CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1L’adolescence suscite une reprise maturative de tout ce qui a marqué la prime enfance et notamment des premières ébauches de l’estime de soi, de la gestion des émotions et des modalités privilégiées d’attachement. Si les bases dans ces différents domaines ont été bien posées, le jeu constitue la tentative d’organiser des expériences anciennes et de vivre des expériences nouvelles, exactement comme pour tout autre jeu (D.W. Winnicott, 1942). En revanche, si ces bases ont été mal posées, le jeu avec les contenus laisse la place à la tentative d’échapper à des angoisses catastrophiques en établissant avec l’ordinateur une relation privilégiée, voire exclusive. Cette situation correspond à ce que j’ai appelé la « dyade numérique » (S.Tisseron, 2006). L’enfant s’enferme dans la tentative d’utiliser l’ordinateur non pas comme un espace de significations symboliques, mais comme un partenaire d’interactions. Il tente avec lui de remettre sur le métier les relations problématiques avec son entourage précoce. Le désir qui l’habite est de s’en guérir, mais le danger est qu’il réduise de plus en plus son monde à son jeu, sans vraiment en tirer de véritable satisfaction, jusqu’à un isolement social qui peut être très grave. L’adolescent entre dans le jeu pathologique, compulsif et répétitif (S. Tisseron, 2008 a).

2La constitution d’une telle « dyade numérique » peut répondre à quatre nécessités : trouver un attachement sécurisé (lorsque l’histoire précoce a été marquée par l’insécurité), maîtriser les excitations (en cas d’excitations précoces excessives, insuffisantes ou inadaptées), trouver un accordage affectif satisfaisant ou enfin incarner l’idéal lorsqu’il a existé des frustrations narcissiques excessives. À chacune de ces situations correspond une approche théorique distincte : J. Bowlby (1969-1980) pour l’attachement insécurisé, P.-C. Racamier (1980) et J. McDougall (1982) pour les mères narcissiques et excitantes, D.-N. Stern pour les ratés de l’accordage affectif précoce et H. Kohut (1974) pour les pathologies de l’idéalité. Et, dans chacun de ces cas, l’approche familiale s’avère utile, ce qui m’a incité à proposer une thérapie familiale aux adolescents joueurs excessifs (S. Tisseron, 2008 a).

3Dans ce qui suit, nous ne nous intéresserons pourtant pas à ces situations que nous avons décrites par ailleurs (S. Tisseron, 2008 b, c, d, e), pour nous centrer sur ce qui se passe lorsque les bases du développement précoce ont été suffisamment bien posées. Ces situations sont en effet heureusement les plus fréquentes, et c’est toujours du côté de la signification symbolique des contenus que le thérapeute doit d’abord s’orienter, la prise en compte de l’existence d’une « dyade numérique » ne devant se faire que dans un second temps, si la première approche échoue. Dans la plupart des cas en effet, l’adolescent aborde de façon structurante les espaces virtuels et utilise les jeux vidéo comme des espaces potentiels (D. W. Winnicott, 1971), notamment en y incarnant des figures de la vie familiale. Ce qui suit est destiné à montrer combien il est essentiel de s’y intéresser lorsqu’on est thérapeute. Le choix que fait chaque joueur d’un personnage – qu’on appelle un « avatar » – et la narrativité où il l’engage sont des repères importants pour comprendre à la fois sa dynamique psychique personnelle et les représentations qu’il se fait de sa famille.

1 – Le petit théâtre des vivants et des morts

4Parfois, le personnage auquel le joueur donne vie est une figure vis-à-vis de laquelle il désire pouvoir exprimer son agressivité. Le jeu des Sim’s est ainsi un espace de projection extraordinaire pour des désirs interdits : on peut faire descendre son enfant – ou un frère ou une sœur – dans la piscine, en retirer l’échelle et le regarder mourir, ou encore démonter l’alerte anti-incendie de la cuisine, faire cuire des beignets par sa mère, et la regarder brûler avec l’huile de la bassine… Ces jeux permettent ainsi de donner libre cours à son agressivité sans courir le risque d’une agression en retour. Mais cette agressivité est aussi une composante normale de la violence fondamentale qui nous habite et qui est une expression des forces de vie (J. Bergeret, 1984). L’enfant découvre dans son jeu que l’agressivité n’est pas seulement manifestée dans des moments de colère, mais qu’elle peut aussi être mise au service d’une activité possédant un but constructif.

