Le contexte
1Une semaine s’est écoulée depuis que le gouvernement national des États-Unis a voté une loi emblématique, une réforme globale du système de santé, familièrement appelée « Obamacare », qui, entre autres, vise à étendre la couverture santé à 95 % de la population des États-Unis et impose une nouvelle réglementation aux compagnies d’assurance de santé privées. Depuis le plaidoyer de Theodore Roosevelt (alors candidat à la présidence) en faveur d’un programme d’assurance santé national au début du XXe siècle, la nation avait vu Franklin Roosevelt envisager puis reporter une proposition de projet au début des années 1940, Harry Truman se battre énergiquement mais en vain pour ce projet à la fin de cette même décennie, Lyndon Johnson obtenir la promulgation des lois à l’origine des systèmes Medicare et Medicaid en 1965 (qui, avec les projets privés, garantissent une couverture santé à plus de 85 % de la population), Bill Clinton concevoir un plan de réforme global qui échoua lamentablement en 1993-94, puis une quinzaine d’années pendant lesquelles les perspectives d’une couverture universelle semblèrent, au mieux, imprécises. Toutefois, en mars 2010 (presque un demi-siècle après la promulgation des lois fondant les systèmes Medicare et Medicaid) l’administration Obama et un Congrès majoritairement démocrate franchirent cette ligne d’arrivée mythique.
2Il va sans dire que l’évolution du Patient Protection and Affordable Care Act (plus communément appelé « loi sur la réforme des soins de santé ») fut menacée de toutes parts et semée d’obstacles. L’euphorie qui suivit l’élection de Barack Obama en novembre 2008 (« Yes, we can ») fit place en 2009 à la crainte que les obstacles, à l’origine de l’échec du projet de Clinton, soient toujours intacts et redoutables. Bien que les instances médicales et les compagnies d’assurance privées aient choisi de négocier les détails de la loi au lieu de chercher à l’éliminer, comme ils l’avaient fait dans le passé, l’opposition du monde des affaires, des politiciens et des orateurs de droite dans les médias ravivèrent d’anciennes peurs de « rationnement » et de « médecine sociale » au sein d’une grande partie de la population.
3Bénéficiant d’une très large majorité au Congrès depuis novembre 2008, les démocrates parvinrent à faire passer la loi en novembre 2009 à la Chambre, mais seulement grâce à une courte majorité (cinq votes). Un mois plus tard le Sénat invoquait les soixante votes requis pour mettre fin au débat (« obstruction parlementaire ») et faisait passer sa propre version. Lorsque les législateurs rentrèrent chez eux pour les vacances, la promulgation de la loi semblait acquise. Lors de leur retour en janvier, les deux chambres se réuniraient lors d’une conférence pour résoudre les différences entre leurs deux projets de loi et soumettre une seule réforme à la signature du Président, après quoi ce projet deviendrait finalement une loi.
4Toutefois, les événements allaient rappeler à la nation que la réalité est plus complexe que la fiction. Le décès, en août 2009, du plus fervent partisan de la réforme de santé au Congrès, le sénateur démocrate du Massachussetts Edward M. Kennedy, déclencha une élection spéciale pour combler son siège vacant. La plupart des observateurs, s’attendant à une victoire facile des démocrates dans un Massachussetts libéral, furent stupéfiés par la victoire du républicain Scott Brown, et ce résultat fut principalement interprété (mais pas seulement) comme une condamnation de la réforme de santé par les électeurs d’un État qui avait promulgué le projet de réforme le plus ambitieux jamais observé au sein du système fédéral américain. L’élection de Brown priva les sénateurs démocrates du soixantième vote capital qui devait signer la fin des débats sur la nouvelle réforme au Sénat et les travaux de la Chambre et du Sénat n’aboutiraient probablement pas. Dorénavant la réforme ne pourrait progresser que si la Chambre des représentants acceptait intégralement le projet de loi du Sénat, une loi de déférence institutionnelle que personne (y compris la présidente de la Chambre, Nancy Pelosi) ne pensait possible.
5En l’occurrence, Obama refusa de se plier à leurs demandes et d’accepter une version moins ambitieuse du projet de réforme ; la présidente de la Chambre travailla d’arrache-pied pour rallier les troupes démocrates à sa cause, le leader de la majorité du Sénat, Harry Reid, promit de n’adresser les questions les plus délicates à la Chambre qu’une fois la réforme passée ; bon nombre de démocrates conservateurs de la Chambre risquèrent leur carrière politique en réclamant une majorité à la Chambre pour approuver le projet de réforme du Sénat, permettant ainsi à Obama de signer la loi la plus importante et la plus ambitieuse de la législation des États-Unis depuis Medicare et Medicaid. Grâce à elle, la plupart des Américains peuvent accéder à une couverture santé (extension de la couverture Medicaid), de nouvelles subventions proportionnelles aux revenus sont accordées à ceux dont la couverture santé est insuffisante mais qui ne peuvent pas accéder aux services de santé publics, une nouvelle couverture santé est créée dans chaque État mais régulée au niveau fédéral afin de permettre aux consommateurs de naviguer sur le marché des assurances, de nouvelles contraintes importantes réglementent les droits d’entrée et les tarifs pratiqués par les compagnies d’assurance privées et de nombreuses autres mesures sont mises en place. Cette nouvelle loi a pour objectif de pallier les défaillances les plus flagrantes du système de santé américain.
