CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction  (1)

1La succession de crises dans les dernières décennies explique la peur de l’avenir. Quand les motifs d’inquiétude s’accumulent, les déclarations qui se veulent rassurantes et annoncent une prochaine sortie de crise perdent de leur crédibilité. L’optimisme de façade ne convainc plus ; mieux vaut affronter les défis réels et admettre que la transition écologique et sociale ne peut résulter d’aménagements à la marge. Il importe donc de penser cette transition, ce qui suppose au préalable une critique des fondements de l’ordre existant et de la manière dont le mode de développement actuel étouffe des potentialités démocratiques.

2Dès les années 1980, des États ont commencé à introduire des dispositifs institutionnels et organisationnels se réclamant des idéaux néolibéraux ; ils ne sont pas entièrement réalisés mais continuent à être promus avec force dans de nombreux pays, et leurs conséquences sont notables pour les associations. La première partie de cet article synthétise comment elles en ont été affectées. Ces évolutions ont généré des analyses faisant des associations un « sous-service public », ce qui traduit une incompréhension de la teneur exacte du projet néolibéral ; ce dernier, en visant une limitation de la démocratie, affaiblit autant les associations que les autorités publiques, ce que ses inflexions récentes confirment.

3Néanmoins, comme il est montré dans la seconde partie, certaines associations prouvent leurs capacités de résistances. Afin d’étayer ces démarches pratiques, il est important de mentionner quelles sont les ressources théoriques disponibles. L’enjeu est que de nouvelles synergies entre acteurs et chercheurs contribuent à l’échec de la remise en cause contemporaine des dynamiques démocratiques.

1. Reconfigurations associatives et néolibéralisme

4Il importe d’abord de situer les principaux changements qui ont touché les associations.

1.1. Modes de régulation, alignement des offres, rabattement organisationnel : des réformes fondées théoriquement

5Les modes de régulation représentent un premier marqueur de l’évolution associative. Les coopérations entre associations et pouvoirs publics passent depuis longtemps par des subventions ou d’autres financements, selon des formes multiples (prix, dotations, etc.). La régulation tutélaire installée dans les Trente Glorieuses, avec des normes définissant les modes d’intervention pour les publics concernés, a entraîné une augmentation de la technicité administrative et de la qualification professionnelle, induisant un effritement du bénévolat particulièrement sensible dans des champs comme le social ou le médicosocial. Attaquée par des experts qui reprennent les arguments néolibéraux, la régulation tutélaire est remise en cause au motif qu’elle entretiendrait la déresponsabilisation des bénéficiaires et le clientélisme. Dès les années 1980 se teste au Royaume-Uni une régulation concurrentielle, instillant des « quasi-marchés » supposés améliorer les modes d’affectation des financements publics. D’abord, les subventions aux structures prestataires sont remplacées par la solvabilisation directe des consommateurs (par chèques services ou exonération de charges), ceux-ci choisissant leurs prestataires. Ensuite, dans des domaines où régnaient les oligopoles associatifs, des appels d’offres simulent la concurrence à la fois entre associations et avec les entreprises privées, en sélectionnant le « moins-disant ». Ces formules de « quasi-marchés » ont mis l’accent sur les fonctions d’acheteurs et d’organisateurs des services pour les autorités publiques, au détriment de leur rôle antérieur de fournisseurs de services. Cette réforme était censée inciter à l’efficacité dans le rapport qualité-prix, et stimuler l’adaptation de l’offre en ouvrant des possibilités de choix par les consommateurs. Toutefois, les effets pervers de cette régulation concurrentielle tiennent à l’alignement sur le secteur privé lucratif, qui a des incidences sur l’appréhension de la qualité comme sur l’oubli tendanciel de bénéfices collectifs. Trop souvent en effet, le prix constitue l’élément décisif dans l’adjudication des marchés, au détriment de la qualité et de la prise en compte des bénéfices collectifs.

6L’alignement des offres résulte du même argument : la préservation d’une concurrence par les prix, libre et non faussée. Devenue préoccupation majeure de la Commission européenne dans les services, elle amène les pouvoirs publics à ne pas se soucier de la nature juridique des prestataires. Dans les années 2000, une abondante production réglementaire définit un cadre de financement des services par les collectivités publiques, auquel s’ajoutent la directive services dite Bolkestein – qui libéralise le marché intérieur des services (Brun, 2011 ) – puis les paquets Monti-Kroes et Almunia. La concurrence y est prônée dans une acception large de l’activité économique identifiée au marché ; seules des exceptions autorisent à sortir de ce cadre général pour les « services sociaux d’intérêt général », par « mandatement officiel » de la collectivité (pour des services locaux relevant de besoins sociaux essentiels) (Kirszbaum, 2012). Le flou dans le périmètre de ces clauses dérogatoires crée une insécurité juridique importante (Le Floch, 2011), les collectivités ayant tendance à opter pour la commande publique afin d’éviter toute contestation éventuelle des subventions.