5En outre, de tels jeux sont parfois joués en famille, ce qui permet à chacun d’objectiver des fantasmes qu’il aurait bien souvent de la peine à formuler clairement – seuls les petits enfants en sont capables ! – et qu’il présente sous le couvert du jeu.

6D’autres fois, le personnage auquel le joueur donne vie n’est pas une figure vis-à-vis de laquelle il souhaite exprimer sa haine, mais au contraire son affection. J’ai ainsi reçu un jour un jeune homme qui passait ses nuits à piloter un avion de chasse dans la guerre du Pacifique. En fait, ce garçon souffrait d’une relation défaillante à son propre père qui ne s’était jamais occupé de lui… sauf pour l’emmener, une fois par an, au Salon aéronautique du Bourget, assister aux performances des avions militaires ! Ce garçon, au cours de ses escapades virtuelles nocturnes, retrouvait donc le chemin des seuls bons souvenirs qu’il avait avec son père. Il faisait même un peu plus, car tous les autres pilotes de son escadrille étaient des hommes mariés, ayant une vie familiale, à tel point qu’ils s’étaient mis d’accord pour bénéficier d’un jour de repos hebdomadaire ! Le samedi soir, leurs appareils ne décollaient pas pour des combats virtuels. Ils s’occupaient chacun de leur famille, excepté ce jeune homme qui vivait seul, et s’entraînait en solo en rêvant aux retrouvailles du lendemain. Inutile de préciser que le priver de ces parties aurait été catastrophique pour lui, puisqu’il y retrouvait à la fois le souvenir de son propre père, et un contact structurant avec divers pères qui, eux, savaient se rendre disponibles un soir par semaine pour s’occuper de leur progéniture. Là encore, la solution passait par le jeu lui-même. Avant d’imaginer les moyens pour faire en sorte que ce jeune joue moins, il fallait comprendre les raisons de sa passion de plus en plus envahissante, et lui permettre de consolider ses repères paternels dans la relation thérapeutique.

2 – Le retour du moi perdu

7D’autres fois, les créatures des mondes virtuels n’incarnent pas nos proches, mais nous-mêmes : elles sont alors fabriquées sur mesure pour redonner vie à ce que nous avons été. Jocelyne, par exemple, décide à soixante ans d’incarner la jeune fille qu’elle a été quarante ans plus tôt, ou plutôt qu’elle a rêvé d’être. Car rien n’oblige les personnages qui redonnent vie à notre passé de répéter nos erreurs, dieu merci ! Après de brillantes études, Jocelyne avait mis sa vie professionnelle entre parenthèses pour suivre son mari. La créature virtuelle qu’elle se crée dans Second Life ne fait pas la même bêtise ! Elle noue une relation privilégiée avec un avatar masculin, ouvre une boutique de vêtements et multiplie les conquêtes. Inutile de dire qu’un espace qui offre de telles possibilités attire de nombreux adultes : ils y voient l’occasion de faire vivre des aspects d’eux-mêmes restés peu valorisés dans leur vie réelle, voire qui en ont été tenus à l’écart.

8Tout comme ceux qui incarnent nos proches, les avatars chargés de nous représenter nous-mêmes ne le font pas toujours de façon claire. C’est ce qui est arrivé à Gwendoline. Cette adolescente adepte de World of Warcraft avait élu un petit elfe comme avatar. Le personnage ne lui ressemblait guère sur le plan physique, et elle avait pourtant choisi de lui donner le surnom par lequel sa mère l’appelait quand elle était petite, Gidi !

