1Alors que le travail des enfants est un problème ancien et encore aujourd’hui endémique dans nombre de pays en développement, les politiques et les instances concernées peinent à trouver des solutions adaptées. D’après les dernières données du Bureau international du travail (BIT), il y aurait dans le monde environ 211 millions d’enfants de moins de 14 ans engagés dans une activité économique (ILO, 2002). Pour résoudre ce problème, les instances telles que le BIT, l’UNICEF et l’UNESCO misent sur l’éducation. Le raisonnement est le suivant : on suppose qu’un enfant scolarisé est nécessairement un enfant en moins sur le marché du travail, l’école étant considérée comme le substitut parfait du travail des enfants. Ainsi se justifient les dépenses et les efforts considérables réalisés par les instances internationales et les gouvernements des pays en développement afin d’encourager les parents à scolariser les enfants. La réalité est bien plus complexe. Le processus de décision des parents, lorsqu’ils choisissent - ou non - de scolariser leurs enfants, fait intervenir plusieurs facteurs : la pauvreté monétaire, l’imperfection du "marché" des capitaux, la composition et la structure du ménage, l’éducation des parents et enfin le contexte socio-économique. Par ailleurs, l’éducation est pensée comme une unité homogène, or il existe plusieurs formes d’éducation : éducation formelle, formation formelle, éducation non-formelle et apprentissage traditionnel. Les familles disposent donc de plusieurs possibilités de formation ou d’acquisition de connaissances à offrir aux enfants.
2Cet article montre que l’éducation formelle n’est pas une alternative au travail des enfants lorsque les familles sont dans une situation d’extrême pauvreté, en particulier lorsqu’elles sont confrontées à l’état de servitude pour dettes. L’enquête, menée dans l’industrie de la briqueterie du Tamil Nadu, en Inde, étudie les contraintes financières des migrants saisonniers. La présence des enfants dans cette industrie est nécessaire pour maintenir la solvabilité de la famille et l’éducation formelle n’est pas une priorité pour les parents.
3La première partie précise la définition des formes d’éducation à la disposition des ménages. La deuxième partie décrit la stratégie éducative des ménages. La troisième partie étudie le cas des ménages en situation de servitude pour dettes. La quatrième partie est consacrée au travail des enfants dans l’industrie de la briqueterie.
1. LES DIFFÉRENTES FORMES D’ÉDUCATION
4La littérature économique oppose généralement "travail" et "éducation". Cette dernière est un terme générique, dans le sens où il n’existe pas qu’un seul moyen d’acquisition des connaissances mais plusieurs. Nous distinguons trois formes d’éducation : l’éducation formelle, l’éducation non-formelle et l’éducation informelle.
1.1 L’éducation formelle
5L’éducation formelle désigne l’enseignement dispensé par les établissements publics et privés, et défini par le ministère de l’Éducation. Cet enseignement est d’ordre général et théorique. La formation ou l’apprentissage formels sont le prolongement de l’éducation formelle : l’objectif n’est plus général et théorique mais surtout d’ordre professionnel, technique et pratique. Les cours sont standardisés (House et Paramanathan, cités par Liimatainen, 2002) et destinés au secteur formel, aux entreprises dites "modernes" et à une population déjà éduquée (Liimatainen, 2002).
1.2 L’éducation non formelle
6L’éducation non-formelle s’effectue en dehors des systèmes de l’éducation formelle. Elle vise à pallier les faiblesses de l’éducation formelle : son inaccessibilité, dans les régions rurales reculées et dans les pays confrontés à une crise du système éducatif formel, mais aussi sa dimension trop théorique et souvent inadaptée aux exigences du secteur informel (Charmes, 1985). Sous l’influence de l’UNESCO, et suite à la conférence de Jontien en Thaïlande en 1991, ce type d’acquisition de connaissances s’est largement développé depuis les années 1990. Sont impliquées diverses agences gouvernementales ou institutions privées, mais aussi et surtout, les organisations non gouvernementales. Ici encore, le contenu et le public ciblé restent limités par rapport à l’étendue des besoins (Liimatainen, 2002). Ce type d’éducation s’adresse aux adultes ou aux apprentis "confirmés" du secteur informel. En sont exclus les enfants susceptibles d’entrer sur le marché du travail précocement et ayant quitté l’école. Les ONG ont tendance à focaliser leur enseignement sur l’éducation civique, l’apprentissage de la lecture et de l’écriture, au détriment de la formation technique. Enfin, le personnel éducatif est souvent inexpérimenté, et rarement familier avec les besoins du secteur informel. En définitive, ce type d’éducation n’améliore guère les conditions des travailleurs de l’informel.
