1La situation des enfants est un miroir de la société. Les violences faites aux enfants sont en cela le reflet de la violence engendrée dans une société. En ce sens, l’analyse des situations des enfants nous apprend beaucoup sur les sociétés. Les mesures prises pour les protéger sont aussi une partie de ce reflet, celui de la société qui lutte pour modifier son état de déliquescence. Aucune société n’est épargnée par les phénomènes de violences à l’égard des enfants.
2En 1989, la Convention sur les droits de l’enfant signée par 187 pays, avec les exceptions des États-Unis et de la Somalie, a été promulguée par les Nations Unies. Cette Convention donne aux enfants les mêmes droits qu’aux adultes et défend l’idée que les enfants, en raison de leur statut fragile, doivent être particulièrement protégés. La Convention comprend 54 articles et 2 Protocoles optionnels. Elle insiste sur le fait que les enfants à travers le monde, quelle que soit leur couleur, leur origine ethnique, leur religion, leur caste, leur opinion, leur sexe et leur richesse, doivent avoir le droit à la survie, au développement le plus large, à la protection contre les influences dangereuses, les abus et l’exploitation, et de participer pleinement à la vie familiale, culturelle et sociale.
3Dans la lignée de la Convention sur les droits de l’enfant, deux autres déclarations sont venues préciser particulièrement les objectifs de protection et de développement des enfants. Tout d’abord en 1990, lors de la Conférence de Jontiem en Thaïlande, les organisations internationales (UNESCO, PNUD et Banque mondiale), ainsi que 157 gouvernements, ont adopté la Déclaration mondiale sur l’éducation pour tous. Les signataires s’engageaient à atteindre l’éducation pour tous pour 2000. L’objectif posé à cette date n’était pas une simple déclaration d’intention succincte mais impliquait que les pays s’engagent à fournir une éducation universelle de qualité, avec une volonté marquée de réduire les disparités dans l’accès aux opportunités d’apprentissage pour les groupes particulièrement affectés par un faible taux de scolarisation, comme les filles ou les personnes handicapées. En 2000 à Dakar, le World Education Forum réunissant 164 pays, établissait un Programme d’action pour la mise en œuvre de la Déclaration de Jontiem. Le sommet des Nations Unies sur les Objectifs du Millénaire pour le développement renforçait le principe de l’éducation pour tous en l’inscrivant dans les objectifs à atteindre pour 2015.
4En 1998 la Conférence internationale du travail adoptait la Déclaration sur les principes fondamentaux et les droits au travail qui vise, entre autre, l’élimination du travail des enfants, conformément à l’article 32 de la Convention sur les droits de l’enfant les protégeant de l’exploitation économique. À la suite de cette Déclaration, la Convention 138 de l’OIT, dans son article 2, fixe l’âge minimal normal de travail à 15 ans, mais reconnaît que les conditions dans lesquelles se trouvent les pays en développement peuvent autoriser une certaine souplesse. Dans son article 7, elle admet ainsi que les travaux légers peuvent être effectués par des enfants d’âge supérieur ou égal à 12/13 ans. Dans son article 3, elle fixe l’âge minimum pour les travaux dangereux à 18 ans (16 ans sous certaines conditions). Ces délimitations d’âge forment les conditions dans lesquelles le travail est toléré, ou doit être aboli.
5Ces Conventions et Déclarations à vocation universelle posent néanmoins problèmes. Si un large consensus existe pour abolir l’exploitation économique, il s’effrite rapidement dès qu’il faut la définir précisément et fixer l’âge minimum du travail (Noguchi, 2007). En effet, la fixation d’un critère d’âge minimal renvoie à une délimitation entre la période d’enfance et celle d’adulte. Elle s’appuie sur une standardisation de la notion d’enfance (Boyden, 1990) selon laquelle chaque enfant, quel que soit l’endroit où il se trouve dans le monde, doit avoir la même enfance fondée sur l’éducation et les jeux afin d’accroître son développement mental. Cette vision universelle de l’enfance est assez récente (Aries, 1969) et correspond à l’association de l’enfance avec une période de transformations physiques. Cependant, comme le notent James et James (2001) si l’enfance est commune à tous les enfants, elle n’est pas la même pour tous, variant selon les facteurs culturels et les générations. Selon Punch (2001), y compris au sein d’un même pays, la notion d’enfance ne signifie pas la même chose selon la catégorie sociale d’appartenance. Le concept d’enfance ne pourrait pas être compris indépendamment du contexte social et local dans lequel il se trouve. En particulier, dans certains pays en développement, le passage d’un âge à un autre est établi par des rituels dont la diversité marque aussi celle de la notion d’enfance. Le relativisme de la notion d’enfance suggère alors que les activités productives peuvent faire partie de l’attribution de droits aux ‘enfants’ et éviter ainsi leur exclusion ou leur marginalisation (Myers, 1999), ce qui finalement suppose de reconnaître l’importance de la diversité des expériences de travail. Ainsi, la relativisation de la notion d’enfance interfère avec la reconnaissance des formes de travail, acceptables ou non.
