CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1René Worms a été, sans conteste, l’« entrepreneur » de la sociologie le plus dynamique des années 1890-1900. Alors que le débat théorique et la rivalité entre Émile Durkheim et Gabriel Tarde battaient leur plein – ce que la postérité retiendra –, Worms se place sur un autre terrain : celui du développement éditorial et organisationnel de la sociologie qu’à l’inverse, la postérité n’a que marginalement retenu [1]. Créateur de la première revue de sociologie en France, la Revue internationale de sociologie en 1893 – Worms n’a alors que 23 ans –, et des premières organisations savantes nommément dédiées à la discipline, l’Institut international de sociologie en 1894 et la Société de sociologie de Paris l’année suivante, le jeune normalien lance aussi une des premières collections éditoriales de sociologie chez un éditeur juridique auprès duquel il trouve un écho et une collaboration sans faille, Giard et Brière [2]. Cette collection, la Bibliothèque Sociologique Internationale [3], publie ses premiers ouvrages en 1896, en débutant par la thèse pour le doctorat ès lettres de R. Worms lui-même intitulée Organisme et société. Jusqu’à la mort de celui-ci, en 1926, près de 70 ouvrages seront publiés dans deux sous-collections, faisant de cette collection l’une des plus dynamiques mais aussi des plus pérennes de l’espace éditorial des sciences sociales en constitution au tournant du siècle [4]. Fidèle à sa vocation internationaliste [5], elle accueillera un nombre substantiel d’auteurs étrangers, les auteurs français y étant même minoritaires. La collection est, comme on le verra, organiquement liée à la fois à la Revue internationale de sociologie et aux organisations savantes wormsiennes, en particulier à l’Institut international de sociologie. Tandis que la Revue internationale de sociologie et l’Institut ont fait l’objet de travaux [6], ce n’est pas le cas de cette collection. Cet article se donne pour ambition de revenir sur ce volet de l’activité de René Worms en analysant le projet éditorial ambitieux de celui-ci, mais aussi les limites de sa mise en œuvre. Il s’agit aussi d’éclairer une dimension peu explorée par l’histoire de la sociologie française. En effet, si cette histoire a aujourd’hui dépassé une simple histoire des idées et des théories sociologiques, en se centrant sur l’histoire de l’institutionnalisation universitaire de la sociologie, elle a parfois cédé à une tentation quelque peu téléologique et durkheimocentrée [7], au détriment d’une histoire qui embrasserait l’ensemble des pratiques que le développement de la sociologie a impliqué [8]. En nous focalisant sur ce qui peut paraître un aspect mineur de cette histoire – une collection éditoriale qui n’a pas laissé grandes traces dans l’historiographie [9] –, notre propos est donc, au-delà de l’œuvre de René Worms, d’enrichir la connaissance des premières décennies de la sociologie en France [10].

La naissance d’une collection [11]

2Le numéro de décembre 1894 de la toute jeune Revue internationale de sociologie contient une « Note » sobrement intitulée « La Bibliothèque Sociologique Internationale » et rédigée par R. Worms [12]. Cette « Note », de deux pages, annonce la création d’une collection éditoriale dédiée à la nouvelle discipline dont plusieurs ouvrages sont déjà en préparation. L’argumentation de Worms débute par une comparaison avec la nouvelle revue. Comme avec celle-ci, il s’agit de créer un espace éditorial spécifique, mais cette fois pour les ouvrages de sociologie. Worms écrit : « N’y avait-il pas lieu d’organiser sur le même type une collection qui fût aux livres ce que la Revue est aux articles, et qui servît de centre commun à des ouvrages dispersés à présent dans des bibliothèques de philosophie générale, d’anthropologie, d’économie sociale, de droit, de politique ou d’histoire ? » [13]. Il s’agit donc de lutter contre la « dispersion » des ouvrages de sociologie qui sont publiés dans des collections ou dans des maisons d’édition spécialisées, ou non, dans d’autres sciences sociales. L’enjeu est de constituer un espace éditorial autonome pour la sociologie qui ne soit plus dépendant d’autres disciplines, mais aussi, pour Worms, de manière implicite, de se distinguer d’autres éditeurs, et en particulier d’une maison d’édition qui, depuis la deuxième moitié des années 1880, devient dominante en matière de publications sociologiques. En effet, s’il est exact qu’il n’existe pas encore de collection éditoriale consacrée à la sociologie comme discipline scientifique spécifique – même s’il existe déjà des collections se réclamant de ce label comme on le verra plus bas –, les principaux sociologues français et étrangers publient principalement chez Félix Alcan, et dans une collection, la Bibliothèque de philosophie contemporaine [14]. Ce n’était pas le cas dans les années 1870-1880 où la sociologie était « dispersée » entre des éditeurs aux orientations variées. Ainsi les Principes de sociologie de Spencer sont publiés chez Germer-Baillière, maison qui sera reprise par Félix Alcan, mais l’ouvrage fondateur du philosophe Alfred Fouillée, La science sociale contemporaine, paraît en 1880 chez Hachette tandis que la Sociologie d’après l’ethnographie de l’anthropologue Charles Letourneau, qui paraît la même année, est publié chez un éditeur scientifique, Charles Reinwald [15]. Dans les années qui suivent, Alcan s’impose en faisant paraître les ouvrages d’inspiration sociologique du jeune philosophe Jean-Marie Guyau ou bien ceux du sociologue belge Guillaume De Greef [16]. Au début des années 1890, les premiers ouvrages sociologiques importants de Gabriel Tarde et d’Émile Durkheim paraissent aussi chez Alcan [17]. L’on voit ainsi que l’enjeu, pour Worms, n’est pas seulement celui de l’autonomie éditoriale de la sociologie, mais aussi celui de la rivalité avec l’autre acteur éditorial majeur impliqué dans la production sociologique. Comprendre le développement de la Bibliothèque Sociologique Internationale nécessite donc de la replacer dans la structure d’un marché éditorial des sciences sociales en pleine effervescence dans les années 1890-1900.

3L’orientation scientifique de la collection est ensuite clairement revendiquée et affirmée dans la « Note ». Worms écrit : « Les ouvrages choisis auront un cachet éminemment scientifique, c’est-à-dire que la collection se propose beaucoup plus de faire connaître les sociétés telles qu’elles sont que d’indiquer ce qu’elles pourraient ou devraient être. » [18] Il s’agit donc non seulement de faire reconnaître la légitimité de la sociologie comme discipline scientifique autonome au sein de l’espace plus large des sciences humaines et sociales, mais aussi de la différencier de publications politiques et idéologiques au contenu normatif plus affirmé et qui peuvent se revendiquer du label « sociologie » dans les années 1890. Est, en particulier, visée par Worms une confusion prégnante durant cette période entre « sociologie » et « socialisme » [19], même si les usages politiques de la référence à la sociologie ne se limitent pas à l’aile gauche du spectre politique [20]. Les ouvrages de sociologie, pour lui, ne doivent pas se revendiquer d’un courant politique, ou bien proposer des utopies sociales ou des systèmes sociaux à construire, comme ils ont encore tendance à le faire dans la dernière décennie du 19e siècle. Il s’agit de bien différencier des écrits qui, même s’ils se réclament de la science, ressortissent plus de l’essai social et politique [21], en particulier dans la nébuleuse socialiste mais aussi à l’extrême droite. En témoigne le fait que la collection éditoriale créée par Worms n’est pas la première qui se revendique du label « sociologie » [22]. Elle a été précédée par la « Bibliothèque de sociologie » [23], fondée en 1892 par l’éditeur Albert Savine. Y sont publiés des ouvrages antisémites [24] ; la collection sera éphémère, disparaissant l’année suivante. En 1895, l’éditeur P. V. Stock lance aussi une collection, plus pérenne, intitulée « Bibliothèque sociologique » qui comptera près de 50 volumes publiés avant la Première guerre mondiale. Mais, dans ce cas, il s’agit d’une collection qui se consacre aux publications… anarchistes [25]. Ces deux exemples témoignent bien de la labilité du terme même de « sociologie » sur le marché éditorial au début des années 1890 alors qu’il n’existe pas encore de monopole de l’usage savant et académique de celui-ci. La position de Worms, qui est homologue à celle d’un Durkheim ou d’un Tarde par-delà leurs divergences théoriques sur la nouvelle discipline, est donc celle d’une démarcation entre la sociologie savante, et les productions politico-idéologiques qui se réclament de la sociologie dans l’espace éditorial.

