CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1La lecture de l’argument sur la thématique du sexuel et sa circulation familiale a eu pour effet la remémoration d’une consultation en institution avec une jeune préadolescente à la demande de ses parents. La situation de cette famille nous a conduits à élargir la réflexion, au-delà de l’adoption, aux familles d’accueil, configurations familiales dans lesquelles l’établissement et la régulation des liens entre parents d’accueil et enfants ne peut se soutenir que de la loi symbolique garantie par le juridique. Les recherches anthropologiques (Héritier, 2002 ; Godelier, 2007 ; Barry, 2008) montrent qu’aucune société ne fonde le lien de filiation sur la seule prise en compte de l’engendrement biologique ; toutes mettent en œuvre des montages généalogiques qui établissent un lien juridique nouant le social et le biologique. C’est ce que Legendre (1985) nomme le temps social des montages généalogiques. Du côté du sujet ces montages généalogiques sont toujours pris dans des enjeux imaginaires, dont nous essaierons de montrer les effets tant sur la régulation de la sexualité que sur la transmission de l’interdit de l’inceste.

Une résistance aux apprentissages scolaires qui met en jeu une problématique filiative

2Anna [1] est venue accompagnée de ses parents adoptifs, M. et Mme B., en raison de difficultés récurrentes dans les apprentissages scolaires. Elle est originaire d’Asie, seule enfant adoptée par M. et Mme B. à l’âge de 4 ans. Actuellement âgée de 11 ans, Anna est en CM1. À propos de son arrivée en France à l’âge de 4 ans ses parents soulignent qu’elle n’a pas manifesté de problèmes particuliers : Anna, scolarisée depuis l’âge de 2 ans, dans son pays de naissance s’est bien intégrée et a très rapidement appris le français à l’école maternelle. Les difficultés limitées au registre des apprentissages scolaires sont apparues dès le cours préparatoire et ont donné lieu à la mise en place d’un suivi en privé en orthophonie. Bien que ce suivi se soit poursuivi avec assiduité pendant quatre ans et qu’Anna ait redoublé son CP, ses soucis d’apprentissage, en particulier de compréhension et de mémorisation des matières scolaires, ne se sont pas atténuées, ce qui amène M. et Mme B. à nous consulter. Un bilan psychopédagogique sera effectué, il fera état d’empêchements résistants dans l’appropriation de la langue écrite malgré un engagement manifeste dans le travail. La consultation n’a pas donné lieu à un suivi thérapeutique, mais les quelques entretiens menés ont permis à une problématique familiale, en lien avec la transmission de l’interdit de l’inceste, de s’énoncer.

3Inquiets et démunis, les parents se demandent comment permettre à leur fille de progresser sur le plan scolaire. Par ailleurs ils se sentent remis en cause dans leurs compétences éducatives par l’équipe enseignante avec laquelle ils sont en conflit. En ce qui concerne la vie quotidienne, ils n’ont qu’à se louer du caractère d’Anna : affectueuse, gentille, douce, facile sont les qualificatifs qui émaillent le premier entretien.

4De grande taille pour son âge, Anna se présente néanmoins comme une fillette et se dit très attachée à son père. Celui-ci précise qu’il la soutient dans les devoirs scolaires et qu’ils partagent plusieurs activités de loisirs. Il explique que sa femme ne peut se rendre aussi disponible que lui car elle est très prise par son activité d’assistante maternelle. C’est également cet argument qui sera invoqué pour justifier son absence aux entretiens ultérieurs. Souriante et de bon contact, Anna dit qu’elle aimerait mieux réussir à l’école mais parle plus volontiers de son désir de jardiner avec son père, d’être avec lui. Elle se sent par ailleurs valorisée lorsqu’elle s’occupe des deux jeunes enfants dont sa mère a la garde : « Il faut aussi que je les gère, il y a Bastien, il a 3 ans, il est tout seul, il connaît des choses que je connais. Il a toujours mal au ventre depuis que sa sœur est née. » Le prénom de la fillette, Eva, la conduira à évoquer le mythe d’Adam et Ève, ce que nous pouvons entendre comme un affleurement de la question de l’origine. La poursuite des entretiens avec Anna et son père nous amènera à penser que ces propos condensent les questions qui animent Anna et qui peut-être inhibent son investissement des apprentissages scolaires.

