CAIRN.INFO : Matières à réflexion
figure im1
Salle des Épis, réserves du Fonds National d’Art Contemporain.
Photo © Bruno Scotti

Une anecdote

1La scène se passe dans les locaux parisiens de l’AFAA (Association française d’action artistique, dépendant du ministère des Affaires étrangères), vers 1996. Un membre de la commission chargée d’attribuer des bourses de séjour à l’étranger s’installe pour prendre connaissance des nouveaux dossiers présentés par de jeunes artistes. C’est un expert reconnu en art contemporain, un conservateur, commissaire d’exposition et critique d’art très en vue.

2Il ouvre un par un les dossiers, tourne les pages, balaie sommairement du regard les textes, les images. S’arrête un peu, parfois. Ni désinvolture, ni hésitation : on sent qu’il a l’habitude – « il a l’œil », comme on dit. Méthodique, il classe les dossiers en trois piles : refusés à gauche, acceptables à droite, à revoir au milieu. C’est un premier tri, précise-t-il, histoire de préparer le travail pour la décision définitive.

3Les dossiers défilent, la pile initiale s’amenuise. En voici un sur lequel il s’arrête un peu plus longuement, l’œil approbateur, contemplant des reproductions en couleur de tableaux abstraits : « Beau travail, commente-t-il. Il ira loin, probablement ». Et sans hésitation, il met le dossier sur la pile de gauche. Je m’étonne : pourquoi le refuser, puisque c’est bien ? La réponse est immédiate : « Celui-ci trouvera sans problèmes une galerie. Il n’a pas besoin de nous ».

Pluralisme ou compensation ?

4Cette anecdote me paraît illustrer remarquablement le dilemme de toute action de soutien à la création (ou à la recherche) de la part des pouvoirs publics : faut-il opter pour le pluralisme, ou pour la compensation ? Autrement dit, faut-il assurer une pluralité des tendances ou des expressions, dans un souci d’égalité des prestations ? Ou faut-il concentrer les aides sur les points aveugles du marché, dans un souci de compensation ?

5Dans le cas que je viens de rapporter, la logique est évidemment celle de la compensation : les pouvoirs publics favorisent l’art qui ne trouvera pas immédiatement de débouchés dans le circuit privé des galeries et des collectionneurs, quitte à délaisser tout un pan de la production actuelle – notamment la peinture « moderne », celle qui eut son heure de gloire dans la génération de l’après-guerre. Cette politique, telle qu’on vient de la voir mise en pratique, concrètement, par un expert au travail, est aujourd’hui celle de l’ensemble des pouvoirs publics en matière d’art contemporain. C’est de sa logique, et de ses conséquences, qu’il va être question.

Une « épine démocratique »

6Pluralisme ou compensation ? Ce dilemme constitue un bel exemple « d’épine démocratique », selon l’expression imagée de Charles Rojzman. Il n’est pas possible en effet de rejeter ou d’approuver par principe l’une ou l’autre de ces options, chacune d’entre elles étant cohérente et justifiable.

7La règle de base en la matière, c’est que ce dilemme ne peut trouver de résolution que par rapport aux situations réelles : il n’y a pas de bonne solution dans l’absolu. D’où la nécessité de raisonner en termes non pas idéologiques, mais contextuels ; d’où aussi l’intérêt du recours aux chercheurs, que le ministère de la Culture pourrait utilement solliciter pour l’aider à expliciter ses critères de choix… Mais rien n’empêche de réfléchir à ce que sont, en général, les inconvénients de ces deux modèles de l’action publique. Concernant le pluralisme, on en a souvent dénoncé le risque de saupoudrage (manque d’efficacité), voire d’éclectisme excessif (aider ce qui ne le mérite pas). Concernant la compensation, les risques en sont bien illustrés par la situation actuelle de l’art contemporain : créer artificiellement des activités non connectées à une demande, dissocier les créateurs de leurs éventuels publics, déséquilibrer le système en faisant de l’État un concurrent (suréquipé) des autres acteurs, engendrer un sentiment d’injustice.

