1La situation du système de santé américain apparaît très paradoxale. Avec un coût extrêmement élevé, 16% du PIB (en 2006), nettement supérieur à celui affiché dans tous les pays développés, il ne couvre pas toute la population puisque environ 47 millions de personnes n’ont aucune assurance santé. Si l’assurance privée est prédominante dans la couverture de la population (67,1% en 2005), il n’en reste pas moins que, contrairement à une opinion très répandue, le financement public des dépenses de santé est supérieur au financement par les assurances privées : 45% contre 37% (2005), la part directement prise en charge par les ménages étant de 13%. Selon un article publié par The Economist [1], la part des dépenses assumées par le secteur public serait plus élevée et atteindrait en réalité 60% des dépenses si on y incluait les subventions sous forme de crédits d’impôts. Même ainsi, le pourcentage de dépenses supporté par le public reste inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE (73%). Les assurances publiques Medicare et Medicaid ne concernent que les personnes âgées, les personnes handicapées et certaines familles pauvres.
2Le système de santé américain est aussi caractérisé par sa fragmentation et par la multiplicité d’organismes qui le gèrent. Chaque assurance privée propose et gère une série de plans de santé qui offrent le plus souvent l’accès à des réseaux de soins ou à un réseau de prestataires préférentiels. L’assurance traditionnelle ne représente plus que 4%. Enfin, l’accès aux soins apparaît très inégal selon les catégories socioprofessionnelles, l’ethnie, les différentes nationalités et les zones géographiques (rapport de l’AHRQ).
La domination de l’assurance privée
3L’assurance privée est toujours majoritaire dans la couverture de la population. Près de six personnes sur dix ont une assurance proposée par l’employeur, à titre facultatif. Cette assurance ne suit pas le travailleur lorsqu’il change d’entreprise ou qu’il se retrouve au chômage. Aujourd’hui, la majorité des petites entreprises de moins de neuf salariés (55%) ne proposent plus d’assurance santé à leurs employés. Seules les entreprises de deux cents salariés et plus offrent en quasi-totalité (99% en 2007) à leurs salariés des possibilités d’adhérer à des plans santé. Toutefois, beaucoup d’entre elles ont renoncé à assurer leurs salariés retraités depuis l’élargissement de la couverture publique Medicare aux dépenses pharmaceutiques. Paradoxalement, les petites entreprises financent plus souvent la totalité des primes d’assurance santé de leurs salariés célibataires que les grosses entreprises car elles ont plus de mal à attirer de la main d’œuvre.
4Les employeurs ont été confrontés depuis les années 1980 à des coûts croissants de l’assurance maladie, à une augmentation significative de la diversité des plans de santé proposés par les assurances privées ainsi qu’à des changements substantiels des programmes d’assurance publics.
5La seule assurance publique universelle en matière de santé, Medicare, ne concerne que les personnes âgées et les personnes handicapées : 44 millions de personnes en relèvent en 2008. Le programme Medicare est essentiellement destiné aux personnes âgées de plus de 65 ans et aux personnes handicapées qui ne disposent pas d’une assurance privée liée à l’emploi. Ces dernières, dans l’incapacité de travailler, peuvent en effet adhérer au programme Medicare sans considération d’âge ou de revenu.
6La loi de réforme de Medicare de 2003 (The Medicare Prescription Drug Improvement and Modernization Act), appliquée à partir de 2006, a élargi la couverture aux médicaments. Elle a aussi ouvert Medicare à la concurrence à partir de 2010 par la possibilité pour les assurés d’adhérer à un plan de santé privé. Douze milliards de dollars de subventions sont prévus pour inciter les assureurs privés à offrir des prestations médicales aux personnes couvertes par l’assurance fédérale.
7Medicare est composée de quatre parties depuis 2006. L’assurance hospitalisation (partie A) couvre les dépenses hospitalières ainsi que les soins de réadaptation, à l’exception du long séjour. La prise en charge des personnes âgées dépendantes relève d’autres mécanismes, à savoir dans une faible mesure des assurances privées et des ressources propres des personnes et dans une proportion plus importante du programme Medicaid pour les personnes à faibles revenus. La partie B est constituée d’une assurance médicale supplémentaire optionnelle – et payante – qui couvre les honoraires des professionnels de santé en ville. Depuis 2007, la prise en charge des soins ambulatoires devient progressivement proportionnelle au revenu de la personne âgée. Seules les personnes disposant de revenus inférieurs à 80 000 dollars par an bénéficieront à terme du maintien du taux de couverture à 75%. La partie C, « Medicare Advantage », permet aux bénéficiaires de s’affilier à des plans santé proposés par des compagnies d’assurance privées. Enfin, la partie D est une assurance optionnelle qui couvre, depuis 2006, les dépenses pharmaceutiques.
