1Le scientisme commun du tournant du xxe siècle avait retenu des sciences de la nature qu’elles étaient fondées sur l’observation des faits. Toutefois, parmi ceux qui se réclamaient de la science sociale, les controverses étaient vives sur la nature de ce qu’il fallait considérer comme des faits et sur la façon de les observer. Elles n’ont d’ailleurs jamais cessé depuis, aussi bien dans les périodes où la croyance dans la mesure statistique était au plus haut que dans celles où, comme aujourd’hui, l’enquête de terrain est en faveur. Les termes dans lesquels sont formulés les oppositions de méthode et les enjeux de celles-ci changent cependant, et c’est à restituer certains d’entre eux dans la science sociale britannique un peu avant 1900 que cet article s’attachera.
2L’œuvre dont il sera question prit position dans ces débats en affirmant la nécessité d’une rupture radicale avec certains usages établis en matière d’observation de la pauvreté urbaine. Pour Charles Booth, le savant devait se défier de ce qu’il pouvait voir en parcourant la ville, en observant ses rues ou en interrogeant ses habitants. Il cessait d’être un promeneur ou un explorateur, pour s’attacher à découvrir ce que les yeux ne voient pas et les oreilles n’entendent pas – des proportions inaperçues et stables, des relations régulières entre phénomènes, bref, des lois empiriques. Cette ambition nomologique obligeait Booth à affronter un problème nouveau : comment opérer la conversion scientifique de l’observation sociale ordinaire [1] ?
« Au départ, nous avons fermé les yeux »
3« Ce que j’ai essayé de présenter à mes lecteurs, écrivait Booth, est une image ou une façon de regarder les choses, plutôt qu’une doctrine ou un argument [2]. » Mais cette image ne pouvait s’imposer que contre d’autres images.
4On trouve dans la conclusion du volume publié en 1889 sur la pauvreté dans l’East End, une étonnante description métaphorique de l’entreprise de Booth comme un voyage intérieur dans l’univers des images qui n’est pas sans évoquer une initiation platonicienne. L’acte initial de celle-ci était de faire table rase de préjugés dont la forme la plus tenace était, justement, l’image.
East London était caché au regard par un rideau sur lequel étaient peintes de terribles images : enfants affamés, femmes souffrantes, hommes épuisés de travail ; horreurs d’ivrognerie et de luxure ; monstres et démons d’inhumanité ; géants de maladie et de désespoir. Ces images représentaient-elles vraiment ce qui se trouvait derrière ou bien leur rapport avec les faits était-il semblable à celui que les images à l’extérieur d’un baraquement de fête foraine ont avec le spectacle à l’intérieur ? Les auteurs de ce livre ont […] essayé de soulever ce rideau et de voir par eux-mêmes le monde qu’il cachait [3].
6Mais avant de « voir par soi-même », une coûteuse préparation était nécessaire. Pour passer du monde des ombres à celui des réalités, l’ascèse de l’objectivité exigeait dans un premier temps de cesser de « voir » afin de n’enregistrer que des faits purifiés par la dure discipline de la statistique. Dans l’introduction au même volume, l’auteur affirme :
Au départ, nous avons fermé les yeux, de crainte que nos propres préjugés ne colorent les informations que nous recevions. Ce ne fut pas avant que les livres fussent terminés que moi-même ou mes secrétaires avons visité les rues dans lesquelles nous avions jusque-là vécu en imagination [4].
8Les choses ne se sont pas vraiment passées ainsi, mais peu importe. Booth proclamait ainsi avec force que c’était seulement au terme d’un long détour dans l’univers de la mesure qu’il entendait restituer une image, nouvelle et combien puissante, de la ville qu’il prétendait s’être d’abord interdit d’aller voir.
La tradition de l’exploration sociale
9Une telle posture impliquait de rompre avec une pratique et un genre littéraire qui faisaient fureur dans l’Angleterre victorienne et édouardienne, particulièrement en cette fin de siècle agitée, réformatrice et impériale : le voyage d’exploration dans l’autre nation, celle des pauvres. Ce furent des romanciers qui, tôt dans le xixe siècle, établirent le genre en pratiquant eux-mêmes l’exploration sociale – comme Charles Dickens (1812-1870) ou Elizabeth Gaskell (1810-1865) –, mais aussi en confiant ce rôle à l’un de leurs personnages – comme Mr Jarndyce dans Bleak House (1852-1853) ou Margaret Hale dans North and South (1854-1855). Dickens avait d’ailleurs commencé sa carrière d’écrivain comme « le piéton spéculatif [5] » qui, à partir de 1833, avait donné à des journaux – surtout au Morning Chronicle – les pièces qui allaient former Sketches by Boz (1836), qu’un critique salua comme de nature à « éveiller notre sympathie pour ceux qui pleurent et qui souffrent dans toutes les classes, et spécialement dans celles qui sont trop loin pour être observées [6] ». À une époque où la forme roman en se diversifiant devenait plus instable, ces croquis signalaient l’apparition d’un genre mixte où observation et fiction se mêlaient sans difficulté particulière.
10Des hommes de plume, qui fournissaient notamment le marché d’une presse en pleine expansion, illustrèrent et renouvelèrent le genre tout au long de la seconde moitié du xixe siècle et au-delà. Henry Mayhew (1812-1887), le plus célèbre d’entre eux aujourd’hui, commença à publier ses reportages dans le Morning Chronicle en 1849 et, après une dizaine d’années, réunit l’ensemble en quatre volumes publiés en 1861-1862 sous le titre London Labour and the London Poor [7]. Comme Dickens, Mayhew reprenait le genre « croquis » pris sur le vif dans la métropole mais, parce qu’il s’attachait seulement aux classes laborieuses, le transformait en un récit de voyage dans le monde exotique et inquiétant de la pauvreté urbaine. Ce filon fut maintes fois exploité ensuite, à Londres en particulier.
11Contemporain de Mayhew, George Godwin (1815-1888) publia dans l’hebdomadaire dont il était rédacteur en chef, the Builder, une série sur le logement des pauvres (1853) puis la réunit dans un ouvrage illustré de gravures, London Shadows (1854), qui fut bientôt suivi d’un autre, Town Swamps and Social Bridges (1859) [8]. Godwin publiait par ailleurs des ouvrages didactiques sur l’architecture anglaise, mais aussi des contes et courtes pièces de théâtre. La même année que la grande édition de Mayhew, sortit un livre de reportages de John Hollingshead (1827-1904), Ragged London (1861) [9]. Directeur du Gaiety Theater et, disait-il, « vendeur muni de licence en jambes, courtes jupes, adaptations de pièces françaises, Shakespeare, bon goût et verres musicaux [10] », Hollingshead consacra quelque temps au mois de janvier 1861 à parcourir les rues des quartiers misérables de Londres et se fit pour ses lecteurs « un simple guide attaché aux faits [11] ». Polygraphe, il publiait à cette époque à la fois des pièces légères, des récits de voyages autour de Londres ou à Birmingham, un guide de l’exposition universelle de 1862. James Greenwood (1832-1929), frère du fondateur de la Pall Mall Gazette, écrivait pour celle-ci et, plus tard, pour le Daily Telegraph, tout en publiant par ailleurs romans et nouvelles. Maître dans l’art du déguisement, il prenait l’apparence de ceux qu’il voulait observer pour se mêler à eux. D’où A Night in a Workhouse (1866) – publié par épisodes dans la Pall Mall Gazette, puis sous forme d’un petit livre écrit comme une pièce de fiction, mais relatant une expérience réelle de l’auteur. Une version abrégée de seize pages vendue un penny était surtitrée : « Détails saisissants ! » [12]. Le succès de l’ouvrage en appela d’autres du même genre : The Seven Curses of London (1869), The Wilds of London (1874), Low-Life Deeps (1876) [13]. Les nombreuses œuvres de fiction publiées par Greenwood changèrent alors de cadre : dans les années 1860, c’étaient pour l’essentiel des histoires d’aventures chez les sauvages, dans les années 1880 et 1890, ce furent surtout des « histoires étranges de la vie à Londres » [14]. Arrivé plus tard sur le marché, George Sims (1847-1922) était un écrivain prolixe qui avait à son actif une chronique dans le Referee, un mélodrame à succès, des paroles de chansons, de nombreux romans et nouvelles, enfin How the Poor Live, articles publiés dans le Pictorial World et le Daily News puis réunis en un livre (1883, réédition en 1889) et, plus tard, Off the Track in London (1911) [15]. On peut aussi évoquer Jack London (1876-1916), qui était occasionnellement journaliste en même temps que romancier. Il débarqua des États-Unis en 1902 et obtint une commande d’un éditeur new-yorkais pour enquêter sur la misère à Londres. Comme Greenwood auparavant, il se déguisa en ouvrier misérable pour « s’engloutir dans l’East End de Londres » et publia son récit par épisodes dans Wilshire’s Magazine, un petit magazine socialiste de New York, puis sous la forme d’un livre intitulé The People of the Abyss (1903) [16].