Perspectives de mise en œuvre
6Un bilan rétroactif de sept jours après la mise en œuvre d’une loi gigantesque et terriblement complexe est une base de prévision imparfaite [1], mais on peut déjà dire sans risque que les difficultés ne font que commencer. Les défis de la mise en œuvre de cette réforme de santé sont au nombre de cinq : les cinq « C ».
Consensus
7La réforme de la santé a été adoptée parce que les démocrates ont tenu fermement le cap. En revanche, les républicains demeurent amèrement et presque unanimement opposés à cette loi et l’annuleront ou la freineront s’ils le peuvent. Les espoirs d’Obama d’un soutien bipartite se révèlent chimériques dans cette lutte pour réformer le système de santé et le demeureront probablement. Soutenu par des activistes conservateurs milliardaires, des émissions de radio, Fox News, des bloggeurs passionnés et, bien sûr, un vaste réseau d’organisations « anti-quelque chose » (anti-taxes, anti-avortement, anti-contrôle des armes et d’autres encore), le parti républicain d’aujourd’hui n’accueille ou ne tolère que rarement les idéologies centristes et cette tendance ; renforcés par le mouvement du Tea Party, ces soutiens ne donnent aucun signe de modération.
8Lors des élections de mi-mandat (les prochaines auront lieu en novembre 2010), le parti du président perd généralement des sièges et, dans ce cas, environ trois douzaines de « Blue Dog » démocrates (les centristes qui gagnèrent les élections à la Chambre en 2008 dans des circonscriptions traditionnellement républicaines soutenant la candidature de John McCain à l’élection présidentielle) pourraient être dans une position particulièrement vulnérable. Les résultats dépendront davantage de l’état de l’économie que des réactions à la réforme de la santé, et même si les républicains gagnent de nombreuses voix, ils manqueront toujours de votes pour abroger cette loi. (Une majorité des deux tiers est nécessaire à la Chambre et au Sénat pour passer outre le veto présidentiel, ce qu’une tentative d’abrogation entraînerait certainement.) Néanmoins, une avancée de l’électorat républicain pourrait affaiblir le soutien budgétaire permettant la mise en œuvre de cette réforme, freiner l’application de lois importantes et éroder, dans son ensemble, la légitimité de cette loi très contestée.
9Une évaluation plus parlante de la puissance de cette réforme dans le temps pourra être réalisée au cours et après les élections présidentielle et du Congrès de 2012. Deux années donnent, sans aucun doute, le temps à une réforme de s’installer, mais ce n’est pas aussi évident dans ce cas car la majeure partie de cette réforme prendra effet en 2014 et après. Ce retard s’explique par le fait que les défenseurs de la réforme ont voulu reporter ses coûts et espéraient apaiser les groupes d’intérêts potentiels (les modifications du traitement des taxes pour les primes de l’assurance santé, auxquelles les syndicats sont opposés, sont reportées jusqu’en 2018, par exemple). Il est, par conséquent, possible qu’une partie, voire une grande partie, de ce projet de réforme puisse être reportée, annulée ou abrogée. À ce point, toutefois, personne ne sait ; même deux courtes années semblent trop éloignées sur l’horizon politique pour permettre toute prévision.
Circonscriptions
10Beaucoup de choses dépendront de la façon dont les principaux groupes d’intérêts accepteront et soutiendront la réforme ou choisiront de l’attaquer et de la dévaloriser. Les dynamiques des groupes sont la partie la plus fascinante de la saga de cette réforme. Avant l’épisode Obama, le monde des affaires, les instances médicales et les compagnies d’assurance constituaient un axe d’opposition (une coalition de réticences) qui a systématiquement tué dans l’œuf toutes les propositions de réforme de la santé de l’administration Truman à celle de Clinton.
11Dans l’arène politique de la santé des années 2009-2010, les groupes d’intérêts ont présenté une image beaucoup plus variée et subtile. La Chambre de commerce s’est effectivement opposée au projet de réforme (bien que l’opposition des petites entreprises ait été beaucoup plus faible qu’elle ne l’avait été contre le projet de réforme de Clinton en 1993-94), mais les médecins furent des supporters modérés, l’industrie pharmaceutique fit la promotion du projet (et finança de coûteuses publicités à la télévision qui contrecarrèrent les exhortations négatives de la Chambre de commerce) et les compagnies d’assurance privées vinrent siéger et restèrent à la table des négociations.