9Or cette mère – que je connaissais par ce que m’en avait dit Gwendoline – était plus préoccupée de sa vie personnelle, notamment amoureuse, que de sa fille. Elle avait même délaissé plusieurs fois celle-ci au point que quelques accidents avaient été évités de peu ! Or Gwendoline avait une façon bien particulière de jouer. Elle ne se souciait que de protéger le petit elfe Gidi, et ce n’était pas toujours chose facile. Car comme la règle du jeu est de faire progresser les compétences de son avatar, celui-ci est sans cesse soumis à de nouvelles épreuves. Au lieu d’engager Gidi à y faire face, Gwendoline le mettait au contraire toujours en fuite. Autrement dit, elle le protégeait sans cesse contre des rencontres supposées dangereuses, alors qu’il faut au contraire les accepter de toutes les façons afin de développer les capacités de son avatar. Mais quand on connaît l’histoire de Gwendoline, cela n’est guère étonnant. Elle protégeait Gidi comme elle aurait aimé que sa mère la protège elle-même. Sa poupée de pixels était la Gidi qu’elle pensait avoir été, tandis qu’elle s’identifiait elle-même à la mère secourable qu’elle n’avait pas eue et qu’elle avait ardemment désirée.

10Freud, dans une formule devenue célèbre, écrivait : « L’hystérique souffre de réminiscences. » Nos poupées de pixels en sont parfois les témoins : elles témoignent, elles aussi, d’un passé « qui ne passe pas ».

3 – Le maître des fantômes

11Le film Il faut sauver le soldat Ryan a provoqué chez beaucoup de jeunes une prise de conscience brutale. Les images d’une violence au-delà de tout ce qu’ils avaient pu imaginer les invitaient à découvrir que leurs grands-pères avaient été des héros. Les films autour de la dernière guerre ont souvent cet effet : la brutalité qui y est mise en scène est initiatique d’une découverte, celle de ce qu’a été la vie quotidienne de quelques-uns de nos aïeux. Cette découverte est bien sûr liée à la qualité du scénario et au jeu des acteurs, mais elle est également inséparable du fait de pouvoir « s’immerger » dans l’action grâce au grand écran et aux effets dolby stéréo. C’est en vivant les sensations et les émotions des combats que les nouvelles générations accèdent à la possibilité de s’imaginer à la place de leurs ancêtres et prennent la mesure des épreuves que ceux-ci ont traversées.

12Les jeux vidéo violents qui se déroulent sur fond de guerre de 1939-1945 – comme Medals of Honor ou Call of Duty – sont utilisés exactement de la même manière. Mais, à la différence que ce qui se passe dans un spectacle cinématographique, le joueur ne vit pas seulement l’action en y participant de façon émotionnelle, il y interagit. Et comme il lui faut souvent du temps pour découvrir comment il doit s’y prendre, il apprend, mieux encore qu’au cinéma, à se familiariser avec ces situations. De là vient le succès, qui n’est plus à démontrer, de l’association entre un film et un jeu vidéo qui confronte aux mêmes situations. Le joueur revient sur certaines séquences du film afin de les apprivoiser et de les assimiler à son rythme. Et si le film et le jeu concernent un événement vécu par des ascendants, leur usage familiarise l’enfant avec cette tranche de leur passé.

13Or beaucoup d’enfants n’ont pas reçu de la part des adultes qui les entourent les mots pour penser les désastres vécus par leurs ancêtres. Ils vivent avec des angoisses qui ne sont pas les leurs : celles de guerres civiles ou familiales, de maladies gardées secrètes, d’avortement, d’abandon ou de trahison. Tant que les enfants sont jeunes, cela ne pose en général pas de problème. Ils acceptent sans trop de difficultés tout ce que leur racontent leurs parents, y compris leurs silences et leurs incohérences. En revanche, tout change à l’adolescence. À ce moment, les jeunes formulent leurs doutes et posent volontiers à leurs parents toutes les questions qu’ils avaient jusque-là gardées pour eux. Et quand leurs questions restent sans réponse – ou qu’ils renoncent à les poser par crainte de provoquer la colère ou le désespoir de leurs parents –, il arrive qu’ils mettent en scène dans la réalité des événements familiaux problématiques dont ils n’ont entendu parler que par ouï-dire.

