1Nos temps connaissent des métamorphoses familiales. Constat empirique indiscutable qui voit la fin de la famille-modèle au profit de la famille réseau. Et ce sont les métamorphoses historiques et sociales dans lesquelles se meurent aujourd’hui les visages d’une famille définie et présentée en majesté, la famille nucléaire consacrée littéralement en « sainte famille », et où naissent les compositions et recompositions familiales placées sous la bannière fragile de la parentalité. Penser la famille aujourd’hui, c’est ainsi penser davantage des variations du lien – de la monoparentalité à la famille recomposée – qu’une famille substantialisée. Nouvel esprit de famille ! Il y a également, parmi les métamorphoses, le rôle déterminant des sciences et techniques biogénétiques qui bouleversent notre art du comptage de ceux qui sont de la famille [1]. La science et la technique biomédicale à l’œuvre dans les procréations médicalement assistées paraissent – à première vue du moins – en mesure de pouvoir nourrir le fantasme d’une définition objective et incontestable du père ou de la mère. Et l’on feint de croire alors que le lien génétique est l’équivalent objectif du lien généalogique. Métamorphose ontologique enfin selon laquelle la référence à la norme du familial entre en discussion et ne peut plus être assise sur la loi naturelle susceptible de justifier une éthique naturelle essentialiste. Sous l’effet d’une désacralisation de la référence à la Nature liée à la sécularisation de notre monde, la famille naturelle n’est plus nécessairement pensée comme la famille normale, parce qu’il n’y a plus une essence naturelle de la famille qui puisse être érigée en norme.
2Il nous semble que ces métamorphoses sont l’occasion de penser le passage d’une approche dogmatique de la famille au profit d’une approche herméneutique. La famille serait ainsi un interprétant à partir duquel chacun peut se raconter et se penser qui il est dans la filiation. Mais alors, toutes ces métamorphoses ne font-elles pas apparaître, par-delà les changements et les mutations, ce qui fait la consistance irréductible du familial, à savoir la plongée dans le généalogique ? L’hospitalité familiale n’est-elle ainsi une hospitalité généalogique ?
Génération, génétique et généalogie
3Pas d’esprit de famille qui ne prenne corps sans l’expérience de la génération. Pas de générationnel sans engendrement. Ce fait est d’évidence ; il est tellement massif même, qu’il en est parfois négligé, au profit d’une intense valorisation psychologique des liens. Pourtant, il faut bien l’admettre, la toile de fond du familial s’inscrit sur une expérience animale : la perpétuation de l’espèce. Il se trouve en effet que l’espèce se continue et se prolonge en son concept même si les individus qui l’actualisent naissent, changent et meurent. Donnée chronologiquement première et primaire, l’épopée familiale s’inscrit sur le fond d’un renouvellement des générations tel que l’alternance de la vie et de la mort en est le rythme naturel. Ainsi avant le parricide, meurtre symbolique du père, il y a le cimetière des éléphants et leur « mort naturelle ». Logique des places qui fait qu’une génération chasse l’autre.
4Pour autant, les faits biologiques – ici celui de l’engendrement – deviennent chez l’homme une réalité biographique, écriture du familial qui donne d’interpréter ce qu’est être un homme lorsqu’on occupe la place d’enfant ou de parent. Ainsi le petit devient-il un fils ou une fille, et le géniteur ou la génitrice, un père ou une mère. Fils ou parent ne sont plus des faits mais des significations accordées à ces faits. Par conséquent, si l’engendrement est chronologiquement premier, il ne s’ensuit pas qu’il le soit logiquement. Là s’arrête le discours des éthologues appliqué à la famille humaine. Pour l’homme, si l’engendrement est de l’ordre d’une constitution naturelle – d’une complexion aurait-on dit hier –, l’affiliation est par contre d’institution. Par exemple la naissance est toujours dans notre culture juridique l’institution d’un état civil. L’enfant qui n’est pas déclaré n’« existe pas ». Être reconnu comme fils revient à être engagé dans la sphère linguistique des échanges de parole (à commencer par l’attribution du prénom et du nom dans la désignation), c’est-à-dire à ce qui l’institue comme sujet (de droit). Cette institution du sujet humain en tant que sujet se nomme la généalogie. Antériorité du biologique certes ; mais autorité ou précédence du généalogique. Mutation des réalités alors, telle que la naissance génétique est reprise, assumée et déployée comme naissance généalogique [2]. L’étymologie du mot « généalogie » est ici éclairante [3], tant elle mêle le biologique, le social et le familial, empruntant à l’imaginaire de la mine (la souche et l’extraction) l’idée que la généalogie impose de reconnaître une géologie du lien familial. La grandeur de l’humain se dit dans la profondeur généalogique du lien. Il y a là une piste qui permet d’expliquer davantage en quoi une thérapie familiale psychanalytique explicite ce que signifie l’idée d’une psychanalyse comme une psychologie des profondeurs (deep psychology).