8Les dépenses en médicaments sont couvertes en 2007 sur la base de 75% des dépenses jusqu’à un plafond de 2 400 dollars avec une franchise de 265 dollars. Au-delà de 2 400 dollars et jusqu’à 5 451 dollars, les dépenses ne sont plus couvertes (« donought hole »). Ce « trou » dans la couverture correspond à une logique comptable pour éviter un coût trop élevé pour Medicare. À partir de 5 451 dollars, les dépenses de médicaments sont de nouveau prises en charge à un taux de 95% (benefit’s catastrophic coverage). Des mesures spécifiques sont prévues pour les personnes à bas revenus qui bénéficiaient auparavant d’une assurance complémentaire à Medicare par le biais de Medicaid (dual eligibles) pour leurs dépenses en médicaments.
9Medicare est financé à parts égales par des cotisations sociales des salariés et des employeurs pour la partie destinée à l’hospitalisation et par des ressources fiscales et des assurances volontaires pour les soins ambulatoires. La couverture des dépenses pharmaceutiques est financée par des primes des bénéficiaires, des impôts et un paiement provenant des États fédérés pour les dual eligibles.
10En 2006, première année de prise en charge des médicaments, Medicare a versé 374 milliards de dollars de prestations, dont 39% pour l’hôpital, 32% pour l’ensemble des soins ambulatoires et 9% pour les dépenses pharmaceutiques.
11Une grande partie des experts considèrent que si les dépenses de Medicare suivent l’augmentation des dernières années, elles ne seront plus soutenables financièrement par la collectivité, compte tenu notamment du vieillissement de la population. Un des débats essentiels sur l’avenir de Medicare porte sur les rôles respectifs du marché et de l’État fédéral dans le cadre d’une politique publique. Beaucoup de critiques, par ailleurs, portent sur le montant du financement à la charge des ménages qui reste assez élevé.
12Selon une étude de Jonathan Skinner, Elliot Fisher et John Wennberg sur la performance de Medicare [2], il existe de très grandes disparités d’accès aux soins parmi les assurés: le programme Medicare dépense deux fois plus pour les assurés à Miami qu’à Minneapolis. Toujours selon la même étude, près de 20% des dépenses seraient en plus inutiles et n’apporteraient aucun bénéfice en termes d’années de vie gagnées ou d’amélioration de la qualité de vie de la personne malade. Des études équivalentes menées sur l’ensemble du système de santé arrivent aux mêmes constatations. Une des caractéristiques du système américain est le grand nombre de procès intentés par les patients à leurs médecins qui, dès lors, ont tendance à se couvrir en multipliant les examens complémentaires.
Medicaid : une assurance santé pour certaines catégories de personnes pauvres
13Institué en 1965 dans le cadre de l’initiative « Great Society », le programme est géré par les États qui peuvent, sous certaines limites, définir les conditions d’admissibilité et les prestations offertes. Le gouvernement fédéral prend en charge une partie du coût supporté par les divers États selon une formule complexe, proportionnelle notamment à la richesse de l’État.
14Medicaid ne couvre que les parents et leurs enfants, les femmes enceintes et les personnes handicapées bénéficiaires du SSI (supplemental security income, revenu minimum de subsistance). Les ménages sans enfant, les jeunes de 19 à 21 ans ne sont pas, en principe, éligibles au programme Medicaid même si leurs revenus sont en dessous du seuil de pauvreté fédéral. Pour pouvoir bénéficier de Medicaid, les personnes doivent disposer de revenus inférieurs à ce seuil ou d’un niveau maximum de 133% du seuil pour les femmes enceintes et les enfants. La loi fédérale sur Medicaid permet aux États de prendre en charge certaines catégories de populations supplémentaires. Ainsi l’Arizona a institué une couverture médicale minimum pour toutes les personnes en situation de pauvreté, quelle que soit leur situation familiale.
15Le programme d’État SCHIP (State Children’s Health Insurance Program) complète Medicaid pour fournir une assurance aux enfants vivant dans des ménages ne relevant pas de Medicaid et disposant de revenus inférieurs à 200% du seuil de pauvreté fédéral, soit pour une famille de trois personnes, en 2006, 33 200 dollars par an. Quinze États ont élargi ce programme pour couvrir les enfants vivant dans des familles dépassant le seuil de 200%.
Les sans-assurance
16Quarante-sept millions de personnes n’ont aucune assurance santé, dont treize millions de jeunes âgés de 19 à 29 ans. Seize pour cent environ de la population ne sont couverts par aucune assurance santé. Ce pourcentage n’a cessé de croître après une période de décroissance à la fin des années 1990. L’absence de couverture est largement liée au niveau de revenu. Elle touche de plus en plus les classes moyennes qui représentent désormais près de la moitié des non-assurés. Il est intéressant de souligner que parmi les 47 millions sans aucune couverture maladie, 20 millions environ ont pourtant un emploi à temps plein. Le coût croissant des primes d’assurance santé depuis la fin des années 1990 a entraîné une baisse du nombre de personnes assurées par leur entreprise. Il semble, par ailleurs, qu’une partie des personnes ne disposant d’aucune assurance seraient en fait éligibles à Medicaid mais n’auraient pas fait les démarches nécessaires pour en bénéficier [3]. En effet, un quart des non-assurés auraient droit à une assurance dans le cadre d’un des deux programmes publics pour les personnes pauvres (Medicaid) ou pour les enfants (SCHIP). Plus de la moitié des non-assurés (56 %), non éligibles aux programmes publics, auraient besoin d’une aide pour financer une assurance santé. Enfin, un peu moins d’une personne sur cinq non assurée dispose de revenus supérieurs à trois fois le seuil de pauvreté et pourrait donc en financer une.