12Les explorateurs sociaux que l’on vient d’évoquer présentent quelques traits communs. La plupart vivaient de leur plume et étaient liés à l’industrie de la presse, quotidienne ou hebdomadaire, auxquels ils fournissaient des reportages sur le monde exotique de la pauvreté urbaine. Mais il ne s’agissait pas pour autant de « journalistes » professionnels – figure qui n’émergea que tardivement dans le xixe siècle –, ils vivaient aussi d’autres produits littéraires – pièces de théâtre, romans, nouvelles –, ce qui les conduisait à alterner fiction et reportage, mais aussi bien à les mêler. À une époque où les rapports des enquêtes parlementaires sur les questions sociales se vendaient parfois à plusieurs milliers d’exemplaires [17], le récit de voyage dans les abîmes de la société avait en tout cas un marché : les reportages que nous avons mentionnés, d’abord publiés dans la presse, étaient chaque fois repris sous forme de livres, parfois illustrés de gravures. À cet égard, une des œuvres qui ont sans doute le plus marqué l’image visuelle de la misère londonienne fut réalisée par un visiteur d’Outre-Manche : London : A Pilgrimage [18], publié en 1872, comprenait 180 gravures de Gustave Doré avec un texte de Blanchard Jerrold (1826-1884), qui était auteur de pièces de théâtre, journaliste et rédacteur en chef, à la suite de son père, du Lloyd’s Weekly.
13Si les écrivains-reporters eurent longtemps le premier rôle pour alimenter le public bourgeois en récits de voyage dans l’autre monde qui était à ses portes, d’autres auteurs les rejoignirent à partir des années 1880. Il s’agissait cette fois d’activistes de causes religieuses et réformatrices qui voulaient donner leur témoignage et faire connaître leurs recommandations. Toutefois, leurs modes d’observation et d’écriture étaient généralement calqués sur ceux des journaux qui, parfois, les publiaient ou contribuaient à leurs campagnes. Andrew Mearns, secrétaire de la London Congregational Union, publia anonymement en 1883 une brochure qui eut un retentissement considérable : The Bitter Cry of Outcast London [19]. Il fut aidé pour l’enquête par James Munro, pour l’écriture par W.C. Preston et, surtout, pour la diffusion du produit par une campagne active de William Thomas Stead (1849-1912), le nouveau rédacteur en chef de la Pall Mall Gazette, ce qui déclencha une cascade d’articles ou brochures analogues dans toute la Grande-Bretagne [20]. Autre petit livre à fort impact, In Darkest England fut publié en 1890 par le « général » William Booth (1829-1912), le fondateur de l’Armée du salut, prédicateur méthodiste actif à Londres depuis les années 1860 [21]. Là encore, W.T. Stead était impliqué, cette fois en mettant sa plume elle-même au service de William Booth. Charles Masterman (1873-1927), en revanche, n’eut pas besoin de l’aide d’un journaliste pour écrire From the Abyss (1902) [22] : formé au Christ’s College de Cambridge, c’est dans la mouvance des settlements universitaires qu’il prit un appartement avec deux autres étudiants à Camberwell, dans le sud de Londres, pour connaître la classe ouvrière et se préparer à une carrière intellectuelle et politique au sein du parti libéral.
14Si l’East End de Londres était devenu à la fin du siècle le territoire paradigmatique de la misère humaine, il n’était pas le seul objet des explorations sociales des reporters. La pauvreté était aussi observée dans les ateliers et manufactures du royaume – comme par Robert Sherard (1861-1943), journaliste professionnel éduqué à Oxford et familier d’Oscar Wilde, qui publia The White Slaves of England (1897) en réunissant une série de Pearson’s Magazine, The Cry of the Poor (1901), puis The Child Slaves of England (1905), une série du London Magazine [23]. La misère des agriculteurs fut décrite par un romancier à succès, H. Rider Haggard (1856-1925), auteur de King Solomon’s Mines (1885) et de She (1887), mais aussi de Rural England (1902) un recueil d’articles du Daily Express [24]. On pourrait ranger dans cette série The Condition of the English Working Class par Friedrich Engels. Bien que ce récit d’exploration de Manchester eût été écrit en 1844 par un jeune Allemand, fils d’industriel à la tête philosophique et aux fréquentations révolutionnaires, et publié à Leipzig l’année suivante, c’est seulement en 1887 qu’il fut traduit en anglais et publié à New York, puis en 1892 à Londres [25]. Par cette réédition, l’ouvrage d’Engels se trouva annexé à la littérature fin-de-siècle d’exploration sociale.
15Ces reportages montraient les profondeurs de la pauvreté urbaine sur un mode pittoresque, sensationnel ou tragique mais, surtout, fondé sur l’observation directe et la description concrète. Ils se distinguaient sur ce point des enquêtes réalisées par des sociétés savantes ou des autorités publiques – enquêtes parlementaires, rapports des administrations de la Poor Law, services du Board of Trade. Celles-là avaient généralement recours aux procédés officiels de la formation et de la certification des savoirs : auditions de témoins, collecte d’opinions et de chiffres auprès des autorités et notabilités locales, regroupement des faits recueillis dans des listes ou des tableaux de chiffres. Les explorateurs sociaux n’avaient pas tous complètement abandonné ces méthodes, mais ils avançaient un tout autre principe de vérité : ils exposaient ce qu’ils avaient vu et entendu. Mayhew, par exemple, faisait valoir dans sa préface (1861) que son enquête
est la première tentative pour recueillir l’histoire des gens de la bouche même de ces gens – ils décrivent avec précision leur labeur, leurs gains, leurs difficultés et leurs souffrances, avec le langage simple qui est le leur. C’est la première tentative pour décrire leurs habitations et leurs familles à partir d’une observation personnelle des lieux et d’un contact direct avec les individus [26].
17Hollingshead, la même année, écrivait dans son introduction : « Mais laissons de côté cette description de la Londres misérable dessinée de mémoire, et sortons pour aller dans les rues misérables et les maisons misérables, pour voir ce que les gens misérables font en janvier 1861 [27]. Ou, plus loin :
Puisque […] j’ai conçu ce livre comme une fidèle chronique de ce que j’ai vu, de ce que le clergé local et d’autres voient chaque jour, presque à chaque heure, et que quiconque peut voir en marchant une semaine dans les rues écartées de Londres, je renonce aux effets de style pour choisir la véracité et je m’efforce de devenir un simple guide qui s’en tient aux faits [28].
19Le ressort essentiel de cette littérature était donc qu’elle relatait des faits que le reporter avait observés de façon directe. Cette observation était elle-même une sorte d’aventure, piquante ou palpitante par l’étrangeté des choses et des gens, comprenant même quelque danger. Dans une époque où la Grande-Bretagne étendait son empire sur tous les continents, le très ancien procédé du récit de voyage était désormais appliqué au monde des pauvres, tout proche et pourtant si immensément distant. D’où la mobilisation constante, tout au long de la seconde moitié du xixe siècle et au-delà, de l’analogie entre exploration sociale et exploration coloniale. Voici Mayhew :
Parce qu’il fournit des informations sur un vaste groupe de personnes que le public connaît moins encore que les tribus les plus lointaines de la terre […] et parce qu’il apporte des faits si extraordinaires, le voyageur dans le pays inexploré des pauvres doit […] supporter d’être accusé de raconter des fables comme celles dont les voyageurs sont supposés faire leurs délices [29].
