1L’image sociale de la sociologie est aujourd’hui suffisamment associée aux techniques d’investigation par enquête, et en particulier à la forme de l’enquête par questionnaire analysée statistiquement, pour qu’il semble logique, lorsqu’un groupe de chercheurs se réunit pour examiner la singularité historique d’une période où l’enquête a pu paraître constituer une véritable mode dans les milieux intellectuels les plus divers, que la question se pose du rôle des sociologues dans un tel concert. Si j’ai infléchi l’offre qui m’était faite de parler de « l’enquête sociologique » au tournant du xxe siècle, pour traiter plutôt de « les sociologues et l’enquête », c’est que, fondamentalement, les sociologues universitaires autour des années 1900 en France ne cèdent en rien à la mode ambiante des enquêtes. Ou plutôt, s’ils le font, c’est comme « enquêtés », dont l’opinion individuelle mérite d’être recueillie et rendue publique, comme Durkheim dont on peut relever, parmi d’autres formes de contribution à des débats, une dizaine de réponses à des « enquêtes » de type journalistique (dont deux portent explicitement sur la sociologie, qui apparaît ainsi plus comme un objet que comme un support d’enquêtes) [1].
2Pour prendre la mesure de cette abstention, il faut d’abord rappeler la nature des pratiques d’enquête de type sociologique préexistant à l’entreprise durkheimienne d’institutionnalisation universitaire de la sociologie, avant de caractériser les formes de travail empirique des durkheimiens. On peut s’interroger ensuite sur la portée et la signification d’une exception importante à cette abstention des sociologues durkheimiens à l’égard des pratiques d’enquête, avant de s’interroger enfin sur l’éclairage que cette situation apporte tant sur l’entreprise durkheimienne que sur les formes d’enquête qui se développent autour de 1900.
Les pratiques d’enquête antérieures
3Un des effets du succès de l’entreprise durkheimienne d’institutionnalisation universitaire de la sociologie a été l’occultation des formes de pratique de la recherche de type sociologique qui l’ont précédée et auxquelles elle s’est opposée. On a donc pu légitimement caractériser Le Play et les leplaysiens comme des « inventeurs oubliés [2] ». Les « enquêtes » qu’ils pratiquaient ont pris différentes formes, mais il s’agit toujours de « monographies », qu’il s’agisse de familles, d’autres unités sociales ou même de l’ensemble d’une société. Si formalisé qu’en soit le modèle (avec différentes « Nomenclatures » construites à cet effet), ces monographies ne sont pas destinées à déboucher sur une exploitation statistique [3].
4Dans le contexte de cette étude, il est cependant nécessaire de s’arrêter au moins sur Pierre Du Maroussem [4]. Appartenant au courant leplaysien de la Société d’économie sociale, il travaille aussi comme enquêteur pour l’Office du travail, créé en 1891 dans le cadre du Conseil supérieur du travail pour recueillir des informations, y compris par « des enquêtes sur place [5] ». De l’expérience acquise en réalisant une série de monographies notamment sur des métiers, il tire un ouvrage méthodologique qui paraît en 1900 : Les enquêtes [6]. Un chapitre de la brève partie introductive porte sur « Statistique et enquête. Leur indissolubilité ». « La statistique ne peut se passer de l’enquête » (p. 7) et réciproquement : « La statistique est le travail d’arpentage et […] l’enquête monographique est le coup de sonde. Au point de vue social, comme au point de vue matériel, l’homme est forcé de recourir à ces deux outils pour achever la conquête de la Terre » (p. 8), conclut-il. On voit dans ces formulations que si la monographie leplaysienne est ainsi étendue à d’autres objets que la famille, la complémentarité même implique différence.
5Le chapitre suivant porte sur les « différences profondes qui séparent l’enquête ainsi comprise de la monographie de Le Play ». Dans cette critique, Du Maroussem s’arrête à la question du choix des « échantillons » (p. 11). Le Play considère qu’il a retenu des cas qui ont valeur de « type ». Or « La “famille prospère” n’est pas un échantillon, c’est un “bon exemple” ». Bref, le « coup de sonde » « est donné le plus souvent au hasard, au milieu d’une zone non précisée » (p. 13), faute du cadre statistique nécessaire pour situer la monographie. Et le chapitre suivant explique enfin « pourquoi donner à cette enquête très différente de la monographie de Le Play le nom “d’enquête monographique” ? » L’enquête monographique ne doit pas être une simple « illustration ». Trois éléments la caractérisent : un objet unique, un objet concret (un groupe défini) et une « induction des échantillons à l’ensemble : choix des échantillons ». Ce « point vif du procédé » est expliqué par un exemple d’où il ressort que, si des unités sont de tailles diverses, on aura un échantillon satisfaisant en retenant la plus petite, la plus grande et une de taille intermédiaire : « Telle est la nouvelle induction monographique » (p. 15-16). Bref, ce que l’« enquête monographique » semble avoir de plus que la « monographie » leplaysienne, c’est que, si celle-ci prétendait d’emblée à une portée générale, celle-là considérera trois cas bien choisis avant de généraliser. D’où le dernier chapitre de la partie introductive, qui explique que, pour étudier l’objet à la fois unique et concret qu’est la France, on sélectionnera, dans la diversité des provinces, « les deux groupes extrêmes » que constituent Paris d’une part, la « région rurale » d’autre part. La deuxième partie porte ainsi sur « La cité moderne » (elle rend compte des monographies parisiennes de l’auteur) et la troisième sur « la Région rurale » (elle présente des monographies de « pays »). Commentant cet ouvrage, Bernard Kalaora et Antoine Savoye considèrent que Du Maroussem « pose, d’une façon très moderne, le problème de la représentativité [7] ». On peut dire en effet qu’il le « pose », mais il ne le résout pas d’une manière qui puisse satisfaire les exigences des statisticiens en matière d’enquête, comme le relève par exemple Simiand dans les comptes rendus très critiques qu’il fait de ce livre [8]. Ainsi, il semble bien que, vers 1900, le courant leplaysien n’ait pas profondément renouvelé le modèle de la monographie de famille, même s’il l’a étendu à d’autres objets et entend le coupler avec l’étude statistique.
6Les leplaysiens ne sont pas les seuls à occuper le terrain d’une « sociologie » alors protéiforme. On a souvent retenu au moins le nom de Gabriel Tarde. Ce magistrat, poète à ses heures, a une production considérable et fort diverse, mais il ne s’illustre pas particulièrement par la réalisation ou l’organisation d’enquêtes sociologiques. L’idée lui en a pourtant au moins traversé l’esprit. Il joue en effet un rôle dans l’effort d’organisation de la sociologie, à travers la création, en 1895, de la Société de sociologie de Paris, dont il est le premier président. Cette société savante réunit ses membres tous les mois rue Serpente et entretient des relations suivies avec la Revue internationale de sociologie crée en 1893 (cinq ans avant l’Année sociologique) par René Worms. On peut ainsi suivre les activités de la Société de sociologie de Paris à travers les comptes rendus qu’en publie cette revue. Il s’agit souvent de débats d’idées assez généraux à la suite d’un exposé, mais il faut remarquer que, sur la suggestion de Tarde, cette société a envisagé la réalisation d’enquêtes statistiques relativement légères, faisant appel à l’initiative privée.