5Le généalogique institue. Ceci se dit et se comprend en deux sens : d’une part, il inaugure une logique des places selon un principe générationnel qui permet de donner à chacun une place ; d’autre part il ordonne au point d’imposer un ordre qui réglemente, et régule, assignant à chacun sa place. À partir de là, il apparaît que l’esprit de famille est essentiellement généalogique. Par-delà ses compositions qui varient dans l’espace comme dans le temps, il n’en reste pas moins que la famille institue la filiation, au point qu’il est possible de parler d’un véritable invariant généalogique.
Sens et portée de l’hospitalité familiale ?
6L’expérience de la filiation décline, sous les auspices de l’hospitalité familiale, la dialectique du même et de l’autre. En famille, les mêmes – l’inimitable air de famille – sont en même temps irréductiblement des autres – inquiétante étrangeté dirait Freud. En effet, le propre du familial se tient là dans cette manière spécifique d’orchestrer la continuité du même sous la discontinuité générationnelle de l’autre. Plus qu’au rapport modèle-copie, c’est à la capacité de faire vivre la différence en harmonie avec la ressemblance que tend donc le lien familial. Car, si d’un côté il y a bien dans la famille une sorte de triomphe du Même [4] dans la mesure où l’enfant peut s’entendre comme le prolongement de ses parents – y compris ou jusque dans le fantasme de la duplication qui consiste à penser que « faire un enfant c’est se reproduire » –, il y a simultanément d’un autre côté une acceptation de l’altérité, telle que l’enfant qui vient est toujours un enfant qui survient, au sens où il bouleverse nos petits arrangements, nos projets et nos projections.
7Pour autant, cette tension de la ressemblance et de la différence se décline, avec le lien de filiation, sur le mode généalogique. Telle est la singularité du généalogique que de donner sa densité temporelle et existentielle – le passage de relais d’une génération à une autre et la transmission – à l’opposition logique du même et de l’autre. Toute la problématique familiale est bien là, tendue entre la tentation de l’indistinction – courir après la ressemblance dans un appétit de similitude rebelle sinon hostile à toute différence, aussi minime soit-elle – et l’échec de la revendication différentialiste pour laquelle l’unité familiale est dissoute dans l’incapacité à faire corps ou solidarité, tant l’autre est affiché dans sa différence, laissant chacun aller où il veut, littéralement dé-lié.
8Quel sens convient-il alors de donner à l’hospitalité familiale ? Cette question est d’autant plus redoutable que l’hospitalité est porteuse d’une ambivalence fondatrice. Telle est l’équivoque que maintient le latin Hostis. Mot qui livrera du côté de son attention à l’autre reconnu pour lui-même tout le lignage de l’hôte, de l’hôtellerie, de l’hôpital jusqu’à l’hospitalité. Mot qui livre aussi dans la crainte de la différence et de l’étranger toute la polémique et l’agressivité dont est chargée l’hostilité. Telle est bien alors, dans cet entre-deux, l’ambition de l’hospitalité familiale que de rendre compatible la similitude avec la différence pour permettre à chacun de se raconter, de se reconnaître et de se vivre dans la demeure généalogique. Or ceci ne va pas sans une dynamique des échanges (histoires de familles), pour ne pas parler à l’extrême, d’une lutte pour la reconnaissance (familles à histoires, jalousie et frères ennemis).