21Quatre décennies plus tard, Jack London, plus vindicatif :
Oh Thomas Cook & Son, ouvreurs de pistes et débroussailleurs de sentiers […] vous pourriez m’envoyer avec facilité et célérité dans l’Afrique la plus sombre ou le Tibet le plus secret, mais de l’East End de Londres, à peine à un jet de pierre de Ludgate Circus, vous ne connaissez pas le chemin [30] !
23À partir des années 1880, tandis que les puissances européennes parvenaient finalement à s’accorder à Berlin sur le partage de l’Afrique (1885), les références coloniales furent omniprésentes. Lorsqu’en 1890, le fondateur de l’Armée du Salut, le « général » William Booth, publia son livre-programme, il l’intitula In Darkest England d’après le titre des aventures de Stanley dans les profondeurs inexplorées du Congo, publiées l’été précédent, In Darkest Africa [31]. Le réformateur trouvait matière à métaphore dans le moindre détail de ce récit d’un voyage dans « l’immensité de cette région de forêts sauvages, couvrant un territoire grand comme la France, où les rayons du soleil ne pénètrent jamais, où dans un air sombre, froid et humide rempli des vapeurs de marécages brûlants, des êtres humains réduits à la taille de pygmées et à la condition bestiale de cannibales sont tapis, vivent et meurent ». Et William Booth, inévitablement, poursuivait : « Ne pouvons-nous pas trouver un parallèle à notre porte, et découvrir à deux pas de nos cathédrales et de nos palais des horreurs semblables à celles que Stanley a vues dans la grande forêt équatoriale [32] ? »
24Charles Booth n’était pas avare de métaphores de ce type. Il sacrifiait à la rhétorique de la visite guidée pour introduire son livre : « Je me propose d’emmener le lecteur d’un bout à l’autre de chacune de ces rues et de quelques impasses, et de lui en raconter l’histoire, maison par maison [33] ». S’excusant de n’avoir traité son sujet que de façon partielle, il indiquait qu’« en explorant une si vaste étendue de terrain vierge, [son] unique objectif a été d’ouvrir une route à travers le pays [34] ». Ou ailleurs : « Notre plan d’action peut être comparé à un voyage d’exploration [35] ».
25Et cependant, il y avait une différence essentielle car, cette fois, l’objectif de l’explorateur n’était pas de rapporter un récit anecdotique, mais d’établir une carte : « Ce n’est pas à la campagne mais en ville qu’il faut inscrire terra incognita sur nos cartes sociales [36]. » Le temps des expéditions ponctuelles était révolu, il s’agissait de prendre possession d’un territoire grâce à une représentation complète de celui-ci. Avec ladite « carte de la pauvreté » (Poverty Map) de l’East End publiée par Booth en 1889, puis celle de Londres en son entier publiée en 1891, la ville des pauvres et celle des riches s’unifiaient en un espace unique représenté dans sa globalité et s’offrant ainsi comme objet d’administration.
Raconter ou compter ? Un nouveau programme scientifique
26Les années 1890 et 1900 furent marquées, en Grande-Bretagne comme sur le continent européen, par l’affirmation d’une nouvelle science sociale. Comme l’économie politique, elle entendait énoncer les lois qui régissent les sociétés humaines, mais cette fois sur un mode inductif. Comme la statistique officielle, elle se voulait fondée sur l’observation des faits, mais non de faits arbitrairement choisis, indiscriminés et inintelligibles : l’observation devait permettre d’inférer les causes des phénomènes. En se donnant pour ambition d’établir des lois empiriques, la science sociale constituait ainsi la société en objet possible à la fois de connaissance et de réforme, elle établissait un nouveau régime de causalité, elle exigeait aussi de nouvelles façons d’observer les faits et d’administrer les preuves. C’est à ce problème qu’étaient confrontés Booth et ses contemporains.
27Charles Booth (1840-1916) était un riche négociant et armateur de Liverpool et un réformateur social aux penchants politiques conservateurs. Converti sur le tard à la science sociale et à la statistique, c’est à ses frais qu’il entreprit avec un groupe d’assistants la vaste enquête sur la vie et le travail du peuple de Londres qui l’occupa pendant dix-sept ans. Celle-ci était donc un pur produit de la science d’amateurs pratiquée en ce temps, notamment, par de grands industriels – comme B. Seebohm Rowntree, le confiseur d’York. Les travaux savants de Booth lui permirent de gagner l’autorité nécessaire pour discuter avec l’establishment londonien et les pouvoirs publics sur les réformes à entreprendre – il passa donc en revue dans le compte rendu de son enquête toute la gamme des mesures débattues alors pour combattre la pauvreté urbaine et il fut très vite investi de fonctions officielles à la Royal Commission on the Aged Poor (1892-1895). En même temps, il gagna la reconnaissance des membres de la Royal Statistical Society, à laquelle il avait adhéré en 1885, peu avant de se lancer dans son entreprise, et dont il fut élu président en 1892-1894.
28Comment notre capitaliste-sociologue en était-il venu à formuler un tel programme ? La question centrale à laquelle Booth voulait répondre s’était formée dans une conjoncture de peur sociale. Le 8 février 1886, au cours d’un hiver très rigoureux et d’une intense dépression industrielle, éclata à Londres une émeute de ceux qu’on appelait les sans-travail (the unemployed). Les West End riots durèrent trois jours, pendant lesquels régna sur la ville une atmosphère de Grande Peur. Un an plus tard, Booth exposait à ses collègues de la Royal Statistical Society la tâche qu’il s’était fixée : « pour soulager [le] sentiment d’impuissance [37] », pour comprendre ce qui s’était produit et empêcher que l’affolement n’inspire de faux remèdes, il convenait d’établir objectivement les faits, de déterminer quelle était cette « abondante matière première dont peut être extrait un meeting de masse des sans-travail » [38]. Sa conclusion – ou son intuition stratégique initiale – fut que « les sans travail [sont] une armée imaginaire » [39]. Pour établir ce résultat, il avait fallu « décomposer la masse » [40] et, au terme de l’opération de classification, la foule grondante s’était évanouie. Il ne restait qu’« une sélection des inadaptés » [41] de diverses classes, parmi lesquels dominaient les membres de la classe A – qui « ne veulent pas vraiment de travail » [42] – et ceux de la classe B – qui « ne sont pas sans-travail » mais « mal employés » [43]. Ces deux catégories devaient être autant que possible éradiquées, au bénéfice des véritables sans-travail, les ouvriers « qui ont habituellement un emploi régulier et qui maintenant n’en ont pas » [44]. Cette catégorisation ternaire – inemployables, irréguliers excédentaires, réguliers – domina le débat britannique sur les chômeurs à partir des années 1890. Bientôt théorisée par Alfred Marshall, elle inspira l’Unemployed Workmen Act de 1905 et fut finalement reprise par William Beveridge pour fonder des propositions de politique sociale – les bureaux publics de placement et l’assurance chômage – très éloignées de celles qu’imaginait Booth [45].
29Le programme de Booth était donc de produire une nouvelle classification sociale du peuple de Londres, associé à un diagnostic des causes de la pauvreté et à des recommandations pratiques. Sans doute les informations recueillies sur les familles étaient-elles « pleines […] de détails pittoresques » [46], mais l’objectif poursuivi était à l’opposé de celui des écrivains-reporters qui s’appuyaient sur l’observation directe pour susciter l’émotion du lecteur. Booth l’exposait en 1888 devant la Royal Statistical Society :
Je n’ai aucun doute sur la richesse de mon matériel […]. Ce qui m’embarrasse, c’est son volume et ma décision de n’utiliser aucun fait auquel je ne puisse pas donner une valeur quantitative. Dans chacun de nos carnets de notes gît en abondance la matière d’histoires à sensation ; mais même si j’avais le talent d’utiliser mon matériel de la sorte – ce don de l’imagination que l’on appelle « réalisme » – je ne souhaiterais pas l’utiliser ici. […] Mon objectif est d’essayer de montrer le rapport numérique que la pauvreté, le malheur et la dépravation ont avec la régularité des gains et le degré de confort, et de décrire les conditions générales dans lesquelles vit chaque classe [47].