7Tarde en formule la proposition en novembre 1899 dans un exposé intitulé « Plan d’une enquête sociologique individuelle » où il distingue ce type d’enquête à la fois des « monographies à la Le Play » et des statistiques officielles, « générales et impersonnelles ». Il s’agirait de créer ainsi des « statistiques restreintes, locales, tout individuelles, dont la supériorité consiste dans la diversité des méthodes et dans la clarté des résultats » [9]. Ce projet ne semble pas avoir débouché sur des réalisations très concrètes, mais on peut tout de même remarquer qu’après avoir nourri trois séances consécutives sur le thème de « l’hérédité des professions » (où quelques chiffres sont produits selon la méthode préconisée par Tarde), la société en est venue à rédiger un programme de recherche intitulé « Enquête sur la transmission des professions », appelant « les personnes de bonne volonté » à coordonner leurs observations sur ce thème [10]. Ainsi, sans s’être illustré personnellement dans de telles productions, Gabriel Tarde peut être considéré comme responsable de l’idée d’un programme d’enquêtes sociologiques à mettre en œuvre par les sociologues eux-mêmes. Peut-être faut-il noter aussi qu’il est le père d’Alfred de Tarde [11] qui allait se faire remarquer peu avant la guerre de 1914 comme coauteur, sous le pseudonyme d’Agathon, d’une des « enquêtes » journalistiques les plus célèbres de l’époque, proclamant l’avènement d’une nouvelle jeunesse optimiste, patriotique, catholique [12].
8Dans ce tableau, nécessairement partiel, des « enquêtes » à contenu sociologique à la fin du xixe siècle, il pourrait être pertinent, dans la mesure ou « sociologique » se distingue alors mal de « social », de faire figurer aussi les enquêtes parlementaires, dont une réalisation remarquable est constituée par celle qu’a tenue en 1899 la Commission de l’enseignement, présidée par Alexandre Ribot, sur l’enseignement secondaire (à la veille de ce qui allait être la réforme de 1902). Avant un sixième volume de « Rapport général » [13], cette Enquête sur l’enseignement secondaire a donné lieu à cinq gros volumes, dont deux livrent les dépositions orales de près de 200 personnes entendues sur la base d’un questionnaire préalable, un troisième comportant des statistiques et rapports des recteurs et inspecteurs d’Académie, un quatrième les réponses adressées par les facultés et les établissements secondaires à un questionnaire, le cinquième les avis transmis par les Chambres de commerce et les délibérations des Conseils généraux [14]. Sans doute a-t-on là des réponses d’institutions et de personnalités, entendues ès qualités, mais ces auditions n’en peuvent pas moins être analysées comme un matériel d’enquête sociologique. C’est ce qu’a fait Viviane Isambert-Jamati dans un article de 1971 qu’on peut donc verser à ce dossier sur les enquêtes autour de 1900 [15].
9D’autres spécialistes des sciences humaines de l’époque, en dehors des psychologues ou des pédagogues évoqués plus bas, pratiquent-ils des observations systématiques par voie d’enquêtes destinées non à recueillir des opinions autorisées mais à tester des hypothèses ? En France, il ne me semble pas, mais de telles pratiques sont observables ailleurs et leurs publications étaient connues. L’exemple le plus caractéristique est sans doute celui de Francis Galton en Angleterre. Et, dans son œuvre, un ouvrage qui constitue typiquement le compte rendu d’une enquête directe par questionnaire traitée statistiquement est English Men of Science (1874) [16].
10Cet ouvrage fait suite à Hereditary Genius (1869) [17], dont l’argumentation reposait non sur une enquête directe, mais sur une analyse statistique des caractéristiques de grands hommes relevées dans différentes sources biographiques. Adolphe de Candolle, botaniste genevois, lui avait répondu dans son Histoire des sciences et des savants (1873) [18] en analysant les caractéristiques sociales d’une population constituée par les membres ou correspondants étrangers des principales académies ou sociétés savantes européennes. En mettant l’accent sur des traits relevant de l’environnement, il critiquait les conclusions héréditaristes de Hereditary Genius. C’est explicitement pour répondre à cette réponse que Galton réalise une enquête auprès de 180 savants anglais auxquels il a adressé un questionnaire biographique très détaillé. Le matériel ainsi recueilli lui fournit plus de cent réponses suffisamment précises pour une exploitation statistique. Maniaque de l’observation statistique (on rapporte qu’il l’aurait appliquée jusqu’à l’analyse de la longueur des jupes), Galton était un grand entrepreneur d’enquêtes par questionnaire : les données statistiques de Natural Inheritance [19] proviennent aussi d’une enquête par questionnaire réalisée en 1884 auprès de familles [20]. Si je cite ici ces exemples étrangers d’enquêtes construites à fin scientifique en vue d’une analyse statistique, c’est notamment parce qu’il s’agit de travaux que Durkheim connaissait puisqu’il les cite et les discute dans De la division du travail social (1893) [21].
Les sociologues durkheimiens et l’enquête
11Or il s’agit précisément de relever l’apparent désintérêt de la sociologie durkheimienne pour les enquêtes. On peut le constater d’abord chez Durkheim. Observons par exemple qu’il n’y a aucune entrée « enquête » dans l’index des matières des trois volumes des Textes édités par Victor Karady en 1975. Les règles de la méthode sociologique n’évoquent à aucun moment ce mode d’établissement des données. L’article « Sociologie » de la Grande Encyclopédie, en 1901, qui apparaît comme un « manifeste » durkheimien à l’intention du grand public, comporte une section sur l’« observation des faits », qui souligne la nécessité de « procédés spéciaux et rigoureux d’observation » mais n’évoque que « les documents statistiques » et les « documents historiques ou ethnographiques », sans envisager que les sociologues puissent constituer par eux-mêmes des données à analyser sociologiquement [22]. Si l’enseignement de la sociologie a surtout retenu en Durkheim l’auteur du Suicide comme classique de l’analyse de données statistiques, ce succès, relativement tardif dans la réception de l’œuvre de Durkheim [23], ne doit pas occulter le fait que ses autres ouvrages ne reposent nullement sur de tels matériaux. Il s’agit par ailleurs, dans cet ouvrage, de données statistiques de l’état civil ou de la justice, parfois déjà publiées par d’autres auteurs, et nullement d’enquête directe. Ce qui pourrait y ressembler le plus, non à la réalisation, mais au traitement d’une enquête, ce sont les tableaux construits pour Durkheim par Mauss à partir des dossiers du ministère de la Justice que Tarde avait accepté de mettre à la disposition de Durkheim [24]. On peut d’ailleurs remarquer que Durkheim ne s’interroge presque jamais sur les conditions pratiques de l’élaboration de ces données statistiques d’époques et de pays différents dont il étaie ses analyses [25]. Enfin, Durkheim s’oriente rapidement vers des questions et des formes de recherche qui le conduisent à s’intéresser plus à des documents de type ethnographique qu’à des données, quelle qu’en soit la nature, sur les sociétés modernes [26].
12Qu’en est-il alors des sociologues qui, tout en s’inscrivant dans le projet durkheimien, ont moins cédé à cette veine ethnologique, ont travaillé sur les sociétés européennes et fait un usage continu de données de type statistique ? Il s’agit principalement de Maurice Halbwachs (1877-1945) et de François Simiand (1873-1935).
