JACQUES ANDRÉ, MAURIZIO BALSAMO, CLAUDE BARAZER, FANNY DARGENT, MARIE DESSONS, ESTELLE LOUËT, FRANÇOISE NEAU, Cicatrices de la psychose, PUF, 2016, 133 pages, 14 €
1Dans ce nouvel ouvrage de la Petite Bibliothèque de Psychanalyse des PUF, sept psychanalystes habitués à discuter ensemble s’associent pour réfléchir sur les Cicatrices de la psychose.
2Ils partent de cette image de cicatrice, ni plaie ouverte ni guérison sans trace, pour évoquer de façon saisissante leur clinique auprès de patients dits « psychotiques ». En ouverture, Jacques André, pour le plus grand plaisir du lecteur, prend cette fois, dans le grand récit de l’histoire de la peinture, Van Gogh et ses autoportraits à l’oreille bandée. Qu’y a-t-il entre la cicatrice et la guérison ?
3Aussitôt, les fondements freudiens de la question sont là : Freud parle par exemple de « cicatrice narcissique », mais pas dans le contexte de la psychose. Jusqu’où peut-on donc aller en suivant la piste de Winnicott disant « Ce que la clinique donne à voir est toujours une organisation défensive » ?
4Le livre explore un « fond de la phénoménologie psychotique », et les auteurs s’en approchent ainsi dans les coordonnées du corps et de ses enveloppes cutanées. Car si la cicatrice témoigne d’une effraction, d’un traumatisme, d’une perte de substance, si elle en est la marque restée visible, pour autant elle n’est pas un processus pathologique actif - c’est une trace, mais neutralisée. Seulement, de quel ordre est la réparation, dans le domaine de la vie psychique ?
5« J’ai le sentiment que la psychose est cicatrisée… », dit un psychiatre à propos d’un jeune homme suivi par Estelle Louët. Psychose cicatrisée, psychose cicatricielle ? Où nous conduisent les modèles théoriques que les auteurs nous proposent comme autant d’échafaudages ? Se laissant guider par cette image de la cicatrice, Claude Barazer s’interroge sur ces tableaux cliniques très atypiques et hétérogènes, chez des adultes considérés comme « états-limites », et fait l’hypothèse que ces symptomatologies spécifiques sont la résultante complexe, ou la cicatrisation, d’états psychotiques de l’enfance.
6Autrement dit, l’image des cicatrices de la psychose ouvre le champ large des réponses psychiques à des vécus comme « l’agonie primitive » nommée par Winnicott, ou la « terreur sans nom », nommée par Bion. Les auteurs explorent ainsi, par des voix et voies diverses, le « passé psychotique », ses vestiges, ses fossiles, les traces précoces d’histoires psychotiques (ou de simples « moments » psychotiques archaïques).
7Marie Dessons examine l’idée que les processus psychotiques aient, par eux-mêmes, une fonction cicatrisante sur les ravages des agonies primitives disséquantes. Dès lors, elle peut faire l’hypothèse que des traces d’une psychose infantile portent, paradoxalement, un potentiel de changement. Elle montre en effet un enfant, grandissant, et passant d’une obsession éloignée de toute relation humaine à une autre obsession, apparemment homogène mais en fait interrogeant le corps et ses limites (le corps momifié, les bandelettes, le corps vivant et ce qu’il contient).
8Estelle Louët montre la pertinence de penser en termes de « divisions psychiques » et de « différence sexuelle », et met en lumière, à propos d’un jeune homme, les fixations de la bisexualité où s’enracine toute vie psycho-sexuelle. Cette bisexualité psychique, transportée sur le terrain de la bisexualité génitale, est analysée de façon très éclairante comme, précisément, une cicatrisation de la psychose par les voies de la perversion.

9Maurizio Balsamo s’attache quant à lui à la manifestation traumatique d’une trace relationnelle majeure - c’est-à-dire ce qui persiste, malgré des processus de refoulement ou de retranscription subjective, à signaler une catastrophe originelle dans l’histoire du patient. Maurizio Balsamo, par cet abord relationnel, s’attarde sur les résultats cicatriciels de la psychose parentale ou familiale dans la vie d’un individu. Ces résultats oscillent, dans une grande précarité, entre l’adaptation et la transformation.
