’ancienneté et la sphère d’influence, ces systèmes de retraite sont fondés sur différents modèles : assurance sociale, régimes non contributifs, dispositifs par capitalisation (pouvant être gérés par des organismes privés mais aussi, parfois, par les autorités publiques). Le principe de l’assurance sociale, dans lequel les pensions de retraite sont contributives, constitue le fondement de la grande majorité des systèmes de retraite actuellement en vigueur sur le continent. Ce type de système ne concerne, par essence, que les travailleurs dûment déclarés et affiliés à un organisme de sécurité sociale, sur le modèle des systèmes de retraite d’Europe continentale. Il concerne donc une fraction de la population limitée, celle qui a occupé un emploi formel et déclaré, soit le plus souvent les fonctionnaires et les salariés des grandes entreprises, population principalement masculine et urbaine. Le taux de couverture effective de la population active par un dispositif de pension de vieillesse s’établit ainsi à seulement 5,9 % de la population active en Afrique subsaharienne et à 23,9 % en Afrique du Nord (AISS, 2015). Ces systèmes de retraite excluent les travailleurs informels qui constituent une part importante de la population active [13], et qui, de fait, demeurent en activité jusqu’à des âges avancés [14]. D’autres modèles sont présents, coexistant parfois avec des systèmes reposant sur l’assurance sociale.

18 L’Observatoire des retraites (2013, 29-39) met en relief l’existence de « deux Afriques de la retraite ». D’une part, l’Afrique francophone ayant opté pour un modèle d’inspiration bismarckienne fondé sur la notion d’assurance sociale, les pensions de retraites étant contributives (Briaud, à paraître) ; dans ces régimes, existent, en général, en plus des pensions de droit direct des prestations accordées aux survivants et qui permettent, en cas de décès du titulaire des droits directs, le versement de pensions aux veuves et aux orphelins.

19 D’autre part, l’Afrique anglophone, plus diverse, caractérisée à l’origine par l’usage de la capitalisation, notamment dans le cadre de fonds régulés par des organismes publics, dits « fonds de prévoyance », qui a évolué vers des situations nationales très diversifiées. Partant de seuls fonds de prévoyance, la plupart des pays ont évolué vers le modèle bismarckien, avec éventuellement des mécanismes d’assistance pour les personnes âgées les plus pauvres (Observatoire des retraites, 2013, 34-35). En 1994, le Nigéria avait transformé son fonds national de prévoyance par capitalisation en régime bismarckien, puis, en 2005, il a adopté le modèle « chilien » [15] de comptes individuels en capitalisation. En 2011, le Malawi a adopté une loi visant à instaurer un système de comptes individuels obligatoires.

20 Autre tendance, au sein des pays d’Afrique anglophone, certains se sont orientés vers une couverture universelle de leurs populations âgées. Certains ont opté, en plus des systèmes déjà en place, pour des systèmes non contributifs d’inspiration « beveridgienne », leur régime national respectif versant une pension forfaitaire sous condition de résidence. C’est le cas du Botswana, du Lesotho, de Maurice, de la Namibie et des Seychelles [16]. En Afrique de l’Est, le Kenya, puis l’Ouganda, mettent en place des systèmes de pensions universelles non contributives, dans le cadre de programmes d’aide sociale plus larges, à l’égard de différentes catégories de personnes considérées vulnérables. D’autres pays ont opté pour le versement, sous condition de ressources, d’une pension minimum : « En Afrique du Sud, elle complète les nombreux fonds de pension pour les salariés du secteur privé, au Libéria, elle complète un régime bismarckien, au Swaziland, elle complète un fonds de prévoyance » (Observatoire des retraites, 2013, 35). Parmi les pays d’Afrique lusophone, le Cap-Vert a également instauré un système de pension minimum non contributive, depuis 2007, qui complète le système d’assurance sociale existant. Ce dispositif s’adresse aux personnes âgées de 60 ans et plus, résidant au Cap-Vert, non déjà couvertes par un régime de protection sociale et dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté défini par l’institut de statistique cap-verdien. En 2014, il était perçu par 46 % de la population de 60 ans et plus (ainsi, aujourd’hui, globalement 90 % de la population des personnes âgées reçoit une pension, contributive ou non contributive) (ILO, 2015).