31La raison majeure qu’avait Booth de condamner sans appel les « histoires à sensation » était qu’elles faisaient croire que tous les ouvriers étaient pauvres, que tous les pauvres étaient dans la misère et que tous les misérables étaient au bord de l’émeute. Ces images déformées – que diffusaient aussi bien les bonnes âmes que les agitateurs – entretenaient la confusion entre des phénomènes que l’enquêteur s’était justement attaché à distinguer. Elles créaient du même coup la panique et entraînaient des sursauts de charité inconsidérés qui – selon la doctrine de la Charity Organisation Society que Booth partageait sur ce point – aggravaient les causes du mal. La statistique était donc nécessaire pour donner à chaque catégorie sociale son juste poids dans l’ensemble.
Le mérite des informations ainsi obtenues, lorsqu’on les regarde de façon statistique, réside dans l’ampleur de vue obtenue. C’est en effet l’ensemble de la population qui vient sous examen. Les autres organismes vont habituellement chercher une classe particulière ou s’occupent d’un aspect particulier de la condition des gens. Les connaissances obtenues de cette façon peuvent être plus exactes, mais elles sont limitées et très susceptibles de produire une distorsion du jugement [48].
33Booth, après avoir été au début des années 1870 un adepte fervent du positivisme d’Auguste Comte [49], avait abandonné cette croyance pour revenir à une conception plus pragmatique des choses, tant sur le plan de la conduite de ses affaires que sur celui de sa vision de la religion. Néanmoins, il partageait avec la plupart des réformateurs de son temps une foi absolue dans les bienfaits de la science. De celle-ci découlait la possibilité d’agir, car c’est en formulant correctement les problèmes que ceux-ci pouvaient finalement trouver une solution. Booth affirmait encore cette conviction commune dans le dernier volume de son œuvre, publié en 1903 : « Pour soigner une maladie, il est d’abord nécessaire d’établir les faits concernant son caractère, son importance et ses symptômes [50]. »
34La science, cependant, devait être fondée sur l’observation et Booth critiquait vigoureusement « le raisonnement a priori de l’économie politique, qu’elle soit orthodoxe ou hétérodoxe », qui « échoue faute de réalité » [51]. C’était le rôle de la méthode statistique de constituer empiriquement cette image d’ensemble, dont découleraient des lois inductives et des principes d’action.
On peut construire un cadre de travail à partir d’une grande théorie et y injecter des faits et des statistiques qui collent avec – mais ce que je veux voir, au contraire, c’est un vaste cadre de travail statistique construit pour recevoir une accumulation de faits de laquelle, enfin, peut être tirée la théorie, la loi, et le fondement d’une action plus intelligente. Parmi toutes les relations complexes qu’ont entre eux les faits dont on s’occupe, il y en a une qu’ils doivent avoir en commun, c’est leur place dans le cadre de travail – sans cela, ils sont inutiles à notre objectif [52].
36Une observation de détail n’a donc de sens que replacée dans un tableau complet de la société. Le modèle est ici celui des sciences naturelles et de leurs « tableaux des espèces » où chaque spécimen doit pouvoir trouver sa place.
Sans une généralisation fiable – un plan de classification grâce auquel, comme dans les tiroirs d’un cabinet de minéralogiste, les détails peuvent être classés et vus à la place qui est la leur – ce qu’on a produit est en partie gâché [53].
38D’où cette formule qui exprime de façon saisissante l’ambition panoptique originelle de la statistique sociale :
Il n’y a pas une vie conduite dans Londres qui ne puisse servir d’illustration à ce livre – pas un individu qui ne puisse trouver sa place dans ses tableaux [54].
Observer : les dispositifs de l’enquête
40Le projet de Booth n’était rien de moins que l’étude de « la condition sociale et les professions des habitants de Londres » [55]. En mai 1887, Booth annonça ainsi son programme d’étude devant la Royal Statistical Society, à laquelle il avait été admis deux ans plus tôt :
Le plan général de l’enquête, appliqué à l’ensemble de Londres, est de diviser la totalité de la population par districts et par groupes d’activités, en suivant les divisions du recensement ; puis de traiter de chaque district par une enquête locale et de chaque groupe d’activités par une enquête industrielle. L’objet principal de l’enquête locale serait de montrer dans quelles conditions les gens vivent, mais elle ferait aussi connaître leurs emplois ; l’objet principal de l’enquête industrielle serait de montrer dans quelles conditions les gens travaillent, mais elle traiterait indirectement de leurs modes de vie. Cette double méthode permettrait de vérifier les résultats de l’une et l’autre enquête, qui s’éclaireraient beaucoup mutuellement [56].
42Ces travaux furent publiés en trois éditions successives, chacune reprenant et augmentant la précédente. En 1889 et 1891 parurent en trois volumes les résultats de la première phase de l’enquête, qui portait sur la pauvreté en son lieu emblématique pour l’imaginaire bourgeois, l’East End [57], « point focal du problème de la pauvreté au milieu de la richesse [58] ». Dès 1892 commença la publication d’une seconde édition où, d’une part, l’étude de la pauvreté était élargie à l’ensemble de Londres et, d’autre part, était présenté un examen approfondi des industries de la métropole. Cette édition comprit neuf volumes, dont le dernier parut en 1897 [59]. Enfin, en 1902 et 1903, les résultats précédents furent repris – quatre volumes constituant les « Poverty Series » et cinq autres les « Industry Series » – et s’y ajoutèrent une troisième partie en sept volumes, les « Religious Influences Series » qui exposaient les résultats de la dernière phase de l’enquête, ainsi qu’un volume final de conclusions [60].
43Si Booth avait clairement à l’esprit dès l’origine le plan d’ensemble de son étude, la première phase concernait donc uniquement l’Est de Londres et n’abordait que de façon limitée l’examen des industries. C’est seulement de cette phase qu’il sera question ici. La tâche de cette « enquête locale » expérimentale était déjà considérable : recueillir des informations détaillées sur chaque famille d’une zone urbaine qui comprenait alors environ 900 000 habitants sur les quelque 4 300 000 que comptait Londres. La solution adoptée fut celle que Beatrice Webb baptisa plus tard un peu pompeusement « la méthode de l’entretien en gros » [61]. L’enquête, en effet, ne fut pas réalisée directement auprès des familles mais par des entretiens auprès des School Board visitors [62]. Le London School Board, institué par l’Education Act de 1870, était organisé en plusieurs districts qui couvraient tout le territoire métropolitain et employait, sous la responsabilité de « surintendants » (superintendants), des « visiteurs » qui avaient pour tâche de s’assurer que les enfants satisfassent à l’obligation de scolarité. Ils étaient ainsi conduits à connaître chaque famille comprenant des enfants d’âge scolaire, leur surveillance étant toutefois limitée aux milieux populaires, considérés comme les plus susceptibles de ne pas envoyer leurs enfants à l’école [63] et leurs enquêtes étant particulièrement approfondies dans tous les cas où la famille demandait une remise des droits de scolarité, ce qui était fréquent dans « les classes pauvres [64] ». Le visiteur était censé enregistrer les familles de la zone dont il avait la charge avant même que l’enfant eût atteint l’âge scolaire, et le suivre quelque temps après qu’il l’eut dépassé, en ayant soin de signaler tout déménagement au visiteur du nouveau quartier [65]. D’après Beatrice Webb, Booth aurait choisi cette source d’information en s’inspirant d’une remarque de Joseph Chamberlain qui évoquait devant la Royal Commission on the Housing of the Working Classes une enquête menée par la municipalité de Birmingham pour préparer ses opérations de slum clearance [66].
44Le début de l’année 1886 fut consacré à la conception de l’enquête, et c’est en septembre qu’eurent lieu les premiers entretiens avec le surintendant de la School Board Division de Tower Hamlets, qui comprenait les cinq districts de Whitechapel, St. George’s-in-the-East, Stepney, Mile End Old Town et Poplar, c’est-à-dire les quartiers communément associés à la misère londonienne et, notamment, ceux des docks. À partir de la fin de 1886 et au cours de l’année 1887 de longs entretiens furent réalisés auprès des visiteurs par Booth et ses assistants, qui rémunéraient leurs informateurs [67]. Des informations sur les familles de Tower Hamlets, puis de Hackney, furent ainsi collectées rue par rue, maison par maison. Les données étaient recueillies sur des carnets de notes, selon un plan peu à peu standardisé [68] : nom de la rue, identification de la maison et, pour chaque famille, profession du chef (head of family), nombre de pièces, nombre d’enfants, observations sur le « caractère » de la famille et de son intérieur. Quarante-six carnets de notes furent ainsi remplis lors de la seule enquête sur East London, qui ne couvrait pas moins de 3400 rues [69]. Parallèlement, des « études spéciales » furent confiées par Booth à des collaborateurs sur certaines activités industrielles communément associées à la pauvreté : les docks et les industries du vêtement étaient étudiés par Beatrice Potter (une cousine par alliance, qui n’avait pas encore épousé Sidney Webb), l’industrie de la chaussure par David F. Schloss, celle du tabac par Stephen N. Fox, et celle de la soie par Jesse Argyle. Les emplois féminins furent étudiés par Clara E. Collet [70].
