CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Comment se représenter un père au-delà d’une figure sociale convenue ? À Saint-Pétersbourg, au musée de l’Ermitage, la salle n° 254 présente un tableau de Rembrandt qui répond à cette question. Il est intitulé Le retour du fils prodigue, exégèse picturale d’un texte de l’Évangile de Luc (15, v. 11 et suiv. : Jésus y nomme Dieu, Abba, ce qui pourrait se traduire par « papa »). Il aurait pu, plus justement, être intitulé « l’accueil du père prodigue ». Ce tableau pose une question aussi que radicale qu’essentielle : qu’est-ce qu’un père ? Faut-il que la figure tutélaire et écrasante du père disparaisse pour que l’invocation tendre, sans être doucereuse, de la paternité apparaisse ?
Ce tableau peint une déconfiture. Celle d’un homme malmené dans son statut de père autoritaire par la séparation d’un fils ayant choisi de prendre sa part d’héritage et de quitter la tutelle de l’hérédité pour aller vivre sa vie. Mais il peint aussi, car il s’agit d’un retour, ce qui reste de la paternité, une fois qu’on l’a dépouillée de la figure sociale et statutaire du père. Comme s’il fallait se dépouiller de tous les oripeaux qui d’ordinaire habillent le père en personnage de bonne figure, pour, s’en revenant, mettre à nu et reconnaître la promesse d’une intimité nouvelle. Rembrandt peint une lente et douloureuse découverte. Le père ne se tient pas uniquement du côté d’une origine lourde d’histoires (le patriarche), mais aussi du côté de la promesse d’une possible intimité (la tendre paternité)…

Français

Du géniteur au père se déplie ce processus par lequel la paternité prend corps. Il débute par une certification du père par la sérologie. La procréation parle du père comme d’une catégorie descriptive, celle de l’examen génomique. Ce processus s’explicite ensuite en quittant la scène du laboratoire au profit de la scène du prétoire. Là une autre scène de symbolisation relève d’une déclaration. Le droit est l’institution de la légalité du père. S’engage, dans la reconnaissance par le droit, d’un sujet, l’affirmation qu’il est irréductible à un prestataire de service (donneur de gamète) ou un inséminateur mais bien figure instituée de culture et de relation. Sur ce terrain juridique, la formulation se cherche aujourd’hui concernant le statut du tiers d’engendrement. Ce processus de reconnaissance de la paternité, enfin relève d’une attestation. L’attestation du « tu es mon fils ; tu es bien mon père » est un enjeu d’existence. Il mobilise un travail de reconnaissance mutuelle. Au-delà de la légalité, dans la connivence d’une intériorité mutuelle et de gratitude, la paternité se donne comme l’intériorisation et l’acceptation d’être du même lignage sans être les mêmes. Certification du géniteur ; déclaration du père légal ; attestation du père éducateur déploient ainsi la possible histoire de la paternité intériorisée par chacun.

  • géniteur
  • père légal
  • paternité
  • certification
  • déclaration
  • attestation
  • hospitalité généalogique
Jean-Philippe Pierron
Philosophe, enseignant à l’université de Bourgogne-France
9, rue Brillat-Savarin
21000 Dijon
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Mis en ligne sur Cairn.info le 09/12/2021
https://doi.org/10.3917/difa.046.0047
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