CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Alain de Mijolla, mon mari et mon compagnon

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1Né à Paris le 15 Mai 1933, Alain avait opté pour des études médicales brillamment réussies mais non sans la nostalgie de la littérature que la rencontre avec la psychanalyse allait lui permettre de retrouver. Son œuvre en porte la trace, en particulier avec ses travaux sur Rimbaud et la question des histoires de famille conceptualisées comme « identifications intergénérationnelles » que cet amoureux du cinéma allait théoriser comme « Visiteur du Moi ».

2Devenu très jeune, psychanalyste titulaire de la Société Psychanalytique de Paris (SPP), Alain s’était attaché à transmettre la psychanalyse dans le cadre de l’Institut de Formation, prenant part aux débats de son institution en marquant son indépendance et son ouverture d’esprit. Il participa au groupe « Confrontations » notamment.

3En 1982, il fonda avec Jacques Caïn « Les Rencontres d’Aix en Provence » réunissant tous les étés dans ce lieu qu’il aimait et dans l’atmosphère du Festival de Musique, des psychanalystes et des auteurs sur des thèmes variés et ayant à cœur d’y inviter des collègues de diverses sociétés. Ces « Rencontres » qui eurent dix ans de vie donnèrent lieu tous les ans à la publication d’un livre collectif publiés aux éditions Les Belles Lettres.

4La toute première de ces « Rencontres » sur le thème « Souffrance, plaisir et pensée » fut aussi l’occasion de la nôtre puisque Piera Aulagnier, qui était invitée mais ne pouvait s’y rendre, m’avait demandé de la remplacer. Rencontre intense et inattendue de deux inconnus qui décida en quelques mois seulement du partage de notre vie à la fois amoureuse, conjugale, familiale et professionnelle qui s’en suivit. Nous allions ainsi passer de la « rencontre » au « être ensemble » de toutes les manières possibles et œuvrer de concert pour la psychanalyse alors en pleine expansion.

5La naissance de notre fils Philippe en 1984 allait renouveler l’intérêt d’Alain pour l’histoire familiale mais étendue cette fois-ci à celle de la psychanalyse et plus particulièrement à celle de Freud. En 1985 fut donc fondée l’Association Internationale d’Histoire de la psychanalyse (AIHP) qui devait durer plus de 20 ans et, au début, publier annuellement ses travaux dans la Revue Internationale d’histoire de la psychanalyse qui eut six numéros.

6Mais en 2000, un nouveau chantier s’ouvrait pour ce passionné de la chose exacte, ennemi des dogmatismes en tous genres : un Dictionnaire international de la Psychanalyse en collaboration avec Bernard Golse, Roger Perron et moi-même, dont il assura pour sa part la dimension historique ainsi qu’éditoriale aux Editions Calmann-Lévy.

7Se remettant après 2005 d’une grave maladie qui avait profondément modifié sa vie et ce qu’il en attendait, Alain de Mijolla revint avec plusieurs livres dans la dernière partie de son œuvre sur ses thématiques principales : l’histoire de la vie et de la pensée de Freud et le concept d’identification. Il intervenait dans de nombreuses émissions-débats pour y défendre, avec l’humour et la combativité qui étaient siennes, la cause de la psychanalyse.

8J’étais avec lui et ses enfants quand il s’est éteint paisiblement à 85 ans à Jeanne Garnier, le 24 Janvier 2019. Il manquera.

9Pr Sophie de Mijolla-Mellor

Admiration et affection

10Je trace quelques lignes concernant notre trajet de rencontres, Alain et moi. Sous l’occasion professionnelle, court le fil d’une amitié assurée, vivante. Officiers à Vincennes, elle commence à table entre les rigolades. Il est interne et me permettra de l’être moi-même en me transmettant son dossier préparatoire. J’en ferais plus tard, avec Michel Neyraut, la base d’un texte de 700 pages d’anatomie physiologie du système nerveux central destiné à préparer l’Internat et au psychiatricat des hôpitaux. Pendant l’Internat entre Sainte Anne et la Salpêtrière, j’ai le souvenir de mon admiration lorsqu’il prenait une parole aisée, raisonnée et exaltée ; plus tard à la Société psychanalytique de Paris (SPP) en savant fort écouté. Peut-on approfondir ainsi les secrets de l’identification, si l’on n’est soi-même parvenu à une certitude calme des incertitudes de la vie ?