21 Si de nombreux pays s’orientent vers un système de pensions universelles, les montants accordés varient énormément d’un pays à l’autre et l’âge minimum requis pour y prétendre varie lui aussi, ce qui donne un sens différent à ces systèmes : dans certains cas, la pension permet véritablement d’assurer un certain niveau de vie à la personne âgée, dans d’autres, la somme reste fort modique et vient juste couvrir quelques besoins de base ou apporter un petit complément au revenu du ménage. Derrière ce développement des pensions dites universelles existe donc une diversité de situations. Au Botswana, cette pension, nommée Old-Age Pension, est versée à partir de 65 ans et équivaut à 27 $ (59,1$ ppa [17] 2013), soit 5 % du salaire moyen. Au Lesotho, le montant de la Old-Age Pension est de 54,8 $ (90 $ ppa 2012), soit 41,1 % du salaire moyen ; elle est, par contre, versée à partir de 70 ans. En Afrique du Sud, elle se nomme Old-Age Grant ; elle est versée à partir de 60 ans et son montant est de 130,9 $ (220,4 $ ppa 2013), soit 10,1 % du salaire moyen. Cependant, cette moyenne est à relativiser car dans un pays où prévalent des inégalités de revenu particulièrement fortes comme l’Afrique du Sud, ce montant représente bien plus. Cette pension est largement versée en raison d'un plafond de ressources assez élevé et de fortes concentrations des revenus et d'inégalités héritées de la période de l'apartheid. Elle était perçue à la fin des années 2000 par 80 % des personnes de 60 ans et plus (des femmes dans trois quarts des cas), et joue un rôle important dans les revenus des ménages les plus pauvres. La plupart des bénéficiaires touchent, en effet, la somme maximale et dans le premier quintile de revenus, cette pension représente la moitié des revenus globaux du ménage (Scodellaro, 2010).

22 À l’île Maurice, le montant de la Basic Retirement Pension était de 3 146 roupies mauriciennes (Rs) en 2011 soit 109,6 $ (185,3 $ ppa 2011), soit 15,7 % du salaire moyen ; elle est versée à partir de 60 ans (ILO, 2014, 261-267). Introduite dès 1950, cette pension constitue l’un des plus anciens systèmes de pension universelle et fait partie des modèles en la matière. Elle présente, en outre, la particularité d’avoir un montant qui augmente nettement au-delà de 90 ans. En décembre 2014, des hausses importantes ont été annoncées [18]. Pour les bénéficiaires âgés de 60 à 89 ans, le montant de la pension devait passer de 3 623 à 5 000 Rs [19]. Au Cap-Vert, la pension de retraite sociale non contributive était en 2014 d’environ 65 $ (5 000 escudos), montant fixé de manière réfléchie : il est juste inférieur au minimum garanti de la pension contributive, afin d’éviter les effets désincitatifs à cotiser au système d’assurance sociale, mais il est supérieur de 20 % au seuil de pauvreté.

23 La diversité de ces dispositifs, et des principes qui les sous-tendent, expliquent, pour partie, les différences que l’on peut aujourd’hui observer en termes de proportion de personnes âgées percevant une pension : cette proportion varie de 0,9 % en Sierra Leone à 100 % à Maurice, au Botswana et au Lesotho (ILO, 2014) (figure 3). Les six pays dans lesquels cette proportion est supérieure à 90 % sont des pays où des systèmes de pensions universels ont été instaurés [20]. Cinq autres pays [21] présentent des proportions comprises entre 35 et 70 %. Il s’agit de deux îles d’Afrique lusophone où se développe un programme d’extension de la couverture sociale et des trois pays du Maghreb pour lesquels on peut observer de fortes variations : alors qu’en Tunisie et en Algérie, la part de la population âgée percevant une pension est respectivement de 68,8 et 63,6 %, elle ne s’élève qu’à 39,8 % au Maroc. Ces différences s’expliquent, en partie, par l’importance relative des emplois informels dans chacun de ces pays, ces emplois étant, en outre, très répandus dans le secteur agricole. Or, ce dernier a une importance particulièrement grande au Maroc, dans la mesure où il emploie environ 40 % de la population active au niveau national [22] et près de 75 % en milieu rural [23], où réside 39,7 % de la population marocaine en 2014 [24]).