6Les articles de Bonnet et Schlemmer et de Bhukuth reviennent sur la problématique du travail des enfants. Bonnet et Schlemmer rappellent que la question du travail des enfants a connu une évolution en quatre grandes phases et que la vision abolitionniste a largement à voir avec l’idée que la place d’un enfant est à l’école. Bhukuth discute des limites mêmes de la définition, liées à la conception de la notion de travail. Une telle définition laisse de côté certains enfants, ne les comptabilise pas comme, par exemple, les enfants des rues ou ceux qui effectuent des tâches domestiques. Dans un cas comme dans l’autre, ces catégories posent de sérieuses difficultés à la volonté d’éradiquer le travail des enfants [2] et de fournir une éducation pour tous. Ces enfants sont par ailleurs sujets à de nombreuses violences (UNICEF, 2000 ; Human Right Watch, 2003). Or, comme le souligne Delaunay dans son article, les mécanismes de prises en charge des enfants particulièrement vulnérables sont très limités. Dans le cas de l’abandon, cette faible prise en charge dans de nombreux pays en développement s’accompagne d’un vide statistique. La prise en charge est du ressort des familles élargies, avec toutes les limites qu’un tel mécanisme peut connaître, démystifiant bien souvent l’image de la solidarité dans certains pays en développement [3]. L’abandon peut provenir d’une défaillance des solidarités familiales, mais aussi et bien souvent, il n’est que le reflet d’un rejet de la part de la famille, rejet qui s’accompagne de violences parfois extrêmes envers les enfants.
7Ces violences peuvent provoquer le départ des enfants dans la rue. L’article de Ballet, Dumbi et Lallau illustre un tel état de fait avec les enfants accusés de sorcellerie à Kinshasa. Ce cas montre combien la société entière devient prédatrice des enfants. La prise en charge des enfants soupçonnés de sorcellerie passe souvent par des traitements de désenvoûtement prodigués par les mouvements religieux néo-pencôtistes dont les effets sur les enfants provoquent des souffrances considérables, et parfois la mort.
8L’article de Huyghebaert revient sur le cas particulier des enfants-soldats. En effet, la Convention 182 de l’OIT adoptée en 1999 précise ce qu’elle entend par "les pires formes du travail des enfants". Cette convention complète ainsi la Convention 138 en incluant les enfants vendus et recrutés de force pour les conflits armés. La Convention 182 a été adoptée à l’unanimité et l’abolition des pires formes de travail des enfants constitue un objectif prioritaire pour l’OIT. L’article de Huyghebaert dresse un état des lieux des connaissances sur ce cas particulier d’enfants.
9Continuant la réflexion développée dans l’article de Biggeri et al. (2005), Biggeri et Anich illustrent avec le cas des enfants des rues à Kampala que les enfants en situation les plus vulnérables sont aussi capables de s’exprimer sur leurs besoins et sur ce que les enfants en général devraient pouvoir faire et être. Cet article prend le contre-pied des démarches considérant les enfants comme de simples sujets passifs qu’il faut seulement protéger des dangers. Il montre, au contraire, que les enfants, quels qu’ils soient, sont capables d’exprimer leurs besoins et de faire valoir leurs droits, qu’ils définissent eux-mêmes, pourvu qu’on leur en donne l’occasion. Cet article ouvre alors la réflexion sur un enjeu majeur. Si la situation des enfants est un miroir de l’état de la société, ils doivent être considérés comme parties-prenantes de cette société. Ils ne peuvent pas être réduits à des sujets passifs nécessitant une protection. Ils participent eux aussi à la construction de la société, et peut être plus que tout autre groupe de personnes. Leur donner la parole pour s’exprimer sur leur vie et leur devenir est un aspect crucial de la construction future de la société. En ce sens, penser l’enfance dans une société c’est aussi penser la société, telle qu’elle est mais aussi, au moins partiellement, telle qu’elle deviendra.
Notes
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[1]
Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines, UMR C3ED. jjballetfr@ yahoo. fr, aaugendra@ gmail. com.
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[2]
Voir par exemple Levison et Moe (1998), Sinha (2003), Cigno et Rosati (2005), Dumas et Lambert (2008) pour le cas des enfants domestiques, Ballet et al. (2006) pour le cas des enfants des rues.
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[3]
En dehors des références indiquées dans l’article de Delaunay, le lecteur pourra consulter l’article de Lafdal et Sow (2006) sur la prise en charge des orphelins en Mauritanie.