11J’ai tenté dans les années 80 de faire avec lui une Histoire de la psychanalyse de l’adolescence lorsque nous créâmes l’Association européenne de psychanalyse de l’adolescence (avec E Laufer et F. Ladame). Nous avons travaillé ensemble, rue de Grenelle autour de la célèbre machine à café, à Plaisir malgré son chien fort actif, à Cabourg aussi, où je le voyais faisant quelques pas sur la « Promenade » tandis que nous nagions avec Sophie et les enfants sous son regard lointain. Son travail d’historien était « si universitaire », que j’ai tenté de créer pour lui un poste de professeur-chercheur associé à l’UFR de Sciences humaines cliniques (Paris 7). Il aurait déposé en bibliothèque le document énorme finement organisé de son Association Internationale d’Histoire de la Psychanalyse (AIHP).

12Je n’ai cessé d’admirer avec affection et quelque jalousie sa tranquillité d’analyste et son humour d’homme harmonieux bien installé dans la vie. Après bien des moments sympathiques à Montparnasse, le bilan ému de nos histoires amoureuses accoudés au bastingage d’un bateau pendant le mariage de Philippe ; jusqu’au dernier coup de fil à la fin de vie.

13Pr Philippe Gutton

Alain de Mijolla, psychanalyste à la Société psychanalytique de Paris

14Je tiens à témoigner au nom de la Société psychanalytique de Paris (SPP) de notre gratitude envers Alain de Mijolla. En dehors de ses travaux personnels sur l’identification – La désertion du capitaine Rimbaud… [1] reçut le prix Maurice Bouvet en 1976 -il a porté un mouvement d’appropriation de leur histoire par les psychanalystes de la SPP, histoire qui pendant la première moitié du XXe siècle est le patrimoine commun de tous les psychanalystes français. Il a su le faire avec cette qualité particulière de savoir unir ses collègues dans le travail comme en a témoigné l’aventure de l’Association Internationale d’Histoire de la Psychanalyse (AIHP) et de sa Revue. Si je n’en faisais pas partie à l’époque, j’ai participé plus tard à cette autre œuvre collective qu’a été le Dictionnaire international de la psychanalyse[2].

15Cette importance pour la psychanalyse de prendre en compte son passé ne s’éteindra pas avec lui : sur le site de la SPP c’est un texte de lui qui raconte l’Histoire de la psychanalyse en France[3], et la Bibliothèque Sigmund Freud[4] offre à tous l’accès aux numéros de la Revue Française de Psychanalyse depuis 1927 grâce à la Bibliothèque Nationale de France. Mémoire d’autant plus précieuse du fait que les archives se sont perdues pendant la guerre. Accessibles aussi à tous aujourd’hui sur le site, les grands entretiens de Marianne Persine avec les pionniers de la psychanalyse, dont bien sûr Alain de Mijolla en 2009 [5]. Plus récemment j’ai eu la joie de mettre en ligne des images de Freud et des premiers psychanalystes français tournées en 1928 par le Dr Lehrman, venu en Europe faire une analyse avec Freud [6]. Mais ici encore, le prolongement de cet investissement pour notre histoire porte la trace de celui qui a su l’initier. Si ce DVD réalisé par la fille de Lehrman était à la Bibliothèque Sigmund Freud (BSF), c’est parce qu’Alain de Mijolla l’avait reçu d’elle et a transmis cette confiance à la BSF, lieu de mémoire psychanalytique qu’il affectionnait. C’est à elle que Sophie de Mijolla-Mellor a transmis les livres de psychanalyse de la bibliothèque d’Alain de Mijolla qui constitueront pour honorer sa mémoire le « Legs Alain de Mijolla ».

16Denys Ribas,

17Président de la SPP

Tous ces dimanches à Plaisir …

18Le Dictionnaire International de la psychanalyse (Concepts, Notions, Biographies, Œuvres, Evénements, Institutions) est paru aux Editions Calmann-Lévy en 2002. Cet ouvrage a été publié sous la direction d’Alain de Mijolla en collaboration avec Sophie de Mijolla-Mellor et en lien avec un comité éditorial dont j’ai eu le plaisir de faire partie en compagnie de Roger Perron et de Jacques Angelergues.