8En disant cela, je ne formule pas une opinion a priori sur l’art contemporain, mais un diagnostic a posteriori (après enquête) sur le rôle des pouvoirs publics : ce en quoi mes critiques ne relèvent pas d’un jugement de valeur esthétique, ni d’une position politique, mais d’un constat de dysfonctionnement eu égard aux objectifs effectivement poursuivis, ou officiellement avancés. Il se trouve en effet que nous expérimentons aujourd’hui, très nettement, les inconvénients d’une politique culturelle massivement compensatoire. Celle-ci a sa logique, et ses raisons ; le problème est qu’elle n’est guère explicitée comme telle, et qu’elle manque donc cruellement d’une réflexion sur ses effets pervers – lesquels sont évidents.

Une politique de la dénégation

9Officiellement, le seul critère de choix des pouvoirs publics est la « qualité » des propositions aidées. Le problème est que les critères d’établissement de cette qualité ne sont jamais explicités publiquement (et à peine en situation d’expertise). Les seuls arguments éventuellement avancés dans les justifications publiques invoquent la défense de la « liberté » des artistes (souvenons-nous des dernières déclarations du précédent ministre de la Culture à propos du projet de centre d’art du Palais de Tokyo) : c’est là ignorer ce que j’ai appelé le « paradoxe permissif » propre aux institutions de l’art contemporain, qui encouragent les transgressions de l’institution elle-même, au risque d’emballer tout le système dans une fuite en avant où les artistes se perdent autant que les publics. « L’art naît de contraintes, vit de luttes et meurt de liberté », disait, je crois, André Gide : prôner aujourd’hui la liberté, dans une situation où les artistes n’ont jamais été aussi libres ni, en même temps, aussi peu entendus, c’est les condamner à ce « désespoir par manque de nécessité » que Kierkegaard opposait au « désespoir par manque de liberté ».

10Qualité des œuvres, liberté des artistes : s’il arrive que l’on creuse un peu dans cette question des critères de choix, on en arrive, au mieux, à l’argument historiciste de la progression vers le plus « moderne », « avant-gardiste », « contemporain », « actuel » – les qualificatifs varient selon les moments et les mouvements. Conforme à un progressisme de sens commun, ce discours interdit de voir que le choix ne se fait pas sur un seul axe – du moins au plus intéressant artistiquement – mais sur plusieurs axes : les critères d’excellence qui valaient pour le modernisme de l’après-guerre n’ont plus aucune pertinence pour l’art contemporain « historique » (celui des années soixante et soixante-dix), et encore moins pour les tendances actuelles.

11C’est pourquoi j’ai proposé de voir dans l’art contemporain non une phase historique (correspondant à la situation la plus récente) mais un genre, au même titre que l’art moderne – exactement comme en musique. On peut comprendre ainsi que la tension actuelle vient du fait que c’est un genre de l’art (et non pas la pointe la plus avancée de l’art en général) qui est privilégié par les décideurs publics depuis une vingtaine d’années : le genre « art contemporain », lequel est dans une position homologue du genre « peinture d’histoire » au siècle dernier.

Une situation inversée

12Le soutien à l’art contemporain pouvait se justifier dans une logique compensatoire, lorsque ce genre peinait à trouver des débouchés sur le marché, comme l’impressionnisme il y a plus d’un siècle. Le problème aujourd’hui est que la situation s’est largement inversée : nous ne sommes plus au temps de Cézanne, et les novateurs ne sont plus les oubliés ! De dominé, l’art contemporain est devenu largement dominant – du moins dans le domaine d’action des pouvoirs publics, car le sens de la domination tend à s’inverser dès qu’on sort du cercle des spécialistes pour se confronter aux goûts des simples amateurs, voire à la logique citoyenne des profanes.

13Plus précisément, il s’est produit depuis la première moitié du XXe siècle une inversion de ce qu’Alan Bowness nomme les deuxième et troisième cercles de la reconnaissance, c’est-à-dire le cercle des galeristes et des collectionneurs privés, d’une part, et celui des spécialistes, critiques, conservateurs et commissaires, d’autre part. Ce n’est plus le marché qui découvre et le musée qui consacre, une génération plus tard, mais c’est l’inverse qui tend à se produire aujourd’hui, où « l’art orienté vers le musée », selon les termes de Raymonde Moulin, prime sur « l’art orienté vers le marché ».