24 Globalement, les taux de couverture de la population âgée en matière de pension ont augmenté au cours de la dernière décennie (figure 3). Pour la majorité des pays africains, cette augmentation a été inférieure à 5 points. Dans 8 pays ce taux a augmenté de 5 à 10 points (Bénin, Maroc, …). Des augmentations plus fortes correspondent à des réformes importantes, systémiques et liées aux critères d’ouverture des droits. Dans 5 pays (dont le Cap-Vert et le Sénégal), ce taux a augmenté de 10 à 15 points. Parmi les pays ayant connu les plus fortes hausses figure l’Afrique du Sud, avec une augmentation de 26,4 points entre 2000 et 2010-2012. En Tunisie, la proportion de personnes âgées bénéficiant d’une pension est passée de 33,9 à 68,8 %, soit une augmentation de près de 35 points. Cette progression résulte d’une amélioration de la couverture des travailleurs indépendants, des travailleurs domestiques, des fermiers, des pêcheurs et d’autres groupes de personnes à faibles revenus entamée en 2002 (ILO, 2014, 87). Au Lesotho, le régime de pension vieillesse créé en 2004 permet aujourd’hui à toute personne de plus de 70 ans de percevoir une pension, alors que seuls 8,4 % d’entre elles en percevaient une en 2000. Au Swaziland, la création, en 2005, d’un minimum vieillesse versé à partir de 60 ans a permis de faire passer le taux de couverture des personnes âgées de 1,8 % en 2000 à 96,3 % en 2010, soit de modifier radicalement la situation.

Figure 3

Évolution de la part de personnes âgées [*] pensionnées entre 2000 et 2010-12 [**]

figure im4

Évolution de la part de personnes âgées [*] pensionnées entre 2000 et 2010-12 [**]

données issues de ILO 2014.

2.3 Systèmes de pension et inégalités au sein des aînés

25 De par leur principe de fonctionnement évoqué supra, les systèmes de retraite fondés sur l’assurance sociale laissent apparaître de fortes inégalités en termes de taux de couverture. Les disparités selon le genre et le milieu de résidence sont particulièrement marquées. Au Cameroun, par exemple, ce taux s’établit à 28,7 % pour les hommes urbains contre 7,4 % pour les hommes ruraux, à 5,9 % pour les femmes urbaines et à seulement 1,6 % pour les femmes rurales. Au Mali, ces chiffres sont respectivement de 19,8 et 5,4 % pour les hommes et de 11,5 et 0,3 % pour les femmes (ILO, 2014, 89). Au-delà de la distinction entre pensionnés et non pensionnés, de fortes inégalités dans les montants perçus caractérisent les régimes de retraite fondés sur l’assurance sociale (Briaud, à paraître). Elles proviennent à la fois des caractéristiques du parcours professionnel antérieur (durée d’activité, rémunération perçue en fin de carrière) et du secteur d’activité, privé ou public. En ce qui concerne le calcul des pensions de survivant, les contextes de polygamie peuvent accentuer la vulnérabilité économique des femmes, dans la mesure où la pension de réversion globale peut se trouver répartie entre les différentes co-épouses.