4Cette affirmation du caractère scientifique de la sociologie qu’il veut publier est complétée par un court paragraphe qui propose des « règles de la méthode sociologique », et cela avant la parution du célèbre ouvrage éponyme d’ E. Durkheim (1895). Pour R. Worms, l’ambition sociologique doit être nomologique : « Ces travaux se proposeront, non seulement de constater des faits, mais aussi d’en dégager des lois ». Pour y parvenir, il faut privilégier l’observation et l’induction, « tout en répudiant la méthode métaphysique de la déduction pure » [26]. R. Worms consacrera dans les années qui suivent un certain nombre d’articles, publiés dans les Annales de l’Institut international de sociologie, à la question de la méthode en sociologie en confrontant celle-ci aux différents principes de la méthode scientifique (observation, induction, et expérimentation) [27]. Évoquant ensuite la question des objets que les publications de sa collection doit traiter, R. Worms en identifie trois principaux : « telle société particulière », « tel ordre spécial de phénomènes sociaux », ou enfin, dans une perspective de sociologie comparative, « un ensemble de sociétés ou de phénomènes ». Il affirme toutefois que les travaux spécialisés qui portent sur un « objet restreint » ne doivent pas oublier que les phénomènes sociaux sont interdépendants [28] et que le travail du sociologue est de parvenir à une « synthèse » : « après l’analyse préparatoire par laquelle tout travail passe nécessairement, une synthèse doit venir couronner l’édifice, sans elle incomplet et inutile ». Cette insistance sur la « synthèse » porte en germe la conception wormsienne de la sociologie qui s’affirme progressivement dans son œuvre. Cette conception de la sociologie comme science générale qui effectuerait la synthèse des sciences sociales particulières culminera dans la somme en trois volumes qu’il publie entre 1903 et 1907 sous le titre Philosophie des sciences sociales. Le dernier paragraphe de la note est consacré à la dimension « internationale » de la collection en gestation et nous revenons plus bas sur ce point. Mais on peut noter toutefois d’ores-et-déjà l’ambition du jeune Worms qui écrit : « nous prévoyons que, dans un avenir prochain, les études qu’elle accueillera pourront être publiées, simultanément, dans les principales langues scientifiques et dans les capitales les plus importantes des deux mondes. » [29].

Une dynamique éditoriale cyclique

5Contrairement à ce que laissait entendre la « Note » de décembre 1894, les premiers ouvrages de la BSI ne paraissent pas immédiatement, sans qu’on puisse expliquer ce délai. Il faut attendre l’année 1896 pour que soient publiés, coup sur coup, quatre ouvrages, suivis de six l’année suivante, témoignant par là du dynamisme éditorial de la nouvelle collection et de la relative disponibilité de manuscrits à publier durant les premières années de la collection.

6La dynamique éditoriale de la collection sur l’ensemble de son existence permet d’identifier des cycles dans celle-ci. Ainsi les premières années de la BSI se caractérisent par l’intensité du rythme de publication : 22 volumes paraissent dans les cinq premières années de la collection (1896-1900), l’année 1897 étant la plus productive avec six volumes. La (quasi-) décennie suivante se caractérise par un ralentissement des parutions : soit 18 volumes en neuf ans, avec entre un et trois volumes publiés par an. C’est seulement à partir de 1910 que l’on constate de nouveau une augmentation des publications, avec 21 ouvrages publiés entre 1910 et 1914 (dont sept pour la seule année 1910). Ce regain éditorial est largement le fait de la création d’une sous-collection au sein de la Bibliothèque Sociologique Internationale composée par des ouvrages de plus petit format, la « série in-18 ». En effet, les premiers volumes de la collection étaient tous des ouvrages reliés de grande taille [30] et, à partir de 1910, de plus petits ouvrages de format in-18 (proches de nos actuels livres de poche), de taille plus réduite (entre 100 et 200 pages) et moins chers sont publiés. La plupart sont l’œuvre d’auteurs ayant déjà publié au moins un volume de format in-octavo. Ils sont au nombre de 8 entre 1910 et 1914, constituant ainsi un peu moins de la moitié des ouvrages de la collection publiés dans ces années d’avant guerre. Cette seconde collection ne survivra toutefois pas à la Première guerre mondiale. Pendant et après le conflit, le rythme de publication ralentit, avec seulement sept publications entre 1915 et 1926, année de la mort de René Worms. On peut faire l’hypothèse que des difficultés économiques, générales et propres à l’édition, ont pu contribuer à ce ralentissement. Depuis les années 1910, un certain essoufflement dans le recrutement de nouveaux auteurs se fait aussi sentir, et cela au-delà du cas spécifique de la sous-collection. En témoigne le fait que 10 des 28 publications de la période 1910-1926 sont le fait d’auteurs ayant déjà publié dans la collection [31]. Fait intéressant toutefois, qui témoigne de la reconnaissance acquise par la sociologie dans le monde universitaire, cinq des volumes qui paraissent durant cette période sont issus de thèses de doctorat soutenues en France ou en Suisse. C’est le cas, par exemple, des deux publications du jeune juriste René Maunier en 1910, L’économie politique et la sociologie et L’origine et la fonction économique économique des villes : étude de morphologie sociale. La collection survit à son fondateur, grâce à l’implication de proches collaborateurs comme Gaston Richard, professeur de science sociale à l’Université de Bordeaux qui reprend la direction de la collection, ou Guillaume-Léonce Duprat qui est professeur de sociologie à Genève depuis la fin de la Première guerre mondiale [32]. Mais seuls trois volumes, en plus d’une réédition, paraissent postérieurement à 1926, le dernier paraissant en 1937.

L’ancrage international

7La collection porte, tout comme la revue et la première association savante créées par Worms, le label « international » [33]. L’ambition de René Worms, qui s’inscrit dans un mouvement scientifique internationaliste plus large [34] et qui est affirmée dès la note de 1894, est de constituer une collection ouverte aux travaux sociologiques français et étrangers. Il écrit : « Les ouvrages conçus dans cet esprit seront demandés à des écrivains de toutes nationalités. De là le titre que prendra la collection : celui de Bibliothèque Sociologique Internationale. » [35]. Il insiste aussi, dans certaines des préfaces qu’il donne aux ouvrages de sa collection, sur la nécessité de faire connaître au public français des auteurs reconnus mais qui n’ont pas encore obtenu une telle reconnaissance en France. À propos de Paul de Lilienfeld qui publie La pathologie sociale en 1896, il écrit ainsi que : « on doit l’avouer à regret, M. de Lilienfeld est de ceux qui ont été – suivant le mot de Voltaire sur Spinoza – moins lus que célébrés. En France, du moins, il se trouve trop peu de personnes qui aient, je ne dirais pas dépouillé, mais simplement consulté les cinq in-octavos dont se compose son principal ouvrage. » [36].

8Cette volonté internationaliste se concrétise clairement dans les premières années de la collection. Entre 1896 et 1899, 13 des 18 volumes publiés sont écrits par des auteurs étrangers, la plupart traduits [37], d’autres écrits directement en français, comme La pathologie sociale du Russe Paul de Lilienfeld en 1896 ou Conscience et volonté sociales d’un autre Russe, Jacques Novicow en 1897. L’éventail des nationalités publiées dans la Bibliothèque Sociologique Internationale durant ces premières années est large, puisqu’on y compte quatre Italiens, trois Russes, deux Américains, un Danois, un Espagnol, un Autrichien et un Suisse. Le pari wormsien de dépassement du cadre national semble donc réussi. Il publie des sociologues majeurs de leur pays respectif alors que la discipline commence à peine à s’institutionnaliser dans ceux-ci, comme l’Américain Franklin Giddings qui est, quand paraissent en 1897 ses Principes de sociologie, professeur de sociologie à Columbia University [38], ou bien l’Autrichien d’origine polonaise Ludwig Gumplowicz, professeur de sciences politiques à l’Université de Graz, qui publie, en 1898, Sociologie et politique[39].