5Au fil des entretiens, une problématique familiale va être mise au devant de la scène par le père d’Anna qui demandera à nous parler sans sa fille, il s’interroge : « Comment réagir quand Anna deviendra pubère, quand le volcan va se réveiller ? lorsqu’elle va s’opposer ? » Une importante anxiété se dévoile dans ses propos, il ajoute : « pour le moment c’est juste merveilleux, elle écoute, elle fait ce qu’on lui demande ». S’ensuivent des explications en lien avec l’origine inconnue de la fillette : « On ne sait rien de sa mère, comment va-t-elle devenir ? » La perspective de la prochaine transformation du corps infantile d’Anna en un corps sexué de femme, qui plus est de femme étrangère dont il ne sait rien, laisse libre cours à ses fantasmes. L’image d’un volcan en fusion dont il ne saurait comment endiguer les débordements revient à plusieurs reprises. C’est un père incertain, en quête de repères, qui tente de mettre en mots les fantasmes d’homme qui l’habitent. Au cours des entretiens, nous n’avons pas eu la possibilité d’explorer ce qui se rejoue pour M. B. de son histoire infantile. La perspective de la puberté de sa fille vient interroger sa place de père et le lien de filiation qui l’unit à Anna et l’amène à associer sur la genèse de la démarche d’adoption de leur couple.

6Il se dit très préoccupé par un non-dit concernant une procédure d’adoption antérieure à celle d’Anna. Il raconte que leur première démarche d’adoption s’est soldée par un douloureux échec : « Ma femme est allée chercher une fillette de 4 ans. Au bout de 10 jours, la famille s’est rétractée et lui a repris l’enfant, ça a été très douloureux pour elle, pour moi c’était moins difficile je ne l’avais vue qu’en photo. » Cette première démarche avait été menée dans un pays dont la langue était la langue maternelle de Mme B., choix que M. B. tente de rationaliser en invoquant une facilitation des échanges avec leur futur enfant, mais nous y avons surtout perçu un investissement pour Mme B. de la langue commune comme élément constitutif du lien maternel avec leur enfant. Anna est en quelque sorte une enfant de remplacement. Si la première adoption avait abouti Anna ne serait pas leur fille. M. B. précise que ces questions le travaillent depuis qu’ils ont obtenu un agrément pour un deuxième enfant. C’est, semble-t-il, le signifiant « deuxième » qui le conduit à réinterroger ses liens avec Anna. Même s’il se dit moins affecté que son épouse par cette tentative avortée, il s’interroge sur un possible ressenti d’Anna : aura-t-elle le sentiment d’occuper la place laissée vacante par la première fillette ? N’est-ce pas d’ailleurs ce questionnement qu’apporte à son insu Anna lorsqu’au cours du premier entretien elle évoque Bastien qui a mal au ventre depuis que sa sœur Eva est née ?

7Qu’en est-il pour Mme B. qui, nous l’avons souligné, s’est rapidement absentée de la démarche de consultation ? En effet elle ne s’est pas rendue disponible pour les entretiens avec sa fille, mettant en avant son devoir vis-à-vis des enfants dont elle a la garde, laissant M. B. seul face à Anna. Nous pouvons nous demander si ce retrait de Mme B. n’a pas commencé lorsque le couple a choisi lors de la seconde démarche d’adoption de s’orienter vers un pays de langue étrangère. Pouvons-nous supposer que, lors de la première démarche, ce choix d’adopter un enfant parlant sa langue aurait autorisé Mme B. à faire sien « l’enfant d’une autre » ? L’échec de cette première adoption la renvoie-t-il à son impossibilité à pouvoir procréer ? Ainsi Mme B. semble n’avoir pu s’appuyer sur le fantasme d’une langue commune pour investir pleinement Anna comme sa fille. N’est-ce pas ce qu’elle nous signifie lorsqu’elle précise que « c’est à l’école maternelle qu’Anna a appris rapidement le français » ? Langue française avec laquelle Anna est en difficulté chronique depuis le cours préparatoire. La résistance de la fillette aux apprentissages ne viendrait-elle pas condenser et signifier un appel à la mère des origines et raviver l’histoire de ce premier enfant attendu ?