7Le rabattement organisationnel lié à l’alignement des offres incite à nier les différences de statut, donc de missions. Par ce biais, une nouvelle architecture institutionnelle, censée changer l’État, se met en place dans la décennie 2000, allant de la Loi organique relative aux lois de finance (LOLF) à la Révision générale des politiques publiques (RGPP) : séparation entre les fonctions de stratégie, de pilotage et de contrôle d’un côté, et les fonctions opérationnelles de l’autre côté ; découpage des grandes bureaucraties en unités administratives autonomes chargées d’une politique publique ; renforcement de l’autonomie des gestionnaires responsables de la mise en œuvre d’une politique à laquelle sont fixés des objectifs de résultats (Bezès, 2008 ; Kirszbaum, 2012). L’importance accordée à l’efficacité et à l’efficience se traduit dans la place conférée à l’auditabilité et à la mesure des performances, où l’évaluation est ramenée à la production d’indicateurs quantitatifs. Des rapports officiels préconisent d’accélérer le transfert aux associations (Lambert et Migaud, 2005 ; Richard, 2006) de ces techniques relayées par des directions souvent recrutées à partir d’une expérience dans l’entreprise privée.

8Ces réformes ne sont pas le fruit du hasard : elles résultent de l’application de préceptes établis dans le cadre d’un nouvel âge de la pensée libérale avec divers courants (l’école autrichienne contemporaine, l’école des anticipations rationnelles, la théorie du capital humain, l’école du public choice, etc.), regroupés le plus souvent à partir de la décennie 1980 sous l’appellation générique de néolibéralisme. La condamnation sans appel de l’excès d’État engendre des préconisations qui ont pour vocation de rompre avec les principes de la déclaration de Philadelphie de 1944. C’est en 1989, avec la promulgation du consensus de Washington, que ces nouvelles idées sont adoubées par les pouvoirs publics. Redonnant la priorité à l’équilibre budgétaire, ce texte généralise la mise en place, au Sud puis au Nord, de politiques d’ajustement structurel mixant différents outils (réforme fiscale, réduction des dépenses publiques et des subventions, libéralisation des échanges extérieurs de marchandises et de capitaux, privatisations, dérèglementations, transparence des organes de décision, lutte contre l’inflation, etc.).

1.2. Au-delà de la thèse de la substitution

9Certaines analyses, avançant la thèse de la substitution, considèrent que le néolibéralisme a déjà triomphé : les associations verraient leurs effectifs s’accroître à mesure que ceux de la fonction publique diminueraient. En analysant les rapports des pouvoirs publics et des associations sous ce seul prisme, on risque cependant d’en arriver rapidement à la conclusion que les associations sont le cheval de Troie du désengagement de l’État et du démantèlement du service public : mais cette lecture détourne l’attention d’autres hypothèses, dont celle qui consiste à envisager l’isomorphisme marchand comme une étape de l’extension illimitée du marché. Si l’on prend au sérieux l’idée selon laquelle les associations dresseraient un rempart face au projet de limitation de la démocratie, il faut aussi prendre au sérieux le but ultime du néolibéralisme : l’institution de la société de marché – qui appelle la limitation de la démocratie.

10La thèse de la substitution souffre donc d’une double faiblesse, théorique et pratique. Sur le plan théorique, les positions néolibérales, qui se démarquent en cela de la tradition libérale, cherchent à imposer le système capitaliste comme unique horizon d’un ordre social viable et le dissocient des libertés démocratiques. Hayek (1983) a créé à ce sujet un néologisme – la démarchie – pour nommer le régime de démocratie limitée qui a sa faveur ; c’est « le nouveau nom dont nous avons besoin pour préserver l’idéal de base en un temps où, à cause de l’abus répété du terme démocratie à propos de systèmes qui conduisent à la création de nouveaux privilèges par des coalitions ou des intérêts organisés, des gens en nombre croissant se retourneront contre le système existant » (op. cit., p. 48). Il critique le rôle de l’État mais aussi l’action collective organisée : les groupements, associations et unions syndicales ont dans tous les secteurs des moyens d’action efficaces pour faire pression sur les pouvoirs publics afin d’obtenir qu’ils se chargent « de la régulation du marché en leur faveur » (ibid., p. 106). Dès lors qu’ils contribuent à paralyser le jeu des forces spontanées du marché, ces groupements ont vocation à être affaiblis. Certes, Hayek vise tout particulièrement les associations ouvrières mais, en creux, ce sont tous les groupements associatifs qui sont suspectés d’être les leviers de la démocratie illimitée. Le vocable « démarchie » n’a pas eu le succès escompté. Ses thèses ne s’imposent pas sans réticences, signe qu’au-delà de leur incontestable influence, elles se révèlent fragiles.