9Toutefois, dans la décennie suivante, cet ancrage international s’estompe et les productions françaises deviennent majoritaires. Sur 22 volumes publiés, 13 ont des auteurs français. Un tel développement peut s’expliquer par l’explosion, déjà perceptible dans les dernières années du XIXe siècle, des publications sociologiques dans l’espace éditorial français. La sociologie attire de nombreux auteurs français, qui sont loin de se limiter aux seuls durkheimiens comme le laisse accroire l’historiographie dominante [40], et la collection de Worms bénéficie de cet afflux de nouveaux auteurs, ainsi que de la persévérance de certains de ses fidèles. Ainsi, les professeurs de philosophie (en collège ou lycée) Guillaume-Léonce Duprat et Arthur Bauer publient le premier, Science sociale et démocratie en 1900, le second, Les classes sociales : analyse de la vie sociale en 1902 ainsi qu’un Essai sur les révolutions en 1908. Le juriste Raoul de la Grasserie, déjà productif dans les années 1890 [41], publie Les principes sociologiques de la criminologie en 1901 et Les principes sociologiques du droit civil en 1906, tandis que Worms publie les trois volumes de sa Philosophie des sciences sociales entre 1903 et 1907. Ces productions françaises sont toutefois contrebalancées par les deux volumes de Lester Frank Ward, ancien géologue et professeur de sociologie à Brown University, intitulés Sociologie pure (1906). Le tropisme italien, déjà remarqué dans les premières années de la collection, continue aussi de se manifester avec trois volumes d’auteurs italiens [42]. Par ailleurs, certaines des nouvelles publications étrangères semblent liées aux lieux où se tiennent les Congrès de l’Institut international de sociologie durant cette période (Londres en 1906 et Berne en 1909). Ainsi, l’unique publication d’un auteur britannique date de 1907 : Philosophie sociale et religion d’Auguste Comte d’Edward Caird. Tandis qu’en 1909, est publié un ouvrage d’un professeur de philosophie de l’université de Berne, Ludwig Stein, intitulé Le sens de l’existence : excursions d’un optimiste dans la philosophie contemporaine. On peut donc y voir un jeu de remerciements et de sociabilité savante par Worms qui a fait toujours su faire preuve d’un entregent peu commun [43]. Les dernières années de la collection (plus précisément entre 1910 et 1937) voient une réaffirmation de la dimension internationale de la collection. Sur 32 volumes, plus de la moitié a des auteurs étrangers contre 11 des auteurs français.

10Pour l’ensemble de la collection, soit entre 1896 et 1937, subsiste un avantage substantiel pour les publications d’auteurs étrangers, avec 42 des 72 volumes, contre seulement 30 pour les publications d’auteurs français. Sur les 48 auteurs qui contribuent à la collection, 17 sont Français et 31 étrangers de 13 nationalités différentes. Si les Européens sont largement majoritaires avec, en plus des Français, 10 nationalités différentes, l’on compte aussi des auteurs issus des États-Unis et de l’Amérique latine (Argentine et Pérou). La collection de Worms est donc bien internationale, car d’abord composée d’ouvrages écrits par des auteurs étrangers, et cela bien plus que, par exemple, la Bibliothèque de philosophie contemporaine, d’Alcan [44]. Pour autant, peut-on considérer que le pari internationaliste de René Worms est un succès ? En particulier, réussit-il à réunir les auteurs étrangers majeurs de la sociologie des années 1890-1900 ? Directeur de collection, il insiste bien évidemment sur la qualité scientifique et académique des auteurs étrangers qu’il publie. Dans les premières années de la collection, il signe ainsi un certain nombre de préface qui soulignent la notoriété des auteurs publiés [45], cédant même parfois à une certaine emphase [46]. Leurs titres et leur reconnaissance publique sont volontiers mis en avant [47], ainsi que leur appartenance à l’Institut international de sociologie, comme on le verra plus loin.

11Cependant, l’examen rétrospectif des auteurs étrangers et de leur rôle respectif dans l’histoire des sciences sociales, amène à dresser un bilan nuancé. Certes, on constate que sont publiés dans sa collection les premiers professeurs de sociologie des États-Unis (Lester Ward et Franklin Giddings [48], puis Charles Elwood [49]) et aussi des auteurs importants mais de pays scientifiquement périphériques (Adolfo Posada en Espagne [50], Mariano Cornejo au Pérou [51] ou Maxime Kovalewsky en Russie [52]). Mais, concernant les pays qui contribuent substantiellement à la naissance de la sociologie académique, comme l’Allemagne, la Belgique, la Grande-Bretagne ou l’Italie, le bilan est plus mitigé. Ainsi, les auteurs italiens de la Bibliothèque Sociologique Internationale (dont Francesco Nitti, Achille Loria, Eugenio Rignano) qui forment le premier contingent d’auteurs étrangers avec six auteurs et huit volumes publiés, ne sont pas les auteurs majeurs des débuts de la sociologie italienne. Leur compétence est plutôt reconnue en économie politique ou en droit. Ni le criminologue Enrico Ferri, ni Vilfredo Pareto ne sont publiés dans la collection de Worms. Le premier publie largement chez Alcan, ou, dans une moindre mesure, dans d’autres maisons d’éditions [53]. Le Traité de sociologie générale de Pareto est, quant à lui, publié chez Payot en 1917. Le même constat peut être fait pour la sociologie belge ou la sociologie allemande. Ainsi, le Belge Guillaume de Greef, pourtant président de l’Institut en 1900 et qui publie abondamment en France, le fait chez Alcan [54] et non pas dans la BSI [55]. De même, les sociologues allemands majeurs, comme Ferdinand Tönnies, Georg Simmel ou Max Weber [56] ne publient pas dans la collection de René Worms – alors que les deux premiers collaborent dans les années 1890 à la Revue internationale de sociologie et sont même vice-présidents de l’Institut respectivement en 1899 et en 1900. Ludwig Gumplowicz qui joue un rôle majeur dans les débuts de l’institutionnalisation des sciences sociales en Autriche [57], s’il publie un volume dans celle-ci, voit ses principaux ouvrages traduits en français publiés chez d’autres éditeurs [58]. Rétrospectivement, – sans tomber dans les travers de l’l’histoire whig –, on peut considérer que l’internationalisme de la Bibliothèque Sociologique Internationale, a connu un succès limité.

La collection et les organisations savantes wormsiennes

12L’entreprise éditoriale qu’est la BSI se caractérise aussi par sa relation avec les organisations savantes fondées par R. Worms. Ainsi, sur les 31 auteurs étrangers qui participent à la Bibliothèque Sociologique Internationale, 30 sont membres ou associés de l’Institut international de sociologie ou, pour quelques-uns, membres de la Société de sociologie de Paris – voire les deux pour certains d’entre eux. Sur la période 1894-1913, 8 auteurs ont occupé la position de vice-président de l’Institut, et 6 la position de président, certains occupant les deux fonctions tour à tour. Ainsi, par exemple, le professeur d’économie politique belge Hector Denis, dont est publié l’année de son décès l’ouvrage intitulé Discours philosophiques d’Hector Denis, est vice-président de l’Institut en 1903 avant d’accéder à la présidence en 1910, tout comme Franklin Henry Giddings, auteur des Principes de sociologie publié en 1897, vice-président en 1901 et président en 1903. Si tous les membres non français [59] de l’Institut international de sociologie ne publient pas dans la collection de Worms, se dégage cependant une relation forte entre la collection et la société savante internationale. Il faut ajouter que le même constat doit être fait pour les auteurs français. Sur les 17 auteurs français qui publient dans la collection du vivant de Worms, 16 sont membres soit de la Société de sociologie de Paris, soit de l’Institut international de sociologie [60]. Pour publier dans la collection de Worms, il faut donc être membre d’une des organisations savantes qu’il a créées et qu’il dirige plus ou moins directement – ce qui exclut, dans le cadre français, les durkheimiens qui ne contribuent ni à celles-ci, ni à la Revue internationale de sociologie[61]. Pour autant, des auteurs appartenant aux organisations wormsiennes comme Alfred Espinas ou Alfred Fouillée ne publient pas dans la BSI [62]. Et Gabriel Tarde, vice-président de l’Institut durant sa première année d’existence et actif à la Société de sociologie de Paris, donne un unique ouvrage à la collection [63], la plupart de ses ouvrages paraissant chez Alcan. Par ailleurs, certains auteurs membres de l’Institut international de sociologie peuvent publier chez Giard et Brière, mais pas dans la BSI. Aussi bien pour les auteurs français que pour les auteurs étrangers, il n’existe donc pas une relation mécanique entre adhésion à l’Institut international de sociologie ou à la Société de sociologie de Paris et publication d’un volume dans la BSI [64]. La volonté de R. Worms de réunir autour de ses institutions la sociologie internationale est contrariée par les stratégies des acteurs qui veulent se démarquer de lui soit pour défendre, à l’instar des durkheimiens, une orientation théorique spécifique de la sociologie, soit, tout simplement, pour diversifier leurs supports de communication et publier chez d’autres éditeurs (en particulier chez Alcan).