10Dans le texte de Fanny Dargent, l’accent est autre, parce qu’elle analyse le processus de cicatrisation comme étant au cœur de l’expérience humaine, du fait des inévitables blessures faites au moi par la constance de la poussée, et le caractère inévitable des renoncements pulsionnels. Cicatrisation et renoncement, remplacement, déclinent des moments théoriques freudiens et des solutions psychiques multiples et significatives. Les cicatrices de la psychose deviennent le guide pour explorer les traces des liens et des identifications aux objets.
11Dans le texte qui referme ce livre aussi éclairant qu’exigeant, Françoise Neau fait l’expérience d’une écriture en réponse à une autre écriture, étrange, de sa patiente. Les cicatrices de la psychose sont donc aussi les sutures par où le fil de l’écriture est passé, à lier des phénomènes élémentaires imposés (la première apparition de la « petite voix » de la patiente), jusqu’à l’émergence, toute transférentielle, d’éclats d’une conflictualité psychique. Ainsi, le transfert, vient « prendre le relais » du délire et fait quelques points de cicatrisation.
12Les auteurs de cet ouvrage allient ainsi l’analyse métapsychologique à une clinique et à un engagement dans la relation aux patients, maintenant leur pari sur les effets de transfert, même quand tout pourrait décourager l’élan thérapeutique.
13Claire Nioche-Sibony
14Maître de Conférences, Membre du Laboratoire « Unité Transversale de Recherche Psychogénèse et Psycho-pathologie » (UTRPP), Université Paris 13
DANIEL OPPENHEIM, Des adolescences au cœur de la Shoah. A travers Appelfeld, Kertész, Wiesel, Éditions Le Bord de l’eau, 2016, 192 pages, 20 €
15Daniel Oppenheim, dans son ouvrage Des adolescences au cœur de la Shoah, propose un regard psychanalytique sur l’expérience des déportés, à un moment crucial de la constitution psychique, celui de l’adolescence. Il pose alors la question des effets ultérieurs sur les choix de vie d’une telle expérience, et des possibilités pour s’en déprendre. Il nous livre ses réflexions autour de neuf auteurs, enfants ou adolescents des ghettos et des camps nazis, constitutives de quatre chapitres, à travers lesquels le lecteur navigue entre récits littéraires et analyses : du « retour vers et dans le passé », avec Kertész et Kulka, en passant par « les ghettos et les camps » avec Becker, Orlev et Hilsenrath, « l’adolescence dans la Shoah » avec Klüger et Tomkiewicz, jusqu’à « se réapproprier son destin et son histoire » avec Appelfeld et Kertész. Enfin, une annexe nous transmet des témoignages d’enfants ayant vécu la Shoah, s’appuyant sur un livre de C. Coquio et A. Kalisky, livrant ici des récits d’une réalité des camps poignante qui fait contre-pied avec la tentative de transformation créative des auteurs précédents.

16D. Oppenheim rend compte de manière heuristique de la liaison créative entre l’auteur, son écrit et le travail psychique inhérent à l’écriture suite à un événement traumatique. L’écriture est à entendre comme un véritable travail, travail de mémoire, de transmission, de catharsis mais aussi travail de transformation de l’écrivain et du monde qui l’entoure.
17L’enjeu de cet ouvrage n’est pas de psychopathologiser ces récits et témoignages, mais véritablement de saisir comment un sujet ayant vécu l’impensable peut se construire, se re-construire suite à cela, et ainsi « mieux comprendre auprès d’eux l’expérience des déportés ». D. Oppenheim plonge le lecteur dans la complexité des enjeux psychiques de ces écrivains, en mettant en lumière comment chacun d’entre eux ont vécu cette confrontation à la barbarie pris dans l’ambivalence des sentiments, la culpabilité, l’effroi, la peur, l’incompréhension, mais aussi la révolte, la combativité et comment ils se sont ressaisis de cette expérience indicible pour vivre dans l’après. Il s’agit bien au fil de ces pages de rencontrer les effets de cette catastrophe sur les adolescents que ces auteurs ont été, et sur les adultes qu’ils deviendront : écrivains, historiens, psychiatres d’adolescents. Le choix d’un style théorique épuré, mais sans concession sur la complexité des enjeux psychiques des auteurs est grandement appréciable. Il en ressort avec plus de force toute la finesse de ces histoires de vie, toute leur singularité, exposée cas par cas dans la plus pure utilisation de la méthodologie psychanalytique.