11Sur le plan pratique, le projet néolibéral est performatif mais s’il modifie la réalité, il suscite aussi des contestations. La rationalité instrumentale qui s’étend aux associations est loin d’apporter les solutions attendues ; au contraire, elle entre en conflit avec les cultures des professionnels au contact des usagers. « L’appel des appels » (Gori, 2009) est ainsi un témoignage des problèmes identitaires rencontrés par les travailleurs du social, face à l’envahissement gestionnaire. La quantophrénie produit de nombreuses dérives dont la moindre n’est pas l’écrémage des publics et des actions – constaté avec les quasi-marchés – induisant un abandon des personnes dans les situations les plus difficiles et une négligence des tâches les plus qualitatives et complexes, cela pour maintenir le niveau de résultats tel qu’apprécié dans les critères mesurés (De Gaulejac, 2011). Face à ces effets pervers, le discours axé sur les bienfaits de la concurrence est complété par une prise en compte inédite de la question sociale.

1.3. Une seconde vague de néolibéralisme

12L’argumentaire « froid » des auteurs néolibéraux se voit donc complété au début du XXIe siècle par une réhabilitation de valeurs « chaudes », selon les termes de Foucault (2004). Un récit rassurant de sauvetage des pauvres par le marché se diffuse, et ne peut être que bien accueilli par des pouvoirs publics obsédés par leurs problèmes budgétaires. Ce récit est par ailleurs soutenu par les intérêts privés pour lesquels la question sociale peut être résolue par le seul professionnalisme gestionnaire. Parfois s’y greffe la philanthropie, invoquée en sus du marché sous la forme de la venture philanthropy, soucieuse d’un retour sur investissement. Depuis l’avènement de la modernité, deux acceptions de la solidarité sont présentes : l’acception philanthropique, qui se confronte à l’acception démocratique.

2. Ripostes associatives et ressources théoriques

13Les évolutions qui viennent d’être rappelées brièvement montrent que les associations sont attaquées aussi durement que les pouvoirs publics ; elles démentent également la thèse de la substitution, qui veut faire de ces associations un cheval de Troie du désengagement de l’État, et qui ignore une multitude d’expériences internationales montrant la réalité des résistances associatives.

14La thèse de la substitution néglige aussi les capacités de nombreuses associations françaises à maintenir leurs « spécificités méritoires » (Bloch Lainé, 1994), en l’occurrence une exploration renouvelée des dynamiques internes et de leur participation à la discussion publique. Face aux contraintes externes, les associations agissent d’abord sur elles-mêmes : le refus de subir passe par des tentatives variées de revitalisation des espaces démocratiques internes, au regard d’une volonté de réinvestir le projet associatif. Ainsi, dans le champ social et médicosocial, l’Association pour la réadaptation et l’intégration (ARI), à Bordeaux, s’efforce de refonder son autonomie sur l’ouverture à de nouveaux membres, avec un groupement d’entraide mutuelle et une association de parents. La sortie progressive de l’entre-soi professionnel amène à intégrer des membres culturellement très différents, ce qui finit par favoriser une créativité institutionnelle sans déstabiliser le collectif (Espagnet, 2015). L’association Thélémythe quant à elle, propose en Île-de-France une solution pour des adolescents en errance rejetés par les établissements publics. Son travail part des limites de l’intervention publique pour inventer une expérience originale dans un cadre associatif mobilisé pour stimuler la réflexion collective (Ligny, 2015). Dans les deux trajectoires, le refus de se plier aux impératifs gestionnaires et aux normalisations standardisatrices amène à renforcer le pouvoir de négociation avec les pouvoirs publics. L’ARI et Thélémythe deviennent des partenaires valorisés par leurs propres partenaires et commanditaires, parce qu’ils démontrent leurs facultés d’initiative. Les spécificités associatives permettent d’enrichir la gamme des répertoires d’action publique. Ces constats sont convergents avec ceux effectués au sujet de démarches collectives de prospective en association – menées par les Unions régionales interfédérales des œuvres et organismes privés sanitaires et sociaux (URIOPSS) (Chognot, 2015) ; mais aussi avec ceux émanant d’autres domaines d’activités, comme le sport : ainsi, la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT) s’appuie sur l’imagination déployée dans les activités et sur ses mécanismes de décision collective, pour entretenir un dialogue conflictuel avec les programmes gouvernementaux ayant trait à la place du sport dans la société (Martins Viana, 2015).