14Heureusement, la mise en scène du drame secret vécu par un parent ne se fait pas toujours « pour de vrai ». Les enfants explorent parfois ces opacités familiales à travers leurs jeux. J’ai eu ainsi à m’occuper d’un garçon de huit ans qui mettait sans cesse en scène des exécutions dans ses dessins. Il s’est avéré que c’est en effet ce qui était arrivé à son grand-père maternel à la Libération, mais que sa mère lui cachait [1]

4 – Convoquer les disparus

15Aujourd’hui, les nouvelles technologies offrent une possibilité nouvelle : celle de mettre en scène ces situations dans l’univers ludique des jeux vidéo. Dans les deux cas, la logique est la même : il s’agit de rendre visible ce qui ne peut pas se dire afin de s’en donner, malgré tout, des représentations. Parmi les figures ainsi ranimées, il y a parfois celles d’aïeux qu’on n’a pas connus, sauf par la trace qu’ils ont laissée chez nos parents ou grands-parents. Ils correspondent à des drames intimes que nous avons pressentis sans pouvoir en parler, et autour desquels nous nous sommes construit des histoires, belles ou horribles selon les cas [2].

16Gaspard, par exemple, joue sans cesse à World of Warcraft. Mais à la différence de beaucoup d’autres joueurs, il a donné à son avatar un nom qui n’évoque ni la puissance, ni la gloire, mais une simple famille écossaise : « Mac Gregor ». À ma question sur ce nom, il me répond d’abord qu’il l’a choisi au hasard et que cela n’a pas d’importance. Mais la fois suivante, il m’explique avoir soudain réalisé que ce nom est en réalité très important pour lui ! « Mac » signifie « fils de », et son père s’est toujours plaint de ne pas connaître l’identité de son géniteur ! Gaspard avait donc donné ce patronyme à son avatar comme il aurait aimé pouvoir rendre à son père sa filiation en l’appelant « fils de… ». Son choix lui permettait, comme dans un rêve, que son père connaisse enfin ses origines, et d’être lui-même l’acteur de cette révélation.

17Hadrien passe lui aussi beaucoup de temps à jouer à World of Warcraft, et le personnage qu’il incarne est un mort-vivant. Comme les parents sont dans mon bureau avec lui – il s’agit d’un entretien familial –, je leur demande aussitôt s’ils ont encore leurs propres parents. Je cherche en effet à savoir si un deuil a pu marquer l’histoire de leur fils ou la leur. La mère ne fait aucune difficulté pour confier que son propre père est mort pendant qu’elle était enceinte de Hadrien. Et elle en parle avec tant d’émotion qu’il est clair qu’elle n’a guère fait le deuil de ce père ! Hadrien a donc grandi en étant peu ou prou appelé à incarner cet homme qui manquait si fort à sa mère, ou tout au moins à rêver de pouvoir le faire. Le choix d’un avatar de « mort-vivant » s’explique par cette situation particulière.

18Loin de moi, bien sûr, l’idée que jouer avec un mort-vivant soit toujours le signe de la mise en scène d’un tel drame familial ! Dans le domaine de la psychologie, il faut se méfier des généralisations et tout est différent dans chaque cas particulier. Il existe d’ailleurs bien des raisons d’incarner un mort-vivant dans World of Warcraft, ne serait-ce que l’extraordinaire beauté des paysages où ces créatures évoluent. Mais, dans le cas de Hadrien, il s’avéra que ce deuil maternel avait très lourdement pesé sur sa décision. D’autant plus qu’il avait noué une alliance avec un gnome aux allures de nourrisson savant ! Ainsi, les mondes virtuels lui permettaient-ils de figurer, sous forme séparée, les deux personnages que sa mère avait confondus, le mort-vivant qu’elle portait en elle – son père dont elle ne pouvait pas accepter la mort – et son bébé Hadrien. En faisant apparaître côte à côte l’aïeul et le nouveau-né, l’adolescent Hadrien opérait la distinction dont sa mère n’avait pas été capable. En même temps, en objectivant sous ses yeux le grand-père décédé que sa mère gardait vivant en elle, il s’en désolidarisait.