18Ce livre de D. Oppenheim montre comment cette entreprise de destruction massive de l’humanité a des conséquences persistantes chez les survivants. Outre la culpabilité d’avoir survécu, la déportation marque à jamais le sentiment d’espoir en l’avenir : grandir en ayant perdu l’espoir fondamental en soi et en l’autre, se sentir dépossédé de soi et de sa vie, font voler en éclat la capacité de sollicitude. Chez ceux qui ont été enfant ou adolescent durant la Shoah, l’expérience traumatique semble enclavée. Ainsi, chaque événement est susceptible de faire rejaillir des souvenirs enkystés. D. Oppenheim nous rapporte avec précision comment, pour Appelfeld, un bruissement, une odeur suffisent à le replonger dans la brutalité des camps, dans la détresse et la désaide absolue de cette époque, à jamais gravée dans sa chair, et si difficilement transmissible au monde environnant.
19D. Oppenheim nous invite à cette question : pourquoi ces auteurs ont-il écrit sur leur expérience de la Shoah ? Ecrire pour mettre en sens ? Ecrire pour éprouver la honte que les Allemands ne connurent pas ? Ecrire pour préserver la part enfant de soi, tel que semble le faire J. Becker ? Ecrire pour se reconstruire au travers d’une quête de sa langue, comme une quête des origines ? La langue et le style sous-tendant les opérations de mise en symboles, tentatives de mise en pensée de ces événements chez ces écrivains au travers du corps de leurs œuvres. Ecrire pour ne pas devenir fou, mais surtout pour ouvrir un dialogue avec le père mort et ainsi trouver un chemin à sa culpabilité, comme pour E. Wiesel ?
20Se déploie alors tout au long de cet ouvrage une véritable réflexion sur le travail d’écriture comme processus transformationnel en écho avec ce moment adolescent contraint voire arrêté par le contexte de la Shoah, bouleversant les codes humains, relationnels, générationnels, familiaux, sociétaux. Le lecteur est amené pas à pas à percevoir et comprendre comment l’écriture vient à un moment donné de la vie de l’écrivain se constituer comme une nécessité pour s’approprier, symboliser cet impensable, donner sens à l’insensé de l’événement. L’écriture apparaît alors comme une quête de compréhension de l’événement certes, mais aussi de soi-même, comme une mise en mouvement dans la réalité d’une psyché arrêtée, effractée, afin de reconstruire son identité à la lumière d’un présent éclairé par le passé. L’expérience de la barbarie en annexe, livrant les témoignages d’enfants dans les camps et ghettos, met alors en perspective la force du travail d’écriture chez les auteurs cités, permettant de percevoir qu’il ne s’agit pas de témoignages dans l’abrupt du vécu mais d’un véritable processus créateur, tant dans des enjeux de mise en mots que de mise en forme de ces récits, déployés par les écrivains pour se réapproprier cette expérience de barbarie.
21La réflexion sur ces nécessités psychiques d’écriture recouvre l’analyse centrale dans ce livre de la complexité du processus adolescents chez chacun de ces écrivains. Chaque cas d’écrivain amène à penser les aléas de la construction identitaire et de la traversée de l’adolescence lorsque la déportation survient sur la scène du réel. La situation de catastrophe met à mal le processus de filiation déjà ébranlé par le processus adolescent. Car loin d’abroger l’adolescence, la ghettoïsation et la déportation viennent appuyer sur des points de préoccupation adolescente : la lâcheté des adultes en qui l’adolescent croyait, le sentiment d’invincibilité, le refus de filiation, mais aussi la grande détresse, voire même la culpabilité ou la honte, face à ces mouvements transgressifs. Ce livre pointe comment chacun de ces écrivains a géré cette adolescence troublée, catastrophée : R. Klüger en refusant de donner le prénom de son père à son premier fils, mais aussi en continuant à penser tout au long de son enfermement dans les camps, faisant du refus d’attribuer à la seule déportation les causes de sa détresse ; S. Tomkiewicz où l’écriture est venue tardivement, mais où le travail de psychiatre d’adolescents a été un élément organisateur d’une volonté de se reconstruire post-déportation, comme pour se réconcilier avec une adolescence empêchée par la Shoah.