13La relation quasi-organique de la collection avec les autres institutions du dispositif wormsien amène à préciser le rôle pratique que tient Worms dans la BSI. Plusieurs indices indiquent sa forte implication, en particulier dans le choix et le suivi éditorial des auteurs étrangers publiés. Ainsi, dans la préface qu’il donne au second volume de sa collection publié en 1896, La pathologie sociale de Paul de Lilienfeld, il écrit :

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« Et nous l’avons, tout le premier, encouragé à donner à ces Pensées un complément, en composant le présent livre. C’est par nos soins qu’une partie de son Introduction a été présentée au premier Congrès de l’Institut International de Sociologie, et que plusieurs de ses chapitres ont successivement paru dans la Revue Internationale de Sociologie (numéros de décembre 1894, de janvier 1895, de mars, avril et mai 1895) ; c’est sur notre insistance que l’auteur s’est décidé à leur donner une suite en écrivant sa Thérapeutique Sociale, qui forme aujourd’hui la troisième partie du volume ; c’est nous, enfin, qui avons relu, pour l’impression, toute la Pathologie sociale, que M. de Lilienfeld avait écrite directement en français, donnant ainsi à notre langue une marque de sympathie dont nos compatriotes devront lui être reconnaissants.
Nous sommes heureux de pouvoir aujourd’hui la livrer au public, tout au début de la publication de la Bibliothèque Sociologique Internationale. » [65]

15Si Worms ne s’attribue pas un rôle aussi explicite dans la publication des autres volumes de sa collection, on constate que les traductions sont souvent le fait d’individus proches de lui, issus de l’équipe qu’il a réunie pour la Revue internationale de sociologie et pour les deux sociétés savantes dont il est à l’origine. En effet, sur les 23 volumes traduits, la moitié le sont par des membres de la Société de sociologie de Paris ou de l’Institut international de sociologie. Ainsi, l’ouvrage d’A. Posada, Théories modernes sur les origines de la famille, de la société et de l’État, publié en 1896, est traduit par François de Zeltner qui est associé et secrétaire de l’Institut, tout en étant aussi secrétaire de rédaction de la Revue internationale de sociologie[66]. En 1899, c’est Guillaume-Léonce Duprat, futur secrétaire de rédaction de la revue, qui traduit l’ouvrage de J. M. Baldwin, Interprétation sociale et morale des principes du développement mental. Le vicomte Combes de Lestrade, traducteur des Principes de sociologie de F.H. Giddings en 1897 – ouvrage dont il signe une longue préface – est un des rares membres non universitaires de l’Institut international de sociologie auquel il contribue à de nombreuses reprises. Sans pouvoir, faute de disposer des correspondances avec les auteurs, retracer de manière plus détaillée le rôle de R. Worms dans l’ensemble de ces entreprises de traduction, on peut faire l’hypothèse que c’est lui qui sollicite ses collaborateurs pour les publications sociologiques étrangères en France et qui révise ces traductions. Il est à l’origine d’un véritable circuit d’importation de la sociologie qui passe par les sociétés savantes qu’il a fondées et son réseau de collaborateurs [67]. Mais, comme on l’a dit plus haut, il est loin d’obtenir un monopole de la production sociologique étrangère publiée en France et encore moins celui de la production sociologique française, le recrutement social des auteurs étrangers et français expliquant partiellement ce phénomène.

Ancrage universitaire et pluralisme théorique

16Si R. Worms affiche une ambition scientifique pour sa collection, cela n’implique pas qu’il marque une préférence quant à la position professionnelle de ses auteurs. Sans doute faut-il voir là un des effets de ses choix personnels de carrière où le Conseil d’État l’a longtemps disputé à l’université [68]. Pour autant, signe d’une transformation des lieux légitimes de la production intellectuelle en sciences sociales à la fois en Europe et en Amérique, la très grande majorité des auteurs qui publient dans la BSI sont des universitaires [69] ou des professeurs de l’enseignement secondaire [70]. Un certain nombre d’entre eux, minoritaires il est vrai, occupent même des positions de professeurs de sociologie dans leur pays respectif à une période où les chaires de sociologie sur les deux continents sont rares. C’est le cas des Américains Franklin Henry Giddings, Lester Ward ou Charles Elwood – respectivement professeur de sociologie à Brown University, Columbia et à l’Université du Missouri –, du Péruvien Mariano Cornejo, ou encore des Français Charles Letourneau et Gaston Richard, le premier occupant la chaire de sociologie de l’École d’anthropologie de Paris et le second étant professeur de science sociale à l’Université de Bordeaux (où il a pris la succession de Durkheim) [71]. On trouve bien évidemment des professeurs d’autres disciplines, comme les sciences politiques, le droit, l’économie politique, la philosophie et même la mécanique [72]. La plus grande proportion de non universitaires se trouve chez les auteurs français, alors que, chez les auteurs étrangers, la légitimité universitaire, en articulation avec la légitimité savante, est fréquemment mise en avant par R. Worms. Dans le cas des auteurs français, on compte un juriste, Raoul de la Grasserie, auteur de cinq ouvrages dans la collection [73], un ancien colonel, Émile Bombard, auteur de La marche de l’humanité et les grands hommes d’après la doctrine positive en 1900, un inspecteur général des bibliothèques, Paul Lacombe qui publie Taine historien et sociologue en 1909, ou encore un homme de lettres, Christian Cherfils, auteur d’un résumé du Traité de sociologie d’Auguste Comte, en 1912 [74]. Cette différence substantielle avec les auteurs étrangers s’explique encore une fois par le lien fort entre la collection et les deux sociétés savantes wormsiennes. Si la première, l’Institut international de sociologie, se caractérise par une domination massive des universitaires, ce n’est pas le cas de la Société de sociologie de Paris beaucoup plus ouverte en termes de recrutement social. Cela témoigne aussi du sous-investissement par Worms de l’espace universitaire français [75], sous-investissement accentué par la concurrence des autres éditeurs chez qui certains sociologues français préfèrent publier.

17Cette domination relative des universitaires a des conséquences sur les contenus et les orientations théoriques et empiriques des ouvrages publiés dans la Bibliothèque Sociologique Internationale. Dans la « Note » de présentation de la collection, R. Worms indiquait le programme théorique de celle-ci. Il précise trois ans plus tard, dans la préface des Problèmes sociaux contemporains de l’économiste italien Achille Loria, son intention éditoriale. Selon lui, la Bibliothèque Sociologique Internationale :

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« n’a point simplement comme but de donner en langue française des travaux émanant des plus notoires représentants de la science sociale dans les différents pays. Sa destination est plus nettement définie, plus limitée si l’on veut. Elle ne publie que des travaux rentrant dans un certain ordre de recherches, et conçus dans un certain esprit qui, bien que nous voulions l’entendre largement peut et doit néanmoins être déterminé d’une manière précise.
Le cadre dans lequel se meut la Bibliothèque Sociologique Internationale est le même que celui où la Revue Internationale de Sociologie se limite. Toute espèce d’étude ayant une portée sociale n’y est point admise. Ainsi les travaux d’ordre particulier sur des points spéciaux de droit, d’économie pratique, de religion, d’esthétique, de politique nationale, n’y sauraient être insérés. Trois catégories de questions y trouvent seules accès, catégories d’ailleurs liées intimement l’une à l’autre. Ce sont la philosophie sociale, l’histoire sociale, le mouvement social international. » [76]

19Il classe ensuite les sept ouvrages parus avant les Problèmes sociaux contemporains, dans ces différentes catégories. Plus précisément, il entend par « philosophie sociale » les ouvrages présentant une théorie sociologique générale, comme son propre ouvrage Organisme et société, manifeste de l’organicisme. Les ouvrages d’« histoire sociale », comme celui d’A. Posada sur les origines de la famille et de la société, sont caractéristiques d’une conception de la sociologie qui cherche à reconstituer les origines de la société et de ses institutions, dans une perspective génétique largement répandue dans la sociologie des années 1890. Enfin, par « mouvement social international », R. Worms désigne les ouvrages portant sur un phénomène social contemporain, phénomène qui peut concerner plusieurs sociétés, comme la natalité qui est l’objet de l’ouvrage de Francesco Nitti publié en 1897, La population et le système social.