45Dès le mois de mai 1887, Booth présenta ses premiers résultats à la Royal Statistical Society [71] et, en quelques jours, la presse en fit une célébrité [72]. Booth entreprit immédiatement d’élargir l’enquête à un second secteur de l’East End, la School Board Division de Hackney, qui comprenait Shoreditch, Bethnal Green et Hackney, respectivement deux quartiers populaires et une banlieue de couches moyennes. Les résultats furent alors présentés sous la forme d’une carte de l’ensemble d’East London, bientôt connue sous le nom de Poverty Map. À la suite de critiques formulées lors des débats de la Royal Statistical Society, Booth compléta son enquête sur deux points. D’une part, il reprit ses entretiens auprès des visiteurs du School Board sur 4000 cas de familles classées comme « pauvres » ou « très pauvres », afin de déterminer les causes de leur pauvreté [73]. D’autre part, il réalisa une étude de budgets de familles, ses collègues lui ayant recommandé d’examiner si la pauvreté provenait du montant des ressources ou d’une mauvaise façon de les dépenser [74]. Une seconde communication à la Royal Statistical Society présenta en mai 1888 les résultats d’ensemble de l’enquête sur l’East End [75]. Là encore, les questions industrielles restèrent au second plan, et la discussion porta essentiellement sur la définition que Booth donnait de la pauvreté. C’est le moment où, malgré son intention proclamée à l’origine de ne rien prescrire [76], il présenta le point central de ses conclusions pratiques : l’élimination forcée des « très pauvres ».
46C’est seulement alors, dit Booth, qu’il se décida à parcourir les rues de l’East End [77] et, au cours de l’hiver 1888-1889 il prit une chambre successivement dans trois familles typiques d’ouvriers « pauvres » ou « confortables » [78]. Au cours de ces explorations, il remplit de nombreux carnets de notes. Les assistants de Booth purent aussi observer de façon plus ou moins directe les habitants de l’East End : Stephen Fox, Henry Llewellyn-Smith et Ernest Aves en résidant à Toynbee Hall au cœur de Whitechapel, Beatrice Potter en travaillant quelque temps dans un atelier de confection pour apprendre « how to sweat [79] ». C’est ainsi que l’observation sur le vif compléta l’enquête statistique.
Convaincre : les dispositifs de l’argumentation
47Comment Booth présenta-t-il ses résultats ? Décrivons sommairement le volume publié en 1889, en considérant à la fois ses procédés rhétoriques et les formes matérielles qui les soutiennent. Le dispositif mis en place par Booth combine exposé de méthode, résultats statistiques, descriptions concrètes et, en mineur, prescriptions.
48Les tableaux de chiffres, très nombreux, sautent aux yeux : il y en a trente-quatre dans les six chapitres de l’ouvrage qui traitent des « classes ». Une partie d’entre eux font l’objet d’une numérotation continue (de I à XXI), sont dotés d’un titre et se détachent nettement du texte. D’autres ne sont pas numérotés (six), parfois n’ont même pas de titre (sept) et sont intégrés au texte. Cette dualité de formes est courante dans les publications statistiques de l’époque, particulièrement dans les rapports du recensement ou du Labour Department. Les grands tableaux numérotés sont les données originales qui font foi et sont entourées de la solennité des chiffres d’État – à laquelle contribue peut-être l’usage des chiffres romains [80]. Les autres sont des élaborations particulières des précédents ou des données issues d’autres enquêtes : le tableau n’a pas dans ce cas un statut supérieur au commentaire qui en est fait et ce n’est que par commodité que les chiffres ne sont pas présentés au fil de la plume, mais rassemblés en lignes et colonnes. Soulignons l’importance symbolique de la forme matérielle des vingt et un tableaux numérotés : à l’évidence, Booth aspirait à ce que ses chiffres se voient reconnaître une valeur aussi indiscutable que ceux de la statistique officielle – dans la suite de son enquête, il obtint d’ailleurs une modification du formulaire du recensement de 1891 et eut le privilège de traiter lui-même les bulletins de ménage. Relevons aussi que Booth n’était pas le seul à adopter cette tactique graphique : la Charity Organisation Society en faisait autant dans ses rapports, dont la couverture bleue mimait en outre les Blue Books du Parlement.
49Si les graphiques sont rares et élémentaires – on ne trouve dans le volume que deux histogrammes –, se détachent parfois du texte des éléments qui se présentent de la même façon que les tableaux de chiffres mais sont en réalité des listes d’éléments divers : listes de maisons et familles pour des rues choisies comme exemple, liste des working’s men clubs, liste des activités de Toynbee Hall au cours d’une semaine prise au hasard [81]. Là encore, cette forme est coutumière à l’époque. À la fin du xixe siècle, bien que les statistiques fussent principalement organisées en tableaux de chiffres à double entrée, elles pouvaient encore consister en des informations non numériques, des énumérations qui mettaient sous les yeux du lecteur la réalité elle-même – celle qui pouvait être par ailleurs résumée dans les chiffres. Ainsi la liste des familles est un extrait des carnets de notes d’où sont tirés les tableaux des classes, la liste des clubs vient après un tableau de chiffres qui est une « classification des clubs ».
50Les résultats statistiques sont donnés d’abord pour l’ensemble de l’East End et Hackney (chap. 2), puis pour chacun des districts qui composent la région (chap. 3). Mais les tableaux de chiffres et leur commentaire ne viennent pas seuls. Les statistiques étant organisées par l’espace, le territoire concerné est chaque fois décrit. L’East End dans son ensemble est présenté selon les canons de la description visuelle qu’ont fixés les reportages et les guides de voyage, et Booth fait explicitement appel à l’expérience des lecteurs : « Ceux qui n’ont rien vu de plus, ont au moins de ces endroits une sorte de vision à vol d’oiseau depuis la fenêtre d’une voiture de chemin de fer roulant sur quelque viaduc qui surplombe les cheminées de la Londres des maisons basses [82]. » Quant aux descriptions des différents districts, ce sont des récits de promenade : « Chaque district a son arôme particulier. On semble en être conscient dans les rues [83]. » Les « classes » sont illustrées par des croquis de types humains, qui empruntent aussi beaucoup aux techniques du reportage. Il en est de même de la description des institutions (chap. 4) qui promène le lecteur des working men’s clubs aux écoles en passant par les églises, les magasins coopératifs, les settlements et les public houses.
51Le chapitre 5, intitulé « Poverty », a pour objet les études complémentaires réalisées à la suite des critiques faites à Booth à la Royal Statistical Society. D’abord, sous le titre « The Standard of Life », sont présentés les résultats d’une enquête sur des budgets de familles : des tableaux de chiffres donnant les dépenses observées dans chacune des trente familles étudiées et quelques tableaux synthétiques, puis une description de quelques-unes de ces familles. Ensuite, sous le titre « The Causes of Poverty », les résultats d’une analyse de 4000 cas de pauvreté connus des School Board visitors. Comme en conclusion, une dernière section traite de « The Unemployed », c’est-à-dire du problème qui avait été à l’origine de toute l’entreprise.
52« Le reste du volume, annonce Booth au début du chapitre 6, vise à ajouter de la chaleur et de la vie aux colonnes de chiffres qui, prises en elles-mêmes, sont quelque peu froides et sans couleur [84]. » Ce chapitre conclut ceux qui précèdent et a pour titre : « Class relations ». Il revient sur la description de chacune des classes et c’est là qu’interviennent les prescriptions. On passe ensuite à la deuxième partie du volume, qui présente les études consacrées aux industries de l’East End liées à la pauvreté.
53Ainsi, l’argumentaire de Booth s’appuie constamment sur deux registres : celui du chiffre et celui de la description concrète. Chacun fait appel à un principe de conviction différent, mais en même temps se trouve modifié par la présence simultanée de l’autre registre.