1.3 L’éducation informelle ou l’apprentissage traditionnel
7L’éducation informelle est l’enseignement technique et professionnel qu’acquiert un enfant auprès d’un "maître" ou d’un "patron" qui lui transmet son savoir-faire. Par contraste avec les systèmes précédents, ce type d’éducation se caractérise par son côté très opérationnel, directement orienté vers les compétences nécessaires à l’exercice du métier. Au sein du même secteur, les modes d’apprentissage sont souvent similaires d’un "patron" à "l’autre", ce qui autorise, du moins en théorie, une certaine mobilité des apprentis. En contrepartie, l’apprentissage est conditionné par des formes d’exploitation et de servitude (Bonnet, 1993).
2. LES STRATÉGIES ÉDUCATIVES DES MÉNAGES
8Diverses études empiriques montrent que les enfants sont souvent scolarisés jusqu’à l’âge de 11 ans, âge correspondant à la fin du cycle primaire (Ray, 2000 ; Canagarajah et Coulombes, 1997). Les parents pauvres donnent une éducation de base correspondant à un savoir minimum (lire, écrire et calculer). Les enfants sont ensuite retirés de l’école compte tenu de son coût, coût direct mais aussi coût d’opportunité, c’est-à-dire le fait que les enfants sont désormais en âge d’exercer une activité rémunérée. Les plus jeunes ont parfois plus de chances de poursuivre l’école, les plus âgés finançant leur éducation. Enfin le salaire des enfants est une fonction croissante de l’âge (Ray, 2000).
2.1 Le choix d’éducation du ménage
9Tous les modèles théoriques du travail des enfants traitent de l’arbitrage travailéducation sans prendre en considération les différentes formes d’éducation (Ranjan, 2001,1999 ; Baland et Robinson, 2000). On considère que les ménages effectuent leur arbitrage en fonction de leurs ressources financières (Basu et Van, 1998). Selon la conjoncture économique, ceux qui vivent en dessous du seuil de pauvreté et ceux qui sont confrontés à une insuffisance chronique de ressources financières font le choix du travail. A l’inverse, les ménages riches disposant des ressources financières, quelle que soit la conjoncture économique, investissent dans l’éducation formelle des enfants car ils en connaissent l’importance, le potentiel de gain que pourrait engendrer un tel actif sur le bien-être du ménage et celui des enfants (Ranjan, 2001). Cette vision binaire est trop simpliste. Au-delà du degré de pauvreté des familles, les perspectives d’évolution des familles et la manière dont elles envisagent leur avenir sont également déterminantes. La conjoncture économique, les fluctuations du revenu, les perspectives de mobilité offertes par l’éducation formelle sont autant d’éléments qui entrent en jeu dans les processus de décision. Les plus "riches" des "pauvres" ont souvent davantage de chances de sortir de la pauvreté en investissant dans l’éducation formelle que les plus "pauvres" des "pauvres". Par ailleurs, lorsque le chômage des jeunes diplômés est prépondérant, ce qui est le cas dans nombre de pays en développement, les parents pauvres, indépendamment de leurs revenus, ne sont pas motivés à investir dans l’éducation des enfants car l’école ne remplit pas son rôle de véhicule de mobilité sociale. Lorsque le secteur formel est en crise alors que l’informel absorbe l’excédent de main-d’œuvre, ce qui est très largement le cas en Inde, les parents ne sont pas non plus incités à investir dans l’éducation formelle. Le secteur informel, caractérisé par la faiblesse de l’accumulation du capital, offre parfois des perspectives d’enrichissement aux entrepreneurs individuels (Charmes, 1985). Enfin, le degré de segmentation des filières d’emploi, en conditionnant en partie les perspectives de mobilité, joue également un rôle déterminant (voir supra).