26 Dans les pays où des pensions non contributives ont été instaurées, les taux de couverture témoignent de l’importance de ces dispositifs en tant que réducteur de la vulnérabilité économique des femmes et des ruraux âgés. Au Cap-Vert, 36 % des hommes et 54 % des femmes reçoivent la pension non contributive. Hommes et femmes confondus, la proportion de ruraux la percevant est plus de deux fois plus élevée que celle des urbains, 74 % contre 31 % (ILO, 2015, 3). En Afrique du Sud, cette proportion s’élève à 93,3 et 92,3 %, respectivement pour les femmes et hommes âgés en milieu rural, à 80 et 74,4 % en milieu urbain (ILO, 2014, 89).

2.4 Couverture du risque santé : une dimension essentielle des conditions de vie des aînés

27 Alors même que les besoins en biens et services médicaux augmentent avec l’âge, la situation des aînés en matière de couverture du risque santé s’inscrit dans un contexte où seuls 24,7 % de la population du continent bénéficie d’une telle couverture [25]. Derrière ce déficit global se profilent des situations fortement différenciées : ce taux de couverture est de 55,2 % en Afrique du Nord contre 17 % en Afrique subsaharienne (ILO, 2014, 102). D’importants écarts existent également au sein des sous-régions du continent (AISS, 2014).

28 Faire un lien entre couverture du risque vieillesse et couverture des dépenses de santé est un enjeu crucial et constitue un facteur de différenciation des situations nationales. Dans le cas de l'Afrique du Sud, le fait de recevoir une pension non contributive (Old Age Grant) n'ouvre aucun droit connexe et, en particulier, n'ouvre aucun droit en matière de couverture santé. Dans le cas du Cap-Vert, le choix a été différent et l'éligibilité à la pension non contributive s'articule avec un certain nombre d'autres droits : droit à l’assistance médicale gratuite, soit la gratuité des premiers soins et des consultations de base dans les centre municipaux de santé et la possibilité de bénéficier par le Fonds mutualiste de la prise en charge d'une partie des dépenses de médicaments. Pour cela, il faut être pensionné social depuis 6 mois au moins et avoir cotisé 2 % de sa pension sociale auprès de ce Fonds mutualiste, abondé, par ailleurs, par le budget de l’État (ILO, 2012). L’idée est donc double : coupler une couverture vieillesse et une couverture santé et, à l’intérieur d’un dispositif non contributif, réintroduire une forme de participation à un financement mutualisé de la protection sociale. À l'île Maurice aussi, l'accent est mis sur les besoins conjoints de couverture santé et de pension de retraite de manière spécifique aux personnes âgées. Toute personne âgée reçoit la pension dite universelle et, si elle est atteinte d'une maladie sévère, ou si elle est alitée, elle peut bénéficier d'une allocation additionnelle destinée à un aidant (carer's allowance) et, dans certains cas, d'une visite médicale mensuelle à domicile financée par l'État. L'ensemble s'inscrit dans le cadre d'un accès généralisé et gratuit au système de santé de base.

29 Ces situations restent cependant assez exceptionnelles en Afrique, et bien souvent les réflexions sur ce sujet sont encore peu développées et butent sur le manque de moyens. Développer des systèmes de retraite et garantir à tous un accès aux soins de base se pose donc souvent en termes de choix à faire entre ces deux objectifs plutôt que comme une politique d'ensemble, et l'accent est plutôt mis actuellement sur le développement de la "couverture maladie universelle" (Olivier de Sardan et Ridde, 2014).

30 Pour l’heure, la participation des proches reste globalement essentielle dans l’accès aux soins des aînés (Golaz et al., 2015), et les solidarités familiales ont parfois du mal à faire face à la dépendance liée au grand âge, y compris dans des contextes où des dispositifs d’accès aux soins gratuits pour les personnes âgées ont été mis en place mais peinent à être effectifs, comme dans le cas du plan Sésame au Sénégal (Ba Gning, 2015). D’où l’importance cruciale, en particulier compte tenu de la forte gérontocroissance à venir, de mettre en place des politiques sociales en mesure d’accompagner et de soutenir les solidarités familiales.