13Spécialiste de sociologie économique, situé à la frontière de l’histoire, de l’économie et de la sociologie, volontiers polémiste [27], Simiand présente une œuvre où les préoccupations méthodologiques sont toujours importantes [28], avec la volonté d’inscrire les sciences sociales dans une démarche positive qui doit prendre la forme expérimentale même si elle ne procède pas par expérimentation directe [29]. Le rapport aux données empiriques ne le laisse jamais indifférent et on peut relever le soin avec lequel il choisit et examine les données statistiques qu’il utilise. Ainsi, dans le premier ouvrage qu’il publie, en 1907, sur les salaires [30], où le premier chapitre est consacré à analyser « Les notions et les sources ». Après avoir justifié le choix de la série statistique la mieux adaptée à son analyse, il en explicite les avantages de manière critique sous différents rapports. Lorsqu’il reprend ce thème dans sa somme de 1932 sur le salaire [31], qui se veut un « essai de théorie expérimentale », deux chapitres sont encore consacrés à un « inventaire » et à un « examen de l’emploi possible » des données. La nécessité, en la matière, de travailler sur des données statistiques qui ne sont pas construites par le chercheur y est notamment soulignée :
L’étude économique positive est condamnée à être principalement ici une étude par documents, c’est-à-dire par enregistrements ou témoignages d’un fait, opérés le plus souvent en dehors des fins de science et, en tout cas, autrement que par des savants (ou leurs représentants) ne se proposant que la recherche de la vérité [32].
15Si cette nécessité impose un usage particulièrement critique ou vigilant des données, Simiand ne semble pas envisager d’autres possibilités.
16Halbwachs a toujours été très proche de Simiand et apparaît avec lui comme l’un des durkheimiens les plus attentifs à l’usage des données statistiques en sociologie. Sa thèse principale pour le doctorat de lettres [33], consacrée à une analyse de la structure des budgets ouvriers, repose principalement sur l’analyse de deux enquêtes allemandes réalisées selon la méthode dite des « budgets » [34] (qui suppose la tenue d’un carnet de comptes, et qui est d’ailleurs au cœur de la monographie de famille leplaysienne). L’ouvrage comporte un chapitre développé consacré à « un examen critique des données », qui montre Halbwachs très attentif aux conditions de réalisation de l’enquête. Il distingue trois types d’enquêtes en la matière : la « méthode intensive » de Le Play qui fournit un petit nombre de budgets très détaillés de familles supposées « typiques » (p. 157), la « méthode extensive » dans laquelle les « enquêteurs […] ont cherché à obtenir le plus grand nombre de réponses possible » mais en remplaçant les carnets de comptes par « des questionnaires simplifiés » (p. 151), celle enfin des deux enquêtes allemandes qui portent sur des « budgets véritables », « moins complets que les budgets de Le Play et de ses disciples » et moins nombreux que dans les enquêtes « extensives », mais suffisamment pour permettre un traitement statistique de la diversité des cas (p. 160-161).
17Il est particulièrement critique à l’égard des enquêtes extensives par questionnaire, qui mettent « les enquêtés […] dans une situation très artificielle » où « l’enquêteur leur suggère en quelque mesure leurs réponses » (p. 155), obtenant des « observations [qui] elles-mêmes sont déjà des moyennes, et établies dans les pires conditions ». Or « le but de la science […] est de substituer aux préjugés, aux opinions toutes faites, aux idées vagues et contradictoires, une connaissance précise, fondées sur les faits » (p. 157). Il tient donc à éviter de faire appel à la subjectivité des enquêtés, en les interrogeant sur des « opinions ». Cette méfiance à l’égard de protocoles d’enquêtes autres que la tenue d’un carnet de compte a été durable. Lorsqu’il reprend le même sujet une vingtaine d’années plus tard [35], c’est en utilisant principalement des enquêtes réalisées selon la même méthode, dont une autre enquête allemande (de 1927-1928) ; il souligne l’absence d’enquêtes françaises de cette nature reposant sur des effectifs suffisants et passe presque sous silence des données françaises obtenues « par la méthode des questionnaires [36] ». Et lorsqu’en 1935, la Fondation Rockfeller proposant de subventionner une enquête sur le chômage, Bouglé le consulte sur le type d’enquête à mettre en œuvre, il refuse « de donner sa caution à une enquête se proposant d’aller interroger directement les chômeurs » [37].
18Halbwachs a-t-il réalisé ou fait réaliser lui-même des enquêtes ? Oui, bien que ce ne soit pas très apparent dans ses ouvrages : il a « organisé » en 1907 une enquête de budget qui a porté sur « 54 ménages ouvriers et 33 familles de paysans » [38]. Mais on reste toujours dans le seul cadre de l’enquête de budget, et je n’ai pas repéré d’autres travaux d’enquête chez Halbwachs. Or ce n’est pas par désintérêt pour le travail empirique de collecte des informations. Il est prêt à payer de sa personne pour compiler des documents qu’il analysera statistiquement afin de tester des hypothèses. Un exemple caractéristique est le gros article qu’il consacre à une recherche des facteurs sociaux susceptibles d’expliquer les variations du taux de masculinité des naissances [39]. Halbwachs est conduit à chercher la cause du côté des écarts d’âge entre les parents, mais les données officielles publiées ne permettent pas de faire varier de manière fine les écarts d’âge, ce qui le conduit à constituer sa propre documentation statistique de plusieurs manières. Il dépouille les registres des mariages et les registres des naissances dans « quatre villages de la campagne » où avaient pu le mener ses vacances [40], ce qui lui permet de saisir les âges de manière précise. Puis, pour disposer d’effectifs plus importants, il se fait communiquer les 36 000 fiches de la Statistique générale de la France correspondant aux naissances d’une année (1925) dans un département (le Bas-Rhin), où sont notés les âges en années et procède au relevé systématique d’une fiche sur quatre. Enfin, à la recherche d’une autre source numériquement importante mais comportant les dates de naissance précises des parents, il indique avoir passé « plus de trois cents heures » à dépouiller aux Archives départementales du Bas-Rhin les informations concernant 56 500 naissances recueillies dans les dossiers constitués pour les indemnités départementales accordées aux familles nombreuses [41].
19On peut donc considérer qu’on a avec Halbwachs un sociologue attaché à l’utilisation de données statistiques, prêt à passer beaucoup de temps à les établir lui-même à partir de documents d’archives, qui a aussi collaboré à des enquêtes d’un type particulier (les enquêtes de budget) et a beaucoup analysé de telles enquêtes réalisées par d’autres, mais qui reste toute sa vie très méfiant à l’égard de toute autre forme d’enquête par questionnaire.
Une exception : Paul Lapie
20À cet éloignement des sociologues durkheimiens de tout projet de mener des observations par voie d’enquête, on peut repérer une exception intéressante.
21Le rattachement de Paul Lapie (1869-1927) au groupe durkheimien, attesté par sa participation à l’Année sociologique dès le premier volume, ne fait pas de doute [42]. Une double particularité le marque. Cet agrégé de philosophie, fils d’instituteur [43], est un des durkheimiens les plus attachés à ne pas couper les liens de la sociologie avec la psychologie ; il apparaît par ailleurs plus comme un administrateur de l’enseignement primaire que comme un universitaire [44]. Et, de fait, les enquêtes dont il a rendu compte relèvent autant de la psychologie que de la sociologie, elles portent sur des questions qui concernent l’école primaire et ont eu pour relais des instituteurs.
