1Il a fallu un certain temps à la psychanalyse avant de reconnaître la valeur structurante et protectrice du cadre. Du temps de Freud et des autres pionniers, il était concevable d’analyser ses parents proches (notamment ses enfants), d’inviter ses analysants à dîner, de s’interpréter mutuellement les rêves, etc. L’ignorance des risques d’un tel travail sans filet de sécurité a été comparée à celle des époux Curie au sujet des effets pernicieux de la radioactivité : elle a été à l’origine de nombreux malentendus et de souffrances.
2Ce manque à théoriser a été comblé par les générations postérieures d’analystes qui ont fait couler beaucoup d’encre au sujet de cette question. Elle reste, de nos jours, matière à débat.
3Je tenterai dans cet article d’examiner les diverses formes que prend le cadre selon le modèle théorique du psychanalyste, ainsi que ses conséquences sur le déroulement des traitements. Je commencerai par définir le cadre selon deux axes : cadre versus processus et cadre externe versus cadre interne.
Cadre versus processus
4Classiquement, cadre et processus ont été décrits comme des éléments complémentaires dans une relation d’exclusion mutuelle. Ce qui relève du cadre n’appartient pas au processus et vice-versa. Le terme cadre se réfère alors à l’ensemble d’éléments stables et non significatifs d’un traitement, ensemble qui est estimé muet et dénué de sens. Il s’agit surtout des règles concernant le lieu, la fréquence, les horaires, les honoraires, le dispositif : fauteuil, divan,… A l’inverse, le terme processus est réservé à la partie « noble » de la cure, censée être porteuse de sens et constituer l’arène du changement. Le processus comprend tout ce qui se passe entre l’analyste et le patient. Dans cette optique, le cadre est envisagé comme un élément inerte, alors que le processus apparaît comme la partie vivante et évolutive d’un traitement. Ce dernier constitue dès lors le vrai objet d’étude.
5Dans cette optique, le cadre serait au service du processus et se justifierait dans la mesure où il contiendrait et permettrait le développement et la compréhension de ce dernier. On pourrait le comparer à la boîte de Petri en microbiologie : le cadre agirait comme un support neutre contenant un milieu de culture adéquat à l’expression et au développement du monde interne du patient.
6Cette différenciation très tranchée a été ensuite mise en question. Les notions de contenant et de contenu proposées par Bion (1970) permettent d’apprécier la complexité des relations entre les deux termes. Plusieurs possibilités se présentent :
7- Contenant et contenu peuvent coexister et se tolérer, voire s’enrichir mutuellement. C’est le cas idéal où le cadre agit comme contenant permettant l’épanouissement du processus, alors que ce dernier favorise un déroulement harmonieux des règles propres au cadre.
8- Contenant et contenu peuvent aussi se détruire l’un l’autre: le contenant peut étouffer et stériliser le contenu ; ou bien, le contenu peut traverser de telles turbulences qu’il finit par faire éclater le contenant. Par exemple, un cadre excessivement rigide peut empêcher que certains contenus fantasmatiques difficilement verbalisables ne s’expriment à travers des entorses aux règles ; ou, à l’inverse, un fonctionnement psychique très désorganisé et agissant peut conduire à ce qu’aucune règle ne soit respectée.
9- Finalement, on le verra plus tard, le cadre peut parfois devenir le dépositaire de fantasmes et de conflits (Bleger,1979). Dès lors, loin d’agir uniquement en tant que contenant, il devient un contenu qui demande à être analysé. Dans cette perspective, le cadre n’est plus un moyen de culture inerte : au contraire, il véhicule et permet l’expression des noyaux psychiques particulièrement archaïques.
Cadre externe versus cadre interne
10Il s’agit d’une autre manière d’envisager la problématique du cadre. La notion de cadre externe se superpose ici à celle du cadre décrit précédemment : nombre de séances, disposition spatiale (fauteuil, divan), conditions de paiement, vacances,… L’opposition est alors faite avec ce que l’on appelle le cadre interne qui concerne en particulier l’appareil conceptuel utilisé par l’analyste.