20L’on peut s’interroger alors sur le développement de la collection, et sa conformité, sur plus de trente ans, avec ce programme éditorial. L’historiographie a insisté sur l’éclectisme de R. Worms qui, à travers sa revue mais aussi ses sociétés savantes, ne proposerait pas de théorie et de méthodologie cohérentes pour la nouvelle discipline [77], au contraire d’ E. Durkheim et de L’Année sociologique. Cette critique s’applique-t-elle aussi à la BSI qui, comme on l’a vu, reflète la structure de ces organisations savantes ? Durant ses premières années, la Bibliothèque Sociologique Internationale reflète l’inclination particulière de R. Worms pour l’organicisme ou la théorie organique de la société [78]. Outre sa thèse de doctorat, il publie des auteurs qui s’y rattachent comme les Russes P. de Lilienfeld ou J. Novicow. Plus tard, malgré le déclin de popularité de cette théorie qui fait l’objet d’un âpre débat lors du troisième congrès de l’Institut international de sociologie [79], R. Worms continuera de publier des ouvrages qui l’incarnent : ses Principes biologiques de l’évolution sociale (1910) ou La loi du progrès en biologie et en sociologie et la question de l’organisme social (1915) du Suisse Adolphe Ferrière. Toutefois, cette orientation théorique ne domine plus la collection qui se caractérise très vite par un véritable pluralisme théorique. Les grandes théories concurrentes de l’organicisme, et qui proposent un système ou une théorie générale pour la sociologie – ce que Worms appelle « philosophie sociale » –, sont largement présentes. La sociologie d’inspiration psychologique en particulier prend toute sa place au point qu’on peut se demander si elle ne domine pas, sur le plan théorique, la collection à partir de la fin des années 1890 [80], avec des publications à la fois d’auteurs français et d’auteurs étrangers. Gabriel Tarde publie ainsi en 1898 des Études de psychologie sociale et l’année suivante l’Américain J. M. Baldwin publie une Interprétation sociale et morale des principes du développement mental : étude de psycho-sociologie. Le Français Guillaume-Léonce Duprat, l’Italien Sighio Scipele et l’Américain Charles Elwwod s’inscrivent aussi dans ce courant [81]. Par ailleurs, d’autres courants théoriques sont, même marginalement, aussi présents et la BSI couvre, si l’on suit le bilan théorique que propose Pitirim Sorokin de la sociologie à la fin des années 1920 [82], une bonne partie des options théoriques de la nouvelle discipline. On trouve ainsi des ouvrages présentant la doctrine leplaysienne [83] ou le positivisme orthodoxe [84], la sociologie ethnographique [85], d’autres s’inscrivant dans la tradition criminologique d’inspiration anthropologique [86], ou bien encore, plus étonnant, d’autres incarnant une sociologie inspirée par les sciences de la nature (mécanique, chimie) [87]. Certains de ces ouvrages ne sont pas de purs ouvrages théoriques et relèvent plutôt des seconde et troisième catégories d’ouvrages mises en avant par R. Worms, mais on considère ici leur ancrage théorique. Ce pluralisme perdure tout au long de l’existence de la collection et Worms, dans les préfaces qu’il donne à certains de ses ouvrages, assume celui-ci tout en exprimant parfois ses désaccords théoriques. Il écrit, par exemple, dans la préface à Sociologie et politique de Gumplowicz :

21

« Pour notre part, nous sommes loin de nous ranger aux théories politiques de l’auteur. Mais nous n’avons pas cru que cette raison pût suffire à écarter de la Bibliothèque Sociologique Internationale la traduction d’une œuvre si originale et si suggestive. Les idées de M. Gumplowicz sont toujours présentées avec une vigueur et une verve qui font réfléchir : lorsqu’elles ne convainquent pas, elles provoquent la discussion. N’est-il pas bon de connaître complètement les opinions qu’on repousse, ne fut-ce que pour être invité à vérifier celles qu’on admet et à trouver en leur faveur des arguments plus solides ? La Bibliothèque Sociologique Internationale n’a pas été fondée pour la défense d’une orthodoxie. Elle accueille sans parti pris les ouvrages sociologiques inspirés par les théories les plus diverses, pourvu qu’ils émanent de penseurs sincères et autorisés. Quand il s’est agi d’y faire entrer cet ouvrage, nous ne nous sommes donc pas à considérer si nos propres théories y sont critiquées, nous avons constaté le mérite de l’auteur, reconnu par tous, et nous n’avons pas hésité. » [88]

22Pluraliste au plan théorique, la collection s’enrichit continument d’ouvrages relevant de l’« histoire sociale » et du « mouvement social international ». Sont ainsi traités, dans une perspective historique, le développement économique de la Russie [89], la situation de sociale et économique de la France avant 1789 [90] ou encore l’origine des villes [91]. L’étude du mouvement social contemporains est aussi présente à travers des ouvrages qui traitent d’un phénomène social particulier, souvent d’un point de vue comparatif. Ils sont consacrés à la femme [92], la famille [93], les sectes [94], les révolutions [95] la finance publique [96]. Au total, la Bibliothèque Sociologique Internationale semble avoir globalement répondu au manifeste-programme de son fondateur. Cependant, quelques ouvrages tranchent avec le projet éditorial wormsien et son ambition scientifique. Ils ressortissent plutôt de l’essai moral ou philosophique, ou paraissent très éloignés de critères scientifiques minimaux que Worms promouvait. Ainsi La marche de l’humanité et les grands hommes d’après la doctrine positive, publié en 1900 par un ancien militaire, Émile Bombard, est une vaste histoire de l’humanité, centrée sur les personnages retenus dans le calendrier positiviste. L’ouvrage d’Honoré Laplaigne, La morale d’un égoïste, publié la même année, est composé d’aphorismes moraux sans guère de référence à la sociologie. De même, l’ouvrage du philosophe italien Eugenio Rignano, Un socialisme en harmonie avec la doctrine économique libérale (1904), relève plus de l’essai politique que de la recherche historique ou sociologique. La présence de tels ouvrages interroge la gestion même de la collection par son directeur. Ce dernier a-t-il accepté des ouvrages de membres de la Société de sociologie de Paris [97] alors qu’ils ne répondaient pas aux critères que lui-même avait instaurés pour sa collection, par diplomatie institutionnelle [98] ? Et cette diplomatie n’aurait-elle pas fait perdre du crédit à la BSI, entraînant des difficultés à attirer de sociologues majeurs, français et étrangers, en plus grand nombre ?

Conclusion : les évolutions du marché éditorial des collections de sociologie et la Bibliothèque Sociologique Internationale

23Première collection éditoriale à vocation scientifique consacrée explicitement à la sociologie, la Bibliothèque Sociologique Internationale est aussi celle qui perdure le plus, comparée aux autres collections créées entre la fin des années 1890 et la première décennie du XXe siècle. Durant ces quelques années, en effet, plusieurs collections consacrées aux sciences sociales en général, ou à la sociologie en particulier, voient le jour mais qui n’auront pas sa longévité. Ainsi, en 1898, est fondée une « Bibliothèque générale des sciences sociales » chez Alcan par Dick May [99]. Schleicher crée une « Bibliothèque d’histoire et de sociologie » en 1903. L’éditeur Doin ne lance pas moins que trois collections liées à la sociologie entre 1906 et 1910 : une « Bibliothèque biologique et sociologique de la femme » en 1906, une « Bibliothèque de sociologie » en 1907, dirigée par G. Richard qui est pourtant déjà un collaborateur proche de R. Worms, et la « Bibliothèque de sociologie appliquée » en 1910 – chacune de ces collections ne dépassera pas dix ouvrages. La maison Marcel Rivière lance en 1908 une collection intitulée « Systèmes et faits sociaux » qui publie une vingtaine d’ouvrages. Même Alcan crée une sous-collection à sa prestigieuse « Bibliothèque de philosophie contemporaine », les « Travaux de l’Année sociologique », qui publient principalement les travaux des durkheimiens. À la veille de la Première guerre mondiale, le paysage éditorial des collections de sciences sociales en général, et de sociologie en particulier, paraît donc encombré, ce qui explique peut-être l’essoufflement de la Bibliothèque Sociologique Internationale. R. Worms, si telle était son intention, a échoué à obtenir un quelconque monopole éditorial sur la production sociologique. L’on doit ajouter [100] que le fort investissement international de Worms – avec un succès plus quantitatif que qualitatif –, l’a conduit à négliger la scène française. De plus, en faisant dépendre sa collection exclusivement des organisations savantes qu’il dirige, il a lui-même limité les possibilités d’extension de sa collection alors que les membres, français ou étrangers, de celles-ci pouvaient avoir leur propre stratégie de publication. Malgré ces facteurs contraires, R. Worms a réussi à faire vivre une collection dédiée à la sociologie pendant plusieurs décennies, en l’alimentant de travaux très divers et sans orthodoxie théorique. Son exemple confirme qu’à l’encontre d’une certaine histoire whig, celle des vainqueurs, l’étude des premières décennies de la sociologie en France mérite une exploration à la fois plus complète et nuancée que celle dont on a fait preuve jusqu’à présent.