19Entre 2000 et 2002 environ, nous nous sommes retrouvés régulièrement à Plaisir où Alain et Sophie habitaient alors dans une belle maison avec un jardin et un chien loup qui assistait paisiblement à nos séances de travail.

20Le lapin de leurs fils Philippe, lui, demeurait au dehors… Je garde de ces multiples dimanches un souvenir complexe mais finalement, le temps ayant passé, relativement délicieux ! Il existait entre Sophie et Alain une sorte de compétition quant à l’érudition et à la culture psychanalytique, mais cette dynamique s’avérait finalement fort intéressante et stimulante pour nous tous.

21La puissance de travail d’Alain était absolument impressionnante. Rien de l’informatique ne lui résistait, rien ne l’arrêtait, il faisait tout, nous nous sentions une sorte de nains quelque peu empotés à ses côtés ! D’item en item, le dictionnaire prenait corps, les dimanches se succédaient, les après-midis se ressemblaient beaucoup, quelque part nous étions heureux…

22Du plaisir à Plaisir ! Personnellement, c’est là une expérience qui m’a beaucoup appris.

23Amoureux de l’histoire, de l’histoire de la psychanalyse, c’est-à-dire à la fois des psychanalystes et des concepts psychanalytiques, cette passion s’est concrétisée dans la fondation de l’Association Internationale d’Histoire de la Psychanalyse (AIHP) en 1985 et, précisément, dans la réalisation de ce dictionnaire.

24La tâche semblait impossible, mais Alain en rêvait et il y est parvenu. Je suis heureux d’avoir pu l’y aider dans la mesure de mes moyens. Alain de Mijolla se vivait parfois comme un surdoué, et il l’était probablement. On le pensait invulnérable car les années passaient sans jamais altérer sa prestance, sa vivacité d’esprit et l’harmonie de sa personne.

25Il pouvait être dur, il pouvait être tendre.

26Son amour du travail était contagieux. Il était armé pour vivre longtemps encore et sa disparition nous surprend en nous laissant désemparés. Je crois qu’il aura été un modèle pour nombre d’entre nous, et il nous manque déjà.

27Merci Alain pour tout ce que tu nous as appris, tout ce que tu nous a montré, tout ce que tu as impulsé et qui, je l’espère continuera à avoir valeur d’exemple pour les plus jeunes.

28Pr Bernard Golse

Cher Alain,

29Nous nous sommes d’abord rencontrés courtoisement à Confrontations, mais surtout grâce à Sophie, et nous avons immédiatement décelé de nombreux traits communs entre nous : l’amour des livres, surtout ceux de psychanalyse et son histoire, et une grande liberté intellectuelle que j’ai reconnue en toi.

30Aussi, dès que tu as fondé l’Association Internationale d’Histoire de la Psychanalyse (AIHP), tu m’as demandé d’en faire partie comme secrétaire général alors que Sophie était secrétaire scientifique. Cela a favorisé une longue fréquentation de la rue de Grenelle où nous nous réunissions. Puis tu as lancé ton ambitieux projet d’un Dictionnaire international de la psychanalyse et tu m’as chargé des items lacaniens. Tu m’as fait la confiance de me laisser libre du choix des items et du groupe que j’ai réuni dans ce but.

31Ce travail m’a confirmé l’extraordinaire liberté avec laquelle tu avançais dans la vie, ta hauteur de vue face à l’événementiel mesquin qui règne parfois dans notre milieu et cette capacité à associer d’autres personnes, dans l’œuvre que tu as construit inlassablement, avec ton grand amour de la vie.

32Nous avons ainsi été de proches compagnons dans l’amitié, le travail, la joie de la recherche et de la découverte durant une vingtaine d’années dont je garde un fervent souvenir.

33Tu ne pouvais être l’homme d’un appareil ou d’une institution. Tu étais moins soucieux d’allégeance institutionnelle que de qualité et de liberté de penser.

34Merci, Alain, de m’avoir permis de participer activement à tes projets et de m’avoir fait don de ton amitié. Il est rare dans une vie de rencontrer des hommes libres.

35Tu en es un.

