CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Je reçois une mère avec son fils âgé de cinq ans. À une de mes questions, elle me répond que le père du garçon, qui a été brièvement son amant, a disparu. Je lui demande si elle parle de cet homme à son fils et elle me répond que oui. Je lui demande encore si elle en a des photographies, voulant par là aborder le type de représentation que l’enfant a de son père. Aussitôt, elle sort une photographie de son sac en me disant : « Oui, bien sûr, il le connaît. » Là-dessus, elle tend la photographie à son fils et lui dit : « Fais un bisou à papa. » Le garçon embrasse l’image tendrement, puis la rend à sa mère qui la remet dans son sac... J’avoue avoir été assez gêné. Que dire à cette mère ? Que l’image n’est pas la réalité ? Mais elle le sait bien ! Qu’il ne faut pas embrasser les images ? Mais toute la tradition catholique est imprégnée de ce rite depuis dix siècles ! Que l’enfant va être perturbé d’embrasser une photographie ? Mais est-ce si sûr ?

Un funeste penchant à croire aux images

2Nous aurions tort de penser que, face aux images, nous puissions nous dégager si facilement de croire à la réalité de ce qu’elles représentent. Si nous avons tendance à confondre les images avec la réalité, ce n’est pas par une indéfectible faiblesse. Il y a à cela trois raisons, et chacune correspond à un moment privilégié de notre histoire où nous avons été sauvés d’avoir cru à une image.

3Le premier de ces moments est celui où nous nous sommes constitué une première représentation visuelle de notre environnement et que nous avons décidé d’y croire ; le second coïncide avec la découverte de l’image de soi dans le miroir et la décision de nous y reconnaître ; enfin, le troisième est celui où nous avons décidé de considérer comme vraies les diverses images du monde que notre famille et notamment nos parents nous présentaient comme telles. Et c’est bien pourquoi la famille est si importante dans notre rapport aux images. La première de ces croyances concerne les origines de la pensée, la seconde les origines de l’identité individuelle et la troisième les origines de l’identité de groupe, c’est-à-dire précisément la cohésion familiale.

4Tout d’abord, nous avons tendance à croire ce que nous voyons parce que le désir de savoir, chez l’être humain, est inséparable de celui de se donner des images. Avant les images, nous sommes noyés dans des expériences corporelles, sensorielles, émotives et motrices. Avec les images, aussi bien psychiques que matérielles, nous commençons au contraire à émerger de cet état. Pour le nouveau-né, le désir de se donner une image est ainsi inséparable de celui de sortir de l’indifférenciation première dans laquelle les états du corps sont confondus avec ce qui les produit. Connaître, c’est d’abord se donner une image parce que c’est avec l’image que nous nous constituons un premier écran où la pensée peut advenir. La croyance que les images sont « vraies » est ainsi fondée pour chacun sur une expérience essentielle, l’émergence d’une pensée qui ne soit plus enfouie dans le corps, mais objectivable et reproductible grâce à une image. L’illusion où nous sommes de croire que les images disent la vérité est en quelque sorte un tribut quotidien payé à ce premier service qu’elles nous ont rendu… au risque de nous y faire parfois adhérer sans réserve.

5La seconde raison pour laquelle nous avons tendance à croire les images concerne le narcissisme, et précisément l’image de soi. Voir une image réactive, pour chacun d’entre nous, des enjeux du côté de la découverte de l’image de soi. Se voir entier dans un miroir, c’est se croire entier pour de vrai. C’est pourquoi, quand nous avons découvert pour la première fois notre image unifiée dans un miroir, il a été essentiel pour nous d’y croire. Telle est la seconde raison pour laquelle nous avons un funeste penchant à croire à la vérité des images. C’est en quelque sorte le second tribut que nous payons aux services qu’elles nous ont rendus. Celui qui regarde une image et l’adopte comme vraie a toujours l’illusion de s’unifier à travers elle en surmontant sa division intérieure. Dans le fait de croire aux images, il y a toujours un peu du désir de nous guérir de l’angoisse du morcellement primitif.