19Ces diverses histoires montrent à quel point les écrans sont devenus l’interface privilégiée entre le monde des morts et nous. La possibilité qu’ils offrent d’incarner les diverses facettes de soi – ce que des auteurs américains appellent nos identités multiples (S. Turckle, 1997) – n’est que leur usage le plus spectaculaire. Bien souvent, ils sont utilisés aussi pour donner consistance à des inconnus dont l’écho nous est parvenu à travers des récits – ou des silences – familiaux. C’est alors en leur donnant vie dans le virtuel que celui qui en est hanté peut s’en libérer dans la réalité. Et cette forme de libération a d’autant plus de chance de réussir qu’elle trouve un témoin qui nomme le défunt et en raconte l’histoire. Faire apparaître les morts sur nos écrans n’est qu’une façon de leur faire dire qu’ils désirent être enterrés. Pour cette seconde étape, il faut le travail d’une parole partagée.

5 – Violence narcissique et violence œdipienne

20La violence mise en jeu dans les contes de fées, les films et les récits initiatiques est le plus souvent de type « œdipienne ». Le héros affronte des monstres, des rois ou des divinités qui représentent des figures parentales, dont il prend finalement les pouvoirs pour devenir adulte à son tour. Certains jeux vidéo mettent en scène cette violence structurante (comme Ico[3], Shadow of the Clossus[4], Fable[5]…) mais beaucoup d’entre eux sont plutôt axés sur une violence qu’on peut qualifier de « narcissique » parce qu’elle consiste à éliminer le plus grand nombre possible de créatures toutes identiques. C’est notamment le cas des jeux qu’on appelle FPS (pour « First person shooter » ou « jeu de tir en première personne »). Les consoles de jeu qui permettent de jouer à plusieurs réintroduisent toutefois la possibilité de « réœdipianiser » – si on me pardonne ce néologisme – cette violence narcissique. Lorsqu’un enfant mesure son habileté dans un tel jeu à celle d’un parent, le décompte des créatures éliminées entre dans un affrontement symbolique et participe à la création de représentations structurantes et à la fabrication des liens. Le jeu devient à la limite un espace de mise en scène des interactions et des enjeux familiaux.

21En conclusion, nous voyons que les jeux vidéo sont des espaces de signification ouverts non seulement sur l’inconscient personnel des joueurs, mais aussi sur les impensés généalogiques de leur famille. C’est pourquoi il est essentiel de s’intéresser aux enjeux représentatifs et narratifs de ces jeux, lorsque leur existence vient à être évoquée, que ce soit en thérapie individuelle ou en thérapie familiale.

22Nous voyons aussi combien le discours sur le jeu s’avère propice à en comprendre les enjeux. C’est d’ailleurs pourquoi vouloir introduire un jeu vidéo dans la relation, comme le préconisent certains thérapeutes (M. Stora, 2006), me semble avoir un intérêt très relatif. En effet, comme nous venons de le voir, lorsqu’un joueur excessif utilise les espaces de jeu comme support de ses constructions fantasmatiques, il est toujours heureux d’en parler. L’important est alors de l’inviter à le faire, et le langage – ou le dessin – sont suffisants pour y parvenir. Quant aux joueurs en souffrance d’interactions satisfaisantes et qui cherchent à se guérir par machine interposée (dont nous n’avons pas parlé ici), signalons seulement que l’important est de leur redonner en thérapie individuelle le goût de l’interaction humaine vivante (je ne parle pas ici de groupes de joueurs excessifs pour lesquels la logique est différente). Et pour cela, le mieux est d’interagir avec eux par le verbe et le corps, ce qui suppose de se trouver face à eux, en vis-à-vis, afin de les voir et d’être vu par eux, et non pas à côté d’eux devant un écran (S. Tisseron, 2008, 1).

23De façon générale, le problème est en fait moins de proposer de soigner les jeunes joueurs excessifs « par les jeux vidéo », que par des thérapeutes connaissant les jeux vidéo. Car dans un domaine où les enjeux fantasmatiques et relationnels avec le produit sont aussi importants, il ne faut pas que le thérapeute soit trop vite dérouté par les allusions, souvent elliptiques, du joueur à ses jeux. Mais il ne faudrait pas laisser croire aux thérapeutes intéressés par ces prises en charge – et aussi bien sûr par les jeux –, qu’il faille équiper leur lieu de consultation en machines dernier cri.