8Ses difficultés scolaires permettent-elles à Anna de ne pas s’inscrire à la place impossible assignée dans le désir de Mme B. ? Si le symptôme n’est pas indépendant de son lieu d’adresse, que vient-il signifier à M. et Mme B. ? Ne s’agit-il pas de présentifier qu’elle est une autre, à la fois enfant d’une autre femme et une autre enfant que celle qui leur a été « reprise » ? Comment se préserver si ce n’est en résistant à occuper une place qui n’est pas la sienne ? Pour Ortigues (1986) la donne familiale rend compte de la place donnée à son enfant par chaque parent à travers un lot de traits organisés constitutifs de sa position œdipienne. C’est à travers celui-ci que M. et Mme B. invitent Anna à vivre, à inventer son propre jeu tout en lui demandant de continuer ce qui à travers elle ne cesse d’être en jeu pour eux-mêmes. Ainsi ce symptôme serait « la manifestation la plus vraie de l’assujettissement du sujet au discours qui le produit et qu’il produit » (Berger, 2009, 285). Nous pouvons nous demander si l’investissement de son métier par Mme B. ne contribuerait pas à réactiver le questionnement d’Anna quant au désir de sa mère à son égard.

9Si nous reconnaissons que les difficultés d’appropriation de la langue manifestées par Anna constituent son symptôme, une création subjective, une manière particulière de nouer le lien social avec d’autres partenaires que ceux qui ont inauguré sa venue au monde, nous devons entendre l’au-delà de sa plainte. Le symptôme d’Anna, sa résistance à « progresser » malgré toutes les rééducations proposées, ne vient-il pas rappeler à son père qu’elle vient d’ailleurs ? Ce qui participerait à l’émergence des fantasmes sur la sexualité de sa fille ? Les difficultés scolaires d’Anna venant ainsi interroger la solidité des liens de filiation.

10Cette présentation clinique révèle la complexité du nouage des deux temps logiques (Hurstel, 2001) de la construction des liens de filiation : le temps social qui institue la filiation et le temps familial où s’actualise la généalogie. Nous voyons ici que comme tout lien généalogique, celui établi par l’adoption, est imaginarisé. L’absence de langue commune fragilise le lien filiatif entre Mme B. et Anna, ce qui fait vaciller les identifications inconscientes à l’œuvre dans le groupe familial ainsi que les repères régulateurs de la sexualité.

11Nous nous proposons maintenant d’élargir notre réflexion aux situations d’accueil familial, au sein desquelles les enfants accueillis n’ont ni lien légal, ni biologique avec les parents d’accueil. Cependant les différences générationnelles, et les interdits qui en découlent, sont soutenus par l’ordonnance judiciaire à l’origine de la procédure de placement.

Une inscription dans une filiation imaginaire du côté de la mère d’accueil venant protéger d’un passage à l’acte incestueux ?

12Les éléments cliniques présentés ici ont été recueillis dans le cadre de la procédure d’accueil et d’accompagnement de tout enfant confié par le juge à un service de protection de l’enfance. Dans ce contexte, la psychologue est amenée à rencontrer l’enfant et sa famille d’accueil afin de les accompagner durant le placement.

13Talia [2] est une petite fille de 6 ans quand elle arrive en accueil familial chez Mme T. Son placement vers l’âge de 4 ans a été décidé suite à des maltraitances au sein de sa fratrie. Elle n’a que des frères. Cette situation de fille unique contribue à lui donner une place particulière au sein de sa famille, tant pour ses parents que pour ses grands-parents. La seule place que Talia peut prendre auprès de sa mère nécessite de se laisser « apprêter » comme une jeune femme jusqu’à être son double en modèle réduit. Toutefois, si elle est hyper-sexualisée par sa mère, pour ses grands-mères dont elle est l’unique petite-fille, elle ne peut être que la « princesse » et ne doit pas décevoir. Son père se caractérise par son immaturité, il est resté l’enfant de sa mère.

