CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Pendant des siècles, la médecine a été perçue comme une science obscure, les médecins passant même parfois pour des sorciers, en tout cas pour les détenteurs d’un savoir inaccessible au commun des mortels. Évidemment, les connaissances qu’ils détenaient étaient si faibles par rapport à nos connaissances actuelles qu’ils ne pouvaient que rester dans le vague par rapport à la cause de la maladie (les « humeurs »...) ou aux mécanismes d’action de remèdes dont il valait mieux aussi ne pas connaître la composition.

2La médecine a, heureusement, fait des progrès fulgurants au XIXe et surtout au XXe siècle, avec l’apparition des notions de physiopathologie et d’antisepsie, de la radiologie, des antibiotiques, etc., permettant de comprendre la cause et de traiter des pathologies aiguës. Ainsi, devenait possible la survie de malades autrefois condamnés à très court terme, par une infection, un traumatisme ou une maladie. L’information du malade n’était pas importante, le risque vital était immédiat, il fallait agir.

3Dans le premier tiers du XXe siècle, on est parvenu à traiter et à faire survivre au long cours des malades atteints de maladies mortelles qui, une fois traitées, sont devenues des maladies chroniques. L’exemple type nous paraît être celui du diabète de type I, dit « insulinodépendant », dont le traitement, l’insuline, est apparu dans les années 1920. Il est ainsi devenu possible de soigner des malades jusqu’alors destinés à une mort certaine et rapide. Le nombre de malades augmentant, il a fallu trouver une solution pour les traiter en plus grand nombre, de manière plus simple et moins coûteuse. C’est ainsi que, pour la première fois, les malades ont été chargés de gérer eux-mêmes leur traitement. Comme on s’était aperçu que le régime et le mode de vie avaient une importance capitale pour une bonne efficacité du traitement, il a fallu éduquer ces patients à la gestion des doses d’insuline, qu’il fallait moduler en fonction de l’activité, de l’alimentation, des résultats d’analyse, et de leur régime.

4Plus tard, au début des années 1960, on fut capable de traiter une autre maladie auparavant mortelle, l’insuffisance rénale chronique terminale (IRCT), cette fois grâce à des techniques beaucoup plus sophistiquées : il s’agissait de remplacer la fonction d’un organe, le rein, à l’aide d’une machine. C’est ce que l’on a appelé alors le « rein artificiel », c’est-à-dire la dialyse. À cette époque, peu de malades étaient traités, faute de moyens et de machines de dialyse. Quelques privilégiés, ayant eu la chance d’être là au bon moment, parce qu’une place était disponible, parce qu’ils avaient un profil leur permettant d’être choisis pour en bénéficier, avaient la possibilité d’être traités et donc de survivre. En effet, les médecins, par nécessité, devaient décider qui, parmi les patients qui arrivaient au stade terminal de l’IRC, ils prendraient en charge. La plupart de ces patients n’étaient pas informés de leur chance.

5Néanmoins, un certain nombre d’entre eux savaient et ne se trouvaient pas assez informés sur leur maladie, leur traitement, les traitements possibles… C’est pourquoi, en 1972, ils ont créé une association qui est devenue la Fédération nationale d’aide aux insuffisants rénaux (Fnair). L’un de leurs buts était de former un groupe de pression qui, en informant sur la possibilité de traiter l’insuffisance rénale chronique, contribuerait à ce que tous les malades atteints puissent bénéficier d’une prise en charge. Ils avaient aussi pris conscience qu’il était nécessaire de s’informer pour se former au traitement et se prendre en charge.