6Enfin, la troisième raison pour laquelle nous avons tendance à croire aux images concerne notre adhésion au groupe de tous ceux qui croient ensemble à la même image. Contempler les mêmes images assure d’une sorte de communication virtuelle même en l’absence de toute communication réelle. C’est se sentir participer d’une instance – on pourrait dire aussi d’une force – qui dépasse et enveloppe chacun, presque d’un « mana » au sens où en parlait Freud dans Totem et tabou. Chaque spectateur qui adhère à une image le fait toujours en étant porté par le désir de faire partie de tous ceux qui y adhèrent, soit pour s’y reconnaître, soit pour s’en offusquer. Les images sont en cela une sorte de « colle sociale ».

7Les images que nous voyons n’ont donc jamais seulement des enjeux de signification, elles ont toujours au moins trois autres fonctions à notre insu : elles nous confirment dans l’idée que nous avons eu raison de désirer voir pour savoir, et cela résonne bien entendu avec la curiosité sexuelle infantile qui continue à habiter chacun d’entre nous ; elles nous assurent de notre intégrité narcissique ; et, enfin, elles nous sécurisent sur notre appartenance à un groupe. C’est pourquoi le problème de la confusion entre l’image et la réalité n’est pas seulement un problème d’adhésion « affective » contre lequel nous pourrions nous protéger en « gardant la tête froide ». Il est fondamentalement lié aux enjeux du narcissisme, individuels bien sûr, mais surtout collectifs. C’est pourquoi la famille – et ces « familles » que sont les divers groupes d’appartenance – jouent un rôle aussi important dans notre appréhension des images. Pourtant, aujourd’hui, les images sont, de plus en plus, perçues par les jeunes comme des « constructions » [1].

Une nouvelle relation aux images : la preuve par les tamagotshis

8Dans le demi-siècle qui a suivi la mort de Freud, la quantité d’images auxquelles toute famille est confrontée a considérablement augmenté, mais un bouleversement encore plus important est aujourd’hui en train de se produire : la famille cesse d’être seulement un lieu où on consomme des images pour devenir un lieu où on en produit. En outre, certaines des nouvelles technologies de l’image introduisent dans les familles de nouveaux enjeux de pouvoir. La télécommande de la télévision, par exemple, n’est pas seulement convoitée pour sélectionner un programme plutôt qu’un autre. La « tenir » participe d’une position hiérarchique tout comme le fait de posséder ou non un téléviseur dans sa chambre en plus de celui du salon. C’est pourquoi la révolution qui est en train de s’opérer dans les relations de la famille aux images ne se mesure pas seulement en termes quantitatifs. Il y a plus d’images autour de nous, c’est vrai, mais il y a également une relation différente à elles. La preuve en est que, face aux images, la question principale des jeunes, aujourd’hui, n’est plus : « Qu’est-ce que ça veut dire ? », mais plutôt « Comment ça a été fait ? », ou même « Qu’est-ce que je peux en faire ? » Et ce questionnement les introduit du même coup à une relation aux images différente de celle qu’entretiennent leurs parents.

9Cette évolution a été mise en évidence par une étude menée en Angleterre autour de l’usage que les différents membres d’une famille font des tamagotshis, ces petits ordinateurs de poche évoquant succinctement un animal dont le possesseur doit virtuellement « s’occuper » [2]. Les enfants se sont révélés capables, avec eux, d’une souplesse d’utilisation souvent impossible à leurs parents. Ils y jouaient le temps qu’ils y prenaient plaisir, puis décidaient sans hésitation d’arrêter le jeu et, par exemple, d’enfermer le petit animal virtuel dans un placard. Certains enfants ont même joué à celui qui ferait mourir le sien le plus rapidement possible, montrant bien par là qu’ils ne confondaient pas le réel et le virtuel puisqu’aucun enfant n’a jamais joué à assassiner son lapin ou son hamster – sauf cas de trouble mental avéré ! En revanche, la plupart des adultes ayant reçu un tamagotshi se sont trouvés prisonniers des obligations qui auraient été les leurs si ces créatures avaient été « réellement » vivantes. Ils y ont souvent réagi en se fixant pour tâche, quoi qu’il arrive, de les « nourrir », de les « nettoyer » et d’éviter de les « laisser mourir ». Ils en sont ainsi devenus complètement esclaves ! Ces adultes adoptaient avec ces formes « d’images » que sont les tamagotshis des attitudes totalement inadaptées. Leurs enfants, au contraire, créaient spontanément de nouvelles formes de relation qui ne devaient rien au monde vivant réel.