14Depuis moins d’une génération, les genres devenus mineurs, correspondant en gros à ce qu’on a appelé l’art moderne (peinture sur toile, sculpture sur socle), sans même parler de l’art classique (figuration traditionnelle), n’ont plus guère accès qu’aux circuits dévalués des Salons de peinture, des expositions locales et des petites galeries de province. On confond ainsi dans un même marché les médiocres et innombrables réitérations du post-impressionnisme, post-symbolisme, post-surréalisme, etc., avec des recherches authentiquement originales (à la fois personnelles et, à l’intérieur de leur contexte de référence, novatrices), mais qui ne se situent pas dans le genre « art contemporain ». La difficulté même à « donner des noms » d’artistes représentant ces tendances reflète bien le manque de circuits de reconnaissance susceptibles de leur conférer une visibilité.

15À cette hiérarchie non dite s’ajoute un problème de péremption accélérée des mouvements à l’intérieur même du genre art contemporain, qui tend à minimiser également les apports de la première génération, celle des années 1960-1970 : d’où les violentes critiques suscitées par l’accrochage des salles d’art contemporain à la réouverture de Beaubourg, qui ignorent radicalement les courants figuratifs français de cette époque. Privilégier la logique de collection (les goûts actuels des conservateurs) sur la logique de fonds (la présentation historique), c’est confondre un musée avec une collection privée, et un fonctionnaire avec un spéculateur (sans risques).

16Bref, une politique compensatoire n’a de sens que lorsqu’elle favorise des positions fragiles, minoritaires, dominées. Lorsqu’elle favorise des positions dominantes, ce n’est plus qu’une politique de nantis.

Les trois axes d’intervention de l’État

17Reprenons la question autrement, en sériant les problèmes en fonction des différents axes d’action de l’État en matière artistique : soit, premièrement, la politique de patrimoine, amorcée dès l’Ancien Régime ; deuxièmement, la politique d’aide aux artistes, déjà présente sous la IIIe République ; troisièmement, la politique de démocratisation, propre aux années 1960.

18Le problème posé aujourd’hui par ce troisième axe, c’est la confusion, classique dans la culture de gauche, entre avant-garde artistique et avant-garde politique. Contrairement à la mythologie ayant cours à ce sujet, et qui prend systématiquement l’exception pour la norme, la conjonction des deux relève de moments exceptionnels (le suprématisme, le surréalisme), ou encore d’une visée volontariste, mais nullement d’un état de fait ou d’une tendance qui irait de soi : tout oppose, au contraire, la classe ouvrière et les artistes d’avant-garde. Aussi était-il naïf, au début des années quatre-vingt, de croire qu’on ferait une politique de gauche en soutenant l’avant-garde : on n’a fait qu’une politique avant-gardiste, dont ont été exclus, de fait, les plus démunis des amateurs d’art et les plus excentrés des artistes, au profit des artistes les plus excentriques et des amateurs les plus branchés (voir le côté très jet set des vernissages en art contemporain).

19Quant au deuxième axe (le soutien aux artistes), le problème est qu’il s’est réduit pour l’essentiel à un rabattement sur le premier axe, c’est-à-dire une politique patrimoniale d’achat des œuvres. On confond largement l’aide aux artistes avec l’achat de leurs œuvres : ce en quoi l’on double l’action du marché privé plutôt que de se concentrer sur ce qu’il n’offre pas (bourses, ateliers, avantages sociaux, aide à l’exposition ou à la publication…), tout en entravant le développement normal de ce marché, hors du petit cercle des galeries fonctionnant avec les musées. Certes, depuis une vingtaine d’années, les formules d’aides publiques aux artistes se sont multipliées ; mais le système est si opaque (DAP, AFAA, DRAC, départements, municipalités, etc.) qu’il privilégie forcément ceux à qui leurs capacités relationnelles ont permis de pénétrer ce réseau bien particulier ; et l’opacité est plus gênante encore quant aux critères de sélection, hésitant sans les assumer entre des principes opposés.

20Il est vrai qu’il est plus gratifiant d’acquérir des œuvres à grands frais que de distribuer quelques aides… Voilà qui nous conduit au problème du « premier axe », privilégiant l’achat des œuvres. Il apparaît d’autant plus problématique lorsqu’on le compare aux politiques en usage ailleurs : aux Pays-Bas par exemple, l’intervention de l’État, du moins jusqu’au milieu des années quatre-vingt, s’est concentrée – de façon probablement excessive – sur l’aide directe aux artistes, tandis qu’en Allemagne et en Suisse les Kunsthalle ont permis de privilégier une politique d’expositions plutôt que d’achats.