15En outre, le phénomène associatif n’est pas uniquement français. Il revêt une ampleur mondiale et, dans certains pays, il s’est heurté à des régimes autoritaires, dictatoriaux ou oligarchiques. La mondialisation néolibérale est loin d’avoir effacé la diversité associative. Ainsi, en Afrique du Nord, le printemps arabe a bousculé la cartographie associative ; au Maroc comme en Tunisie, les typologies qui dissociaient associations de service et de plaidoyer apparaissent dépassées au regard des actions qui combinent désormais les deux registres (Sadik 2015 ; Tainturier, 2105). La mise en perspective historique indique que depuis des siècles, les associations sont en Espagne des lieux où se cherchent les voies d’une autonomisation vis-à-vis de l’église et du pouvoir étatique ; elles forment des espaces publics populaires dans lesquels la mutualisation et la coopération restent les meilleures armes contre la crise économique, comme le souligne l’exemple de la Catalogne (Estivill, 2015). La tradition civique du développement communautaire, telle qu’elle a été exprimée par Alinski, est difficile à comprendre en France, pays marqué par l’invalidation de toute référence à la communauté. Elle joue néanmoins un rôle de premier plan en Amérique du Nord – et particulièrement au Québec – dans la recherche d’une justice sociale à travers des articulations entre redistribution et reconnaissance (Jetté, 2105). La garde de la petite enfance au Québec illustre combien il est décisif d’intégrer la durée dans l’observation (Lévesque, 2105). Ce qui pouvait sembler constituer il y a encore quelques décennies une dérèglementation par le biais associatif s’est graduellement transformé – grâce à la détermination des mouvements citoyens – en la création d’un nouveau service public délivré par les associations. En Amérique du Sud, d’autres modalités de coconstruction peuvent également être repérées, comme en Bolivie (Hillenkamp, 2015) ou en Equateur (Coraggio, 2015), dans un contexte de renversement des oligarchies : les associations y ont largement contribué à la rédaction des constitutions adoptées par référendum en 2008. Elles jouent un rôle inédit dans une économie plurielle considérée comme un moyen d’atteindre l’objectif du bien vivre.

16Ces cas nationaux, parmi d’autres, mettent en évidence l’insuffisance du diagnostic d’un jeu de vases communicants entre État et associations. À tel point que dans la littérature internationale, la thématique de la coconstruction des politiques publiques est de plus en plus présente (Vaillancourt, 2015).

3. Au-delà de la social-démocratie, la solidarité démocratique

17Les deux acceptions de la solidarité (acception philanthropique et acception démocratique) appellent à situer les termes de cette opposition pour sortir de la confusion à propos de ce qu’est la solidarité.

18L’acception philanthropique de la solidarité se donne pour objet le soulagement des pauvres et leur moralisation par la mise en œuvre d’actions palliatives. Les liens de dépendance personnelle qu’elle favorise risquent d’enfermer les bénéficiaires dans leur situation d’infériorité. Autrement dit, la philanthropie, tout en participant d’une laïcisation de la charité, entérine les hiérarchies sociales.

19À cette conception « bienveillante » s’oppose une conception de la solidarité comme principe de démocratisation de la société résultant d’actions collectives. Cette dernière est émancipatrice parce qu’elle suppose une égalité de statut entre les personnes qui s’y engagent. Si l’on retrace sa genèse, la solidarité démocratique révèle son épaisseur tant historique que théorique. Il a existé des espaces publics populaires se manifestant en particulier par un associationnisme solidaire dans la première moitié du XIXe siècle. Comme l’indique la rétrospective historique, au fur et à mesure que progressent productivisme et capitalisme, cet élan réciprocitaire s’essouffle toutefois. La solidarité démocratique prend progressivement une autre tournure, celle d’une dette sociale que l’État a pour mission de rembourser en canalisant les flux de la redistribution. L’État élabore un mode spécifique d’organisation, le social, qui rend praticable l’extension de l’économie marchande en la conciliant avec la protection des travailleurs. La sécurité obtenue se paie toutefois d’un abandon de l’interrogation politique sur l’économie.

20La tâche qui se dessine à l’orée du xxie siècle consiste à arrimer les deux versions de la solidarité démocratique. La première horizontale basée sur une réciprocité volontaire, la seconde verticale basée sur une redistribution publique.