De la catharsis en famille à la thérapie

10Une théorie parfois avancée pour expliquer la recherche d’images violentes est celle de la « catharsis émotionnelle » [3]. La satisfaction des désirs violents qui habitent le spectateur serait réalisée de manière substitutive à travers les aventures mises en scène dans le spectacle et il s’ensuivrait une sorte de « purgation » sédative : le spectateur serait libéré de tensions psychiques liées à des désirs impossibles à satisfaire dans la réalité. Il est temps de mettre un terme à cette erreur : la théorie de la « catharsis émotionnelle » est, avec celle de « l’imitation des images », l’autre grande impasse où s’est trop longtemps fourvoyée la compréhension de nos rapports aux spectacles violents.

11Remarquons d’abord que pour Aristote, qui a le premier employé le mot catharsis, ce phénomène ne portait que sur la pitié et la crainte et, surtout, qu’il était inséparable de la présence du peuple rassemblé. Pour lui, l’essentiel ne consistait pas dans « l’explosion émotionnelle » de chaque spectateur, mais dans le fait que tous éprouvent ensemble les mêmes émotions et que cela puisse avoir une vertu thérapeutique [4]. Autrement dit, c’est la communion affective avec le groupe qui importe à travers les émotions, les mimiques et les gestes partagés. En ce sens, la catharsis aristotélicienne est à la fois une décharge et une forme de liaison puisque les expériences éprouvées trouvent une traduction dans des sensations, des émotions et des états du corps vécus ensemble. Celui qui éprouve de la tristesse, de l’angoisse ou du dégoût face à des images en relation avec des émotions semblables qu’il a vécues dans sa vie personnelle remet en effet sur le métier ces expériences passées. Et ce n’est pas cette réactualisation qui a un effet thérapeutique, c’est le fait que, à la différence de ce qui a eu lieu dans sa vie passée, il n’y est plus seul : il se sent entouré, porté, et accompagné par ceux qui pleurent ou s’angoissent comme lui. Même si chacun éprouve ses émotions pour son propre compte, chacun se berce de l’illusion de vibrer à l’unisson des autres ! On voit que la catharsis envisagée comme une forme de lien est très éloignée du sens courant qui en fait une sorte de « vidange » d’un « trop plein » émotionnel. L’effet cathartique existe donc bien, mais il est exceptionnel, et, comme nous allons le voir, il est également souvent de très courte durée.

12L’unisson émotionnel correspond en effet à la mise en place de formes sensorielles, émotives et motrices de la symbolisation. Or cette mise en place fait inévitablement appel à des mots pour l’évoquer et évoquer ses causes : chacun, après un spectacle d’images qui l’a bouleversé, se montre désireux de parler de son trouble et, plus encore, des pensées, des souvenirs ou des événements de son passé qui ont été réveillés en lui par le spectacle. Mais, le plus souvent, chacun s’avère plus soucieux de parler de lui que d’écouter les autres. En outre, la loi du groupe amène à prolonger un consensus émotionnel et celui-ci fait obstacle à l’expression par chacun de ce que son expérience a d’irréductiblement personnel. Les spectateurs qui ont partagé l’illusion de vibrer ensemble autour des mêmes émotions ne sont guère enclins à évoquer le caractère éminemment personnel de leurs réminiscences : ce serait perdre tout le bénéfice de l’illusion qui a précédé. C’est pourquoi, sauf lorsqu’une communauté de sensations établie entre divers spectateurs face à un spectacle peut ensuite être prise en relais pour chacun d’entre eux par un échange verbal, la catharsis émotionnelle est de très courte durée et échoue finalement.