12Il serait agréable de pouvoir attribuer ces changements à un élan de solidarité sociale soudain ou à un nouvel engouement pour l’intérêt public, mais ce sont probablement des considérations politiques plus égoïstes qui sont à l’origine de ces changements. En fait, ces groupes ont étudié les cartes politiques et conclu que le recours à une guerre totale comme celle engagée contre Clinton était trop risquée. Clinton a gagné la présidentielle de 1992 avec 43 % des votes populaires dans une course tripartite alors qu’Obama a gagné en 2008 avec 54 % des voix dans une compétition opposant deux candidats. Obama disposait d’une majorité de démocrates au Congrès plus importante que Clinton et un coup d’œil sur les leaders parlementaires sur lesquels Obama pouvait s’appuyer (Henry Waxman, George Miller, Edward Kennedy, Thomas Dodd et d’autres) révélait un encadrement de personnes impliquées qui avaient vu mourir le projet Clinton et étaient résolues à ne pas laisser à nouveau cette réforme leur échapper. Certains groupes calculèrent qu’ils pourraient essayer de tuer cette réforme et qu’ils pourraient théoriquement y parvenir. Mais en cas d’échec, ils perdraient leur moyen de pression et seraient écartés de la consultation ; ils optèrent donc pour une stratégie plus prudente qui fut de participer dès le début aux négociations et d’essayer de façonner cette réforme de façon « constructive », ce qu’ils firent effectivement.
13En s’opposant à la réforme (plus pour des raisons d’antipathie idéologique vis-à-vis d’un État trop interventionniste que pour des raisons économiques), le monde des affaires resta fidèle, mais les médecins et assureurs, dont les moyens d’existence dépendent en grande partie des subventions et lois fédérales, se trouvèrent dans une situation plus complexe. Une fois la redoutable « option publique » écartée, les médecins se concentrèrent essentiellement sur les implications de la réforme de santé concernant les financements de Medicare. De prime abord, on pourrait s’attendre à trouver des instances médicales fermement retranchées dans le camp ennemi. Les économies promises par le projet de réforme démocrate provenaient principalement du système Medicare avec lequel, d’après les médecins, la rémunération était déjà beaucoup trop faible. La marge de manœuvre immédiate des réformateurs, néanmoins, était faible. Ils avaient appris de l’échec du projet Clinton que la perspective d’un large système d’économies (par exemple, au moyen d’une concurrence contrôlée) dérangeait tout le monde. Par ailleurs, les projets de réforme doivent spécifier ces économies ou ils perdent leur crédibilité. Marcher sur cette corde raide signifiait confiner en grande partie ces économies au budget fédéral, ce qui, forcément, braquait les projecteurs sur Medicare. Les républicains, peu adeptes de ce programme, s’y opposèrent hypocritement et proposèrent des coupes financières, comme l’auraient certainement fait les médecins, et particulièrement les spécialistes, dont les tarifs étaient parmi les cibles des réductions.
14L’explication la plus plausible de l’échec de cette prévision est que l’American Medical Association et les principales organisations de spécialistes étaient confiantes ; elles pensaient que ces projets financiers ne seraient jamais effectifs, qu’elles pourraient se rendre au Congrès et les bloquer, au moins à court terme (voire peut-être plus longtemps). L’histoire du calcul du taux de croissance durable (sustainable growth rate) adopté en 1997 pour la rétribution des médecins par le système Medicare leur donna de bonnes raisons de penser ainsi : les organisations médicales avaient fait échouer l’application des réductions préconisées en 2002 ainsi que chacune des années suivantes. S’opposer à la réforme risquait d’épuiser le capital politique des groupes alors que la soutenir ne pouvait que le préserver et l’enrichir.
15Les assureurs avaient également des raisons de garder l’esprit ouvert face à cette réforme de la santé. Un mandat national stipulant que la majorité des citoyens, dont nombre d’entre eux sont assistés par de nouvelles subventions, cotisent pour une couverture santé, représentait des millions de nouveaux clients pour leurs produits sans aucune sélection négative ; un retour en arrière tentant qui a incité les assureurs à accepter les nouvelles restrictions fédérales à leurs systèmes de recrutement des clients et de fixation des tarifs. Pour une fois, la perspective menaçante d’une option publique à laquelle les assureurs privés se sont implacablement opposés les poussa à s’opposer au projet dans son ensemble, mais l’option publique n’a pas survécu au scepticisme des démocrates modérés (et, bien sûr, du président Obama qui refusa de se battre pour cela). Une fois cette crainte éliminée, la direction de l’America’s Health Insurance Plans (principal syndicat de l’industrie pharmaceutique), qui avait travaillé pour les administrations démocrates et dans les rangs démocrates au Congrès et connaissait bien les arguments de la réforme du système de santé, reporta son soutien sur la législation qui serait bénéfique aux clients des compagnies d’assurance ainsi qu’aux non-assurés.
16Cet historique est important parce que, même si cette nouvelle coopération politique des ennemis traditionnels de la réforme a grandement contribué à son succès, une vague d’opposition de l’un ou plusieurs membres de ces anciens mouvements d’opposition pourrait également représenter un handicap considérable. Si les coûts des soins de santé augmentent nettement plus vite que l’économie (toujours en retard), le Wall Street Journal, Fox News et d’autres ennemis de l’Obamacare disposeront de nouvelles munitions pour leurs attaques, déjà incessantes, contre ce projet de réforme. Si les médecins pensent qu’ils ne peuvent plus bloquer les propositions de diminution de leurs tarifs dans le cadre du Medicare, les allégations des républicains selon lesquelles la couverture universelle se faisait au détriment des dépenses de santé pour les personnes âgées semblent gagner en crédibilité. Si la réforme des pratiques des assurances génère des batailles sans fin entre les organismes de contrôle fédéraux et locaux et les compagnies d’assurance, une nouvelle considération des mérites de la réforme du système de santé, déjà entretenue grossièrement par la moitié des sondages d’opinion, pourrait prendre de l’ampleur dans l’opinion publique. La façon dont ces groupes puissants équilibreront les stratagèmes constructifs et destructifs tout en s’attaquant à la mise en œuvre de la réforme reste à voir.