22Ainsi, cet ouvrage, qui ne se veut pas reprendre de manière exhaustive l’ensemble des récits d’auteurs sur la Shoah, amène à une réflexion riche sur les effets du traumatisme à l’adolescence et sa reconstruction à l’âge adulte. Ce livre, résolument engagé, conduit le lecteur avec force à une interrogation sans concession sur la barbarie et ses effets indélébiles sur ceux qui y ont été soumis. Ce livre nous force à prendre position, à s’interroger sur notre réel. Cette analyse de ce moment adolescent dans le contexte de la Shoah permet d’entendre les processus psychiques sous-jacents à la fois au traumatisme, mais aussi à la remise en mouvement de la psyché. Une perspective y est ouverte pour penser l’adolescence contemporaine, à la lumière non pas d’un événement aussi impensable que celui de la Shoah, mais à travers un contexte socio-économique actuel opérant une perte des repères, de la filiation, de l’idéalité. D. Oppenheim cite R. Klüger : « Auschwitz n’a jamais été un établissement d’éducation, et (…) surtout pas (…) à l’humanité et à la tolérance. Il n’est absolument sorti rien de bon des camps, et il en attendrait une élévation morale ? ». Cette phrase a de quoi nous laisser songeur face à l’invitation de D. Oppenheim de nous interroger sur la barbarie aujourd’hui à partir de ces témoignages de la barbarie d’hier.
23Angélique Gozlan
24Psychologue clinicienne
25Tamara Guénoun
26Psychologue, Maître de conférences, Université Lumière Lyon II
ANGÉLIQUE CHRISTAKI, La musique barbare de l’hallucination, Éditions Hermann, 2016, 103 pages, 22 €
27Dans cet ouvrage, Angélique Christaki se propose d’aborder la dimension hallucinatoire par le prisme de la musique, musique qui a pour particularité de ne pouvoir se mettre en mot et recèle ainsi quelque chose de l’étranger et de l’intraduisible. Par ce biais de la musique et de la musicalité de la langue, il s’agit d’explorer comment se nouent les dimensions du réel et du symbolique, du corps et de la pulsion pour accéder à une parole. L’auteur propose et va déplier tout au long de son texte l’hypothèse suivante : « le mode hallucinatoire est le fonctionnement psychique constitutif du rapport à la réalité langagière ».
28Pour introduire son propos, Angélique Christaki aborde la musique du parler intime par l’exemple de l’accent. Trace du passage d’une langue maternelle à une langue autre, l’accent dont l’étymologie - barbarophono - renvoie à la barbarie et à l’altérité, est cette empreinte indélébile de la morsure de la langue sur le corps. Ainsi, les phonèmes d’une langue, qui ne sont autre chose que la petite musique de la langue maternelle, et, parce que la musique est intraduisible, s’inscrivent dans le réel du corps. Cette première limitation, première castration, opère un nouage de la langue au corps.
29L’auteure s’appuie sur Jacques Lacan pour rappeler que la force de transmission de la langue se trouve à l’endroit de son extrême dénuement, c’est-à-dire à l’endroit où la langue mord ou trébuche. Ce trébuchement a à voir avec la musique et la poésie. Autour de la musique du texte se construit la poétique du dire. La poésie, se fondant sur l’équivoque des mots, fait vivre la langue en introduisant mouvements et glissements du signifiant. Une langue morte serait une langue dans laquelle le signifiant serait figé. La possibilité d’un dire émerge dans ce nouage à la musique de la langue qui borde la morsure du sexuel.
30La musique, dénuée de mot, semble être l’antithèse de la narration, du sens ou de l’explication, mais elle résonne dans le corps. « Elle est passeuse de rien, de ce rien qui tisse l’érotique du corps parlant. »
31Dans la cure analytique, l’inconscient de l’analyste fonctionne comme caisse de résonance. Angélique Christaki file cette métaphore musicale en évoquant le désaveu et le refoulement comme l’écho muet d’une dissonance, signe de la répétition de la violence sexuelle traumatique qui ne peut se mettre en mot.