13En revanche, le travail engagé par les thérapeutes familiaux passe par les images, mais ne s’y arrête pas. La famille est invitée à évoquer les situations importantes pour elle, mais également les résonances particulières, et éventuellement différentes, qu’elles ont eues pour chacun.

Comment résister à la confusion des images

14Le vrai danger que présentent les images par lesquelles nous sommes de plus en plus envahis porte sur le fait que nous savons bien qu’elles ne sont pas le vrai… mais que nous ne pouvons pas pour autant nous empêcher d’y croire ! Heureusement, à partir du moment où nous avons compris que cette confusion a trois origines, corporelle, narcissique et liée à notre appartenance à un groupe, nous sommes mieux armés pour y faire face.

Réintroduire le «point de vue» dans les images

15Envisageons d’abord comment échapper au pouvoir des images lié à l’adhésion corporelle qu’elles entraînent. Il nous faut y réintroduire le corps, et notamment celui du créateur des images. Savoir par exemple si une image a été fabriquée avec un objectif de 50 mm ou un téléobjectif permet de développer un mode de connaissance des diverses formes de construction qui y ont présidé. De ce point de vue, le meilleur antidote aux pouvoirs aliénants et mystificateurs des images réside heureusement dans la façon dont chacun est invité à créer ou à transformer les siennes avec les nouveaux objets du quotidien, que ce soit un appareil photographique jetable, une télécommande de magnétoscope, un caméscope, un jeu vidéo ou un logiciel de traitement d’images. En engageant le corps et les sens, ces pratiques nous incitent à avoir une pensée critique sur les images, et elles doivent être encouragées.

16En outre, certains enfants ne peuvent parler des images que s’ils commencent à en fabriquer, mais, pour en fabriquer, certains ont besoin de jouer d’abord les séquences d’images qu’ils voient. Ce travail sur le corps dans les images doit passer par la mise en scène corporelle et le jeu de rôle [5].

Repérer et cultiver les failles dans les images

17Envisageons maintenant comment échapper au pouvoir de fascination narcissique des images. La première chose est de comprendre que le pouvoir hypnotique de l’image est d’abord lié au désir du spectateur de s’hypnotiser lui-même. C’est en effet pour lui une façon de surmonter la souffrance narcissique et l’angoisse de l’ambivalence. Pour lutter contre la fascination narcissique des images, il nous faut donc apprendre à reconnaître nos propres souffrances narcissiques, mais ce n’est pas le seul moyen. Un autre est d’apprendre à repérer et accepter les failles dans les images parce qu’elles sont l’image à la fois des failles que nous portons en nous et de celles qui divisent le monde. Dans tout fragment du monde, il y a des remous, des tourbillons, des mouvances et des trajets imprévus, bref du centrifuge et du centripète, et c’est justement ce qu’une image, aussi bien visuelle que verbale, doit s’employer à privilégier. Toutes les images qui n’introduisent pas le jeu du doute portent un risque hypnotique et, inversement, toutes les images hypnotisantes sont des images qui n’introduisent pas le jeu du doute. Ce sont les failles dans l’image qui permettent de déjouer ses pièges hypnotiques. L’image homogène qui soutient porte l’illusion de la personnalité sans ambivalence de son spectateur mais porte aussi le risque du totalitarisme. Au contraire, l’image ambiguë questionne à la fois le monde et son spectateur sur lui-même.