« Quantitatif » et « qualitatif » : produits d’interactions, registres d’argumentation
54Beatrice Webb, qui n’était pas une fanatique de statistique, souligna par la suite la double nature de l’enquête sur Londres en écrivant que « le programme soigneusement étudié de Charles Booth pour une ample vérification statistique de données obtenues par l’observation détaillée de familles et d’institutions sociales singulières » constituait « une combinaison subtile d’analyse quantitative et qualitative » [85]. Ce propos tenu en 1926 – alors que commençait à se cristalliser dans ce vocabulaire une opposition qui allait devenir pour longtemps paradigmatique pour la sociologie – permet-il de caractériser l’enquête de Booth ? La plupart des commentateurs le croient. Cependant, une considération un peu attentive des pratiques effectives de Booth et de ses collaborateurs fait rapidement s’effondrer la distinction supposée entre méthode quantitative et méthode qualitative et fait apparaître des traits autrement plus intéressants de l’enquête. Écoutons Booth parler lui-même de sa méthode dans le volume final de 1903 :
L’idée fondamentale avec laquelle j’ai commencé ce travail […] était que chaque fait dont j’avais besoin était connu de quelqu’un, et que les informations devaient simplement être collectées et assemblées [86].
56On ne saurait mieux souligner le rapport étroit entre la science sociale naissante et les institutions chargées de surveiller et éduquer le peuple. Une grande quantité de « données » existaient, en effet, recueillies dans le cadre de l’activité ordinaire des nombreuses administrations et associations philanthropiques qui agissaient dans les quartiers populaires de la métropole. Tout au long de son enquête, Booth fit appel à de nombreux informateurs : visiteurs du School Board, mais aussi administrateurs de la Poor Law, agents de la Charity Organisation Society, police, clergé, maîtres d’école [87]. Pour Booth comme pour ses contemporains – à l’exception de quelques pionniers universitaires de la statistique mathématique –, les statistiques sont un résumé de la réalité qu’elles dénombrent : derrière chaque chiffre, il y a des gens. Mais il faut ajouter que ces gens sont au moins deux : celui que l’on compte et celui qui compte, celui qui est observé et celui qui observe. Tout comptage implique à l’origine une interaction sociale, particulièrement identifiable dans le cas qui nous intéresse ici, puisque ses objectifs et ses formes étaient définis institutionnellement.
57S’agissant de l’East End, tableaux statistiques et carte de la pauvreté reposaient sur des informations concernant chaque famille, recueillies auprès des visiteurs du School Board selon un modèle standardisé dont il est important de repérer l’origine. Ces informations, disait Booth, étaient « pleines […] de détails pittoresques recueillis de la bouche même du visiteur à qui ils étaient remémorés par les pages ouvertes de ses propres registres [88] ». L’information passait ainsi du visiteur à l’enquêteur, le premier transmettant des savoirs pratiques appuyés sur ses notes, le second recueillant ces savoirs en vue d’un comptage statistique. Qu’est-ce qui pouvait assurer la compatibilité des deux registres de connaissance ? La réponse ne fait pas de doute : les notes des enquêteurs de Booth ressemblent à s’y méprendre aux « histoires de cas » (case stories) qui furent la technique de base des statisticiens sociaux des années 1830 et 1840 [89], puis des adeptes de la charité scientifique à partir des années 1870. La comparaison entre une page des carnets de Booth et les exposés présentés devant les comités de la Charity Organisation Society sur les cas de pauvres sollicitant un secours montre à quel point la méthode d’enquête est identique [90]. Cette technique bien éprouvée par laquelle les bienfaiteurs des pauvres s’entraînaient depuis plusieurs décennies à distinguer les pauvres méritants (deserving) de ceux qui ne l’étaient pas, était un outillage intellectuel commun aux deux parties réunies par l’entretien. Questions et réponses étaient ainsi assurées d’être en harmonie, et l’ensemble marqué du sceau de l’évidence que garantissent les schèmes de pensée partagés : tout lecteur de ses carnets d’enquête, insistait Booth, ne pouvait qu’être convaincu du « caractère authentique de l’information et de sa vérité [91] ».
58Par cette façon de collecter l’information, Booth ne s’écartait guère du principal dispositif de l’enquête sociale du xixe siècle : la consultation des autorités et la foi donnée à la connaissance locale, en face-à-face. Qu’il s’agît d’enquêtes officielles ou de science privée, c’était généralement auprès de ceux qui étaient supposés savoir que l’on venait s’informer en recueillant leurs descriptions, leurs opinions, voire parfois leurs propres comptages. Sans doute les recensements de la population, depuis l’introduction du bulletin de ménage en 1841, tendaient désormais à recueillir les « faits » de la bouche même des personnes recensées – ce qui soulevait, bien entendu, une montagne de nouveaux problèmes. Mais il n’est pas du tout assuré que les questionnaires ne fussent pas assez souvent remplis par les agents recenseurs en interrogeant le clergé, le squire local ou le tenancier de la public house : les autorités du recensement rappelaient fréquemment qu’il ne fallait pas procéder ainsi, ce qui suggère que cette façon de faire a eu la vie dure. Booth, en tout cas, la reprenait sans hésiter. Le recours aux autorités et à la connaissance locale n’intervenait d’ailleurs pas seulement pour recueillir l’information, mais aussi pour évaluer, voire corriger, les résultats même de l’enquête. Ainsi, la carte de Booth fut soumise aux avis des connaisseurs avant d’être définitivement mise au point. Même si elle fut ensuite divisée en planches et insérée dans un volume in-8°, de par son format [92] et sa nature même, elle n’était pas faite pour être « lue » en solitaire, mais pour être exposée et discutée par un public. Dès qu’une première version de la carte de l’East End fut achevée en 1888, Booth l’exposa à Toynbee Hall et Oxford House, afin de bénéficier des commentaires des notables et spécialistes de l’action auprès des pauvres qui fréquentaient ces deux settlement houses fondées en 1884, l’une à Whitechapel, l’autre à Bethnal Green [93].
59Ces tactiques de présentation des résultats visaient à consolider ceux-ci par l’approbation de ceux à qui ils étaient livrés. Booth ne disposait pas d’instance universitaire qui aurait pu garantir la validité de son enquête, il devait donc en appeler aux autorités disponibles : ses collègues de la Royal Statistical Society d’une part, le milieu londonien des réformateurs des pauvres de l’autre – les deux instances ayant d’ailleurs de nombreux éléments en commun. Ce qui assurait la conviction de ces publics, c’était l’appel à l’expérience commune, c’était aussi un accord sur les questions à poser et les traits qu’il était pertinent de décrire. Cet accord était fondé, on l’a vu, sur des schèmes cognitifs institutionnellement construits mais aussi, et ce n’est sans doute pas moins important, sur les schèmes perceptifs partagés par tout le West End sur le monde des pauvres, sur l’évidence de classe. Ce n’est pas le moindre paradoxe de l’enquête de Booth que de jouer sans cesse sur deux registres de conviction : d’un côté, le respect dû à la rigueur et à la machinerie du comptage statistique et, de l’autre, la complicité que l’auteur demandait au lecteur en faisant appel à son expérience et en rapportant des observations qu’il aurait pu faire lui-même s’il s’était donné la peine d’aller y voir. L’enquête de Booth n’est donc pas la fin des explorations urbaines, elle en durcit le régime de vérité : l’explorateur s’appuie ici sur l’administrateur – le visiteur des écoles – et, en s’appropriant son savoir, en change radicalement la nature.
60C’est pourquoi l’exposé des résultats de l’enquête combinait deux procédés : le chiffre et le récit. Booth lui-même laissait entendre dans une lettre à Beatrice Potter qu’il s’agissait de deux procédés rhétoriques qui se renforçaient mutuellement en vue d’entraîner la conviction et de faire obstacle à tout usage dévoyé de ses observations :
Quant aux méthodes d’enquête, je dirais que la méthode statistique était nécessaire pour donner une allure solide (to give bearings) aux résultats de l’observation personnelle et l’observation personnelle pour donner de la vie aux statistiques […]. La proportion des faits les uns par rapport aux autres, par rapport à nous, aux autres, à la société dans son ensemble et aux remèdes éventuels, c’est ce caractère relatif des faits qu’il faut introduire s’ils doivent avoir la moindre valeur pour le diagnostic social. Des faits singuliers et des chapelets de statistiques peuvent être les uns et les autres vrais et démontrés, et pourtant entièrement trompeurs à cause de la façon dont ils sont utilisés [94].
