CAIRN.INFO : Matières à réflexion
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OUVRAGES RÉCENTS
Penser : plaisir de penser, souffrance à vivre, Paris, In Press, 2020
Vérité, réalité, psychanalyse, Paris, In Press, 2019
En scène au psychodrame, Toulouse, Erès, 2018
Freud (avec Sylvain Missonnier), Cahiers de l’Herne, Editions de l’Herne, 2015
Le complexe d’Œdipe (avec Michèle Perron-Borelli), Paris, PUF, 2016, coll. « Que sais-je ? ».
Dictionnaire international de la psychanalyse (sous la direction d’Alain de Mijolla), Paris, Hachette, Littérature, 2005, 2013

1Roger Perron nous a quittés mardi 16 novembre 2021 et ses obsèques ont eu lieu samedi 20 novembre au Crématorium du Père Lachaise. La cérémonie a été très émouvante et chaleureuse autour de Françoise, sa fille, et Michèle, sa belle-fille qui avaient organisé des témoignages de la famille et de professionnels tout en projetant des photographies de Roger aux différents moments de sa vie. A l’occasion de cet hommage dans Carnet Psy, je voudrai me centrer sur quelques traits saillants de l’enseignant-chercheur et du psychanalyste. Ceux qui souhaitent aller plus en détails pourront lire dans le dossier d’hommage à Roger Perron sur le site de Carnet Psy l’article de J.-Y. Chagnon et visionner la vidéo de mon interview.

Un psychologue evaluateur

2Les débuts de sa carrière sont ceux d’un ingénieur d’étude dans le laboratoire de psychologie de l’hôpital Henri Rousselle dirigé par R. Zazzo et rattaché au CNRS. Au bout de quelques années, il devient chercheur à part entière puis directeur de recherches au CNRS. La caractéristique essentielle de son activité d’alors est d’alterner consultations et activités de recherche. Plus profondément, dans ce double enracinement, Roger Perron va forger une originalité qui ne se démentira pas alors qu’il devient un psychanalyste expérimenté. En effet, il maintiendra tout au long de sa carrière la rigueur de son apprentissage d’expérimentaliste avec Zazzo, Fraisse, Wallon et la sensibilité humaniste d’un clinicien qui connaît bien les limites de l’épidémiologie pour cerner l’unicité du sujet humain.

3C’est précisément cette réputation qui me conduit à le rencontrer alors que je m’engageais dans un DEA puis une thèse. Je souhaitais justement utiliser une méthodologie mixte et c’est vers R. Perron que S. Lebovici m’avait invité à trouver des lumières.

4De cette première rencontre, il y a à dire car Roger Perron m’a surpris. Suite à mon questionnement, je m’attendais à un exposé d’expert et à des indications directives. Rien de cela ne se produit. Avec un art affuté de maïeuticien, Roger Perron me conduisit patiemment à construire ma réponse en répondant à une suite de questions simples et structurantes. Tel l’esclave dans le Ménon de Platon qui invente la géométrie à partir des questions de Socrate, j’ai eu à l’époque le sentiment de « trouver, créer » ma méthodologie mixte.

Un marathonien endurant

5Une telle amorce ne pouvait que déboucher sur une suite et quelques années plus tard nous décidions d’un commun accord de publier un Cahier de l’Herne dédié à Freud (2015). De ce chantier de plusieurs années, c’est l’endurance de Roger Perron qui reste gravée dans ma mémoire.

6Après-coup, cette endurance me semble remarquable car elle n’était jamais obsessionnelle, c’est-à-dire dommageable à la légèreté d’être et à l’humour qui berçaient nos réunions de travail. Le secret de cette endurance dans le plaisir de penser ensemble me semble être la qualité d’anticipation dont faisait preuve Roger Perron. Il imaginait toujours un plan B et même C dans l’hypothèse où notre objectif initial ne pouvait pas être atteint. Tel auteur refusait de participer ou ne répondait pas. Qu’à cela ne tienne !… l’alternative pouvait être envisagée avant la moindre dramatisation. Partager un marathon complexe dans un tel état d’esprit est très confortable et efficace.

7Une fois fini ce gros chantier, Roger Perron me confia qu’en si bon chemin, on ne pouvait pas s’arrêter… et c’est ainsi que le projet de revue Psyché est né. Après un seul numéro, les Cahiers de l’Herne confrontés à une crise financière n’ont pas pu poursuivre… Comme à l’accoutumé, le Plan B n’était pas loin et, grâce à France Perrot, le projet de revue s’est métamorphosé en une nouvelle collection « Psychanalyse vivante » chez In Press. Quatre ouvrages sont parus et l’avenir des deux prochaines années bien anticipé avant la mort de Roger.

Un passeur de la psychanalyse

8En ces temps de crise de la psychanalyse, il y a une qualité de Roger Perron que je souhaiterai mettre en exergue : ses qualités de passeur, de formateur de la psychanalyse. De fait, si on veut véritablement s’interroger sur le malaise actuel de la psychanalyse, on ne peut pas faire l’économie de se demander s’il n’y a pas eu une mauvaise transmission générationnelle qui aurait aujourd’hui sa part dans la compréhension du trouble.

9Roger Perron animait un séminaire dit « Des cas difficiles » à l’égard duquel je me suis beaucoup endetté lors de ma formation. Pourquoi ai-je appris là beaucoup de grimaces pas toujours simples à apprivoiser dans d’autres cénacles plus orthodoxes ?

10Sans doute, car Roger Perron ne s’appuyait jamais sur son expérience d’analyste expérimenté pour instaurer une hiérarchie entre lui et les analystes « en formation ». Face à l’exposé d’une situation difficile, plutôt que de nous « coloniser » avec un discours brillant et démonstratif de son expertise, il nous conviait à une déconstruction rigoureuse et contre-transférentiellement affectée des difficultés rencontrées. Sur la base de cette transversalité groupale, par petites touches questionnantes et encourageantes, il valorisait ici une intuition timide, réanimait là une pensée paralysée et le groupe, sous sa houlette, sortait de l’ornière.

11Pour caractériser le style de l’animation de Roger Perron dans ce contexte, je voudrai risquer l’expression de « tendresse professionnelle ». Le terme de « tendresse » apparaît ici presque comme un chien au milieu d’un jeu de quilles ! Cette tonalité tendre au cœur de la transmission de la psychanalyse était l’apanage original de Roger Perron.

12Tu vas me manquer Roger. Tu vas nous manquer ! Mais, comme justement ta transmission de valeurs essentielles a été réussie, nous allons te commémorer en défendant tes valeurs à notre tour avec endurance et tendresse.

Hommage par
Sylvain Missonnier
Mis en ligne sur Cairn.info le 27/12/2021
https://doi.org/10.3917/lcp.248.0009
Pour citer cet article
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