L’art, pour l’historien d’art, c’est avant tout un objet : l’œuvre. Pour l’amateur d’art, c’est aussi une relation, entre l’œuvre et le spectateur (selon le mot fameux de Duchamp : « Ce sont les regardeurs qui font les tableaux »). À ces approches classiques, unitaire (l’œuvre) et binaire (l’œuvre et son spectateur), le sociologue substitue une approche ternaire : l’art n’a plus une seule composante (l’œuvre), ni même deux (l’œuvre et le spectateur), mais trois : l’œuvre, le spectateur, et l’entre-deux ; un entre-deux fait de tout ce qui permet à l’œuvre d’entrer en rapport avec un spectateur, et réciproquement, ou encore – au choix – de tout ce qui s’interpose entre l’œuvre et son spectateur. Pour le sociologue des médiations, comme pour l’historien d’art espagnol Juan Antonio Ramirez, « il faut abandonner la croyance naïve que la véritable création passe directement de l’atelier de l’artiste à l’œil du spectateur ». Et quoi de mieux, pour mettre à mal l’idée pré-sociologique d’un face-à-face entre l’un et l’autre, que de décrire ce qui se passe entre les deux, en ouvrant la « boîte noire » de la chaîne des intermédiaires, ou de la « prolifération des médiateurs » ?
L’image de la chaîne des intermédiaires peut toutefois être trompeuse, suggérant une linéarité des processus de médiation, alors que celle-ci opère selon des structurations relativement hétérogènes, avec des sauts souvent bien identifiables de l’une à l’autre. Plus adéquate est l’image des cercles concentriques utilisée par l’historien d’art anglais Alan Bowness…