9L’hospitalité familiale est ainsi porteuse et habitée – tout au long de sa longue histoire et de sa sociologie [5] – par cette tension constitutive. De la sorte cette hospitalité peut avoir tendance à exhausser la fabrique d’une identité hostile à toute présence de l’autre. C’est de cette idée dont est porteuse la figure de ce que l’on nomme la « famille naturelle », et c’est ce qu’illustre le triste sort qui fut réservé aux enfants naturels. La réification du sang, la mise sous tutelle de la famille sous l’autorité théologique de la loi naturelle en sont les manifestations. Telle est ici l’influence d’une théologie d’influence platonicienne mobilisée autour d’une conception d’une divine paternité absolument transcendante et pour laquelle les enfants sont des reflets le plus possible pensés à l’image et à la semblance du père. Sur ce point, Pierre Legendre montre bien comment la théologie médiévale a inspiré le droit canon pour, contre une filiation par affinité (le droit romain et la filiation adoptive), développer une filiation selon les lien du sang [6]. Inversement, si l’on peut dire, notre propre modernité est plutôt sensible à la dimension hospitalière de la famille pensée comme accueil de l’autre dans son irréductible altérité. Telle est ici la place que prend la thématique développée par Emmanuel Lévinas sur la vulnérabilité du visage de l’autre, faisant de la famille l’espace vécu de l’expérience d’être « otages de l’autre ». La veuve et l’orphelin deviennent ici les figures marquantes d’une disponibilité à la fracture-effraction de l’autre qu’est l’enfant dans notre monde. C’est cette idée que développe, à la suite de Lévinas, Jacques Derrida dans sa réflexion sur l’hospitalité. Il y a là aussi une théologie sous-jacente, celle du Premier Testament, qui fait de la divinité l’être radicalement autre et dont toute la nature consiste précisément en cela. Il s’en suit que l’hospitalité, pour Derrida, sera essentiellement une disponibilité à une radicale altérité. L’hospitalité absolue exige que j’ouvre mon chez moi et que je donne non seulement à l’étranger (pourvu d’un nom de famille, d’un statut social d’étranger, etc.) mais à l’autre absolu, inconnu, anonyme, et que je lui donne lieu, que je le laisse venir, que je le laisse arriver, et avoir lieu… Donne-t-on l’hospitalité à un sujet ?… Ou bien l’hospitalité se rend-elle, se donne-t-elle à l’autre avant qu’il ne s’identifie, avant même qu’il ne soit (posé comme ou supposé) sujet, sujet de droit et sujet nommable par son nom de famille, etc. ? [7] Il est tout à fait possible à partir de là d’élaborer une interprétation de l’espace familial compris comme celui qui développe une hospitalité radicale, donnant un lieu à l’enfant et permettant à sa naissance d’avoir lieu. Ainsi en est-il de cette marque hospitalière proprement humaine qui s’initie avec l’attribution du nom et l’affiliation à une généalogie. On pourra objecter toutefois que cette conception radicale de l’hospitalité délaisse la part active des sujets que sont parents et grands-parents, c’est-à-dire néglige étrangement l’importance mobilisatrice du désir.
10C’est pourquoi nous proposons de penser l’hospitalité comme une tension maintenue vivante entre les deux pôles que sont d’un côté l’extériorité radicale (Lévinas, Derrida) et de l’autre le principe de ressemblance (Du platonisme jusqu’à la position actuelle du magistère romain d’inspiration thomiste). Il y a bien dans le désir d’enfant et le recueil généalogique une part d’assimilation, toujours tentée par l’indistinction et la confusion ; mais n’est-elle pas compensée par la dynamique hospitalière ? De ce point de vue, s’il fallait convoquer une théologie de la filiation, les ressources du concept d’incarnation, fondamental dans le christianisme, ont été jusqu’ici insuffisamment exploitées. Dans le Nouveau Testament, en effet – pensons au prologue de l’évangile de Matthieu –, penser l’incarnation du Christ signifie d’entrée de jeu convoquer l’arrière-plan de la filiation et du lignage. L’incarnation prend corps dans une inscription généalogique. L’absolu ne se donne, comme corps et visage humain, que par l’appartenance reconnue à une lignée. Être un homme, être incarné consiste à prendre place dans le comput générationnel, lequel fait toucher à la fois l’historique de chaque génération et l’absolu de l’origine. La thématique de l’incarnation généalogique donne ainsi à l’humanité de quoi tenir ensemble l’absolu et l’histoire. S’il n’y a pas de famille sans racines, ses racines opèrent à la fois une plongée dans les générations successives de nos aïeux, et sondent également la question originaire de la famille primordiale – pourquoi y a-t-il de la famille plutôt que pas, et qui sont de cette famille ? Les racines de l’humain plongent profondément dans l’humus originaire du généalogique.
Le principe généalogique
11Faut-il pour autant s’irriter, ou du moins s’étonner, de cette prégnance du discours théologique, en arrière-plan de ces réflexions sur le généalogique ? Tout cela n’est pas aussi surprenant qu’il y paraît, dans la mesure où le généalogique sonde l’énigme de l’origine, interroge la fondation ultime. Il formule là le problème de la Genèse plutôt qu’un problème de génétique. Le principe généalogique [8] sonde la question de l’originaire, laquelle ne se confond pas avec celle du commencement. Parce que le généalogique assume de front cette blessure originaire, il relègue comme superficiel le dépistage génétique du commencement qui n’est, somme toute, que l’objectivité aliénante de l’antécédence génétique ou de l’hérédité [9] qui se prend illusoirement pour une saisie de l’origine. Comprenons alors que le principe généalogique est cet universel présent sous toutes les variations familiales imaginables et pour lequel être un homme c’est être un fils, c’est-à-dire se reconnaître et être reconnu dans un lignage.