22Certains des travaux de cette nature réalisés par Lapie avant la Première Guerre mondiale ont été regroupés par lui dans un recueil édité en 1923 (il est alors Directeur de l’enseignement primaire au ministère de l’Instruction Publique) sous le titre L’école et les écoliers [45]. On y trouve en introduction le résumé (publié en 1904 [46]) de deux conférences faites à l’École normale d’instituteurs d’Aix-en-Provence en 1903, regroupées sous le titre « La mission scientifique de l’instituteur », la première portant sur « l’instituteur et la psychologie », la deuxième sur « l’instituteur et la sociologie ». Il s’agit d’expliquer par l’exemple (des expériences sont faites auprès des participants eux-mêmes de la première conférence) [47] aux instituteurs que les observations systématiques qu’ils peuvent faire de leurs élèves, d’une part, de groupes sociaux tels qu’une amicale d’anciens élèves, l’école, la commune, d’autre part, peuvent constituer des monographies utiles pédagogiquement mais aussi d’intérêt scientifique réel si elles sont coordonnées et regroupées. L’intention est ainsi manifestée, dès 1903, d’inciter les instituteurs à se comporter en auxiliaires des sciences humaines en constituant systématiquement des monographies pour recueillir des observations et des résultats d’expériences sur des variables psychologiques, testant par exemple la diversité des élèves du point de vue de l’intelligence, de la sensibilité, de la volonté, ou sociologiques, relevant la diversité de leurs origines sociales, de leurs devenirs sociaux, sans ignorer « leurs opinions politiques et leurs croyances religieuses », car ce sont là « des renseignements que les statistiques officielles ne donnent pas et que pourtant la sociologie réclame » [48].
23Le reste de l’ouvrage illustre ce programme de recherche en montrant le genre d’analyses et de résultats auxquels peuvent donner lieu de telles monographies. Deux parties équilibrées, « Études psychologiques » et « Études sociologiques », en offrent deux chacune. La première, sur « Avancés et retardés » (parue en 1912 dans l’Année psychologique [49]), compare des élèves de cours moyen en retard et en avance, recrutés par le biais d’instituteurs et soumis à des tests dans le cadre du Laboratoire de psychologie de la faculté des Lettres de Bordeaux ; les résultats sont rapprochés de l’« enquête sociologique » constituée par « les renseignements sur leur milieu familial » recueillis par les maîtres, ce qui permet de contraster socialement les deux groupes comparés et donc de suggérer des causes « sur lesquelles a prise la volonté humaine » [50]. La seconde, réalisée en 1911, intitulée « Recherche sur les goûts des écoliers », analyse les matériaux fournis par un groupe d’instituteurs qui ont demandé à leurs élèves (n=170) de classer par ordre d’intérêt les matières abordées en classe. Elle présente les résultats statistiques de ces classements et analyse les justifications (« raisons » de ces choix) proposées par les enfants.
24La première des deux « études sociologiques », « L’école et la profession des écoliers » (parue en 1904 dans la Revue scientifique sous le titre « Les effets sociaux de l’école »), constitue une des toutes premières études statistiques sur la mobilité sociale [51]. Remarquons ici qu’elle repose sur des observations (professions des parents, professions à la sortie de l’école et professions dix ans plus tard de 722 anciens élèves de l’école d’une bourgade champenoise) qui lui ont été fournies par le secrétaire de mairie de la commune et par l’ancien directeur de l’école ; que les instituteurs sont explicitement invités à « entreprendre dans leurs communes des enquêtes analogues dont la collection serait précieuse pour l’étude scientifique de notre société [52] ». Relevons aussi que cette enquête, réalisée par un collaborateur de l’Année sociologique, non seulement paraît ailleurs [53], mais n’y fait pas l’objet d’un compte rendu. Et encore que ce travail de 1904 a été repris ultérieurement dans un article qui rend compte en même temps d’autres données comparables recueillies par des instituteurs, et qui paraît, cette fois, dans l’Année psychologique (en 1911) [54].
25Cette première « étude sociologique » visait à réfuter l’hypothèse selon laquelle l’école publique serait responsable d’aspirations sociales excessives produisant des déclassés : elle montre que la réussite scolaire ne produit pas par elle-même une mobilité sociale importante. La deuxième, « L’école publique et la criminalité juvénile », parue en 1911 dans la Revue du mois, réfute une autre accusation produite contre l’école publique, sa responsabilité dans la « criminalité juvénile ». À cette fin, Lapie étudie le contenu d’une centaine de dossiers de délinquants de moins de 18 ans dans les archives des tribunaux de Bordeaux. Il réunit sur chaque cas des informations diversifiées en recourant aux registres scolaires et aux informateurs disponibles (une centaine en tout), dont les instituteurs, ce qui lui permet d’éclairer ces cas, en fonction du degré de délinquance, par la carrière à la fois scolaire (ils ont été sous-scolarisés), religieuse (ils n’ont pas été moins souvent que d’autres à l’école catholique, ont souvent eu une instruction religieuse), professionnelle (ils ont été très instables dans ce domaine) et familiale (ils proviennent de familles pauvres et souvent incomplètes) de ces jeunes délinquants, pour conclure que « c’est du côté de la famille […] que les réformateurs doivent tourner leurs efforts » (p. 184).
26Ainsi, si Lapie apparaît beaucoup plus ouvert que les autres durkheimiens à l’idée de faire aussi bien des enquêtes de terrain que des expériences ou des tests psychologiques, et de recourir à cette fin à la collaboration des instituteurs qui peuvent trouver là une « mission scientifique », c’est à la fois parce qu’il tient à une forme de proximité entre sociologie et psychologie et qu’il reste plus ouvert que d’autres durkheimiens à d’autres courants sociologiques. Le fait que l’Année sociologique ait un programme fondamentalement théorique et critique, ne laissant pas de place à la production directe de données, lui paraît regrettable dès la fondation de l’entreprise. Il écrit ainsi à Bouglé, qui l’a introduit dans le groupe :
27Si l’Année sociologique, au lieu de résumer toutes les erreurs commises sur les [sociétés primitives australiennes] de Spencer, commençait des enquêtes sur les faits sociaux qui nous entourent, sur la société française, dont les lois sont peut-être plus faciles à connaître bien qu’elles soient moins connues que celles des sociétés primitives. Pourquoi, par exemple, ne ferait-on pas une enquête précise sur les formes du sentiment religieux en France. Une statistique des ex-votos serait peut-être intéressante ; non que j’ai du goût pour les statistiques : peu importe qu’un fait soit fréquent ou rare, il suffit qu’il existe pour être intéressant ; mais une statistique intelligente classant les faits d’après le sentiment qui les a provoqués, d’après la fin que s’est proposée l’agent ne serait pas sans faire avancer la science sociale. Il doit y avoir, sur ce point, des faits qui échappent à l’observation courante et qui permettraient d’établir des lois. Mais j’ignore si ton intention est de faire de l’Année sociologique un instrument de recherches ou un répertoire de découvertes [55].
28L’intérêt de Lapie pour le travail de recherche empirique apparaît dès son premier ouvrage, qui porte sur la Tunisie, où il a passé plusieurs années et où il utilise des observations qu’il a pu faire lui-même, et non seulement des publications d’autres observateurs [56]. Et son inquiétude de voir le groupe de l’Année sociologique se concentrer sur les seules sociétés « primitives » s’exprime clairement dans la première phrase de l’article de 1904 sur les professions des écoliers :
Le sociologue n’est pas condamné à l’étude perpétuelle des civilisations barbares ou archaïques. Il a le droit d’observer, à la condition de le faire avec méthode, les faits qui se produisent dans son pays et sous ses yeux [57].
30Ainsi, l’exception que constitue Lapie à l’absence d’intérêt ou à la méfiance des durkheimiens pour la pratique d’observations par voie d’enquête apparaît bien comme une forme de confirmation d’une « règle » implicite dont il est lui-même conscient, et qui renvoie d’une part à un programme très tourné vers des matériaux ethnographiques, d’autre part à une défiance à l’égard de tout ce qui ferait intervenir la subjectivité des informateurs, laissant un vide entre les observations de sociétés « primitives » et les statistiques produites par l’État ou de grandes institutions.