6Dans le même temps, les techniques de dialyse s’améliorant petit à petit, il est devenu possible de traiter des malades à domicile, et de soigner ainsi plus de patients. Des médecins se sont investis dans cette nouvelle méthode qui rendait une partie de sa liberté au patient, et leur évitait également de devoir choisir qui allait vivre ou mourir…

La Fnair et l’information

7La Fnair est une fédération regroupant vingt-quatre associations régionales. Elle compte environ 11 000 adhérents et édite une revue trimestrielle, la Revue Fnair, diffusée aux adhérents, aux soignants, aux administrations, aux caisses d’assurance maladie, etc. Dans sa première publication, en 1973, tout était dit : « Les malades, jusqu’à présent pris en charge, souvent passifs, doivent faire l’effort de se prendre en charge eux-mêmes, c’est-à-dire faire l’effort de comprendre le traitement et les problèmes généraux qui lui sont liés. Ne pas avoir comme seul objectif d’être pris en charge par la société, mais devenir adultes dans cette nouvelle vie… Comprendre la maladie, les moyens et les aboutissements du traitement, s’informer sur les différentes méthodes de traitement, leur évolution, leurs améliorations. “Informer, s’informer, exiger l’information.” Nous voulons de l’information, qu’elle vienne des malades, des médecins, des infirmières ou de ceux qui s’intéressent à notre problème. Sachant que le traitement est pour les malades, personnes conscientes et intelligentes, le traitement doit être entre leurs mains. Qui dira le contraire ? »

8« Le savoir, c’est le pouvoir », en l’occurrence, la symbolique du pouvoir de vie et de mort qu’ont les médecins sur leurs patients, d’où cet engagement historique de la Fnair, dès sa première heure, dans l’information, pour l’humanisation des traitements, par une « désaliénation » de l’individu ou une réappropriation d’une partie de sa liberté.

Libre choix éclairé du traitement et autonomie

9Très tôt, la Fnair a défendu la liberté du patient de choisir son traitement parmi les différentes possibilités qui s’offraient à lui. Dans les premières années, le choix n’était possible qu’entre l’hémodialyse en centre et la transplantation rénale, celle-ci entraînant d’ailleurs une mortalité très importante. Ensuite, le choix s’est élargi et sont apparues d’autres modalités de traitement, comme l’hémodialyse à domicile, l’autodialyse, puis la dialyse péritonéale.

10Une information claire et objective de la part des médecins était donc nécessaire, afin que les patients puissent bénéficier du traitement le plus approprié par rapport à la vie qu’ils entendaient mener.

11L’insuffisance rénale chronique nécessite des traitements lourds et contraignants. Elle entraîne une dépendance extrêmement importante envers le monde médical. Par sa revue, ses congrès, les réunions d’information réalisées auprès de ses adhérents, la Fnair a contribué à apporter à chaque patient des informations indispensables pour lui permettre de comprendre les techniques qui lui étaient appliquées, le libérant un peu de cette dépendance à la machine, aux soignants et surtout aux médecins.

12Connaître la composition des aliments, l’intérêt d’une alimentation adaptée, pour pouvoir vivre tous les jours avec les contraintes de la diététique faisait partie de ces informations. De même, plus tard, furent abordées et expliquées les maladies causales, les nouvelles techniques (dialyse péritonéale, autodialyse, hémodiafiltration), la greffe, les problématiques du don d’organe, de l’inscription sur les listes d’attente et de la bioéthique, l’évolution démographique des malades, la politique de santé, etc.

13L’insuffisance rénale chronique est aussi source de handicap. En effet, si, physiquement, le patient insuffisant rénal ne présente pas de handicap visible, il subit un handicap « temporel » lorsqu’il reçoit un traitement de trois séances d’hémodialyse par semaine ou lorsqu’il doit réaliser quatre changements de poche par jour s’il est traité par dialyse péritonéale. D’autre part, il est souvent fatigué. C’est pourquoi l’information sociale a été aussi l’un des objectifs fondamentaux de la Fédération, un des premiers combats dans ce domaine ayant été l’indemnité compensatrice de salaire qui permet d’indemniser le temps passé en dialyse et de le considérer comme un temps de travail.

Informer pour mieux traiter

14Une association ne peut remplacer la relation qui doit s’instaurer entre le médecin, l’équipe médicale et paramédicale et le malade. Au-delà de sa revue et de ses diverses actions destinées à véhiculer l’information, l’association a donc toujours milité pour que les malades soient informés et formés par ceux qui les soignent.