Capacité
17L’ACA (Affordable Care Act) est une loi majeure qui incarne la mise en œuvre d’un vaste agenda pour le gouvernement et d’énormes défis pour les administrateurs (tant au niveau fédéral que des États) qui doivent rédiger, interpréter et mettre en vigueur les règlements et procédures qui gouvernent sa réalisation. Certaines tâches sont apparemment simples : par exemple, environ la moitié de la nouvelle couverture santé envisagée par la loi (16 millions de personnes) sera mise en place grâce à Medicaid, un programme que les gouvernements fédéraux et les États ont développé depuis plusieurs années. De même, l’éligibilité ne garantit pas l’inscription (des millions d’Américains remplissent les critères permettant de bénéficier de Medicaid et, pour diverses raisons, n’en bénéficient pas), l’inscription ne garantit pas l’accès aux soins (les faibles remboursements diminuent le nombre de médecins acceptant de traiter les patients Medicaid) et le financement fédéral et local du programme n’implique pas que ces gouvernements acceptent placidement les coûts d’une couverture large et plus étendue des populations Medicaid dans le temps.
18D’autres missions ajoutent la nouveauté à la complexité. Il a été demandé aux organismes de contrôle des assurances, à Washington et dans les États, de définir et renforcer les nouvelles contraintes touchant les compagnies d’assurance, des objets de régulation experts et bien armés. Et les cinquante États établiront des « échanges » entre les assurances santé, qui existaient déjà avant l’ACA, plus particulièrement dans l’un d’entre eux, le Massachusetts. Ces échanges peuvent être considérés comme les héritiers institutionnels de l’assurance santé achetant les coopératives et les alliances de santé régionales (mais rarement adoptées) abordées dans les années 1990. Leur mission organisationnelle actuelle est toujours en cours d’élaboration, mais ils devront fonctionner comme des bureaux centraux d’information et comme des aides permettant de naviguer sur le marché des assurances santé pour les personnes qui veulent savoir quels sont les programmes publics ou les subventions (si elles existent) disponibles et/ou quelles offres des assurances privées correspondent le mieux à leurs besoins. Pour que ces échanges soient fructueux, ils nécessiteront le soutien approprié : d’un personnel bien formé, de services téléphoniques et informatiques fiables, d’une capacité à communiquer dans différentes langues, d’informations actualisées sur les caractéristiques des offres de l’assurance santé dans leurs juridictions, de la capacité à aider les acheteurs à évaluer le meilleur compromis entre prix et étendue de la couverture, d’une gestion ferme des obligations des programmes publics et des subventions ainsi que d’options ouvertes aux personnes dont les revenus, les circonstances familiales ou d’autres facteurs ont entraîné une modification de leur éligibilité, enfin de mécanismes d’identification et de contact des personnes éligibles qui ont perdu leur couverture santé parce qu’elles ont omis de se réinscrire ou pour d’autres raisons. Ces tâches ne sont pas compliquées, mais elles imposent de nouvelles exigences pour l’État fédéral et les États qui les exécutent. Elles présupposent également une grande intelligence de la part des dirigeants qui ne peuvent pas tous espérer reproduire le paradigme des échanges du Massachusetts, le « connecteur ».
19À ce point, les questions sont beaucoup plus nombreuses que les réponses. Quelle uniformité dans la conception des échanges le gouvernement fédéral exigera-t-il des États ? Quelle étendue et qualité d’assistance technique le gouvernement fédéral pourra-t-il leur apporter ? D’où proviendra le soutien nécessaire des dirigeants qualifiés pour les échanges ? Comment les programmes Medicaid et les compagnies d’assurance privées des États définiront-ils leurs rôles et pouvoirs dans la gouvernance des échanges ? La construction et la gestion de ces nouvelles entités peuvent se mettre en place sans remous ni stress inutile, ou cet exercice pourrait, du moins dans certains États, laisser bon nombre de personnes, nouveaux bénéficiaires de la couverture santé, tomber dans l’oubli.
Coûts
20Le coût de la réforme de la santé dépendra partiellement de la façon dont elle affectera (ou semblera affecter) le coût des soins de santé dans le temps. Le coût est un problème sensible aux États-Unis et les services de santé n’ont pas atteint par accident plus de 16 % du PIB (soit deux fois plus par habitant qu’en France). Chacun « sait » aux États-Unis que ces coûts sont « trop élevés » et chacun déplore consciencieusement cette situation. Mais il ne semble y avoir aucun consensus de près ou de loin sur la manière de ralentir l’augmentation des coûts, donc « fléchir la courbe des coûts », pour reprendre cette expression sans cesse réitérée au cours du débat sur la réforme, est plus facile à dire qu’à faire. Il est difficile de dire quelle solution est la plus périlleuse pour les leaders politiques américains : manquer régulièrement à leur serment d’allégeance concernant le contrôle des dépenses ou dire quelque chose de sérieux sur les coûts.