Les participants au congrès de l’Institut international de sociologie (Rome, octobre 1912)

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Les participants au congrès de l’Institut international de sociologie (Rome, octobre 1912)

Archives de la Fondazione L. Einaudi (Turin) que nous remercions de ce document.

Détail des participants (Rome, 1912)

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Détail des participants (Rome, 1912)

Archives de la Fondazione L. Einaudi (Turin) que nous remercions de ce document aimablement communiqué par M. Borlandi.

Notes

  • [1]
    Jusqu’au présent dossier des Études sociales, la bibliographie sur Worms est succincte. On peut renvoyer principalement à : Terry N. Clark, Prophets and Patrons : The French University and the Emergence of Social Sciences, Cambridge, Harvard University Press, 1973 (chapitre 5 « The International Sociologists », p. 147-161) ; Roger Geiger, « René Worms, l’organicisme et l’organisation de la sociologie », Revue française de sociologie, 22-3, 1981, p. 345-360 ; Laurent Mucchielli, La découverte du social, Paris, La Découverte, 1998 (chapitre 4 « Instituer la sociologie : la tentative de René Worms », p. 144-154) ; Terry N. Clark, « René Worms », p. 755-756, in Massimo Borlandi et alii (dir.), Dictionnaire de la pensée sociologique PUF, 2005. L’article biographique d’Antoine Savoye et de Frédéric Audren (« René Worms, un sociologue ‘sans qualités’ ? Éclairage biographique ») qui inaugure ce numéro apporte des éléments essentiels et précis qui manquaient auparavant.
  • [2]
    Giard et Brière est une maison d’édition issue de l’association entre Armand Giard, qui a lancé sa maison d’édition en 1877, et Émile Brière avec qui il s’associe en 1891. Elle se spécialise en droit et en économie, avant de s’ouvrir à la sociologie, par l’intermédiaire de sa collaboration avec René Worms, mais aussi au socialisme. Deux autres collections, la Bibliothèque socialiste internationale et la Bibliothèque internationale d’économie politique, illustrent ainsi les orientations intellectuelles de cet éditeur (la première sera dirigée par Alfred Bonnet, collaborateur de René Worms au sein de l’Institut international de sociologie). En 1935, cette maison est absorbée par la Librairie générale de droit et de jurisprudence. Voir Jacqueline Cahen, « Les premiers éditeurs de Marx et Engels en France (1880-1901) », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 114, 2011, p. 20-37.
  • [3]
    BSI dans la suite du texte.
  • [4]
    Sur l’espace éditorial des sciences sociales en 1900, on renvoie à : Valérie Tesnière, Le Quadrige. Un siècle d’édition universitaire 1860-1968, Paris, PUF, 2001.
  • [5]
    Sébastien Mosbah-Natanson, « Internationalisme et tradition nationale : le cas de la constitution de la sociologie française autour de 1900 », Revue d’histoire des sciences humaines, 18-1, 2008, p. 35-62.
  • [6]
    Sur la Revue internationale de sociologie, voir T. N. Clark, Prophets and Patrons, op. cit. ; Victor Karady, Stratification intellectuelle, rapports sociaux et institutionnalisation : enquête sociohistorique sur la naissance de la discipline sociologique en France, A.T.P. du CNRS no 6348, Rapport scientifique, Centre de sociologie européenne, 1974 ; R. Geiger, « René Worms, l’organicisme et l’organisation de la sociologie », op. cit. Sur l’Institut international de sociologie, voir Ulrike Shuerkens, « Les Congrès de l’Institut International de Sociologie de 1894 à 1930 et l’internationalisation de la sociologie », International Review of Sociology, 6-1, 1996, p. 7-24.
  • [7]
    On renvoie à nos remarques dans l’introduction de notre thèse de doctorat : S. Mosbah-Natanson, « La sociologie est à la mode ». Productions et producteurs de sociologie en France autour de 1900, thèse pour le doctorat en sociologie, sous la direction de Ph. Steiner, Université Paris-Dauphine, 2007 (disponible en ligne : http://www.cirst.uqam.ca/Portals/0/docs/Diplomes/Autres%20memories%20et%20theses/These.Mosbah-Natanson07.pdf)
  • [8]
    Sur ce point, voir Charles Camic, Neil Gross et Michele Lamont (dir.), Social Knowledge in the Making, Chicago, Chicago University Press, 2011 (et en particulier l’introduction).
  • [9]
    Elle est évoquée dans certains des ouvrages et articles traitant de la naissance de la sociologie française, mais de manière plus que succincte. Valérie Tesnière, dans son histoire de la maison Alcan déjà citée, la mentionne, mais avec une erreur sur son titre parlant de la « Bibliothèque des sciences sociales » de René Worms (V. Tesnière, Le Quadrige, op. cit., p. 115).
  • [10]
    En l’absence d’accès à d’éventuelles archives de la maison Giard et Brière, cet article ne traite pas des dimensions matérielles de l’édition de la BSI et l’on se base principalement sur les ouvrages eux-mêmes et les informations liées à René Worms lui-même. Des recherches ultérieures pourraient porter sur l’économie de cette collection, mais aussi sur les relations entre Worms et l’éditeur.
  • [11]
    Sur la naissance des collections éditoriales dans la deuxième moitié du XIXe siècle, voir : Isabelle Olivero, L’invention de la collection : de la diffusion de la littérature et des savoirs à la formation du citoyen au XIXe siècle, Paris, Éd. de l’IMEC, 1999.
  • [12]
    René Worms, « Note. La Bibliothèque Sociologique Internationale », Revue internationale de sociologie, no 12, décembre 1894, p. 896-897.
  • [13]
    R. Worms, « Note. La Bibliothèque Sociologie Internationale », op. cit., p. 896.
  • [14]
    V. Tesnière, Le Quadrige, op. cit., p. 89 et suiv.
  • [15]
    Ibid., p. 34-36.
  • [16]
    Voir Jean-Marie Guyau : L’irréligion de l’avenir, étude de sociologie, 1886 ; Éducation et hérédité, étude sociologique, 1889 ; Guillaume De Greef : Introduction à la sociologie, 2 volumes 1886 et 1889.
  • [17]
    De Durkheim, publiés chez Alcan, on relève : De la division du travail social, 1893 ; Les règles de la méthode sociologique, 1895. Et de Gabriel Tarde : La criminalité comparée, 1886 ; Les lois de l’imitation, étude sociologique, 1890 ; La logique sociale, 1895.
  • [18]
    R. Worms, « Note. La Bibliothèque Sociologique Internationale », op. cit., p. 896.
  • [19]
    Christophe Prochasson parle de la « gémellité du socialisme et de la science sociale » in Les intellectuels et le socialisme, Paris, Plon, 1997, p. 81.
  • [20]
    S. Mosbah-Natanson, « La sociologie est à la mode ». Productions et producteurs de sociologie en France autour de 1900, op. cit., chapitre 4.
  • [21]
    Philippe Olivera, « De l’édition « politique et littéraire ». Les formes de la politique lettrée de la Belle Époque à l’entre-deux-guerres », Mil neuf cent, 21, 2003, p. 127-151.
  • [22]
    S. Mosbah-Natanson, « La sociologie est à la mode ». Productions et producteurs de sociologie en France autour de 1900, op. cit.
  • [23]
    Michel Dreyfus, L’antisémitisme à gauche. Histoire d’un paradoxe, de 1830 à nos jours, Paris, La Découverte, 2009, p. 55.
  • [24]
    Par exemple, Henri Desportes, Le Mystère du sang chez les Juifs de tous les temps (1889) ou Edmond Picard, La synthèse de l’antisémitisme (1892). Des ouvrages d’Édouard Drumont sont aussi publiés chez cet éditeur.
  • [25]
    Sont ainsi publiés dans cette collection par exemple : Jean Grave, La société future, 1895 ; Charles Malato, Philosophie de l’anarchie, 1897 ; Élise Reclus, L’évolution, la révolution et l’idéal anarchique, 1898.
  • [26]
    R. Worms, « Note. La Bibliothèque Sociologique Internationale », op. cit., p. 896.
  • [27]
    Par exemple R. Worms, « L’expérimentation en sociologie », Annales de l’Institut international de sociologie, tome IV, Paris, Giard et Brière, 189, p. 527-551.
  • [28]
    Il écrit : « il existe une connexité entre toutes les individualités et entre toutes les formes de vie », in R. Worms, « Note. La Bibliothèque Sociologie Internationale », op. cit., p. 896.
  • [29]
    Ibid., p. 897.
  • [30]
    « Le format de tous les volumes sera l’in-octavo. Tous aussi seront reliés » (R. Worms, « Note. La Bibliothèque Sociologique Internationale », op. cit., p. 897).