Durkheim et le statut scientifique de l’opinion
31Quelles conclusions peut-on tirer de ces constats, qui puissent éclairer à la fois l’entreprise durkheimienne et le statut social et scientifique des « enquêtes » autour de 1900 ?
32Le projet durkheimien de fondation scientifique (et d’enracinement universitaire) de la sociologie se heurtait à l’encombrement d’une discipline revendiquée dans les perspectives les plus diverses l’assimilant à la « question sociale » et à des objectifs socio-politiques. D’où, par exemple, l’évitement de tout ce qui pourrait rapprocher la nouvelle discipline des productions leplaysiennes. Il fallait faire place nette et éviter toute assimilation avec d’autres « sociologies ». La volonté de « faire science » pouvait ainsi suffire à éloigner de toute forme de recherche empirique déjà investie par ces concurrents. Mais ces raisons liées à la conjoncture n’expliquent pas tout.
33Dans un des textes par lequel il répond en deux ou trois pages à une « enquête » journalistique, Durkheim résume la méthode à employer en sociologie en « deux mots » : « Elle doit être historique et objective ». Historique, parce que, pour faire apparaître les éléments et découvrir les causes d’institutions sociales qui se sont formées dans le temps, il faut « en suivre la genèse » : « L’histoire joue ainsi dans l’ordre des réalités sociales un rôle analogue à celui du microscope dans l’ordre des réalités physiques ». Objective, parce que les « représentations usuelles » que nous avons des réalités sociales, visant à « répondre à des exigences exclusivement pratiques, sont dénuées de toute valeur scientifique » [58]. Ce résumé de la méthode sociologique durkheimienne justifie le recours aux données ethnographiques. Peut-il justifier aussi l’évitement des données d’enquêtes ?
34On peut penser en effet que c’est le parti pris objectiviste qui justifie théoriquement la tendance des durkheimiens à ne pas recourir, voire à refuser de recourir à des données d’enquête qui passeraient par la médiation de la subjectivité des enquêtés. La sociologie durkheimienne repose sur une distinction fondamentale entre morphologie et physiologie, qui fonctionne un peu à la manière de la distinction infrastructure/superstructure dans l’analyse marxiste [59], c’est-à-dire avec l’idée d’un primat, au moins méthodologique, de la morphologie. Les faits de morphologie sont plus profonds, plus stables, plus faciles à observer et plus susceptibles d’expliquer les autres que le contraire.
35Durkheim est prêt à reconnaître que la « vie sociale » est (aussi, et peut-être d’abord) quelque chose de mouvant, fluide. « La vie sociale, écrit-il dans Les règles, tant qu’elle n’est pas arrivée à s’isoler des événements particuliers qui l’incarnent pour se constituer à part » a pour « propriété » d’être instable ou mobile comme ces événements : « Elle consiste alors en libres courants qui sont perpétuellement en voie de transformation et que le regard de l’observateur ne parvient pas à fixer ». La fluidité de la vie sociale est donc réelle, mais ce n’est pas par « ce côté » que « le savant peut aborder l’étude de la réalité sociale ». Or cette vie sociale fluide « présente » aussi « cette particularité que, sans cesser d’être elle-même, elle est susceptible de se cristalliser » [60]. Cette métaphore du fluide qui cristallise est au fondement de la règle selon laquelle il faut « considérer les faits sociaux comme des choses » : il est possible de le faire là où, effectivement, ils prennent une forme stable et, de ce fait, observable de manière contrôlée. D’où l’intérêt de l’étude d’une forme de cristallisation particulière qui est celle du droit (et la justification du fait d’avoir observé, dans La division du travail social, les formes de la solidarité sociale « à travers le système des règles juridiques qui les expriment ») [61] et, plus généralement, l’idée que la sociologie doit être « la science des institutions » au sens large de ce terme [62].
36Le recours aux données statistiques d’État se justifie d’abord, dans cette méthodologie, par le caractère institutionnel de ces données, comme formes spécifiques de « cristallisation » du social. Durkheim n’est pas loin de penser qu’il y a quelque chose de mécanique dans l’inscription statistique des faits sociaux qui s’y prêtent (comme de leur inscription dans le droit, les dictons, ou les faits de morphologie sociale). Dans Le suicide, il s’agit de rendre compte de « courants » qui traversent la société de manière variable : la proportion des suicides traduit un « courant de tristesse collective » qui vient, sinon cristalliser, du moins s’inscrire dans les statistiques : « Ici, dans la statistique des suicides, [les souffrances de la société] viennent comme s’enregistrer d’elles-mêmes, sans laisser de place à l’appréciation personnelle [63] ».
37Sans laisser de place à l’appréciation personnelle ? C’est dans l’interrogation de cette évidence que s’enracinent certaines formes de critiques, qui ont au moins le mérite d’ouvrir la voie à la constitution d’une sociologie de la production statistique [64]. Mais, pour Durkheim, ce soupçon suffit à faire récuser les données statistiques : s’il utilise celles du suicide de manière peu critique [65], il n’en récuse pas moins radicalement celles qui portent sur ses « motifs ». Il existe en effet « dans les comptes rendus statistiques de presque tous les pays […] un tableau spécial où les résultats de ces enquêtes sont consignés sous ce titre : Motifs présumés des suicides » (p. 144). Mais il n’y a là « en réalité » qu’« une statistique des opinions que se font de ces motifs les agents, souvent subalternes, chargés de ce service d’informations ». Or, si « les constatations officielles sont trop souvent défectueuses », même lorsqu’il s’agit « des faits matériels et ostensibles », elles doivent encore plus « être tenues en suspicion quand elles ont pour objet, non d’enregistrer simplement un événement accompli, mais de l’interpréter et de l’expliquer » : « On ne saurait donc donner comme base à une explication des suicides des informations aussi suspectes » (p. 145).
38Ce détour par l’analyse de l’utilisation des statistiques du suicide permet donc de saisir le principe du désintérêt durkheimien pour les opinions ou l’observation des opinions. Il me semble qu’il éclaire également la constance avec laquelle Halbwachs pense que l’enquête de budget est la seule manière de recueillir des informations sociologiquement utilisables sur la consommation : à travers l’objectivation de la dépense quantifiable, les valeurs sociales se donnent à lire directement, tandis que les questionnaires ne peuvent recueillir que des opinions incertaines. On pourrait ajouter qu’en instruisant une critique à la fois méthodologique et sociologique de la notion d’opinion publique qui est sous-jacente à la pratique des sondages d’opinion, Pierre Bourdieu s’inscrivait directement dans un héritage durkheimien. Tout comme il était logique que le créateur de l’Ifop ait voulu, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, rompre radicalement avec cet héritage [66].
39On peut donc penser que la raison la plus profonde pour laquelle les sociologues durkheimiens sont restés très imperméables, autour de 1900 et durablement, à la diffusion de différentes pratiques de collecte plus ou moins systématique d’informations par voie d’enquête (autres que celles des statistiques officielles), c’est que ces enquêtes portaient sur, ou au moins recouraient à la médiation d’opinions. Ce qui est en effet bien le cas des enquêtes de type journalistique dont celle d’Agathon constitue un exemple connu.