21Le Massachusetts, précurseur du plan Obama, pourrait reporter à plus tard cet arbitrage stratégique. Les concepteurs de ce projet d’État ont reconnu que cette tentative de combiner couverture santé et contrôle des dépenses en un seul pack législatif détruirait sa coalition de partisans et ne mènerait finalement à rien. S’étant résignés à régler d’abord les problèmes de couverture puis ceux de coût, ils se sont alors tournés avec détermination vers l’universalité et passent actuellement au crible les possibilités de contrôle des dépenses. Hélas, le Massachusetts, un État libéral fortement démocrate parfois caricaturé comme étant le « Taxachusetts », est une source plus prodigue d’idées politiques innovantes pour la nation que d’approches exploitables pour ses avancées politiques.
22Obama et les démocrates libéraux devaient avancer avec précaution. Ils ne pouvaient pas simplement prétendre qu’une couverture plus large était un impératif moral et que les coûts seraient abordés en temps utiles, parce que les républicains et un certain nombre de démocrates modérés continuaient à insister afin que cette réforme rende les soins médicaux « plus abordables ». Mais, comme l’a démontré l’épisode Clinton, un agenda détaillé prévoyant de ralentir l’accroissement des dépenses en introduisant des modifications qui bouleversent les attentes de la classe moyenne se traduirait, à coup sûr, par une explosion politique. Par conséquent, les réformateurs se concentrèrent sur des propositions de réduction des paiements des fournisseurs, autorisèrent une extension de l’agenda des recherches comparatives sur l’efficacité, créèrent une myriade de projets pilotes et de démonstrations, donnèrent tous les signes de rigueur en faveur d’une promotion de la santé et du bien-être et, en bref, firent de leur mieux pour ne pas offenser les sensibilités publiques et privées. Les réformateurs furent soulagés lorsque le Congressional Budget Office (bureau du budget du Congrès) réussit à « obtenir » des économies pour ce(s) projet(s), mais, bien que ces estimations aient été réalisées par des personnes hautement compétentes avec les meilleures données disponibles, prédire l’influence budgétaire d’une réforme dans le contexte de l’économie de la santé (et générale) au-delà de dix ans relève de la prédiction astrologique. En résumé, la nation se prépare à faire bénéficier d’une couverture santé plus de 30 millions de citoyens supplémentaires dans un système où les primes pour les assurés et les coûts des programmes Medicare et Medicaid ont considérablement augmenté, et cela en l’absence de tout réel projet pour modifier le tableau des dépenses.
23Les raisons pour lesquelles les États-Unis dépensent autant pour la santé et ont autant de difficultés à régler ce problème se trouvent au cœur de ce que l’on pourrait appeler la « connexion médico-culturelle ». Depuis que le célèbre rapport Flexner a fait l’ébauche des fondements d’un enseignement médical américain amélioré, il y a un siècle, un entrelacs de cinq principes a régi la politique de santé, à la fois publique et privée. Premièrement, les soins et l’enseignement médical devraient être conduits avant tout par une recherche scientifique de pointe. Deuxièmement, les fruits de cette recherche scientifique (les innovations médicales) devraient être rapidement développés et diffusés. Troisièmement, une plus grande étendue et autonomie des spécialisations encourage l’innovation et permet une meilleure exploitation de ses bénéfices dans la pratique médicale. Quatrièmement, la priorité absolue de l’enseignement médical, particulièrement après que l’Institut national de la santé a commencé à la fin des années 1940 à financer largement hors faculté les « centres médicaux académiques » nationaux, devrait être la recherche, l’innovation et la spécialisation. Et cinquièmement, les propriétés (indiquées ci-dessus) de ce système sont l’essence même de sa plus haute qualité, les ingrédients qui définissent et nourrissent « les meilleurs soins médicaux du monde ».
24Les préceptes de cette connexion médico-culturelle, qui consacrent « le plus est le mieux » comme une vérité absolue, ont été attaqués pendant de nombreuses années et sur de nombreux aspects. Les professionnels de la santé publique, bien sûr, s’insurgent contre le dénigrement d’interventions peu techniques et relativement abordables comme la prévention, la promotion de la santé et l’éducation comportementale. Les partisans des soins de santé primaires déplorent l’abus de spécialistes et services spécialisés. La « révolution » des organismes de gestion intégrée des soins de santé (qui a gagné en force lorsque le pourcentage du PIB national dépensé pour les soins de santé a dépassé les 10 %, une avancée considérée comme le véritable déclencheur de changements fondamentaux) devait opérer une « transformation » d’un système de tendance au gaspillage. De nos jours, toutefois, la connexion médico-culturelle reste vivante et bien présente dans les mentalités du public, des professionnels de santé et des responsables politiques et continue à légitimer les arrangements hautement technologiques, hautement spécialisés, hautement intensifs, hautement fragmentés, hautement entreprenants et hautement rémunérés qui constituent le système des soins de santé américain. Au moins jusqu’à présent, un accord sur la façon de modifier ces arrangements se trouve hors de portée parce que (tout comme les répercussions des organismes de gestion intégrée des soins de santé l’ont révélé) une grande partie de la population américaine craint que les polices d’assurance, incluant des coûts importants possibles, diminuent leur accès à des soins de haute qualité, ce qui signifie qu’elles entraîneront une dénégation du plus grand, du plus récent et des meilleurs soins que le meilleur système au monde puisse offrir.