2.2 Les différentes possibilités d’investissement en éducation
10Le schéma ci-dessous est une représentation des possibilités d’investissement dans l’éducation des enfants des différentes catégories de ménages selon les tranches de revenu. Les ménages se trouvant entre le seuil d’indigence et le seuil de richesse ont trois possibilités d’investissement. Ils peuvent investir dans l’éducation formelle, non-formelle et informelle.
possibilités d’investissement en éducation des enfants par tranche

possibilités d’investissement en éducation des enfants par tranche
11Dans ce schéma nous n’avons plus de choix binaire. Nous faisons l’hypothèse que l’éducation formelle et la formation professionnelle formelle peuvent être regroupées sous la notion d’éducation formelle car l’éducation académique et l’éducation professionnelle reçues sont complémentaires, les modes d’enseignements étant similaires. De même, l’éducation non-formelle et l’apprentissage traditionnel se retrouvent sous la notion d’éducation informelle, même si ces deux formes d’éducations sont distinctes.
12Nous nous intéressons au cas des ménages se trouvant dans l’extrême pauvreté comme, par exemple, les travailleurs saisonniers qui doivent migrer une partie de l’année pour aller s’embaucher dans l’industrie de la briqueterie ou de la canne à sucre. Ces personnes vivent avec moins d’un dollar par jour, leur revenu quotidien varie entre Rs15-30 [2]. Le choix d’éducation de ces ménages dépend de leur situation financière. Or, cette dernière revêt un caractère particulier puisqu’ils dépendent des avances pour vivre.
3. LA SERVITUDE POUR DETTES
13En 1956, la Convention relative à l'abolition de l'esclavage, de la traite des esclaves et des institutions et pratiques analogues à l'esclavage, fut adoptée par les Nations unies. Elle définit la servitude pour dettes comme "l'état ou la condition résultant du fait qu'un débiteur s'est engagé à fournir en garantie d'une dette ses services personnels ou ceux de quelqu'un sur lequel il a autorité, si la valeur équitable de ces services n'est pas affectée à la liquidation de la dette ou si la durée de ces services n'est pas limitée ni leur caractère défini".
14En Inde, la servitude pour dettes est étroitement associée aux migrations saisonnières. La migration saisonnière est un phénomène fortement disparate, avec d’un côté des migrations visant à diversifier les revenus, permettant à des familles de valoriser des compétences ou du capital et s’accompagnant d’une certaine mobilité sociale, et de l’autre des migrations de survie. Ces dernières impliquent souvent les familles entières et s’appuient quasi-systématiquement sur un endettement initial à l’égard du recruteur de main-d’œuvre. Cet endettement est le point de départ d’un cercle vicieux : faible salaire du fait des remboursements, endettement, etc. Breman (1996,33) évoque le terme de "circulation" ( circulation) qui, selon lui, rend finalement mieux compte de ces déplacements, à la fois de courte durée et d’un lieu à l’autre et/ou d’un secteur à l’autre (d’une saison à l’autre, voire au cours de la même saison, les migrants changent régulièrement d’activité : agriculture, construction, travail à la journée dans une industrie, briqueteries, etc.) avec des retours réguliers au village natal. Si ces formes de migration circulaire ont probablement toujours existé, elles se sont largement développées au cours des dernières décennies par suite des facilités accrues de transport et de communication, des mutations des modes de production agricole et du développement de l’industrialisation. Aucune donnée précise n’existe permettant de quantifier l’ampleur des migrations saisonnières. La majorité des migrants sont employés dans l’agriculture et les plantations, les briqueteries, les carrières, la construction et la transformation du poisson. Ceux qui migrent en ville travaillent dans les secteurs de la construction, des services et des transports, sont embauchés comme travailleurs journaliers, comme porteurs, conducteurs de rickshaw ou encore colporteurs (Deshingkar et Start, 2003).