11En effet, on admet aujourd’hui qu’il n’est pas possible d’appréhender une quelconque réalité sans un ensemble plus ou moins complexe de théories préalables, autant explicites qu’implicites. Plus important encore, les outils théoriques dont dispose l’analyste influencent non seulement sa compréhension du processus, mais le déterminent également en partie. Le même patient suivra une voie différente selon l’écoute du thérapeute qui l’accompagne et selon ses interventions. On peut inclure aussi dans le cadre interne certaines caractéristiques spécifiques de chaque thérapeute, telles que sa personnalité, son histoire ou ses valeurs. Cependant, je m’occuperai ici en particulier des modèles théoriques de l’analyste.
12J’en distinguerai quatre que je décrirai dans les grandes lignes tout en précisant qu’ils sont modulés par chaque analyste et parfois combinés.
131- Le premier modèle est fondamentalement inspiré des premiers travaux de Freud (1985). Freud avait suggéré, au départ, de considérer le traumatisme comme l’origine de la maladie psychique. Le névrosé a été victime d’une séduction sexuelle dans l’enfance. L’expérience émotionnelle inacceptable qui en découle a été refoulée dans l’inconscient. Elle y reste enkystée et scindée du reste du monde psychique, c’est-à-dire de ce que Freud appelait « le grand courant des associations ». Dans une version postérieure de ce même modèle, l’accent est mis non tant sur le traumatisme externe que sur des désirs sexuels infantiles de nature inacceptable. Ces désirs sont, dès lors, refoulés dans l’inconscient.
14Le résultat, dans les deux cas, est le même : des représentations inacceptables restent isolées de l’ensemble de la vie psychique du sujet. De cet isolement découle leur impossibilité à être corrigées, modulées, apprivoisées par le contact avec les autres représentations. Elles exercent dès lors, à partir de leur « exil » dans l’inconscient en tant que « corps étranger », une pression constante vers la conscience.
15Cette poussée constante vers la conscience est à l’origine de deux types de phénomènes : d’une part des symptômes, d’autre part des « retours du refoulé » sous la forme de rêves, de lapsus et autres dérivatifs. Le premier phénomène est à l’origine de la maladie, le deuxième ouvre la porte de la guérison. En d’autres termes, tant la psychopathologie que la cure sont comprises selon le modèle du rêve : le refoulé pousse vers la conscience. Du point de vue thérapeutique, on vise la récupération des souvenirs/fantasmes enfouis dans l’inconscient afin de les amener à la conscience. Une fois rendus conscients, ils pourront être « digérés », assimilés à l’ensemble de la vie psychique et cesseront d’exercer leur force pathogène.
16Le cadre externe est aménagé en conséquence : la réduction des stimulations sensorielles et de la motricité (similaire aux conditions du sommeil) a comme fin de ne laisser aux poussées de l’inconscient d’autre issue que la représentation. Le même but est recherché par les préceptes classiques qui sont proposés au patient: l’association libre et l’abstinence. La première vise à favoriser l’émergence des retours du refoulé, sous la forme de pensées parasites ou incidentes. La deuxième prive le patient de la possibilité de réaliser ses désirs dans la réalité, de façon à ne lui laisser d’autres voies que de les penser.
17Deux autres règles classiques concernent l’analyste : l’attention flottante et la neutralité bienveillante. Elle sont la contrepartie des demandes faites à l’analysant et ont pour but de stimuler chez l’analyste un état mental où il peut ouvrir largement ses antennes à toute expression du refoulé, si discrète ou transgressive soit-elle. Dans ce contexte, le cadre externe devra être respecté afin de favoriser les fouilles archéologiques du tréfonds de l’inconscient.
18Quant au cadre interne, il est solidaire du cadre externe proposé et tend à orienter l’esprit de l’analyste vers la récupération des souvenirs ou des fantasmes. Son écoute sélectionnera nécessairement les éléments qui vont dans cette direction. Il cherchera certains contenus : des traces de traumatismes ou de désirs sexuels refoulés.