15La qualité de la prise en charge, de l’observance des malades, dépend de façon évidente de leur adhésion et de leur implication à leur mode de traitement. Cela passe par la compréhension des mécanismes de la maladie, du rôle des reins, du fonctionnement de la machine d’hémodialyse, de l’importance de la prise des immunosuppresseurs en cas de transplantation rénale.Cela passe aussi par la compréhension par le malade de certains interdits ou de certaines recommandations. Par exemple, un patient atteint d’insuffisance rénale chronique terminale n’élimine plus le potassium contenu en grande quantité dans certains aliments, comme le chocolat. Le potassium en excès entraîne un risque d’arrêt cardiaque. On ne peut interdire ou limiter le chocolat sans en expliquer la raison. Si je ne sais pas pourquoi je ne dois pas manger de chocolat, je n’ai pas de raison d’appliquer ce que je vais considérer comme un « diktat » sans fondement.

16Cette notion de qualité de la formation et de l’information revêt une importance fondamentale dans le cadre d’une maladie chronique telle que l’insuffisance rénale chronique qui permet actuellement de vivre de longues années dans de bonnes conditions, si la prise en charge est optimale. En effet, si les études de qualité de vie montrent que l’IRCT dialysée est la pathologie qui entraîne la plus forte altération de la qualité de vie parmi d’autres maladies étudiées (diabète, cancer traité par chimiothérapie, etc.), les plus grosses difficultés d’adaptation au traitement pour le malade, le stress le plus important, d’autres études, ayant comparé des patients traités en centre de dialyse (non autonomes) à des patients traités en autodialyse (ayant eu une formation à la prise en charge de leur traitement), ont montré que la qualité de vie des patients traités par autodialyse ou en dialyse à domicile était bien meilleure que celle des patients traités en centre lourd.

17On peut remarquer que la formation à l’autonomie ne se limite pas à la dialyse elle-même (montage-démontage du matériel de dialyse, branchement-débranchement, surveillance de la séance de dialyse), mais s’étend à des notions plus larges abordant entre autres la physiopathologie de la maladie, la manière dont la dialyse remédie aux différentes conséquences de l’IRC, les traitements annexes, etc. Il s’agit en fait d’une éducation du patient à sa maladie.

18Les patients pour qui on ne peut, pour diverses raisons, envisager un traitement autonome ne bénéficient pas ou peu de ce type d’information, ou de formation, et leurs possibilités d’action sur leur propre traitement en sont réduites. On peut imaginer que leur prise en charge est donc moins bonne, puisqu’ils ne peuvent y participer activement faute d’information. Certes, beaucoup de ces malades sont âgés, polypathologiques, certains sont mentalement diminués, mais il n’en reste pas moins que la plupart pourraient sans doute tirer un bénéfice d’une éducation thérapeutique qui ne leur est actuellement pas proposée.

19L’éducation thérapeutique est encore trop peu développée en France. Elle se développe beaucoup pour la prise en charge de certaines pathologies (l’asthme, le diabète par exemple) et n’a encore que très peu cours dans le domaine de l’insuffisance rénale terminale, alors que les malades sont beaucoup moins nombreux (un peu moins de 55 000, 31 000 dialysés en 2003 et 23 000 transplantés rénaux en 2004) et surtout suivis dans des lieux connus et en nombre relativement réduits (centres de dialyse, centres de transplantation) ; ils devraient donc être plus faciles à atteindre.

20Certes, certaines équipes ont mis en place, afin d’aider les patients à choisir leur méthode de traitement, une information prédialyse plus ou moins structurée, faisant intervenir une équipe pluridisciplinaire comprenant, outre le médecin néphrologue, des infirmières, une assistante sociale, voire parfois un patient témoin, mais tous les malades qui arrivent au stade de la suppléance rénale sont loin de pouvoir en bénéficier, en particulier parce que nombre d’entre eux (environ 30%) sont adressés à un service de néphrologie au dernier moment, c’est-à-dire en urgence. La seule solution est alors de les dialyser vite, ce qui interdit tout choix du traitement. Par ailleurs, il s’agit là, le plus souvent, d’une simple information, pas d’une formation à la prise en charge de sa maladie.