15Dans le secteur des briqueteries, à l’instar de la plupart des secteurs d’activité reposant sur une main-d’œuvre saisonnière, le recrutement est assuré non pas directement par les employeurs mais par des recruteurs de main-d’œuvre ( brokers, encore appelés maistris en pays tamoul) et à travers un système quasi-systématique d’avance sur travail. Pour les employeurs, il s’agit de fidéliser et de discipliner une main-d’œuvre pendant une période limitée (du fait de leur endettement, les travailleurs ne peuvent changer d’employeur et acceptent des salaires inférieurs). Pour les travailleurs, l’avance est un moyen, souvent le seul, de survivre pendant la saison creuse. Le recruteur est chargé de sélectionner les travailleurs, de distribuer les avances puis de les surveiller jusqu’à l’extinction de la dette. Il est garant du fonctionnement de ces transactions liées crédit-travail : il protège l’employeur des risques de "non-docilité" de la main-d’œuvre ; il protège les travailleurs des risques liés à la migration en leur garantissant un emploi et en les accompagnant sur le chemin de la migration. Le système de gestion de la main-d’œuvre est pyramidal, avec très peu de relations directes employeur/employé. Les transactions interliées puisent leurs origines dans l’économie rurale où les acteurs (travailleurs et employeurs) échangeaient simultanément sur au moins deux marchés, celui du crédit et celui du travail. La relation crédit-travail repose sur un principe d’échange crédit contre travail. Le lien entre les deux marchés s’effectue via la saisonnalité de l’emploi en milieu rural. L’endettement de la main-d’œuvre est à la fois une garantie d’emploi et une source de servitude : les travailleurs ne peuvent changer d’employeur tant qu’ils n’ont pas remboursé leur dette. La dette est contractée par des familles et non des individus. Le travail se fait par équipes, souvent familiales, impliquant 2 à 6 personnes. D’après nos observations (collectées auprès d’environ 500 familles) (Guérin et alii, 2004), le montant moyen des avances est d’environ 9400 Rs (180 euros) par groupe de travailleurs, avec une moyenne de 70 euros par personne. Le nombre de travailleurs et la "réputation" de celui qui contracte la dette déterminent le montant de l’avance. Notons que l’interdiction de changer d’employeur est parfois couplée à des interdictions de mobilité.
4. LE TRAVAIL DES ENFANTS DANS L’INDUSTRIE DE LA BRIQUETERIE
16L’industrie de la briqueterie compte cinq spécialisations : les mouleurs, les conducteurs de charrettes à bœufs, les chargeurs, les déchargeurs et les firemen. Le processus de production commence par le moulage des briques, les conducteurs de charrettes à bœufs chargent les briques pour les déposer au fourneau. Les chargeurs placent les briques dans les "cheminées" ; les briques cuites sont déchargées puis entreposées à l’extérieur des "cheminées". Les firemen règlent la température du feu pour obtenir la cuisson nécessaire et la couleur rougeâtre. Dans les briqueteries enquêtées, le travail des enfants est uniquement visible chez les mouleurs. D’après nos observations, la quasi-totalité des familles de mouleurs amènent leurs enfants (personne ne peut s’occuper d’eux dans le village d’origine) et 75% des familles les font travailler. C’est un moyen d’obtenir plus d’avance et de produire davantage : les enfants commencent à travailler dès l’âge de 5/6 ans ; les travailleurs estiment que la productivité est équivalente à celle d’un adulte à partir de l’âge de 15 ans, et qu’entre 8 et 15 ans elle équivaut à la moitié ; d’après nos observations, un enfant permet d’obtenir en moyenne 1000 Rs (environ 20 euros) supplémentaires d’avance.