21Mais si ce privilège accordé à la politique d’achat n’est guère interrogé, sans doute est-ce parce qu’il satisfait les désirs des décideurs, qui ont ainsi le beurre (plaisir du collectionneur) et l’argent du beurre (pas de risque de mauvaises affaires) : exemple type de confusion dommageable entre le public et le privé, qu’avait déjà dénoncée, en son temps, Yves Michaud. Outre qu’il aboutit à une pléthore d’œuvres, inaliénables en vertu de la législation sur le patrimoine public, il pose inévitablement la question de la compétence des acheteurs, dans un contexte où la professionnalisation est encore fragile : on a affaire à une profession récente, où la barrière du diplôme est irrégulière et les formations dispersées, et où règne la confusion des rôles entre décideurs publics et acteurs privés, conservateurs et collectionneurs, fonctionnaires et entrepreneurs. À cela s’ajoute l’étroitesse d’un milieu qui pratique activement le protectionnisme contre les critiques extérieures, dans une situation d’extrême interdépendance qui favorise inévitablement le conformisme (lorsque ce n’est pas le sentiment d’impunité, comme en témoignèrent il y a quelques années, dans les centres d’art, certaines dérives aux prolongements judiciaires). Bref, une sociologie de la profession des spécialistes d’art contemporain reste à faire…

Institutions problématiques et effets pervers

22Une sociologie des institutions aurait aussi son utilité : voilà qui pourrait intéresser le Conseil de la recherche de la DAP (délégation aux arts plastiques). La DAP, justement, est la première de ces institutions qui semblent, avec un recul de près de vingt ans, avoir créé au moins autant de problèmes qu’elles en ont résolus. Comment ne pas s’étonner en effet que le domaine des arts plastiques soit, au ministère de la Culture, le seul qui connaisse un clivage entre deux directions (la Direction des musées et la DAP), lequel n’a pas peu fait pour la ghettoïsation de l’art contemporain au sein même des spécialistes d’art? À ce compte-là, pourquoi n’avoir pas créé une direction de la musique contemporaine, une délégation au cinéma d’auteur, un centre national de la littérature d’avant-garde, un département du théâtre de recherche ?

23Autre singularité dont on voit mal la justification : au lieu d’avoir, comme dans la plupart des directions culturelles, des commissions composées de pairs régulièrement renouvelés (c’est le cas, par exemple, au CNL, où siègent des écrivains, ou au CNC, où siègent des cinéastes), les décisions de la DAP sont prises par des administrateurs en place, sans autre contrôle de leur compétence que la cooptation, sans limitation a priori de la durée de leur affectation, sans contrepouvoir ni instances à qui rendre des comptes. Et l’on s’étonne (certains mêmes s’en indignent) que leur pouvoir soit contesté…

Pauvres FRAC

24Autre institution problématique créée au début des années quatre-vingt : les FRAC (fonds régionaux d’art contemporain), qui cumulent les problèmes des trois axes de l’intervention de l’État. Concernant le troisième axe (démocratisation de la culture), on a opté non pour une mise à disposition des œuvres au public mais, au contraire, pour des collections sans locaux, destinées à « circuler » mais dans des conditions très aléatoires. Ce choix initial commence à se corriger par la création de locaux spécifiques, mais n’aurait-il pas été préférable de créer des cellules spécialisées en art contemporain à l’intérieur des musées existant en région, qui auraient disposé d’une enveloppe pour acquérir et, surtout, exposer ces œuvres dans leurs murs ?

25Les FRAC ne sont pas plus performants concernant le deuxième axe : au lieu d’aider les artistes (notamment régionaux) en leur offrant des possibilités d’exposition et de confrontation, des récompenses etc., on a décidé que tout irait aux acquisitions : ce qui fait plaisir, certes, aux experts, ravis de jouer les collectionneurs aux frais de la collectivité, mais qui a créé localement de durables frustrations, aboutissant à des guerres larvées entre artistes et agents de l’État. Pourquoi n’avoir pas plutôt favorisé l’organisation d’expositions à l’initiative de commissaires ou de critiques, en veillant à ce que soient représentées des tendances très différentes, de façon à multiplier les confrontations, et en créant des prix pour signaler les travaux les plus remarquables, dans différents genres ?