CONCLUSION

31 En dépit de la diversité des modèles de protection sociale existant en Afrique, que ce soit en matière de couverture du risque vieillesse ou de couverture du risque santé, il convient de souligner que les arbitrages effectués au niveau des dispositifs mis en place correspondent à de véritables choix sociaux : se concentrer sur les besoins des mères et des enfants et/ou sur ceux des personnes âgées, cibler des groupes d’âges ou des classes de revenu, aider les individus ou les ménages, etc. Les choix effectués dépendent, également, des configurations économiques : type de croissance, caractéristiques des principales ressources (revenus pétroliers, revenus du tourisme, …), part du PIB représentée par les dépenses de protection sociale, éventuelle dépendance vis-à-vis de l’aide internationale pour assurer ces dépenses. Ces choix dépendent, aussi, des orientations politiques retenues en fonction, par exemple, de l’importance réelle accordée à la politique sociale, à la réduction de la pauvreté et/ou des inégalités.

Notes

  • [1]
    Université de Tours, UMR CItés, TERritoires, Environnement et Sociétés (CITERES-CNRS). Chercheur associé à l’UMR Centre Population & Développement (CEPED, Université Paris Descartes - Institut de recherche pour le développement (IRD). muriel.sajoux@univ-tours.fr
  • [2]
    Institut national d’études démographiques (INED) et UMR Laboratoire Population Environnement Développement (LPED) Aix – Marseille Université - Institut de recherche pour le développement (IRD). valerie.golaz@ined.fr
  • [3]
    Université Paris Descartes, UMR Centre de Recherches sur Les liens Sociaux (CERLIS, UMR Université Paris Descartes - CNRS - Université Paris 3), Sorbonne Paris Cité/Institut national d’études démographiques (INED). lefevre@ined.fr
  • [4]
    En 2050, la part des 60 ans et plus au sein de la population totale devrait s’établir à 33,6 % en Europe, 25,1 % en Amérique latine et aux Caraïbes, 24 % en Asie et 22,9 % en Océanie.
  • [5]
  • [6]
    Un nouvel indicateur, l’indice de pauvreté multidimensionnelle, prenant en compte les privations dans différents domaines, est promu depuis 2010 (voir http://www.ophi.org.uk/)
  • [7]
    187 pays sont classés dans le Rapport mondial sur le développement humain 2014.
  • [8]
    Les chiffres figurant dans ce tableau sont issus de UN (2013) car au moment de la finalisation de cet article, la révision 2015 des perspectives démographiques mondiales réalisées par la Division de la population du Département des affaires économiques et sociales des Nations Unies n’était pas encore disponible.
  • [9]
    http://www.achpr.org/files/instruments/pretoriadeclaration/achpr36_instr_decla_pretoria _esc_rights_2004_fra.pdf
  • [10]
  • [11]
    En particulier, les pensions peuvent potentiellement contribuer à la réalisation de l’OMD 1 (éliminer l’extrême pauvreté et la faim), en réduisant la pauvreté parmi les personnes âgées et les personnes handicapées, les OMD 4 et 6, en accroissant l'accès des personnes âgées aux services de santé et l’OMD 7, en accroissant l'accès à l'eau et à l'assainissement.
  • [12]
    Dans la partie II de cette recommandation, il est précisé que les socles de protection sociale devraient comporter au moins les garanties élémentaires de sécurité sociale suivantes : accès à un ensemble de biens et services définis à l’échelle nationale comme étant des soins de santé essentiels ; sécurité élémentaire de revenu pour les enfants ; sécurité élémentaire de revenu, pour les personnes d’âge actif qui sont dans l’incapacité de gagner un revenu suffisant, précisément dans les cas de maladie, de chômage, de maternité et d’invalidité ; sécurité élémentaire de revenu pour les personnes âgées.
  • [13]
    L’emploi informel représente une part importante de l’emploi non agricole sur le continent africain. En Afrique subsaharienne, elle varie de 33 % en Afrique du Sud à 82 % au Mali. Au sein de l’Afrique du Nord, cette part s’élève à 51,2 % en Égypte, par exemple (ILO, 2013). On peut, par ailleurs, supposer que dans le secteur agricole l’emploi informel est encore plus répandu Notons, cependant, qu’il y a, pour l’heure, un déficit d’instruments de mesure spécifiques permettant d’obtenir des données fiables sur le secteur informel agricole (Roubaud, 2009, 407).
  • [14]
    Pour une approche détaillée de la poursuite d’activité aux âges élevés, se reporter à l’article de Sajoux, Amar et Ka consacré au Maroc et au Sénégal et figurant dans ce numéro.
  • [15]
    « En 1981, le Chili innove en remplaçant les régimes publics de retraite par une obligation pour les actifs de cotiser à un compte individuel géré en capitalisation par un fonds de pension privé choisi par eux […]. À l’âge de la retraite, différents types de sortie en rente sont possibles et, si le compte est important, une partie peut être retirée en capital » Annexe à la Lettre de l’Observatoire des Retraites n°19, mai 2013, 5. Cette réforme imposa un changement complet de système et, de ce fait, a longtemps été considérée comme un « modèle », mais elle n’apporta pas les améliorations escomptées en matière de taux de couverture et de taux de remplacement, elle accentua les inégalités et généra d’importants coûts de gestion. C’est pourquoi, depuis 2008, le Chili a à nouveau réformé en profondeur son système (Kritzer, Kay et Sinha, 2014).
  • [16]
    Aux Seychelles est également en vigueur un régime contributif de type bismarckien.
  • [17]
    En parité de pouvoir d'achat.
  • [18]
  • [19]
    Pour les bénéficiaires âgés de 90 à 99 ans, il devait passer de 10 789 à 15 000 Rs ; et pour les centenaires, mesure surtout symbolique, de 12 300 à 20 000 Rs.
  • [20]
    Lesotho, Botswana, Maurice, Namibie, Swaziland, Afrique du Sud.
  • [21]
    Tunisie, Algérie, Cap-Vert, Sao Tomé-et-Principe, Maroc.
  • [22]
  • [23]
  • [24]
  • [25]
    Disposer d’une couverture santé signifie avoir la possibilité d'accéder gratuitement (ou en payant très partiellement) seulement aux soins et aux médicaments de base, ce panier de soins de base étant défini nationalement et ne couvrant pas toutes les dépenses de santé.
Français