32Cette violence est évoquée à travers le cas de Kyllian. Cet enfant d’origine cambodgienne est diagnostiqué autiste. Sa famille, ayant vécu la terreur sous les khmers rouges, a connu une époque à laquelle parler se vivait comme une injonction à la dénonciation et comportait un risque de mort. La thérapeute engage alors un travail sur un phénomène qu’elle nomme silenciation, acte de faire passer sous silence. À travers cette vignette clinique, elle décrit comment elle tente d’écrire en pâte à modeler un mot que lui dicte son petit patient. Son écoute, troublée par l’accent, ouvre sur un malentendu qui suscite une violence chez son patient, violence qui lui est adressée et qu’on peut identifier comme un instant de séparation, ou de dé-maternalisation de la langue. Si le chemin de la dé-jouissance engage une perte comme pari, ce pari n’est pas gagné d’avance mais ouvre vers la possibilité de l’introduction du plaisir, qui tel un espace transitionnel, un espace de jeu de langues, pourrait prendre en charge le trop plein de jouissance de la langue maternelle.
33L’auteure poursuit avec la question de l’hallucination infantile. Leur fréquence pose problème en terme diagnostique : sont-elles un exercice normal infantile ou un signe de la psychose ? L’auteure expose comment l’apprentissage de la langue passe par le processus d’hallucination des traces verbales. Le mode hallucinatoire comme fonctionnement psychique originaire fonde ainsi le lien à la réalité.
34Angélique Christaki rappelle que la psychanalyse repère l’hallucination dans le champ du transfert comme le surgissement de l’inattendu, par la réactivation des traces mnésiques, trouvant sa source dans le temps de l’infantile.

35La deuxième vignette clinique de l’ouvrage présente le cas de Juliette, enfant qui entend des voix lui imposant de commettre des vols ou de faire des bêtises. Il s’agit alors pour la thérapeute de définir si ces hallucinations relèvent de l’automatisme mental ou prennent racine dans la sphère transitionnelle d’un lien. Elle nous montre ainsi que les injonctions entendues par la fillette relèvent de la transmission d’un réel traumatique pour sa mère, qui, elle-même enfant, se voyait forcer par sa propre mère de commettre des vols. Ces hallucinations sont donc prises dans un lien signifiant entre mère et fille. « Les hallucinations de Juliette sont une manifestation du réel à l’endroit d’une expérience non symbolisée de la mère mais pas pour autant non symbolisable. Le symptôme de l’enfant a une fonction de transitivité pour la mère. »
36Angélique Christaki revient enfin sur la fin de l’analyse en rappelant la formulation de Sandor Ferenczi pour la définir : quelque chose arrive à épuisement. Au-delà du refoulement qui peut revenir, elle souligne que l’ombilic du rêve relève de quelque chose d’incommunicable, simplement parce que le rêve peut se passer de mot, que la musique de la langue relève d’un réel impossible à articuler et faisant écho dans le corps. Cet incommunicable renvoie à l’ère infantile, avant que l’enfant n’ait les mots pour dire.
37La deuxième partie du développement d’Angélique Christaki ouvre sur la langue comme transmission et lien social. Elle envisage ainsi comment cette langue peut porter une double trahison dans la mesure où le sens se transforme, comme le montre le retour à l’étymologie mais également dans cette idée que le souffle de la langue se perd. La langue est bien ici traitée dans sa dimension de malentendu. De là, l’auteure engage une réflexion éclairante sur l’interprétation en analyse, prise entre poétique, c’est-à-dire ambiguïté de la langue et inquiétante étrangeté dans le sens où elle révèle quelque chose du sexuel dissimulé.
38À travers des vignettes tirées de la mythologie grecque, l’auteure déplie comment des enkystements haineux figent et mortifient la langue. Elle s’appuie sur la figure des Érinyes, qui éveillent haine et sidération, et qui sont transformées en êtres de parole par le biais de leur politisation dans Les Euménides d’Eschyle. Pour que le dire puisse prendre en charge sa propre monstruosité, la parole doit s’enraciner dans une confiance qui peut faire lien, lien de la langue au corps, qui fait également lien social.
39Pour finir, Angélique Christaki identifie le malaise contemporain comme la désaffiliation du dire de sa fonction poétique. Cette désaffiliation désarrime la pensée du corps et fait émerger l’isolement comme symptôme de la modernité.