25Un jour, vraisemblablement, il y aura des changements. À Washington, l’axiome d’Herbert Stein selon lequel les tendances qui ne sont pas soutenables ne sont pas soutenues est considéré comme une parole de sagesse qui s’abattra certainement sur les dépenses des soins de santé prochainement. Toutefois, il reste encore à éclaircir à quel point les dépenses des soins de santé américains sont (in)soutenables et pour combien de temps. D’un côté, Peter Orzag (directeur du budget d’Obama) insiste sur le fait que ces dépenses anéantissent les budgets publics et l’économie privée. De l’autre, Robert William Fogel, historien en économie et lauréat du prix Nobel, prétend que les dépenses de la santé augmentent parce que la technologie est bonne et que les populations veulent y accéder ; à cette condition, une augmentation de la part de PIB consacrée à la santé ne représente pas un motif d’inquiétude. Certains économistes émettent l’hypothèse que les États-Unis peuvent supporter une augmentation des dépenses de santé supérieure d’environ 1 % à l’augmentation du PIB pour les années à venir, alors qu’un écart de 2 % occasionnerait probablement des compromis inacceptables entre les soins de santé et d’autres biens ou services nécessaires. Chacun à son goût [2] – ou imaginez. La politique de la santé est inondée d’analyses sophistiquées qui, en pratique, sèment davantage la confusion qu’elles n’éclairent.
26Au fil de la mise en place des réformes, les dépenses de la santé augmenteront probablement, peut-être plus rapidement, comme cela s’était produit lors de la mise en œuvre des programmes Medicare et Medicaid en 1965 et après 1965. Obama (ou quel que soit l’occupant de la Maison blanche), comme Nixon en 1969, sera sous pression et devra « faire quelque chose », mais ce que cela signifie reste encore à définir. Peut-être que le Massachusetts montrera le chemin à suivre concernant le coût des réformes qu’il a contribué à inspirer. La discussion se concentre dorénavant sur des instances médicales responsables (très proches des projets de pratiques des groupes payés d’avance qui ont été considérés comme une preuve de fonctionnement et de financement efficace depuis que Nixon a découvert leurs avantages dans les années 1970), de nouveaux systèmes de paiement (capitation, paiements globaux, achats basés sur la valeur), une limitation du choix des consommateurs parmi les fournisseurs, des maisons médicales centrées sur le patient, et plus encore. Tout cela semble revêtir en partie une aura de « retour vers le futur », calculant, finalement, comment « faire » (ou refaire) les exploits de Kaiser Permanente sans en reproduire les répercussions sur les organismes de gestion intégrée des soins de santé.
27L’obstacle majeur à cet accroissement de l’efficacité des réformes est la connexion médico-culturelle, mais même si cette présence impressionnante pouvait être encadrée, aucune des innovations actuellement en discussion ne sera facile à accomplir. Les très racoleuses maisons médicales centrées sur le patient, par exemple, qui reconsidèrent les rôles des médecins (généralistes et spécialistes), infirmiers, thérapeutes et autres professionnels de la santé, supposent la création d’un réseau organisationnel sous la juridiction des lois et règlements des États et du pays, redéfinissant non seulement les rôles mais aussi la répartition des rétributions parmi les membres de l’« équipe » et négociant et touchant les critères de paiement promulgués par les sources publiques et privées de la couverture santé. Comme de nombreux fruits de l’analyse politique, les maisons médicales sont admirables et exemplaires en théorie, mais nécessitent en pratique à la fois des défenseurs de la volonté et du pouvoir politique et une grande sagacité et finesse dans la conception et la délicate mise au point des procédures organisationnelles ; considérations qui, hélas, sont largement sorties du champ de l’écran radar et du lexique des analyses politiques de la santé. De même, donc, la réforme nationale de la santé de 2010 viendra épauler la condamnation d’une augmentation « insoutenable » des coûts des soins de santé. Si de telles attributions fonctionneront comme un déclencheur efficace du contrôle du coût « réel » ou serviront principalement à discréditer la réforme même demeure l’une des grandes inconnues.
Contexte
28Jusqu’ici la discussion s’est focalisée sur les facteurs endogènes du système des soins de santé, mais la plupart des facteurs qui régissent la politique de santé sont exogènes ; ils dérivent de forces externes et exercent une forte pression sur le monde de la santé. Les dynamiques endogènes sont souvent surestimées. Pendant des années, les critiques sur le système de santé américain prévoyaient que les changements suivraient certainement un quelconque cheminement interne ; par exemple, le dépassement de X % du PIB dépensé pour les soins de santé, Y $ par habitant ou Z personnes non assurées. Ces prédictions ne se sont pas confirmées ; au lieu de cela, le système a avancé tant bien que mal. Les organismes de gestion intégrée des soins de santé promettaient d’être « la » réponse mais ont entraîné des répercussions ; le gouvernement fédéral a gagné du terrain avec un système de paiement prospectif, visualisé sur des groupes de diagnostic en réseau, pour Medicare, mais pas suffisamment pour apaiser les critiques sur ses augmentations « incontrôlables » ; le programme Medicaid et celui de l’assurance santé infantile ont gagné de nouveaux bénéficiaires, mais le nombre de non-assurés augmentait alors que les couvertures santé privées s’érodaient. Le système américain a prouvé qu’il était aussi durable que dysfonctionnel.