  • [31]
    Il s’agit des Russes Maxime Kovalewsky et Jacques Novicow, de l’Italien Scipio Sighele, de l’Américain James Mark Baldwin et des Français René Worms, Arthur Bauer et Raoul de la Grasserie.
  • [32]
    Markus Zürcher, Unterbrochene Tradition : die Anfänge der Soziologie in der Schweiz, Zürich, Chronos, 1995, p. 14.
  • [33]
    S. Mosbah-Natanson, « Internationalisme et tradition nationale : le cas de la constitution de la sociologie française autour de 1900 », op. cit.
  • [34]
    Par exemple, pour le cas de la statistique, voir : Éric Brian, « Transactions statistiques au XIXe siècle. Mouvements internationaux de capitaux symboliques », Actes de la recherche en sciences sociales, no 145, 2002, p. 34-46.
  • [35]
    R. Worms, « Note. La Bibliothèque Sociologique Internationale », op. cit., p. 897
  • [36]
    R. Worms, préface à Paul de Lilienfeld, La pathologie sociale, 1896, p. V-VI.
  • [37]
    Par exemple : Les théories modernes sur les origines de la famille, de la société et de l’État par Adolfo Posada, traduit de l’espagnol et publié en 1896 ; les Problèmes sociaux contemporains d’Achille Loria, traduit de l’italien et publié en 1897 ; ou encore l’Interprétation sociale et morale des principes du développement mental : étude de psycho-sociologie de James Mark Baldwin, traduit de l’anglais et publié en 1899.
  • [38]
    Daniel Breslau, « The American Spencerians », in Craig Calhoun (dir.), Sociology in America. A History, Chicago, The University of Chicago Press, 2007, p. 39-62.
  • [39]
    John Torrance, « The Emergence of Sociology in Austria : 1885-1935 », Archives européennes de sociologie, 17-2, 1976, p. 185-219.
  • [40]
    S. Mosbah-Natanson, « La sociologie comme ‘mode’ ? Usages éditoriaux du label ‘sociologie’ en France à la fin du XIXe siècle », Revue française de sociologie, 52-1, 2011, pp. 103-132.
  • [41]
    Il avait publié, dans la Bibliothèque Sociologique Internationale, Des religions comparées au point de vue sociologique en 1899.
  • [42]
    Il s’agit de : Eugenio Rignano, Un socialisme en harmonie avec la doctrine libérale, 1904 ; Alfred Niceforo, Les classes pauvres : recherches anthropologiques et sociales, 1905 ; Scipio Sighele, Littérature et criminalité, 1908.
  • [43]
    Antoine Savoye et Frédéric Audren, « René Worms, un sociologue ‘sans qualités’ ? Eclairage biographique », dans le présent dossier.
  • [44]
    Un survol du catalogue montre l’importance des auteurs français.
  • [45]
    Par exemple, dans la préface qu’il écrit pour Sociologie et politique (1898) de Ludwig Gumplowicz, R. Worms déclare : « M. le professeur Louis Gumplowicz jouit en effet, parmi ses confrères et dans le public savant, d’une haute et légitime notoriété. Il y a vingt ans qu’il publiait son premier ouvrage sociologique et depuis longtemps il est professeur de sciences politiques à l’Université de Graz. Il entrait dans l’Institut International de Sociologie lors de sa fondation en juillet 1893, et dès 1895 cet Institut l’élevait aux honneurs de la vice-présidence. Dans les divers pays, ses écrits se répandent de jour en jour davantage. Un de ses livres, « Philosophisches Staatsrecht », épuisé, vient d’avoir une nouvelle édition sous le titre de « Allgemeines Staatsrecht », après avoir été traduit en espagnol par M. le professeur Pedro Dorada, de l’Université de Salamanque. Son volume sur « la Lutte des races » a été traduit en français et en espagnol, et le directeur de la Revue des Deux Mondes, M. Ferdinand Brunetière, lui consacrait un article important qu’on n’a pas oublié. Son « Précis de sociologie » fut également, en 1896, l’objet d’une traduction française. La presse parisienne et internationale s’est plus d’une fois occupée des discussions que ses mémoires très neufs et très hardis ont soulevées au sein des congrès successifs de l’Institut International de Sociologie. » (p. 29-30).
  • [46]
    R. Worms écrit dans la préface qu’il donne aux Problèmes sociaux contemporains (1897) d’Achille Loria : « Lorsque, hors de son pays d’origine, on veut citer un économiste italien de marque, dans ces réunions où se croisent des hommes appartenant aux opinions les plus opposées, c’est généralement – nous l’avons constaté – son nom qui vient le premier aux lèvres de tous. » (p. 7).
  • [47]
    Il précise, par exemple, que Francesco Nitti, auteur de La population et le système social (1897), est membre du Conseil supérieur de la prévoyance et du travail, ainsi que de l’Institut royal pour l’encouragement des sciences et des arts de Naples, ou bien, à propos de Charles Elwood qui publie en 1914 des Principes de psychosociologie, qu’il a été membre du conseil de l’American Sociological Society.
  • [48]
    Daniel Breslau, « The American Spencerians », in Craig Calhoun (dir.), Sociology in America. A History, op. cit.
  • [49]
    Stephen Turner, « A Life in the First Half-Century of Sociology : Charles Ellwood and the Division of Sociology », in Craig Calhoun (dir.), Sociology in America. A History, op. cit., p. 115-154.
  • [50]
    Eloy Gomez Pellon, « Posada Adolfo, 1860-1944 », in Massimo Borlandi et alii (dir.), Dictionnaire de la pensée sociologique, Paris, PUF, 2005, p. 264.
  • [51]
    Mariano Cornejo, premier titulaire d’une chaire de sociologie au Pérou dont la pensée est influencée par la sociologie française, publie ainsi, en 1911, deux tomes d’une Sociologie générale dans la BSI. Voir Denis Sulmont, « La sociologia francesa en el Peru », Bulletin de l’Institut français d’études andines, 36-1, 2007, p. 85-92.
  • [52]
    Sur Maxime Kovlewsky et son activité en France, voir : Dmitrij A. Gutnov, « L’École russe des hautes études sociales de Paris (1901-1906) », Cahiers du monde russe, 43-2, 2002, p. 375-410.
  • [53]
    Par exemple, la première édition de sa Sociologie criminelle paraît chez Rousseau en 1893, et douze ans plus tard la réédition est publiée par Alcan.
  • [54]
    Il publie dans cette maison ses deux tomes d’Introduction à la sociologie (1886-1889), Les lois sociologiques (1893) – soit avant la création de la collection. Mais il reste fidèle à Alcan ensuite et y publie Le transformisme social en 1895 et La sociologie économique en 1904.
  • [55]
    Sur la naissance de la sociologie en Belgique et le rôle de G. De Greef, voir : Pierre de Bie, Naissances et premiers développements de la sociologie en Belgique, Louvain-la-neuve, Ciaco, 1988.
  • [56]
    Ce sont les trois fondateurs de la Deutsche Gesellschaft für Soziologie en 1909. Voir Christian Papilloud, Introduction à la sociologie allemande, Québec, Liber, 2011.
  • [57]
    J. Torrance, « The Emergence of Sociology in Austria : 1885-1935 », art. cit.
  • [58]
    Il publie en 1893, chez Guillaumin, La lutte des races : recherches sociologiques, puis un Précis de sociologie chez Chaillez en 1896 et, en 1900, des Aperçus sociologiques chez Stock, en plus du volume publié dans la collection de R. Worms.
  • [59]
    Les membres étrangers sont environ 90 sur un total de 100, et cela sans compter les associés.
  • [60]
    Seul le professeur d’économie politique, Joseph Bertrand Maurice Vignes, qui publie en 1897 et en deux volumes La science sociale d’après les principes de Le Play et de ses continuateurs, n’est pas membre d’une des organisations wormsiennes lorsqu’il publie son ouvrage.
  • [61]
    Sur le refus des sociologues durkheimiens d’apporter leur contribution aux initiatives sociologiques de R. Worms, voir Victor Karady, « Stratégies de réussite et mode de faire-valoir de la sociologie chez les durkheimiens », Revue française de sociologie, 20-1, 1979, p. 49-82.
  • [62]
    Ainsi Alfred Fouillée est président de l’Institut international de sociologie en 1896, publie dans la Revue internationale de sociologie (un article intitulé « Les études récentes de sociologie » en octobre 1895), mais fait paraître ses ouvrages chez Alcan, Hachette, Delagrave ou A. Colin.
  • [63]
    Il s’agit de ses Études de psychologie sociale qui paraissent en 1898.
  • [64]