12On peut préciser encore ce qu’il faut entendre par principe généalogique ou par l’inscription généalogique, en rapprochant tout d’abord deux formules. La première est de Derrida : le droit à l’hospitalité engage une lignée [10]. Elle suggère que l’humanité de l’enfant ne peut être constituée qu’en ayant pu être inscrite dans le temps et dans l’espace, qu’en prenant place dans une lignée. L’entrée dans la famille suppose la conquête reconnue de cette perspective sur soi, sur les autres et sur le monde qu’offre le promontoire généalogique. La seconde formule est du juriste et psychanalyste Pierre Legendre qui suggère que la généalogie est un habitat [11]. La généalogie pensée comme demeure – entendue aux deux sens du mot, c’est-à-dire comme abri des rêveries constituantes et comme ce qui persiste et résiste dans le temps – peut ainsi être analogiquement référée à l’imaginaire spatialisant de la maisonnée. La maison familiale (maison de famille) devient alors pensable comme repère et repaire. Alberto Eiguer dans son dernier ouvrage [12] met d’ailleurs l’accent sur cet imaginaire structurant de l’habitat, affirmant que la maison est le corps des parents, prolongeant ainsi l’idée de ce que Bachelard appelait une poétique de l’espace. Habitat, la généalogie est aussi une danse, dans la mesure où la succession générationnelle développe une rythmique qui est en même temps une valse des places. À partir de là, que signifie l’idée selon laquelle l’hospitalité familiale est fondamentalement une hospitalité généalogique ?
13Tout d’abord la généalogie a à faire avec l’énigme de la genèse. La généalogie replace l’histoire de chaque famille particulière dans la vaste rythmique qui emporte toute l’humanité. De ce point de vue, il y a là une expérience métaphysique – vertigineuse lorsqu’on y songe, mais on n’y songe guère – qui fait se rejoindre l’histoire d’une famille avec l’histoire de la famille humaine. Pourquoi y a-t-il de la vie et du désir plutôt que pas, de la famille plutôt que pas ? La réponse demeure sans doute injustifiable mais il n’en demeure pas moins que l’hospitalité familiale opère comme une orchestration généalogique du Désir. Il y a dans la généalogie une sorte de célébration de l’origine. De la sorte, elle nous fait toucher du doigt l’injustifiable du don et du désir, pointant que l’on ne rend pas ultimement compte d’une Origine. C’est donc là une manière de répondre au fantasme de l’auto-engendrement en découvrant que je ne suis pas le principe de mon propre commencement.
14Ensuite la généalogie remet à sa juste place la part du génétique. Contre tout réductionnisme matérialiste et objectivant, il s’agit ici d’affirmer que le lien généalogique excède le lien génétique. Il y a un matérialisme du gène qui triomphe aujourd’hui, du moins dans les esprits sinon dans la pratique de la médecine génétique, lequel est sans doute une réponse, en matière de filiation, à la tentation du « tout psychologique ». Le génétique redonne à la biologie sa place et il ne s’agit pas de la sous-estimer, bien au contraire. Mais cela dit, l’illusion du génétique consiste à croire que l’on peut se dispenser de l’inscription généalogique pour penser la filiation. Bien au contraire, la génétique pose de nouveaux problèmes de comptage pour définir ce qui fait l’esprit de famille. Elle se fourvoie lorsqu’elle pense court-circuiter le comptage par un discours du dépistage, au nom d’une sacralisation du matériel génétique devenu matière réifiée, sorte de sacralité du gène sans sacré. La généalogie transmet un héritage, la génétique une hérédité. C’est tout autre chose. Ceci d’ailleurs amène à ajouter que le généalogique objecte au génétique que l’on ne « fait » pas un enfant ni même une famille en laboratoire, parce qu’il a précisément dans le généalogique quelque chose (l’injustifiable du désir et de la vie) qui résiste à une logique de la fabrication.