19Ce type de travail s’adapte particulièrement bien aux dimensions les plus évoluées et symbolisées de l’individu, là où l’analyste peut compter sur les retours du refoulé. Ses risques majeurs sont d’une part l’intellectualisation, de l’autre un travail limité à ce qui a pu être symbolisé.
202- Le deuxième modèle se situe, sur quelques aspects importants, exactement à l’opposé de ce premier modèle freudien. Si la métaphore de ce dernier était le rêve, celle du deuxième modèle, inspiré de Winnicott, renvoie plutôt aux soins maternels. Brièvement résumé, alors que dans le modèle précédent l’accent était mis sur le besoin de récupérer des souvenirs ou des représentations de désir infantile, c’est-à-dire sur une prise de conscience à la fois cognitive et affective, dans ce deuxième modèle, ce qui compte, c’est la possibilité de vivre les expériences qui n’ont pas pu être vécues dans l’enfance.
21L’idée centrale est que l’individu (surtout dans les pathologies graves) ne souffre pas seulement, ni même fondamentalement, de « réminiscences » c’est-à-dire du poids des souvenirs verbaux refoulés découlant de traumatismes d’enfance ou des frustrations de désirs infantiles. Au contraire, le manque se situe à un niveau beaucoup plus précoce et préverbal. Ce manque peut être compris en termes de l’insuffisance de la mère (ou des substituts maternels) à fournir un cadre adéquat au développement de l’enfant.
22La notion d’espace transitionnel décrite par Winnicott (1971) est ici centrale. Le bébé a besoin de trouver, dans l’espace intermédiaire que cette notion désigne, une mère capable de s’adapter à sa toute-puissance, en étant prête à mettre à disposition du bébé exactement ce qu’il cherche au moment où il le cherche. C’est l’expérience du trouvé-créé qui permet à l’enfant de connaître et de s’approprier subjectivement le monde environnant.
23Une fois que la répétition heureuse de cette expérience de toute-puissance a permis au bébé d’établir les bases de sa personne et de sa relation au monde, la mère pourra progressivement le désillusionner de façon à ce que sa toute-puissance puisse être modulée par le contact avec la réalité.
24Pour Winnicott, la problématique de nature plus névrotique, en lien avec le désir, dont s’était beaucoup occupé Freud, intervient à des stades plus évolués du développement. Dans les stades plus précoces, qui sont précisément ceux qui posent problème dans les troubles psychiques sévères, on ne peut encore parler de relation avec l’objet (ce qui implique une certaine notion de son existence séparée), mais plutôt de la capacité à utiliser l’objet (Winnicott,1968,1971).
25Cette manière de concevoir le développement de l’enfant a des conséquences sur le cadre interne de l’analyste. En effet, notre compréhension du développement précoce, de la manière dont on tombe malade, détermine notre conception du processus thérapeutique, c’est-à-dire de la façon dont on peut guérir. Or, selon ce modèle, la tâche centrale du thérapeute, du moins dans les premiers temps, est de s’adapter autant que possible aux besoins les plus régressifs du patient, besoins dont la frustration est à l’origine de la maladie. Le patient pourra alors vivre ce qui lui a manqué, autrement dit, il pourra reprendre son développement à l’endroit où il avait été arrêté.
26L’interprétation, d’importance centrale dans le modèle freudien, perd ici de son intérêt. En effet, puisqu’il ne s’agit plus de récupérer des souvenirs/des représentations, cet aspect de l’activité de l’analyste devient secondaire et même, parfois, nuisible. En effet, pour Winnicott, l’interprétation peut devenir dommageable et empêcher le processus de guérison si elle intervient à un moment où ce n’est pas cela que le patient attend. Elle peut alors empiéter sur l’espace de toute-puissance, d’illusion, nécessaire au développement psychique du patient. Plus récemment, on a décrit ce travail préalable en termes de re-narcissisation.