    Il faudrait, pour proposer des hypothèses plus précises, pouvoir travailler sur le rôle précis de René Worms qui demeure secrétaire général de l’Institut international de sociologie tout en assumant la fonction de directeur de collection à travers une correspondance qui a malheureusement été largement perdue, ou bien sur les correspondances de chacun des différents auteurs. Je remercie Frédéric Audren pour l’accès aux très rares archives privées de Worms.
  • [65]
    R. Worms, préface à Paul de Lilienfeld, La pathologie sociale, op. cit., p. IX-X.
  • [66]
    On peut toutefois mentionner l’avertissement qu’Adolfo Posada donne en ouverture de son ouvrage et qui revient sur le rôle de René Worms : « Quand mon éminent collègue, M. René Worms, m’annonça son désir de faire traduire mon livre en français, mon premier mouvement fut de refaire complètement mon travail : j’y renonçai, car autant écrire un nouveau livre ayant d’autres dimensions et un autre but. » (p. 15)
  • [67]
    Sur la notion de circuit d’importation, voir Gisèle Sapiro, « L’importation de la littérature hébraïque en France. Entre communautarisme et universalisme », Actes de la recherche en sciences sociales, no 144-2, 2002, p. 80-98.
  • [68]
    Antoine Savoye et Frédéric Audren, « René Worms, un sociologue ‘sans qualités’ ? Éclairage biographique », art. cit.
  • [69]
    C’est le cas de la quasi-totalité des auteurs étrangers.
  • [70]
    Par exemple, Guillaume-Léonce Duprat est professeur de philosophie au lycée d’Alençon lorsque paraît son Science sociale et démocratie en 1900.
  • [71]
    On compte même deux docteurs (suisses) en sociologie, sans doute les premiers titulaires d’un tel doctorat. Il s’agit d’Adolphe Ferrière, auteur de La loi du progrès en biologie et en sociologie et la question de l’organisme social (1915), et d’Alexandre Miller qui publie un Essai sur l’histoire des institutions agraires de la Russie centrale du XVIe au XVIIIe siècles (1926).
  • [72]
    Ainsi, par exemple, Ludwig Gumplowicz est professeur de sciences politiques à l’Université de Graz en Autriche, Adolfo Posada est professeur de droit politique à l’Université d’Oviedo en Espagne, Robert Michels est professeur libre d’économie politique à l’Université de Turin, Ludwig Stein est professeur de philosophie à l’Université de Berne et Antonio Portuondo est un ancien professeur de mécanique rationnelle à l’Université à l’École des ponts et chaussées de Madrid.
  • [73]
    Il s’agit des ouvrages suivants : Des religions comparées au point de vue sociologique en 1899, Des principes sociologiques de la criminologie en 1901, Les principes sociologiques du droit civil en 1906, Les principes sociologiques du droit public en 1911 et De la cosmosociologie en 1913.
  • [74]
    Le titre complet est : Système de politique positive, ou Traité de sociologie d’Auguste Comte condensé par Christian Cherfils.
  • [75]
    S. Mosbah-Natanson, « The forgotten one of the triad : why did René Worms, and not Émile Durkheim or Gabriel Tarde, fail ? », in P. Wisselgren, P. Baehr et K. Yui (dir). International Histories of Sociology. Conference Proceedings of the Research Committee on History of Sociology from the XIV ISA World Congress of Sociology in Yokohama, Electronic Format, 2014, p. 161-168.
  • [76]
    R. Worms, préface à Problèmes sociaux contemporains d’Achille Loria, 1897, p. 7-8.
  • [77]
    R. Geiger, « René Worms, l’organicisme et l’organisation de la sociologie », op. cit.
  • [78]
    Pour une appréciation critique mais dénuée de jugement trop téléologique sur l’organicisme, voir Daniela S. Barberis, « In search of an object : organicist sociology and the reality of society in fin-de-siècle France », History of the Human Sciences, 16-3, 2003, p. 51-72.
  • [79]
    Laurent Mucchielli, La découverte du social, op. cit., p. 272-273.
  • [80]
    Marcia Cristina Consolim, « Psychology and Sociology in the late 19th Century French Intellectual Field : The Case of the Revue internationale de sociologie », in Christian Fleck et Andreas Hesse (dir.), Knowledge for Whom ? Public Sociology in the Making, Farnham, Ashgate, 2014, p. 67-88.
  • [81]
    Ils publient respectivement : Science sociale et démocratie (1900) ; Le crime à deux : essai de psycho-pathologie sociale (1910) ; Principes de psycho-sociologie (1914).
  • [82]
    Pitirim Sorokin, Contemporary Sociological Theories, New York, Harper, 1928.
  • [83]
    J. B. Maurice Vignes, La science sociale…, op. cit.
  • [84]
    Émile Bombard, La marche de l’humanité et les grands hommes d’après la doctrine positive, 1900 ; Christian Cherfils, Système de politique positive, ou Traité de sociologie d’Auguste Comte condensé par Christian Cherfils, 1912.
  • [85]
    Charles Letourneau, La condition de la femme dans les diverses races et civilisations, 1903.
  • [86]
    Alfredo Niceforo, Les classes pauvres : recherche anthropologique et sociale, 1905.
  • [87]
    Wilhelm Ostwald, Les fondements énergétiques de la science de la civilisation, 1910 ; Antonio Portuondo, Essais de mécanique sociale, 1925.
  • [88]
    R. Worms, préface à Sociologie et politique de Ludwig Gumplowicz, 1898, p. 28-29. Il écrit ailleurs : « La Bibliothèque est neutre et elle s’ouvre à l’expression de toutes les convictions sincères et de toutes les doctrines cohérentes et raisonnées. » (R. Worms, avant-propos à Psychologie des sectes de Scipio Sighele, 1898, p. III)
  • [89]
    Maxime Kovalewsky, Le régime économique de la Russie, 1898 ; Alexandre Miller, Essai sur l’histoire des institutions agraires de la Russie centrale du XVIe au XVIIIe siècles, 1926.
  • [90]
    M. Kovalewsky, La France économique et sociale à la veille de la Révolution, 2 volumes, 1909 et 1911.
  • [91]
    René Maunier, L’origine et la fonction économique des villes : essai de morphologie sociale, 1910.
  • [92]
    Charles Letourneau, La condition de la femme dans les diverses races et civilisations, 1903.
  • [93]
    Carl N. Starcke, La famille dans les différentes sociétés, 1899.
  • [94]
    Scipio Sighele, Psychologie des sectes, 1898.
  • [95]
    Arthur Bauer, Essai sur les révolutions, 1908.
  • [96]
    Arthur Bochard, L’évolution de la fortune de l’État, 1910.
  • [97]
    C’est le cas d’É. Bombard et d’H. Laplaigne.
  • [98]
    Par exemple, Émile Bombard (1835-1904), ancien élève de l’École polytechnique, parvenu au grade de colonel, est une personnalité de l’école positiviste que R. Worms souhaite peut-être ménager… (note de la rédaction).
  • [99]
    V. Tesnière, Le Quadrige, op. cit., p. 127-128.
  • [100]
    S. Mosbah-Natanson, « Internationalisme et tradition nationale : le cas de la constitution de la sociologie française autour de 1900 », art. cit.
Français

René Worms a lancé au milieu des années 1890 une des premières collections éditoriales consacrée nommément à la sociologie, la « Bibliothèque sociologique internationale », particulièrement dynamique à ses débuts mais dont le rythme de publications s’étiole ensuite. Cet article replace cette création dans le nouveau marché éditorial des sciences sociales – en particulier dans la concurrence avec l’éditeur Alcan – et identifie les principales caractéristiques de cette collection. Son ancrage international s’avère un succès puisque les auteurs étrangers y sont majoritaires – succès plus quantitatif que qualitatif –, alors que certains auteurs français, comme les durkheimiens mais aussi G. Tarde, préfèrent publier chez Alcan. Cette collection se révèle organiquement liée aux organisations savantes créées par R. Worms, la plupart des auteurs, français et étrangers, en étant membres. Pour autant, elle se caractérise par un pluralisme théorique, R. Worms y publiant les différents courants qui occupent alors l’espace en construction de la sociologie, malgré une domination de l’organicisme à ses débuts.

Sébastien Mosbah-Natanson
Département de philosophie et sociologie, Université Paris-Sorbonne Abou Dhabi
Mis en ligne sur Cairn.info le 23/02/2016
https://doi.org/10.3917/etsoc.161.0175
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