Le continent africain est caractérisé par une grande hétérogénéité démographique et économique qui se reflète dans les systèmes de protection sociale destinés aux personnes âgées. La couverture du risque vieillesse et celle du risque santé sont inégalement assurées et s’appuient sur des dispositifs contributifs et/ou non contributifs. Dans des contextes d’extension progressive de leur couverture, la forte gérontoncroissance attendue est une donnée à intégrer dans l’élaboration des politiques sociales.

Mots-clés

  • Afrique
  • vieillissement
  • protection sociale
  • personnes âgées
  • pension de retraite
  • pension universelle
  • santé

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Muriel Sajoux [1]
  • [1]
    Université de Tours, UMR CItés, TERritoires, Environnement et Sociétés (CITERES-CNRS). Chercheur associé à l’UMR Centre Population & Développement (CEPED, Université Paris Descartes - Institut de recherche pour le développement (IRD). muriel.sajoux@univ-tours.fr
Valérie Golaz [2]
  • [2]
    Institut national d’études démographiques (INED) et UMR Laboratoire Population Environnement Développement (LPED) Aix – Marseille Université - Institut de recherche pour le développement (IRD). valerie.golaz@ined.fr
Cécile Lefèvre [3]
  • [3]
    Université Paris Descartes, UMR Centre de Recherches sur Les liens Sociaux (CERLIS, UMR Université Paris Descartes - CNRS - Université Paris 3), Sorbonne Paris Cité/Institut national d’études démographiques (INED). lefevre@ined.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 21/09/2015
https://doi.org/10.3917/med.171.0011
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