27En conséquence, en ce qui concerne le cadre interne, l’analyste tentera d’écouter son patient, non pas afin d’identifier les retours du refoulé, mais dans le but de lui permettre de ressentir et de laisser libre cours aux besoins fondamentaux de son Moi. L’association libre, l’écoute flottante n’ont plus le même sens que dans le modèle précédent. L’analyste s’efforcera plutôt de reproduire, dans le cadre de la cure, les conditions supposées nécessaires pour permettre la reprise du développement du patient: écoute attentive des besoins du Moi, respect de la toute-puissance afin de permettre l’épanouissement de l’aire d’illusion suivi d’un désillusionnement progressif qui respecte le rythme de chaque patient.
28Quant au cadre externe, l’analyste qui se situe dans ce modèle prendra garde à ne pas frustrer le patient dans les réalisations actuelles de ses besoins. Au contraire, il se sentira appelé à tenter de les satisfaire, évidemment pas dans leur versant pulsionnel/sexuel (qui de toute manière ne constitue pas, dans ce modèle-ci, la partie la plus importante du travail de l’analyste), mais au niveau des besoins de son Moi : être compris, tenu, sans empiètement ni confrontation. C’est dans ce contexte théorique précis que l’idée d’adapter le cadre à chaque patient prend toute sa valeur. Des entorses mineures au cadre externe peuvent être nécessaires si elles permettent une meilleure adaptation aux besoins du patient.
29Les risques de ce modèle sont tout autre que ceux du modèle précédent : l’on pense que l’analyste qui tente d’agir comme une bonne mère peut plus facilement tomber dans la collusion inconsciente ou dans la séduction mutuelle.
303- Le troisième modèle s’inspire des travaux de Melanie Klein, Bion et, plus récemment, Betty Joseph. Ici, l’effet thérapeutique est censé découler de la réactualisation des fantasmes inconscients dans le transfert, ce qui permet leur transformation grâce à l’interprétation.
31Selon ce modèle, que l’on fasse l’hypothèse que l’individu souffre de traumatismes, de désirs infantiles refoulés ou de manques précoces, dans tous les cas, l’important est la trace que les diverses expériences émotionnelles ont laissée dans son psychisme. Ce qui revient à dire que ce qui compte n’est pas tant ce qui est arrivé au sujet, mais ce que le sujet a fait de ce qui lui est arrivé et qui reste inscrit dans son psychisme.
32Ces traces sont comprises en termes de relations du sujet avec ses objets internes et sont structurées sous la forme de fantasmes inconscients. Ces deux concepts, objet interne et fantasme inconscient, sont intimement liés. Les objets internes sont censés être construits par le sujet comme résultat de la rencontre entre sa propre pulsionnalité et les expériences dites « réelles » de la vie. Quant au fantasme inconscient, il désigne un paradigme relationnel inconscient qui met en scène la relation entre le sujet et ses objets, paradigme qui inclut des motions pulsionnelles, des angoisses et des défenses. Autrement dit, il s’agit de scénarios de complexité diverse qui vont des plus archaïques et proches du corps aux plus symbolisés. Ils incluent une représentation de ce que le sujet attend, éprouve et fait, de même que de ce que l’objet attend, ressent et fait (Hinshelwood R.D., 2000, pp.40-54 et 79-95).
33Chaque sujet est supposé disposer d’un nombre relativement réduit de ces fantasmes inconscients qui sont activés selon les circonstances de la vie et qui colorent fortement son expérience. Les fantasmes inconscients les plus caractéristiques d’un individu influencent ce qu’on peut appeler sa personnalité : ils déterminent la manière dont il perçoit son environnement actuel, la façon dont il ressent et agit, ce qu’il anticipe pour son avenir ainsi que la manière dont il se remémore et construit son histoire.