40Faut-il penser pour autant que l’opinion n’est pas, pour Durkheim, un objet sociologique ? Oui, si l’on entend par opinion les opinions individuelles (que peuvent collecter des enquêtes auprès des individus). Non, si l’on se souvient que la sociologie est « une psychologie sui generis » et que son objet est constitué par des « représentations collectives ». Dans la réponse à une « enquête sur la sociologie » citée plus haut, par exemple, Durkheim achève en se défendant de « je ne sais quel matérialisme qu’on m’a souvent reproché » : « Dans la vie sociale, tout est représentations, tout est idées, sentiments, et nulle part on n’observe mieux la force efficace des représentations » [67]. Le terme d’opinion vient moins souvent sous sa plume que celui de représentation. Mais, lorsqu’il veut montrer que l’économie constitue un domaine de l’étude sociologique, par exemple, c’est en inscrivant l’ensemble des faits sociaux dans la notion d’opinion qu’il le fait : dans le compte rendu d’un débat de 1908 sur « l’économie politique et les sciences sociales », on le voit d’abord ranger les objets habituels des sciences sociales dans la catégorie de l’opinion (« la morale et le droit, qui sont la matière de sciences sociales déterminées, sont essentiellement des choses d’opinion ») avant de remarquer que les « richesses sont des choses », puis de retourner la situation en affirmant que les « faits économiques » sont aussi « affaire d’opinion », puisqu’il s’agit non des choses mais de leur valeur. Ainsi, « les rapports de la science économique et des autres sciences sociales se présentent à nous sous un jour bien différent. Les unes et les autres traitent de phénomènes qui, considérés au moins par certains côtés, sont homogènes, puisqu’ils sont, à quelques égards, choses d’opinion » [68]. Le débat rebondit lorsqu’un orateur se scandalise qu’on puisse dire que « le droit est une affaire d’opinion », ce qui « est tout simplement nier le droit ». Durkheim est alors conduit à une sorte de défense et illustration de la dignité de l’opinion : « Il faut se mettre en garde contre le sens péjoratif qui est souvent donné au mot d’“opinion”. Il semble presque qu’il soit synonyme de préjugés irréfléchis, de sentiment capricieux, etc. C’est ne voir l’opinion que par un de ses aspects. C’est oublier que l’opinion est aussi la résultante des expériences que les peuples ont faites au cours des siècles ». En définitive, « dire que des faits sont choses d’opinion, ce n’est pas dire qu’ils n’ont pas de lois, car l’opinion elle-même a ses lois et qui ne dépendent pas de l’opinion » [69].
41Ainsi, on peut dire que l’opinion (sociale) est bien, pour Durkheim lui-même, au cœur de l’objet des sciences sociales, sans pour autant que les opinions (individuelles) puissent être une médiation adéquate pour y parvenir, sans, par conséquent, qu’il faille cesser de recourir, pour tenter de l’observer, à autre chose qu’à des faits sociaux plus « cristallisés » ou inscrits dans des institutions et des pratiques que ne peuvent l’être les réponses individuelles à des questions d’opinion.
Notes
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[1]
Parmi les textes de Durkheim recueillis et recensés par Victor Karady (Textes, 3 vol., Éd. de Minuit, 1975), les neuf suivants ont été publiés comme réponses à des « enquêtes » de diverses revues entre 1897 et 1908 :
1897: « Enquête sur l’œuvre de H. Taine », Revue blanche (ibid, 1, p. 171-177).
1899: « Enquête sur la guerre et le militarisme », l’Humanité nouvelle (ibid., 3, p. 160-164).
1899: « Enquête sur l’introduction de la sociologie dans l’enseignement secondaire », Revue internationale de sociologie (ibid., 1, p. 51-52).
1899: Enquête sur l’antisémitisme (H. Dagan ed.) (ibid., 2, p. 252-254).
1902: « Enquête sur l’influence allemande », Mercure de France (ibid., 1, p. 400).
1904: enquête sur « L’élite intellectuelle et la démocratie », Revue bleue (La science sociale et l’action, Paris, Puf, 1970, p. 279-281).
1907: enquête internationale sur « La question religieuse », Mercure de France (F. Charpin (ed.), La question religieuse. Enquête internationale, 1908, et Textes, op. cit., 2, p. 169-170).
1908: « Enquête sur la sociologie », Les documents du progrès (ibid., 1, p. 58-61).
1908: « Enquête sur l’impuissance parlementaire », La revue (ibid., 3, p. 189). -
[2]
Cf. Bernard Kalaora et Antoine Savoye, Les inventeurs oubliés. Le Play et ses continuateurs aux origines des sciences sociales, Seyssel, Champ Vallon, 1989. Cf. aussi Id., « La mutation du mouvement leplaysien », La sociologie française dans l’entre-deux-guerres, Revue française de sociologie, XXVI, 2, avril-juin 1985, p. 277-310 ; Antoine Savoye, « Les continuateurs de Le Play au tournant du siècle », Sociologies françaises au tournant du siècle, Revue française de sociologie, XXII, 3, juillet-septembre 1981, p. 315-344 ; Id., Les débuts de la sociologie empirique. Études socio-historiques (1830-1930), Paris, Méridiens Klincksieck, 1994 ; Id., « La monographie sociologique : jalons pour son histoire (1855-1914) », Les monographies de famille de l’École de Le Play (1855-1930), les Études sociales, 131-132, 2e sem. 2000, p. 11-46.
-
[3]
Il me semble que si Cheysson, statisticien et leplaysien, vise à concilier monographie et statistique (cf. A. Savoye, « Les continuateurs de Le Play au tournant du siècle », art. cit., p. 337), c’est plus pour montrer leur caractère complémentaire que pour métisser l’une par l’autre.
-
[4]
Cf. ibid., p. 339-340 ; Id., Les débuts de la sociologie empirique, op. cit., p. 163-165 ; B. Kalaora et A. Savoye, op. cit., p. 187-191.
-
[5]
B. Kalaora et A. Savoye, op. cit., p. 188-189.
-
[6]
Pierre Du Maroussem, Les enquêtes. Pratique et théorie, Paris, Alcan, 1900 (dans la « Bibliothèque générale des sciences sociales » qui se rattache au Collège libre des sciences sociales). Les monographies sur lesquelles s’appuie cet ouvrage sont aussi la matière d’un « cours libre » sur « la vie morale et matérielle de l’ouvrier du bâtiment à Paris d’après la méthode des monographies de famille » que Du Maroussem, « premier sociologue leplaysien à bénéficier d’une telle reconnaissance », tient dans le cadre de la faculté de droit de Paris (A. Savoye, Les débuts de la sociologie empirique, op. cit., p. 163).
-
[7]
B. Kalaora et A. Savoye, op. cit., p. 190.
-
[8]
Dans l’Année sociologique (1899-1900), IV, 1901, p. 501 (ce bref compte rendu est à souligner dans la mesure où cette revue ignorait assez souvent les productions leplaysiennes), et, sous une forme plus développée, dans les Notes critiques, 1900, p. 57. « Aucune contribution méthodologique n’est à retenir de cette part d’aphorismes puérils, d’inconscientes pétitions de principe et de préceptes sans critique, qui ouvre le livre et l’illustre par endroits » (l’Année sociologique, ibid.). Ces comptes rendus illustrent bien le point de vue « idéal-critique » qui caractérise l’attitude des durkheimiens à l’égard de la méthode monographique selon A. Savoye (« La monographie sociologique », art. cit., p. 43).
-
[9]
Société de sociologie de Paris, Séance du 8 novembre 1899, Revue internationale de sociologie, VII, 12, décembre 1899, p. 894. Cf. Dominique Merllié, Les enquêtes de mobilité sociale, Paris, Puf, 1994, p. 118.