29Ce modèle se brisa (ou, plutôt, fut interrompu) en 2010, non pas parce que les dynamiques internes du système se sont effondrées mais plutôt parce que plusieurs forces contextuelles et exogènes ont convergé l’année des élections présidentielle et du Congrès. Aux États-Unis, les présidents et leurs partis ont tendance à perdre pour l’une de ces trois raisons : une guerre étrangère controversée, un scandale national spectaculaire ou une récession économique inopportune. George W. Bush, et c’est peut-être sans précédent, parvint à combiner ces trois facteurs simultanément et sur une grande échelle. Les élections étant, comme le scientifique politique V.O. Key l’a dit il y a longtemps, un « jugement rétrospectif », les démocrates ont parfaitement réussi, mais même si 47 % des électeurs ont soutenu le républicain John McCain, un nombre considérable de nouveaux démocrates (particulièrement à la Chambre) étaient modérés ou conservateurs et environ 25 % des personnes interrogées dans les sondages approuvaient la performance de Bush à la toute fin de son mandat. Au final, donc, il n’est surprenant ni que la réforme de la santé soit passée ni que ce soit le cas à une courte majorité.
30Une des questions clefs de la réforme de la santé est : que se passera-t-il ensuite dans les domaines contextuels et exogènes ? Les espoirs qu’Obama et la nouvelle majorité démocrate constituent la troisième vague d’une dominance libérale moderne (dans la lignée du New Deal de Franklin D. Roosevelt de 1932 à 1945 et de la Great Society de Lyndon Johnson de 1964 à 1968) furent rapidement ébranlés, voire balayés. Pendant quarante ans (depuis la prise de fonction de Richard Nixon en 1968), la politique des États-Unis a joué à droite du centre et s’est approchée sans doute petit à petit et régulièrement de la droite, comme l’indique l’évolution (ou régression) de Nixon à Reagan puis Bush II (qui bénéficia d’une majorité républicaine fermement conservatrice à la Chambre et au Sénat de 2000 à 2006). Que les républicains aient perdu le contrôle du Congrès en 2006 puis celui de la Maison blanche en 2008 laisse une question en suspens : la nation a-t-elle franchi un cap politique et effectué un réalignement ou cette renaissance démocrate n’est-elle que la déviation passagère, la simple interruption d’une marche constante vers la droite ? Les partisans de la réforme de la santé espèrent que les démocrates resteront assez longtemps au pouvoir pour permettre aux éléments de l’ACA de s’installer et devenir partie intégrante du proverbial mobilier politique. La durée de vie du parti au pouvoir dépend certainement en grande partie des progrès de la reprise économique, et à ce sujet il faut reconnaître que la première année d’Obama (2009) ne fut pas encourageante.
Conclusion
31Il est certain que le succès de cette réforme de la santé sera un énorme défi analytique et technocratique. Finalement, toutefois, son succès dépendra des considérations politiques développées ici : la construction d’un consensus, la culture des circonscriptions, le renforcement des capacités de gestion publique, l’explication et l’indication de la signification des dépenses de santé et de leur contrôle pour la société américaine et l’évaluation précise de la place de la politique de santé et des projets pour la réformer au sein de la politique économique américaine dans son ensemble. En bref, cela dépendra d’un soutien nouveau et ample des grands leaders politiques qui, à la longue, ont gagné la bataille de la réforme de la santé il y a seulement dix jours [3].
Post-Scriptum
32Que peut-on ajouter à ces commentaires du 1er avril 2010 maintenant que la loi va fêter son premier anniversaire [4] ? L’avancée la plus remarquable est que la célèbre séparation des pouvoirs gouvernementaux américains, qui fut purement et simplement vaincue en mars 2010 grâce à la promulgation de la réforme de la santé, a repris ses fortes tendances centrifuges. Lors de l’élection du Congrès en novembre 2010, les démocrates ont perdu 63 sièges à la Chambre des représentants où les républicains sont maintenant le parti majoritaire avec 242 sièges contre 193 pour les démocrates. (Au Sénat, les démocrates ont perdu six sièges mais conservent la majorité avec 53 sièges contre 47 pour les républicains.) Considérant ces résultats comme une condamnation de l’Obamacare, les républicains se sont empressés de voter pour rejeter ce projet de loi (que, suite à la tuerie de Tucson en Arizona, ils ont commencé gentiment à dépeindre non pas comme une mesure « tueuse d’emplois » mais plutôt comme « destructrice d’emplois ») le 19 janvier, avec 245 représentants (dont trois démocrates) favorables et 189 (tous démocrates) opposés.