17La part des adultes et des enfants non assurés est très variable selon les États, reflétant leur politique sociale.
18Une loi de 1986 impose aux hôpitaux publics de soigner toute personne dont l’état de santé nécessite des soins d’urgence, quelle que soit sa situation légale et même si elle ne possède aucune assurance. Beaucoup de villes disposent également de dispensaires publics de santé. Enfin, des associations caritatives assurent aussi des consultations médicales et dentaires gratuites. L’Institut de médecine a rendu public, en 2004, un rapport accablant sur les conséquences de l’insuffisance de couverture maladie qui engendre souvent un accès tardif aux soins pour certaines populations fragilisées ainsi qu’un recours à la prévention très inférieur à la moyenne.
Un fonctionnement centré sur le managed care
19Plus de 70% des Américains sont inscrits dans un plan de managed care, soit par l’intermédiaire de leur employeur, soit individuellement, soit encore dans le cadre des programmes publics Medicaid et Medicare. Le managed care réunit les fonctions d’assurance et de production des soins dans un même organisme. Plusieurs modèles coexistent, des health maintenance organizations (HMO), la plus ancienne forme de réseaux de soins, aux preferred provider organizations (PPO), sans oublier les point of service (POS). Les HMO ont pris leur essor au début des années 1970 dans le cadre du programme Medicaid. Les responsables politiques ont essayé de les imposer au sein de Medicare dans les années 1980 mais sans grand succès. L’introduction du managed care a été liée à la volonté de rationaliser les coûts de santé mais, après une première période prometteuse, la tendance est repartie à la hausse.
20Malgré leur grande diversité, les organismes de managed care (MCO) présentent souvent des caractéristiques communes : choix limité des praticiens, filière d’accès aux soins secondaires, conventionnement sélectif des médecins, incitations financières pour les praticiens, gestion de la qualité des soins et de l’utilisation des services.
21Les enquêtes auprès des ménages révèlent les opinions négatives des assurés sur les MCO : six personnes sur dix considèrent que ces organismes sont plus préoccupés par la réduction des coûts que par l’amélioration des traitements. À l’actif des MCO, il convient toutefois de souligner l’accroissement de la prévention et la mise en place de politiques de soins coordonnés pour des pathologies chroniques (disease management) qui constituent également une nouvelle modalité de maîtrise des dépenses [4].
Un enjeu politique majeur
22Le problème d’une couverture santé est devenu un enjeu politique majeur comme on peut le constater dans les débats actuels autour de l’élection présidentielle. L’élargissement de l’assurance santé à l’ensemble de la population est considéré comme important par huit personnes sur dix selon un sondage réalisé en 2007 [5].
23Les États réfléchissent depuis longtemps à la manière d’améliorer la couverture maladie de leurs résidents. En avril 2006, le Massachussetts, qui avait procédé à des élargissements successifs de Medicaid et recouru à un empilement d’aides complexes depuis la fin des années 1980, a été le premier État américain à imposer l’obligation d’assurance maladie, sanctionnant même par des pénalités les employeurs qui n’offrent pas d’assurance à leurs salariés. À la même période (mai 2006), le Vermont a suivi une voie similaire. Plusieurs États, dont la Californie, cherchent actuellement des solutions pour parvenir à une couverture généralisée pour leurs résidents, en faisant pression sur les employeurs par des incitations ou des obligations.
24Selon le candidat qui sera élu président en novembre prochain, les réformes proposées seront assez différentes. Mais notons dès à présent que, quelle que soit l’issue de ces élections, un système public à payeur unique a fort peu de chance d’être proposé et encore moins adopté, d’autant qu’un tel système ne semble recevoir qu’un faible appui de la population.
Notes
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[1]
« La crise du système de santé américain, des mesures désespérées », The Economist, 26 janvier 2006.
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[2]
Skinner J., Fisher E., Wennberg J., « The efficiency of Medicare », NBER Working Paper W8395, July 2001.
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[3]
Remler D., Rachlin J., Glied S., « What can the take-up of other programs teach us about how to improve the take-up of health insurance programs? », NBER Working Paper 8185, March 2001.
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[4]
Bras P.-L., Duhamel G., Grass E., « Améliorer la prise en charge des malades chroniques », Rapport Igas.
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[5]
« Uninsured Survey », question 20, Federation of American Hospitals, February 5-7, 2007.