15Enfin la généalogie donne à penser les relations entre générations dans leurs discussion/confrontation autour du conflit conserver/innover. Le principe généalogique opère une plongée verticale dans le temps. Ce qui revient à dire que la généalogie rappelle que ce qui se joue dans le familial est de l’ordre de la transmission et pas uniquement de la communication. C’est là que la thérapie familiale psychanalytique a son mot à dire face à la multitude effervescente des psychothérapies, pensons par exemple à l’analyse transactionnelle. Ces dernières nous font oublier que la transmission n’est pas la transaction. La première se décline à la verticale du généalogique – pensons à la psycho-généalogie par exemple –, tandis que la seconde se développe à l’horizontale des échanges et de la communication. La transmission généalogique qui relève du langage des héritages prend en compte le renouvellement des générations (la place et le rôle que jouent aujourd’hui les grands-parents dans la transmission familiale en est aujourd’hui une belle illustration). Il y a là une logique des places qui sort de l’indistinction et de la confusion. Généalogiquement chacun a sa place et a droit à sa place. C’est ce qui donne aussi un visage nouveau à ce que Freud appelait le parricide. « Pousse-toi de là que je m’y mette » n’est-ce pas là l’enjeu du conflit généalogique ? Ainsi les plus anciens, figure de l’immémorial, veulent-ils conserver le monde là où les plus jeunes sont porteurs de l’énergie des commencements, au nom des espérances.
16Les métamorphoses familiales d’aujourd’hui ne remettent-elles pas au travail la valeur structurante du généalogique – dialogue des vivants et des morts, des aïeux et des nouveaux venus ? Le principe généalogique, révélant la part de la transmission dans la famille, fait ainsi découvrir que la confusion que connaît aujourd’hui une parentalité pensée uniquement en termes de bonne ou de mauvaise communication dans les liens familiaux est due à une crise de la transmission. Faire vivre le cœur de la respiration familiale revient donc, d’abord et profondément, à donner sa place au généalogique, étant attentif certes à ce qui est communicable, mais également à ce qui est transmissible.
Notes
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[1]
« À qui un enfant devra-t-il désormais dire “maman” ? – à celle qui a fourni le noyau, “la mère génétique” ? – à celle qui a fourni l’ovule, la “mère ovulaire” ? – à celle qui a assuré les neufs mois de gestation, la “mère utérine” ? – à celle qui a donné les premiers soins, la première nourriture, la “mère nourricière” ? – à celle (ou celles) qui a (ou ont) apporté le regard décisif, celui qui reconnaît, celui qui manifeste un amour assez puissant pour engager sur le cheminement paradoxal qui de l’objet fait un sujet, la “mère éducatrice” (c’est-à-dire étymologiquement celle qui nous a conduits hors de nous-mêmes) ? » Albert Jacquard, Abécédaire de l’ambiguïté, Seuil, 1989.
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[2]
Cette remarque est d’importance au temps du triomphe du génie génétique et de la recherche du « gène de la paternité ». Nous y reviendrons ci-dessous.
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[3]
En effet à partir du verbe grec gignomai sont formés aussi bien les substantifs genos (origine, descendance, race, sexe), gonè (descendance, sperme, parties génitales, gonade, gène et génétique) et genea (extraction, souche, lignée, généalogie).
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[4]
« Être père est comme se regarder en un miroir pour se voir au moins en double, même en une infinité d’images possibles, issues du même modèle. De là vient sans doute l’un des mobiles fantasmatiques universels des pères, qui est d’être fécond pour mieux s’affirmer dans son identité, pour transmettre leurs modèles aux autres issus de lui, pour assurer le triomphe du Même, la fidélité à l’original ». Nous soulignons. Jean-Jacques Wunenburger, Paternité et filiation, Ombres et lumières d’une symbolique politique, Revue Esprits Libres, n° 4, printemps 2001, p. 14.
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[5]
Voir pour développer cet aspect d’une socio-histoire de la famille le livre de Rémi Lenoir, Généalogie de la morale familiale, le Seuil, 2003.
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[6]
La scolastique a trituré et mis à profit le capital romain, en conservant et en simplifiant parfois le vocabulaire, donnant à entendre en quel sens l’Occident travaille la généalogie depuis le Moyen Âge : faire prévaloir le lien du sang dans les transmissions familiales – voyez le concept de consanguinitas pour présenter les Arbres de parenté – et remodeler entièrement la conception antique de la parenté fictive, réorganisée pour devenir un instrument du gouvernement religieux. Leçons IV, op. cit., p. 282.
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[7]
Jacques Derrida, De l’hospitalité, Calmann-Lévy, 1997, p. 29-31.
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[8]
Formule empruntée à Paul Ricœur, Parcours de la reconnaissance, trois études, Stock, 2004, p. 286.
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[9]
Paul Ricœur, Philosophie de la volonté, tome 1, Aubier, 1950, p. 407 sq.
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[10]
Op. cit., p. 27.
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[11]
Leçon IV, L’inestimable objet de la transmission, Étude sur le principe généalogique en Occident, Fayard, 1985, p. 281.
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[12]
L’inconscient de la maison, Dunod, 2004.