33À court terme, le vote de la Chambre a peu de signification. Le Sénat démocrate n’acceptera pas ce rejet, auquel le président Obama pourrait opposer son veto si tel était le cas. Mais de nombreux sénateurs démocrates, confrontés à une campagne de réélection en 2012, sont réticents et ouverts à d’éventuelles modifications de cette réforme. Et bien sûr, 2012 est aussi l’année d’une élection présidentielle qui pourrait théoriquement à nouveau conduire à l’arrivée d’un républicain à la Maison blanche. Obama absent, l’Obamacare pourrait tout à fait être dissoute ou démantelée si elle n’était pas totalement achevée.
34Pendant ce temps, la branche judiciaire américaine représente un problème potentiel plus important que la branche législative. Les procureurs généraux de 27 États ont intenté un procès arguant que la réforme était inconstitutionnelle, principalement parce que le mandat individuel qu’elle imposait outrepassait l’autorité légitime du gouvernement fédéral. Pendant que ces mouvements progressaient dans le système, deux cours fédérales locales ont soutenu cette loi mais une, en Virginie, a statué contre. Il est probable que la Cour suprême des États-Unis soit amenée à trancher la question et bien que, dans l’ensemble, les spécialistes juridiques s’attendent à ce que la loi soit maintenue, la composition idéologique de cette cour (quatre juges conservateurs, quatre à tendance libérale et un « hésitant ») ne donne d’avance confortable à aucun camp dans ce conflit.
35La photographie des groupes d’intérêts n’a pas beaucoup changée. Les groupes d’affaire leaders veulent que la loi soit abrogée ou profondément modifiée, la plupart des instances médicales continuent à soutenir la loi et les compagnies d’assurance négocient fermement les interprétations juridiques de leurs obligations. Les officiels fédéraux du ministère de la santé et des service à la personne et d’autres agences législatives publient inexorablement les lois et directives. Le problème est, toutefois, que les républicains de la Chambre des représentants pourraient faire avorter ces efforts en refusant de fournir les fonds appropriés pour les activités en question ou en utilisant leurs pouvoirs de surveillance et d’enquête pour harceler et intimider les administrateurs qui travaillent à la mise en œuvre de cette loi.
36Les craintes sur les perspectives de mise en œuvre dans les États sont aussi nombreuses ; cette réforme leur confère de lourdes tâches comme celles de concevoir et gérer les échanges des compagnies d’assurance, de faire appliquer les nouvelles restrictions relatives aux pratiques de ces compagnies d’assurance et d’inscrire 16 millions de nouveaux bénéficiaires au système Medicaid. Au niveau des États comme au niveau national, les élections de novembre 2010 ont considérablement favorisé la droite et les républicains, dont la plupart luttent contre l’Obamacare et peuvent chercher à contrecarrer ses progrès de façon agressive (ou au moins de façon passive-agressive).
37L’opinion publique reste presque également divisée entre ceux qui soutiennent la réforme et ceux qui souhaiteraient la voir abrogée ou profondément modifiée. Toutefois, la loi semble progressivement gagner des soutiens et ne risque guère d’être abrogée, du moins pas au cours des deux prochaines années, soit le délai suffisant pour lui permettre d’éviter le risque de mortalité infantile. Les tentatives de changer l’une ou l’autre des clauses de cette réforme sont plus probables que son abrogation, mais chacune de ces clauses aura ses défenseurs ainsi que ses détracteurs et le démantèlement ou la neutralisation d’une partie de la loi peut s’avérer politiquement difficile à réaliser.
38Tout dépendra de la façon dont les républicains choisiront de faire fructifier le capital politique de leur lutte contre l’Obamacare maintenant que les élections de 2010 sont passées et que les regards se tournent vers 2012. Les calculs politiques sont plus subtils qu’ils ne le semblaient a priori. Les démocrates de la Chambre accablent déjà de leurs sarcasmes les républicains avec lesquels ils s’étaient invectivés auparavant : si la création d’emplois est l’objectif national le plus urgent, pourquoi donnez-vous à la réforme de la santé (à son démantèlement) un tel niveau de priorité ? L’accession au pouvoir des républicains à la Chambre peut constituer une sorte de soupape de sécurité qui permettrait de relâcher et dissiper une partie de la colère que le contrôle démocrate de la Présidence et du Congrès entre 2008 et 2010 a causé dans les rangs du Tea Party et d’autres partisans fanatiques de la base républicaine. Si leurs vexations et railleries ne parviennent pas à balayer la construction de la réforme de la santé, les républicains pourraient connaître une baisse d’intérêt dans l’opinion publique et se tourner vers d’autres proies politiques potentiellement plus vulnérables.
39Après avoir gagné une avance importante au cours des premiers rounds, l’Obamacare, comme un champion défendant son titre, continue à boxer en espérant éviter les coups, accumuler les points et gagner finalement aux points au douzième round (c’est-à-dire en novembre 2012). Néanmoins, les trois juges du combat, un Congrès dominé dans une chambre par les républicains et dans l’autre par les démocrates, une Cour suprême où le revirement d’un vote peut faire pencher la balance entre pouvoirs libéraux et conservateurs et une opinion publique partagée en deux camps quasi équivalents sur les mérites de la réforme, sont profondément schizophrènes ; pour l’issue de ce combat, comme on dit, les jeux sont faits.