L'expression « juger les fous », si elle est spectaculaire, est toutefois peu claire. Certes elle a le mérite immense de nous rappeler et de nous confronter aux principes fondateurs du droit moderne. Il n'y a pas de droit sans « responsabilité », ou du moins imputabilité. Le droit attend son répondant. Mais s'il y a une grandeur du libre arbitre, elle ne rend guère compte de la liberté en situation, de l'usage d'une liberté non seulement en situation mais par cette situation, laquelle lui donne corps, texte, contexte, l'inscrit dans un milieu. Loin de se confondre avec le libre arbitre, elle est une liberté incarnée avec tout ce qu'implique d'équivoques et d'ambiguïtés cette dimension incarnée. N'est-ce pas là que l'expression « juger les fous » ne contribue pas à éclairer les zones de flou, difficiles, où une liberté humaine tente de se débattre dans le contexte et les déterminations, voire les déterminismes qui font son histoire, au risque de la déterminer jusqu'à l'aliéner ? Ne faut-il pas lui opposer l'acte de juger comme tâche d'élucidation, instruit par les sciences explicatives, qui à chaque fois, rejoue la compréhension d'une responsabilité ou d'une irresponsabilité ?
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Le droit, c'est sa tâche inlassablement remise sur le métier, accompagne les humains dans les contrées du malheur. Il tente d'y débrouiller, dans la justice et avec justesse, l'écheveau où l'humanité peut encore se donner, se reconnaître, individuellement et collectivement. Ce travail, à chaque fois, s'opère dans la singularité irréductible d'une situation, donnant à entendre « si c'est un homme » celui-là qui violenta, comme jamais, l'autre homme ; et si oui, comment le dire sans faire injure à sa victime. Ainsi en va-t-il de l'affaire H. Un jeune homme, pris de bouffées délirantes d'origine exotoxique, défenestre une personne âgée prétextant de son judaïsme. Il a été reconnu irresponsable pénalement en raison du diagnostic psychiatrique extrêmement rare d'abolition totale du discernement. Une telle situation atteste d'une des formes d'expressivité où l'humain est rendu méconnaissable, y compris à l'égard de lui-même. Or cette décision de justice n'a pas manqué d'activer de nombreux sarcasmes et de brutales contestations : « la consommation de cannabis serait un permis de tuer » ; « on justifie le plus atroce par la déclaration d'irresponsabilité ».
Incontestablement, cet événement d'une violence inouïe condense sur lui le trop épais feuilletage des figures du mal qui attaquent le lien humain, qu'il soit en soi, sondant sur quoi se fonde la faute et la volonté de faire le mal dans une conscience ; entre nous, dans la violence entre générations ; voire attaquant l'idée même d'humanité plaçant ce crime dans l'orbe abyssale qu'emporte avec elle la hantise du mal politique antisémite…
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- Mis en ligne sur Cairn.info le 23/09/2021
- https://doi.org/10.3917/cdlj.2103.0463

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