-
[10]
Compte rendu de la séance du 14 février 1900, Revue internationale de sociologie, VIII, 3, mars 1900, p. 205-207, reproduit in D. Merllié, op. cit., p. 122-123. Ce programme était vraisemblablement connu de Paul Lapie lorsqu’il a réalisé en 1903 l’enquête sur la mobilité sociale qui sera évoquée plus bas.
-
[11]
Le fils tenant à la particule dont le père ne s’encombrait pas.
-
[12]
Agathon [Henri Massis, Alfred de Tarde], Les jeunes gens d’aujourd’hui, Paris, Plon, 1913 (rééd. Paris, Imprim. nationale, présentation de Jean-Jacques Becker, 1995). L’ouvrage a dû se vendre puisqu’il y a au moins une dixième édition en 1914. Cette « enquête » était d’abord parue dans plusieurs livraisons de l’Opinion, hebdomadaire dont Henri Massis était secrétaire général. Cf. Christophe Prochasson, « Enquête d’Agathon », in Jacques Julliard et Michel Winock (dir.), Dictionnaire des intellectuels français, Paris, Éd. du Seuil, 1996, p. 441-442.
-
[13]
Annexe au procès-verbal de la séance du 16 novembre 1899 de la Chambre des députés, Paris, Imprim. de la Chambre des Députés, 1899.
-
[14]
Annexe au procès-verbal de la séance du 28 mars 1899 de la Chambre des députés, ibid.
-
[15]
Viviane Isambert-Jamati, « Une réforme des lycées et des collèges. Essai d’analyse sociologique de la réforme de 1902 », l’Année sociologique 1969, XX, 1971, p. 9-60 (reproduit in Id., Les savoirs scolaires. Enjeux sociaux des contenus d’enseignement et de leurs réformes, Paris, Éd. universitaires, 1990, p. 41-83).
-
[16]
Francis Galton, English Men of Science : Their Nature and Nurture, Londres, Macmillan, 1874 (2e éd. Londres, Frank Cass and Co, 1970).
-
[17]
Francis Galton, Hereditary Genius : An Inquiry into its Laws and Consequences, Londres, Macmillan, 1869 (2e éd. revue et aug., 1892).
-
[18]
Alphonse de Candolle, Histoire des sciences et des savants depuis deux siècles, Genève-Bâle, H. Georg, 1873 (2e éd. aug. 1885 ; rééd. partielle Paris, Fayard, 1987).
-
[19]
Francis Galton, Natural Inheritance, Londres, Macmillan, 1889.
-
[20]
Cf. D. Merllié, op. cit., p. 30-33, 129-131.
-
[21]
Émile Durkheim, De la division du travail social, Paris, Alcan, 1893 (rééd. Puf), dans les p. 300-304 à propos de Histoire des sciences et des savants d’Alphonse de Candolle et de English Men of Science de Galton, p. 313-316 pour Natural Inheritance.
-
[22]
Paul Fauconnet, Marcel Mauss, art. « Sociologie » de la Grande Encyclopédie du xixe siècle, XXX, Paris, 1901, p. 165-176 (reproduit in Marcel Mauss, Œuvres, III, Paris, Éd. de Minuit, 1969, p. 139-177, et in Id., Essais de sociologie, Paris, Éd. de Minuit, coll. « Points », 1971, p. 6-41).
-
[23]
Cf. Philippe Besnard, « La destinée du Suicide. Réception, diffusion et postérité », in Massimo Borlandi et Mohamed Cherkaoui (eds.), Le suicide un siècle après Durkheim, Paris, Puf, 2000, p. 185-218.
-
[24]
Cf. le dossier présenté par Massimo Borlandi, « Informations sur la rédaction du Suicide et l’état du conflit entre Durkheim et Tarde de 1895 à 1897 », Études durkheimiennes/Durkheimian studies, 6, 1994, p. 4-13.
-
[25]
Cf. Dominique Merllié, « La construction statistique », in Patrick Champagne et al., Initiation à la pratique sociologique, Paris, Dunod, 1996, p. 104-106. La nécessité d’une « critique préalable de la valeur respective des statistiques, selon les pays et selon les dates » était relevée par F. Simiand dans sa recension du livre de Durkheim (paru dans la Revue de métaphysique et de morale en 1898, cité ibid., p. 105-106).
-
[26]
Ce tropisme ethnologique apparaît tout particulièrement dans le dernier ouvrage de Durkheim publié de son vivant, Les formes élémentaires de la vie religieuse (1912), mais il est très sensible dès le début de la parution de l’Année sociologique. Sur cet intérêt des sociologues durkheimiens, qui « se considéraient comme les premiers sociologues professionnels en France » et « se proclamaient attachés à l’étude de la crise des sociétés contemporaines » pour « l’éclaircissement de la logique de fonctionnement des sociétés sans histoire qu’ils ne pouvaient connaître que de seconde main », et sur l’effet qu’il a eu « sur le destin de la discipline ethnologique », cf. en particulier Victor Karady, « Durkheim et les débuts de l’ethnologie universitaire », Actes de la recherche en sciences sociales, 74, septembre 1988, p. 23-32 (cité p. 23).
-
[27]
Cf. Philippe Besnard, « The epistemological polemic : François Simiand », in Id. (ed.), The Sociological Domain, Cambridge-Paris, Cambrige University Press-Éd. de la MSH, 1983, p. 248-262.
-
[28]
Cf. le recueil François Simiand, Méthode historique et sciences sociales, Marina Cedronio (ed.), Paris, Éd. des Archives contemporaines, 1987, qui regroupe un ensemble de textes méthodologiques avec, malheureusement, d’assez nombreuses coquilles typographiques, centrés d’une part autour de la polémique contre différentes formes d’« historicisme » au début des années 1900, d’autre part de ses publications de sociologie économique du début des années 1930.
-
[29]
La volonté de Simiand d’arrimer l’utilisation des données statistiques dans le modèle de la science expérimentale est particulièrement explicite dans Statistique et expérience. Remarques de méthode, Paris, Marcel Rivière, 1922. Sur cet ouvrage, voir aussi l’écho qu’en donne Halbwachs dans la Revue philosophique l’année suivante (« L’expérimentation statistique et les probabilités », repris in Maurice Halbwachs, Classes sociales et morphologie, Paris, Éd. de Minuit, 1972, p. 275-307).
-
[30]
François Simiand, Le salaire des ouvriers des mines de charbon en France. Contribution à la théorie économique du salaire, Paris, Édouard Cornély, 1907.
-
[31]
François Simiand, Le salaire, l’évolution sociale et la monnaie. Essai de théorie expérimentale du salaire, Paris, Alcan, 1932, 3 vol.
-
[32]
Ibid., vol. 1, p. 38.
-
[33]
Elle est précédée par un doctorat de droit : Les expropriations et le prix des terrains à Paris (1860-1900), Paris, Rieder-Cornély, 1909.
-
[34]
Maurice Halbwachs, La classe ouvrière et les niveaux de vie. Recherches sur la hiérarchie des besoins dans les sociétés industrielles contemporaines, Paris, Alcan, 1912 (rééd., Paris-Londres-New York, Gordon and Breach, 1970).
-
[35]
Maurice Halbwachs, L’évolution des besoins dans les classes ouvrières, Paris, Alcan, 1933.
-
[36]
Ibid., p. 111, n. 1 et p. 3-4 : « On interrogeait verbalement […] et on remplissait des questionnaires : méthode un peu expéditive » dont les résultats lui « paraissent d’une exactitude assez discutable ».