Notes

  • [1]
    Tisseron S., Les Bienfaits des images, Odile Jacob, 2002.
  • [2]
    C’est ce que j’ai appelé les « fantômes » (S. Tisseron, Vérités et mensonges de nos émotions, Albin Michel, 2005).
  • [3]
    Où le joueur doit libérer une jeune princesse dépressive des griffes d’une mère mortifère.
  • [4]
    Où le joueur est invité à tuer des monstres de plus en plus beaux et de plus en plus inoffensifs, de telle façon qu’il finit par se demander à quoi cela sert et qu’il éprouve un sentiment de culpabilité.
  • [5]
    Où le joueur incarne un enfant dont le père a été tué et qui doit délivrer sa mère et sa sœur, et pour cela découvrir peu à peu les pouvoirs qu’il possède au fil d’un parcours initiatique.
Français

Résumé

Un adolescent qui joue aux jeux vidéo mobilise à la fois des images de lui-même et de sa famille, dans le présent et le passé. C’est pourquoi il est très important de s’intéresser à elles, et aux histoires que l’adolescent invente comme un petit théâtre des vivants et des morts.

Mots-clés

  • jeux vidéo
  • adolescents
  • fantasmes
  • famille
Español

El juego vídeo a la adolescencia como puesta en escena de la familia imaginaria

Resumen

Un adolescente que juega a los juegos vídeo moviliza a la vez imágenes de sí y de su familia, en el presente y el pasado. Esta es la razón por la que es muy importante interesarse por ellos, y por las historias que el adolescente inventa como un pequeño teatro de seres vivientes y muertos.

Palabras claves

  • juegos vídeo
  • adolescentes
  • fantasmas
  • familia

Bibliographie

  • Bergeret J. (1984), La violence fondamentale, Paris, Dunod.
  • Bowlby J. (1969-1980), Attachement et perte, Paris, PUF, 1978-1984 (3 tomes).
  • Kohut H. (1974), Le Soi, Paris, PUF.
  • McDougall J. (1982), Théâtre du Je, Paris, Gallimard.
  • Racamier P.-C. (1980), Les schizophrènes, Paris, Payot.
  • Stern D.-N. (1989), Le Monde interpersonnel du nourrisson, une perspective psychanalytique et développementale, Paris, PUF.
  • Stora M. (2006), « Jeu vidéo, un nouvel enjeu thérapeutique » in Tisseron S., Missonnier S., Stora M., L’enfant au risque du virtuel, Paris, Dunod.
  • Tisseron S. (2006), « Le virtuel, une relation », in Tisseron S., Missonnier S., Stora M., L’enfant au risque du virtuel, Paris, Dunod.
  • Tisseron S. (2008 a), Virtuel, mon amour, Paris, Albin Michel.
  • Tisseron S. (2008 b), « Les interactions précoces au risque des jeux vidéo », Psychomédia.
  • Tisseron S. (2008 c), « Les interactions précoces, l’adolescent et le virtuel », Santé Mentale, n° 130.
  • Tisseron S. (2008 d), « Passion et dépendance dans la pratique des jeux vidéo », in NeuroPsyNews.
  • Tisseron S. (2008 e), « Maltraitances infantiles et jeu vidéo à l’adolescence », in Violences conjugales, violences familiales », Paris, In Press.
  • Tisseron S. (2008 f), Qui a peur des jeux vidéo ? Paris, Albin Michel.
  • Turckle S. (1997), Life on the screen, New York, Touchstone Edition.
  • Winnicott D.W. (1942), Pourquoi les enfants jouent-ils ? L’enfant et le monde extérieur, Sciences de l’homme, Paris, Payot, 1997.
  • Winnicott D.W. (1970), Jeu et réalité, Paris, Gallimard, 1971.
  • Winnicott D.W. (1974), « La crainte de l’effondrement », Nouvelle Revue de Psychanalyse, Gallimard, 1975, p. 35-44.
Serge Tisseron
Psychiatre, psychanalyste, thérapeute familial
SFTFP
11, rue Titon
75011 Paris
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Mis en ligne sur Cairn.info le 01/12/2010
https://doi.org/10.3917/difa.021.0027
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