CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La question de la famille a récemment enflammé la scène politique française. Les réformes du mariage et de la filiation ont provoqué des manifestations d’opposition qui ont surpris par leur importance. C’est que, pour beaucoup, la famille est une réalité “naturelle”, donc intangible, fondée sur les “liens du sang”, avec des rôles sociaux différents et complémentaires parce que déterminés par la différence des sexes. Ils redoutent les effets de l’affaiblissement du mariage et de l’autorité du père. Fonder la filiation sur des bases biologiques, ce qui est possible désormais pour la paternité, leur semble une garantie de stabilité. Devant les nouveaux modes de procréation des enfants et la demande d’ouverture de la PMA et de la GPA, légales dans certains pays, ils s’inquiètent de la marchandisation du corps de la femme et du brouillage de la filiation. Qui sont, alors, les vrais parents, la femme qui a donné son ovocyte, celle qui a porté l’enfant et accouché, le géniteur qui se veut ou non père, son compagnon qui se veut parent d’intention ? Notre système de parenté, à la différence d’autres sociétés éloignées de la nôtre, est caractérisé par l’exclusivité : on n’a qu’un seul père et une seule mère et l’adoption ou la PMA, en France, miment la filiation biologique. Toute forme de pluriparentalité inquiète.

2Le changement trop rapide des pratiques fait peur et le diagnostic est vite posé : ce serait l’individualisme débridé d’un moi narcissique et désaffilié, le désir sans limites, qui, en sapant la stabilité de l’institution familiale, la rendraient dépendante de choix affectifs trop fragiles, donc désormais inapte à remplir ses fonctions d’éducation des enfants et de solidarité à l’égard de ses membres les plus fragiles, enfants et vieillards.

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4Il est vrai que tout a été bouleversé en quarante ans. Plus d’un enfant sur deux naît aujourd’hui de parents non mariés. Autrefois le mariage, sacrement indissoluble ou le “plus sacré des contrats”, fondait la filiation paternelle et donc la famille, le père étant “celui que désignent les noces”. Le mariage est aujourd’hui optionnel et se dénoue presque aussi rapidement que le PACS, dès que les époux en sont d’accord. Alors, ne se marie-t-on plus que pour la célébration performative de son couple amoureux ?

5On peut aussi se demander ce que devient la paternité quand tant de pères séparés s’occupent davantage de leurs beaux-enfants que de leurs enfants et cherchent comment attirer leur adolescent chez eux le week-end.

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7Pourtant, comment ne pas voir ce que nous avons gagné avec l’égalité des droits entre les sexes, la mixité de leurs fonctions, la possibilité d’échapper à un mariage malheureux, celle de n’avoir que des enfants désirés, l’égalité des enfants quelles que soient les conditions de leur naissance, la valorisation de l’intérêt et des droits de l’enfant ? Et comment savoir ce qu’un enfant perd ou non par rapport aux autres quand il est élevé par deux parents de même sexe, alors que tant d’enfants sont élevés par un seul parent ?

8D’ailleurs le lien familial est loin de se distendre. La solidarité familiale ne disparaît pas : jamais les parents n’ont autant investi dans l’éducation de leurs enfants et les relations intergénérationnelles sont un havre de dons et d’entraide dans un monde dur et compétitif.

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10De nouvelles valeurs éthiques pourraient fonder un nouveau droit de la filiation [2] organisant les trois modalités de la filiation créatrices de responsabilités et d’obligations : la procréation charnelle, l’adoption et l’engendrement avec tiers donneur ; « l’engagement parental inconditionnel et indissoluble à l’égard de l’enfant » qui impose aux parents, même séparés, de rester parents ensemble et « le respect de l’histoire antérieure de l’enfant » impliquant la sortie du secret de la PMA et de l’anonymat du donneur (avec les éventuels secrets et mensonges liés au déni de son rôle). Cette grande réforme trouvera-t-elle ses conditions politiques ? Il s’agit pourtant de réinstituer le système d’attentes à la base du lien familial (qui doit quoi à qui ?) et de redéfinir ce qui fait un parent, après le délitement du modèle matrimonial de la filiation.

Notes

  • [1]
    S. Cadolle, « La résidence alternée, fin de la différence entre père et mère ? », Journal français de psychiatrie, n° 37, 2, 2010, p. 29-32. En ligne
  • [2]
    I. Théry, A.-M. Leroyer, Filiation, origines et parentalité. Le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle, Paris, Odile Jacob, 2014.
Sylvie Cadolle [1]
sociologue
  • [1]
    S. Cadolle, « La résidence alternée, fin de la différence entre père et mère ? », Journal français de psychiatrie, n° 37, 2, 2010, p. 29-32.
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Mis en ligne sur Cairn.info le 05/01/2015
https://doi.org/10.3917/tele.046.0007
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