14La famille T. est composée d’un couple qui a des fils déjà adultes, ayant quitté le domicile familial. Ils sont de la même origine géographique que Talia. Deux autres petites filles un peu plus âgées que Talia sont également accueillies dans la famille depuis quelques mois. Les trois enfants se trouvent rapidement bien ensemble. Nous pouvons également repérer qu’une relation forte se noue parallèlement entre la petite fille et son assistante familiale.

15Pour Mme T., très rapidement un transfert se construit dans sa relation à Talia. Elle prend un réel plaisir à habiller et coiffer l’enfant comme une jolie petite fille. Elle est en grande empathie avec celle-ci, et lui laisse avec délicatesse prendre une place exclusive sans l’étouffer. Peu à peu nous comprenons que Talia représente pour Mme T. la fille qu’elle n’a pas eue.

16Pour Talia il semble que le transfert se joue dans une projection relationnelle où Mme T. peut aussi bien être en position maternante que grand-maternante. Avec Mme T., Talia se laisse également apprêter mais cette fois à une place de petite-fille. Elle y trouve son compte affectivement et, de surcroît, cette « juste place » selon la demande institutionnelle de la « protection de l’enfance », contribue à la rassurer. Quant à M. T. il reste à la périphérie de ce qui se joue entre sa femme et Talia. On peut dire qu’il ne s’oppose pas à cette relation.

17Quinze mois plus tard, l’accueil doit être suspendu suite à des révélations d’une des fillettes accueillies, concernant des abus sexuels de M. T. à l’égard des fillettes. Mais l’enquête révélera que Talia n’a pas été inquiétée au même titre que les deux autres fillettes accueillies. Que s’est-il joué de différent pour Talia ?

18Le fantasme d’une même origine géographique a-t-il permis au couple d’accueillir Talia comme faisant possiblement partie de leur famille ? Il semblerait surtout que la nature filiale de la relation entre Talia et Mme T. soit venue présentifier dans la réalité la fille idéale de cette dernière. Ainsi l’inscription de l’enfant dans une filiation imaginaire aura eu l’effet d’une inscription symbolique régie par l’interdit de l’inceste. Le lien tissé entre Talia et Mme T. l’aurait-il protégée du passage à l’acte incestueux de son mari ?

Une interrogation sur la régulation de la sexualité au sein d’un groupe faisant famille

19Depuis peu, Talia est accueillie dans la famille S. C’est la deuxième petite fille confiée à cette famille qui n’accueillait que des garçons. À ce jour, il y a une fille plus jeune que Talia et deux garçons plus âgés qu’elle. Mme S. a d’emblée accueilli la fillette comme une enfant de son âge, une enfant parmi les autres dans la famille, attendant de la voir évoluer pour pourvoir en dire quelque chose. C’est une femme posée qui découvre avec sérénité les particularités de l’enfant, dont un besoin récurrent d’exclusivité auquel Mme S. répond en réassurant Talia sur sa place dans la famille d’accueil. Ainsi Mme S. n’a pas d’attente particulière à laquelle l’enfant pourrait se prêter.

20Dans ce contexte, Talia trouve une solution en lien avec sa modalité de relation à l’objet maternel : elle joue à être Mme S. On pourrait dire qu’elle trouve une place singulière en se prêtant à être comme Mme S. Il se trouve que ce collage interroge M. S., il l’interprète comme une usurpation de la place de sa femme par la petite fille. Cette usurpation prend un autre sens pour lui lorsque la petite fille fait croire qu’un des garçons accueillis a mis sa culotte devant elle. Or en relatant la scène, il apparaît rapidement aux parents d’accueil que Talia évoque une scène imaginaire.