21L’un des projets les plus récents de la Fnair est la création d’une première « maison du rein » à Paris, qui sera un lieu de rencontre, d’accueil et d’activités pour les personnes souffrant d’insuffisance rénale chronique, en prédialyse, dialyse ou transplantés, et pour leurs proches, avec comme objectif de les aider à mieux comprendre et accepter la maladie et ses traitements, dans tous ses aspects, à retrouver confiance et motivation, de les rassurer, de leur redonner des repères, de les inciter à se prendre en charge, à s’informer sur leur maladie, afin de « vivre avec et malgré la maladie, mais vivre avant tout ». Une partie importante de l’activité de la Maison du rein sera orientée vers l’éducation thérapeutique.

22L’information, mais aussi la formation des patients, est encore aujourd’hui l’un des buts principaux de la Fnair. Il a fallu trente ans pour que cette information soit prévue dans une loi, la loi sur les droits des malades du 3 mars 2002, trente ans depuis que la Fnair a été créée sur le postulat que seul un malade informé pouvait choisir son traitement, se prendre en charge, être autonome et ainsi mieux se porter.

23Mais informer les malades ne suffit pas à l’association. Elle s’est fixée depuis quelques années un nouvel objectif : promouvoir la prévention et le dépistage des maladies rénales qui touchent trois millions de personnes en France. Ces maladies évoluent de façon insidieuse et beaucoup sont dépistées trop tard, au stade de l’insuffisance rénale chronique avancée, voire à son stade terminal, et doivent être traitées en urgence. Or, une prise en charge précoce et adaptée peut éviter ou ralentir leur évolution vers l’insuffisance rénale terminale et la nécessité d’un traitement de suppléance (dialyse ou transplantation) terriblement lourd et invalidant, dont les conséquences sur la vie des malades et de leurs proches sont souvent dévastatrices.

24De plus, leur coût est considérable. À l’heure où notre système de santé connaît les difficultés que l’on sait, il s’agit là d’un véritable problème de santé publique, qui devient de plus en plus difficilement supportable pour l’assurance maladie et la collectivité. C’est pourquoi la Fnair a institué une première Semaine nationale du rein (15 au 23 octobre 2005), dans le but, d’une part, d’améliorer les connaissances du grand public sur les reins et leurs fonctions, d’attirer l’attention sur les maladies rénales et les moyens de les prévenir, et d’autre part d’améliorer la connaissance qu’ont les médecins de ces maladies, des moyens de les prévenir et d’en éviter l’évolution. Cette semaine a permis de diffuser de l’information, grâce à l’intervention des médias et, par des actions ponctuelles de dépistage dans toute la France, de sensibiliser les personnes à risque de maladie rénale.

Français

Résumé

Avec l’apparition de traitements permettant de contrôler au long cours des maladies mortelles devenues chroniques, la nécessité d’informer les malades afin qu’ils puissent prendre en charge leur traitement à domicile, pour des raisons à l’origine essentiellement logistiques, s’est imposée. La Fédération nationale d’aide aux insuffisants rénaux (Fnair), créée en 1972, s’est d’emblée positionnée comme un organisme destiné à faire pression pour obtenir une information et des traitements de qualité. Trente ans avant la loi du 3 mars 2002, la Fnair a demandé qu’une information large et objective soit délivrée aux patients, afin de leur offrir à la fois un choix éclairé de traitement et une autonomie maximale face à une maladie entraînant une dépendance majeure envers le monde médical. Elle s’est dotée de divers moyens pour réaliser elle-même une partie de cette information et continue d’agir afin qu’une véritable éducation thérapeutique soit offerte à tous les malades.

Sylvie Mercier
Médecin-conseil du régime général de l’assurance maladie, Sylvie Mercier est vice-présidente de la Fnair et rédactrice en chef de la Revue Fnair. Atteinte d’une insuffisance rénale terminale à l’âge de 18 ans, elle a été traitée par hémodialyse pendant dix ans, années au cours desquelles elle a fait des études de médecine. Elle a pu bénéficier d’une transplantation rénale en 1987. Un rejet chronique l’a conduite à nouveau en dialyse en mars 2004. Elle a pu bénéficier d’une deuxième transplantation rénale en juillet 2005.
Mis en ligne sur Cairn.info le 01/11/2006
https://doi.org/10.3917/seve.009.59
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