De l’image comme reflet du monde à l’image comme information sur soi

18Le troisième changement auquel les nouvelles formes d’images nous obligent concerne leurs effets de groupe. Seule une pensée individuelle, et même individualiste des images, s’oppose aux risques d’adhésion collective qu’elles suscitent. Mais comment faire ? Tout simplement apprendre à les utiliser comme une source d’information sur soi. Traditionnellement, ce qu’on appelait la « mise en sens » des images désignait leur compréhension « en soi », c’est-à-dire celle de leurs règles de combinaison et d’agencement telles que la sémiotique les a distinguées. Il me paraît essentiel d’appeler aujourd’hui chaque spectateur des images à faire d’elles un moyen privilégié de connaissance sur lui-même. Pourquoi ? Parce que nous risquerons de plus en plus d’être confrontés à des images qui nous bouleversent [6]. Or, de ce point de vue, une image qui malmène son spectateur est une source d’information bien plus importante sur ses zones de fragilité personnelle et les événements de son histoire mal élaborée qu’une image qui fait plaisir et qui, à cause de cela, n’invite pas à questionner ses effets sur nous. Renonçons à privilégier le sens des images « en soi » pour envisager la signification qu’elles ont pour chacun d’entre nous, bref, leur sens « pour soi ». Nous y gagnerons une clairvoyance sur nous-mêmes qu’aucun pouvoir constitué ne pourra nous arracher et qui nous mettra à l’abri de toutes les manipulations qu’engendrent leurs nouvelles technologies ! Et, pour cela, il faut partir des émotions.

19À partir du moment où les adultes acceptent de se confronter aux images qui les inquiètent et essayent de comprendre les raisons personnelles de cette inquiétude, ils deviennent beaucoup mieux disponibles aux angoisses et aux perturbations que vivent leurs enfants face à d’autres images. Le questionnement sur les effets des images sur soi n’est pas seulement une manière de faire des images une source permanente d’information sur nous-mêmes, notre histoire et notre personnalité. Elle est aussi une manière d’introduire une circulation permanente de l’information dans le dialogue familial.

20Prenons un exemple. Un parent a perdu un proche dans des bombardements au cours de la dernière guerre, mais ses enfants l’ignorent. Ce parent risque bien, face à une séquence de bombardements dans un film de fiction, de réagir avec une intensité émotive et des manifestations mimiques et corporelles différentes de celles d’un adulte qui n’a pas vécu cette situation. S’il regarde le film avec son enfant, il y a fort à parier que celui-ci percevra l’angoisse que son parent éprouve. Mais, dans la mesure où il ne se sent pas le droit de lui en parler, il enfermera cette angoisse au fond de lui. À l’origine, cette angoisse n’est donc pas la sienne, mais il la reprend à son compte. Et, en contrepartie, le risque est qu’il décide de garder secrètes ses propres angoisses par rapport à d’autres séquences que son parent, lui, peut juger anodines.

21On voit donc que le choix de nous confronter aux séquences qui nous angoissent pour mieux les comprendre et mieux maîtriser les effets qu’elles produisent sur nous n’est pas nécessaire seulement pour nous en libérer nous-mêmes. Elle est aussi un moyen de tenter de maintenir le dialogue familial autour des images que chacun trouve bouleversantes. Traditionnellement les images nous informaient sur le monde. Cette conception, qui doit beaucoup à l’invention de la photographie et aux débuts de la télévision, n’est plus tenable aujourd’hui. La multiplication des images oblige à les penser non pas seulement comme des sources d’information sur le monde, mais d’abord comme des sources d’information à la fois sur elles-mêmes et sur le spectateur que nous sommes pour elles. Et, dans ce domaine, les relations entre enfants et parents autour des images sont essentielles.

22Pourtant, cela ne suffit pas à soi seul à protéger nos enfants de la fascination des images. Pour éviter que nos enfants ne préfèrent l’image au réel, nous devons leur proposer un réel qui soit autre chose qu‘une image. Je ne fais pas allusion encore une fois, ici, à une pédagogie de l’image, mais aux relations quotidiennes, élémentaires, que nous avons chacun avec nos proches. Pour permettre à nos enfants de préférer le monde réel (avec ses difficultés et ses déceptions) nous devons d’abord nous-mêmes, en tant que parents ou enseignants, commencer à préférer la réalité aux images que nous en avons. À commencer par les images idéales que nous nous faisons de nous-mêmes, de ce que doit être un fils, une fille, un homme, une femme, un parent ou un enfant. Si nos enfants ont l’impression que nous leur mentons ou même que nous nous mentons à nous-mêmes, alors ils pourront être tentés de préférer le monde des images ouvertement menteuses à celui de communications sournoisement menteuses.