21Pour Mme S. cet épisode relève du registre de la sexualité infantile, cependant pour que les règles du vivre-ensemble soient bien claires pour tout le monde, elle et son mari rappellent que dans leur famille l’intimité ne regarde que soi et quiconque s’y immiscerait serait repris. Les limites étant clairement posées, Talia a pu vaquer à d’autres occupations.

22Mais il n’en a pas été de même pour M. S. qui, depuis, se demande ce qui serait arrivé si dans ses propos la fillette l’avait mis en cause. Il dit que parole d’enfant contre parole d’homme, il « serait cuit ». En effet, qu’est-ce qui viendrait soutenir sa parole d’homme soumis à l’interdit de l’inceste ?

23Cette situation particulière condense des questionnements à l’œuvre pour tout enfant dans la résolution de l’Œdipe. Toutefois pour Talia, il s’agit d’interroger au regard de son vécu antérieur l’exception de la transgression et l’universalité de l’interdit de l’inceste. C’est à cela que M. S. est sensible, d’autant plus que sa qualité de mari de l’assistante familiale ne lui reconnait pas une place de père.

24Ainsi cette situation met en présence une petite fille qui met à l’épreuve la solidité des positionnements familiaux, un homme, père d’accueil, qui s’en trouve inquiété dans la légitimation de sa parole et une femme, mère d’accueil, pour laquelle la « vérification » effectuée par Talia reste celle d’une petite fille prenant ses marques dans une nouvelle famille. Et c’est cette position pacificatrice, liée au fait que l’attitude de la fillette ne convoque pas l’assistante familiale dans le champ d’une transgression et n’atteint pas le lien conjugal, qui semble cette fois garantir l’interdit de l’inceste pour Talia. Reste à M. S. de prendre appui sur son lien conjugal pour s’autoriser à transmettre à la fillette cette loi à laquelle il est soumis.

25Ainsi que l’a développé Razon (1996), nous pouvons repérer que la régulation de la sexualité au sein de la famille, soutenue par l’interdit de l’inceste, se joue à trois, père-mère-enfant. Nous pouvons penser que la fragilisation de l’interdit structurant, ressentie par M. B. à l’aube de la puberté de sa fille, est accentuée par l’apparent retrait de Mme B. dans l’éducation d’Anna. À l’inverse l’investissement par Mme T. de Talia comme sa fille a probablement contribué à la protéger des abus sexuels du père d’accueil, et le positionnement de Mme S. signifiant à Talia sa place d’enfant contribue à pacifier la relation de la fillette avec son mari.

Liens corporels, expression d’un symptôme, positionnement dans l’ordre générationnel et scénarii fantasmatiques

26Ces situations, au-delà de leur spécificité, nous sensibilisent à l’écoute de la manière dont chacun, père, mère, enfant, imaginarise et symbolise les liens. Ainsi l’établissement légal des liens de parenté dans le cas de l’adoption d’Anna, ou la reconnaissance d’une fonction sociale de parentalité d’accueil pour Talia, sont une condition nécessaire mais non suffisante pour que la fonction symbolique de l’interdit de l’inceste soit opérante pour chacun. Ils nous enseignent aussi que l’expression du symptôme de l’enfant interroge le positionnement dans l’ordre générationnel de chacun des adultes en position parentale et ceci dans la rencontre de leurs scénarii fantasmatiques.

27Nous avons vu du côté des adultes comment le fantasme, ici celui d’une langue ou d’une origine commune, est à l’œuvre dans le nouage des liens de filiation et participe à l’interdit de l’inceste. Ces fantasmes qui contribuent à l’élaboration du roman familial sont-ils particulièrement convoqués en l’absence de vecteurs corporels (Delaisi de Parseval : 2004) du lien filial ? Dans quelle mesure la dimension sensorielle concourt-elle à la construction des scénarii fantasmatiques ?