34La relation entre fantasmes inconscients et réalité dite externe est à double sens : les fantasmes inconscients influencent la manière dont la réalité est ressentie mais, en même temps, les expériences réelles contribuent à les transformer. Cette double boucle est à la base des possibilités thérapeutiques.
35En effet, on pense que l’individu a tendance, dans toutes les circonstances de sa vie, y compris dans la relation thérapeutique, à mettre en acte ses fantasmes inconscients, en faisant de manière à ce que la réalité confirme ses expectatives inconscientes. De ce fait, ses fantasmes inconscients prendront vie non seulement à travers son discours, par ses mots, ses souvenirs, ses lapsus et ses rêves, mais aussi, et même fondamentalement, dans sa relation à l’analyste. L’idée s’ensuit que ces fantasmes inconscients pourront se transformer si l’analyste ne s’accorde pas aux expectatives inconscientes de son patient, s’il n’entre pas en complicité avec ses présupposés inconscients pour, au contraire, les identifier et, par l’interprétation, montrer leur existence et leurs effets.
36De fait, dans ce modèle, la guérison n’est pas censée découler de la remémoration/récupération du refoulé, ni de la reprise du développement personnel de l’individu grâce à un environnement adéquat, mais de la transformation des fantasmes inconscients actualisés dans le transfert.
37En termes de cadre interne, dans cette perspective, l’analyste sera attentif surtout aux variations de ce que le patient met en acte dans la séance. Son travail se centrera de manière très importante sur le transfert. Parallèlement, il analysera soigneusement son contre-transfert afin de comprendre le rôle que le patient attribue à son analyste selon le fantasme inconscient qui est en train de s’actualiser (Joseph B., 2003). A ce sujet, la notion de rêverie de Bion permet de faire un pas de plus : le but de l’analyse ne serait pas tant la récupération des contenus refoulés ou clivés (traumatisme, désir infantile, fantasme inconscient), mais surtout l’incorporation de la fonction alpha, la capacité à penser de l’analyste. Dans cette manière de voir, la psychanalyse ne doit pas se tourner vers le passé, mais vers le présent : il s’agit de permettre au patient de développer sa capacité à gérer ses expériences émotionnelles actuelles à travers le développement de son appareil à penser (Bion W.R., 1970).
38L’interprétation joue ici un rôle fondamental puisque c’est à travers elle que les fantasmes inconscients pourront être explorés. Cependant, et cela est important, ces interprétations ne portent pas uniquement, ni fondamentalement, sur le contenu des paroles du patient, mais sur ce qu’il fait avec son discours. Autrement dit, ce qui compte n’est pas seulement ce que le patient dit, mais comment et avec quelles expectatives et intentions (inconscientes) il le dit. De même, l’analyste n’agira pas de manière à satisfaire les besoins de toute-puissance de son patient, ce qui est censé augmenter les risques de séduction et de collusion inconsciente. Au contraire, il tentera de les identifier et de comprendre avec lui ce qu’il éprouve et ce qu’il en fait. Dès lors, le cadre externe devra être scrupuleusement respecté.
39De manière intéressante, ce modèle amène un changement important dans l’appréciation de l’association libre. Elle était considérée, dans le premier modèle, comme l’une des voies principales permettant le retour du refoulé, l’exemple majeur étant le lapsus. Or, à partir du moment où l’on pense que le patient utilise (inconsciemment) ses mots afin de réaliser un certain fantasme inconscient, en essayant d’influencer son analyste afin qu’il endosse un certain rôle dans l’actualisation de ses fantasmes, la notion d’association libre perd une grande partie de sa valeur heuristique.
40En ce qui concerne le cadre externe, J. Bleger (1979) a décrit la manière dont il peut être le dépositaire des fantasmes fusionnels propres à la partie psychotique de l’individu. Du fait de la stabilité du cadre, ces fantasmes demeurent souvent inaperçus et peuvent s’exprimer violemment lors des ruptures, même mineures, du cadre. Une conséquence importante de cette conception est le besoin d’analyser la façon très personnelle dont le patient investit et vit le cadre qui lui est proposé.