62La description pieuse de l’enquête de Booth comme une admirable combinaison de méthodes qualitative et quantitative fait disparaître le fait que ses chiffres comme ses observations reposaient sur des schèmes communs aux acteurs sociaux réunis comme partenaires dans l’acte de science : les hommes pratiques qui fournissaient les informations, les enquêteurs qui les élaboraient et le public qui approuvait les résultats.
Notes
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[1]
Je ne discuterai ici ni les résultats de l’enquête ni la très vaste littérature sur Booth. Sur les résultats, voir C. Topalov, « La ville, “terre inconnue” : l’enquête de Charles Booth et le peuple de Londres, 1886-1891 », Genèses, 5, septembre 1991, p. 5-34.En ligne
-
[2]
Ch. Booth (ed.), Life and Labour of the People in London, Londres, Macmillan, Second Series : Industry, 1902-1903, 5 vol., vol. 5, p. 337.
-
[3]
Ch. Booth (ed.), Labour and Life of the People, Londres, Williams and Norgate, vol. 1, East London, 1889 [ci-après LL 1889], p. 591-592.
-
[4]
Ibid., p. 25.
-
[5]
Ch. Dickens, « The Pawnbroker Shop », in Sketches by Boz, éd. de 1839, rééd. Penguin Books, 1995, p. 223.
-
[6]
[T. Lister], « Sketches (First and Second Series)… », Edinburgh Review, octobre 1838, cité par D. Walder, « Introduction » à la rééd. Penguin Books, 1995, p. XVII.
-
[7]
H. Mayhew, London Labour and the London Poor : A Cyclopaedia of the Conditions and Earnings of Those That Will Work, Those That Cannot Work, and Those That Will Not Work, Londres, 1861-1862, 4 vol. (1re éd. en 2 vol., 1851-1852), rééd. New York, Dover Publications, 1968, 4 vol.
-
[8]
G. Godwin, London Shadows : A Glance at the Homes of the Thousands, Londres, G. Routledge, 1854 ; Town Swamps and Social Bridges : A Sequel of A Glance at the Homes of the Thousands, Londres, n.p., 1859 (rééd. Leicester, Leicester University Press, 1972).
-
[9]
J. Hollingshead, Ragged London in 1861, Londres, Smith, Elder and Co, 1861 (rééd. Londres, Dent, 1986, introd. par Anthony S. Wohl).
-
[10]
Cité par M. Lubbock, The Complete Book of Light Opera, New York, Appleton-Century-Crofts, 1962, p. 467 (www.theatrehistory.com/british/lightopera).
-
[11]
J. Hollingshead, Ragged London…, op. cit., chap. « The Back of Whitechapel ».
-
[12]
J. Greenwood, A Night in the Workhouse. How the Poor are Treated in Lambeth, Londres, F. Bowering […], Mansell & Son […] and all newsagents, 1866.
-
[13]
J. Greenwood, The Seven Curses of London, Londres, Stanley Rivers, 1869 (rééd. Oxford, Blackwell, 1981) ; Id., The Wilds of London, Londres, Chatto and Windus, 1874 (rééd. Londres, Garland, 1985) ; Id., Low-Life Deeps. An account of the strange fish to be found there, Londres, Guilford, 1876.
-
[14]
J. Greenwood, The Policeman’s Lantern. Strange Stories of London Life, Londres, The Novocastrian Novels, 1888.
-
[15]
G.R. Sims, How the Poor Live, Londres, Chatto and Windus, 1883 ; Id., How the Poor Live and Horrible London, Londres, Chatto and Windus, 1889 ; Id., Off the Track in London, Londres, Jarrold & Sons, 1911.
-
[16]
J. London, The People of the Abyss, New York, Grosset and Dunlap, 1903.
-
[17]
Plus de 20 000 exemplaires pour le rapport Chadwick sur la condition sanitaire des populations laborieuses (1842) (Report on the Sanitary Condition of the Labouring Population of Great Britain, rééd. Édimbourg, Edinburgh University Press, 1965, introd. par M.W. Flinn, p. 55) et 10 000 pour le tirage officiel du rapport de la commission sur la réforme de la Poor Law (1909) (J. Carré et J.-P. Révauger (eds.), Écrire la pauvreté. Les enquêtes sociales britanniques aux xixe et xxe siècles, Paris, L’Harmattan, 1995, p. 14), auxquels s’ajoute l’édition privée du rapport de la minorité par les Webb.
-
[18]
G. Doré et B. Jerrold, London : A Pilgrimage, Londres, Grant & Co, 1872.
-
[19]
[A. Mearns], The Bitter Cry of Outcast London : An Enquiry Into the Condition of the Abject Poor, Londres, London Congregational Union, 1883.
-
[20]
Voir A.S. Wohl, introd. à la rééd. Leicester, Leicester University Press, 1970.
-
[21]
W. Booth, In Darkest England and the Way Out, Londres-New York, International Headquarters of the Salvation Army, 1890.
-
[22]
C.F.G. Masterman, From the Abyss. Of Its Inhabitants By One of Them, Londres, R.B. Johnson, 1902.
-
[23]
R. Sherard, The White Slaves of England : Being true pictures of certain social conditions in the kingdom of England in the year 1897, Londres, J. Bowden, 1897 ; Id., The Cry of the Poor : Being the true and faithful account of a three months’ tour amongst the pariahs of the kingdoms of England, Scotland and Ireland during the last half-year of the nineteenth century, Londres, Digby, Long and Co, 1901 ; Id., The Child-Slaves of Britain, Londres, Hurst & Blackett, 1905.
-
[24]
H.R. Haggard, Rural England : Being an account of agricultural and social researches carried out in the years 1901 & 1902, Londres, Longmans, 1902, 2 vol.
-
[25]
F. Engels, The Condition of the Working Class in England in 1844, trad. Florence Kelley Wischnewetzky, New York, John W. Lovell Co, 1887, et Londres, Sonnenschein & Co, 1892. Voir G. Stedman Jones, « Voir sans entendre. Engels, Manchester et l’observation sociale en 1844 », Genèses, 22, mars 1996, p. 4-17.
-
[26]
H. Mayhew, London Labour, op. cit., vol. 1, préface.
-
[27]
J. Hollingshead, Ragged London, op. cit., introduction.
-
[28]
Ibid., chap. « The Back of Whitechapel ».
-
[29]
H. Mayhew, London Labour, op. cit., vol. 1, préface.
-
[30]
J. London, The People of the Abyss, op. cit.
-
[31]
W. Booth, In Darkest England, op. cit. ; H.M. Stanley, In Darkest Africa, Or the Quest, Rescue and Retreat of Emin, Governor of Equatoria, Londres, S. Low, Marston, Searle and Rivington, 1890, 2 vol.
-
[32]
W. Booth, In Darkest England, op. cit., p. 9 et 11-12.
-
[33]
Ch. Booth (ed.), Labour and Life of the People, op. cit., vol. 2, London, Continued, 1891 [ci-après LL 1891], p. 46.
-
[34]
LL 1889, p. 591.
-
[35]
Ch. Booth (ed.), Life and Labour of the People in London, Londres, Macmillan, Third Series : Religious Influences, 1902-1903, 7 vol., vol. 1, p. 7.
-
[36]
Ch. Booth, « Life and Labour of the People in London : First Results of an Inquiry Based on the 1891 Census. Opening Adress of Charles Booth, Esq., President of the Royal Statistical Society. Session 1893-94 », Journal of the Royal Statistical Society, vol. 56, 4, décembre 1893 [ci-après JRSS 1893], p. 591 ; Id. (ed.), Life and Labour of the People in London, Second Series : Industry, op. cit., vol. 1, p. 17-18.En ligne
-
[37]
Ch. Booth, « The Inhabitants of Tower Hamlets (School Board Division), Their Condition and Occupations », Journal of the Royal Statistical Society, vol. 50, 2, juin 1887 [ci-après JRSS 1887], p. 326. Cf. aussi LL 1889, p. 6.En ligne
-
[38]
JRSS 1887, p. 371.