17Les travailleurs sont rémunérés à la pièce, en fonction de leur production hebdomadaire. 50 à 60% de leur salaire est destiné au remboursement de la dette et le montant restant sert aux dépenses de subsistance. L’objectif de toutes les familles de mouleurs est simple : d’abord, rembourser leur dette ; dans le cas contraire, ils seront contraints de revenir la saison suivante et auront du mal à contracter un montant important d’avance pendant la saison creuse ; si possible, rentrer au village avec un excédent de revenu. La productivité des familles détermine à la fois leur rémunération, leur liberté future et leur capacité de négociation pour les saisons suivantes. Dans un tel contexte, le travail des enfants est déterminant. La productivité des personnes dépend de leur "acharnement" au travail, d’autant qu’il s’agit d’un travail très physique, mais aussi de leur savoir-faire et de leur expérience. Si le métier de moulage est facilement assimilable, la rapidité du travail et la qualité du moulage ne s’acquièrent qu’avec le temps et l’expérience. Quand bien même les enfants ne travaillent pas, ce qui arrive dans environ 25% des cas, la migration des parents est un obstacle : la plupart d’entre eux refusent de laisser les enfants seuls au village. Officiellement l’école est gratuite, mais la réalité est différente : il n’est pas rare de devoir payer les instituteurs pour éviter qu’ils ne désertent trop fréquemment ; il est nécessaire de compléter les fournitures dont la qualité s’avère insuffisante, de payer des cours du soir, etc. Enfin les perspectives de mobilité sociale des familles demeurent très limitées : la grande majorité des mouleurs sont parayiars, l’une des castes considérées comme les plus basses de la hiérarchie au Tamil Nadu. La plupart sont sans terre et viennent de villages concentrés dans des zones sèches, où les opportunités d’emploi agricole sont très limitées. Certains considèrent que l’emploi dans les briqueteries, grâce au montant substantiel de l’avance, est une forme de mobilité sociale par rapport à l’emploi agricole (Deliège, 1989). Grâce au système de quotas d’emplois de la fonction publique réservés aux scheduled castes, certains parayiars ont réussi à obtenir un emploi de fonctionnaire, mais parmi les travailleurs des briqueteries, aucun n’envisage une telle possibilité. Â tort ou à raison, tous considèrent que l’emploi public, outre un certain niveau d’éducation, suppose des appuis spécifiques, le soutien de réseaux politiques ou de "big men" locaux et enfin le paiement de pots de vins. Des histoires circulent de familles ayant payé des sommes souvent conséquentes (plusieurs dizaines de milliers de roupies) avec l’espoir de décrocher le fameux "government job" auquel chacun aspire, mais finalement dupées. Pour ces raisons, l’éducation formelle est souvent considérée comme inutile. Non seulement les parents n’ont parfois pas le choix (il faut rembourser les dettes) mais nombre d’entre eux considèrent que le travail des briqueteries est un moyen comme un autre d’apprendre un métier. Les enfants eux-mêmes envisagent rarement d’autres alternatives : certains étant nés dans les briqueteries.
CONCLUSION : Quelle alternative au travail des enfants ?
18Pour les familles confrontées à l’extrême pauvreté et à l’absence de perspective de mobilité sociale du fait de la très forte segmentation des marchés de l’emploi, l’arbitrage éducation-travail ne peut pas être binaire. C’est le cas des travailleurs saisonniers et des migrants du secteur des briqueteries : pour les plus démunis, le recours au travail des enfants est un moyen d’atténuer les risques de servitude ; pour les autres, la migration limite les possibilités d’éducation continue, laquelle est rarement considérée comme une possibilité de mobilité sociale. On est donc très loin d’un modèle où l’éducation serait le substitut parfait du travail des enfants. Les parents sont bien conscients de la pénibilité du travail dans les briqueteries. Nombre d’entre eux regrettent amèrement de ne pouvoir proposer d’alternative à leurs enfants. Mais "que faire ?" disent-ils.
19Deux types de mesures semblent nécessaires. Accroître les opportunités d’emploi des familles afin d’éviter le recours nécessaire au travail des enfants est une priorité. Cela suppose de développer des activités génératrices de revenus dans les villages d’origine, mais avec des perspectives nécessairement restreintes compte tenu de l’enclavement des villages et de l’absence de demande locale quels que soient les secteurs considérés. Une autre piste consiste à améliorer les conditions de travail en incitant les employeurs à augmenter le montant des rémunérations, à faire preuve de davantage de transparence dans l’octroi des avances et les modalités de remboursement. Proposer des services financiers complémentaires serait également un moyen de limiter le monopole exercé par les recruteurs de main-d’œuvre et de diminuer l’endettement des familles auprès des briqueteries. Simultanément, il est indispensable d’améliorer l’offre éducative ainsi que les perspectives de mobilité sociale des familles : il importe, non seulement, qu’elles aient les moyens d’envoyer leurs enfants à l’école, mais aussi qu’elles en voient l’utilité. Développer les opportunités d’apprentissage est une nécessité, ce qui suppose le développement d’ateliers directement en lien avec des employeurs. L’ensemble de ces mesures permettrait, progressivement, d’atténuer le caractère extrêmement segmenté des marchés du travail.
Notes
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[1]
Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines (C 3ED/IFP) & Université de Provence (LPED-IRD/IFP) aaugendra@ yahoo. frisabelle. guerin48@ wanadoo. fr
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[2]
En novembre 2005,1US$ = 45 Rs.