26Enfin, le premier axe pose également problème dans les FRAC, étant donné la compétition entre acheteurs, qui ne peut que limiter les choix et renchérir les œuvres susceptibles de « classer » leurs acquéreurs dans la hiérarchie très fermée du très petit milieu des spécialistes internationaux. Sans compter les conflits latents (et parfois patents) entre experts des FRAC et bâilleurs de fonds (les décideurs politiques) qu’ont bien analysés Philippe Urfalino et Catherine Viklas. Pourquoi, là encore, n’avoir pas plutôt, à l’intérieur des structures muséales déjà existantes, réservé annuellement une enveloppe pour l’acquisition d’une ou quelques œuvres d’art contemporain, choisies parmi toutes celles qui auraient été exposées ? On aurait obtenu des collections beaucoup plus limitées quantitativement, mais ne proposant que des œuvres très sélectionnées et, surtout, possédant un ancrage historique dans le lieu en question.

En résumé

27On a multiplié le pouvoir des intermédiaires d’État, en diminuant celui des médiateurs privés. On a donné une visibilité exceptionnelle à quelques stars, en condamnant à l’invisibilité la grande masse des artistes actuels. On a favorisé un genre particulier, sans que cela soit explicité ni justifié. On a amené des artistes à infléchir sciemment leur production dans une direction censée correspondre aux goûts des décideurs, les empêchant de poursuivre dans la voie qui leur est propre sans pour autant produire des résultats valables dans celle qui leur est implicitement demandée (combien de peintres s’obligeant, pour « faire contemporain », à intervenir sur des châssis défoncés et des lambeaux de papier peint, ou à installer leurs tableaux dans un poulailler !). On a éloigné un large public potentiel de la création contemporaine. On a créé un climat de guerre intestine, avec un ressentiment extrême de la part des artistes et, chez les spécialistes, un repli corporatiste dans une citadelle assiégée, qui fait de ce milieu un bouillon de culture de la paranoïa professionnelle.

28Peut-être jugera-t-on ce bilan excessivement noir. L’important est de comprendre qu’il est le résultat non d’une position de principe qui me pousserait à défendre un clan contre un autre, mais d’un long travail d’enquête et d’observation, qui rend évidente la souffrance des acteurs de part et d’autre de la barrière – professionnels attaqués, artistes frustrés, amateurs exaspérés ou désappointés. Aucune intentionnalité cynique, j’en suis certaine, n’a présidé à ce résultat désolant : il s’agit simplement des effets pervers d’un système qui s’est développé trop vite, poussé par la plus mauvaise conseillère qui soit (la culpabilité), et sans guère faire appel à des experts extérieurs (sociologues, économistes, politologues) qui auraient permis, peut-être, d’anticiper certains problèmes et de les éviter. Rien n’est définitivement perdu, certes. Mais le temps fait son œuvre, et ce qu’il a fallu près d’une génération pour solidifier, il va falloir beaucoup de temps pour l’amender [1].

Notes

  • [1]
    Quelques lectures : Alan Bomness, The Conditions of Success. How the Modern Artist rises to Fame, London, Thames and Hudson, 1989; Yves Michaud, L’Artiste et les commissaires, Nîmes, Jacqueline Chambon, 1989. Raymonde Moulin, L’Artiste, l’institution et le marché, Flammarion, 1992. Philippe Urfalino, Catherine Vilkas, Les Fonds régionaux d’art contemporain. La Délégation du jugement esthétique, L’Harmattan, 1995.
Nathalie Heinich
Nathalie Heinich est l’auteur de L’Art contemporain exposé aux rejets (Nîmes, Jacqueline Chambon, 1998), Le Triple jeu de l’art contemporain (Minuit, 1998), et Pour en finir avec la querelle de l’art contemporain (Paris, l’Échoppe, 2000).
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 09/03/2013
https://doi.org/10.3917/cdm.011.0325
Pour citer cet article
Distribution électronique Cairn.info pour Gallimard © Gallimard. Tous droits réservés pour tous pays. Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent article, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
keyboard_arrow_up
Chargement
Chargement en cours.
Veuillez patienter...