28En effet un élément n’a pas été exploré dans ces situations cliniques : l’arrivée tardive des fillettes dans leur famille ; Anna entre dans sa famille adoptive à quatre ans et Talia est retirée à sa famille au même âge. Selon Konichekis (2009) les premières expériences corporelles participent à l’affiliation de l’enfant à ses parents et la sensorialité, modelant le corps de l’enfant, construit dans le même temps sa relation au monde. Ainsi les premiers liens de ces fillettes sont inscrits dans la manière dont leur corps a été modelé par les soins quotidiens pris dans un bain langagier. Nous avons repéré cette empreinte toujours à l’œuvre chez Talia, dont le corps a été précocement investi, soigné, apprêté tant par sa mère que ses grands-mères. Cet investissement sensoriel de son corps participe aujourd’hui encore de ses modalités relationnelles et lui sert d’appui pour se repérer dans l’ordre des sexes et des générations. Quant à Anna, si nous ne savons rien du bain sensoriel qui l’a portée, nous pouvons cependant nous demander si le bain langagier de sa langue maternelle n’est pas vécu par Mme B. comme faisant barrage avec sa fille.

Notes

  • [1]
    Les noms, prénoms, et d’autres éléments particuliers ont été modifiés afin de garantir l’anonymat des personnes rencontrées. Il en va de même pour la désignation de l’institution.
  • [2]
    Les noms, prénoms et d’autres éléments particuliers ont été modifiés afin de garantir l’anonymat des personnes rencontrées.
Français

Les auteurs proposent de réfléchir à l’aide de deux situations cliniques à la réactivation de l’interdit de l’inceste dans des configurations familiales particulières. Leur analyse porte sur la manière dont chacun des membres de la famille, fille, père et mère, se positionne. Ils s’intéressent à la dimension imaginaire dans le nouage des différents liens, biologiques, psychiques, légaux à l’œuvre dans les montages généalogiques.

Mots-clés

  • sexuel
  • interdit de l’inceste
  • place filiative
Español

Fragilización de la prohibición del incesto en el seno de configuraciones familiares sin vínculos biológicos

Basados en dos situaciones clínicas, los autores proponen una reflexión acerca de la reactivación de la prohibición del incesto en configuraciones familiares particulares. Su análisis se focaliza sobre la manera en que cada miembro de la familia, hija, padre y madre, toma posición. Se interesan en la dimensión imaginaria en la articulación de los distintos vínculos, biológicos, síquicos, legales, que atraviesan la genealogía.

Palabras claves

  • sexual
  • prohibición del incesto
  • posición en la filiación

Bibliographie

  • Barry L. (2008), La parenté, Paris, Gallimard.
  • En ligneBerger F. et al. (2009), Sujets et lien social contemporain, Cliniques méditerranéennes, 79, 279-295.
  • Delaisi de Parseval G. (2004), Les vecteurs corporels du lien filial, Le Divan familial : Homoparentalités et parentalités, 13, 73-81.
  • Godelier M. (2007), Au fondement des sociétés humaines, Paris, Albin Michel.
  • En ligneHurstel F. (2001), Malaise dans la filiation paternelle : que devient la fonction du tiers ?, Filiations II, in Cliniques méditerranéennes, 64, 5-19.
  • Héritier F. (2002), Masculin/féminin II. Dissoudre la hiérarchie, Paris, O. Jacob.
  • En ligneKonicheckis A. (2009), Filiations sensorielles et processus de subjectivation, Le Divan familial, 22, 33-45.
  • Legendre P. (1985), L’inestimable objet de la transmission, Étude sur le principe généalogique en occident, Paris, Fayard.
  • Ortigues M.C. et E. (1986), Comment se décide une psychothérapie d’enfant ?, Paris, Denoël.
  • Razon L. (1996), Énigme de l’inceste, Paris, Denoël.
Anne Thevenot
Professeur de psychologie clinique, psychologue clinicienne
Université de Strasbourg, EA 3071
Faculté de psychologie, 12, rue Goethe, 67000 Strasbourg
22, rue du Gazon
67200 Strasbourg
Line Fabing-Keller
Psychologue clinicienne
6, quai du Maire-Dietrich
67000 Strasbourg
Cette publication est la plus récente de l'auteur sur Cairn.info.
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/11/2014
https://doi.org/10.3917/difa.033.0075
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