Cette étude propose d’observer d’un point de vue genré l’un des univers ouvriers les plus emblématiques du XIXe siècle : la Fabrique lyonnaise des tissus en soie. L’organisation de l’industrie de la soie à Lyon permet d’étudier, d’une part, la division genrée du travail dans une multitude de métiers très spécialisés et, d’autre part, les hommes et les femmes au travail dans le même espace et effectuant des tâches semblables. Cette mixité professionnelle, peu fréquente dans bien des espaces de travail au milieu du XIXe siècle, est au cœur de ce travail. L’article dessine, tout d’abord, les contours de cet univers mixte dans un moment charnière de la transformation de la Fabrique lyonnaise, et de son expansion vers les pentes et le plateau de la Croix-Rousse. Il aborde ensuite une question peu étudiée dans la vaste historiographie qui s’est intéressée aux « canuts » : la diversité et l’hétérogénéité du groupe des chefs d’atelier. Pour cerner quelques traits marquants de cette diversité, il s’approche enfin de l’atelier familial en prenant le mariage comme moment fondateur de l’atelier et de resserrement des liens professionnels indispensables pour son fonctionnement.
Article
Dans un écrit issu d’une enquête réalisée au milieu des années 1850, l’économiste libéral Louis Reybaud s’attarde à plusieurs reprises sur le fonctionnement de l’atelier de tissage lyonnais et la logique conjugale qui le régit :
À peine [l’ouvrier] a-t-il pu, sur ses épargnes, acheter un ou deux métiers, qu’il cherche, dans sa classe même, une compagne de son choix, habile et laborieuse comme lui, et pouvant le suppléer au besoin. Tout en veillant au soin du ménage, la femme préparera les soies, donnera quelques coups de navette, maintiendra l’ordre parmi les apprentis, hâtera la confection des pièces, aura sa part de responsabilité. Dès lors pour l’ouvrier tout se concentre dans la maison.
La femme de ce couple prend soin des tâches domestiques selon une répartition des rôles attendue au milieu du XIXe siècle, mais peut remplacer son époux « au besoin ». Elle prépare la soie, tisse et occupe une place reconnue dans la gestion de l’atelier, allant de la surveillance des apprentis au suivi de l’activité de fabrication. Selon Jules Simon, philosophe et homme politique, cette capacité à s’occuper des affaires de l’atelier va jusqu’à la remise et à la négociation du prix des pièces fabriquées aux fabricants-négociants ou à leurs commis. À la différence d’autres mondes productifs où la ségrégation par sexe est la norme au XIXe siècle, à Lyon l’univers du tissage est mixte. Parmi les multiples métiers de la Fabrique lyonnaise, certains se distinguent clairement par des assignations sexuellement connotées, quoique non exclusives : aux dévideuses, ourdisseuses, metteuses en main préparant le fil et la chaîne font face les teinturiers, dessinateurs, monteurs de métiers à tisser…
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- Mis en ligne sur Cairn.info le 13/12/2021
- https://doi.org/10.3917/lms1.276.0071

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