40Marion Minari
41Psychologue clinicienne
ALAIN BRACONNIER, On ne m’écoute pas !, Éditions Odile Jacob, 2017, 206 pages, 20,90 €
42Pierre Lazlo, célèbre chimiste et écrivain, a consacré de belles pages à la valeur de la vulgarisation scientifique et à l’importance de cet art. Il nécessite selon lui, de la part de l’écrivain, l’art subtil d’ordonner un exposé, la clarté et le « sens de la formule ». Dans notre domaine, Alain Braconnier n’est pas seulement un spécialiste reconnu de la psychopathologie et de la psychiatrie de l’adolescent, de la pratique et de la théorie des psychothérapies psychanalytiques dont il œuvre à l’enseignement grâce à l’APEP (Association Psychanalyse et Psychothérapies) qu’il a fondé avec Daniel Widlöcher, il est un spécialiste de cet art de la vulgarisation scientifique.
43Fidèle aux éditions Odile Jacob, son dernier ouvrage s’adresse à un large public, dans un but de transmission de connaissances scientifiques, psychologiques et cliniques, et dans une perspective d’aide et de transformation, en tant que guide pratique pour « s’aider soi-même », visée importante dans l’offre éditoriale de cette prestigieuse maison d’édition. Comme son titre l’indique, il est consacré à l’écoute et à la compréhension de sa place centrale dans la communication interhumaine. Alain Braconnier s’attache à décrire les mécanismes psychologiques les plus importants de sa mise en œuvre et les enjeux qui en découlent, pour le locuteur comme pour l’interlocuteur.
44Aider le lecteur à mieux comprendre certains aspects concrets de la communication humaine, la souffrance qu’elle peut engendrer, afin de l’aider à « mieux se faire entendre pour mieux se faire comprendre », tel est l’objectif de ce travail.
45L’ouvrage est d’une très grande clarté. L’écriture au service d’un souci didactique constant qui fait mouche, rend la lecture aisée et agréable. Le livre est construit en quatre parties regroupant dix neuf chapitres, auxquels s’ajoutent un bref rappel didactique des points essentiels et des notes et références bibliographiques.
46Le premier chapitre est clinique. A partir d’exemples de clinique pédopsychiatrique, clinique psycho-thérapique et clinique de la vie quotidienne, Alain Braconnier nous décrit la souffrance de ne pas se sentir écouté, quand « la parole est grande et l’écoute petite ». Le deuxième chapitre ouvre à la compréhension des processus en jeu dans les difficultés de communication entre locuteur et interlocuteur. Observer et comprendre ce qui en soi peut faire obstacle à l’expression, inhiber (échecs antérieurs, fragilités, craintes, dépendances…) et parfois installer la conviction qu’on ne sera pas écouté. Repérer et comprendre ce qui chez l’autre, l’interlocuteur, peut constituer un obstacle à l’écoute, comportements et manifestations d’aspects de caractère ou de personnalité. Se dessinent ainsi les contours et les axes de forces de ce qui doit être repéré et compris chez l’autre mais aussi mobilisé en soi pour être bien entendu et bien compris. Les troisième et quatrième chapitres de l’ouvrage s’appuient sur ces axes pour proposer des éléments concrets de guidance et décrire les bénéfices et bienfaits personnels et relationnels que leur mise en œuvre peut produire. Tout au long du chemin de réflexion, les appuis et références théoriques et cliniques sont donnés au lecteur, issus d’un horizon scientifique large (théories de la communication, théories de l’attachement, éthologie, psychanalyse, psychopathologie, psychologie cognitive, littérature etc.)

47Nous l’avons souligné, l’ouvrage s’adresse avant tout à un lecteur « grand public » soucieux de s’informer, de comprendre et de trouver dans cette compréhension et dans les conseils prodigués, matière à se questionner sur lui-même et sur les autres et opérer quelques changements utiles et heureux ; mais il ne manquera pas d’intéresser les cliniciens qui y trouveront une matière utile et féconde pour nourrir une réflexion élargie sur cet objet central de la pratique clinique que constitue l’écoute.
48Antoine Périer
49Psychologue, psychanalyste