-
[37]
Selon Jean-Christophe Marcel, Le durkheimisme dans l’entre-deux-guerres, Paris, Puf, 2001, p. 196, d’après des documents d’archives témoignant aussi de la même attitude chez Simiand.
-
[38]
M. Halbwachs, L’évolution des besoins, op. cit., p. 111 et 147. Les carnets étaient tenus pendant six semaines. Antoine Savoye relève que Halbwachs s’est chargé de l’observation pour neuf budgets d’ouvriers parisiens (A. Savoye, Les débuts de la sociologie empirique, op. cit., p. 58). Les résultats sont parus dans le Bulletin de la statistique générale de la France, IV, 1, octobre 1914, p. 47-83. Cf. aussi Maurice Halbwachs, « Budgets de familles », Revue de Paris, XV, t. 4, 1er août 1908, p. 534-562.
-
[39]
Maurice Halbwachs, « Recherches statistiques sur la détermination du sexe à la naissance », Journal de la société de statistique de Paris, 74, mai 1933, p. 5-32.
-
[40]
Ibid. p. 13 et 14. Sont ainsi observées 591 naissances de 221 ménages.
-
[41]
Ibid. p. 20-21 (analyses p. 21-24). Il établit ainsi une variation non pas régulière mais « cyclique », passant successivement par des maxima et des minima avec l’accroissement des différences, ce qui rend compte de l’impossibilité de faire ressortir clairement le phénomène avec les classes d’âges trop vastes des statistiques officielles.
-
[42]
Cf. le tableau brossé par Philippe Besnard, « La formation de l’équipe de l’Année sociologique », Revue française de sociologie, XX, 1, janvier-mars 1979, p. 7-31, ou, dans un autre style, le classement de Yash Nandan, The Durkheimian School : A Systematic and Comprehensive Bibliography, Wesport-Londres, Greenwood, 1977.
-
[43]
Pour une biographie, cf. Pierre-Olivier Lapie, Paul Lapie. Une vie, une œuvre, Paris, Sudel, 1937.
-
[44]
Sur cet aspect de l’œuvre de Lapie, cf. Antoine Prost, L’enseignement en France 1800-1967, Paris, Colin, 1968 (en part. chap. 12) ; Mohamed Cherkaoui, « Les effets sociaux de l’école selon Paul Lapie », Revue française de sociologie, XX, 1, janvier-mars 1979, p. 239-255 ; Roger Geiger, « La sociologie dans les écoles normales primaires », ibid., p. 257-267 ; Yvette Delsaut, La place du maître. Une chronique des écoles normales d’instituteurs, Paris, L’Harmattan, 1992 (en part. chap. 6) ; Jean-Pierre Briand et Jean-Michel Chapoulie, Les collèges du peuple. L’enseignement primaire supérieur et le développement de la scolarisation prolongée sous la Troisième République, Paris, INRDP-CNRS-ENS Fontenay, 1992 (en part. chap. 9) ; Bertrand Ravon, L’« échec scolaire ». Histoire d’un problème public, Paris, In Press Éd., 2000 (chap. 4).
-
[45]
Paul Lapie, L’école et les écoliers, Paris, Alcan, 1923.
-
[46]
Dans la Revue pédagogique, XLV, 12, 15 décembre 1904, p. 539-561.
-
[47]
Lapie publie également en 1904 des résultats d’expériences psychologiques qui sont celles-là même qu’il a fait faire aux normaliens d’Aix : « Expériences sur l’activité intellectuelle », Revue philosophique, XXII, t. LVII, février 1904, p. 168-192.
-
[48]
P. Lapie, op. cit., p. 28.
-
[49]
Paul Lapie, « Avancés et retardés », l’Année psychologique, XVIII, 1912, p. 233-270.
-
[50]
P. Lapie, op. cit., p. 91.
-
[51]
Cf. M. Cherkaoui, art. cit., et D. Merllié, op. cit., p. 124-129.
-
[52]
P. Lapie, op. cit., p. 147.
-
[53]
La Revue scientifique, qui paraît toutes les deux semaines, est une revue de vulgarisation qui devait être largement lue par les instituteurs.
-
[54]
« L’école et la société », l’Année psychologique, XVII, 1911, p. 80-96.
-
[55]
Lettre de Paul Lapie à Célestin Bouglé du 20 novembre 1896, Les durkheimiens, Philippe Besnard (ed.), Revue française de sociologie, XX, 1, janvier-mars 1979, p. 36. D’autres lettres publiées au même endroit montrent que Bouglé et Lapie sont réticents à couper la sociologie de la psychologie, et peu convaincus quand Durkheim leur répond que la sociologie est « une psychologie sui generis ».
-
[56]
Paul Lapie, Les civilisations tunisiennes (Musulmans, Israélites, Européens). Étude de psychologie sociale, Paris, Alcan, 1898. « J’avais la prétention de recueillir des observations précises sur les mœurs, les institutions, le droit des Israélites et des Musulmans. J’en ai et j’en ai même beaucoup. J’ai passé mon mois à interviewer le grand rabbin, les professeurs de l’Université musulmane, etc. », note-t-il dans une lettre à Bouglé du 11 novembre 1894 (loc. cit., p. 33).
-
[57]
P. Lapie, L’école et la société, op. cit., p. 111.
-
[58]
É. Durkheim, « Enquête sur la sociologie » (1908), in Textes, op. cit., 1, p. 59-60.
-
[59]
D’où le texte célèbre de Durkheim à propos d’Antonio Labriola (Revue philosophique, 1897), reproduit sous le titre « La conception matérialiste de l’histoire » dans le recueil La science sociale et l’action, Paris, Puf, 1970, qui souligne un accord fondamental sur « cette idée que la vie sociale doit s’expliquer, non par la conception que s’en font ceux qui y participent, mais par des causes profondes qui échappent à la conscience ».
-
[60]
Émile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique (1895), rééd. Paris, Puf, p. 44.
-
[61]
Ibid., p. 45.
-
[62]
Ibid., préface de la deuxième édition (1901), p. XXII.
-
[63]
Émile Durkheim, Le suicide. Étude de sociologie, Paris, Alcan, 1897, rééd. Paris, Puf, p. 450.
-
[64]
Cf. Dominique Merllié, « Suicide. Modes d’enregistrement », in Jean-Louis Besson (ed.), La Cité des chiffres ou l’illusion statistique, Paris, Autrement, 1992, p. 100-115.
-
[65]
De manière assez paradoxale puisqu’il commence par donner une définition du suicide qui se distingue des définitions habituelles et n’a donc pas grande chance de coïncider avec celles sur lesquelles peut reposer sa mesure statistique.
-
[66]
Cf. Loïc Blondiaux, « Comment rompre avec Durkheim ? Jean Stoetzel et la sociologie française de l’après-guerre (1945-1958) » (et l’exposé de mars 1946 de Stoetzel que cet article introduit), Revue française de sociologie, XXXII, 3, juillet-septembre 1991, p. 411-441 (et 443-456).
-
[67]
É. Durkheim, « Enquête sur la sociologie » (1908), in Textes, op. cit., 1, p. 61.
-
[68]
Compte rendu d’un débat dans le Bulletin de la Société d’économie politique (1908), ibid., p. 219-221. Dans un ultime retournement de ce passage, d’ailleurs, l’économie vient « reprendre une sorte de primauté », du fait que « les facteurs économiques » se situent plutôt du côté de la morphologie et « par là, ils exercent une influence souvent profonde sur les divers états de l’opinion » (p. 221).
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[69]
Ibid., p. 223-224.