36Jacques Sédat

Ma rencontre avec Alain de Mijolla

37Homme de conception et homme pratique, Alain de Mijolla a d’abord formé une équipe puis fait paraître un bulletin qui réunissait les travaux épars des amateurs d’histoire de la psychanalyse. Puis vinrent les Rencontres Internationales et la prestigieuse Revue Internationale d’Histoire de la Psychanalyse, publiée aux PUF qui ne connut que six numéros entre 1988 et 1993. J’ai retrouvé Alain dans son Séminaire, tenu à l’École des Hautes Etudes en Sciences Sociales, en 1995 où il présentait ses propres recherches avec son talent inimitable de conteur d’histoires mais aussi avec son immense rigueur et sa méthode très particulière de contextualisation de chaque information. On pouvait y croiser Paul Roazen ou entendre les premières versions de travaux qui allaient devenir des classiques plus tard, comme les travaux d’Annick Ohayon. Les travaux étaient publiés dans la revue Topique, grâce au concours de Sophie de Mijolla.

38Toute cette activité très fervente a donné naissance à un très grand nombre d’articles et de livres. L’Association Internationale d’histoire de la psychanalyse a reçu le prix Sygourney en 2001, puis Alain en est devenu lauréat en 2004 à titre personnel. Ces rencontres ont favorisé la création d’amitiés à travers le monde comme Ricardo Steiner de Londres, Roberto Goldstein de Barcelone, Ludger Hermanns de Berlin, Harold Blum de New York pour ne mentionner que les plus proches.

39Alain vivra dans notre souvenir.

40Nicolas Gougoulis

Lost … and found in translation

41C’est grâce à la confiance qu’Alain de Mijolla m’a accordée que j’ai pu traduire nombre d’ouvrages fondamentaux pour l’Histoire de la Psychanalyse. Ma formation d’universitaire obsessionnelle convenait tout à fait à l’élaboration d’un appareil de notes d’une extrême précision comme il le souhaitait. Outre des articles et quelques autres ouvrages, je voudrais aussi citer le sous-titrage de nombreux films d’archives et la rencontre avec d’éminentes personnalités du monde anglophone lors de Colloques. Et, bien sûr, la rédaction de nombreuses entrées dans le Dictionnaire publié chez Calmann-Lévy.

42Alain de Mijolla n’a jamais fait œuvre d’historien de la psychanalyse en « solitaire » mais toujours en couple avec Sophie de Mijolla-Mellor, son épouse, elle-même bilingue, et aussi en équipe. Nous avons eu des débats parfois « épiques », mais quel bonheur chaque fois que nous trouvions le « mot juste » validé par cet analyste « titulaire » de la Société Psychanalyique de Paris (SPP), tantôt intimidant, tantôt d’un humour digne de la perfide Albion qu’il ne connaissait pourtant pas autant que moi.

43Alain de Mijolla, reconnaissait à Lacan d’avoir considéré le langage comme un « intermédiaire » entre l’inconscient et le conscient, ce qui nous a permis à tous de traduire aussi des textes révélateurs de l’état des lieux de la psychanalyse américaine et sud-américaine. Je me souviens aussi de la collaboration que Sophie de Mijolla et lui-même eurent des rapports entre « Hitchcock et la Psychanalyse » avec mon frère, Jean-Marc Wieder. Je tiens pour tout cela à témoigner de l’influence d’Alain de Mijolla sur mon setting théorico-pratique à partir des traces de l’Histoire de la Psychanalyse. Qu’il en soit remercié.

44Catherine Wieder

Alain de Mijolla et la rubrique Le temps qui passe

45Depuis 2004, Alain de Mijolla rédigeait chaque mois dans la revue Carnet Psy, la rubrique intitulée « Le temps qui passe ». Cette rubrique a été publiée dans 125 numéros de 2004 à 2018.

46Cette présence de l’histoire de la psychanalyse était essentielle pour la revue et beaucoup de lecteurs nous la réclamaient. Avec mon mari Sylvain Missonnier, nous connaissions Alain depuis les années 1980. Nous avons une grande reconnaissance envers Alain pour son enthousiasme freudien créatif et communicatif et sa fidélité sans faille dans le soutien à notre revue.

47Manuelle et Sylvain Missonnier

Notes

Pr Sophie de Mijolla-Mellor
Pr Philippe Gutton
Denys Ribas
Président de la SPP
Pr Bernard Golse
Jacques Sédat
Nicolas Gougoulis
Catherine Wieder
Manuelle Missonnier
Sylvain Missonnier
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Mis en ligne sur Cairn.info le 06/03/2019
https://doi.org/10.3917/lcp.223.0033
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