Conclusion

21La grille d’analyse de l’associationnisme (Laville, 2010) s’attache à étudier la complexité des interdépendances entre les sphères économique et politique. D’une part, ces études s’arriment au concept d’espace public développé par Habermas puis par ses commentateurs critiques (comme Fraser, qui élargit l’action publique à l’expression et à la délibération citoyennes). D’autre part, elles intègrent la distinction faite par l’anthropologie économique – et synthétisée par Polanyi – opposant la définition formelle de l’économie (qui surestime le marché) et une définition substantielle admettant la pluralité des principes économiques. Les approches d’Ostrom et Dewey procurent également des points d’appui complémentaires pour aborder l’économie et la démocratie dans une optique pluraliste. L’hybridation des différentes formes et logiques économiques (marchandes, redistributives et réciprocitaires) devient nécessaire afin de ne pas placer la solidarité en situation de dépendance par rapport à la croissance marchande, mais au contraire pour remettre l’économie à sa place : celle d’un moyen destiné à atteindre des finalités humaines. Un rééquilibrage entre différents principes économiques est nécessaire pour rechercher un agencement qui procure un « bien vivre », objectif vers lequel doit tendre le modèle socioéconomique.

22La convergence entre la perspective de l’associationnisme et le principe du commun, qui défend une finalité atteinte grâce à la capacité d’édiction des règles par ceux qui s’estiment concernés, est flagrante (Laval et Laville, 2014). Comme Ostrom en a apporté les preuves empiriques, l’État et le marché peuvent se révéler moins appropriés que l’auto-organisation des populations à une exploitation durable des ressources, la sauvegarde du patrimoine ou la structuration de services aux personnes. L’égalité formelle entre les membres émanant de statuts qui la garantissent est à prolonger par des pratiques délibératives. La pertinence de la solution trouvée dépend alors de la qualité des discussions que les acteurs associatifs sont en mesure d’initier et de faire vivre. Les collectifs ne déploient alors pas simplement une visée politique, mais portent de façon plus complexe des initiatives menant des actions à la fois économiques et politiques. En allant vers « les angles morts de la société » (Palma Torres, Hersent, 2014, p. 222), en débusquant des inégalités cachées puis en les rendant publiques, les associations redonnent un droit à la parole et un pouvoir d’agir à des groupes qui en étaient privés – menant des enquêtes au sens de Dewey, dans lesquelles la parole naît de l’action. Ainsi, au-delà des innovations propres aux expériences, la possibilité d’influer sur le changement institutionnel dépend de l’apparition d’arènes ou de forums par lesquels il devient concevable de peser sur les rapports de force, ce qui soulève les enjeux des alliances comme ceux de la coconstruction des politiques publiques.

Notes

  • (1)
    Cet article présente des analyses détaillées dans Laville J.-L., Salmon A. (dir.), Associations et action publique, Paris, DDB, 2015, 630 p.
Français

La réalité économique est complexe et le problème se pose d’agencer les ressources (marchandes, redistributives et réciprocitaires) afin de promouvoir la justice sociale et la soutenabilité écologique. L’hybridation des différentes formes et logiques économiques devient nécessaire pour ne pas placer la solidarité en situation de dépendance par rapport à la croissance marchande, mais au contraire afin de remettre l’économie à sa place, celle d’un moyen pour atteindre des finalités humaines. Les associations peuvent jouer un rôle majeur afin de faire évoluer le cadre institutionnel à l’intérieur duquel prennent forme les faits économiques ; ce qui exige de mettre en échec la remise en cause contemporaine des dynamiques démocratiques.

Español

1. Las asociaciones y su contribución a la democracia: un desafío contemporáneo

La realidad económica es compleja y surge un problema a la hora de asignar recursos (mercantiles, redistributivos y recíprocos) para promover la justicia social y la sostenibilidad ecológica. La hibridación de diferentes formas y lógicas económicas se hace necesaria para evitar que la solidaridad siga dependiendo del crecimiento del mercado, y, por el contrario, poner la economía de nuevo en su lugar, esto es, un medio para lograr fines humanos. Las asociaciones pueden desempeñar un papel importante en el cambio del marco institucional que conforma los hechos económicos. Esto exige que se acabe con el cuestionamiento contemporáneo a las dinámicas democráticas.

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Jean-Louis Laville
Sociologue et professeur du Conservatoire National des Arts et Métiers, Paris, France
Anne Salmon
Professeur de sociologie à l’Université de Lorraine, France
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 12/04/2021
https://doi.org/10.3917/lps.173.0014
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