41Le modèle kleinien a été critiqué par son insistance sur le transfert au détriment de l’histoire et de la réalité actuelle du patient ainsi que par l’accent mis sur l’agressivité. Par ailleurs, la tendance à formuler les interprétations en termes d’objets partiels et à s’adresser d’emblée aux supposées angoisses les plus profondes a été fortement critiquée à l’intérieur du champ kleinien et a été, de nos jours, abandonnée.
424 - Le quatrième modèle est le propre des diverses écoles intersubjectivistes. L’accent est mis sur l’idée que la relation analytique est co-construite par le patient et par l’analyste. L’un apporte autant que l’autre de façon que l’interaction aboutit à une construction où les contributions individuelles sont indémêlables. C’est le « tiers analytique » d’Ogden (1994) qui se réfère, non pas à une structure triangulaire de nature œdipienne, mais à la création d’un nouveau champ intersubjectif issu des deux partenaires.
43En conséquence, le cadre interne de l’analyste est radicalement modifié. L’analyste n’aspire pas ici à comprendre le monde interne du patient (ni en termes de souvenirs/représentations de désir ni en termes de fantasme inconscient). Il n’est pas non plus censé fournir un cadre qui autorise le libre déploiement de la toute-puissance du patient. Le but thérapeutique est fondamentalement de construire avec le patient de nouvelles versions de son histoire et des modalités relationnelles plus adaptatives et plus enrichissantes.
44L’idée d’une certaine vérité préalable contenue dans le monde interne du patient et qu’il s’agit de retrouver est relayée par la notion d’un relativisme dépendant du point de vue de l’observateur. On aboutit à une vision très pragmatique : il y a plusieurs vérités possibles. Celle de l’analyste n’est pas plus vraie que celle du patient et n’est bonne que celle qui marche.
45Le cadre classique, autant interne qu’externe, en sera bouleversé. De l’idée d’une forte participation de l’analyste dans l’interaction, s’ensuivent l’impossibilité et l’inutilité de la neutralité de l’analyste. En effet, qu’il le veuille ou pas, l’analyste dévoilera inéluctablement ses idées et ses émotions : autant les avouer sincèrement au patient, conclut Renik (1995) afin de permettre au patient l’expérience d’une relation nouvelle et plus saine. D’une manière générale, on pense ici que les agissements, autant ceux du patient que de l’analyste, sont non seulement inévitables, mais aussi porteurs des interactions inédites à valeur transformatrice. Le cadre externe sera dès lors peu rigide.
46Dans le contexte d’une grande variabilité à l’intérieur de cette école, des notions classiques telles que l’association libre, l’écoute flottante, la neutralité de l’analyste ou le maintien du cadre externe deviennent parfois non significatives. Dans certaines versions extrêmes, les notions de pulsion, de monde interne, de fantasme inconscient, de transfert ou de contre-transfert sont estimées heuristiquement superflues : elles seraient thérapeutiquement inertes, sans valeur pour l’acquisition d’une meilleure adaptation du patient. Les risques que l’on peut craindre dans ce modèle incluent, entre autres, la collusion inconsciente, les agissements défensifs et les transformations thérapeutiques en surface.
Conclusion
47J’ai tenté de décrire les divers modèles de cadre qui opèrent dans la clinique psychanalytique contemporaine. D’autres lectures seraient possibles. Mon idée centrale est qu’il y a une interdépendance étroite entre le cadre théorique explicite et implicite de l’analyste, sa compréhension du processus analytique, ses interventions et le cadre externe qu’il propose. Cet ensemble imprime une certaine direction au travail analytique, qui varie pour chaque analyste. Il me semble pouvoir être utile de connaître les divers modèles actuels, avec leurs avantages et risques spécifiques, afin de mieux réfléchir à notre pratique. Autrement dit, nous demander ce que nous faisons, pourquoi nous le faisons et quels en sont les effets sur notre identité d’analyste et sur le déroulement de nos traitements.