Notes

  • [1]
    Sur les raisons de ce changement, on peut consulter mon ouvrage Petites mythologies d’aujourd’hui, Paris, Aubier, 2000.
  • [2]
    Fanny Carmagnat et Élisabeth Robson, « Qui a peur du tamagotshi? Étude des usages d’un jouet virtuel », Réseaux, 92-93, CENT / Hermès Sciences Publication, 1999.
  • [3]
    Cette théorie a été notamment développée par Seymour Feshbach (Feshbach S., « The stimulating versus the cathartic effects of vicariors agressive activity », Journal of abnormal and social psychology, 1961, vol. 63, p. 381-385). Aucune expérimentation ne l’a jamais confirmée.
  • [4]
    Sur cette manière de comprendre la catharsis, de Aristote à Freud en passant par Jacob Bernays, voir « Mimésis ou catharsis», Y a-t-il un pilote dans l’image? (op. cit.).
  • [5]
    Sur cet aspect de l’éducation critique aux images, on peut consulter Enfants sous influence : les écrans rendent-ils les jeunes violents? (op. cit.).
  • [6]
    Je rejoins ici ce que Roland Barthes appelait le « punctum » (La Chambre claire, Paris, Gallimard). Mais Barthes réserve cette désignation au monde de la photographie alors qu’elle me paraît devoir aujourd’hui concerner toutes les formes d’images.
Français

Résumé

La fréquentation des nouvelles technologies conduit aujourd’hui les jeunes à avoir une distance critique plus grande vis-à-vis des images, même si l’être humain est toujours porté à croire en elles. La famille a un rôle important à jouer dans l’apprentissage d’une attitude critique vis-à-vis des images à condition que chacun parle de ses sensations et de ses émotions face à elles, les utilise comme une source d’information sur soi et reconnaisse leurs « failles ».

Mots-clés

  • nouvelles technologies
  • croyance
  • attitude critique
Español

¿ Cómo resistir a la confusión de las imágenes ?

Consejos a las familias

Resumen

El contacto con las nuevas tecnologías conduce a los jóvenes de hoy a une distancia crítica cada vez mayor frente a las imágenes, aún cuando el ser humano tiene cierta propensión a créer en ellas. La familia tiene un papel importante por jugar en el aprendizaje que llevaría a una actitud crítica frente a las imágenes, a condición que cada uno hable de sus sensaciones y emociones frente a ellas, las utilice como una fuente de información sobre sí mismo y reconozca sus « fallas ».

Palabras claves

  • nuevas tecnologías
  • creencia
  • actitud crítica

Bibliographie

  • Abraham (Nicolas) et Torok (Maria) (1978), L’écorce et le noyau, Paris, Flammarion.
  • Anzieu (Didier) (1981), Le corps de l’œuvre, Paris, Gallimard.
  • Anzieu (Didier) (1985), Le Moi-peau, Paris, Dunod.
  • Anzieu (Didier) et coll. (1987), Les enveloppes psychiques, Paris, Dunod.
  • Anzieu (Didier), « Les signifiants formels et le Moi-Peau », in Les enveloppes psychiques.
  • Kohut (Heinz) (1974), Le Soi, Paris, PUF.
  • Tisseron (Serge) (1987), Psychanalyse de la bande dessinée, Paris, PUF (Rééd. Flammarion, 2000).
  • Tisseron (Serge) (1995), Psychanalyse de l’image, des premiers traits au virtuel, Paris, Dunod (nouvelle édition, 1999).
  • Tisseron (Serge) (1996), Nos secrets de famille, Histoires et mode d’emploi, Paris, Ramsay.
  • Tisseron (Serge) (2000), Petites mythologies d’aujourd’hui, Paris, Aubier.
  • Wallon (Henri) (1970), De l’acte à la pensée, Paris, Champs Flammarion.
Serge Tisseron
Psychiatre, psychanalyste ancien président de la Société de thérapie familiale psychanalytique d’Ile de France
11, rue Titon, 75011 Paris
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 02/04/2012
https://doi.org/10.3917/difa.007.0021
Pour citer cet article
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