-
[39]
LL 1889, p. 164.
-
[40]
Ch. Booth, « The Condition of the People of East London and Hackney, 1887 », Journal of the Royal Statistical Society, vol. 51, 2, juin 1888, p. 276-331 [ci-après JRSS 1888], p. 296 ; Id. LL 1889, p. 149.En ligne
-
[41]
JRSS 1888, p. 373 ; Id. LL 1889, p. 150.
-
[42]
JRSS 1887, p. 372 ; Id. LL 1889, p. 150.
-
[43]
JRSS 1887, p. 372. Cf. aussi JRSS 1888, p. 296 ; même thème : LL 1889, p. 150-151 et 164-165.
-
[44]
JRSS 1887, p. 372 et 371 ; Id. LL 1889, p. 151.
-
[45]
Cf. C. Topalov, Naissance du chômeur, 1880-1910, Paris, Albin Michel, 1994, chap. 9.
-
[46]
JRSS 1888, p. 277 ; Id. LL 1889, p. 5.
-
[47]
JRSS 1888, p. 277-278 ; Id.. LL 1889, p. 6.
-
[48]
LL 1889, p. 26. Sur les limites des statistiques produites par les sociétés charitables, cf. JRSS 1888, p. 297.
-
[49]
T.S. Simey et M.B. Simey, Charles Booth, Social Scientist, Oxford, Oxford University Press, 1960, p. 48-49 ; B. Webb, My Apprenticeship, Londres, Cambridge University Press, 1979 (1re éd. 1926), p. 218.
-
[50]
Ch. Booth, Life and Labour of the People in London, Final Volume : Notes on Social Influences and Conclusions, Londres, Macmillan, 1903, p. 215-216.
-
[51]
JRSS 1887, p. 376.
-
[52]
Booth Manuscripts, British Library of Political and Economic Science, cité par T.S. et M.B. Simey, Charles Booth, Social Scientist, op. cit., p. 77-78.
-
[53]
JRSS 1893, p. 591.
-
[54]
Ch. Booth (ed.), Life and Labour of the People in London, 2e éd., Londres, Macmillan, 1892-1897, 9 vol. [ci-après LL 2e éd.], vol. 9, p. 161.
-
[55]
LL 1889, p. 3.
-
[56]
JRSS 1887, p. 326.
-
[57]
Ch. Booth (ed.), Labour and Life of the People, Londres, Williams and Norgate, vol. 1, East London, 1889 ; vol. 2, London, Continued, 1891 ; vol. 3, Appendix to Volume 2, 1891.
-
[58]
JRSS 1887, p. 374.
-
[59]
Ch. Booth (ed.), Life and Labour of the People in London, Londres, Macmillan, 1892-1897, 9 vol.
-
[60]
Ch. Booth (ed.), Life and Labour of the People in London, Londres, Macmillan, First Series : Poverty, 1902, 4 vol. ; Second Series : Industry, 1902-1903, 5 vol. ; Third Series : Religious Influences, 1902-1903, 7 vol. ; Final Volume. Notes on Social Influences and Conclusions, 1903.
-
[61]
B. Webb, My Apprenticeship, op. cit., p. 227. Cf. aussi S. Webb et B. Webb, Methods of Social Study, Londres, London School of Economics and Political Science, 1932, p. 208.
-
[62]
Le nombre des « visiteurs » interviewés a été de 34 pour l’enquête sur Tower Hamlets (JRSS 1887, p. 326), de 66 pour l’ensemble de l’enquête sur East London (LL 1889, p. 4), et d’environ 400 pour l’ensemble de Londres (S. et B. Webb, Methods of Social Study, op. cit., p. 208).
-
[63]
Seules les maisons dont la valeur locative n’était pas supérieure à £ 35 entraient dans les attributions des autorités scolaires (JRSS 1888, p. 331). On notera que, dans la première enquête, la population des maisons non répertoriées par les visiteurs du School Board (unscheduled houses), a été classée pour 79 % dans l’upper middle class, le reste étant constitué des domestiques et classé dans les « ordinary standard earnings » (ibid.).
-
[64]
JRSS 1887, p. 328.
-
[65]
Ibid., p. 327-328 ; LL 1889, p. 5.
-
[66]
B. Webb, My Apprenticeship, op. cit., p. 228.
-
[67]
T.S. et M.B. Simey, Charles Booth, Social Scientist, op. cit., p. 125.
-
[68]
LL 1889, p. 24-25. L’enquête concernant St George’s-in-the-East a dû être refaite après la mise au point de ce plan (JRSS 1888, p. 277).
-
[69]
LL 1889, p. 7. Des extraits de ces cahiers sont donnés pour des « specimens of each class of street » (ibid., p. 7-24). Les manuscrits sont conservés à la British Library of Political and Economic Science (créée en 1896 à la London School of Economics and Political Science fondée l’année précédente).
-
[70]
Ces études furent publiées in LL 1889, p. 173-477.
-
[71]
JRSS 1887, p. 326-391.
-
[72]
T.S. et M.B. Simey, Charles Booth, Social Scientist, op. cit., p. 92-93. Booth relève qu’un article « very remarkable and sensational » et intitulé « London’s Suffering Millions », publié aussi bien en Californie qu’en Nouvelle-Zélande confond l’ensemble de la classe B avec la classe A (JRSS 1888, p. 288).
-
[73]
Suite aux remarques de Leone Levi, in « Discussion on Mr Booth’s Paper », Journal of the Royal Statistical Society, vol. 50, 2, juin 1887, p. 394.
-
[74]
Suite aux remarques de L. Levi, Major Craigie et S. Bourne, ibid., p. 394-397.
-
[75]
JRSS 1888, p. 276-331.
-
[76]
Cf. JRSS 1887, p. 375 ; JRSS 1888, p. 278 ; LL 1889, p. 6.
-
[77]
LL 1889, p. 25.
-
[78]
Appartenant aux classes C, D et E (LL 1889, p. 158).
-
[79]
B. Webb, My Apprenticeship, op. cit., p. 297.
-
[80]
Cf. les observations sur le xviie siècle français de J.-C. Perrot, Une histoire intellectuelle de l’économie politique, Paris, Éd. de l’EHESS, 1992, p. 19-22.
-
[81]
LL 1889, p. 7-24, 103-106 et 122-124, respectivement.
-
[82]
Ibid., p. 31.
-
[83]
Ibid., p. 66.
-
[84]
Ibid., p. 156.
-
[85]
B. Webb, My Apprenticeship, op. cit., p. 216-217, voir aussi p. 246.
-
[86]
Ch. Booth (ed.), Life and Labour of the People in London, Final Volume, op. cit., p. 32.
-
[87]
LL 1889, p. 24 et 37 ; LL 1891, p. 17 et 44-45 ; LL 2e éd., vol. 3, p. 195 ; Ch. Booth (ed.), Life and Labour of the People in London, Third Series : Religious Influences, op. cit., vol. 1, p. 7.
-
[88]
JRSS 1888, p. 277 ; Id. LL 1889, p. 5.
-
[89]
Cf. M.J. Cullen, « Charles Booth’s Poverty Survey : Some New Approaches », in T.C. Smout (ed.), The Search For Wealth and Stability : Essays in Economic and Social History, Londres, Macmillan, 1979, p. 155-157.
-
[90]
Cf. les fréquents comptes rendus de ces exposés dans Charity Organisation Reporter (1872-1884), puis Charity Organisation Review (1885-1900), passim.
-
[91]
JRSS 1888, p. 277 ; Id. LL 1889, p. 6.
-
[92]
La carte originale de l’ensemble de Londres mesure près de cinq mètres sur quatre (LL 1891, p. 16).
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[93]
LL 1889, p. 24. Cf. les premiers commentaires sur l’enquête de Booth dans les publications de Toynbee Hall : Annual Report, 1888, p. 19, et Toynbee Record, mai 1889, p. 96. Sur le petit nombre de corrections apportées par les relief officers et autres, voir JRSS 1888, p. 285, et LL 1889, p. 24.
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[94]
Lettre de Charles Booth à Beatrice Potter, Booth Manuscripts, British Library of Political and Economic Science, cité par T.S. et M.B. Simey, Charles Booth, Social Scientist, op. cit., p. 78.